lundi 25 novembre 2024

Confédération helvétique et Bourgogne : Grandson et Morat, 1476 et 1477.

 Les guerres de Bourgogne et la Confédération

Antoine Schülé

Introduction

Au XVe siècle, une Europe se constitue avec de nouvelles frontières. La Confédération helvétique est un jeu d’alliances, complexes, car de natures différentes, de plusieurs cantons, plus ou moins indépendants, face un adversaire commun : les Habsbourg. Des puissances renaissent, comme la Bourgogne et la France, alors que d’autres déclinent, comme le duché de Savoie et l’Empire. La Confédération se forme dans le temps long. Berne ainsi que le Valais ont un intérêt militaire pour Genève et pour le Pays de Vaud, tous deux  sous la domination du duc de Savoie (Yolande de Savoie plus particulièrement). 

Deux cartes illustrent cette problématique :

Bourgogne

Savoie (du Musée et archives de Savoie)

Forces  en présence

Portrait de Charles, Musée du Louvre

Charles le Téméraire est duc de Bourgogne depuis 1467. Son ennemi est Louis XI, le roi de France. Charles est allié avec l’Angleterre, la Castille et l’Aragon. Il cherche à souder en un seul bloc ses différentes possessions : recréer la Lotharingie. Il a la puissance financière, industrielle et militaire du moment. Son armée est réorganisée, il possède une puissante artillerie. Il a mis au point un art de la guerre qui lui a réussi : 

Il utilise la déception : induire son adversaire en erreur quitte à se laisser poursuivre. Au XVe siècle, le langage militaire disait «amorcer » l’ennemi pour le mener sur le champ de bataille voulu.

L’ennemi pris au piège, il joue sur l’effet de surprise par la fermeté de sa défense.

Après engagement de l’artillerie, il mène une action offensive avec les cavaliers pour écraser l’ennemi. 

L’emploi de l’artillerie qu’il engage en masse est une grande nouveauté en son temps. Il allie ainsi avec sa cavalerie les puissances du choc et du feu. L’infanterie ne possède plus le rôle essentiel dans l’engagement. Pour alimenter le feu de l’artillerie, il développe une logistique impressionnante. A juste titre, il peut considérer sa force militaire comme la meilleure de son temps.

Canon, butin de l'armée de Charles le Téméraire


Couleuvrine

Son adversaire Louis XI, le roi de France, est par contre un homme qui déteste la guerre pour son pays. Son talent est dans la négociation, c’est un fin politique qui promet beaucoup et tient, parfois, ses engagements. Il obtient plus d’avantages avec ses intrigues diplomatiques qu'avec ses hommes de guerre.

La Confédération est un faisceau d’alliances entre huit cantons (Uri, Schwytz, Unterwald, Lucerne, Zürich, Zoug, Glaris, Berne), soit souverains, soit alliés, soit en bailliage. L’infanterie est sa force militaire principale.

Les alliances

Un jeu d’alliances menace Berne et le Valais : la Bourgogne, la Savoie et Milan s’unissent avec l’appui du roi d’Angleterre. Le roi de France persuade les Confédérés de conclure une paix perpétuelle avec l’Autriche en 1474, de renforcer les liens unissant l’empereur et les villes d’Alsace aux Confédérés. 

Les villes de Mulhouse et de Bâle étaient alliées des Confédérés : lorsque Charles le Téméraire veut soumettre l’Alsace, Berne déclare la guerre en 1474 au duc de Bourgogne. Berne libère l’Alsace des Bourguignons.  En 1475, l’allié savoyard du duc de Bourgogne subit l’attaque de Berne qui s’empare du Pays de Vaud et épargne Genève, en contrepartie de payements d’indemnités. Les Valaisans s’emparent des régions de Martigny et de Saint - Maurice.

Berne et le Valais se sont unis, car ils avaient des intérêts communs. Le Pays de Vaud et le Bas-Valais savoyard disposaient des principaux passages militaires, spécialement le Grand-Saint-Bernard, menant du Piémont au Valais, au Léman et par le Pays de Vaud en Haute - Bourgogne. Ce coup de main est dangereux pour les intérêts de la Bourgogne. Elle perd un territoire allié qui aurait pu lui servir de point d’appui pour ses opérations contre les Confédérés et la route militaire la plus directe reliant l’Italie et la Bourgogne. 

Retournement d’alliances

Louis XI et Frédéric III, alliés pourtant aux Confédérés, s’entendent avec le duc de Bourgogne pour lui laisser la possibilité d’écraser la Confédération et leurs alliés : pragmatisme stratégique. Les alliances ont une valeur éphémère, évoluant au gré des intérêts du moment !

Pour Charles, il ne s’agit pas de se venger  des Confédérés. Il conduit sa politique européenne et celle-ci lui impose d’expulser les Confédérés du Pays de Vaud pour venir au secours de son allié qu’est la Savoie. Il se doit de rétablir une liaison avec l’Italie par le Grand-Saint-Bernard : il a des objectifs en Lombardie. Une défaite des Confédérés lui permettrait de reconquérir les terres autrichiennes dans la vallée supérieure du Rhin. Sa volonté est de reconstituer le royaume de Lotharingie. 

C’est ainsi que Grandson et Morat resteront pour la postérité deux grands champs de bataille. Mon but n’est pas de vous les décrire en détails. Cependant, quelques caractéristiques méritent d’être retenues, car riches d'enseignements.

Grandson 1476

A Grandson, chacun des adversaires cherche à créer l’incertitude. Leur approche respective est un modèle d’emploi de la déception. Charles dispose d’environ deux cents bouches à feu. Il tente d’attirer les Confédérés dans un guêpier d’artillerie. Les Confédérés ont la sagesse de se tenir hors de portée de cette artillerie bourguignonne. Le duc veut la déplacer mais la manœuvre ne lui réussit pas car le flottement, dû à ce mouvement, suscite la panique dans ses rangs que les Confédérés exploitent, sans que le duc puisse rétablir la situation en sa faveur. L’armée bourguignonne est dispersée plutôt que frappée au cœur.

