Augustin
et Dieu intérieur
Histoire
d’une âme à la recherche de Dieu
Antoine
Schülé, La Tourette, le 8 janvier 2019
« Je
Te chercherai pour que mon âme vive ;
car
mon corps vit de mon âme,
mais
mon âme vit de Toi... »
Augustin,
Confessions
X, 29
Introduction
Pour
comprendre un auteur, il
s’agit non seulement de le lire mais aussi de bien
connaître le contexte d’écriture de l’écrivain. Oui, Augustin
est un
écrivain
mais
encore
un théologien, un prédicateur, un philosophe, un polémiste, un
anthropologue et un analyste de l’âme. Dans
ce court exposé, il ne me sera pas possible de vous présenter
toutes les facettes de sa
personnalité.
En
une heure de temps, deux
aspects nous occuperont plus : le philosophe
à la base d’une pensée chrétienne encore vivante de nos jours,
même si trop souvent méconnue des Catholiques (ce que je regrette
vivement), et sa découverte
de la Présence de Dieu
au cœur de
chacun.
Lire
Augustin,
c’est
suivre une intelligence en quête de spiritualité. Dans le contexte
historique précis qu’est la chute de l’Empire romain, l’histoire
de sa vie le conduit à se poser des questions existentielles que
tout homme se pose une fois ou l’autre en certaines circonstances.
De
son vivant, ses propos ont éclairé ses
contemporains
et, hier comme de nos jours, ses écrits nous apportent encore des
lumières qu’il ne
faut
pas occulter et
surtout nous invitent
à effectuer sa démarche qu’il a ouverte et à laquelle il n’a
pas mis un point final : il
ouvre un chemin et ne nous enferme pas dans une doctrine.
Bien
entendu, sa
pensée a contribué à l’établissement de
doctrines
1
diverses
qui
marqueront
la spiritualité chrétienne jusqu’au XVIIe
siècle de façon évidente : spécialement
le
XIIIe
siècle mais
encore
Érasme, la Renaissance et la Contre-Réforme en témoignent. De
plus,
en lisant Descartes, nous pouvons repérer de nombreuses analogies
avec
la pensée augustinienne.
Au XXe
siècle, Maurice Zundel, théologien, se
réfère souvent à Augustin pour éclairer les âmes recherchant
Dieu, en
recourant
à ses écrits comme, aussi,
à ceux de Thomas d’Aquin (qu’il appréciait alors qu’il se
méfiait des disciples de Thomas, les
Thomistes,
quant à leurs interprétations) .
Biographie
de la pensée
Aurelius
Augustinus est né en 354,
en Algérie, à Thagaste (Souk-Ahras de nos jours) et il est né à
Dieu le 28 août 430, à Hippone (à
cette époque, c’était la seconde ville d’Afrique ; Bône
sous mandat français et Annaba,
actuellement). Fils d’un
père incroyant et d’une mère croyante, Augustin cultive
très tôt une logique qui lui est propre. Son intelligence se
construit, au départ d’une façon autodidacte en partie, sur
un socle de
culture
romaine,
fortement
implantée en Afrique du Nord (ce que nous n’imaginons guère de
nos jours : l’Empire
romain était grand ; le « Mare
nostrum »
pour désigner la Méditerranée avait du sens).
Dans
son jeune âge, il
aime la lecture de Cicéron
2.
Ses études littéraires le conduisent, plus tardivement, à
découvrir la philosophie avec Plotin
tout d’abord et Platon
ensuite.
Cicéron
(romain,
~106-~43 av. J. C.) l’a
marqué par son éloquence, son engagement dans la vie politique et
son
stoïcisme
mais
pas seulement.
Il
y a une philosophie humaniste chez Cicéron lorsque
celui-ci
s’interroge sur le bien, le mal, le souverain bien, les passions,
le bonheur, l’âge, l’amitié et les devoirs. Je
me risquerais à dire qu’Augustin
est le Cicéron chrétien.
Pour
bien comprendre le style et la façon de penser d’Augustin, il est
donc
très
utile d’avoir
lu
les œuvres de Cicéron.
Plotin
(grec, 205-270, av.
J.C.)
lui fait découvrir une transcendance,
l’existence d’un au-delà et
de valeurs supérieures à nos seuls sens :
ainsi la quête d’une âme commence chez Augustin.
Avec
Platon
(~428-~347,
av
J.C.),
Augustin développe une façon de penser, une dialectologie. Selon
Platon, une cité
juste cultive la sagesse et l’amour.
Pour
atteindre cet objectif,
il détermine les conditions d’existence d’un bon gouvernement
(rappelons
tout de même que : la
philosophie joue son rôle dans la politique ; la religion de
même et
encore plus car
toute religion donne naissance à des philosophies 3).
Les interprétations des textes de Platon ont
été et sont
multiples, contradictoires, encore de nos jours, mais Augustin a
réussi à poursuivre la
réflexion philosophique en une réflexion théologique riche de sens
4.
Histoire
d’une âme
Augustin
nous permet de découvrir l’histoire de son âme dans son livre si
connu ayant
pour titre « Les
Confessions ».
Une âme se doit
de discerner le péché, l’erreur et le mal comme
le bien, la vérité et la beauté.
Elle
ne juge pas pour
condamner mais
elle
discerne pour
reconnaître Dieu :
sous le prétexte de cette
formule devenue
malheureusement une ritournelle
qui
s’entend trop souvent : « Il
ne faut pas juger. »,
trop de Chrétiens s’abstiennent,
non seulement de reconnaître le bien et le mal dans
leur quotidien mais
encore de lutter contre la mal. Ils préfèrent
rester
dans une attitude lâche qui pourrit tout le message du Christ qu’ils
prétendent
défendre alors qu’ils le méprisent par
leurs comportements ayant
abdiqués un don de Dieu : l’intelligence (discerner
la vérité est une lutte de l’esprit et faire
connaître la
vérité est
un combat spirituel à
ne jamais négliger).
Élévation
mystique
La
lecture des Confessions
aide le lecteur à vivre une élévation mystique qui ne se vit pas
dans une extase mais dans un enveloppement de lumière issue
du cœur que seule
l’intelligence
peut
distinguer :
la lumière de la Vérité de Dieu dans nos vies, de Dieu qui se
donne et
qui
s’offre à tous.
En
tant que théologien, il nous
éclaire sur le
mystère de la Création, sur
la
Trinité et la Rédemption (contemplation).
En tant que philosophe, il développe une démarche de réflexion
capitale avec la « Cité
de Dieu »
(action).
