vendredi 26 août 2016

Pensée militaire en Suisse de langue française.

La pensée militaire romande

Antoine Schülé, historien

Aux jeunes officiers de Suisse romande
et
à toute personne désireuse de comprendre le phénomène « guerre ».

Il s’agit d’une conférence que j’ai donnée en mars 2003.

Introduction
Lorsque je parle de pensée militaire romande, je rencontre de la part des Suisses des sourires et je constate une certaine gêne. Les sourires proviennent du fait que nos penseurs militaires, à quelques exceptions prêts comme Jomini et Dufour, sont trop méconnus. Une gêne car le Suisse est trop modeste par rapport à ceux qui ont su exprimer une pensée dont on n’a pas suffisamment saisi toute l’originalité et toute la portée.
Une idée fausse règne dans les esprits : la Suisse n’a pas connu la guerre et il s’oublie qu’une des raisons a été qu’elle disposait d’une défense crédible aux yeux de ses voisins ! De plus, c’est oublier les actions des Suisses à l’étranger que nous retrouvons sur la plupart des champs de bataille : ils sont revenus forts de leurs expériences pratiques, de leurs analyses concrètes qui ont permis de forger une armée suisse ayant une capacité opérationnelle efficace.  
En quelques minutes, je ne prétends lever le voile, voire la chape de plomb, qui recouvre nos penseurs militaires romands. Toutefois, je souhaite que cet exposé vous fasse découvrir ou redécouvrir quelques penseurs qui méritent autre chose que l’oubli dans lequel ils sont tenus.

Filiations de pensée militaire.
Ce sujet me tient à cœur surtout depuis les colloques CHPM  (Centre d’histoire et de prospective militaires) de 1989 et de 1990 où nous avons eu un tableau extraordinaire des filiations de pensée militaire. Pour ceux qui ne connaissent pas les actes publiés à la suite de ce colloque, je vous invite à en faire l’acquisition et la lecture au plus vite. Les tableaux établis par le colonel Daniel Reichel sont des outils de travail indispensables pour notre sujet.

Je profite d’ouvrir une parenthèse pour recommander aux lectrices et lecteurs qui veulent s’initier à la pensée militaire :
·       les cahiers du CHPM : « Le choc », « Le feu » (cahier 1 et 2), « La manœuvre et l’incertitude » ; leur lecture se complète utilement avec l’étude de M. le colonel Fuhrer sur le « Hasard » qui a paru dans le Cahier 2002 du CHPM. Ces cinq cahiers alimentent la première démarche en vue de comprendre les enjeux de la pensée militaire sur les événements.

Cette lecture étant faite, il convient de se ressourcer avec :
·       les Actes du symposium 1989 et 1990, ayant pour titres, le premier : « Quelques influences ayant marqué la pensée militaire… de la Renaissance à 1789 » et sa suite, avec le second «…de 1789 à nos jours ».

Traiter le même sujet «…de la Chute du Mur de Berlin à nos jours » nous confirmerait de voir resurgir des doctrines qui nous renvoient non pas à un XXIe siècle nouveau mais qui constituent un véritable retour au XIXe siècle, comme s’il ne s’était rien produit au XXe siècle où pourtant massacres et conflits n’ont pas manqué pour nourrir la réflexion. En matière d’emploi de la force guerrière, nous ne vivons même pas une évolution ou une progression mais une véritable régression : un exemple, le livre « Le grand échiquier » de Zbigniew Brzezinski, au sous-titre évocateur « L’Amérique et le reste du monde », alors que l’Amérique se réduit, pour lui, aux Etat-Unis, est un ouvrage qui préfigure et justifie très exactement l’actualité que nous sommes en train de vivre.
Il vrai que pour avoir un peu de culture il faut avoir un peu de mémoire. Et la mémoire et la culture sont parfois, au pire, des denrées rares chez quelques puissants de ce monde ou, au mieux, des prétextes pour justifier n’importe quoi, même l’injustifiable.

Les ouvrages qui précèdent sont les manuels de base, le début d’une démarche intellectuelle qui peut s’enrichir avec profit ensuite selon les pistes que le lecteur voudra bien suivre, en toute liberté et selon ses intérêts. Fermons la parenthèse et revenons à la pensée militaire romande.

Il revient à l’association « Semper Fidelis » d’avoir publié une série « Les écrivains militaires… », de 1975 à 1990 : vaudois (1975), genevois (1978), valaisans (1983), fribourgeois (1986), neuchâtelois (1988), jurassiens. Cette collection est à la Suisse romande ce qu’est l’ « Anthologie mondiale de la stratégie (des origines au nucléaire) » de Gérard Chaliand à la pensée militaire occidentale, avec tout ce qu’elle doit à l’Orient.

Pour ma part, j’avais établi une sélection de citations courtes qui permettent de caractériser un auteur ou un témoin militaire. Je l’ai fait en alternant des penseurs suisses romands avec des auteurs étrangers. Cela a fait l’objet de quelques publications que vous avez peut-être eu l’occasion de lire. Il y avait de l’intérêt pour cette étude car des jeunes m’ont demandé de pouvoir disposer de ce recueil de citations afin de développer des idées soit à la troupe, soit dans leurs travaux.

Ecrivain militaire ?
Il me faut faire une remarque sur le mot « écrivain » qui gêne parfois. Ecrivain doit s’entendre pour désigner toute personne qui écrit ; un ouvrage militaire n’a pas pour objectif premier d’être une œuvre littéraire devant concurrencer Proust ou Balzac. Certains écrivent avec talent, d’autres avec difficultés. Chacun possède son style. J’avoue parfois préférer des styles moins académiques avec une pensée originale plutôt qu’une pensée d’un conformisme désolant, emballée dans un style chatoyant.  Mais cela est une affaire de choix initial comme de goût.

Où les découvrir ?
Pour lire les textes intégraux les auteurs romands, il y a des difficultés qu’il convient de signaler. Elles ne sont pas insurmontables mais elles exigent une persévérance et un désir de connaître bien accrochés !

Nos auteurs militaires romands sont peu édités. Les ouvrages ont été faits à des tirages confidentiels. Les bibliothèques universitaires romandes ne disposent pas de tous les titres, à l’exception de l’université de Neuchâtel qui est véritablement votre dernier recours pour trouver un volume que vous n’auriez plus trouvé ailleurs. Une excellente source bien entendu reste la Bibliothèque militaire fédérale[1] qui possède une sélection d’auteurs, idéale pour établir les notions de base d’une réflexion sur la guerre et la sécurité et la défense. Le plus difficile est d’éviter de perdre du temps dans un domaine étouffé, depuis les années 2000, par l’ensemble de ces « écrits de reprise » où seule la signature change sur des textes ayant de grandes similitudes avec des publications anciennes mais oubliées : le psittacisme existe aussi chez certains publicistes pour placer leurs noms sur un rayon de bibliothèque, au lieu d’offrir une réflexion nouvelle ou une recherche originale.

Pour les chercheurs avancés ou passionnés, je signale que de nombreux manuscrits, parfaitement inconnus, dorment dans les Archives cantonales et là vous avez une mine, riche en découvertes et trop souvent négligée. Des familles possèdent des archives privées auxquelles l’accès n’est pas toujours facile mais, avec de la persévérance, il est possible d’espérer accéder à des témoignages pouvant renverser bien des idées reçues en histoire et pas seulement militaire. Oui, il y a des idées reçues contestables et « officialisées », il faut bien le reconnaître et surtout se donner les moyens de rétablir les faits, hors du champ des passions politiques. C’est d’ailleurs une part du plaisir de la recherche d’aller à leur encontre mais avec des documents sûrs et avec la prudence indispensable.

A ce sujet, il convient de ne pas négliger les rapports de témoignages oraux des témoins d’une époque comme trop souvent cela est le cas. L’histoire ne s’écrit pas uniquement dans les cabinets officiels mais aussi par des hommes de terrain ou d’aventure qui répugnent à consigner par écrit leurs expériences, aussi décisives ont-elles pu être ! Sans prendre leurs témoignages oraux comme pur argent comptant, il convient cependant de rechercher quelle crédibilité leur accorder, tout en sachant, l’historien reste modeste, qu’un faisceau d’éléments peut leur donner raison mais que, parfois, la ou les preuves éclatantes risque(nt) de manquer.

Certains documents écrits ont été détruits ou disparus plus ou moins volontairement : le général Guisan avait prévu, dans ses dispositions testamentaires, la destruction de ses archives dans le but de ne pas éveiller des querelles dont il avait lui-même souffert ou qui avaient failli être mal comprises du grand public ou de ces « procureurs-accusateurs de l’histoire » qui surgissent si facilement lorsque l’histoire est achevée pour une part ; d’autres archives ont disparu, au profit de qui ? (comme je voudrais avoir les réponses !) : archives von Sprecher ou Pilet-Golaz ; celles encore d’Etats ne connaissent un meilleur sort : les archives de Mussolini, prises par les Anglais, devraient avoir un contenu intéressant à consulter.

Ayons la patience de rechercher ces témoignages qui ont l’avantage de faire réfléchir et de pousser le vrai chercheur à explorer des pistes qui ont été négligées. Cette démarche est la marque même d’un esprit libre en quête de vérités (le pluriel est d’importance : les découvrir, à travers les faux, les mensonges, les manipulations, les secrets, les propagandes, les omissions etc., n’est pas une tâche facile). Rappelons que la Vérité n’appartient qu’à Dieu seul. Mais nous ne sommes pas là pour parler théologie.

Revue militaire suisse
Une source, facile d’accès et à consulter, est la « Revue Militaire Suisse ». C’est un outil de travail merveilleux que la France nous envie. Oui, elle nous l’envie car les auteurs s’expriment librement sur des sujets qui seraient étouffés par le Secret Défense ou pour des raisons politiques et des choix du gouvernement au pouvoir. Plusieurs lecteurs de la RMS - il y en a à Montpellier - m’ont fait part de leur admiration pour la qualité de la revue, pour la diversité de ses approches.
Nous avons une véritable revue de débats d’idée et cela ne date pas d’aujourd’hui mais de 1855. Informations et enseignements abondent pour celui qui les étudie en les relativisant aux faits survenus après leurs écritures. Souvent, j’en suis venu à regretter que les auteurs n’aient pas développé leurs idées dans un livre ou une suite d’articles car elles auraient mérité une meilleure diffusion et une meilleure reconnaissance en raison de leur originalité et de leur qualité.

Qui sont les auteurs de la pensée militaire romande ?
Les décrire tous en quelques mots est impossible car la palette est très large : elle s’étend à des officiers ayant exercé le commandement militaire à des postes élevés ou en tant que subalternes. Nous découvrons des personnalités ayant des fonctions militaires peut-être accessoires mais ayant exercé des charges publiques proches de l’armée. Vous trouverez aussi des médecins, des juristes, des soldats ayant vécu le combat comme encore des dessinateurs ayant établis des croquis de leurs visions du champ de bataille soit en tant que témoins directs des événements, soit sur la base de récits qui leur étaient connus.
Toutes ces personnes ont un commun dénominateur : elles ont eu, d’une façon ou d’une autre, des tâches au profit du service général aussi bien en Suisse qu’à l’étranger. Les Suisses de l’étranger ont contribué à façonner une image extérieure au pays et à donner une crédibilité, non mise en doute, des capacités de défenses de notre pays.
Pour être parfais, il faudrait inclure aussi nos muséographes qui, avec talent, reconstituent au travers de vitrines des pages du passé. Un muséographe écrit l’histoire à sa façon et mériterait plus de considération des historiens car nous avons des musées militaires remarquables et supportant avantageusement la comparaison avec d’autres pays.

Buts de la recherche :
Parcourir les chemins de la pensée militaire, c’est prendre connaissance d’une somme sans égale d’informations. C’est comprendre les motifs de certaines décisions dont les prémices sont parfois restées opaques, même très opaques, au grand public. C’est aussi se remettre en question de façon saine. C’est se libérer de préjugés pour soit découvrir de voies nouvelles, soit pour confirmer des réflexions dont on percevait confusément la pertinence mais dont les motivations nous échappaient. De toute façon, vous connaîtrez à leur lecture un enrichissement car vous ne verrez plus les événements et vous n’écouterez plus des réflexions à leurs sujets sans disposer d’un autre regard. L’essentiel de la démarche réside dans cet acquis. En pratiquant cela, vous revenez à ce qui fait la raison d’être d’un historien militaire, vous exercez ce que le colonel Reichel appelait fort justement : la recherche fondamentale.