Morat 1477

Il faut attendre le 22 juin 1476 pour les Confédérés réussissent à attirer l’adversaire là où ils le voulaient pour le fixer, le duper et l’anéantir : Morat. Les Confédérés se sont aussi donnés les moyens de se battre à armes égales. Ils ont de la cavalerie pour attaquer le flanc adverse, de l’artillerie pour déboucher avec la force du feu sur leur ennemi. Adrien de Bubenberg a su utiliser toutes les faiblesses de son adversaire, en attendant l’appui massif des Confédérés qui avaient tout d’abord hésité à lui venir en aide. 

Fuite de Charles après la défaite de Morat par Eugène Burnand

Conséquences

Après la bataille de Morat, le Pays de Vaud est à nouveau reconquis, mais la Savoie négocie avec les vainqueurs et leur paye de fortes indemnités de guerre. 

Territorialement, Berne  dispose de Cerlier et d’Aigle. Les seigneuries d’Orbe, d’Echallens, de Morat et de Grandson deviennent des bailliages communs à Fribourg et à Berne. Les batailles de Grandson et de Morat démontrent l’importance miliaire qu’accordent  les Confédérés au Pays de Vaud, à Genève et au Bas-Valais.

En finalité, la France et l’Empire - qui avaient laissé les Confédérés seuls face au duc de Bourgogne - se partagent les vastes Etats bourguignons, alors le grand duc, Charles le Téméraire, y a perdu la vie. 

Militairement l’infanterie avait démontré sa supériorité sur la cavalerie. Les fantassins suisses seront très recherchés dans les diverses armées européennes. L’Espagne prendra notre système de défense comme modèle. La combinaison infanterie et artillerie supplantera la combinaison cavalerie et artillerie. Choc de la masse et souplesse du feu seront deux éléments décisifs des batailles de la Renaissance. 

Cependant, Charles de Bourgogne avait réorganisé son armée  d’une façon qui se retrouvera à la fin du XVIIe siècle. Il disposait de pièces d’artillerie qui n’étaient pas au point techniquement (alliages non homogènes). La qualité des poudres était remarquable. Sa tactique était bonne, mais il n’a pas pu l’entraîner. Pris dans le tourbillon des événements précipités, il n’a pas pu faire usage de moyens nouveaux qui auraient dû le rendre maître de l’Europe. Sa défaite ne doit pas faire rejeter l’armée qu’il avait imaginée. Les circonstances lui ont fait connaître l’échec alors qu’il avait les moyens du succès.




dimanche 24 novembre 2024

Suisse et le général Hans Herzog : internement de l'armée Bourbaki.

 L'internement de l’armée de Bourbaki en Suisse

Antoine Schülé

La guerre franco-allemande (1870-1871) a eu une incidence importante méconnue quant à l'organisation de l'armée suisse. La France a subi, dès septembre 1870 de façon, successive, deux échecs : au Nord, celui de l’armée Faidherbe, à l’Ouest, celui de l’armée Chanzy, alors qu’à l’Est, l’armée Bourbaki se réfugie en Suisse.

La guerre oblige de tenir compte de la réalité des faits : les ignorer conduit à une perte certaine. Le commandant pragmatique a plus de chances de vaincre que le théoricien aveuglé par sa propre théorie. La pratique donne des enseignements qui servent l’avenir, dans la mesure où ils sont entendus !

Introduction


Le peintre neuchâtelois Bachelin a rendu avec une grande force cette épopée que fut l' "Entrée en Suisse des Bourbakis". Vous pouvez voir cette toile à Colombier. En 1871, la Suisse a été confrontée à une mission qui serait qualifiée, en termes actuels, d'humanitaire. 

Il est intéressant de porter un regard de notre temps sur ce fait du passé qui reste encore riche d'enseignements pour celui qui sait regarder au-delà de l'événementiel, en embrassant d'un seul regard l'essentiel : considérer dans le passé ce qui est utile pour construire l'avenir. C'est en ce sens que l'histoire peut aider efficacement à la prospective. 

Le général Herzog a dû, en quelques heures, dans la nuit du 31 janvier et 1er février 1871, gérer non pas les risques d'un combat mais celui d'un internement de troupes avec armes, chevaux et équipements alors que la France est vaincue par les forces allemandes et après que la Suisse ait réussi, avec succès mais aussi avec des lacunes, à surveiller et protéger ses frontières. Herzog a su établir une convention avec l'armée française pour sauvegarder la situation internationale de la Suisse, c'est-à-dire aussi sa neutralité, tout en préservant aussi les intérêts matériels et financiers de la Confédération. 

Aussi avant d'entrer dans le vif du sujet, je souhaite vous entretenir quelques instants sur le Général Herzog.


Une personnalité méconnue : Hans Herzog (1819-1894)

Parmi les généraux suisses, Hans Herzog dont le souvenir n’est plus dans la mémoire des Suisses : Dufour et Guisan y sont restés, même si le public les connaît peu et de façon très sommaire. Wille est évoqué le plus souvent à travers des caricatures médiatiques, éloignées de la vérité et pour des raisons qu'impose la “bonne-pensée” médiatique, cautionnée par quelques universitaires ayant perdu le sens de l'objectivité. 

Il est né le 28 octobre 1819 au sein d'une famille bourgeoise, originaire d'Aarau. Son père est dans le commerce de fer : autant par goût, il se sent appelé par sa vocation militaire, lui qui aimait commander les jeux de petite guerre au gymnase d'Aarau; autant par devoir, il veut poursuivre la direction de l'entreprise familiale.