L’homme
extérieur (nous y reviendrons) pratique une autoanalyse : prise
de distance avec ses déterminismes de naissance, de culture,
d’ethnie ; rejet d’un masque sociétal (cette
mauvaise
habitude, assez
ordinaire,
qui consiste à se réfugier derrière le masque d’une fonction non
pour l’accomplir mais pour paraître) ; écoute
de la Parole se faisant entendre dans les Évangiles.
Le
premier résultat est la découverte de l’homme intérieur (cet
homme nouveau qui doit naître).
L’homme
intérieur utilise sa raison, son intelligence pour se forger une
pensée à la lumière de la Parole. Son cœur s’illumine et
commence ainsi sa naissance à Dieu.
Trouver
le chemin de la vérité n’est pas facile et Augustin constate très
vite deux fausses voies : le scepticisme des Académiciens et le
manichéisme.
Une
âme en recherche de quelque chose
Auteur
prolifique, nous pouvons suivre son
cheminement spirituel pendant
ses cinquante ans d’écriture. Il a adopté, à ses débuts, le
matérialisme
compliqué des Manichéens (une
gnose ayant une ressemblance avec ce
qui sera plus tardivement ce
catharisme, né
en Allemagne et qui s’étendra jusque dans le Sud de la France)
et le scepticisme
intégral des Académiciens (de
Pyrrhon – grec de la fin du IVe
s. av. J. C.) que
lui suggère
sa
lecture initiale de Cicéron qui conduit à douter
de tout
(ce
doute qui
sera associé au nom de Descartes).
Le
doute est une expérience du désespoir pour
quelques-uns 5
mais, chez Augustin, ce doute 6
devient un préalable à cette expérience qui conduit à découvrir
Dieu, intérieur à soi. Ce doute n’est qu’un moment passager 7
avant de découvrir les certitudes de la foi : Perdre les
illusions sensibles pour laisser la Vérité se révéler en son âme.
Ce
doute se retrouvera chez Montaigne, Pascal, Descartes, Hegel… avec
des fruits fort
différents !
A
20 ans, Augustin est professeur d’éloquence, un maître de la
communication comme
nous le dirions
de nos jours, et il définit cette fonction en ces termes : un
« marchand
de mots »
8.
Reconnaissons que, lui, il manie aussi bien la beauté
de la langue
que la logique
que tous les communicants, de
nos jours et qui envahissent nos media, ne
possèdent pas.
Il
enseigne la lecture, l’étude des auteurs et les exercices
d’improvisation. Sans avoir découvert la foi, il cultive déjà
des
valeurs précieuses : la loyauté, l’honnêteté et la vertu.
A 19 ans, une
lecture de l’ « Hortensius »
9
de Cicéron lui ouvre tout un champ de réflexion qu’Augustin 10
prospectera à fond : pour lui, cette lecture est une invitation
à découvrir la
sagesse en soi.
Comme première clef philosophique, c’est déjà bien. Lorsqu’il
nous dispense une méthode pour y parvenir, c’est encore mieux.
Comment
découvre-t-il la Bible ? Vous serez surpris mais sa
première
lecture
de la Bible 11,
dans sa jeunesse, le rebute : les
traductions latines qu’il lit le choquent car c’est du mauvais
latin ; les pages de l’Ancien testament le heurtent (crimes
odieux, ruses lâches : en
effet, de Caïn à Judas, nous découvrons toutes les perversités de
l’homme).
Il en
donne à
plusieurs reprises dans les Confessions
les
raisons :
la
principale
est, par
exemple (Confessions
V,
10),
ce
qu’il dit en
s’adressant
à Dieu :
« Il
me semblait tout à fait honteux de croire que vous ayez revêtu une
chair humaine et que vous vous soyez enfermé dans les contours d’un
corps comme le nôtre. »
12.
Cet
aspect, à
la suite d’une lecture de Platon,
traduit un mépris du corps qu’Augustin ne conçoit pas encore
comme pouvant être sanctifié. Nous y reviendrons.
Le
contexte intellectuel dans lequel Augustin s’est formé étant
tracé, approfondissons son chemin spirituel qui a commencé
par des erreurs qui nous instruisent comme elles l’ont
instruit : il ne suffit pas que l’intention initiale qu’est
l’amour de la vérité pour atteindre une sagesse soit louable,
encore faut-il adopter les bons moyens pour y parvenir.
Manichéisme
et la nature du mal
Il
arrive à chacun d’entre nous de s’interroger sur la nature du
mal et du pourquoi de son existence. La question doit se poser, sans
aucun doute et il était inévitable qu’à la suite de Platon et de
Cicéron qu’Augustin s’interroge à ce sujet.
Son
intellectualisme, non éclairé par la foi, le fait suivre d’abord
les manichéens. Pour ces derniers, l’univers est le théâtre d’un
éternel combat entre le Dieu du Bien et le dieu du Mal. Il se laisse
prendre par le caractère ésotérique, les rites secrets magiques
des disciples de Mani 13
(qui sont nés au IIIe s. de notre ère). Le manichéisme
est un système totalitaire 14
offrant des réponses à tout avec les apparences de la rigueur et de
l’universalité15.
Augustin a le sentiment de disposer d’une doctrine englobant vérité
scientifique et vérité morale. En fait, il s’aperçoit qu’il
est la victime d’une sorte d’éblouissement intellectuel aussi
passager qu’aveuglant. Approfondissant leur doctrine, il réalise
qu’elle est en totale contradiction avec les faits. Par exemple,
pour les manichéens, la génération charnelle est maléfique. Le
manichéisme resurgit d’ailleurs de nos jours dans un matérialisme
dialectique (ce système binaire très anglo-saxon se résumant
ainsi : « Je suis le Bien, le Mal est tout ce qui est
contre mes intérêts. » ; cet individualisme ravageur
qui domine le monde), dépourvu évidemment de tout spiritualisme.
Nous
n’allons pas traiter plus du manichéisme car notre attention se
porte à Augustin qui rejette finalement cette doctrine. Pour
l’instant, retenons principalement que sa recherche manichéenne a
été motivée par son désir de comprendre la nature du mal.
Augustin discerne l’erreur de ce dualisme manichéen en une
réflexion qui mérite toute notre examen pour répondre à cette
question basique : Qu’est-ce que le mal ? Son
enseignement nous parle maintenant et reste à la portée de tous.
Le
Mal
En
effet, la foi lui ouvre les yeux et il découvre son message
primordial car apparent dès la Genèse : le mal est la
corruption du Bien. Expliquons ceci.
