lundi 5 février 2018

Adrien Schülé : La langue française en Suisse romande (Bourges, 1963).




La langue française en Suisse romande.

Adrien Schülé de Villalba

Mis en ligne par Antoine Schülé de Villalba
le 5 février 2018

Il s’agit du discours de réception de mon père à l’Académie de Bourges, dont la direction était assurée par le comte Penin de Jarrien, et présenté le 16 juin 1963. Depuis 1958, Adrien avait enfin pu reprendre ses activités préférées dans ce qui lui fut une nouvelle vie. Il m’a donné la passion de l’histoire et j’ai plaisir à partager sa communication qui diffère de la mienne que j’ai déjà mise en ligne. Les deux se complètent et lire l’une ne dispense pas de lire l’autre !


Le quart de la population de la Suisse est de langue française et c’est au nom  mes confrères romands que je vous salue très cordialement.


Louis Chazai écrivait dans la Revue Indépendante : “ Nous sommes au fond, les mêmes fils d’une même patrie spirituelle et nous avons pour mission de conduire à bon port, en dépit des tempêtes, des courants et des récifs, le navire qui porte dans tous les pays du monde l’âme même de la France. ”
En effet le prestige romand, dans la Confédération helvétique, fut très souvent conditionné par le rayonnement intellectuel, politique et social de la France dans le monde : votre pays source de notre culture et de notre moyen d’expression n’est pas sans répercussion sur nous.
Nos yeux, nos pensées se dirigent vers vos Académies, vers la France, Etat qui pourrait se croire à jamais promu au rôle de grandes puissances et de flambeau de la civilisation, tant ont été et sont brillantes son histoire et sa culture. Dans l’aire de cette communauté linguistique à laquelle nous sommes intégrés bon gré, mal gré et même si les cantons romands ont poursuivi, dans des mesures différentes, la recherche d’un mode d’expression qui leur soit propre, ils ont tous bénéficié nécessairement du rayonnement culturel de Paris. Ces apports nous sont encore nécessaires, indispensables pour résister à une influence alémanique et germanique toujours plus menaçante.
Il est inutile de rappeler que nous devons tout ce que nous avons de meilleur à la France.
Nous pensons et ne doutons pas que, malgré les guerres, les crises de tous genres qui vous atteignent parfois et grâce à l’élite intellectuelle française qui a le sens de l’intérêt national, la France puisse être toujours promise à de grandes destinées.
Nous croyons que la “fameuse mission civilisatrice ” de la France conservera tout son sens et toute sa valeur.
Notre mission, n’est-elle pas animée par le même sentiment réconfortant de contribuer à l’élévation morale et intellectuelle de nos pays et d’affirmer notre présence dans l’effort qu’accomplit l’humanité pour atteindre sa haute destinée sous la protection de Dieu tout puissant !
Et maintenant, vous permettrez que j’entre dans le vif du sujet. Comme Péguy, je puis dire : “ O mes pères, quand je suis venu à Paris avec vos mains et votre accent, j’étais aussi affolé qu’un mouton qui descend de la montagne. Mais je ne suis pas un étranger là où des noms qui ressemblent au mien sont inscrits sur les pierres tombales. Et si vous n’entendez pas que le bruit de mon bâton sur la route, moi je m’entends traînant un chœur de voix provinciales. ”

La langue française en Suisse romande

En France, des voix autorisées ont dénoncé à plusieurs reprises les périls auxquels est exposée la langue française, non seulement menacée par la poussée des langues étrangères, mais victime d’un abâtardissement qui n’a rien de commun avec l’évolution naturelle et souhaitable de toute langue vivante. Il en est de même en Suisse romande.La Suisse est une Confédération de 22 cantons (Etats) autonomes, préfiguration des Etats Unis d’Europe. Deux éléments ont contraint la Suisse à la création de petits Etats : Dans la montagne, l’isolement géographique des vallées alpestres a provoqué la constitution de républiques paysannes ; sur le plateau, la force d’attraction des villes a conduit à la création de républiques urbaines. Que ces petites républiques (où l’on parle quatre langues officielles et divers patois) aient pu affirmer leur indépendance et la maintenir depuis la disparition de la féodalité jusqu’à nos jours, au milieu d’un monde de grandes puissances, est une des choses étonnantes de l’histoire universelle. Par l’affirmation de leur indépendance politique, les cantons ont pu défendre et développer leur originalité spirituelle et, de ce fait, la vie intellectuelle et culturelle de notre pays s’est extraordinairement enrichie. Autant de républiques suisses, autant de centres de culture dont chacun peut offrir ses éléments spirituels originaux et contribuer au bien général dans sa volonté de travailler à un idéal commun.

Origines de la langue française

Les deux premiers textes connus en langue française sont le serment prononcé à Strasbourg en 842 par Louis Le Germanique ; puis en 881, un chant d’église en quatorze versets, la cantilène de Sainte Eulalie. En 813, le concile de Tours décréta qu’à l’avenir les prêtres feraient leurs sermons en français (lingua romana rustica ). La littérature est encore toute latine.Par les Croisades, les peuples se trouvent mêlés et les chansons de geste se répandent dans les pays de langue française. Leurs textes supposent un art conscient et savant, la pensée d’un écrivain qui choisit et ordonne.Les chansons de geste chantent des héros qui étaient les protecteurs d’églises glorieuses, où l’on gardait leur tombeau ou des reliques. Ces églises étaient des étapes sur leurs chemins qui menaient à des pèlerinages célèbres. Les chansons de geste ont été composées par des gens d’église, par des clercs ou pour des clercs. Elles divertissaient et édifiaient les pèlerins, qui faisaient halte à l’église. Elles ont été écrites par des gens de métier pour un but précis. Ainsi, dès son origine la littérature française est une littérature. Elle n’est pas une sorte d’œuvre collective et instinctive, elle témoigne d’une pensée réfléchie et d’un art calculé et elle est, pour l’essentiel, française, écrite par des gens de France pour des publics de France.Cette littérature est pénétrée d’une foi simple et sûre. Les règles de vie sont inscrites dans les règles que donne l’Eglise ; et l’au-delà est enfermé tout entier dans les promesses du paradis et les menaces de l’enfer. A cette foi religieuse se joint l’esprit chevaleresque. Ce n’est pas un idéal subtil ; il s’enferme dans le respect d’une hiérarchie fondée sur la naissance (le lignage), sur l’honneur qui lie le vassal (l’homme lige) à son suzerain, sur le respect de “dames ” et le culte de la dame que l’on a élue pour l’aimer.Cet esprit de foi religieuse et de chevalerie donne déjà à toute cette littérature un caractère national. Bien que la France soit morcelée en provinces qui s’ignorent ou guerroient entre elles, il n’y a guère littératures locales. Tout ce qui est écrit en langue d’oïl peut être goûté par tous les pays de langue d’oïl. Les exploits de Roland (1098) et les farces de Renart sont goûtées par les mêmes publicsDans ces chansons, il faut combattre pour son Dieu, contre l’infidèle. Pour Dieu et pour son honneur, il faut être preux. Puissions-nous encore nous inspirer de ces grandes fresques d’héroïsme !

Situation des langues en Valais

La haute vallée du Rhône et les vallées latérales qui descendent au fleuve constituent l’exact territoire dévolu à un petit peuple. Par ses portes et ses fenêtres, le Valais communique avec le Nord et le Midi, l’Est et l’Ouest.En jetant un coup d’œil sur l’architecture qui l’art le plus révélateur, on verra qu’à des données autonomes s’ajoutent les apports de la France et de l’Italie, de la Suisse alémanique, voire de l’Orient. Les langues sont diverses, les sangs assez mêlés et l’histoire compliquée.Le phénomène de la formation d’une langue nouvelle, le roman, nous pouvons le suivre ici comme dans toute l’Helvétie, comme dans toutes les Gaules. Les dialectes romans du Valais appartiennent au même groupe que les dialectes savoyards, le groupe des patois franco-provençaux (nord du Dauphiné, l’est du Lyonnais, la Savoie, la vallée d’Aoste, la Suisse française, la Bresse et le sud de la Franche-Comté).Ces patois sont encore vivants dans de nombreuses régions du Valais romand, les enfants apprennent le français à l’école.Le Valais romain appartiendra aux royaumes successifs de Bourgogne. Dès le XVIe siècle, les engagements des soldats et des officiers valaisans en France sont constants et l’influence de la France se maintiendra. La langue des petits salons sédunois, sierrois, de St. Maurice et de Loèche sera la langue de la cour française.De 1798 à 1813, le Valais devient province française (1810, Département du Simplon).A partir de 1844, le français et l’allemand (de Sierre au Gothard) sont considérés comme langues nationales.Le patois est de moins en moins parlé, le français gagne du terrain.