Il a effectué un séjour à Genève chez la famille Munier où il apprend le français. Pour l'entreprise paternelle, il effectue de nombreux voyages à Trieste, Milan, au Havre, notamment.

1860 est l'année du grand changement de carrière : à la demande du Conseil fédéral, il devient en tant que colonel, chef d'arme de l'artillerie. Il peut enfin harmoniser "devoir" et "goût" dans son quotidien. Il est intéressant de signaler qu’un officier de milice peut accéder à de hautes fonctions militaires : ceci n’est pas le cas de toutes les armées européennes. Une vie professionnelle civile avant une vie militaire est un véritable enrichissement.

Il est un perfectionniste, il étudie tout dans les menus détails. Il lit les journaux militaires français, anglais, allemands et italiens. Il lancera de nombreuses innovations : pour l'armement, après la guerre d'Italie, en tant qu'artilleur, il fait adopter le canon rayé pour remplacer le canon lisse. En même temps que la Prusse, il adopte le chargement par la culasse. 

Il est un travailleur infatigable, soigne chaque chose avec méticulosité. Son intérêt se porte aussi bien sur la construction de voitures de guerre que sur des questions de stratégie. En 1865, il songe au fusil se chargeant par la culasse ainsi qu'au fusil à répétition. Il dispose d'une excellente mémoire.  

Fermeté et franchise envers les supérieurs comme les subordonnés sont ses deux caractéristiques majeures. Il reste modeste même lorsqu'il sera appelé au plus au poste de commandements de l'armée.

Le 19 juillet 1870, il est élu par l'Assemblée fédérale avec 144 voix sur 153 comme commandant en chef de l'Armée lors de cette guerre franco-allemande.  

A la fin de la mise sur pied troupes sur pied et après l'occupation des frontières en janvier et février 1871, il a la mission d'en rédiger les rapports finaux. 

Lorsque nous lisons ceux-ci aujourd'hui, nous ne réalisons plus toujours la tâche épineuse que cela peut représenter. Faut-il "dire la vérité, toute la vérité" selon l'expression usuelle ? Faut-il jeter un voile discret sur les lacunes et les faiblesses ? Combien de dangers faut-il affronter dans ce type de rédaction ? En voici quelques-uns : éveiller les susceptibilités cantonales, très fortes lorsqu'il s'agit des troupes cantonales; mécontenter les personnalités influentes encore en place au sein de l'armée ou encore parmi les autorités politiques; discréditer les aptitudes, malheureusement seulement présupposées mais pas assumées, de certains chefs.

Herzog ne répond qu'à un seul commandement : faire son devoir. Aussi, il choisit de faire connaître en son  âme et conscience les réalités que lui a révélées son expérience. Il ne veut pas juger mais il formule des observations qui, il l'espère de tout cœur, permettront d'améliorer l'Armée par l'instruction, par le matériel adéquat et par la qualité de préparation de chacun à être en capacité d'assumer les tâches qui lui incombent. 

A l'aide de deux citations, vous percevrez sa franchise de ton et vous comprendrez aussi les difficultés qu'elle pouvait susciter :

"Si la vérité doit être exprimée sans détour, ce qui, du reste, doit être la première condition pour reconnaître notre insuffisance et le premier pas fait dans la voie du perfectionnement, il faut constater avant tout que la mise sur pied de l'année courante [nous sommes en novembre 1870] a dévoilé un état de choses dont l'existence n'était connue que du plus petit nombre des officiers suisses."

Il faut du courage pour s'exprimer ainsi dans un rapport public que tout Suisse pouvait lire et que les Etats voisins pouvaient aussi lire !

Il poursuit en disant :

"Il a été mis à jour des inconvénients auxquels depuis nombre d'années l'on croyait qu'il avait été remédiés. En un mot, il faut avouer que non seulement la majeure partie du public se faisait des illusions sur beaucoup de choses, mais encore qu'un grand nombre de personnes devaient être en mesure d'y remédier."

Il a ainsi constaté que des cantons n'avaient pas appliqué la loi sur l'organisation militaire du 8 mai 1850, prés de vingt après. Chacun sait la lenteur dès qu'il s’agit d’appliquer des réformes mais, là, le degré de négligence est stupéfiant ! Et il ne ménage pas sa conclusion qu'il peut formuler à bon droit :

"Une erreur semblable aurait pu avoir des suites regrettables; c'est un crime dont les autorités respectives se sont rendues coupables envers les enfants de leur pays et envers la nation tout entière.

[…]

Rien n'est plus dangereux pour la patrie que de se bercer d'illusions, de se croire préparé et de se vanter de posséder une armée relativement importante et bien équipée, alors qu'au moment du danger et de l'épreuve, on constate que tout manque ou est défectueux."

Sa conclusion, face à ce constat alarmant, est  :

"Il vaudrait mieux ne posséder qu'une armée plus faible quant au nombre d'hommes, mais plus qualifiée et plus capable que ce n'est le cas dans ce moment où l'on est tout étonné de trouver une masse de choses sur le papier, tandis qu'elles n'existent pas en réalité."