Tout
est de Dieu. Toutefois, il existe diverses corruptions visibles et
invisibles. Le mal à rejeter ne se considère que par rapport
au bien qui est recherché. Le souverain mal est celui qui est
recherché alors que le souverain bien est connu. La Sagesse
souffle sur la terre dès les origines de l’homme pour distinguer
ce qu’est le Bien et c’est pourquoi nous La trouvons chez
d’autres civilisations que celle chrétienne :
Ainsi,
la nature du péché se définit tout simplement chez Augustin :
« …
[l]e péché n’est pas désir d’une nature mauvaise, mais
renoncement à une nature meilleure. C’est donc l’acte
même qui est mauvais, et non la nature dont use mal le pécheur. Car
le mal, c’est d’user mal d’un bien».
Retenir
ce seul enseignement de saint Augustin est déjà une richesse
merveilleuse car source de compréhension de tant de faits humains.
Au final, il y a même l’espoir que tout homme, même le plus
mauvais qui soit, possède encore en lui ce germe de bien qui peut
susciter, en lui, la nécessaire conversion, sa nouvelle naissance
qui fera de lui un homme nouveau. N’est-ce pas déjà prodigieux de
reconnaître cette force de Dieu, intérieure à chacun d’entre
nous et qui ne demande qu’à agir c’est-à-dire à germer, si
nous le voulons bien ?
Une
conversion
Comment
Augustin a-t-il connu sa conversion ? A Milan, il avait entendu
l’évêque Ambroise sans ressentir immédiatement la conversion du
cœur. Sa rencontre fut plus tardive avec Dieu et de façon subite.
Écoutez cela.
Dans
son jardin de Milan, il entend une voix intime qui prononce ces
mots : « Tolle et lege »16,
ce qui l’incite à lire les Épîtres de Paul 17 :
cette lecture suscite sa demande du baptême et le conduit à mener,
pendant trois ans, une vie contemplative, alimentée par la Bible, en
compagnie de quelques proches 18.
Malgré
les lourdes charges19
que lui impose ensuite sa vie d’évêque, il ne cesse pas de mener
une vie monastique (dont est issue la règle de St.
Augustin 20)
tout le restant de sa vie.
Œuvres
majeures.
Sur
le chemin de la Foi Augustin est un guide sûr. Avant d’entreprendre
la suite de cet exposé, il est utile d’insister sur quelques-uns
de ses écrits.
L’œuvre
la plus connue est sans aucun doute « Les Confessions »
mais « La Cité de Dieu »21,
les Sermons, les Lettres, et les Commentaires des
Psaumes méritent une lecture
attentive.
Pour
les fidèles en charge de catéchèse, je recommande tout
spécialement deux
titres où ils trouveront les fondamentaux pour accomplir leur
mission : Enseigner
le christianisme et
la Catéchèse des débutants.
Lorsqu’il s’agit de parler de la Trinité, je suis toujours
surpris des difficultés que certains prêtres et des croyants, dit
« engagés »,
rencontrent pour en parler : Augustin traite ce sujet avec
délicatesse et toutes les références nécessaires dans son livre
merveilleux que tout Catholique 22
devrait prendre le temps de
lire : La
Trinité23.
Avec
un style jamais pris à défaut, il propose une exégèse (une
interprétation pour le dire en terme plus simple)
à la fois mystique
24
( c’est-à-dire ouverte à
la signification profonde de la Parole de Dieu) et
allégorique (ouvrir
l’esprit aux symboles qui signifient des abstractions) :
rien que pour ce livre, il a
bien mérité
le titre de docteur de l’Eglise.
Une
intelligence pour découvrir Dieu
Sa
devise est véritablement comme
il le dit : « Intellige
ut credas »25.
La Foi
est un don de Dieu que seule la raison
peut nourrir. La foi débute dès que l’homme cherche, au
moyen de son intelligence,
les raisons de l’existence
du Beau et
du Bien, images de
Dieu. Oui,
c’est par
l’intelligence que
l’homme parvient à
trouver Dieu. Et c’est
dans le cœur de l’homme
qu’il faut chercher le
point de départ de la connaissance de Dieu.
Pourquoi ? Augustin en
donne une démonstration que je vous résume et qui ne doit vous
être qu’une invitation à
le
lire.
Dans
la Genèse, il est écrit que Dieu a fait l’homme à son image
et à sa ressemblance. Ainsi dans tout homme, il y a la possibilité
de trouver l’image de Dieu. Elle existe mais elle est parfois
bien cachée, voire ignorée par l’homme : ceci n’est pas la
faute de Dieu mais, bel et bien, la faute de l’homme volontairement
aveugle. Car Dieu nous laisse libre 26
de Le reconnaître, de Le refuser ou même de L’ignorer
en nos vies : Dieu s’offre à nous sans condition.
Que d’exigences révèle ce constat ! Toutefois reconnaître
Dieu ne suffit pas encore faut-il Le vivre dan son quotidien. D’où
des questions impératives :
- Donnons-nous par nos vies l’image de la présence de Dieu ?
- Par un égotisme outrancier, ne cultivons-nous pas une image narcissique, stérile, stupide et vaniteuse qui éloigne de Dieu nos proches ?
- L’exercice d’une fonction n’aveugle-t-il pas son détenteur au point d’oublier Dieu en son for intérieur ?
Ainsi,
à travers ces quelques
questions, c’est toute une
réflexion sur le péché d’orgueil, pouvant
être aussi spirituel, qui
s’ouvre 27.
La
raison est nécessaire
pour trouver Dieu dans sa vie : cette
même raison doit
cependant accepter le
mystère de la Foi.
Nos
facultés humaines sont limitées par nos sens, notre condition de
mortel en
ce qui concerne le corps. Par
contre l’âme, immortelle,
avec le souffle de l’esprit, peut s’élever pour approcher
l’Ineffable qu’est Dieu. N’oublions
pas que Dieu, venant
à nous pour nous signifier combien Il nous aime,
a pris chair en Jésus et
qu’Il n’a
pas enseigné une doctrine mais un art de vivre, avec
les Évangiles,
que le christianisme a mis en
doctrine : celle-ci
a commencé avec les
Actes des Apôtres et les
Épîtres de saint
Paul.
« De
Trinitate » : La Trinité
L’ouvrage
théologique et philosophique le plus accompli d’Augustin porte ce
titre. En soi, il mériterait à lui seul un exposé. Il a marqué
tout le Moyen Age mais a
influencé
encore plus
tard : Pascal,
Descartes, Malebranche et Leibnitz. Vous y trouvez toute la
saisie intellectuelle du Dieu trinitaire qui reste cependant un
mystère.
Le dernier chapitre ou
livre
XV,
véritable synthèse et
servant de base à toute recherche personnelle,
est probablement celui qu’il convient de lire en premier avant
d’aborder une lecture systématique de cette fine analyse de
l’Ancien et du Nouveau Testament.