Le français en pays de Vaud

Toutes les régions de la Suisse romande ont un passé différent. Le Vaudois est, dit-on, un Savoyard, - certains disent un Bourguignon - mâtiné de Bernois qui essaie de parler le français.Avec la conquête romaine, le gallo-romain devint la langue du pays et le latin fut enseigné dans les écoles d’Aventicum (Avenches, la capitale de l’Helvétie romaine qui comptait 60 000 habitants). La chute de l’empire, l’arrivée des Burgondes et des francs “ces bandes chevelues de géants voraces ” (selon le mot de Sidoine Apollinaire, évêque de Lyon) introduisirent quantité de mots germaniques comme en Gaule voisine. Nous avons une idée du latin d’alors par la chronique de Marius, le savant évêque d’Avenches.La domination de la Savoie (1230) fit que le français devint, dès le XIIe siècle, la langue des actes officiels. Mais cette langue était encore en formation et avait ici, comme en France, bien des difficultés à surmonter. C’était un ensemble de dialectes, différant souvent par leurs nuances de contrée en contrée. Au Pays de Vaud, elle produisit des chroniques, comme celles de Bagnyon qui précise que son français est incorrect, son langage rude et grossier. La vie de Louis de Savoie par Catherine de Saulx a plus de charme par sa candeur. Par contre le normand Martin Le Franc est l’auteur d’une prose alerte et riche, de phrases bien construites. Quant à Othon de Grandson, il passa une grande partie de son existence à l’étranger.Les Vaudois eurent une langue souvent incorrecte, riche en provincialisme mais pittoresque, ainsi Pierrefleur et Viret le réformateur qui ne dédaignaient pas l’emploi du patois. La Réforme eut cependant une influence incontestable au point de vue linguistique. Jusqu’alors notre français était un jargon où l’Ile de France, la Savoie, la Bourgogne – nous avons encore une quantité de mots communs avec l’une ou l’autre de ces deux provinces – et l’Allemagne étaient également représentées. Sans étouffer nos dialectes, la Réforme amena avec Théodore de Bèze et d’autres, le souci d’une langue plus pure, l’établissement de réfugiés exerça une véritable emprise. Les nécessités de la prédication, des discussions théologiques développèrent chez nous une langue plus claire, plus logique, sinon élégante et pittoresque.
Depuis 1536, les Bernois occupèrent le pays. Le français demeura cependant la langue de l’Eglise, de l’école, de la vie publique et privée. Le français jouissait à Berne de son prestige de langue universelle, parlée aussi bien à la cour de Prusse qu’à celle de Russie. Rentrées du service de France, les aristocrates bernois parlaient le français. Et si vous voulez, au XVIIe siècle, trouver en Suisse romande des écrivains d’un style élégant et pur (à part Rousseau qui était plus Français que Suisse et Mme de Charrière, qui était Hollandaise, lisez les oeuvres d’authentiques bernois tels de Sigismond de Lerber, de Sinner de Ballaigues, Vincent de Tscharner, de Bonstetten, Béat de Muralt, etc.).
Il y eut l’influence de nombreux français qui séjournèrent sur les rives lémaniques. Gibbon a relevé que l’esprit de Voltaire, sa table et son théâtre contribuèrent à raffiner et à polir les mœurs des Lausannois. Ce fut l’ère des académies de beaux esprits. : l’abbé Raynal, Suzanne Curchod qui contribua à faire fleurir toute une littérature inspirée de l’Hôtel de Rambouillet et de l’Astrée. Nous avons toujours subi l’influence de Paris (sur le plan culturel et politique) avec un demi-siècle de retard. L’Encyclopédie d’Yverdon et les romans de Mme de Montolieu en sont des exemples.
Alexandre Vinet eut le grand mérite de donner à notre langue une attention soutenue et perspicace. Persuadé que le génie de la langue est celui du peuple qui l’a formée, il donnait la plus grande importance à son étude. Il était persuadé que dans l’enseignement secondaire l’étude du français devait être primordiale et approfondie. La grammaire, pour lui, se plaçait entre la philosophie et les arts du goût. “ Une langue parfaite serait la vérité même. Des négligences de style ne sont fautes vénielles, elles ont une importance essentielle car la corruption de la langue est toujours morale. ”. Pour Vinet, la langue est ainsi que la foi, le bien le plus précieux.
Philippe Godet a remarqué que chez les Vaudois, rien n’affecte des contours trop accusés, que notre langue a de pittoresques et de délicieux artifices de clair-obscur et de sous-entendus. Il est difficile sans doute de tracer un portrait parfaitement exact du caractère vaudois et la langue est l’expression du caractère d’un peuple. Notre pays a produit les héros de Benjamin Vallotton (le sergent Bataillard et le commissaire Potterat) mais aussi Davel, Vinet, Warnery, Charles Secrétan ou Juste Olivier, des poètes, des idéalistes.
Le Vaudois affectionne les formes indéfinies, les formules indéfinies, négatives ou dilatoires : “ On a bien le temps, on verra. On verra voir venir. ” D’un avare, il dira : “Il n’est pas très généreux. ”, d’un homme fortuné “Il n’est pas pauvre. ”ou “Il y en a de plus pauvre que lui. ” Au tribunal, il s’agissait de savoir si un accusé avait été en état d’ébriété et les témoins d’affirmer : “ Oh ! vous savez, pour dire qu’il était ivre, on peut pas direon n’a pas bien fait attentionon pensait pas qu’on aurait à venir à témoigner, on a pas tant l’habitude de la justiceIl avait bien bu un verre comme tout le mondeOuais, il branlait bien un petit peumais vous savez. ”.
Depuis cinquante ans, il y eut en pays vaudois une évolution dans le domaine des lettres. Ramuz, Edmond Gilliard (mon ancien maître), Paul Budry, Morax, Cingria, Ansermet, Piachaud, Auberjenois, Fernand Chavannes et quelques autres forment l’équipe des Cahiers vaudois et se préoccupent de donner à la langue une importance nouvelle. Ils ont donné à plusieurs le goût et le sens du style. Il est certain que, depuis eux, nos écrivains ont plus de couleur, de force, de sensibilité.
Ramuz dit du français vaudois : “ Les Vaudois ont abandonné le patois sous l’influence de l’école, comme d’autres provinces, mais ils n’ont pas perdu leur accent, et ils parlent avec l’accent vaudois un certain français redevenu très authentiquement vaudois, plein de tournures, de mots à eux et, par rapport au français de l’école, plein de fautes. C’est ce parler vaudois qui est la vraie langue des Vaudois, le français qu’on leur apprend à l’école est pour eux une langue morte qu’ils ne parviennent pas à parler correctement et qui leur demeure étrangère. Nous avons deux langues. Une qui passe pour la bonne, mais dont nous nous servons mal, parce qu’elle n’est pas à nous, l’autre soi-disant pleine de fautes mais dont nous nous servons bien, parce qu’elle est à nous. ”.
Edmond Gilliard proclame, lui, que notre langue est le français : “ Le français, c’est ma langue à moi, je n’en ai qu’une, je ne puis en avoir qu’une, je n’en aime qu’une, je n’en vis qu’une ; c’est la langue de ma terre, c’est ma langue d’instinct, c’est ma substance, c’est celle par qui s’affirme que je suis d’un pays, le mien ; que je suis une personne, moi. Notre langue est le français de France et de chez nous, un instrument de travail agricole, un outil de labour. Langue de producteurs, de cultivateurs, et non de revendeurs. ” Gilliard qualifiait de “ faux, chez, nous, la pastorale, la littérature champêtre, la littérature du monsieur qui villégiature aux champs et celle du paysan qui s’endimanche pour la ville. ”.
Gilliard va jusqu’à dire que notre devoir national suisse nous impose à nous Vaudois, le plus sacré respect de la parole française.
Le parler vaudois est bâtard. Il n’a ni la noblesse du patois autochtone, ni la clarté logique du français. Il est pétri de germanismes et de solécismes.
Eugène Rambert le tolérait : « Il est une foule d’histoires qui, pour avoir leur sel, demandent à être racontées dans cette langue et dans aucune autre. ».
Le parler vaudois a de vieux mots qui chassent les idées noires, qui sont réfractaires aux admirations niaises et au snobisme prétentieux : bourgater, trivougnée, rapicoler, boutefas, étertir, s’aguiller, bricelet, pive, tavillon, motzon, gonfle (congère), etc.  ; pour désigner des défauts : bedoume (idiot), batoille (bavard), piapia ( ), nianiou (nigaud), taborgnau (maladroit), bobet (sot), belaud (lourdaud), crazet (petit), bottatzon, quenoyon, piorne, etc. de nombreuses personnes font la guerre aux accents vaudois, valaisans, genevois, etc. qui ont autant de saveur et de raison d’être que l’accent bourguignon ou toulousain ou marseillais. Tout est affaire de mesure et de circonstance.
Je ne parlerai pas de l’influence de l’argot, du jargon sportif, de l’anglomanie, de l’influence germanique sur notre langue. Je pense que la défense et l’illustration du français sont la mission de tous ceux qui parlent et écrivent, de tous ceux qui sont soucieux de l’avenir de leur langue et du destin de leur canton. Il n’y a pas d’instrument plus fin, plu souple, plus subtil et partant plus précis, mais aussi plus délicat que notre langue française. Il ne s’agit pas de franciser notre pensée, ni d’abandonner nos particularités, mais de revêtir cette pensée d’une forme française. Dans la mesure où nous y parviendrons, nous remplirons notre mission de canton romand.


Genève


De Vaud, passons à Genève qui est le plus français des cantons suisses.
Le Genevois veut être indépendant et libre dans son langage, comme il l’est dans ses lois. Je me bornerais à citer l’intervention énergique de M. Plud’hun (Louis Warin, professeur à la faculté des lettres, au début de notre siècle), en faveur du français de France. Sa brochure « Parlons françaisquelques remarques sur la langue et la prononciation » parut en 1904. Elle fit beaucoup de bruit et en fait encore et reste une source de discussions passionnées (Philippe Godet, Albert Bonnard, etc.). Il y déclare : “ Le français dont l’usage s’impose, c’est, selon nous (Plud’hun), le français de France ou plus exactement tout moyen d’expression qui rentre assez dans les habitudes générales de cet idiome pour que, dans son emploi, il ne puisse résulter aucune entrave dans l’échange des idées, qui est la mission de notre langue. ”.
Quelques exemples donnés par lui :
« Ne pas dire :                                 Dire :
Traverser le pont                             passer le pont
Tracer un mot                                 biffer un mot
Le but est rempli                             le but est atteint
Je m’étonne s'il viendra                 je serais curieux de savoir s’il viendra
Je m’en inquiéterai                        je m’en occuperai
Il a marié une institutrice              il a épousé
Faire chercher le médecin             appeler le
Son doigt amasse                           son doigt s’enflamme
La conduite qu’il a menée             qu’il a tenue
Il se mine                                       il se ronge
L’affaire est bouclée                      .décidée
Le thé est tiré                                le thé est fait
Il ne peut s’en ravoir                    il n’en revient pas. »
La brochure de Plud’hun contient ainsi des centaines de locutions vicieuses que l’on retrouve dans les cantons romands. Elle rend de grands services aux maîtres de français.
Le français de France est certainement le bien précieux d’une vaste communauté à laquelle nous appartenons. Nous ne pouvons nous en retrancher, ce serait mettre en péril notre culture, et nous abandonner au hasard, avec tous ses risques, dans l’affirmation même de notre personnalité nationale. Dans le genevois, comme dans le français du canton de Vaud, de Neuchâtel, de Fribourg, du Valais ou du Jura bernois, comme dans les provinces de France, de la Belgique ou du Canada, il faut déplorer la pauvreté, l’inefficacité de nos expressions locales, les tours vicieux, les phrases qu’on ne voit pas finir, le vague, l’à-peu-près, la confusion, les adjectifs et les noms détournés de leur sens véritable, l’hésitation de la parole, sa lenteur, sa lourdeur.