Il propose de nombreuses réformes :

1. une instruction tactique plus poussée pour toutes les troupes;

2. un service plus discipliné;

3. un meilleur contrôle sanitaire des troupes entrant en service;

4. un renforcement des effectifs de la cavalerie;

5. une augmentation des pièces d'artillerie;

6. une réorganisation des trains de parc;

7. une augmentation des effectifs des troupes du génie, travaillant  au profit de l'infanterie qui doit développer les fortifications de campagne, employer des abris et créer des obstacles dans les localités et pouvoir rétablir des axes de communication;

8. une centralisation de l'instruction de l'infanterie avec augmentation des jours d'instruction et de la qualité des instructeurs;

9. lutter contre les frictions de troupes spécialisées mais ne sachant pas travailler en interarmes;

10. une amélioration de l'ordinaire de la troupe (café, sucre, vie, ration de viande plus importante).

et bien d 'autres mesures qu'il serait trop long de vous énumérer en détails. Il est certain que les changements, qui s'imposent au vu de la réalité, lui étaient un devoir d'être enfin mis en œuvre. Cette façon d'observer et de réfléchir sur une situation concrète pour agir au plus juste était et reste d'actualité. 

Inutile de vous dire que certains officiers de l'Etat-major général n'avaient guère goûté les propos d'Herzog quand il dit :

"Chacun connaît la haute importance de chaque place dans l'état-major général. En suite des expériences faites et fondé sur d'autres raisons connues, il sera possible d'éliminer et d'utiliser d'une autre manière les éléments qui malgré tout le zèle et toute la bonne volonté possible, ne sont pas en mesure de remplir leurs fonctions et qui seraient ainsi une cause de dommage pour le pays si on voulait persister plus longtemps à leur confer une charge qu'ils sont et resteront hors d'état de remplir."

Mais abordons le vif du sujet :

Avant l'internement

Dés le 23 janvier 1871, Herzog pressentit que des troupes avec d'importants effectifs risquaient de passer en Suisse. Il prit aussitôt des dispositions  pour les subsistances comme le pain, vin rouge et bois  tout particulièrement. 

Il faut surtout ne pas oublier que les voies de communication étaient très difficilement praticables, il il y avait des températures glaciales; un vent du Nord très violent soufflait.

Le 26 janvier, la retraite complète de Bourbaki est connue. Il est su aussi que son armée est dans un état de complète démoralisation. Des retraites se faisaient et il était à prévoir que des détachements français tenteraient le passage par la Suisse. Ils étaient attendus aux ponts de Soubey et de Goumois, et sur le long de la rive droite du Doubs. 

Herzog porte immédiatement l'armée sur les points sensibles de la frontière. Les marches sont longues pour les troupes suisses et Herzog peste contre le service de chemins de fer qui est la cause de nombreux désagréments : les plans horaire ne peuvent pas être tenus et cela aurait pu avoir des incidences fâcheuses; les cantonnements connaissent des surcharges d'occupation. 

Le général inspecte des troupes le 27 à Courgenay. Un froid glacial règne et le vent souffle encore avec plus de force : pour éviter des problèmes de santé à la troupe, il fait exécuter des mouvements tactiques et abrège son inspection.

Le 28, le commandement militaire suisse apprend que Salins est occupé par les Prussiens. Bourbaki a établi son QG à Bouclans, en deçà de Besançon. L'espoir français est de pouvoir se diriger sur Mouthe et St. Claude pour se porter à Lyon. Des troupes françaises se replient sur St. Hippolyte, Frévilliers et Maiche.

L'Etat-major général constate qu'il n'est pas possible pour l'armée suisse d'occuper rapidement tous les passages qui relient le département du Jura au canton de Vaud. Des bataillons d'infanterie vaudois sont mis sur pied pour occuper les défilés de Jougne, du Brassus et de St.-Cergues. 

120 000 Français se dirigent sur Pontarlier. L'armée prussienne de Manteufel effectue avec succès une manœuvre qui vise à couper la retraite de Bourbaki et de forcer les troupes vers la frontière suisse : trop de prisonniers ont été faits et sont à la charge de l'Allemagne et c'est un moyen de ne pas s'embarrasser à alimenter et à garder 120 000 hommes, ce qui peut paralyser la logistique allemande et leurs troupes, plus nécessaires sur le front. 

Général Bourbaki

A 23h00, Herzog apprend le suicide du général Bourbaki. Dès lors, il est inévitable que la troupe de Bourbaki cherche à franchir la frontière suisse. Toutes les troupes suisses disponibles sont engagées aux passages les plus importants. Les Verrières est un des points de passage le plus important. Je vous rappelle que la route et le chemin de fer, reliant Pontarlier à la Suisse, conduisent aux Verrières. 

Ensuite, les pénétrantes secondaires sont "Les Fourgs - Ste Croix- Yverdon", "Les Hôpitaux – Jougne – Ballaigue - Orbe"sur la rive gauche de l'Orbe et celle encore de Vallorbe sur sa rive droite. D'autres points seraient envisageables mais la masse de neige les rend moins probables car quasiment impraticables.

Du samedi 28 au dimanche 29, les troupes suisses sont en mouvement sur La Chaux-de-Fonds, Neuchâtel, Bienne, Ste Croix, le val de Travers, les Verrières entre autres. Il est envisagé le cas le plus délicat, celui de Genève. Car les troupes françaises dans le pays de Gex pourraient être tentées de s'installer dans cette ville tout proche. Pour le maintien de l'ordre, il est une bonne chose que Genève soit occupée par des troupes suisses. 

Herzog émet de vivres critiques contre le télégraphe et le service des postes, surtout lorsque se faisant par le chemin de fer qu'il apprécie de moins en moins. Au début du conflit, son QG était à Olten et, dès le 29, il est déplacé à Neuchâtel. L'information qu'un armistice est en voie d'être signé parvient en Suisse. Le général Clinchant succède au général Bourbaki. 

Au soir du dimanche 29, une forte concentration de troupes françaises, avec un manque presque absolu de vivres et de fourrages, est confirmée à Pontarlier. 

Dans la matinée du 31, un train amène aux Verrières 400 soldats blessés ou malades avec quelques fuyards. Ce train n'est pas escorté. Il n'y a aucun bilan individuel de santé pour chaque homme. Blessés et malades sont mélangés. Immédiatement, des cas de typhus et de petite vérole sont constatés. Il fallait de plus éviter les cas de désertion. 