Dans
les sept premiers livres, Augustin décrit la réflexion
intellectuelle
qui est
issue
de
la révélation trinitaire
dans la Bible pour en chercher l’intelligence, la compréhension. A
partir du livre VIII,
il
suit un cheminement inverse : la
réflexion part de
l’intelligence
pour
rejoindre la révélation trinitaire.
Nous
disposons ainsi d’une
véritable méthode de contemplation
afin de s’élever vers Dieu.
Je
ne peux que dire à chacun : « Lis
st
Augustin et
réjouis-toi de t’élever selon tes dons reçus : la joie de
cette découverte te donnera la force de supporter tous les
épiphénomènes de la vie. ».
L’âme
révèle Dieu
L’originalité
de cet ouvrage tient à sa valeur et
sa
vérité
psychologiques.
Augustin démontre que l’exploration
de l’âme humaine nous rapproche de Dieu 28.
Il apporte ainsi une nouvelle mise
en œuvre de
cette formule si connue de Socrate : « Connais-toi
toi-même. »
et
c’est reconnaître qu’il n’est pas si évident de se
connaître !
Pour
apprendre quelque chose sur
soi,
il faut en avoir le désir. Tout d’abord, il y a la reconnaissance
d’une ignorance réelle qui motive la recherche d’un savoir qui
a une valeur, une « beauté »
dit Augustin. La
recherche de ce savoir naît d’un désir qui s’assouvit par la
pensée.
Le
péché originel est
la coupure de la vision directe de Dieu : la
chute de
l’âme
est
la perte de ses
yeux intérieurs. Les
désirs du monde extérieur et
les soucis du quotidien font
oublier l’existence même de Dieu dans notre intériorité
spirituelle qui
s’amenuise petit
à petit pour
se réduire
finalement
à
moins que rien 29.
C’est
l’âme attachée aux biens corporels, à son ego et à ses
déterminismes : la mortelle
maladie
de l’âme.
Chacun
se doit de retrouver son âme dans sa pureté originelle, dans sa
simplicité en retranchant tout ce qui la coupe de la vision de Dieu.
Elle doit se détourner
du
voile tentateur de
l’extérieur et des fausses images enregistrées
dans la mémoire.
La
pensée est une mémoire, une intelligence et une volonté au
service de l’âme.
Chercher
Dieu exige une volonté de la pensée mettant la mémoire au service
de l’intelligence.
Rythme
ternaire
Si
Dieu s'est révélé
comme Trinité à travers l'Ancien Testament et du Nouveau, Augustin
conclut que des
traces de cette nature divine subsistent dans
l'âme humaine. Il analyse les analogies grâce auxquelles nous
pourrons approcher de ce mystère de Dieu.
Ainsi,
à travers toute la création, Augustin retrouve un
rythme ternaire révélateur formant une sorte d’harmonie
:
- mesure, nombre, poids ;
- unité, forme, ordre ;
- être, forme, subsistance ;
- physique, logique, éthique ;
- naturel, rationnel, moral.
Ces
images trinitaires émerveillent l’esprit de saint Augustin. Il est
à souligner qu’il réfute une comparaison de la Trinité avec la
famille constituée d’un père, d’une mère et d’un enfant :
pour lui, c’est refuser cette parfaite égalité30
entre le Père, le Fils et le Saint Esprit et donc créer une
confusion fâcheuse dans ce qu’est la Trinité31.
Il
poursuit dans l'homme son observation des
facultés psychologiques qui sont autant d'images trinitaires :
- esprit, connaissance, amour ;
- mémoire, intelligence, volonté ;
- mémoire de Dieu, intelligence, amour.
Il
en révèle leur valeur analogique qui donne ainsi tout un nouveau
sens au « Connais-toi toi-même » de Socrate :
- la mémoire peut se souvenir non seulement de l'homme, mais aussi et encore de Dieu ;
- l'âme pense donc à Dieu et aime, non plus une créature dont elle se souvient, mais Dieu lui-même.
Le
« Connais-toi toi-même. » d’Augustin se révèle
dans les Confessions. Chacun d’entre nous est amené à
pratiquer cet examen de conscience dans son quotidien pour
discerner dans sa journée ce qui a été l’œuvre de Dieu dans nos
bonnes actions et quand nous avons manqué le bien, en ne
l’accomplissant pas ou en le diminuant. Examen de conscience
entraîne prise de conscience et en se remettant à la
confiance placée en Dieu comme à Sa miséricorde, nous pouvons
mener une vie non culpabilisante32
mais qui glorifie la gloire de Dieu en luttant pour Lui et contre son
Adversaire à deux faces que sont le Mal et le Mensonge, sous toutes
leurs formes, et malheureusement parfois là où on s’y attend le
moins. Dieu, pour s’accomplir en nos vies, exige notre acceptation
par la pensée et par la volonté pour discerner
et pour agir.
Accepter
le mystère de Dieu
Toutefois,
il conclut que toute cette perception humaine de Dieu,
aussi sensible qu’elle peut l’être, n'est qu'image,
approximation, manière de parler33.
Tout ce que notre réflexion humaine peut concevoir de plus proche
de Dieu se heurtera au mystère de Dieu car nos capacités
sont limitées même si celles-ci font reculer toujours plus ces
limites. La vie humaine enseigne plusieurs étapes de connaissance.
L’embryon
perçoit son monde limité à la matrice maternelle; à la
naissance, le bébé croit à sa seule existence, à ce qu’il
touche ; l’enfant perçoit très vite sa dépendance aux
autres et l’adulte en devenir perçoit, progressivement et dans
des proportions variant d’une personne à l’autre, des vérités
non perçues à l’enfance 34.
Nous sommes nés au monde et c’est seulement à notre naissance
à Dieu (qui commence déjà au baptême) que, dans la mesure où
notre volonté ne nous laisse pas aveugles ou ne nous détourne pas
de Lui, nous verrons Dieu tel qu’Il est.
Il
y a donc aussi une progression dans la
connaissance de Dieu qui nécessite une mémoire des
émerveillements devant la Création 35,
une intelligence face aux événements et une volonté de
la pensée pour désirer le Beau et le Bien, ces deux signes de
la Présence de Dieu. Ainsi débute la démarche mystique que
tout homme peut accomplir à partir du moment où il écoute
la Parole de Dieu résonner en son cœur, pour
raisonner sur Ses œuvres et les chanter comme le
Psalmiste.
L'esprit
humain, vicié par le péché, est faible en succombant au monde
extérieur ou à de multiples formes de narcissisme mais l'âme
humaine «toujours raisonnable et intelligente... parce
qu'elle a été faite à l'image de Dieu, peut,
à l'aide de la raison et de l'intelligence, comprendre
et voir Dieu.»