Le français en pays de Fribourg


Trait d’union germano-latin, Fribourg se distingue et se trouve séparé de ses voisins par sa situation. Marche frontière où s’affrontent deux langues, il participe à deux civilisations. Au cours de son histoire, il sera constamment disputé, tiraillé entre les deux influences : allemande et romane. Une sympathie hésitante l’attire vers le Sud ; des habitudes, des traditions, des amitiés voire des intérêts le retiennent vers le Nord. Plutôt que de se laisser entraîner, il demeure entre deux courants et leur résiste à tous deux. Au Français, il donne l’impression d’une seigneurie oubliée par la ruine du Saint Empire féodal. Mais le Germain qui, venant du Nord, passe la Sarine, s’arrête surpris : pour lui, c’est déjà la latinité. Gonzague de Reynold écrit dans “ Cités et pays suisses ” : “ Mariant les rêves embrumés du Nord aux chaudes couleurs du Midi, Fribourg, Sienne helvétique, notre Bruges, notre Assise, est un jalon prestigieux sur la route éblouissante et royale qui relie la Nuithonie à Rome, à la latinité. ” et “ On voyage volontiers en Suisse, on ne s’arrête pas à Fribourg, on y vit. ” ou encore « On aime Berne comme on aime une épopée ; Genève comme on aime la science ; Bâle, comme on aime à feuilleter un livre latin d’Erasme, illustré par Urs Graf ou par Holbein ; on chérit Fribourg comme une aïeule qui, le soir, aux enfants raconte, près du feu, une histoire de sa jeunesse ”.
Cette histoire, pour nous, est celle de sa langue. Le contraste y apparaît derechef, reflet de caractère ethnique. Dans son originalité façonnée par l’usage et le temps, un langage révèle à qui sait l’interpréter quelque chose de la psychologie du groupe auquel il sert d’expression.
Sa population primitive est mêlée, composite et bilingue dès l’origine : colons alamans et gallo-burgondes coudoient les hommes de Souabe, qui suivirent le duc de Zaehringen fondateur de Fribourg. La prédominance des Romands sur les Alémanes s’affirme dès le XIIIe siècle. La population parle un français mâtiné de patois, qui permet aux fidèles de comprendre saint Vincent Ferrier, lorsqu’il prêcha le carême à Fribourg en 1404. Le grand dominicain s’exprimait en dialecte limousin ou auvergnat qui, se rapprochant assez de l’idiome en usage, était accessible à ses nombreux auditeurs. La Constitution ou Lettres des Bannerets de 1404 est entièrement libellée en langue d’oïl. C’est à ce moment qu’apparaît le premier poète fribourgeois : Petermann Cudrefin, chancelier de Fribourg. Outre la rédaction du grand Livre des bourgeois et la traduction romane du Miroir de Souabe, on lui doit un opuscule, non dénué de charme : Ly roman de vraye amor, composé vers 1426. De 1481 à 1830, la langue allemande a tendance à dominer. La Constitution de 1830 porte en son article 15 : “ La langue française est la langue du gouvernement. ”.
A Fribourg comme dans toute la Romandie, le français est une langue d’emprunt, il nous vient de la douce France. Au demeurant les rapports littéraires et culturels de la Suisse romande avec sa grande voisine sont déterminés par cette communauté linguistique.
L’université de Fribourg fondée en 1889 a une chaire de littérature confiée par tradition à un français (à Lausanne également, actuellement Pierre-Henri Simon, critique et romancier).
Fribourg a eu et a des écrivains qui manient élégamment le français, notre langue, et font bonne figure dans l’histoire des lettres romandes. Je cite : Etienne Eggis (un précurseur), Sciobéret, Bornet, Glasson, Alexandre Daguet, Tissot, René de Weck, Pierre Verdon, fondateur de la revue de Fribourg, Henri Bise, un styliste raffiné, Robert Loup, Paul Bondallaz, Pierre Bise, Hubert Gremaud, Auguste Overney, Clément Fontaine, Albert Schmidt, Eric E. Thilo, Eléonore Niquille, Paul Thierrin, l’abbé Ernest Dutoit, critique de grande classe, Gaston Castella, Joseph Jordan et enfin le comte Gonzague de Reynold, le châtelain de Cressier , grand prix Schiller 1955, tient le haut du pavé. Poète d’un puissant lyrisme, historien apte aux vastes synthèses, prosateur qui a le don des images et un sens inégalable de la langue, l’auteur de “Cités et pays suisses ” et de centaines d’ouvrages traduits en de nombreuses langues, est sans contredit le plus grand écrivain de Fribourg et de toute la Romandie. Gonzague de Reynold cumule les titres et les honneurs. Relevons seulement : Institut de France, Académie royale de Belgique, Académie d’histoire de Buenos Aires, Académie de Bourges (président d’honneur), de Besançon, Mâcon, Savoie, Académie rhodanienne des lettres, président d’honneur de l’Union culturelle française, etc.
L’auteur du “Chant de notre Rhône ” nous rappelle que le français est de noble lignage.
“ Dans chacune de nos phrases passe un peu de l’orgueil de Rome, et un peu de grâce d’Athènes et un peu de la farouche sauvagerie des Francs. Pour ceux qui les comprennent et les connaissent, chacun de nos mots porte de la gloire, de l’héroïsme, de la beauté. Les uns ont connu les livres de César, les autres la bouche de Charlemagne. Nos paladins ont été quérir ceux-ci en Palestine et nos pères, pour nous rapporter ceux-là, ont dépouillé l’Italie de ses grâces et la Castille de ses fiertés. ”1
Ce prestigieux passé doit nous engager “à aimer plus encore, dans sa rigueur comme dans sa beauté, cet idiome de raison et de clarté qui relie Fribourg à la pensée et aux terres d’Occident et qui l’a oint pour sa mission. ”2

Neuchâtel

Le problème de la langue française et de sa conservation se pose, dans le canton de Neuchâtel, de la même manière que dans tous les autres cantons romands, par opposition au régime du bilinguisme officiel qui a force de loi en Valais, à Fribourg et à Berne. Le français est donc chez nous, en vertu de la constitution, l’unique langue d’Etat, de la politique, de l’administration, de l’école.Si nous nous reportons à 500 ans en arrière ou même davantage, force nous est bien de constater qu’en ce qui concerne tout au moins la langue écrite, les usages de l’Ile-de-France s’imposaient déjà chez nous avec la même autorité qu’au XXe siècle.Une des plus anciennes chroniques rédigées en français (vers 1486) est intitulée : L es entreprises du duc de Bourgogne contre les Suisses. Trois chartes datées respectivement de 1265, 1267, 1268 sont parmi les documents les plus anciens que l’on ait consignés en langue vulgaire (dialecte franco-provençal).Les comtes de Neuchâtel du XVe siècle encore qu’issus de la maison de Fribourg-en-Brisgau, passent le meilleur de leur temps à la cour de Jean sans Peur, de Philippe le Bon et de Charles-le-Téméraire. Ils en rapportent une assez riche bibliothèque d’ouvrages à la mode parmi les grands seigneurs français de leur époque. La catastrophe de Nancy n’arrête pas cette évolution, car Philippe de Hochberg qui a épousé Marie de Savoie, nièce de Louis XI, passera au service de ce profond politique, pour devenir successivement maréchal de Bourgogne, comme l’avait été son grand-oncle, Jean de Fribourg, puis sénéchal de Provence. L’année qui suivit son décès, sa fille Jeanne, héritière du comté, épousera Louis d’Orléans-Longueville, arrière-petit-fils de Dunois.Le 4 novembre 1530, à une majorité de dix-huit voix contre dix-sept, la bourgeoisie de Neuchâtel abolissait la messe et adoptait la Réformation que lui avait apportée le Dauphinois Guillaume Farel, ancien régent de Sorbonne. On ne saurait exagérer l’importance de ce grand événement politico-religieux en ce qui concerne la fixation de la langue parlée en suisse romande. Le français remplaça le latin dans tous les actes du culte mais, comme bien on pense, il s’agissait d’un français littéraire car ce n’est pas dans leur dialecte local que les Picards Jean Calvin et Olivétan, les Dauphinois Guillaume Farel et Antoine Froment, les Lyonnais Antoine Marcourt et Pierre de Vingle, le Bourguignon Théodore de Bèze eussent pu endoctriner leurs ouailles de Genève, du Pays de Vaud et de Neuchâtel.Dès 1535, Pierre de Vingle fait imprimer à Neuchâtel la Bible dite de Serrières, version due à l’humaniste Olivétan. Quelques années plus tard, les fidèles chanteront les psaumes dans l’admirable langue de Clément Marot. Un premier foyer de culture est fondé par le grammairien et pédagogue normand Mathurin Cordier.Des siècles durant, nos ancêtres avaient entretenu des relations de plus en plus étroites et nombreuses avec la Franche-Comté, alors que Vaudois et Genevois se tournaient vers Chambéry et Lyon.Les Neuchâtelois sont nombreux à se rendre à la cour de France, au service de leurs princes de la maison Orléans-Longueville ou à s’engager sous les bannières des derniers Valois et des premiers Bourbons. L’école de Droit d’Orléans en accueille un certain nombre de même que la faculté protestante de Saumur sous le régime de l’édit de Nantes. La révocation par Louis XIV de cet acte de tolérance se traduisit par une immigration d’éléments français de haute qualité, issus pour la plupart du Languedoc, du Gévaudan, du Rouergue et du Périgord.Les premiers princes de la dynastie de Hohenzollern envoyèrent à Neuchâtel des calvinistes français émigrés à Berlin, comme le général baron de Langes de Lubières, Paul de Froment, né à Uzès en 1664, Philippe Bruey de Bézuc, de même origine et Jean de Natalis, de Montauban.Jean-Jacques Rousseau qui, à l’occasion de son séjour à Môtiers, a bien connu les mœurs de ce pays dit dans sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles : « Ils ont des livres utiles et sont passablement instruits. ».Eddy Bauer s’exprime comme suit au sujet de la défense du français : « Nous sommes persuadés de faire œuvre de bon Suisse en défendant la cause de la culture française. Si elle dépérissait chez nous, notre contribution à la vie fédérale et à l’œuvre helvétique serait cruellement affectée. Que l’on ne nous fasse pas dire que nous plaidons la cause d’une vaine rhétorique à l’encontre des disciplines scientifiques. Il est clair qu’il faut faire aux mathématiques, à la physique, à la chimie, à la biologie dans nos auditoires la large part qui leur revient. Mais on la leur ferait en vain , si nos jeunes gens ne disposaient pas d’une langue correcte, précise et nuancée pour s’instruire. Le mot étant le véhicule de la pensée, les études de lettres doivent conserver leur situation , à la base de l’enseignement.».