La palette de perspectives qu’offre la pensée militaire romande est donc très large. Elle est due à la diversité d’origine et d’expériences des auteurs. Il en résulte un net avantage : chacun pourra trouver ce qui lui convient, l’approche qui le sensibilise le plus. Pour l’un, la chronique détaillée d’une bataille ; pour un autre, c’est l’explication d’une décision à portée historique ; pour d’autres encore, c’est une réflexion plus abstraite sur de grands principes ou encore les raisons justifiant une modification d’uniforme ou un développement de matériel. Il n’y a pas de petit ou grand sujet en histoire, et en histoire militaire aussi. Tout est digne d’intérêt. Il faut avoir une grande motivation pour aborder des sujets que délaissent trop volontiers nos universitaires.

Parmi ces écrivains, vous avez des « Réguliers » à la Clausewitz ainsi que Jomini comme des « Irréguliers » à la Lawrence d’Arabie ainsi qu’un de Gingins - La Sarraz. Cela mérite quelques explications. Les « Réguliers » sont ceux qui envisagent une lutte dans le cadre de la troupe et sous une autorité politique. Les « Irréguliers » sont ceux qui forts d’expériences d’une résistance crédible en cas de crise, décident qu’il est irresponsable de ne rien faire et qu’il convient d’être toujours prêts, même et surtout si le gouvernement politique est décapité. Aymon de Gingins La Sarraz a écrit un livre, modeste en nombres de pages, en 1861, « Les partisans et la défense de la Suisse ». Il est un des promoteurs en Suisse romande de la guerre insurrectionnelle en cas de nécessité. Ceci mérite d’être connu. Je signale que cette idée n’a jamais été abandonnée et que le livre du capitaine suisse Von Dach « Résistance totale » qui en 1958, a mis à jour cette démarche dans un livre qui reste un manuel de base pour les actions commandos de langue anglaise (troupes britanniques et américaines le considèrent comme une référence obligatoire encore de nos jours ; plusieurs manuels spécialisés ne font que développer les idées de von Dach) !

Il ne faut cependant pas se leurrer. Cette résistance irrégulière est encore plus ancienne que ces deux auteurs puisqu’il faut remonter aux origines de la Confédération, avant 1291, pour comprendre ce qu’est la guerre de partisans ou de résistance en Suisse. Et l’on pourrait remonter plus haut encore dans le temps, jusqu’à un ennemi des Helvètes pour lequel nous n’avons pas gardé rancune : César et ses troupes à Genève ou en Valais ! Durant le Haut Moyen Age, nous disposons de récits qui pourraient alimenter le débat très utilement car le combat « régulier » de ce temps était simplement le combat « irrégulier » face à des Légions romaines qui menaient un combat « régulier » selon leurs normes, bien sûr ! Sous cet aspect « les Irréguliers », une étude pourrait être faite sur la longue durée et nous aurions de nombreux auteurs à redécouvrir ou à sortir de l’oubli, en respectant des nuances que je n’ai pas le temps de développer maintenant dans le cadre de cet exposé !

La pensée militaire, comment la définir ?
Evidement, avant de développer plus le sujet, il convient de définir ce qu’est la pensée militaire. Au risque peut-être de perdre quelques illusions !

A première vue, la question peut paraître simple mais formuler la réponse m’a pris du temps. Chacune des réponses qui se proposaient spontanément à ma réflexion était soit trop longue, soit trop compliquée, soit intellectuellement plaisante mais sans cette simplicité et cette clarté que j’attendais. Cependant, l’écriture de cet exposé m’a permis de tenter une définition qui me paraît être la plus exacte à mes yeux :
La pensée militaire réunit toutes les connaissances de l’homme qui allient la réflexion (avec la part d’imagination que cela comporte) et l’action (aussi bien lors de la préparation que la conduite de celle-ci) en vue de résoudre un conflit de société au moyen de la force. La pensée précède l’action.  Elle s’exprime à travers les mythes, la poésie, les œuvres d’art, les précis militaires (sans négliger la cartographie, l’architecture et les techniques militaires), les témoignages, les armes, les traditions d’armes, les objets et les lieux de mémoire.

Cette définition me paraît valable pour tous les pays ou toutes les civilisations. Cette pensée se crée chez son concepteur, un groupe de recherche à la décision par exemple, et s’exprime par des ordres qui susciteront des actes en faveur de l’objectif à atteindre.
Notre littérature militaire romande possède deux aspects qui la caractérisent, l’un n’excluant pas l’autre :
·       l’un est normatif (à la façon du « Précis de l’art de la guerre » de Jomini)
·       l’autre est descriptif (à la façon d’un Warnery).

Nos penseurs militaires romands n’ont rien négligé dans leurs réflexions au sujet de la guerre. Il est regrettable que notre mémoire militaire actuelle, au nom du temps présent, néglige les acquis du passé. C’est ainsi oublier le prix des expériences passées : des vies sacrifiées pour assurer volontairement d’autres vies, des territoires perdus ou conquis, tout simplement du sang versé.

Dans notre société de confort, dans cette vie paisible pour la majorité des peuples occidentaux, la guerre semble lointaine, ne pas nous concerner, si ce n’est que par le coût plus élevé d’un plein d’essence. La guerre se voit à l’écran de télévision et la souffrance des peuples qui la subissent n’est pas imaginée dans la chair du téléspectateur. Le commentaire qui accompagne l’image noie la réalité parfois. Les images sont souvent sélectionnées et les plus dures passent au mieux très rapidement au pire sont censurées, quand il s’agit de ne pas « choquer » les foules. La censure existe lorsqu’un gouvernement ne souhaite pas le revirement d’une opinion publique qui pourrait nuire à sa politique intérieure ou extérieure. Par contre, la douleur que l’on subit passe en boucle à longueur de journée, avec des commentaires où la surenchère est de mise.  

Pourquoi aujourd’hui s’intéresser à la pensée militaire ?
Nous vivons un temps nouveau où la notion de passé, de présent et avenir est fondamentalement différente d’il y a vingt ans. Nos sociétés sont de plus en plus attachées au temps présent. Il y a quasiment un refus du passé qu’au mieux on ignore et qu’au pire on démolit avec une phrase que la Révolution d’octobre a popularisée : « Du passé faisons table rase ! ». En ce début du XXIe siècle, nous avons assez de distance temporelle pour considérer les « succès » du communisme. Evidemment, il y a les irréductibles, toujours actifs, qui prétendent que le communisme était en fait du fascisme, au mieux un totalitarisme et que le vrai communisme, lui, n’est pas encore arrivé et qu’il suffirait de les laisser au pouvoir pour goûter aux utopies de leurs prédécesseurs…. Et « bis repetitam ». Le communisme est traité avec beaucoup de ménagements en Europe et bien des précautions oratoires : des hommes, s’affichant de droite ont dû se compromettre avec pour se faire élire... Des historiens avisés, bien entendu, traitent de la pureté des intentions des communistes engagés pour les justifier : des rouges retrouvant ainsi un éclat virginal… Par contre, fasciste et nazi ne pouvaient que des être vendus au Diable, « noirs » moralement d’avoir cru en d’autres théories qui ont pourtant fait des morts comme la Révolution Française, les conquêtes coloniales des Etats-Unis ou des pays européens ! Notre monde a vécu bien des massacres : certains sont gravés volontairement dans les mémoires et d’autres sont passé aux oubliettes de l’histoire (oubliettes bien réelles et plus réelles que celles que l’on prétendait au Moyen Age, qui en fait étaient des garde-manger !).

Mais revenons à la notion du temps telle qu’elle est perçue de nos jours. Parmi les politiques, les officiels chargés de la culture (je n’ose pas dire qu’ils sont des intellectuels) et même les militaires, vous rencontrez de plus en plus des personnes désireuses de détacher complètement le présent du passé. Pour elles, le présent doit être non contraint par l’avenir qu’elles ne veulent ni penser et encore moins imaginer. Cette tendance se remarque dans la musique, dans les chansons ou dans la littérature et même jusque dans la danse. Il y a désir de vivre dans un présent intemporel. Le monde virtuel favorise cette attitude face à la vie. J’y vois quelque chose d’inquiétant. Ce comportement conduit les gens, les peuples à une sorte d’autosuffisance, de nombrilisme. Lorsque ces personnes sont confrontées au passé ou au futur, elles les rejettent avec énergie, par peur, par incompréhension. Nous vivons l’ère de l’homme - présent, se croyant libre car redevable d’aucune historicité : quelle illusion ! Vouloir abolir le temps est peut-être l’aberration de notre temps. L’individu reste encore plus replié sur lui-même et les autres ne deviennent que des utilitaires. Le mot « solidarité » ne s’emploie plus pour se donner aux autres mais pour recevoir. Le mot « droit » devient « exigence » qui dispense de tout devoir.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je développe cette notion du temps. C’est que nous sommes véritablement au cœur de notre sujet. S’engager militairement, et cela pour un professionnel aussi bien qu’un milicien, c’est accepter de servir les autres dans une structure. L’expérience humaine a mis en évidence la nécessité de sa défense pour assurer un futur : combien de civilisations n’ayant plus eu la capacité de se défendre ont complètement disparu ? Pensez aux Incas, à de grandes civilisations de la Mésopotamie ! Servir s’inscrit dans le temps. C’est accomplir un devoir pour assumer des droits. Cela ne peut se faire qu’en vue d’un avenir. Un avenir imaginé dans une paix relative le plus propice à des activités qui ne soient uniquement guerrières. Celui qui a accompli une aide en cas de catastrophe, une surveillance d’ambassade en cas de crise, une surveillance pour éviter des pillages, celui qui a étudié comment agir dans des cas d’engagement possible au combat, il a véritablement mérité le titre de citoyen. Par ce vécu volontaire, il accepté de « donner » et, à mes yeux, il est donc en droit de « recevoir » dans un Etat digne de ce nom. Un Etat qui ne s’occupe pas de ses Vétérans de la guerre ou de celles et ceux qui ont tout simplement servi le pays n’a pas d’honneur : à chacun d’établir sa liste et ne cherchez pas trop loin !

Cette notion du temps est capitale pour celui qui veut établir une prospective. Il faut connaître les expériences du passé - qu’il soit lointain ou proche, cela ne joue aucun rôle - pour comprendre le présent qui n’est pas issu du néant. Pour prévoir quel type de défense est préférable demain, il doit quitter, par l’esprit, la quiétude du temps présent pour imaginer le futur. Actuellement, l’avenir ne peut pas être vu en rose pour celui qui fait preuve d’un minimum de pragmatisme. Un de nos penseurs militaires dit avec raison : « Soyons pessimistes dans la planification et optimistes dans l’action ! », je le cite d’autant plus volontiers que le sentiment dominant régnant dans bien des milieux du pouvoir actuel et exprimé dans la presse européenne serait : « Soyons optimistes dans la planification et pessimistes dans l’action ! ». La notion de vérité reçoit même un sacré coup : seule la vérité d’aujourd’hui possède de la valeur. Demain elle sera fausse parce qu’elle était tout simplement d’hier : raisonnement tragique car ceux qui, inconsciemment peut-être, sont victimes de ce piège courent les risques d’être confrontés à de cruelles désillusions !

J’ai eu la surprise d’entendre des officiers qui rejettent l’étude des écrivains militaires arguant du fait que les nouveautés de notre temps n’auraient rien à apprendre du passé. Quel orgueil que de croire que nos prédécesseurs ont connu le ronronnement des habitudes d’une tradition en ignorant que la tradition et les habitudes ont évolués en permanence en fonction du temps. J’y vois là le signe flagrant d’une limitation d’esprit. Il est vrai que l’étude de l’histoire se concentre trop souvent sur les particularités d’une situation et les différences existant d’un temps à un autre. Cela est incontestable mais l’essentiel ne doit pas être perdu de vue. Par delà les différences accessoires, l’historien se doit d’observer les similitudes de fonds car c’est dans ce contexte que le chercheur peut voyager dans le temps, véritablement au-dessus des contingences du temps. Ainsi, le passé devient une réserve d’expériences pour que l’avenir soit forgé avec le plus de succès possible par les hommes du présent : c’est tout simplement de la prospective.