Le chef d'état-major français est contacté pour que les personnes atteintes de maladie contagieuse ne passent pas la frontière, que les fuyards soient arrêtés et ramenés aux avant-postes français. L'ordre aux troupes suisses à la frontière est de désarmer toute troupe voulant passer la frontière et, en cas de refus de remettre les armes, de les repousser par la force. 


L'internement

Le Consul de France à Neuchâtel se présenta au QG du général Herzog pour intervenir en faveur de l'armée de Bourbaki. Un parlementaire est reçu : le colonel Chevals de l'Etat-major général de Clinchant.

Une convention est établie :

1. L'armée française demandant à passer sur le territoire suisse déposera ses armes, équipements et munitions en y pénétrant.

2. Ces armes, équipements et munitions seront restitués à la France après la paix, et après le règlement définitif des dépenses occasionnées à la Suisse par le séjour de l'armée française. 

3. Il en sera de même pour le matériel d'artillerie et ses munitions.

4. Les chevaux, armes et effets des officiers seront laissés à leur disposition.

5. Des dispositions ultérieures seront prises à l'égard des chevaux de troupe.

6. Les voitures de vivres et de bagages, après avoir déposé leur contenu, retourneront immédiatement en France avec leurs conducteurs et leurs chevaux.

7. Les voitures de trésor et des postes seront remises avec tout leur contenu à la Confédération helvétique, qui en tiendra compte lors du règlement des dépenses.

8. L'Exécution de ces dispositions aura lieu en présence d'officiers français et suisses, désignés à cet effet.

9. La Confédération se réserve la désignation des lieux d'internement pour les officiers et la troupe.

10. Il appartient au Conseil fédéral d'indiquer la prescription des détails destinés à compléter la présente convention.

      Fait en triple expédition aux Verrières, le 1er février 1871.

      Signé: Clinchant Signé: Hans Herzog 

Le commandant de l'Armée française et son état-major, franchissent dans la nuit même la frontière; les voitures des postes et de trésor les ont précédés. Ils sont suivis par les troupes d'artillerie mais mêlées à de nombreuses autres troupes. Le bataillon d'infanterie bernois, le n° 58 a la plus grande peine  à canaliser cette masse confuse qui se presse sur le territoire suisse. 

Le 1er février, l'internement aux Verrières se fait avec le bruit du canon et de la mousqueterie des forces prussiennes qui s'approchent toujours plus de la frontière : les tirs ne s'arrêteront que dans la soirée. Jusqu'au 3 février, les troupes françaises entrent sur territoire suisse.

Le désarmement est immédiatement effectué. Près de Meudon, armes à feu, sabre, pièces d'équipement sont déposés. Ce qui surprend le plus est la diversité des habits de la troupe. Les soldats ont très souvent des souliers déchirés, des sabots, voire encore les pieds entourés de guenilles. Marcher dans la neige profonde dans ces conditions est un exploit qu'il faut souligner. Les chevaux n'ont pas été nourris et ne disposent pas de ferrage à glace, ils ont de la peine à tenir debout et n'ont plus la force de tirer leur charge. 

Les troupes suisses doivent improviser face à la masse des arrivants. Les officiers supérieurs estiment leurs troupes à 42 000 hommes car ils sont persuadés qu'une partie a échappé à l'ennemi. Or, Herzog avait annoncé à Berne son estimation : 80 000 à 85 000 hommes. Au décompte final, il y a bien eu 84 900 hommes reçus.

L'affluence aux frontières suisses est énorme et il est très difficile de maîtriser le chaos dans lequel les troupes françaises arrivent : elles ne sont plus commandées pour la plupart, à l'exception de l'artillerie et de quelques unités, tactiques essentiellement; les insultes envers les officiers fusent de la troupe; les meilleures unités ont des vivres et observent la discipline militaire. 

Les officiers et la troupe suisses  dirigent finalement l'internement dès la frontière. Leurs ordres sont bien acceptés et suivis. Des colonnes de 1 000 hommes sont formées. Ils doivent parcourir de longues distances à pied comme en train. Il est impossible de pouvoir loger tout le monde : les églises, les maisons d'école, les remises, les hangars, les combles parfois sont suroccupés. Des bivouacs en plein air sont organisés. 

Imaginez que dans le petit Val de Travers, il est arrivé en 48 heures, 32 000 hommes avec chevaux et qu'il fallait tous les nourrir ! Il était capital de pouvoir les répartir au plus vite dans les différents cantons. Le canton de Vaud qui recevra environ 40 000 hommes a plus de facilité pour recevoir de gros effectifs. Il faut souligner la plus grande hospitalité des populations des cantons pour accueillir et loger dans les familles les internés. Mais cela complique l'intendance, des vivres sont envoyés et ne sont pas utilisés car la population y a pourvu et il faut les revendre quand cela est possible; des gaspillages de viandes et de pains ont eu lieu et cela est regrettable; de plus, il était plus difficile de tenir en mains les internés. 

Yverdon reçoit 25 000 hommes et je vous laisse penser à tous les problèmes que cela peut poser pour une ville qui voit en quelques heures sa population augmenter dans cette proportion. Yverdon, Lausanne, Moudon et Romont sont parmi les villes qui ont accueilli le plus d'internés. 

Il faut organiser des patrouilles dans toute la région frontière neuchâteloise et vaudoise pour réunir les Français  qui se sont dispersés dans les villages afin de pouvoir les rassembler dans les lieux prévus pour les recevoir.