Le français dans le Jura bernois

Quoique l’accent de Genève ne soit pas celui du canton de Vaud (chaque canton n’a-t-il pas son accent ?) et que le patois du Valais relève du groupe d’Oc alors que celui du Jura bernois appartient au groupe d’Oïl, la seule unité profonde de la Suisse romande réside dans sa langue. Le développement des moyens de communication a presque éliminé les différences d’expression et l’on peut en somme parler d’un style romand. La crise du français est la même, grosso modo, de Genève à Porrentruy. Cependant, des nuances subsistent, dues à la géographie et à l’histoire dont les constantes résistent au nivellement moderne.Placé au tournant de la chaîne du Jura, à l’endroit où elle s’incurve pour éviter les Vosges et pour gagner la partie germanique de son domaine, le Jura bernois est essentiellement jurassien.Le pays était habité avant la conquête romaine (58 av. J.-C.) par des Celtes qui avaient noms Rauraques et Sequanais. Les comtes d’Alsace eurent des droits sur le Jura bernois avant le prince évêque de Bâle (qui reçut l’appui de Rodolphe 1er).Le problème du français se présente dans le Jura comme dans le canton de Fribourg et nous nous en tiendrons à quelques remarques.Il faut noter qu’actuellement le Jura bernois désire se séparer de Berne3. En 1813, ce pays latin a été malheureusement incorporé à Berne (alémanique et protestant).Dans divers cantons romands, on parle de supprimer l’étude du latin ; dans le Jura bernois, M. Charles Beuchat prétend : « Notre langue descend du latin et aucun intellectuel raisonnable, qui s’est donné la peine d’étudier le français à fond, ne le niera. Pensez-vous alors que la connaissance de cette langue mère ne contribuera pas, dans une proportion énorme, à l’enrichissement de notre vocabulaire, à l’emploi du terme juste, et qu’elle ne permettra pas d’aller plus avant dans les secrets de notre langue française ? Et je ne dis rien de ce développement de la logique, sans lequel personne ne peut espérer réussir en latin. ».Le français chez nous comme à Genève est délicat, exigeant, capricieux même. Il réclame un effort constant, d’autant plus que, placés dans un pays de la Marche, à la frontière des langues, nous devons nous défendre sans cesse contre des périls sans cesse renaissants. Le français est une conquête, une quête perpétuelle, toujours à recommencer et qui exige de chacun un effort de tous les instants. Le français fédéral (celui de l’administration de la capitale à Berne), ce pur produit helvétique, les patois allemands s’attaquent à notre langue qu’il faut défendre constamment. Il est juste de remarquer que le Suisse allemand apprend volontiers le français, tandis que le Romand n’est guère disposé à apprendre l’allemand (qu’il confond souvent avec le suisse allemand si lourd, si guttural, si laid !). La situation spéciale dans laquelle nous nous trouvons, ce devoir à la fois d’assimiler les immigrés et aussi de renforcer chez les autochtones une formation linguistique française, pour qu’ils résistent aux tournures germaniques en tenant en compte des difficultés provenant du tempérament, des habitudes, des influences contraires et pernicieuses, exigent attention et effort de tous ceux qui savent que notre langue est le plus précieux des biens et notre raison d’être. Il est nécessaire que notre langue et notre culture soient fortes, vivantes, qu’elles rayonnent, qu’elles attirent et retiennent l’intérêt. Une langue qui ne songe qu’à se défendre est déjà à demi-condamnée. Pour se défendre, il est indispensable qu’elle s’illustre.

Paris, capitale de la langue et le capital culturel romand.

« Notre minorité romande – conseille Emile Thilo- doit garder avec un soin particulièrement jaloux son idiome ; elle ne peut le purifier, le raviver, l’enrichir qu’à la source même d’où il provient et qui continue à jaillir claire et vive non loin d’elle. ». Lorsque Ramuz, tout ancré qu’il est à la glèbe natale, atteste que notre « capitale de langue ne peut être que Paris », il nous remémore que le français résulte de la grande tradition latine et méditerranéenne et que Paris est notre pôle spirituel comme celui de tout le domaine français.« Par le nombre et l’importance des ouvrages, la langue française est - selon Duhamel - la première des langues dites romanes. Elle porte dans sa substance l’essentiel de l’hellénisme et de la latinité, c’est-à-dire les éléments des deux langues anciennes qui restent au principe de la civilisation occidentale. »En guise d’intermède, je vous rappelle les dates de fondations de diverses Académies : 1200 Université de Paris 1214                       Université d’Oxford 1229                       Université de Toulouse 1459                       Université de Bâle 1463                       Académie de Bourges 1538                       Académie de Lausanne 1559                      Académie de Genève 1582                      Collège St. Michel, Fribourg 1755                      Cours académiques de Fribourg 1889                      Académie de Fribourg 1840 et 1886        Université de Neuchâtel

Dates importantes pour la langue française en Suisse romande :1230        Pierre de Savoie s’empare du Pays de Vaud et le conserve jusqu’en 15361275        La cathédrale de Lausanne est consacrée en présence du Pape Grégoire X et de Rodolphe                    de Habsbourg1509-1564 Calvin1516        Paix perpétuelle des Confédérés avec la France1685        Arrivée des Huguenots chassés de France1798-1803 Occupation de la Suisse par la France.

Il serait injuste de ne pas relever dans ce travail les noms d’écrivains français qui ont séjourné en Suisse et ont fait connaître notre pays :Août 1557            Du Bellay, ami de Ronsard, découvre les GrisonsOctobre 1580       Montaigne est à Baden1759                     Rousseau découvre les montagnes suisses1764                     chevalier du Boufflers, hôte de l’ambassade de France à Soleure1768-1848           Chateaubriand (St. Gothard)1798-1874           Michelet1784                    André Chénier, Porrentruy1799-1850           Balzac1804-1876           Georges Sand
1811-1872           Théophile Gauthier1874                     Flaubert (Righi)1877                     Maupassant aux eaux de Loèche1885                     Alphonse Daudet qui a écrit ces lignes :« Les ascensions ? Rien de plus facile. Les crevasses ? Rien de moins dangereux. Que par malchance, on y tombe : vous tombez sur la neige, Monsieur Tartarin, et vous ne vous faites pas de mal, il y a toujours, en bas, au fond, un portier, un chasseur, quelqu’un qui vous relève, vous brosse, vous secoue et gracieusement s’informe : Monsieur, n’a pas de bagages ? » dans Tartarin sur les Alpes.