Face à la multitude des textes proposés, chacun peut choisir ce qui le touche le plus. Toute lecture tente de donner des réponses à une démarche intérieure. Il est un adage qui dit : « Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es !". Pour ma part, pour le sujet qui nous intéresse, je dis : « Dis-moi ce que tu cites et je te dirai ce que tu penses ! » : une citation étant faite aussi bien pour illustrer ses propos que pour être réfutée bien entendu. Il me faut préciser et, là, je profite d’apporter une réponse à une remarque qui m’a été faite. Mentionner la citation d’un auteur pour illustrer l’idée que je développe signifie une adhésion à cette citation, si je ne la réfute pas, mais cela ne signifie en aucun cas une adhésion à la totalité des écrits d’un auteur. Il m’arrive de citer Malraux mais je n’adhère pas à son idéologie. Je lis volontiers Camus mais je ne partage pas sa désespérance. Il y a dans le vécu de chacun des traits de lumière qu’il convient de saisir et je ne tombe dans le manichéisme primaire d’un président d’une puissance dite grande mais qui démontre en fait son impuissance. Mais cela est une autre histoire.

Créer un document de lectures
A nos jeunes membres désireux de se lancer dans la lecture des écrivains militaires, je leur recommande de débuter un recueil de lectures. En trouvant chaque fois un mot clef, ils y écriront les citations, les idées exprimées simplement et surtout qui leur parlent. Chaque fois, ils mentionneront la source. Avec le temps, ils meubleront utilement leurs propos et ils apercevront qu’au contact d’autres auteurs, ils relativiseront les affirmations des uns ou des autres. Ainsi, ils acquerront un esprit de finesse. Cette connaissance progressive adaptée à son bon vouloir sera source d’enrichissement personnel et aussi pour ceux qui vous écouteront.

Pour ma part, je tiens deux sortes de carnets : l’un où il y a les citations auxquelles j’adhère et l’autre où il y a des citations que je réfute car j’en ressens l’impérieuse nécessité. Cette démarche vous forgera une opinion capable de résister à des paroles infondées et à discuter avec des personnes ayant des opinions contraires aux vôtres. Dans ce dernier cas, il est intéressant de comprendre pourquoi l’autre arrive à une conclusion si différente de la sienne. C’est peut-être cela la plus belle démonstration de la tolérance. Quelqu’un peut être d’une opinion différente de la mienne mais je ne le dénigre pas, je dis ce que j’ai à dire si c’est nécessaire et, là, s’arrête la mission de chacun. C’est le privilège de la liberté de pensée qui ne dépend des lois, ni de ces procureurs de l’histoire qui se permettent de décréter ce que l’histoire retiendra ou ne retiendra pas, quitte à créer des faux à la façon d’un Ziegler qui aurait pu s’engager chez Mao pour faire les fausses archives de la Chine (spécialité qui n’est pas que chinoise).  

Pour choisir de citations, il est cependant utile de se fixer quelques règles :
·       adopter des textes aux contenus didactiques
·       privilégier les accents de sincérité
·       éviter les « habillages » de vérité
·       rester sensible à la poésie de l’action
·       garder à l’esprit le respect de l’homme, aussi bien de celui qui combat que de celui qui est combattu
·       retenir la formule exprimant le mieux une idée, un principe, un comportement

Lorsque vous aurez ainsi convenablement herborisé à la façon de Rousseau dans le vaste jardin de la pensée militaire, vous pourrez, dans une étape ultérieure, les classer sous un schéma simple :
·       théorie (ne vous y attardez pas trop car en la matière il y a abondance)
·       pratique (cela est le plus important car le plus utile)
·       histoire (privilégier l’histoire comparée en lisant par exemple les écrits de deux militaires qui se sont affrontés : vous n’en sortirez pas sans vous débarrasser fort utilement de multiples préjugés : c’est bien tout le « mal » que je vous souhaite)
·       analyse (ce mot peut paraître étrange. En fait ce sont les observations et les conclusions d’un chef en situation de crise et qui exerce son coup d’œil sans prendre trois mois avant de prendre une décision ; c’est l’étude de ce qu’est l’erreur de commandement. Souvenons-nous que Charles Le Téméraire a plus été la victime d’une erreur de commandement que de la faiblesse de ses troupes, fortes d’une puissante artillerie. Un Warnery a établi de belles analyses d’erreurs de commandement par exemple).

De façon plus classique encore, vous pouvez choisir la fragmentation de la guerre que propose Jomini :
·       Politique de la guerre (en y incluant la philosophie de la guerre et la notion de morale de la guerre)
·       Stratégie
·       Tactique des batailles
·       Logistique
·       Génie
·       Tactique du combattant

Au départ, l’essentiel est de fixer une grille de lecture la plus simple qui soit et de vous y tenir ensuite afin que les notes accumulées puissent être facilement exploitées.

Chacun choisit les auteurs qui l’interpellent : pour les uns, des hommes de cabinet, pour les autres des hommes de terrain. Ces derniers n’écrivent pas toujours avec la perfection littéraire que l’on souhaiterait mais cela est largement compensé par la valeur des expériences qu’ils nous communiquent. Pour ma part, j’ai l’habitude de privilégier les hommes de terrain mais cela ne veut pas dire que je n’aime pas me frotter aux abstractions nécessaires à établir une réflexion, une distance par rapport aux auteurs étudiés.

Après cinq ou six ans de cet exercice gratifiant, après lectures de sujets variés, il est possible d’établir, mais en gardant la plus grande prudence, une généalogie de la pensée militaire. N’oublions pas qu’il y a de nombreux pères inconnus et cela comme dans certains arbres généalogiques laborieusement établis ! La difficulté de la tâche ne doit pas nous arrêter. Les auteurs qui nous intéressent sont généralement très discrets sur leurs sources d’inspiration, sur leurs lectures sauf quand il s’agit de détruire une approche ou défendre une théorie qui leur convient. Il vous suffira de lire les débats sur les projets de développement de l’armée dans la Revue Militaire suisse pour vous persuader de la véracité de mon affirmation.

Général Guisan et ses lectures.
Au sujet de la filiation de pensée, je profite de vous faire part d’une expérience que j’ai vécue dans le cadre d’une activité militaire. Lors d’un colloque, j’ai voulu présenter « La pensée militaire de Guisan». Dans ce but, j’ai lu ses ouvrages, ses discours, les préfaces de quelques livres, les écrits particuliers qu’il a adressés à des proches sur des sujets de défense, ses notes de service, ses annotations au crayon de projets en vue de décisions importantes. Cette lecture m’a façonné une image du Général qui m’est particulière et j’ai lu avec un autre regard les écrits sur le général Guisan. Il y a encore de belles recherches à établir à son sujet mais je n’ouvre pas de nouvelle parenthèse car cela prendrait trop de temps.
Ma surprise a été grande de repérer une piste qui a été complètement ignorée des historiens, et pourtant de grande compétence : sa bibliothèque. Partant d’un préjugé que la bibliothèque est un objet plus de décoration que de travail, cette piste fut inexplorée. Ma curiosité m’a conduit à vouloir connaître les auteurs que Guisan avait lus car je n’en trouvais guère mention dans ses livres ou dans les études qui lui étaient consacrées. La simple logique me disait de prendre la liste d’inventaire de sa bibliothèque et de la lire pour finalement consulter ces ouvrages qui m’attendaient sur des rayons dans son bureau de Pully. Une variété d’auteurs, se complétant fort utilement, m’est alors apparue. Ces livres avaient été choisis par Guisan pour la plus grande part. Certains étant introuvables dans nos bibliothèques, il m’a fallu les consulter dans la bibliothèque de la villa. Là, quelle ne fut pas ma surprise ? Non seulement les ouvrages étaient coupés mais ils avaient été de toute évidence lus, plus d’une fois (tout amateur de livre qui touche un livre ancien perçoit ses choses).

Et encore mieux : plusieurs livres étaient annotés de la main même du Guisan, au crayon noir ou bien souvent rouge. Ils y exprimaient son approbation, son rejet, il marquait ce qui méritait de garder à l’esprit. Ainsi, je découvris un nouvel aspect du Général. A ce moment-là, j’ai recherché les ouvrages qui étaient ainsi travaillés et j’ai pu enfin établir une ascendance à la pensée de Guisan. Il avait des références personnelles et cela met à bas toute sorte de discours et d’affirmations, se faisant volontiers en Suisse allemande, en vue d’attribuer les écrits de Guisan à ses proches. En fait Guisan nourrissait ses réflexions par des lectures studieuses. Et des idées que l’on si facilement attribué à Barbey provenait en fait de lectures de Guisan. Ce qui n’enlève rien au mérite de Barbey qui souvent recevait des notes, toujours au crayon, de Guisan, pour établir une mise en forme d’un discours qu’il voulait tenir et pour développer des sujets dans une forme plus académique, plus fouillée. Au départ, il y avait un choix, une ligne directrice que Guisan s’était fixée et qui soutenait sa réflexion de commandant. Cette approche n’est pas dépourvue d’intérêt et doit inciter le chercheur à ne rien négliger dans l’exploration du vécu d’un personnage.

Se forger des réflexions utiles
La lecture des écrivains de la pensée militaire romande est un enrichissement car elle permet de structurer ses connaissances en réunissant des observations, en dégageant des principes et en se créant une doctrine propre à confronter avec celle enseignée dans les écoles militaires. Vous remarquerez qu’il peut y avoir autant de doctrine que de lecteurs assidus. C’est d’ailleurs peut-être la raison pour laquelle la Suisse n’a jamais disposé d’une doctrine militaire adoptée pour toute l’armée : chacun veut y donner sa note, sa lecture ! L’absence volontaire de doctrine par Guisan a été un bon principe : en effet, en situation de crise, il vaut mieux adopter une doctrine adaptée aux exigences de la crise que d’appliquer une doctrine ne répondant pas à la situation du moment.
Ainsi, chacun s’en crée une pour exprimer son originalité et chaque chef exploite celle qui lui paraît la plus judicieuse à son niveau, selon son intuition et les moyens armés qui lui sont mis à disposition. Il y a des lignes directrices pour l’agir ensemble et, dans l’exécution, il y a cette originalité dans l’action qui permet d’atteindre les objectifs.   
En France et en Allemagne, pour parler de pays que je connais un peu, les auteurs militaires ont trop souvent saisi la plume pour justifier des doctrines en cours ou à la mode. Parfois, j’en viens à me demander si une des raisons de la défaite de la France en 1940 n’a pas été due à une application de doctrine inadaptée au moment, ajoutée à une incompétence des politiques en situation de crise. Il n’y a pas pire prison que celui qui est prisonnier volontaire de sa doctrine. La recherche aide à butiner d’une doctrine à une autre et à faire comme l’abeille qui ne prend que le meilleur de chaque fleur pour faire son miel.

Machiavel dans « L’art de la guerre »[2] nous encourage à l’étude de la pensée militaire pour la raison suivante :
« …[T]out homme qui médite quelque dessein doit s’y préparer d’avance pour être en état de l’exécuter s’il en trouve l’occasion. »
Chaque guerre est une énigme pour les militaires qui sont chargés de la résoudre avec un gouvernement, un pays, des citoyens, une armée contre un autre gouvernement, un autre pays, d’autres citoyens, une autre armée : parfois avec, parfois sans allié(s). Du jour au lendemain, il n’est as possible de s’improviser dans cette fonction. Une préparation mentale est nécessaire avant toute action. La pensée militaire compense cette non-expérience de la guerre directe de la Suisse. Cela est d’autant plus nécessaire que des peuples n’ont pour mémoire que le vécu de la guerre qui fait partie de leur quotidien. Nous sommes là avec des confrontations de logiques différentes : une perception et un sens donnés à la mort totalement différents.

