Les guerres de Bourgogne et la Confédération
Antoine Schülé
Introduction
Au XVe siècle, une Europe se constitue avec de nouvelles frontières. La Confédération helvétique est un jeu d’alliances, complexes, car de natures différentes, de plusieurs cantons, plus ou moins indépendants, face un adversaire commun : les Habsbourg. Des puissances renaissent, comme la Bourgogne et la France, alors que d’autres déclinent, comme le duché de Savoie et l’Empire. La Confédération se forme dans le temps long. Berne ainsi que le Valais ont un intérêt militaire pour Genève et pour le Pays de Vaud, tous deux sous la domination du duc de Savoie (Yolande de Savoie plus particulièrement).
Deux cartes illustrent cette problématique :
Bourgogne |
Savoie (du Musée et archives de Savoie) |
Forces en présence
Portrait de Charles, Musée du Louvre |
Charles le Téméraire est duc de Bourgogne depuis 1467. Son ennemi est Louis XI, le roi de France. Charles est allié avec l’Angleterre, la Castille et l’Aragon. Il cherche à souder en un seul bloc ses différentes possessions : recréer la Lotharingie. Il a la puissance financière, industrielle et militaire du moment. Son armée est réorganisée, il possède une puissante artillerie. Il a mis au point un art de la guerre qui lui a réussi :
• Il utilise la déception : induire son adversaire en erreur quitte à se laisser poursuivre. Au XVe siècle, le langage militaire disait «amorcer » l’ennemi pour le mener sur le champ de bataille voulu.
• L’ennemi pris au piège, il joue sur l’effet de surprise par la fermeté de sa défense.
• Après engagement de l’artillerie, il mène une action offensive avec les cavaliers pour écraser l’ennemi.
L’emploi de l’artillerie qu’il engage en masse est une grande nouveauté en son temps. Il allie ainsi avec sa cavalerie les puissances du choc et du feu. L’infanterie ne possède plus le rôle essentiel dans l’engagement. Pour alimenter le feu de l’artillerie, il développe une logistique impressionnante. A juste titre, il peut considérer sa force militaire comme la meilleure de son temps.
Canon, butin de l'armée de Charles le Téméraire |
Couleuvrine |
Son adversaire Louis XI, le roi de France, est par contre un homme qui déteste la guerre pour son pays. Son talent est dans la négociation, c’est un fin politique qui promet beaucoup et tient, parfois, ses engagements. Il obtient plus d’avantages avec ses intrigues diplomatiques qu'avec ses hommes de guerre.
La Confédération est un faisceau d’alliances entre huit cantons (Uri, Schwytz, Unterwald, Lucerne, Zürich, Zoug, Glaris, Berne), soit souverains, soit alliés, soit en bailliage. L’infanterie est sa force militaire principale.
Les alliances
Un jeu d’alliances menace Berne et le Valais : la Bourgogne, la Savoie et Milan s’unissent avec l’appui du roi d’Angleterre. Le roi de France persuade les Confédérés de conclure une paix perpétuelle avec l’Autriche en 1474, de renforcer les liens unissant l’empereur et les villes d’Alsace aux Confédérés.
Les villes de Mulhouse et de Bâle étaient alliées des Confédérés : lorsque Charles le Téméraire veut soumettre l’Alsace, Berne déclare la guerre en 1474 au duc de Bourgogne. Berne libère l’Alsace des Bourguignons. En 1475, l’allié savoyard du duc de Bourgogne subit l’attaque de Berne qui s’empare du Pays de Vaud et épargne Genève, en contrepartie de payements d’indemnités. Les Valaisans s’emparent des régions de Martigny et de Saint - Maurice.
Berne et le Valais se sont unis, car ils avaient des intérêts communs. Le Pays de Vaud et le Bas-Valais savoyard disposaient des principaux passages militaires, spécialement le Grand-Saint-Bernard, menant du Piémont au Valais, au Léman et par le Pays de Vaud en Haute - Bourgogne. Ce coup de main est dangereux pour les intérêts de la Bourgogne. Elle perd un territoire allié qui aurait pu lui servir de point d’appui pour ses opérations contre les Confédérés et la route militaire la plus directe reliant l’Italie et la Bourgogne.