Il faut signaler également l’influence du service étranger sur la langue française en Suisse : « Deux millions de soldats, soixante-dix mille officiers, sept cents généraux, voilà ce qu’en trois siècles la Suisse a donné à l’Europe. Quelle évocation ! Seules, les hordes barbares, les légions romaines, les croisés du Moyen-Age, les armées de Napoléon ont traversé l’histoire avec une telle allure d’épopée. » Gonzague de Reynold

Le patois en Suisse romande.
Les patois se sont conservés surtout dans les régions «catholiques » de la Suisse romande. Dans les cantons de Vaud, Genève, il a presque disparu. Il existe des sociétés de «patoisants » qui publient des dictionnaires, des anthologies. En ce qui concerne Neuchâtel, William Pierrehumbert en a laissé un excellent inventaire (1926), fruit de sa vénération pour le génie du lieu et sa sagacité d’érudit.
Il est des contrées où la mixture linguistique est piquante : à Courgevaux (dénommé en allemand : Gurwolf), par exemple, les adultes parlent patois roman entre eux, français à leurs enfants, tandis que ces derniers usent de l’allemand comme moyen de communication verbale. Les séances du conseil communal s’y font en allemand, mais les procès-verbaux sont rédigés en français.
Dans les cantons de Fribourg, dans le Jura bernois et en Valais, le patois nous a sauvés de la germanisation, et non pas le français que ne parlaient alors que quelques intellectuels.
Les autorités fédérales suisses ont décidé de réunir tous les mots du patois romand en un «Glossaire » qui paraît dans «Folklore Suisse » (Bulletin de la société suisse des traditions populaires) et en ont confié la direction au savant spécialiste en la matière : Ernest Schülé de Montana (Valais).
Divers écrivains, tels que le Père Tharcise, Louis Delaloye (Valais) ; Marc Cordey et Nicollier (Vaud) ; William Pierrehumbert (Neuchâtel), Fernand Ruffieux (Fribourg) publient encore des nouvelles, des pièces de théâtre en patois.
Gonzague de Reynold s’exprime comme suit au sujet du patois : « Il y eut un temps où, dans la République et canton de Fribourg, on faisait la chasse au patois, sous prétexte qu’il était nuisible au français. Il est vrai que, mise à part une aristocratie formée en France, et appartenant à ce que les historiens appellent l’Europe française, on ne savait ni versifier, ni écrire, ni même parler le français chez nous, à la fin du XVIIIe siècle. Le français était une langue que les Fribourgeois devaient apprendre. De toute façon, son enseignement ne pouvait se faire qu’aux dépens du patois. Mais il advint que ce fut au dépens du français lui-même. En organisant contre le pauvre «patè » une persécution scolaire, en s’acharnant à l’arracher partout comme de la mauvaise herbe, on n’avait point vu que l’on privait le français de racines et de sève. Il en est résulté qu’il a gardé chez nous un caractère artificiel. Quand nous le parlons ou l’écrivons, on dirait trop souvent que nous sommes en classe et que nous faisons des «compositions ». Nous cultivons le style Bragance, comme l’appelait feu Abel Hermant, la peur du mot propre et de l’expression directe, l’art de ne jamais dire les choses avec simplicité. Notre vocabulaire est pauvre, notre pensée, confuse. Le français fribourgeois (comme le français romand) manque de spontanéité, d’audace, de jeunesse ; il est né avec un visage vieillot, ridé. C’est en effet de la timidité qui nous caractérise.
Je n’en pense pas moins que, si l’on était parti du patois pour enseigner le français, on serait parvenu à l’enraciner dans notre terre, à nous le rendre ainsi plus naturel. On a trop longtemps méconnu, ignoré le droit que possède toute langue de puiser dans ses dialectes, ce que le Zuricois Bodme, dans sa lutte contre l’appauvrissement de l’allemand au début du XVIIIe siècle, appelait des mots-forces. Ce droit, nos lettres romandes ont toujours craint de le revendiquer. Il a fallu que Philippe Godet (Neuchâtel), précisément celui de nos écrivains qui, à la fin du XIXe siècle, possédait le mieux la langue eût le courage de le faire pour elle.
Depuis une cinquantaine d’années, les préventions et préjugés contre le patois et les dialectes sont tombés peu à peu avec les progrès de la linguistique. Aujourd’hui, bien d’autres dangers que celui des patois menacent le français…Défendre le français, ce qui est défendre la pensée et les mœurs, est le devoir de tout Suisse romand, et pas des seuls écrivains ou des seuls professeurs. Mais un des éléments de cette défense est bel et bien la renaissance dialectale.
Dans son vocabulaire, ces images verbales, son rythme, son génie, le patois possède des correctifs aux défauts que je viens de dénoncer. En patois (gruérien, par exemple), il est difficile de faire du style de Bragance, impossible d’éviter le mot propre. Parce qu’il est direct, simple, configurateur, ce parler montagnard ramène de gré ou de force l’écrivain à la réalité, à l’objet, à la terre. Il le rend artiste. Il l’astreint à l’étudier, à travailler sans cesse. Il lui enseigne comment on devient un styliste, c’est-à-dire un homme de métier, puisque écrire est un métier. Il est ainsi un antidote contre le dilettantisme. »

Défense de la «culture » romande.

En 1898, à Bienne, lors d’un Congrès de la Société Pédagogique Romande, M. Grosgurin de Genève avait préconisé l’établissement d’un programme pour toutes les écoles de la Suisse romande et l’unification des moyens d’enseignement. L’idée a été reprise par les Vaudois au 30eme congrès (celui-ci a lieu tous les deux ans) de 1962 et des résolutions très importantes ont été prises. Pour la première fois, des instituteurs de tous les cantons romands, des maîtres de l’enseignement secondaire et universitaire ainsi que des représentants des plus hautes autorités scolaires se sont réunies autour de la même table pour étudier les problèmes communs et vaincre les difficultés communes. Est-ce attenter à l’autonomie de nos cantons que de leur proposer la recherche commune d’un statut scolaire idéal. Les fédéralistes les plus convaincus ne sauraient contester que cette politique en matière scolaire, loin de conduire à un nivellement fâcheux offrira au contraire un moyen efficace de renforcer l’émulation intercantonale, fondement même d’un sain fédéralisme.

Des préoccupations semblables se retrouvent dans un mouvement lancé en 1961 dans les milieux artistiques et littéraires. Sur l’initiative de M. Weber-Perret, homme de lettres à Genève, une «commission pour une collaboration culturelle romande » s’est constituée, groupant des artistes, poètes et écrivains des 6 cantons d’expression française.
Cette aspiration à l’union des milieux culturels romands est significative. Eux aussi, individualistes pourtant par essence, prennent de plus en plus conscience que la Suisse romande est autre chose que «cette région de Suisse où l’on parle français » et que l’asphyxie la guette si un esprit nouveau ne l’anime : « Besoin pour nous Romands de prendre conscience d’unir nos forces », disait déjà Ramuz dans «Besoin de grandeur ». « Notre vie intellectuelle s’ensable dans la médiocrité parce que chaque canton se prend pour le centre du monde. », écrit Maurice Zermatten. Voici l’article 2 de l’Alliance culturelle romande :

« L’Alliance a pour but d’établir une meilleure coordination des efforts dans le domaine de la culture et une collaboration efficace entre les diverses personnalités, sociétés et institutions de la Suisse romande tout en respectant l’autonomie des cantons et les principes du fédéralisme. »

Ici radiotélévision romande

Le développement de la radio d’abord, de la télévision ensuite, est pour une grande part aussi dans cette maturation progressive d’un sentiment communautaire romand. Les ondes ne connaissent pas de frontières, et leur ubiquité même ferait apparaître d’une désuétude un peu ridicule une conception cantonaliste des programmes. Le temps est venu pour la radio de prendre le « virage romand ». M. Méroz déclare : « le grand problème pour la Suisse romande est celui du fusionnement par étapes successives des studios romands. »
Les mouvements d’opinion, les courants spirituels sont des facteurs puissants certes, mais au rôle encore diffus dans ce lent éveil d’une conscience romande auquel nous assistons. Il est des agents d’un autre ordre, concrets ceux-là, qui ressortissent à l’économie et à la statistique. En effet, un peu partout les frontières cantonales craquent sous la pression conjuguée de l’industrie et de la démographie.

Les «Lettres romandes » sur la défensive.

Décidés à faire front à un cantonalisme souvent étroit et à un moralisme étouffant, les promoteurs d’une triennale des Lettres romandes fourbissaient leurs armes au début du mois d’octobre 1962 pour aborder de premières manifestations destinées à s’affirmer et qui se sont déroulées pour la première fois du 6 au 27 octobre 1962 à Genève.
Cette entreprise heureuse et hautement défendable consiste à faire valoir à tour de rôle, chaque année, aux yeux des amateurs de lettres, dans la capitale des cantons situés en deçà de la Sarine, les œuvres les plus authentiques sentant notre terroir romand. Amiel disait : « La Suisse romande est un corps qui cherche son âme. »
Avec cette triennale, voici donc tous nos écrivains romands partis à la découverte de son âme. Les présidents des sociétés d’écrivains : J. Th. Brutsch (Genève), Henri Perrochon (Vaud), Maurice Zermatten (Valais), Francis Bourquin (Neuchâtel et Jura bernois), Auguste Overney et Jean Humbert (Fribourg) présentèrent les œuvres des écrivains de leurs cantons respectifs. Devant les livres, les photographies, les pages manuscrites exposés, à l’occasion de cette triennale, le public s’interrogeait : «  Est-il possible qu’il existe en Suisse romande un si grand nombre d’écrivains ? Est-il possible que certains d’entre eux aient derrière eux une œuvre si importante, que d’autres encore aient écrit des ouvrages d’une portée qui dépasse largement les frontières de notre pays ? ».
On pouvait remarquer sous les vitrines de l’exposition des souvenirs de Ramuz, Cingria, Robert de Traz, des œuvres d’écrivains marquants : Gonzague de Reynold, Maurice Zermatten, Jacques Chenevière, Henri de Ziégler, Marcel Reymond, Henri Perrochon, Vio Martin, Jean Graben, Marcel Michelet, Maurice Chappaz, Corinna Bille, Maurice Métral, Germain Clavien, Jacqueline Ebener, Candide Moix, Jean Follonier, etc., etc.

Je ne voudrais pas terminer cet exposé sans parler d’une Association qui, elle, s’efforce de faire prendre des contacts entre les écrivains français et suisses. J’ai nommé le Syndicat des Journalistes et Ecrivains (de France) dont votre serviteur fut un des premiers délégués pour la Suisse. Depuis de nombreuses années nous combattons pour la réalisation des buts contenus dans l’article premier des statuts de cette Association :
« La société a pour but :
  1. de servir la cause des Lettres françaises et le rayonnement de la langue et de la culture française dans le monde ;
  2. de resserrer les liens de confraternité entre ses membres dont il fait connaître et diffuse les œuvres. »
Notre groupe vaudois organise de nombreuses manifestations, des séances mensuelles, publie un bulletin et travaille intensément dans les divers domaines culturels.
Nous entrons dans une époque de civilisation planétaire ; « l’Europe aux anciens parapets » n’est qu’une des parties vivantes du monde qui se fait. Mais cette participation à l’Europe, au monde, passe par le travail sur le champ qui nous est donné, par la recherche des meilleures moyens de sa « culture ».
Améliorer les conditions de la culture, c’est la façon de montrer une Suisse vraiment ouverte au monde, c’est la manière de manifester notre originalité, d’assurer notre présence malgré la malice des temps.