(De Trinitate, XIV, 4). La
qualité d’une âme est le propre de l’intériorité de l’homme
qui est un être spirituel lorsqu’il n’abdique pas ce qui fait
justement sa dignité d’homme.
Or nous vivons de nos jours dans une Europe
qui est
en train de perdre
tout sens
spirituel 36.
Il
est grand temps qu’elle retrouve
son âme par
sa
spiritualité
qui
a fait sa
force
pendant deux millénaires. Il convient de refuser la décadence de
l’esprit.
Que
les Chrétiens encore attachés à la Foi restent
cette minorité agissante (le
levain) pour
un monde nouveau, dans
cette masse silencieuse, abrutie de tant de façons différentes.
L’homme
extérieur et intérieur
Pour
notre sujet, le livre XII de
La
Trinité
est
essentiel. Augustin établit la distinction entre science
et sagesse :
cette
distinction
qui nous conduit à discerner l’homme
extérieur
de l’homme
intérieur.
« Tout
ce que, dans notre âme, nous possédons en commun avec les bêtes
est à juste titre considéré comme appartenant encore à l’homme
extérieur. »
(XII,1). Il faut y adjoindre le corps,
la vie,
les sens
qui permettent de sentir les choses extérieures. Les images,
provenant des sens
et fixées par la mémoire 37
et revenues par le souvenir,
sont aussi de l’homme extérieur. « Dans
tout cela il n’y a aucune différence entre nous et les bêtes si
ce n’est que notre posture n’est pas horizontale mais
verticale. »
(idem). Ce qui nous distingue de l’homme extérieur, c’est l’âme
raisonnable,
une
grâce de Dieu à ne pas négliger.
Cette
âme raisonnable se
dévoie tragiquement
quand elle se soumet au corps en niant ce qui a de plus haut en
elle :
sa substance
spirituelle
qui l’élève vers Dieu, non
par cet
orgueil,
voulant
placer
l’homme comme un dieu,
mais par
esprit
de justice,
expression
d’une
véritable humilité,
qui consiste à reconnaître
l’œuvre du Créateur dans
Sa Création.
Là intervient la pensée
qui donne
cette volonté
de
chercher
Dieu par la contemplation
des choses éternelles.
Cette
pensée, animée par l’Esprit, permet l’action raisonnable sur
les choses temporelles (nous
y reviendrons brièvement avec « La
Cité de Dieu »).
La
pensée
se distingue
par deux aspects :
la science
et la sagesse.
La sagesse,
substance
incorporelle et propre
à l’intérieur
de l’homme,
est supérieure à la science,
qui est le
lien entre l’homme extérieur et l’homme intérieur
car elle part des sens pour
nous faire participer intérieurement à Dieu.
Oui
répétons-le : la
science nous conduit de l’extérieur de l’homme à son intérieur
pour aboutir à une sagesse
qui nous fait contempler
les réalités éternelles.
« La
vie quelle qu’elle soit, est présente dans la bête en qui n’est
pas présente la sagesse. »
(XV, 8). Être heureux intérieurement,
c’est être esprit, être
juste
et être
bon :
ainsi
est la
joie de l’homme sage
selon la
sagesse de Dieu qui est la force de Dieu dans nos vies.
L’homme
est un corps mortel
et
une âme immortelle :
il est utile de le souligner en ce temps où le culte du corps est
sacralisé de façons diverses, au
point de nier l’existence de l’âme.
La pensée n’est pas l’âme mais le meilleur de l’âme quand
elle nous permet d’approcher Dieu. La pensée
désire la connaissance,
la dilection
(ou l’amour spirituel) de
la connaissance.
L’homme
intérieur, par
la pensée,
fait appel à sa mémoire (constituant
une science
qui dicte
aussi prudence),
à son intelligence (discernement
à la lumière de Dieu pour
agir)
et
à sa volonté (besoin
de vérité et de justice que nécessite l’action éclairée).
Dieu
nous a donné une âme
raisonnable :
il convient de l’utiliser car c’est le plus beau « talent
38 »
qui soit donné à tous, en
des proportions diverses, et qu’il
faut faire fructifier.
Être
un
Chrétien
n’est pas être un crétin 39
du
genre « bénit
oui-oui » à tout et à n’importe quoi mais
c’est
se
mettre au service de la Parole 40
de Dieu dont la contemplation permet de faire percevoir la Présence
de Dieu dans sa vie, dans son quotidien. Oui,
cette perception étant faite, il convient de la faire transparaître
dans sa vie : ceci exige du courage pour que le vrai se révèle
à tous.
Le
Christ a
offert
sa vie corporelle sur
une croix mais
Son Esprit demeure depuis
sa résurrection et la Pentecôte.
Saint Paul nous dit bien qu’il faut être le soldat 41
du Christ : le soldat spirituel doit accepter la lutte et ne pas
renoncer en abdiquant devant les forces du mal 42.
Maintenant
que nous avons décrit l’homme intérieur selon Augustin, nous
percevons déjà mieux ce Dieu intérieur qui se révèle en nos
cœurs. Prenons le temps de considérer comment la pensée
augustinienne nous élève vers cette perception.
Recherche
du Dieu intérieur
La
lecture de Platon, le disciple de Socrate, permet d’atteindre un
sommet de la pensée humaine qu’a gravi Augustin. Mais celui-ci
nous invite à nous élever plus haut encore par la pensée.
Pourquoi ? Avec Platon, la pensée grecque distingue une âme
à la fois spirituelle et immortelle et un corps matériel,
voué à la maladie et à la mort. Le corps grec, malgré sa
beauté chantée par les sculpteurs et les arts, est considéré par
Platon comme une prison de l’âme.
Or
à la lecture des Évangiles (de saint Jean plus particulièrement)
et des épîtres de saint Paul, Augustin découvre une réhabilitation
de l’homme tout entier qui est tout à la fois un corps et
une âme.
D’ailleurs,
l’art chrétien ne cesse de chanter la beauté des corps et des
âmes : le corps nu ne choquait pas Moyen Age et un puritanisme
outrancier 43
n’est qu’une déviance de l’esprit. Le corps permet à l’âme
de s’accomplir dans l’action.
Mais
avant le christianisme déjà, plus d’un philosophe 44
a déjà observé cet instinct d’immortalité qui pousse l’homme
à risquer sa vie, son bien vital et donc le plus précieux, pour
sauver les siens ou son semblable 45.