Retournement d’alliances
Louis XI et Frédéric III, alliés pourtant aux Confédérés, s’entendent avec le duc de Bourgogne pour lui laisser la possibilité d’écraser la Confédération et leurs alliés : pragmatisme stratégique. Les alliances ont une valeur éphémère, évoluant au gré des intérêts du moment !
Pour Charles, il ne s’agit pas de se venger des Confédérés. Il conduit sa politique européenne et celle-ci lui impose d’expulser les Confédérés du Pays de Vaud pour venir au secours de son allié qu’est la Savoie. Il se doit de rétablir une liaison avec l’Italie par le Grand-Saint-Bernard : il a des objectifs en Lombardie. Une défaite des Confédérés lui permettrait de reconquérir les terres autrichiennes dans la vallée supérieure du Rhin. Sa volonté est de reconstituer le royaume de Lotharingie.
C’est ainsi que Grandson et Morat resteront pour la postérité deux grands champs de bataille. Mon but n’est pas de vous les décrire en détails. Cependant, quelques caractéristiques méritent d’être retenues, car riches d'enseignements.
Grandson 1476
A Grandson, chacun des adversaires cherche à créer l’incertitude. Leur approche respective est un modèle d’emploi de la déception. Charles dispose d’environ deux cents bouches à feu. Il tente d’attirer les Confédérés dans un guêpier d’artillerie. Les Confédérés ont la sagesse de se tenir hors de portée de cette artillerie bourguignonne. Le duc veut la déplacer mais la manœuvre ne lui réussit pas car le flottement, dû à ce mouvement, suscite la panique dans ses rangs que les Confédérés exploitent, sans que le duc puisse rétablir la situation en sa faveur. L’armée bourguignonne est dispersée plutôt que frappée au cœur.
Morat 1477
Il faut attendre le 22 juin 1476 pour les Confédérés réussissent à attirer l’adversaire là où ils le voulaient pour le fixer, le duper et l’anéantir : Morat. Les Confédérés se sont aussi donnés les moyens de se battre à armes égales. Ils ont de la cavalerie pour attaquer le flanc adverse, de l’artillerie pour déboucher avec la force du feu sur leur ennemi. Adrien de Bubenberg a su utiliser toutes les faiblesses de son adversaire, en attendant l’appui massif des Confédérés qui avaient tout d’abord hésité à lui venir en aide.
Fuite de Charles après la défaite de Morat par Eugène Burnand |
Conséquences
Après la bataille de Morat, le Pays de Vaud est à nouveau reconquis, mais la Savoie négocie avec les vainqueurs et leur paye de fortes indemnités de guerre.
Territorialement, Berne dispose de Cerlier et d’Aigle. Les seigneuries d’Orbe, d’Echallens, de Morat et de Grandson deviennent des bailliages communs à Fribourg et à Berne. Les batailles de Grandson et de Morat démontrent l’importance miliaire qu’accordent les Confédérés au Pays de Vaud, à Genève et au Bas-Valais.
En finalité, la France et l’Empire - qui avaient laissé les Confédérés seuls face au duc de Bourgogne - se partagent les vastes Etats bourguignons, alors le grand duc, Charles le Téméraire, y a perdu la vie.
Militairement l’infanterie avait démontré sa supériorité sur la cavalerie. Les fantassins suisses seront très recherchés dans les diverses armées européennes. L’Espagne prendra notre système de défense comme modèle. La combinaison infanterie et artillerie supplantera la combinaison cavalerie et artillerie. Choc de la masse et souplesse du feu seront deux éléments décisifs des batailles de la Renaissance.
Cependant, Charles de Bourgogne avait réorganisé son armée d’une façon qui se retrouvera à la fin du XVIIe siècle. Il disposait de pièces d’artillerie qui n’étaient pas au point techniquement (alliages non homogènes). La qualité des poudres était remarquable. Sa tactique était bonne, mais il n’a pas pu l’entraîner. Pris dans le tourbillon des événements précipités, il n’a pas pu faire usage de moyens nouveaux qui auraient dû le rendre maître de l’Europe. Sa défaite ne doit pas faire rejeter l’armée qu’il avait imaginée. Les circonstances lui ont fait connaître l’échec alors qu’il avait les moyens du succès.
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