Diverses perceptions de nos écrivains militaires :

Etre patriote et ouvert sur le monde
Edmond Privat est une lecture particulièrement adaptée à notre temps. Il devrait être traduit en anglais :
« La grande erreur des moralistes et des clergés officiels est d’avoir confondu pluriel et singulier. Il n’y a pas la patrie, une patrie, ma patrie, il y a les patries, des patries, nos patries, de même qu’à l’intérieur des frontières, il n’y pas moi, mais nous. »[3]

Du rôle de la presse aux ordres de la puissance
« Dans les rivalités de groupes, la grande victime, c’est la vérité. Chacun raconte à sa manière le moindre événement. Mieux que cela, chacun choisit parmi les faits et retient que ceux qu’il aime à croire. Ensuite, il les exagère et traite en mensonges ceux qu’il néglige. »[4]
Et « La vérité par amour ou par haine est intransigeante […] Sur tout le territoire d’une grand langue, elle exerce une autorité sans appel. Atrocités, persécutions, pays opprimés, défaites sont exclus des choses possibles dans le camp favorisé. Un journal qui en parle a ses bureaux criblés de pierre ? Les choses négatives ne peuvent se passer que dans le camp opposé.
…La presse répand les erreurs, les préjugés, les citations tronquées, les suppressions, les suspicions, les racontars qui sont conformes à l’humeur collective. » (p. 23)


Importance de l’homme
Guisan ne s’illusionne pas sur les nouvelles technologies et il rappelle une vérité que notre époque doit entendre :
« Les inventions les plus perfectionnées de la technique moderne ne suffisent pas à donner la victoire, quand le combattant ne possède pas les qualités morales et physiques qui, seules, assurent la supériorité. Ce n’est pas le fusil, le canon, la mitrailleuse, l’avion ou le char d’assaut qui se battent, machines sans âme, mais l’home qui manie l’arme et lutte de toute son énergie, avec son cœur, son, intelligence, ses réflexes et sa foi pour le salut de son pays. »[5]

Histoire militaire
« L’histoire purement militaire est u genre ingrat et difficile, car pour être utile aux hommes de l’art, elle exige des détails non moins arides que minutieux, mais nécessaires pour bien faire juger des positions et des mouvements. »[6]
« De bonnes théories fondées sur les principes, justifiés par les événements, et jointes à l’histoire militaire raisonnée, seront à mon avis la véritable école des généraux. »

Doctrinaire
Au risque de vous décevoir, au début de ce petit voyage à l’aide de citations parmi nos écrivains, je vous rapporte ce que dit de Techtermann : « Nous avons un grand défaut en Suisse, défaut qui provient de l’absence d’épreuves, de la parfaite tranquillité où nous vivons depuis un demi-siècle ; c’est de nous payer trop facilement de mots, d’être des doctrinaires. ». L’étude de la pensée militaire ne doit pas nous faire oublier ce travers qui peut atteindre le chercheur au bout de sa quête. Et il justifie de la sorte une certaine absence de doctrine prédominante qui est nécessaire à la liberté de réflexion.

Imagination
L’art militaire ne se réduit pas à quelques principes et Glasson attire notre attention en affirmant avec raison : « On fait trop exclusivement œuvre d’analyste et de synthèse et pas assez œuvre d’imagination. ».

Tactique
Le Fribourgeois Castella désire que la tactique soit enseignée en vue d’acquérir « la solidité de l’action et une économie de sang. » Et en 1920, Glasson identifie une évolution de la tactique de la façon suivante : « La tactique était jadis l’art d’employer des hommes armés dans un but déterminé : destruction, occupation ou combinaison de l’une et de l’autre. Actuellement, la tactique est l’art d’employer des armes. » Il met en évidence ce qu’a révélé cruellement la première guerre mondiale : « L’arme tend à se substituer à l’homme. ». Et il précise avec finesse : « Toutefois, si l’importance de l’homme diminue comme agent mécanique d’exécution, elle augmente, par contre, comme agent intellectuel. Ce que le soldat perd en valeur numérique, il le gagne en valeur individuelle absolue. »

Pragmatisme
Le Genevois Gabriel Pictet, en 1761, donne une ligne directrice idéale pour établir un ouvrage profitable à l’officier d’infanterie : il n’écrit pas pour donner des leçons aux généraux mais il écrit pour offrir un message qui soit utile à la formation de l’officier. Sa méthode mérite l’attention car il présente systématiquement des applications de la théorie à la pratique. Ce pragmatisme est peut-être la marque première de nos écrivains militaires romands. Il souligne la nécessité de la maîtrise des mathématiques par l’officier pour ce qui a trait à la fortification ou à l’artillerie ainsi que la tactique. Au XVIIIe siècle, un chef se formait sur le tas, au contact de l’ennemi avec ses partenaires de guerre. Cette formation ne suffit pas et il disait à ceux-ci :
« [Il faut] détromper quelques militaires du préjugé où ils sont, que le métier d’un officier d’infanterie ne demande ni principes, ni étude préliminaire et que la capacité nécessaire pour y exceller peut s’acquérir par l’expérience seule. » Frédéric le Grand employait une formule plus imagée et très explicite : « Un mulet qui aurait fait vingt campagnes sous le prince Eugène n’en serait pas meilleur tacticien pour cela. »[7] 

Drame qu’est la guerre :
« La guerre est un grand drame, dans lequel mille causes morales ou physiques agissent plus ou moins fortement, et qu’on ne saurait réduire à des calculs mathématiques. »[8]
 
Principes de la guerre :
Vingt ans d’expérience et d’observation des conflits ont permis au Vaudois Jomini d’affirmer avec raison la nécessité de mettre en évidence des principes élémentaires :
« Il existe un petit nombre de principes fondamentaux de la guerre, dont on ne saurait s’écarter sans danger, et dont l’application au contraire a été presque en tout temps couronnée par le succès. »[9]
Cependant, la théorisation ne suffit pas car Jomini rappelle une vérité première :
« Dans tous les arts comme dans toutes les situations de la vie, le savoir et le savoir-faire sont deux choses tout à fait différentes. » 
Et le théoricien remarquable qu’est Jomini précise avec justesse :
« De toutes les théories sur l’art de la guerre, la seule raisonnable est celle qui, fondée sur l’étude de l’histoire militaire, admet un certain nombre de principes régulateurs, mais laisse au génie naturel la plus grande part dans la conduite générale d’une guerre, sans l’enchaîner par des règles exclusives. »

De l’utilité des historiens
Dans son Rapport[10], Guisan regrette vivement de ne pas avoir eu des historiens pouvant apporter leurs expériences et leurs regards sur les événements. Je ne résiste pas à vous citer ce qui pourrait être un plaidoyer pour les activités d’un véritable historien militaire :
« …[A]ux postes chargés d’établir les appréciations, les études et les plans, c’est-à-dire en particulier au service de renseignements et aux opérations, nous aurions eu besoin d’officiers en plus grand nombre bénéficiant d’une culture militaire plus vaste, fondée elle-même sur la culture générale et sur les connaissances historiques. »

Incertitude et prise de décision
 Un décideur, et cela vaut aussi bien pour la vie de l’entreprise que celle de l’armée, se doit de prendre des décisions sans disposer de toutes les informations. Vous avez certainement rencontré dans votre vie, ces gens talentueux pour vous expliquer ce que vous auriez dû faire et fort empruntés quand ils doivent agir sans avoir des certitudes sur l’avenir : ils sont légion... Il faut apprendre à assumer le risque de se tromper.
Samuel Gonard s’exprime ainsi : « La guerre à laquelle le commandant doit se préparer –s’il ne l’a fait déjà- est le domaine de l’incertitude qu’accentue encore le hasard, de sorte que le chef se trouve en face de réalités différentes de celles qu’il attendait, car la guerre est un jeu – cruel - dans lequel il faut se décider, alors que certaines données sont encore inconnues. »[11]   

Quelle troisième révolution vivons-nous aujourd’hui ?
« La révolution attire l’attention par son expérience technique, la révolution de l’Inde par son expérience morale. En fait, il y a nouveauté technique dans l’une et dans l’autre. Ce qui est neuf en URSS, c’est le but. En Inde, c’est le moyen. » (p. 85)
Et je ne vous donnerai pas de réponse : la réponse vous appartient face à l’actualité que nous vivons.

Conclusion
Ma double conclusion repose sur deux citations dont la pertinence et l’actualité ne vous échapperont pas.

La première citation est de Privat et a pour titre : Du danger du messianisme des peuples. Je signale qu’il a écrit cela en 1931.
« Un grand peuple a toujours une mission sacrée à une époque ou une autre. Elle consiste en général à forcer les plus faibles à subir son autorité, dans leur propre intérêt, bien entendu.
Ils ne savent pas faire. Ils ne savent pas s’en tirer. Ils n’ont pas la paix intérieure. Ils se fourvoient. Il n’y a que le plus fort qui sache tout. Lui seul a le droit de vous l’apprendre et il fronce un sourcil énorme si vous avez l’audace de lui répondre à la Gandhi : « C’est notre plein droit de nous mal gouverner à notre guise. »
Paix britannique en Indes, paix russe en Asie, pangermanisme en Europe centrale, civilisation française en Afrique, grandeur espagnole dans les Amériques, protection américaine aux Républiques centrales, Croisades, révolution mondiale, expansion fasciste, voilà les religions magnifiques pour les nations qui les prêchèrent, mais aux autres peuples elles sont apparues souvent comme des fléaux terribles à cause de la flotte ou de l’armée qu’ils voyaient derrière elle. » (p. 114-5)
Cette affirmation n’a pas pris une ride, malheureusement. A-t-on appris quelque chose du XXe siècle ? Et n’est-il pas désespérant d’avoir une réponse négative !

La deuxième citation me ramènera plus à mon thème de prédilection. Comme certains le savent, je m’intéresse beaucoup à l’histoire des idées et il m’est évident que les événements ne se comprennent que dans les intentions qui leur ont donné naissance, avec toutes les difficultés d’un accouchement que sont les réalités du moment où celui-ci survient. C’est pourquoi j’apprécie tout spécialement cette réflexion de Jomini qui rend le chercheur modeste face au phénomène guerre :
«…[L]a guerre dans son ensemble n’est point une science mais un art.
Si la stratégie surtout peut être soumise à des maximes dogmatiques qui approchent des axiomes des sciences positives, il n’en est pas de même de l’ensemble des opérations d’une guerre,
et les combats entre autres échapperont souvent à toutes les combinaisons scientifiques, pour nous offrir des actes essentiellement dramatiques, dans lesquels les qualités personnelles, les inspirations morales et mille autres causes, joueront parfois le premier rôle.
Les passions qui agiteront les masses appelées à se heurter, les qualités guerrières de ces masses, le caractère, l’énergie et les talents de leurs chefs, l’esprit plus ou moins martial, non seulement des nations, mais encore des époques :
en un mot tout ce que l’on peut nommer la poésie et la métaphysique de la guerre, influera éternellement sur ses résultats. »[12].

Antoine Schülé
La Tourette, le 8 mars 2003

En compléments de lectures, consulter mes articles sur la prospective, l’historiographie militaire en Suisse et la guerre en quelques citations.





[1] Devenue Bibliothèque de l’administration fédérale au même lieu, Am Guisan Plats, Berne.
[2] P. 217
[3] p. 165
[4] Privat, Le choc des patriotismes. P. 19
[5] L’éducation militaire, collectif sous direction d’Henri Guisan, Cahiers CHPM, p. 11
[6] Jomini, Précis de l'art de la guerre, p.15
[7] Idem, p.342
[8] Idem, p.13
[9] Idem, p.14
[10] p. 154-5
[11] Réflexions sur la nature et l’exercice du commandement militaire. Décembre 1959 et RMS 1960.
[12] Jomini, Précis, p.339

jeudi 25 août 2016

Littérature et guerre au Moyen Age.


Lectures médiévales de la guerre

Antoine Schülé, 
historien.

« […] l’imagination est seigneur et maître
de toutes œuvres bonnes ou mauvaises que l’on fait,
de tout le corps et des membres de l’homme.
Tu sais bien qu’œuvre bonne ou mauvaise, petite ou grande,
ne se fit jamais sans avoir été d’abord imaginée et pensée ;
donc elle est maîtresse ;
car selon ce que l’imagination commande,
on fait œuvre bonne ou mauvaise. »[1]
Gaston Phoebus, comte de Foix.
           
Poésie, récits mythologiques, Ancien et Nouveau Testament, chroniques, livres de chasse, écrits des Pères de l’Eglise, recueil de sentences, sermons, chansons de geste, romans, chants et contes sont autant de moyens fort différents mais complémentaires d’exprimer la guerre sous différents aspects.