Le
Christ, Dieu incarné, a sacrifié sa vie mortelle pour sauver
tout l’humanité : comment rester indifférent à un tel
message ? A lire saint Paul (p. e. : Cor
1,15), notre corps actuel n’est pas une prison mais mais un
instrument précieux nous mettant en contact avec le monde extérieur.
Le corps, qui n’est plus soumis à l’esprit, peut peser sur l’âme
mais l’esprit donne cette volonté à l’âme immortelle à
s’élever vers Dieu immortel et éternel, et ainsi à nous
transcender, à nous transfigurer : ainsi commence la
résurrection tout simplement.
De
nombreux signes de résurrection ont été et sont donnés à
l’homme : la vie du Christ qui peut que nous interroger au
plus profond de notre cœur ; le Saint Suaire qui est ce
cinquième évangile pour les scientifiques et tous les saint Thomas
de la terre ; les vies de nombreux saints soit par leurs
sacrifices, soit par leurs dons de voyance ou de guérison pouvant
survenir après leurs morts.
Et
il y a encore ces petites résurrections ordinaires, auxquelles nous
ne prêtons parfois même plus attention qui sont des miracles
extraordinaires et aussi tout simples, ceux de notre quotidien :
une rencontre à un moment opportun, une parole juste, un geste, une
écoute, une décision...soit qui peuvent redonner un sens à la vie,
soit qui poussent à agir pour concrétiser le Beau et le Bien dans
la vie, la sienne comme celle des autres.
Il
a suffi à Augustin d’explorer son âme, sa vie pour arriver à
cette conclusion qui se résume ainsi en s’adressant à Dieu, qu’il
reconnaît être au cœur de toute création : « Je
n’existerai donc point, mon Dieu, je n’existerais point du tout,
si vous n’étiez en moi. Ou plutôt je n’existerais point si je
n’étais en vous, « de qui, par qui et en qui
toutes choses ont l’être. ». Oui, c’est ainsi
Seigneur, Seigneur, oui c’est ainsi. » 46
La
philosophie et la simple lecture de la Genèse ont conduit Augustin à
une analyse intérieure qui lui permet d’accéder aux sources de la
conscience et aux racines de l’être : là où Freud n’a
trouvé que la prédominance du sexe 47,
Augustin a, par contre, découvert Dieu en son âme.
Son spiritualisme n’est pas un idéalisme car l’existence
indéniable de l’âme 48
n’exclut pas la matière. La matière existe et elle est bonne en
soi quand elle loue le Créateur. Nous retrouvons là un aspect que
je vous ai déjà présenté avec Hildegarde de Bingen. Dieu a voulu
enrichir le monde créé avec la beauté et la joie : la beauté
se trouve dans un paysage, un ciel étoilé, le visage d’un enfant
ou de la femme aimée, le visage d’une personne âgée et illuminée
par la Présence de Dieu, par une musique harmonieuse, une poésie,
un chant, une fleur, un insecte, un oiseau, un animal… Tout ceci ne
peut être que des sources de joie. Oui, que de beautés à
découvrir. Oui, des Psaumes peuvent chanter avec raison les
merveilles de Dieu.
Unité
des champs de connaissance
A
la différence du thomisme outrancier, qui fera l’objet d’une
prochaine présentation, selon saint Augustin, toutes les
connaissances se complètent. Les disciples de Thomas d’Aquin
ont trop segmenté 49
les champs de la connaissance en des disciplines variées (c’est
une maladie intellectuelle de notre temps) : psychologie,
métaphysique, esthétique, morale, etc. Je préfère la pensée
augustinienne qui englobe tout, à celle développée par le thomisme
qui tend à faire croire que la théologie soit un ordre absolument
distinct des acquisitions de la seule raison.
La
lecture de l’Evangile de Jean exalte Augustin par l’élan
mystique qu’elle lui procure. Celle de saint Paul lui fournit les
limites de l’homme ignorant Dieu et les moyens non seulement pour
découvrir Dieu mais pour Le faire transparaître dans nos vies.
Péché, discorde, règne de la mort sont les fruits de la
dégradation humaine du Bien, de ce Bien voulu par Dieu. La véritable
conversion c’est redécouvrir Dieu dans sa vie. C’est la grâce
de Dieu révélée en son incarnation : Jésus Christ.
Cité
de Dieu
Avant
de conclure, en quelques mots car le sujet mériterait un autre
exposé, il me faut parler de cette œuvre majeure souvent mentionnée
et pas toujours lue.
La
Cité de Dieu est une cité idéale, ayant inspiré de
nombreuses utopies, je pense à Érasme ou Thomas More. Augustin
invite l’homme intérieur à extérioriser son âme dans des
actions au profit du bien commun : à porter des fruits. L’homme
ne vit pas seul mais avec les autres à qui il doit laisser
transparaître ce Dieu intérieur qui l’anime.
De
ce livre de philosophie politique, le plus connu est le chapitre
XIX où il démontre que les biens de la cité terrestre
peuvent servir à la cité de Dieu : une exigence politique se
dessine dans l’instabilité de l’histoire de l’homme sur la
terre.
La
quête de l’homme sur terre est une paix perpétuelle qu’il
cherche même à obtenir par la guerre : les furies idéologiques
et les désirs de puissance ont régulièrement fait, à cette paix
pourtant désirée, des obstacles, causes de pertes humaines
tragiques. Augustin propose une paix, qu’il appelle plutôt
tranquillité, qui repose sur l’ordre : qui part
de l’homme intérieur, c’est-à-dire que chacun d’ entre nous
doit y travailler, pour « se diffuser » aux
autres50.
Son analyse est riche d’enseignements et il vaut la peine de le
mentionner brièvement pour vous inciter à le lire.
Qu’est-ce
que l’ordre de la cité selon Augustin. Cet extrait (XIX,
13) est suffisamment éloquent pour ne pas être plus développé
et portez votre attention sur cette gradation progressive qui conduit
à la cité de Dieu 51
:
- « Ainsi la paix du corps, c’est le tempérament bien ordonné de ses parties ;
- la paix de l’âme irraisonnable, le repos bien ordonné de ses appétits52 ;
- la paix de l’âme raisonnable, l’accord bien ordonné de la connaissance et de l’action ;
- la paix du corps et de l’âme, la vie et la santé bien ordonnée de l’être animé ;
- la paix de l’homme mortel et de Dieu, l’obéissance dans la foi sous la loi éternelle.
- La paix des hommes, c’est la concorde ordonnée 53 ;
- la paix domestique, c’est entre les hôtes du même foyer, la concorde et l’ordre de l’autorité et de la soumission 54 ;
- la paix de la cité céleste, c’est l’ordre et la concorde, une société dans la jouissance de Dieu, dans la jouissance mutuelle de tous en Dieu.