Neuchâtel est évacué en priorité car ce canton a eu le poids principal de l'internement, avec tout particulièrement les malades et les blessés. En priorité aussi, le canton de Genève est évacué en raison de la proximité de la frontière et de sa position très enclavée en territoire français. 

Les officiers français sont répartis entre les villes de St Gall, Zurich, Baden et Fribourg. Ils ne devaient pas s'éloigner de ces villes mais plusieurs ont pris des habits civils et sont rentrés en France, notamment en franchissant le lac Léman : L'armée dut disposer d'un bateau à vapeur pour contrôler ce passage, contraire à la convention.  

La plus grande difficulté est l'entretien des chevaux. Certains sont atteins de la morve et du typhus et d'autres maladies contagieuses. Cela nécessite un abattage immédiat des bêtes malades. Cavaliers et canonniers négligent parfois leur entretien : il y a de grandes inégalités. Des chevaux reçoivent du fourrage en abondance et d'autres rien du tout et ceux-ci se mettent à ronger les arbres, voire encore les queues et crinières de leurs voisins !

Un autre souci : le transport des pièces d'artillerie, du matériel de guerre, les armes, les munitions, la buffleterie occasionnent de grandes dépenses pour être déposés à Thoune principalement, à Grandson et à Morges. Un Argovien trouvera la mort en raison d’un fusil Chassepot non déchargé. Quelques chiffres : 284 pièces campagne sur affûts, 63 412 fusils, 61 770 sabres et 3 030 baïonnettes.

Les cartouches et cartouchières avariées sont en grand nombre et il faut séparer la poudre et le plomb pour éviter des accidents. Un accident se produisit à Morges le 2 mars : 22 fantassins français et 2 Morgiens civils, accourus pour éteindre l'incendie, y trouvent la mort. Un grand hangar fut complètement détruit avec le matériel de guerre qui s'y trouvait

Des troupes confédérales sont maintenues jusqu'au 16 février. La frontière doit être gardée pour éviter l'épizootie : bovins et chevaux sont atteints par des maladies contagieuses. Il faut éviter la fuite des internés. 

Il y a un seul incident sérieux qui a troublé cet internement : la journée du 5 février. Aux Verrières, un chef d'escadron d'Uhlans est chargé de remettre un courrier au général Clinchant qui informait que le général prussien Schmeling offrait de rendre 2 000 fusils Chassepot pris au combat de Chaffois. L'offre est  acceptée et, le 5 février, a lieu le transport de ces armes. Cela se passe au col des Roches près du Locle. Un petit détachement prussien livre le tout et rentre sur le territoire français mais, là, des francs-tireurs le prennent en embuscade. Des Prussiens sont tués et blessés en partie. Les rescapés sont emmenés prisonniers triomphalement en Suisse. L'officier suisse  arrête les francs-tireurs qui sont remis aux mains des tribunaux et libèrent les Prussiens. Les tribunaux libéreront les francs-tireurs, ce qui déplaît totalement à Hans Herzog qui n'est pas tendre sur cette affaire !  

Conclusion : enseignements pour la Suisse

Pour assurer le bon déroulement de cet internement, il a fallu recourir à de nombreuses troupes d'origines fort différentes : les divisions III, IV et V; d'armes différentes : Infanterie, dragons, artilleurs, génie, compagnies de guides, compagnie de parc. Pour remplir cette mission, les effectifs se sont portés à 19 439 officiers, sous-officiers et soldats, 797 chevaux de selle et 1 034 chevaux de trait.

Les conditions de travail ont été particulièrement difficiles en raison de la météorologie, des marches et des horaires lourds pour toutes les troupes. 

Il s'agissait d'un service particulier, nouveau pour nos troupes. Les officiers ont dû cultiver la capacité à penser et agir de manière indépendante : cela n'est pas donné à tout le monde. En des circonstances difficiles, il a fallu savoir improviser. Face à des troupes françaises physiquement et moralement épuisées, les commandants à tous les échelons ont dû faire preuve de tact et d'énergie.

Parmi les critiques : il stigmatise les officiers suisses qui n'ont pas pensé à assurer correctement la subsistance de leurs propres troupes (cette faute ne pouvait pas en être imputée au Commissariat). 

Il souhaite qu'on élimine du service les personnes incapables.  

Il propose une réorganisation du  service des vivres. 

Le service sanitaire a été très sollicité et les médecins suisses ont assuré de lourdes prestations: 4 224 malades, 2 328 guéris en peu de jours, 355 sont envoyés à l'ambulance, 198 à l'hôpital où ils sont pris en charge par les médecins cantonaux, 141 sont renvoyés à leur domicile en France; 17 morts. 

Herzog salue chaleureusement l'engagement de l'infanterie mais il constate que l'instruction donnée, par exemple en matière de sûreté, ne suffit pas. 

Deux solutions lui paraissent évidentes : centraliser l'instruction pour une uniformité de celle-ci à toutes nos troupes cantonales; prolonger le temps d'instruction.

"Le service de campagne ne s'étudie pas dans les règlements et les livres,

il ne s'apprend à fond que par une grande expérience pratique."

C'est pourquoi Hans Herzog préconise de grandes manœuvres pour savoir combiner des rassemblements de troupes de différentes armes et surtout pour savoir les diriger dans le terrain. Retrouver le réalisme : les exercices théoriques sont bons pour apprendre à réfléchir et tester des variantes; les manœuvres à échelle réelle sont essentielles pour apprendre à agir correctement.

Une armée s'organise déjà dans des organigrammes de corps d'armée et de divisions d'une manière permanente où les missions interarmes puissent se préparer et s’entraîner. Selon lui, il est illusoire de vouloir combiner au dernier moment des éléments complètement hétérogènes. Ce n'est pas en présence de l'ennemi qu'il est possible d'apprendre soudainement à travailler ensemble !  Les missions interarmes doivent s'apprendre : chacun doit connaître les spécificités et les attentes de l'autre arme pour pouvoir être efficace au moment où nécessité fait loi.