Multiplicité des origines
Les racines de cette littérature médiévale  traitant de la guerre sont lointaines et multiples : elles puisent dans les mythologies et les antiquités grecques et latines, dans les textes hébraïques de l’Ancien testament[2], notamment avec les Psaumes[3] de guerre qui se retrouvent dans un écrit qui leur est antérieur : « Le livre des morts » égyptien[4]. De plus, nous avons les racines celtiques avec la matière de Bretagne et la Légende arthurienne[5] mais celles aussi scandinaves avec les sagas, pensons à la Saga de Sigurdr[6] dont  Wagner a donné une lecture, très éloignée du texte d’origine, avec sa Tétralogie rendant célèbre Siegfried : le héros vainqueur du dragon protégeant l’or du Rhin. D’autres sagas du Nord[7] apportent leurs notes : les beautés sauvages des sagas d’Islande ; les envolées lyriques de celles de Norvège et de Suède ou encore le sentiment et le mystère de celles du Danemark. Le roman d’Alexandre[8] nous conduit en Inde et a eu un lecteur passionné en la personne de Napoléon Bonaparte. Des racines orientales, par la Perse, avec des écrits provenant de l’Inde du IIe s. av. J.-C., ont nourri des écrits catalans (Raymond Lulle) puis provençaux : les fables animalières sont ainsi nées dans des exempla et un Jean de La Fontaine n’a pas repris que des fables d’Esope. Ces récits tendent à reculer les frontières du monde inconnu par l’imagination : le guerrier est ainsi incité à rechercher l’aventure qui lui permettra d’être un héros dans le respect des valeurs qui lui ont été inculquées. L’étymologie des noms portés par les héros et l’étude des noms ethniques et géographiques[9] apparaissant dans les romans ouvrent le lecteur à une découverte de l’Europe et de mondes réels lointains ou qui sont supposés exister.

Les « classiques » et une diffusion européenne
La chanson de Roland[10]  a connu une rapide diffusion : un curé nommé Conrad, la traduit en latin puis en allemand le Ruolandes-Liet. Dans les pays néerlandais, plusieurs variantes ou traductions existent. Dans les traditions scandinaves, elle fait corps avec les vies de Charlemagne : un compilateur islandais du XIIIe siècle a repris un texte de Roland proche de celui du manuscrit d’Oxford qui fait référence. Un Danois du XVe siècle en a livré une version abrégée dans sa Keiser Karl Magnus kronike. Un Roland en version anglaise existe depuis le XIIIe s. En Italie, les œuvres d’art témoignent, bien avant les traductions écrites du XIIIe s., de la diffusion orale de cette chanson par les jongleurs : Roland et Charlemagne y sont des héros populaires. L’Espagne lui a donné une autre coloration au XIIIe s., fierté nationale oblige, dans la Cronica general d’Alfons X et dans la Chronica Hispaniae de Rodrigue de Tolède.
Au Moyen Age, la culture française rayonne dans toute l’Europe et même en Angleterre qui mène déjà une politique défavorable à la France. En ce qui formera l’Allemagne actuelle, les romans français de chevalerie sont admirés et recherchés par les acteurs culturels de ce temps : en témoignent les liens étroits existant entre les Troubadours et les Minnesänger. Un passeur culturel entre le Sud et le Nord a été Rodolphe de Fenis, comte de Neuchâtel[11] (1160-1196) qui connaissait Folquet de Marseille : il a traduit en allemand la lyrique provençale et romane des années 1180.
La légende du Cid[12] aura une diffusion européenne plus tardive : cette chanson de geste espagnole, composée vers 1142, est inspirée de la vie de Rodrigo Diaz (1043-1099), surnommé le Cid Campeador (le chef qui gagne les batailles). Poème, romances castillanes et chroniques valorisent ce héros chevaleresque hispanique faisant contrepoids à Roland. Corneille, en 1636, en donna une nouvelle version française qui a rendu ce nom célèbre et il y aurait une réflexion à développer sur son choix du Cid et non de Roland. La légende a permis de sauver ce personnage que l’histoire avait mis de côté ! De nos jours, La chanson de Roland et le Cid sont les deux récits restés les plus connus.

Des « auteurs », des conteurs, des lecteurs et auditeurs.
Cette abondante et diverse littérature médiévale a connu différentes formes de lectures ou de récitations, selon les époques, de leur création à nos jours : chacune privilégiant tel ou tel aspect comme les sentiments, les devoirs, la politique, la religion, l’amour courtois ou l’érotisme le plus cru[13]. Toutefois, c’est le phénomène guerre qui retiendra notre attention mais en n’oubliant pas qu’il ne constituait qu’un thème parmi d’autres et surtout mêlé étroitement aux autres.
Les écrits médiévaux[14] sont les reflets d’un large espace temps que forme le Moyen Age, du Ve au XVe siècle ! Les écrivains tentaient de répondre aux questions et aux attentes d’un large public, fort divers car pas uniquement constitué de nobles, de seigneurs, de chevaliers ou de clercs mais encore de paysans, de bourgeois et de personnes d’humbles conditions : l’oralité, à l’égal de la radio ou de la télévision du XXe s., a ouvert leur diffusion de façon massive. Les soucis de rhétorique et de didactique de l’écrivain médiéval rendent leur lecture plus difficile de nos jours mais la sécheresse de quelques textes n’enlève pas la fraîcheur et la sensibilité du plus grand nombre d’entre eux. Un flot verbal a parfois nui au lecteur contemporain mais cela était fort goûté à leur création : les jongleurs ont transmis des récits qui ont été mis par écrit que bien plus tard et il est probable que certaines traditions orales aient été perdues. Multiples sont ainsi les témoignages écrits médiévaux sur le vécu de la guerre qui est louée lorsqu’elle est juste et qui est condamnée en des termes les plus vifs quand elle est injuste.
Le Moyen Age ne connaît pas le mot « plagiat » car les imitations ou les écritures « à la manière de » sont des pratiques courantes. Pour l’auditeur ou le lecteur médiéval ce n’est pas le « messager » qui compte mais le « message ». En ce temps-là, un « littérateur » était un professeur de grammaire et un « escrivain » est plus un copiste qu’un auteur : David Aubert est un « escrivain » pour Philippe le Bon  c’est-à-dire un remanieur-auteur de textes et il serait plus proche d’un éditeur de nos jours. Pour de nombreuses légendes, nous ne connaissons que les noms des copistes : par exemple, Turoldus est le copiste de la Chanson de Roland, version d’Oxford. La particularité est qu’avant les écrits, il y a eu des traditions orales avec des variantes régionales. La même tradition orale connaît plusieurs écritures, adaptations ou encore des continuations ou des ajouts divers : la particularité est que, sur plusieurs siècles, nous n’avons pas un texte figé une fois pour toute ; chacun lui donne une vie, une couleur particulière, sans toujours laisser son nom car l’auteur s’efface devant une œuvre qui appartient à la mémoire collective. Quelques genèses de textes, laborieusement établies, ne sont guère plus sûres que certaines généalogies familiales ! Les romans multiples formant La légende arthurienne[15] en est le meilleur exemple : des séries télévisées de nos jours connaissent le même phénomène. Leur succès ne se dément pas encore actuellement : les aventures de Lancelot, de Gauvain, d’Arthur comme le personnage de Merlin ont inspiré et inspireront plus d’un film à succès. Des images fortes prennent encore sens pour le public contemporain. Un aspect non négligeable est ce que j’appellerais la « plasticité »[16] de ces récits à tous les temps, depuis leur création. Leur secret est que sans doute ils parlent encore à l’homme d’aujourd’hui.
Contrairement à notre temps, l’écrit ne prédomine pas au Moyen Age : l’oralité tient une place primordiale. Les propos se transmettent de bouche à oreille et ainsi nous sommes plus proches de la tradition des Celtes dont le savoir se transmettait oralement et jamais par écrit. Il y a eu d’abord le verbe et ce n’est que plus tard que l’écrit est devenu la mémoire de l’oral. La transmission du savoir est très physique et nécessite une empathie entre l’orateur et son public. Le maître initie le disciple par la parole. De plus, il y a une vie sociale importante : les solitaires sont rares, les communautés familiales, tribales et villageoises sont des foyers de transmission orale de la connaissance.
Les premières lectures n’étaient pas silencieuses : lire était d’abord un acte vocal, le texte était partagé à haute voix lorsqu’il n’était pas su tout simplement par cœur. La capacité de mémorisation des hommes de ce temps a quelque chose d’impressionnant : un conteur exercé pouvait retenir des milliers de vers et les réciter selon les besoins, avec plus ou moins de fidélité. Cette capacité de mémorisation est remarquable. Le livre est non seulement lu à haute voix mais le public en discute : il y a une connaissance qui est partagée avec du public ne maîtrisant bien souvent aucunement l’écriture ou la lecture.
Ainsi lorsque nous parlons de lettré ou d’illettré au Moyen Age ce n’est pas lié à l’alphabétisation mais à la connaissance de la langue employée pour transmettre le savoir : certains connaissances, mais pas toutes, étaient données en latin mais cela était plutôt pour la théologie. L’emploi de la langue vernaculaire et les lectures à haute voix ont développé une culture littéraire : l’audition d’œuvres lues à plusieurs reprises ont façonné l’imaginaire de plus d’un guerrier et d’un non noble dès son plus jeune âge, surtout au début du Moyen Age où la vraie noblesse était désignée par les faits accomplis, non par hérédité !  
Toutefois, les récits médiévaux déconcertent le lecteur trop cartésien [17]: l’écrivain, en prenant la définition du mot « celui qui cultive l’art d’écrire », conte le faux, voyage dans un monde imaginaire, parfois symbolique, et en même temps exprime le vrai. Il n’écarte pas le miraculeux et le féérique de la narration de faits. Il n’y a pas cette frontière qu’impose la raison. Certains actes produisent des légendes : il n’existe pas de guerre, depuis que l’homme est homme, qui n’ait pas produit ses légendes et cela est valable jusqu’à nos jours. Avec les Chroniqueurs, et sur un espace temps de plusieurs siècles, l’écrivain historien se révèlera en pratiquant une distinction toujours plus fine entre les faits et les légendes. Par contre, l’écrivain[18] a la conviction profonde d’accomplir une tâche spirituelle en transmettant un message dont il est un des héritiers.
Différents types d’écrivains, pouvant être qualifiés de « militaires » car traitant de la guerre, sont identifiables : des imaginatifs proposent des fictions débattant sur les bons ou mauvais motifs de guerre et sur la recherche de l’aventure qui permettra de reconnaître le héros selon la chevalerie; des combattants narrent des faits vécus ; des témoins n’ayant pas participé aux batailles mais ayant été proches de ceux qui ont fait la guerre, livrent des regards spécifiques sur des faits d’histoire ; des chroniqueurs idéalisent ou vilipendent la guerre selon les choix de leur protecteur ou commanditaire ; des religieux tentent de limiter l’emploi de la force aux cas de nécessité de survie, de luttes contre les ennemis de la Foi. Leurs écrits surprennent encore par leurs fibres spécifiques, tantôt passionnelle et sentimentale, tantôt aventureuse mais surtout par leur diversité : il y en a pour tous les goûts. Plusieurs siècles plus tard, nous pouvons partager leurs perceptions de la guerre en raison de ces hommes qui se sont confiés soit au jongleur, soit à l’ « escrivain », soit encore à l’écriture ou la dictée de leur vécu.
Le Romantisme du XIXe s.[19] a remis à l’honneur les auteurs médiévaux : Walter Scott en est le plus bel exemple. Au XXe s., de nombreuses éditions renouvelées sont offertes au public. Des spécialistes ont réuni les différentes versions d’une légende pour créer un texte cohérent avec une traduction nouvelle, en remaniant les textes et en supprimant ces digressions qui allongeaient inutilement le récit. Par exemple, l’éditeur H. Piazza dans sa collection « Epopée et légende » à Paris a publié Le roman de Tristan et Iseut[20], renouvelé par Joseph Bédier, La légende de Guillaume d’Orange[21], renouvelée par Paul Truffau et bien d’autres récits dans un style littéraire correspondant plus aux goûts de notre temps et encore très utiles pour toute personne désireuse de s’initier à ces œuvres sans maîtriser l’Ancien français.
Cette littérature médiévale sur la guerre est d’un apport riche pour le sociologue et l’historien car elle donne des réponses à des questions essentielles : quand l’usage de la force était considéré comme nécessaire et quelle était la vie intérieure de celui qui devait porter les armes.  De nombreux textes expriment le besoin d’établir un bilan de vie, de justifier les actes commis dont ils connaissent toute la dureté : c’est une façon soit de les assumer, soit de les regretter. Le désir de transmettre leur vécu répond pour certains à un besoin d’immortaliser des faits qui auraient été aussi mortels que leurs acteurs s’ils ne les avaient pas confiés à la postérité au moyen de chants, de poèmes ou d’écrits. Toutefois, et cela est valable pour tous les temps, le chevalier comme le public a besoin  de héros[22], de modèles.
L’œuvre littéraire sur la guerre au Moyen Age n’est pas la seule fille de l’imagination ou de la fantaisie : elle ne se considère pas comme frivole ou inutile. A travers le vacarme des armes et des appels à l’emploi de la force en des situations précises et codifiées, il y a une recherche de la paix dans une grandeur retrouvée, reconnue et un besoin de liberté dans une institution librement choisie. La légende arthurienne le dit et redit : cette paix apparaît parfois comme une quête sans fin, en raison des vices de la nature humaine soigneusement décrits (jalousie, colère, orgueil, avidité etc.). Cependant, il y a cette quête de la paix qui devrait être là demain et cette guerre qui devrait être la dernière mais, en fait, dans une paix relative, déjà les ingrédients de la guerre de demain se retrouvent… Oui, il y a un certain fatalisme !
Les auteurs médiévaux veulent peindre, voire expliquer, les ardeurs qui animent les guerriers dans le bruit, la confusion et la violence d’un champ de bataille, pensons aux deux figures emblématiques de Roland et d’Olivier : deux caractères fort différents où l’un révèle l’autre sans aucun artifice. Ganelon, l’antihéros, apparaît le plus souvent comme le traître à la façon d’un Judas mais, parfois, certains textes lui donnent les circonstances atténuantes : en faisant tuer Roland, il voulait supprimer le va-t-en-guerre ! D’un récit à l’autre, des variations existent produisant des colorations psychologiques diverses : le désir de comprendre les motivations animant l’action en est l’explication. L’homme confronté à la guerre au Moyen Age connaît les mêmes tourments que celui de 14-18 ou de 39-45 comme de tout autre guerre : il y aurait des études comparatives intéressantes à mener sur la psychologie des combattants à travers les textes littéraires.
Textes en latin[23] ou en ancien français comme en langues vernaculaires forment un tout. Jusqu’au XIIIe s., la littérature latine n’a pas cessé de connaître d’importants développements avant que les littératures romanes prennent la relève. Du XIVe au XVe s., il y a une vie commune, la rupture intervenant à la fin du XVe s..