- La paix de toutes choses, c’est la tranquillité de l’ordre. »
La
paix est un fruit de la jouissance de Dieu : une joie
intérieure, une paix intérieure au cœur du fidèle à Dieu. Pour
la partager avec les autres, il faut la connaître en soi. Cette paix
n’est pas passivité, abdication devant les forces du mal ou encore
indifférence au sort d’autrui. Cette paix établit un lien autre
avec la souffrance qui fait partie de le vie (les ombres de la paix).
Cette paix n’exclut pas la lutte dans le monde terrestre car il
faut se souvenir des paroles du Christ , dans Mathieu, 10,
32-34 : « Quiconque se déclarera pour moi devant les
hommes, je me déclarerai moi aussi pour lui devant mon Père qui est
aux cieux ; mais quiconque me reniera devant les hommes, je le
renierai moi aussi devant mon Père qui est aux cieux.
N’allez
pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je
ne suis pas venu apporter la paix mais bien le glaive. ».
Il
s’agit du glaive de justice qui tranche entre les hommes de bien et
les hommes serviteurs du mal : les Évangiles distinguent le
« bon larron » du « mauvais larron»
et il n’est pas dit que le mauvais ait été sauvé ! Satan
lui-même est jugé par Dieu et il n’y a aucun doute sur son sort.
Dieu est miséricordieux mais pas injuste… En effet, la paix du
Christ n’est pas en ce monde qui Le refuse ou qui, pire, Le combat
mais dans Son royaume, la Cité de Dieu où, tous, nous sommes
appelés à y entrer pour autant que nous ne L’ayons pas renié
dans nos vies !
Conclusion
Augustin
cultive un art dialectique dans ses démonstrations : la
thèse et l’antithèse, il ne les oppose pas mais il les accorde ou
les concilie en ce qu’elles peuvent avoir de commun pour surmonter
l’erreur de l’une afin de révéler le vrai de l’autre. Ainsi,
il instaure un dialogue, un échange d’idées instructif pour
celui qui veut réfléchir avant de formuler une opinion :
chemin vers la sagesse.
Il
distingue les erreurs, dues à l’ignorance du vrai et
donc involontaires, des mensonges, qui sont volontaires
et le fruits d’une connaissance du vrai pour dire le faux 55.
La
lecture de st Augustin n’offre pas un système mais propose
une démarche, sans cesse en mouvement, sans cesse perfectible,
pour approcher Dieu qui se révèle à l’homme.
Il
ne s’agit pas d’une théorie abstraite mais d’une quête
humaine de l’existence de Dieu dans nos vies.
La
mort prend dès lors un tout autre sens : ce n’est plus
une fin mais la naissance à une autre dimension suprahumaine et
éternelle, c’est-à-dire divine.
Notre
sens et notre recherche du bonheur signalent ces traces, ces
souvenirs du paradis perdu qu’il est possible de redécouvrir au
moyen de notre âme.
Notre
philosophe de l’âme nous ouvre à une véritable spiritualité qui
respecte la personne : l’homme n’est pas un individu
parmi d’autres, mais une création unique et originale, à la
ressemblance de Dieu par Sa volonté et la
multiplicité de Ses images, à travers la multitude des vrais
croyants, signifie Sa grandeur.
Notre
connaissance du vrai passe par la vue de l’âme, éclairée à la
lumière de Dieu qu’est Sa Parole, exigeant donc préalablement une
écoute56.
L’âme est stérile si elle reste dans l’incapacité de
discerner l’erreur, le mensonge et le faux du vrai car le Christ a
dit : « Je suis le Chemin, la Vérité et la
Vie. ».
Augustin
préconise l’unité de toutes les connaissances car vie
morale, vie intellectuelle et vie affective se tiennent ensemble et
en harmonie. L’intellect se doit de ne pas ignorer le cœur.
L’esthétique
est un des moyens de découvrir la beauté de Dieu dans Sa Création.
La transcendance que découvre st Augustin est une invitation à
chacun d’entre nous à nous dépasser pour découvrir Dieu dans
notre quotidien.
Voulez-vous
ne retenir qu’une phrase de cet exposé ? La voici qui
résume ce qu’est la spiritualité chrétienne : L’âme de
l’homme intérieur, grâce à l’intelligence du cœur et
de la raison, conçoit sa pensée à la lumière de Dieu, devenu
intérieur : Lumière de Vie.
Vous
souhaitez me contacter
pour
discuter, entendre une conférence à ce sujet ?
C’est
facile :
antoine.schule@free.fr
1 Lui-même
n’en a pas : sa démarche invite à réfléchir, nous donne
ses conclusions, parfois provisoires, mais il ne les impose pas.
Lui-même les révise tout au long de sa vie. En homme de son temps,
il nous livre son analyse, sa pensée : il y a beaucoup à
retenir, à méditer et quelques éléments ont été revus (enfant
mort sans baptême p. e.et leur sort tragique selon Augustin : ce
que corrigera Benoît XVI d’ailleurs avec raison).
2 Son
stoïcisme l’attire tout spécialement et le marque profondément.
3 Qui
trahissent honteusement leur origine parfois : il en va de même
dans une famille humaine...
4 Démonstration
est faite avec Augustin que la philosophie peut conduire à la
religion.
5 Surtout
de nos jours !
6 Confessions :
V, 10 : « J’en vins à estimer les philosophes
qu’on appelle Académiciens plus sages que les autres pour avoir
professé qu’il faut douter de tout et que l’homme ne peut
étreindre aucune vérité. »
7 La
nuit de Dieu d’un st Jean de la Croix.
8 Confessions :
livre IV, chapitre 2 : « L’art de vaincre par des
bavardages ».
9 Dont
il ne nous reste que quelques extraits.
10 Confessions :
III, 4. « « Cette lecture changea mes sentiments ;
elle tourna vers vous, Seigneur, mes prières […] je désirais
l’immortelle sagesse. »
11 Influence
des manichéens sur la nature du mal: Confessions, V,
11.
12 La
lecture de Platon lui fait conclure ce genre de raisonnement.
13 Né
en le 14 avril 216, en Babylonie. Abstention de vin, de nourriture
carnée et d’activité sexuelle. A mon avis, exemple d’un
radicalisme typique de faux prophète très à la mode de nos jours,
avec juste ce bémol : la sexualité est acceptée dans la
mesure elle n’est pas un acte générateur.
14 Caractéristique
propre à une secte.