Je termine en faisant des vœux les plus chaleureux pour la prospérité de votre Académie qui sert si bien la cause de l’Art, de l’Esprit et du Cœur et qui, fidèle à sa mission marche vers son idéal en un long, dur, opiniâtre et si merveilleux combat !

Adrien Schülé de Villalba

Mis en ligne le 5 février 2018
par Antoine Schülé de Villalba (détenteur de tous les droits sur les écrits de son père)

1 Albert du Bois
2 Henri Bise
3 C’est chose faite depuis 1978. Note d’Antoine Schülé.

samedi 3 février 2018

La vie des mots, ces voyageurs dans le temps et l'espace.


La vie des mots

Antoine Schülé


Introduction

Le propre de l’historien est d’être curieux, un curieux du passé bien entendu, non pour satisfaire une curiosité malsaine, pour nuire, pour diffamer mais, tout simplement pour comprendre ce passé qui a construit ce présent dans lequel nous vivons ; ce présent sur lequel nous bâtissons, plus ou moins péniblement, un avenir qui ne dépend de nous que pour une partie car l’historien n’ignore pas que le hasard ou la Providence (l’appellation se déterminant selon la croyance de chacun), détruit, corrige, détourne ou bonifie plus d’un projet, même le mieux conçu et le mieux préparé !

Un historien réunit les faits, les analyse, tente de les comprendre, même quand cela semble défier tout raisonnement logique pour les expliquer et ce qui ne signifie jamais les justifier. Son intention est de donner des réponses aux questions légitimes que se pose tout « Honnête homme ». D’ailleurs, ce qu’il y a de merveilleux dans une recherche historique est que, plus nous réunissons de réponses, plus nous nous posons de nouvelles questions. Oui, le travail d’historien est une quête qui ne finit jamais : c’est ce qui décourage certains mais ce qui motive d’autres, les vrais historiens !

Aussi était-il normal qu’en tant que lecteur de cette littérature médiévale (je vous signale que cela porte sur environ 1000 ans), je me sois intéressé à ces mots soit perdus, soit aux origines oubliées, soit aux sens ayant évolué dans le temps.

Je vous rassure tout de suite, vous n’aurez pas droit à un discours de linguiste ou d’un spécialiste de phonétique. Les linguistes se complaisent en de longues explications étymologiques selon des règles de phonétique qui ne fonctionnent pas toujours et comportant autant d’exceptions que dans la Grammaire française, cela n’est pas peu dire ! Mon but dans cette communication est essentiellement de vous donner sobrement les origines de quelques mots qui vous sont connus et que nous employons souvent mais dont les origines échappent à notre compréhension.

Les mots voyageurs

Chaque mot a une origine, une vie connaissant parfois de nombreuses mutations et parfois aucune : le mot « barbe » vient du latin « barba », le mot « pré » vient du latin « pratum ». C’est simple et clair et ne mérite pas plus d’explication. Toutefois, quelle est l’origine du mot « barba » latin ? Là, vous ne trouverez pas facilement la réponse car en matière d’étymologie, les spécialistes se contentent le plus souvent de remonter à la racine latine ou grecque.

Le sanskrit, une des grandes langues de civilisation en Asie, se retrouve dans les plus anciens mots connus et ayant trait à la vie courante des Gaulois, des Celtiques et de bien d’autres langues, hors du territoire européen. « Sanskrit » signifie « construit» [selon une grammaire établie]. La préhistoire du sanskrit serait, selon les recherches actuelles, le descendant d'une langue encore plus ancienne, dite indo-européenne.
Le premier monument littéraire sanscrit, connu de nos jours, est le Ṛgveda, une anthologie d'hymnes religieux. Ceux-ci ont été composés dans le nord-ouest de l'Inde, au milieu du IIe millénaire avant J.-C. Le nom ārya (sanskrit), airya, ariya (iranien) que se donnent en commun ces deux groupes a fait adopter le terme aryen pour désigner leur communauté. On a choisi le terme indo-aryen pour désigner le rameau linguistique implanté dans l'Inde : des mots de cette langue sont au XIVe siècle avant Jésus-Christ, chez les Hittites notamment.
Un exemple de sanscrit : le mot mère.

Or, notre belle langue française a de multiples origines en plus de l’indo-européen, le celtique, le germanique, les mots arabes, les mots hispaniques et même d’Amérique du Sud comme de la Norvège. Ainsi nos bons « vieux » mots labélisés français (parfois pas tant que çà, à double titre) ont les couleurs du monde !

De la langue des Caraïbes, l’arawak, provient le mot « canot ». La « girafe » est un mot arabe. La caste ou le fétiche ont des origines portugaises. La mangouste est mot marathe, de la région de Bombay (Inde). De la langue des Aztèques, le nahuatl a donné, via l’Espagne, un mot qui ravit les enfants et que je suis dans l’obligation de vous donner en raison des fêtes de Noël qui approchent : le chocolat (le mot pochocacàua-atl a été abrégé en chocacàua-atl pour s’hispaniser en un chocolate devenu chocolat ; dans le cacàuatl, vous avez identifié le mot cacao).
La langue anglaise a emprunté de nombreux mots au vieux français et phénomène étrange ceux-ci sont restés dans la langue anglaise pour disparaître en français et, parfois même, nous revenir de l’Angleterre mais avec un autre sens ! Ainsi la fidélité n’existe même pas dans les mots : que nous dirait Sacha Guitry qui a tant glosé sur la fidélité des amants ou des couples qui se prêtent des serments très humains, donc mortels, justement par des mots !
La langue turque a fait des emprunts à la langue arabe comme la langue arabe a puisé dans la langue grecque, ce qui s’oublie trop facilement ! Vous voyez que les mots se jouent des frontières ou des cultures mais nous, les locuteurs, celles et ceux qui parlons cette langue française, nous l’avons oublié.

Quelques cheminements démontreront les voies étranges suivies par nos mots :
Le sucre vient du sanskrit, passe par l’arabe, puis l’italien pour prendre sa forme française. Le riz vient de l’hindi, passe par l’arabe pour se franciser. Le sirop mot d’origine arabe, a passé par l’Espagne avant de devenir français. Mais levons les yeux au ciel, pour parler de l’azur qui est un mot persan, ayant passé par l’arabe, pour devenir ce mot tant prisé des poètes !
Pensez à un fruit bien de chez nous : l’abricot a été emprunté, vers 1550, à l'espagnol qui l’avait lui-même pris de l'arabe (al-barqoûq), qui l'avait reçu du grec syrien, qui, lui, le tenait du latin (praecoquum : oui, le précoce est son sens initial ; le préfixe latin prae- signifie avant ; coquere a donné le mot cuire ; l’abricot est donc ce fruit qui arrive à maturité avant les autres). L’abricot est originaire de la Chine pour s’implanter dans les régions méditerranéennes en passant par l’Arménie, peu avant l’ère chrétienne : c’est pourquoi, avant que la dénomination abricot soit retenue, Pline appelle ce fruit armeniacum, signifiant d’Arménie.

Un autre phénomène est à considérer : les mutations sémantiques sur la longue durée. Quelques exemples illustrent cela :
  • voler (dérober), d'emploi commun depuis le XVIe siècle, s'explique par le fait que ce mot fut au Moyen Âge un terme de chasse (d'un rapace qui « vole » sur sa proie et la saisit) ; vol (action de dérober), tiré du même verbe voler au XVIIe siècle, est donc un autre mot que vol (action de se déplacer en l'air), attesté dès le XIIe siècle1 ;
  • traire, mot d'usage jadis général, au XVIe siècle céda sa place au verbe tirer, dérivé de tire, mot du langage des tisserands picards, et d'origine flamande ;
  • épave fut un terme juridique désignant les bestiaux égarés (beste espave, du latin expavida.

Que cet internationalisme du vocabulaire ne nous fasse cependant pas oublier que de nombreux mots viennent de ces patois ou dialectes, tant décriés par l’enseignement public du français au XIXe et XXe siècle : l’alsacien, le basque, le breton, le catalan, le corse, le flamand occidental, le francique mosellan, le franco-provençal, les langues dites d’Oïl (franc-comtois, wallon, champenois, picard, normand gallo, poitevin-saintongeois), le lorrain, le bourgignon-morvandiau, sans parler des mots gaulois, dont on retrouve des liens avec le sanscrit, ou le francique (c’est-à-dire un dialecte allemand).
Charlemagne parlait un dialecte allemand, le francique : les spécialistes débattent avec vigueur pour savoir s’il s’agissait d’un francique rhénan (ce que je crois) ou de francique rhéno-mosan (il y a là un parfum de chauvinisme national dans le débat, je vous le dis en tant que neutre, puisque partiellement Suisse d’origine). Plus tard, il a étudié le latin, la langue diplomatique de son temps !
Un petit rappel : un cliché demeure dans les esprits que les prêches dans les églises se tenaient en latin afin que le peuple n’y comprenne rien. Cela est ridicule, mais les idées fausses ont si souvent la vie dure. En effet, en 813, au Concile de Tours, il est recommandé aux prêtres de prêcher dans la « langue romane rustique », c’est-à-dire le latin des illettrés, pouvant être compris d’un public plus large. En compléments, comme « supports pédagogiques » comme nous disons de nos jours, les vitraux, les retables et les peintures religieuses (ancêtres de nos bandes dessinées mais à but éducatif) suffisaient pour expliquer aux fidèles les grandes pages de l’Ancien et du Nouveau Testament, les paraboles ou les vies de Saints.
Ce fut avec le roi Hugues Capet, élu roi à Senlis en 987, dont le roman, qui deviendra le français, fut la langue maternelle : il ne comprenait plus le francique et avait à un interprète pour dialoguer avec ses sujets ne maîtrisant pas sa langue. Le roman devint ainsi la langue de cour, chargée de prestige qui a, tout de même, attendu les réformes de l’éducation nationale au XIXe siècle pour écraser, d’une certaine façon, les langues concurrentes, nos dialectes !