Transmission du savoir médiéval
Le XIXe siècle a forgé les esprits en laissant l’image d’un guerrier médiéval soudard ayant soif de pillage et ne connaissant ni foi, ni loi. De l’autre côté, il y a eu une vision hagiographique du chevalier paré de toutes les vertus. La vérité est autre. Elle est plus complexe et de nombreux chercheurs, dont Martin Aurell[24], ont réussi à mieux discerner les connaissances acquises par un noble guerrier mais aussi les images véhiculées sur la guerre auprès du public, aspect le plus original qu’il convient de signaler.
L’influence des épîtres de saint Paul est grande dans les écrits moraux rédigés pour l’éducation des jeunes. Pouvoir et savoir utilisés sans mesure et sans discernement mènent à l’orgueil dénoncé comme l’ennemi intérieur à combattre avant de livrer bataille sur le terrain. Puissance militaire et culture écrite évoluent en parallèles. Cela se constate d’abord en Orient, c’est-à-dire en Grèce, et ensuite lors des Croisades, cette tradition de littérature guerrière ou chevaleresque sera cultivée en Occident avec le même succès que connaîtront les romans policiers au XXe s. Le lys des rois de France symbolise cette symbiose idéale de la culture chevaleresque : le pétale central est plus haut, c’est la Foi ; de part et d’autre, deux pétales plus petits, l’un est la sapientia, la sagesse nécessitant un minimum de savoir et l’autre la militia, la force en cultivant d’abord la maîtrise de soi mais toutes les deux sont sous les regards de la Foi.

Education
D’un soldat, il était attendu, déjà dès la romanisation de la Gaule, un minimum de connaissances d’écriture et de calcul : pour des raisons très pratiques : solde, tour de garde, permission, intendance… Celui qui exerçait un commandement devait posséder quelques connaissances supplémentaires, sans toutefois devenir un érudit.
Avec Cicéron et Sénèque, formant les lectures de base, le jeune apprend l’honnêteté (honestum), l’efficacité (utile). Au sein de la noblesse, le « livre » exerce une influence croissante. L’homme de guerre est à la recherche d’une intériorité : la noblesse de sang ou acquise sur un champ de bataille ne lui suffit plus ; avec la christianisation de la société, il veut cultiver une noblesse d’âme. Dès le Ve s., ses références les plus courantes sont puisées dans l’«Art militaire» de Végèce qui constitue un socle. Le « Chastoiement d’un père à son fils » est aussi le texte le plus connu : le folklore oriental y est introduit en Europe par l’ultime conversation d’un Arabe et de son fils. Diverses versions se diffusent et ce livre trouve son origine dans la «Discipline de clergie » de Pierre Alphonse[25], au début du XIIe s. Le vrai chevalier se devait de maîtriser trois capacités distinctes :

1. Connaître les 7 arts libéraux : le « trivium »[26] et le « quadrivium »[27];
2. Cultiver 7 pratiques guerrières : équitation, nage, tir à l’arc, lutte, fauconnerie, échecs, poésie ;
3. Lutter contre 7 vices : gloutonnerie, ébriété, luxure, colère, mensonge, avarice, médisance.

Les parents nobles tiennent à ce que leurs enfants possèdent un minimum d’instruction littéraire. Les « enseignants » dans les familles médiévales s’adressent à des élèves âgés entre 6 et 12 ans. La « lectura » était des textes lus et expliqués ; la « lectio » était une lecture privée, individuelle se faisant parfois à haute voix ; la « praelectio » était une lecture publique glosée et commentée par un « maître ».
Pour une famille cultivant les armes, le plus important reste que l’enfant devienne un cavalier, sachant tenir, de sa droite, une pique et, de sa gauche, un bouclier, user du galop du cheval pour donner de la force à sa charge. A terre, il doit savoir tenir une épée. L’art de l’escrime s’apprend dès la petite enfance avec une épée et un bouclier de bois. Le jeune adulte[28] est vite initié à sa fonction future, que cela soit au champ[29] ou à la guerre[30] comme à la prière ! Avec ses rudiments de base, la formation du guerrier se poursuit hors du foyer familial comme écuyer d’un chevalier. Lors de veillées, il écoute les récits (poésie, romans, chansons de geste, chants, contes) qui meublent ainsi son imaginaire.

Clercs et chevaliers
Pratiquement, nous n’avons pas une séparation totale entre le clerc et le chevalier comme trop de clichés nous le feraient croire. Nous avons le « miles litteratus », le chevalier lettré et le « clericus militaris », le clerc militaire qui sera souvent l’intendant[31].
Les textes médiévaux ont caricaturé la concurrence entre clercs et chevaliers : certes, leurs vocations finales divergent et les manières de vivre seront très distinctes mais il y a de nombreux points communs. Couramment dans la même famille, ceux qui allaient devenir guerriers ou prêtres ont grandi ensemble, ont reçu la même formation de base. Tous les chevaliers n’accomplissent pas forcément leur destin sur un champ de bataille mais dans l’administration royale ou de cours. Dans le Sud de la France, il y a de nombreuses satires (pensons à Boniface de Castellane) contre cette bureaucratie naissante.

Mythes et chroniques
Au commencement de la littérature médiévale, il n’y avait pas une frontière entre les mythes et les chroniques. Très souvent, une chronique commence par des origines mythiques pour se transformer en chronique des temps plus proches ou connus de l’auteur.
Une chronique peut donner naissance à deux variantes divergentes. La première construit une nouvelle légende : des faits sont relus et remodelés en fonction des besoins et un bon exemple nous est donné avec La chanson de Roland et l’étude aussi fouillée que pertinente établie par Paul Aebischer[32] en apporte une bonne démonstration; la deuxième produit ce qui deviendra l’Histoire avec des Froissart établissant des synthèses d’autres chroniques ou Joinville démontrant une extraordinaire mémoire visuelle. Le mythe nouveau amène à comprendre les phénomènes humains en recourant au merveilleux et nous y trouvons des procédés que la propagande du XXe s. a encore plus amplifiés. La chronique tente de comprendre le présent avec des témoins et en recourant au passé tel qu’il peut être connu, avec des sources plus ou moins fiables et sans s’interdire le recours au merveilleux qui, plus tard, sera appelé le hasard, permettant de comprendre l’inexplicable ….
Pourquoi un tel succès des récits mythiques et des légendes[33] chez les hommes de guerre, pas uniquement chevaliers d’ailleurs ? L’auditeur ou lecteur médiéval ne les lit pas ou ne les écoute pas comme nous. Ma conviction est que ces récits mythiques avaient pour eux une fonction très précise, surmonter la peur[34] : la peur face à l’inconnu, face à la mort à donner ou à recevoir. Pour transformer cette peur en force de survie, le guerrier construit sa force intérieure sur sa Foi d’abord et sur les mythes qui lui sont connus. La Foi donne un sens à sa vie et à sa mort ; les mythes nourrissent son imagination pour survivre dans des conditions difficiles, en recourant à la ruse par exemple. L’apprentissage de la ruse à travers la littérature médiévale serait un axe de recherche utile à prospecter : les œuvres de Frontin et de Polyen[35] ont été souvent utilisées. Depuis sa petite enfance, le futur guerrier a eu son imaginaire meublé de héros et d’actes mythiques : il s’est créé une sorte de « catalogue » où la fiction et l’invraisemblable ne gênent nullement. Foi et mythes sont les deux constituants pour maîtriser la peur, pour agir avec sagesse et pour garder le courage d’entreprendre même quand tout semble perdu aux yeux de la seule raison.
Des modèles sont proposés pour l’action. Des exemples explicitent différents cas de figure : comment éprouver sa hardiesse, accomplir des exploits, affronter l’inconnu, découvrir de nouveaux territoires, progresser en fonction des rencontres imprévues -parfois bénéfiques, parfois maléfiques-, être confronté à la mort possible. La question essentielle revient dans la plupart des récits : comment résoudre le problème du choix en des moments décisifs. Le chevalier au Papegau illustre cette nécessité de choisir entre trois voies : la Voie sans Merci, la Route de l’Injustice et la Route sans nom que choisira Méraugis. Le combat spirituel équivaut au combat temporel. Dans nos chansons de geste, avant les victoires sur le champ de bataille, le héros doit livrer des batailles intérieures pour établir le bon choix : son choix, motivant sa volonté qui animera son action, fera de lui le héros, une façon d’acquérir l’immortalité et d’entrer dans la Gloire de Dieu. Sauver les faibles, les opprimés, les dames en détresse et les demoiselles assiégées sont autant de thèmes traités à profusion.
C’est bel et bien des récits mythiques qu’est issue une éthique chevaleresque. Raymond Lulle[36] a composé le manuel du chevalier chrétien avec son Llibre del Ordre de Cavayleria[37]. Les origines de la chevalerie, les devoirs du chevalier et tous les rites accompagnant l’adoubement (examens, épreuves, cérémonial), la signification des armes, les mœurs et coutumes de la chevalerie sont exposés. Son texte rédigé en espagnol a été très souvent repris en la langue d’oc dans ce genre littéraire appelé ensanhamen, appelé aussi littérature morale, non dépourvue de qualités littéraires au sens que nous l’entendons aujourd’hui.
Les mythes auront encore plus de force lorsqu’ils seront christianisés[38] : Merlin[39] est au départ un être diabolique ; avec le temps, il se christianise et devient un prophète ; le mythe païen du Graal est devenu la « Queste du saint Graal». Au commencement, le Graal était une recherche de l’impossible. Avec Robert de Born, le chevalier errant devient le chevalier disponible : le chevalier est un héros en devenir et devant faire ses preuves en rendant service à la communauté. La force de Merlin est de détenir tous les savoirs sur le passé, le présent et l’avenir : il serait de nos jours le symbole de la prospective ou de la futurologie.  Les romans arthuriens ont contribué à l’élaboration d’une éthique chevaleresque pour employer la formule de Georges Duby.
Un aspect mérite d’être souligné : celui qui livre bataille ne se bat pas pour une idéologie, pour une religion[40], pour un suzerain[41] mais pour la justesse d’une cause, pour un droit établi par la coutume ou les lois de l’Eglise. La Foi a ainsi régulé l’emploi de la violence : sa confiance mise en Dieu exige un engagement pour une cause juste. Le héros n’est pas un homme seul même lorsqu’il combat en solitaire : il combat pour l’honneur des hommes de son rang et de sa famille, pour la justesse de sa cause et le service de son suzerain exerçant le droit aussi bien que des peuples dont il assure la sécurité.
A travers les mythes, des constantes universelles apparaissent et Georges Gusdorf[42], dans son étude Mythe et métaphysique, en fait bien état. Le mythe révèle cette volonté humaine de rechercher des vérités, de les comprendre et de les éclairer : la poésie est ainsi la meilleure voie pour faire entendre la voix de ces vérités originelles. L’alliance entre le mythe et la raison est possible en ce temps : l’un n’écarte pas l’autre comme cela sera de plus en plus le cas dès le XVIe s. La seule raison bloque et ferme des issues pourtant prometteuses. Le mythe ouvre l’esprit  vers l’inconnu qui est accepté dans la mesure où il peut être affronté. La raison a désintégré l’image de l’homme. Le mythe inscrit l’homme dans l’univers, donne un sens au monde et donc à l’homme. Les mythes sont à être lus selon l’homme du Moyen Age et non avec notre regard du XXIe s.. Cet aspect devrait être développé mais il est bon de garder à l’esprit que le mythe  tente d’unir des communautés humaines en les plaçant sous la protection de forces supérieures à l’homme : d’où le besoin de sacralité, de rituel. Et deux citations de Gusdorf peuvent donner l’éclairage utile à une lecture médiévale de la guerre :
« La conscience mythique permet la constitution d’une enveloppe protectrice, à l’intérieur de laquelle l’homme trouve son lieu dans l’univers. »[43] et « En fait, le mythe a pour fonction de rendre la vie possible. Il donne aux sociétés humaines leur assiette et leur permet de durer. »[44] .
Les mythes offrent des analyses poussées des interdictions et des transgressions sous tous les angles : ils inscrivent l’homme dans un temps et un espace qui deviennent sacrés. Le mythe a trois fonctions : narrative (il raconte), initiatique (il révèle) et étiologique (il explique). En plus, il produit des rites qui unissent la communauté. Avec Chrétien de Troyes, les données mythologiques commencent à s’effacer au profit d’une analyse plus psychologique des personnages : les celtes deviennent des « chevaliers courtois ». Erec et Enide concilie amour et aventure pour l’accomplissement de soi. Le héros est un personnage dont la mort a pris un sens particulier en une situation exemplaire selon une éthique partagée par une communauté.
Neuf types de héros alimentent l’imaginaire du guerrier médiéval : trois héros païens, Hector, Alexandre et César ; trois héros juifs, Josué, David et Judas Macchabée ; trois héros chrétiens, Arthur, Charlemagne et Godefroy de Bouillon[45]. Le christianisme a réussi cette symbiose de trois cultures : il est regrettable que des approches historico-politiques aient fait oublier cet aspect si particulier de la littérature médiévale.