Il veut donc une meilleure instruction au tir pour la troupe, une meilleure instruction des officiers pour le commandement dans un contexte interarmes, une amélioration de la logistique pour toutes les troupes. 

Les chemins de fer et les télégraphes sont montrés du doigt et là de gros efforts sont encore à faire pour qu'ils aient un réel emploi militaire.

Cette expérience a porté ses fruits dans les réformes que l'armée suisse a connues par la suite. Tester en situation réelle les diverses troupes est et reste toujours d'actualité.

Antoine Schülé


Sourire quant à des jugements infondés ou des critiques d'incapables, ayant pourtant une autorité.


Les appréciations ou qualifications 

professionnelles ou civiles 

données par l’Omnipotent

Antoine Schülé

Ceci est une pure fiction bien entendu 

et toute ressemblance avec des faits réels serait fortuite.

Recommandation : lire ce texte avec le sourire.

Entre avoir de l’assurance et être trop plein d’assurance, voilà toute la différence entre un sage et un fat. D’ailleurs, du fat au fanfaron, il n’y a qu’un pas, très souvent vite exécuté. La vie militaire, ou associative ou professionnelle, en offre bien des exemples. Reconnaître un fat n’est pas toujours facile car il en est de multiples espèces : ils portent des masques très divers dans toutes les structures humaines. Faisons tomber ces masques avec le sourire. 

C’est lors des réunions en vue de qualifier les sous-officiers et les officiers, du grade le plus petit au plus grand, qu’il m’a été donné de découvrir les astuces pour disqualifier la personne dont un chef, un directeur ou un responsable de personnel ne veulent plus.

Comme chacun sait, le chef, homme ou femme, a toujours raison. Son ton péremptoire tranche immanquablement entre ce vrai qu’il faut croire et donc propager et ce vrai qu’il convient de taire, sous peine d’être un esprit rebelle et prétentieux vis-à-vis de ce chef, le détenteur de toutes les grâces du commandement.

Voici quelques exemples, pas tous spécifiquement militaires, observés avec une description objective et la lecture, brève et claire, que peut en imposer le chef omnipotent :

Il (ou elle, bien entendu) est jeune, il manque totalement d’expériences.

Il a de l’âge, il est rongé par la routine.

Il parle à ses hommes, c’est un vulgaire démagogue.

Il ne parle pas à ses hommes, il est replié sur lui-même.

Il réfléchit, c’est un hésitant.

Il agit rapidement, la précipitation ne vaut rien.

Il travaille avec le sourire, il n’est pas sérieux.

Il est un technicien reconnu, il n’est pas un polyvalent.

Il est modeste, il est effacé.

Il est décidé, c’est un arrogant. 

Il est logique dans ses décisions, il manque d’originalité.

Il est original, c’est un  facétieux de mauvais goût.

Il délègue, cela traduit son incompétence.

Il ne délègue pas, c’est un tyran.

Il est un  administrateur, ce n’est pas un homme de terrain.

Il est un homme de terrain, il a un total manque de vision stratégique.

C’est un officier d’infanterie, il ne voit pas plus loin que son nez.

C’est un artilleur, il plane et ne voit pas les réalités du terrain.

Il contrôle, c’est un soupçonneux.

Il ne contrôle pas, c’est un naïf qui se fera rouler à tous les coups.

Il corrige, il ne laisse pas se libérer les aptitudes de ses subordonnés.

Il ne corrige pas, c’est un laxiste qui court à sa perte.

Il explique, il perd son temps dans le verbiage.

Il n’explique pas, il est incapable de partager un élan.

Il est dynamique et réactif, c’est un agité. 

Il donne une instruction originale, c’est encore un non-conformiste qui cherche à se faire remarquer.

Il applique rigoureusement les règlements et les consignes, il ne saura jamais résoudre un cas particulier non prévu dans le règlement.

Il est pragmatique, il n’a pas une vision supérieure des faits.

C’est un théoricien, c’est un incapable avec la troupe.

Il a de la prestance, sa suffisance est insupportable.

Il est de petite taille, il ne saura jamais dominer ses hommes. 

Il se fond dans la grisaille d’une caserne, personne ne sait qui il est.

Il est servile, c’est une carpette (dont le chef n’a pas besoin).

Il est indépendant, il est impossible de lui faire confiance.

Il sait boire, c’est un ivrogne.

Il ne sait pas boire, il a quelque chose à cacher.

Il parle avec le ton juste, il est un comédien.

Il est de bonne conversation, c’est un hâbleur.

Il réussit avec modestie, il manque d’assurance.

Il a de nombreuses  connaissances, c’est un prétentieux.

Il dispose d’une bonne condition physique, il n’a que du muscle et rien dans la tête.

Il défend ses subordonnés, c’est un paternaliste primaire.

Il défend ses supérieurs, c’est un ambitieux (dont le chef n’a pas besoin).

Il réussit ce qu’il entreprend, c’est de la chance qu’il n’aura pas toujours.

Il a une forte personnalité, il étouffe ses collaborateurs.

Il manque tout, c’est un personnel qui doit profiter à un autre service (éjection par promotion ou déclassement).

Il est compétent, cela ne fait pas tout, car il lui manque tout de même ce « je ne sais quoi » qui ferait qu’il puisse avoir une promotion (il a déplu).

Tout de même, certains doivent être ménagés, en vue du plan de carrière  du chef :

Il a des relations bien placées dans le monde politique, nous n’en tiendrons pas compte bien entendu, mais il doit avoir des qualités qui ne demandent qu’à se révéler « Grâce à moi, c’est une futur sujet prometteur et j’en ferai quelque chose ». Quelque chose, mais pas quelqu’un !