Le mot étymologie s’explique par ses racines grecques : le sens propre du mot est « choisir le vrai », dans et par les mots.

Il est amusant de constater que le grec et le latin ont construit des mots, aux sens différents sur la même racine de base : un exemple, la racine «leg » signifie cueillir, rassembler et choisir.  Le legein grec a conservé le sens de rassembler pour signifier au final dire, c’est-à-dire rassembler des mots. Le legere latin a mémorisé les sens de cueillir et choisir pour prendre au final le sens de lire (rassembler des lettres). L’arbre généalogique, ayant cette racine pour souche, est généreux en fruits que nous retrouvons en allemand, en français, en espagnol, en anglais, en italien et en portugais. Nous sommes dans cette agitation électorale aux Etats-Unis et en France, il me faut donc en dire plus.

La forme grecque legein, au sens de dire, est à l’origine du logos et de toutes ces finales en -logue, -logie. Nous retrouvons cette racine grecque dans lexique et même dans l’horloge, un système qui dit l’heure, tout simplement !

Le verbe lire, du legere latin, possède de nombreux dérivés : la leçon, le fait de lire ; la légende, ce qui doit être lu ; le sortilège, qui lit le sort.
Le sens de choisir, encore du latin legere, a produit des : cueillir (colligere en latin ; élire (car c’est choisir) ; intelligent (du latin intelligere, comprendre, c’est donc choisir entre le vrai et le faux, en fonction de connaissances acquises ou en cours de découverte) ; légion, les légionnaires étaient recrutés par sélection ; élégant(e), une personne qui sait faire le bon choix ; négligent, celui qui ne recueille pas ; sacrilège, celui qui vole par choix volontaire les objets sacrés.
Après cette mise en bouche qui, je l’espère, ne vous a pas découragé, abordons un voyage dans le pays des mots.

Balade au pays des mots

A propos des crustacés
La gastronomie nous ayant réuni ce soir, faisons honneur à l’écrevisse, au crabe et à la crevette, sans oublier les gambas puisque nous sommes en terre languedocienne. Les trois premiers noms de crustacés, fort prisés dans nos assiettes, ont un air de parenté à nos oreilles. Rapidement et sans réfléchir, ce groupe cr et les labiales b et v dans la syllabe suivante peuvent nous le faire croire. L’histoire généalogique des ces trois mots apporte des éléments de réponse qui nous détromperont vite !

Crabe : un auteur normand, du premier quart du XIIe s. l’utilise avec la forme : krabbi. Il est d’usage chez certains spécialistes de le faire remonter au néerlandais : crabbe. Mais d’autres en doutent et lui donnent une couleur plus nordique encore : à l’origine, cela provient du norrois (la langue des Vikings) qui, antérieurement, use déjà de la forme : krabbi. Pour réconcilier ces spécialistes qui ne s’accordent pas, je dirai tout simplement que le néerlandais la reprit du norrois pour, par la Normandie, s’implanter dans la langue française…Mais dans ce genre de querelles, il vaut mieux ne rien dire car je pourrais me faire agresser par les deux camps … Changeons de crustacé !

Notre écrevisse nous vient de la langue de Charlemagne, du francique : krebitja au XIIIe s.. La racine kreb de la langue des Francs se retrouve dans le mot allemand de nos jours Krebs. Il est curieux de constater que ce nom germanique a effacé le mot cancer qui s’est maintenu dans la forme chancre, dans les dialectes du nord-ouest, avec le sens de crabe. Alors qu’il a produit dans le Languedoc les variantes cran ou cranc mais, avec, cette fois-ci, le sens d’écrevisse. Depuis le XIVe s., le cancer désigne généralement le signe zodiacal qui domine le mois de juillet.
Le mot écrevisse a évolué d’une autre façon dans les patois. Le é initial disparaît (une aphérèse) et le c devient un g : ainsi grévisse est né. Plusieurs d’entre vous ont étudié la grammaire de M. Grévisse, nom d’une famille belge. Plus d’un jeune aura plus de plaisir à goûter des écrevisses que le Grévisse ! Cependant, il n’est pas interdit d’aimer les deux ! Venons-en à nos crevettes.

Spontanément, après ce qui vient d’être dit, nous lui donnerions une origine germanique à cette crevette. Il en n’est rien. Sa forme initiale est chevrette qui existe en ancien français et dans les patois de la côte Atlantique (le normand-picard plus particulièrement). La crevette faisant de petits sauts comme la chèvre, du mot latin capra, la chèvre, c’est ainsi que cette bête d’eau fut baptisée.

Terminer ce plat de crustacés, sans parler des gambas, serait un reproche que vous auriez raison de me faire. Sur les bords de la Méditerranée, la forme francique krebitja a été supplantée par un mot d’origine grecque cammarus mais pas en ligne directe, cela aurait été trop simple. Le second m a muté en un b. Le c s’est durci en un : ce qui est une évolution normale. L’italien en a fait un gambero et l’espagnol un gambaro. Dans le sud de la France, par contre, la forme cambarus est demeurée vivace. C’est de Catalogne, que très récemment, la forme gamba est venue pour désigner cette délicieuse crevette des eaux profondes de la Méditerranée et de l’Atlantique.

De l’écu à l’écurie
Chacun a pu, à l’entrée, voir le blason de cet établissement et cela me conduit naturellement à l’écu et l’écuyer puisqu’il existait d’ailleurs un écuyer de bouche.
L’écu est, à son origine latine scutum, le terme employé dès le Moyen Age, pour nommer le bouclier (nom d’origine latine car il disposait d’une boucle formant une petite bosse se distinguait sur l’écu, dénommé affectueusement bouche ; il est difficile de le croire mais le mot boucle a la même origine). Par contre, l’écu comme pièce de monnaie, car portant à son revers un écu, date plutôt de Saint Louis (1214-1270), une pièce d’or avec ses armes sur une des faces. L’explication en est simple : le bouclier était orné de motifs pour distinguer les combattants entre eux. Ces motifs, signes distinctifs reconnus, se sont retrouvés sur les monnaies royales, d’abord en or puis en argent. En Espagne, cela a donné l’escudo. Le mot écusson est de la du XIIIe siècle, un petit écu portant des armoiries.
Sur le nom latin scutum s’est formé un adjectif latin scutarius, qualifiant tout ce qui peut être relatif au bouclier. Redevenu un substantif, les évolutions sémantiques commencent : il a désigné un fabricant de bouclier pour commencer et un porteur de bouclier pour finir.
En français, le mot écuyer fait son apparition. Dans les premiers textes en ancien français, il est donné à un jeune homme, noble qui apprend le métier des armes et qui porte le bouclier du chevalier. Je vous signale que le bouclier était devenu lourd à porter et cette charge formait les muscles du bras du porteur. Le temps passe, ce terme prend du galon : il désigne un officier du roi ou du prince.
Curieusement, le sens prend deux directions différentes, soit pour la cuisine, soit pour les chevaux.
Le « maître cuisinier » d’un prince porte le titre d’ « écuyer de cuisine » et l’officier, proche du roi qui assure la fonction de couper les viandes la table du roi ou du prince, est l’écuyer tranchant. Deux postes importants pour un détenteur de l’autorité qui n’ignorait pas les risques d’empoissonnement, il était prudent que des hommes de confiance aient un contrôle sur les aliments.
Pour les chevaux, de différentes races selon l’emploi qui en était attendu, il y a eu plusieurs grades pour les personnes qui devaient en prendre soins : écuyer, écuyer d’escuirie, premier écuyer et grand écuyer. L’écuyer était un maître en équitation et ensuite toute personne montant bien un cheval a porté ce nom. Les noms de famille Ecuyer et Equey ont bien été créés sur le mot écuyer.
Dès la fin du XIIIe s., le terme évolue en escuyerie, escuerie, escurie et, au final, écurie servait à nommer la charge de grand écuyer : celui qui avait la responsabilité des chevaux dans une maison princière. Il faut se rappeler qu’un roi ou un prince voyageait la plupart du temps sur ses territoires, avec femmes et enfants, accompagné d’une nombreuse suite de proches, de soldats et de serviteurs. Un cheval fournissait un trajet de 20 à 30 Km maximum par jour ! Assurer les relais sur le parcours du roi ou d’un seigneur important demandait un travail à temps plein : travail de logistique dirions-nous de nos jours. Les rois étaient des nomades et ne connaissaient pas la sédentarisation d’un Président de la République dans les murs dorés de l’Elysée !
Il faut attendre le XVIe s. pour que l’écurie désigne le bâtiment où logent les chevaux. Le terme ne cessera pas de se démocratiser : grandes puis petites exploitations agricoles auront leurs écuries. Notre terme supplantera au final celui d’étable car le petit agriculteur plaçait dans le même local son cheval et ses bovins.
Dans le centre de la France, ce mot est tombé encore plus bas pour nommer l’étable où se trouvaient les porcs. Un peu plus charmant tout de même, et n’allez pas croire que je vous dis la suite de cette histoire par association d’idées scabreuses entre le cochon et la poule car je ne l’oserai pas, dans l’Allier et la Saône-et-Loire, le poulailler est appelé écurie à poules.
Heureusement, notre mot est sauvé par le sport hippique, automobile et cycliste : un ensemble de chevaux de course ; ensemble de coureurs automobile ou de cyclistes, regroupés par une même firme, le « sponsor ».
Et, pour conclure, rehaussons sa valeur avec l’écurie d’un galeriste ou d’un éditeur : ils réunissent des artistes ou des écrivains qu’ils valorisent, pour le plus grand profit de tous, je l’espère…