Diversité des Chroniques.
Jean de Joinville décrit les batailles avec force en de petites scènes mais nous n’y trouvons pas une vision globale des opérations. Son style alerte rend la lecture de son œuvre agréable.
Jean Le Bel[46] dans ses « Vrayes Chroniques »[47], dont Froissart a repris plus tard de larges extraits, s’était consacré à la carrière des armes : son texte est une source sûre car il a choisi les témoignages les plus certains et relatent les faits qu’il a vécus. Ses descriptions des événements et des lieux sont remarquables et il ne tente pas des conjonctures hypothétiques sur ce qu’il ignore.
Les Croisades ont été traitées dans plusieurs chroniques. Un témoin comme Eudes de Deuil, lors de la seconde croisade (1147-1149) est une source fiable : de façon générale cependant, les données fournies par d’autres auteurs sont moins certaines. Elles ont aussi été un sujet prisé des trouvères et troubadours avec les chansons de croisades : exhortations à l’expédition, complaintes des croisés devant quitter la femme aimée, des « disputes » (discussions) sur la croisade et parfois elle est remise en cause non sans force[48] dans des satires. L’Estoire de la guerre sainte a servi la gloire de Richard Cœur de Lion mais reste intéressante dans la mesure où l’on découvre la vision d’un jongleur anglo-normand, Ambroise, qui l’avait accompagné : il a été le témoin oculaire et a constaté les souffrances endurées par les pèlerins en Terre sainte. Son regard ne porte pas uniquement sur les guerriers mais aussi sur les hommes qui les accompagnent. Saint Bernard a prêché en faveur de la croisade et sa prédication nous est restée. Une source précieuse est formée par les lettres  fournissant non seulement des faits mais aussi  des perceptions de la guerre en cours.
La croisade contre les Albigeois[49] a fait l’objet de nombreux récits de guerre qui offrent un regard plus pertinent sur les procédés de guerre en usage. Leur lecture est encore polémique de nos jours car la tentation est grande pour les historiens du XXIe s. de vouloir illustrer leur perception de la guerre au lieu la replacer dans le contexte du début du XIIIe s.  

L’Eglise et la guerre.
Les responsables de l’Eglise, durant tout le Moyen Age, ont longuement et abondamment débattu[50] sur la nature de la guerre, sur le droit à la guerre comme dans la guerre et sur la guerre offensive et défensive. Nous avons de véritables chefs d’œuvre et des textes d’une grande valeur littéraire, saint Augustin en est une bonne illustration. Certains Pères de l’Eglise se sont opposés totalement à l’emploi des armes : les actuels objecteurs de conscience contre l’armée y trouveraient de quoi renouveler leur argumentaire.
Les saints militaires[51] ayant porté les armes sont nombreux saint Sébastien[52], saint Georges, saint Maurice[53], saint Martin de Tours, saint Démétrius, saint Louis[54], Jeanne d’Arc… Avant le combat, selon une tradition de l’Ancien Testament, des prières étaient faites. Les sépultures honorent les combattants. Il n’y a pas de frontières précises entre activités de guerre et activités de paix pour le chevalier. La paix nécessite parfois l’emploi de la force de façon mesurée. Le christianisme cherche à limiter les désolations de la guerre chaque fois qu’il le peut : c’est ainsi qu’est né un droit dans la guerre.  Les épîtres de saint Paul privilégient le combat spirituel (Ephésiens, 6, 10-17) mais selon lui, le combat temporel est possible (Hébreux, 11, 32-34). Les orantes et les bellatores, les clercs et les guerriers, mènent le même combat, chacun avec ses armes propres. Cependant, la coupure n’est pas totale entre les deux ainsi que l’a entretenue une fausse image de la féodalité : de nombreux clercs ont aussi porté les armes. L’armée de l’empereur Otton III est commandée par l’évêque Bernard. En 1053, le pape Léon IX remporte sur les Normands une victoire dans les Pouilles. Les Chrétiens voyaient en la Croisade une guerre défensive et malgré cet aspect, il y a eu des oppositions vives. Robert de Blois et Honoré Bovet illustrent ces liens unissant clergie et chevalerie.
Robert de Blois, trouvère après avoir été un clerc, est un bon exemple d’un auteur cultivant plusieurs styles littéraires, avec ses écrits du milieu du XIIIe s. Avec Beaudous, il a rédigé un roman arthurien mettant en scène le fils de Gauvain et la demoiselle de Galles ; il a composé une Chanson d’Amors et un roman d’aventure Floris et Lyriopé ainsi que des poèmes religieux. Une des ses œuvres nous intéresse spécialement : l’Enseignement des Princes[55]. En des vers octosyllabiques, son poème didactique et moral enseigne le respect dû aux femmes, détaille le symbolisme des armes du chevalier[56], condamne des vices trop humains comme la médisance, l’envie, l’orgueil, les traîtres à la parole donnée (Ganelon, Guillaume d’Angleterre), la confiance mal placée dans les serfs (exemple de Darius et d’Alexandre), l’avarice (louange des largesses d’Arthur). Il fait l’éloge de la modération, de la patience et de la maîtrise de soi (exemple de César à Ilerda). Cette œuvre doit beaucoup au roman d’Alexandre comme aux écrits de Raymond Lulle et de nombreux stéréotypes médiévaux s’y retrouvent. 
Honoré Bovet[57] a fait ses études à Avignon. Licencié en droit canon, il sera moine de l’abbaye bénédictine de l’Ile Barbe (Lyon) pour achever sa vie en tant que prêtre et prieur de Selonnet au diocèse d’Embrun. Son traité didactique, intitulé L’Arbre des batailles[58], est écrit en prose française et a connu un vif succès avec des traductions en provençal, catalan, espagnol et anglais[59]. Après avoir partagé ses réflexions sur les tribulations de l’Eglise connaissant le schisme, il établit un résumé de l’histoire universelle pour, dans les deux dernières parties, traiter des « batailles » et des droits des gens en toutes circonstances (duel en champ clos, légitime défense, vengeance…). Il évite la sécheresse juridique en illustrant sa prose d’exemples de son temps et en recourant au dialogue. Son texte reflète l’écrit d’un de ses contemporains, le juriste bolonais Jean de Legnano : De Bello, de represaliis et de duello.

Les livres cynégétiques
Ils sont trop souvent oubliés dans l’étude de la guerre médiévale et pourtant, bien plus tard, un Walter Scott en a fait bon usage pour ses descriptions littéraires. La chasse est un des moyens de s’entraîner à la guerre : maîtrise de soi, maîtrise de son cheval sont les aptitudes qu’y se développent. De grandes similitudes existent entre la conduite d’une chasse et celle d’une troupe : le seigneur n’est généralement pas seul mais il dispose de tout un entourage n’ayant pas forcément des notions du combat mais apprenant ainsi des méthodes utiles pour le combat. Les chasses sont des entraînements à la traque du gibier et au tir à l’arc ou à l’arbalète. Achever un cerf ou un sanglier n’est pas une tâche facile. Les meilleures indications sur l’archerie se trouvent dans les livres cynégétiques : la qualité des cordes fait l’objet d’une grande attention. Les ruses des animaux pour déjouer le ou les chasseur (s) sont aussi des enseignements : un sanglier a un talent particulier pour laisser passer ses poursuivants et partir à contre-sens. L’art des pièges est aussi traité : piéger un homme ou un animal, il n’y a aucune différence.
Le livre de la Chasse du roi Modus et de la reine Ratio[60] d’Henri Ferrière et enluminé par Girart de Rousillon, exécuté pour Philippe Le Bon, duc de Bourgogne[61], a inspiré plus d’un écrivain disciple de saint Hubert. Ainsi, Le livre de la chasse de Gaston Phébus[62] constitue un autre témoignage : la chasse développe les dons d’observation qu’un fantassin ou un cavalier ne devait pas négliger. En terre inconnue, la chasse est un des moyens d’assurer l’alimentation du guerrier et de ses accompagnants éventuels, sans recourir à des réquisitions mal supportées par les populations locales (aspect purement logistique non négligeable). La chasse est un moyen de connaître le territoire où le seigneur exerce son droit de justice et reconnaître les lieux où il peut être amené à livrer bataille. Ces livres offrent de beaux textes et possèdent des enluminures qui les accompagnent : il est ainsi possible de visualiser ces scènes avec précision.