Il n’a pas de personnalité, il a des compétences qui ne demandent qu’à mûrir : la magnanimité du chef.

(liste non exhaustive ! Il vous appartient d’imaginer la suite…)

A la fin de la réunion, le chef omnipotent remerciera ses collaborateurs qui partagent si bien son point de vue, en raison de leurs remarques pertinentes qui lui permettent d’étayer solidement son appréciation objective avec des faits reconnus par tous, faisant un large consensus : c’est le critère même de la Vérité.

 Tout de même, il notera, dans un coin de sa mémoire (d’éléphant), celle ou celui qui a légèrement osé sourciller lors d’une interprétation de son cru : elle ou il doit sûrement avoir un défaut caché qu’il convient de détecter d’ici sa prochaine qualification. Ayez confiance, il y arrivera. Ce défaut à trouver ou à créer est une véritable épée de Damoclès sur toute personne ne suivant pas obséquieusement le chef. Il est troublant d’observer que son entourage, au final, croit que “penser juste”, c’est acquiescer aveuglément à tout ce qu’il dit et fait. Ses proches se mettent même à marcher, à parler et à porter le même masque que lui, avec cet aspect de celui qui sait et qui donc totalement ignore qui vous êtes vraiment, alors qu'ils vous jugent ! La fonction de perroquet du chef est une valeur sûre dans certains milieux... Je n'en dirai pas plus...

Et pour être complet, je ne manque pas de vous donner la phrase rituelle qui clôt ce genre de réunion : « Merci Mesdames, Messieurs. Vous pouvez disposer ou Merci de votre précieux soutien. ».

N’imitez pas ce contre-modèle du chef et il y en parfois plusieurs dans la vie de celui qui a vécu longtemps ! Réfléchissez sur ces "petits tyrans" ("petits" moralement, bien sûr : ceci n'est pas lié au grade ou la fonction) que vous avez pu connaître ou subir !  

Avec le recul il est possible d'en rire ou du moins d'en sourire, alors que sur le moment où ils sont subis, ceci peut occasionner souffrances. Voyez celles ou ceux qui ne correspondent pas à ce descriptif : il y en a, il s'agit de les encourager, de les suivre pour agir !

Antoine Schülé



 



 


Savoir décider : en quelques principes simples.

 Décideur responsable : 

Dans la vie quotidienne, professionnelle, associative, militaire et politique, savoir décider pour agir utilement, et cela peu importe son niveau de responsabilité, répond à quelques principes simples.

 Avant l’action

* Avoir ou recevoir un objectif : l’accepter ou le refuser selon des valeurs.

Le sens donné à ces valeurs permet de surmonter les obstacles.

Choisir en vue de l’action pour atteindre l’objectif.


* Observer, écouter, s’informer : analyser. 

Réfléchir, imaginer, discuter, écouter des avis divers : raisonner en variantes.

Considérer les intuitions :

ces messages que notre cerveau perçoit sans en être l’auteur. 


* Avant l’action : se donner le temps.

Pendant l’action : être très réactif.

Raisonner en variantes augmente la réactivité.


* Structurer l’action en phases.

Pour chaque phase, disposer de la ou des personne(s) compétente(s).


* Avant l’action, écouter les avis des exécuteurs.

Pendant l’action, décider en temps opportun.


* Donner des missions ou des ordres, clairs et sans ambigüité.

Faire circuler les informations à son échelon et

 de bas en haut comme de haut en bas.


Durant l'action

* Gérer les «grains de sable» ou les blocages possibles : contrôler.

Connaître précisément tout ce qui s’oppose à l’action : corriger.


* A chaque phase imposée par l’action,  prévoir conséquence(s) possible(s).

Réagir avec rapidité ou lenteur : c’est selon les cas.

« Ne rien faire » peut être parfois une bonne solution, 

si l’on est maître du temps et certain des conséquences.


* Ne pas abandonner avant d’avoir atteint l’objectif 

ou d’avoir perdu tout moyen de poursuivre l’action.


* Méditer sur le succès, l’absence de résultat(s) ou l’échec :

« Toute expérience, bonne ou mauvaise,

 est une arme nouvelle pour l’action suivante. ».

Prédispositions d’un décideur efficace : 

Des valeurs à défendre,

une volonté face à l’adversité,

la raison ne doit pas occulter l’imagination,

l’imagination ne doit pas faire perdre les notions de réalité,

l’analyse d’une intuition peut révéler des pistes de réflexion à explorer,

capacité à mettre ses expériences au service de l’action.


Savoir écouter les autres,

face aux autres, savoir être et non paraître, 

partager ses convictions et gagner les cœurs : adhésion,

planifier avant l’action, gérer pendant l’action.


Savoir saisir les opportunités,

décider, c’est choisir,

savoir refuser ou accepter,

une souplesse dans la réflexion et une fermeté dans l’action,

oser déléguer avec prudence et, par la suite, assumer les erreurs possibles du subordonné. 


Des impondérables peuvent détruire les meilleurs plans et favoriser les pires,

le succès ne couronne pas toujours les meilleurs.


Disposer d’une joie intérieure dans l’action,

rester serein en toute circonstance,

ne pas s’attendre à une reconnaissance de la part des autres mais garder ce plaisir d’avoir eu la satisfaction d’agir,

  • Savoir remercier reste le signe de la qualité morale de celui ou de celle qui bénéficie d'une collaboration ou d'une action totalement  bénévole (fait rare de nos jours, je tiens à le souligner !).


Etre toujours prêt à un nouvel engagement pour une action qui mérite d'être menée,

pouvoir toujours dire : « J’ai livré le bon combat ! ».   


    Antoine Schülé.