15 C’est
ainsi que la gnose plaît tant encore actuellement. La
Franc-maçonnerie en est un exemple de nos jours : une
adaptation souple aux besoins de cette quête humaine de la vérité
mais la véritable question est de savoir si elle détient vraiment
une vérité et laquelle ? La vérité est pour tous et non
pour quelques initiés selon un message évolutif : la vérité
est et ne peut pas être sujette à des gradations, pire à des
variations. Elle se laisse approcher et plus le Chrétien
s’approche d’elle, plus il découvre un mystère de l’infiniment
grand comme de l’infiniment petit... C’est cela l’humilité
chrétienne qui n’interdit pas la recherche mais reconnaît les
limites humaines à la parfaite connaissance.
16 « Prends
et lis ».
17 Première
lecture qui s’impose aux esprits pragmatiques.
18 Notez
bien que sa démarche n’est pas solitaire.
19 Présider
quotidiennement la liturgie, prêches, catéchisme, défendre les
pauvres devant le fisc impérial, tuteur d’orphelins, juge dans un
tribunal civil, luttes contre les hérésies (donatistes, pélagiens,
manichéens), abondante correspondance, rédaction d’ouvrages,
nombreux voyages à dos de mulet, participation aux conciles ...
20 Je
peux vous la présenter si vous le souhaitez.
21 Il
lui a fallu 14 ans pour finaliser cet écrit.
22 J’ai
entendu trop souvent des « cathos » de « bonne
foi » (sic)
nier la Trinité, voire même la résurrection : c’est
ignorer tout simplement la Foi ! Pourtant, certains d’entre
eux sont chargés de transmettre la Foi… Il y a de quoi
s’inquiéter quand il y a confusion entre Foi de l’Église
(établie en deux millénaires) et foi personnelle (bricolage
spirituel sur mesure : le « fidèle » prend ce
qu’il veut, rejette ce qu’il veut et, au final, se prend pour
Dieu ; une sorte de secte individuelle).
23 Augustin
a écrit ce livre de 15 chapitres, en 20 ans.
24 Issue
de l’Evangile de Jean principalement.
25 « Comprends
pour croire ».
26 Il
n’est pas ce Dieu dictateur de l’Ancien Testament et Maurice
Zundel insiste sur cette particularité en parlant avec justesse de
la liberté de la Foi, qui demande un consentement libre, comme de
la joie de la Foi, ce don de Dieu qui réjouit l’âme.
27 Lorsque
le Pape François s’insurge contre certaines formes de
cléricalisme, à juste titre, il ne dit pas autre chose.
28 Hildegarde
de Bingen, dont je vous ai déjà parlé, nous révèle aussi ce
constat.
29 Avec
le temps, il y a une accoutumance produisant cet oubli de Dieu qui
produit ce que j’appelle des morts-vivants.
30 L’existence
d’une famille suggère une antériorité du père et de la mère
par rapport à l’enfant : or la Trinité existe depuis le
commencement et il n’y a pas un de ses éléments constitutifs qui
soit antérieur ou postérieur à l’autre.
31 Magnifiquement
illustrée par l’icône de Roublev qu’il me faudrait vous
présenter une fois .
32 Ce
moyen très utile au Mal pour faire abandonner le chemin du Bien.
D’où l’utilité de la prise de conscience de ses fautes et d’y
remédier.
33 L’humilité
intellectuelle de l’homme est là.
34 Ainsi
de notre vivant, nous vivons de nombreuses « petites
morts », le bébé, l’enfant, l’adolescent que nous
avons été n’est plus et pourtant il né à chaque étape un
être nouveau : de l’homme ancien, nous devenons l’homme
nouveau.
35 C’est
ceci la véritable humilité.
36 Les
philosophes, même athées comme Michel Onfray, le reconnaissent. Ce
qui est surprenant ! Je veux croire que derrière leur refus de
Dieu, il y a une recherche qui, un jour, les conduira tout de même
vers Dieu. Je regrette toutefois le mal qu’ils produisent dans les
âmes faibles qui en viennent à nier l’existence de Dieu.
37 L’oubli
est une forme de mort à ne pas oublier : l’oubli de Dieu est
une des causes de décadence de l’Europe. Car l’homme se prend
dès lors pour un dieu et croit qu’il peut faire n’importe quoi
(ce qui est grave chez un chef d’État par exemple).
38 Référence
à la parabole des talents, bien entendu.
39 Être
réduits à des moutons de Panurge comme
c’est affligeant !
Suivre le Bon Berger n’est pas courir après le premier bouc venu
- qui sait revêtir les formes les plus imprévues qui soient -
pour se noyer et non pour être sauvé !
40 Le
Verbe, lire le prologue de l’Evangile de Jean.
41 Que
les antimilitaristes m’excusent mais, pour défendre le droit
et le juste, il faut exercer une force spirituelle et parfois
physique. L’injustice adore les timorés et il n’en manque pas
en notre temps de lâcheté.
42 Comportement
vil revêtu de cette belle hypocrisie commune : « Il
faut aimer ses ennemis. ». Lorsque ce précepte
est faussé, c’est le moyen le plus sûr d’abdiquer devant
les forces du mal en se donnant bonne conscience. Un oreiller de
paresse qu’affectionnent les inactifs et qu’encouragent les
manipulateurs.
43 Fruit
de l’érotisation des corps au XVIIIe s. : le
corps est vu comme un objet et non comme l’enveloppe d’une âme.
44 Pris
au sens de Pythagore refusant le titre de « sage ». Un
philosophe étymologiquement est un« ami ou désireux de la
sagesse ».
45 Lire
les gestes héroïques de tant de civilisations différentes.
46 Confessions,
I, 2.
47 Peut-être
le stade anal de sa conscience...dont on voit vite le bout car le
champ est limité...
48 Aussi
invisible que la pensée et pourtant la pensée existe aussi.
49 Je
parlerais volontiers en terme plus prosaïque de « saucissonnage »
dont je ne nie pas cependant l’utilité pour une première
approche ; ensuite toutefois, il faut appréhender le vaste
champ de la connaissance dans sa globalité, à la façon
d’Augustin.
50 Changer
soi-même au lieu de vouloir changer les autres : tout le
contraire d’une dictature... la force de l’exemple.
51 Je
scinde volontairement les différentes propositions pour vous
faciliter la lecture.
52 L’âme
irraisonnable car simple satisfaction des instincts même
si modérés : boire, manger, dormir, s’abriter, se reproduire.
53 Je
dirais que c’est l’harmonie.
54 A
la loi éternelle de Dieu, ne pas confondre !
55 Notion
à bien garder à l’esprit face à un interlocuteur dont il s’agit
d’apprécier la sincérité.
56 Écouter
pour voir, pour comprendre le Maître de toute sagesse. Je rappelle
que la lecture se faisait à haute voix à cette époque : la
lecture silencieuse est une pratique commune plus tardive.