Satires
Les tournois ont été chantés par plus d’un poète et loués dans plus d’un roman. Cependant les satires n’ont pas manqué à l’égard des chevaliers et plus spécialement des hérauts d’armes, ces maîtres de cérémonie dans les tournois, conteurs de hauts faits chevaleresques et héraldistes reconnus. Par jalousie de conteur, Henri de Laon, poète du XIVe s., dans son Dit des Hérauts, dénonce l’ignorance, la paresse et la convoitise des hérauts et souligne la décadence des tournois. Les seigneurs orgueilleux, cupides, chicaniers ne démontrent ni prouesse, ni courage, ni endurance. Selon lui, les frais de joute sont excessifs alors que les bacheliers sont pauvres et méprisés… Comme d’autres ménestrels, il refuse que les hérauts d’armes leur enlèvent le récit des hauts faits d’armes qu’il considère comme l’une de leur prérogative. La chevalerie n’est cependant pas contestée : les mauvais chevaliers sont par contre blâmés.

Conclusion
Des beautés littéraires ne résident pas uniquement dans les romans et les chansons de geste. Le lecteur d’aujourd’hui comme celui du Moyen Age se plaît à retrouver des vérités éternelles. Les écrits révèlent de multiples témoignages sur la perception de la guerre qui n’est pas considérée isolément mais qui s’inscrit dans toutes les activités humaines : guerre acceptable lorsqu’elle est au service du droit et guerre méprisable quand elle sert l’injustice. Cette littérature est essentielle pour que chaque homme de guerre se forge un modèle, un être exceptionnel par ses actes : le héros médiéval doit incarner dans sa vie des actes qui ne seront plus ainsi des rêves, suggérés par la littérature. Seuls les actes concrétisent la plus haute idée que l’homme de guerre puisse se faire de sa fonction. Surmonter la peur de l’inconnu, résoudre le problème du choix en son âme et conscience, garder la maîtrise de soi, se mettre au service des autres, accepter la nécessité de se sacrifier s’il le faut pour la justesse d’une cause sont des thèmes amplement traités avec des exemples fictifs ou réels : ces messages ont été entendus et s’entendent encore. Un livre de chasse révèle deux mots importants qui connaîtront un grand destin : le roi Modus, c’est la méthode et la reine Ratio, c’est la connaissance. Méthode et connaissance, pratique et imagination, savoir faire et savoir être : c’est tout l’enseignement de cette littérature médiévale traitant de la guerre.   

Antoine Schülé
La Tourette, septembre 2013

Contact : antoine.schule@free.fr 



[1] Le livre de la chasse de Gaston Phoebus, manuscrit français 616 de la Bibliothèque nationale Paris. Club du livre. Philippe Lebaud éd. Paris-Graz. 1976. Transcription en français moderne par Robert et André Bossuat. In : Prologue, p. 3.
[2] Un traité de tactique peut être établi uniquement avec des exemples extraits de l’Ancien Testament. La guerre totale y est déjà décrite dans : 1 Sam, 15, 1-11.
[3] Voir : Psaumes avant la bataille : Ps 20, 68 (le psaume des batailles), 79, 83, 144, 149 ; après la victoire : 18, 21, 60 et 66 ; confiance dans le Dieu des armées : 40.
[4] Grégoire Kolpktchy : Livre des morts des anciens Egyptiens. Paris. Stock. 1978. 332 p.
[5] Danielle Régnier-Bohler (sous la dir.) : La légende arthurienne, Le Graal et la Table ronde. Paris. Robert Laffont. Coll. Bouquins. 1989. 1208 p. Quinze romans de la Table ronde, écrits soit en français, soit en langue d’oc et réunis en un seul volume, témoignent du succès de la légende arthurienne du XIIe au XVe siècle.
[6] Régis Boyer : La saga de Sigurdr ou la parole donnée. Paris. Cerf. 1989. 292 p.
[7] Ch. Guyot et E. Wegener : Le livre des Vikings (d’après les anciennes sagas). Paris. Ed. H. Piazza. 1924. 204 p.
[8]Alexandre de Paris  (trad. de Laurence Harf-Lancner) : Le roman d’Alexandre. Paris. Le livre de Poche. Coll. Lettres gothiques. 1994. 864 p. L’un des plus anciens romans français versifiés (c’est en son honneur que les vers de douze pieds sont appelés alexandrins), le texte original  comporte en vis-à-vis la traduction en français moderne.
[9] Louis-Fernand Flutre : Table des noms propres avec toutes leurs variantes figurant dans les romans du Moyen Age. CERSCM : Centre d’études supérieures de civilisation médiévale. Poitiers. 1962. 324 p. Deux tables : une pour les noms de personne et une pour les noms géographiques et ethniques.
[10] Léon Gautier : La chanson de Roland. Tours. Mame. 1881. 604 p. Texte critique avec traduction et glossaire. 
[11] Lionel Bartoloni, Jean-Daniel Morerod, Anton Näf, Christian de Reynier : Rodolphe, comte de Neuchâtel et poète. Neuchâtel. Alphil & Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel. 2006. 80 p.
[12] Emmanuel de Saint-Albin (trad.) : La légende du Cid. Paris. Librairie internationale.  2 vol. 1866. 336 p. et  296 p.
[13] Les clichés largement répandus de l’amour courtois occultent une littérature érotique au langage cru, sans les fausses pudeurs qui apparaissent dès la Renaissance. Exemple : le fabliau du XIIIe s. attribué à Guérin, Chevalier qui fit les cons parler.
[14] Robert Bossuat, Louis Pichard et Guy Raynaud de Lage  (éd. revue par Geneviève Hasenohr et Michel Zink) : Le Moyen Age. Paris. Fayard. Collection Dictionnaire des Lettres françaises. Pochothèque. 1992. 1508 p. Cette encyclopédie de la production littéraire du Ve au XVe siècle est un instrument de découverte et de recherche incontournable.
[15]  Perceval, Perlesvaus, Merlin et Arthur, Le livre de Caradoc, Le chevalier à l’épée, Hunbaut, La demoiselle à la mule, L’âtre périlleux, Gliglois, Méraugis de Portlesquez, Le roman de Jaufré, Blandin de Cornouaille, Les merveilles de Rigomer, Meliador, Le chevalier au papegau.
[16] L’Eternel Retour, film de Jean Delannoy : Jean Cocteau réinvente à sa manière la légende de Tristan en partant du principe que les mêmes circonstances peuvent se reproduire sans que les êtres qui les vivent ne s’en doutent.
[17] Paul Zumthor : La lettre et la voix, De la « littérature » médiévale. Paris. Seuil. Coll. Poétique. 1987. 348 p. Il développe une vision restrictive de la littérature aux seuls romans : c’est omettre volontairement de grands pans de la vie littéraire médiévale.
[18] Les lais de Marie de France en sont une bonne illustration.
[19] Le Cor d’Alfred de Vigny.
[20] Le roman de Tristan et Iseut, renouvelé par Joseph Bédier. Paris. Ed. H. Piazza. 1929. 252 p. Agréable adaptation de ce roman qui a inspiré plus d’un film.
[21] La légende de Guillaume d’Orange, renouvelée par Paul Tuffrau. Paris. Ed. H. Piazza. 1920. 276 p. Version en français moderne de cette légende du XIIe siècle.
[22] Pour que les Américains s’intéressent au monde arabe, il a fallu un Lawrence d’Arabie médiatisé par un journaliste.
[23] Joseph de Ghellinck : L’essor de la littérature latine au XIIe siècle. Paris-Bruxelles. Desclée de Brouwer. 1946. 2 vol. 236 p. et 356 p. Cet ouvrage reste une utile introduction à la richesse des thèmes traités par les auteurs latins médiévaux.
[24] Martin Aurell : Le chevalier lettré. Savoir et conduite de l’aristocratie aux XIIe et XIIIe siècles. Paris. Fayard. 2011. 540 p.
[25] Un convers juif et médecin d’Alphonse Ier d’Aragon, devenu son parrain de baptême
[26] Grammaire, rhétorique et dialectique.
[27] Arithmétique (en lieu et place de la médecine avant le XIIe s.), géométrie (idem de la physique), musique et astronomie.
[28] 14-16 ans.
[29] Le seigneur médiéval est avant tout l’administrateur d’un bien foncier avant que d’être un guerrier.
[30] Robert Fossier : « Le guerrier et le soldat », pp. 254-266. In : Le travail au Moyen Age. Hachette. 2000. 320 p.
[31] Naissance d’une administration royale.
[32] Paul Aebischer : Préhistoire et protohistoire du Roland d’Oxford. Berne. Francke. 1972. 292 p.
[33] Succès comparables aux films de guerre de nos jours.
[34] Philippe Contamine : La guerre au Moyen Age. Paris. PUF. Nouvelle Clio. 1980. 516 p. : « Pour une histoire du courage », pp. 406-418. 
[35] In : Bibliothèque militaire. Paris. 1839-1840. T. 3. Frontin, Stratagèmes, pp ; 574-639 et Polyen : Ruses de guerre, pp. 643-831.
[36] Un grand romancier à diffusion européenne, (1232-1316). Son chef d’œuvre : Félix ou le Livre des merveilles. Paris. Ed. du Rocher. 2000. 448 p.
[37] Raymond Lulle (trad. Patrick Gifreu) : Le livre de l’ordre de la chevalerie. La Différence.
[38] Philippe Walter : Mythologie chrétienne. Rites et mythes du Moyen Age. Paris. Ed. Entente. 1992. 300 p.
[39] Christine Ferlampin-Acher et Denis Hüe : Mythes et réalités du Roi Arthur. Rennes. Ouest-France. Coll. Histoire. 2009. 132 p. Tentative de reconstituer la biographie du Roi Arthur, cette figure légendaire connue uniquement par la littérature.
[40] Au départ, les Croisades avaient pour but de protéger les pèlerins se rendant dans les Lieux Saints ; d’autres croisades dites religieuses étaient des luttes soit pour le pouvoir (croisade contre les Albigeois), soit pour des motifs commerciaux, la religion étant considérée comme un atout décisif pour motiver les protagonistes.
[41] Au XVIe s., cela changera !
[42] Georges Gusdorf : Mythe et métaphysique. Introduction à la philosophie. Paris. Flammarion. Coll. Champs. 1984. 368 p.
[43] G. Gusdorf : op. cit. p. 59.
[44] Idem. p. 66
[45] Chevalier au cygne et Godefroy de Bouillon. Poème de 35000 vers qui remanie le cycle des Croisades. Les abominations de la guerre sont amplement décrites. Une originalité : des amitiés sincères peuvent se nouer avec l’ennemi.
[46] Claude Gaier : Armes et combats dans l’univers médiéval II. Bruxelles. De Boeck. 2004. 292 p. « Les guerres d’Ecosse et d’Angleterre vues par le chroniqueur liégeois Jehan Le Bel (1326-1361) », pp. 247-261.
[47] Ed. J. Viard et E. Deprez, Société de l’Histoire de France.
[48] Lire Huon de Saint-Quentin, Guilhelm IX et Rutebeuf.
[49] Laurent Albaret et Nicolas Gouzy (dir.) : Les grandes batailles méridionales (1209-1271). Toulouse. Privat. 2005. 236 p.
[50] P. Contamine : op. cit. : « La guerre : aspects juridiques, éthiques et religieux. », pp. 419-477.
[51] André Corvisier : Les Saints militaires. Paris. Champion. 2006. 352 p.
[52] Saint patron des archers.
[53] Saint parton de l’infanterie.
[54] Le roi guerrier.
[55] J. Fox : Robert de Blois, son œuvre didactique et narrative. Etude suivie d’une édition critique de l’Enseignement des Princes et du Chastoiement des Dames. Paris. 1950.
[56] Michel Pastoureau : Une histoire symbolique du Moyen Age occidental. Paris. Seuil. 2004. 448 p.
[57] Né vers 1345, près de Sisteron.
[58] Rédaction probable entre 1386-9.
[59] Une Europe culturelle existant déjà.
[60] Gunnar Tilander : Les livres du Roy Modus et de la Royne Ratio. Paris. Société des anciens textes français, LXXV-LXXVI. 1932.
[61] Le livre de la chasse du roi Modus, manuscrit 10218-19 de la Bibliothèque royale de Bruxelles. Club du Livre. Paris. 1989. Adapté en français par Gunnar Tilander.
[62] Le livre de la chasse de Gaston Phoebus, op. cit.