Un doux âne à la recherche du divin divan de la douane
Chez vous, après un bon repas, vous avez certainement l’habitude de vous reposer dans votre divan pour lire, pour discuter ou pour écouter et voir votre émission préférée. Vous êtes bien loin de penser à la douane alors que je pourrais presque dire que vous vous asseyez dessus mais en tout bien, tout honneur et sans offusquer le fisc que nous aimons tous, bien entendu (je dis cela car il y a peut-être un percepteur dans l’assemblée) ! Douane et divan ont un lien de parenté qu’il convient de percevoir puisque il est perse d’origine. Afin qu’il ne me soit pas dit qu’ « Il en perd son latin », perçons ce mystère avec persévérance, sans vous persécuter en le mettant en perspective. Ne faisons pas tenir le suspens plus longtemps !
Tout commence bien entendu par la douane. Ce mot est persan d’origine : dîvân. Il détermine un bureau administratif et, en même temps, cela ne manque pas de poésie, un recueil de poèmes. La langue arabe, avec le mot diwan, désigne une salle de réunion mais aussi le registre. Sous ce dernier sens, l’ancien italien au XIVe s. a formé un doana qui a produit douane. Ne croyez pas qu’il n’existait pas de douane avant le XIVe siècle, la langue du fisc qui aime le contribuable (merci de ne pas prononcer ce mot en faisant croire qu’il est composé de deux mots, dont le premier est très expressif pour celui qui a versé de lourds tributs), avait déjà créé, ce que nous avons de nos jours encore sur nos autoroutes, des péages.
Par la langue turque, le diwan a désigné, par évolution sémantique, le meuble de la salle de réunion et c’est ainsi que le divan français, depuis 1742, existe encore de nos jours ! Chez les Turcs, le divan était à l’origine un conseil, l’assemblée de notables devant décider, c’est-à-dire gouverner. Puis, petit-à-petit, il a désigné la salle de réception chez les notables turcs, dont le pourtour était garni de coussins, pour devenir une véritable estrade à coussins. Ce nom est demeuré pour le sofa qui orne votre salon. Curieux sofa, du mot arabe suffa ayant aussi passé par le turc sofa pour arriver dans notre langue, désigne, cela ne vous surprendra pas, aussi le coussin. On n’en sort pas, le monde arabe est non seulement dans notre langue mais encore dans nos intérieurs !

Fraternité
Etant le cadet d’une fratrie, je puis vous dire que je fus regardé d’un œil noir par mes trois aînés et pas considéré comme un cadeau mais un ennemi contre qui toute action nuisible est justifiée par avance (la fraternité selon Caïn n’a pas été celle selon Abel ! Je n'ose pas pesner aux frères de Joseph de l'Ancien Testament). Heureusement, il n’en est pas ainsi dans toutes les familles ! Or cadet et cadeau ont une origine identique avec des sens divers, alors qu’ils proviennent tous deux du sud de la France.

Voici comment le cadeau nous est arrivé : du mot latin caput, soit la tête, le latin populaire a retenu un capitellus. En provençal, le mot capdel en est issu, avec deux sens le chef, celui qui est en tête, et la lettre capitale, la première lettre que nous appelons encore capitale. Ce dernier sens a existé jusqu’au XVIe s., avec une progression : il désignait les traits de calligraphie au XVes. Le verbe cadeler = enjoliver de traits  pour exprimer l’acte d’un auteur ou d’un avocat accumulant des paroles superflues, - vocable à retenir quand vous entendez nos politiques ! Au XVIIes., Furetière donne un sens nouveau : le divertissement généralement offert à une dame. Dans les « Précieuses ridicules » de Molière, il est employé en ce sens. Il faut attendre 1787 pour comprendre ce mot comme de nos jours avec une évolution qui mérite des précisions : le mot a été employé pour réception où dans la société de l’Ancien régime, ce n’est pas les invités qui apportaient des cadeaux à leur hôte mais celui qui recevait ! Autre temps, autres mœurs !

Le cadet connaît la même origine latine que cadeau mais il nous vient par la Gascogne mais, cela surprend, avec le sens de chef ! Au XVe s., les armées royales disposaient de nombreux chefs gascons. Or souvent, ils étaient les fils juniors ou puînés des familles nobles. Finalement le cadet était un gentilhomme qui servait comme volontaire dans les troupes royales : Cyrano de Bergerac en offre une belle illustration. Ce n’est qu’au XVIe s., que le mot cadet a supplanté le mot puîné, synonyme quasiment oublié de nos jours, pour prendre le sens que vous connaissez tous.

Petit retour à la maison
Du printemps à l’automne, plus d’une famille apprécie la véranda qui protège des brusques aléas du climat. Or ce mot à un parfum tout particulier, celui des Indes.
En hindi, la verge et la perche se dit vara qui a donné dans cette même langue le mot varandah pour désigner une galerie faite de perches, sens repris par les Portugais avec varanda mais les Anglais, devenus maîtres du pays avec des moyens peu recommandables d’ailleurs, ont transformé ce mot hindi en veranda devenu en français véranda en 1758 : une galerie légère en bois, vitrée adossée à la façade d’une maison. Au siècle suivant, les architectes ont contribué à la bonne implantation de ce mot dans notre vocabulaire.

Elevons les yeux
Souvent, il est dit qu’un littéraire ou un intellectuel a la tête dans les nuages. Intéressons-nous à ce mot nuage. C’est un jeunet dans la langue française car il n’apparaît qu’au XVIe s. Or, les nuages existaient avant mais les termes nues et nuées. Deux expressions qui s’entendent encore en ont gardé le vocable : « tomber des nues » ou une « nuée de sauterelles». Nue est le mot de l’ancien français issu du latin classique nubes, devenu déjà en latin vulgaire ou latin de cuisine nuba.

Ayant parlé de nuage, je ne peux éviter de vous raconter une histoire d’eau, e a u bien entendu, et j’apporte cette précision pour les libertin(e)s éventuels, présents dans cette salle et qui ont pour référence le livre « Histoire d’O ».
Eau vient du latin aqua, que nous retrouvons dans aqueduc, et son évolution paraît bien étrange : des mutations progressives du latin en français ont permis cette métamorphose. La forme médiévale est EWE, non pas Eve2, notre mère à tous, quoique son nom pourrait mis en relation avec l’eau matricielle qui a permis l’éclosion de la vie humaine. Cette forme EWE se retrouve dans le mot évier, un aquarium au sens strict d’origine ou le nom Evian, ville d’eau savoyarde que je suis obligé de mentionner car je sui né en Savoie. Revenons en Provence, aqua est devenu aigo d’où est issu le aigue qui se retrouve en final de bien des lieux-dits où se trouve de l’eau : pensez à Aigues-Mortes ou tout simplement au mot aiguière.
Il faut encore poursuivre ce mot latin à l’ablatif pluriel aquis que vous retrouvez dans Aix : Aix-en-Provence, Aix-les-Bains. Ce dernier nom de ville est redondant car par deux fois il nous dit qu’il y a de l’eau. Aussi dire que l’on va prendre les eaux à Aix-les-Bains, cela est un véritable pléonasme vicieux !
Ayant fait allusion à Eve, il est inévitable que je vous parle du pomum dont une fausse traduction entrée dans les mœurs est demeurée dans le mot pomme. Je vous rassure tout de suite, il n’y aura pas une pomme de discorde avec ce mot pour vous culpabiliser, vous Mesdames, avec cette Eve qui a fait croquer la pomme à Adam. Nous savons tous combien il bon maintenant d’écouter les femmes ! Bien Messieurs, un peu de respect s’il vous plaît !
Il a fallu attendre le Ve siècle pour ce pomum acquière le sens de pomme que nous lui donnons de nos jours. Pourquoi ? Le fruit par excellence pour nos ancêtres était la pomme, sauf, car il y a toujours une exception en France, dans les Vosges où le mot issu de pomum désigne la framboise, car c’était le fruit prédominant de cette région !
La pomme que nous entendons de nos jours en français était en latin un malum, mot emprunté du grec. Il faut être bien malin pour s’y retrouver quand on sait que le malin fut ce serpent qui a fait croquer la pomme à Eve avant qu’Adam la croque, la pomme bien sûr, pas Eve ! Vous voyez comme ce mot est un vrai cercle vicieux.
Redevenons plus sérieux avec un sujet aussi grave. Malum grec a produit le mot melun qui désigne la pomme ou le pommier sauvage dans certains dialectes (en Valais notamment). L’allemand a préféré le mot Apfel pour ce fruit en retenant plutôt la racine indo-européenne Abel. L’homophonie entre Abel et Apfel n’a sans doute pas échappé à vos oreilles En raison de propos politiques récents, je suis bien obligé de vous traduire ce mot dans la langue de nos ancêtres les Gaulois : la pomme est aballo qui est devenu Avalon, une cité qui se trouve dans le département de l’Yonne.

Dernier galop sur les rives de Mare nostrum.
Nous sommes proches de la Camargue et il n’est pas possible de terminer cet exposé sans un tour de galop entre mer et rizière ou marais, en s’intéressant au cheval et à ses divers noms.
Les termes, dits savants, sont hippisme ou hippique du grec hippos ou équestre qui apparaît au XIVe s. dans la langue française, avec encore équitation (première attestation en 1503) du latin equus, rapidement supplanté par un latin populaire caballus, ayant donné cheval de médiocre qualité, une rosse. Equus est resté dans le roumain, le provençal, l’espagnol et le portugais. Cela est su de la plupart d’entre nous et trop souvent chacun se contente de cette explication. Mais accrochez-vous car nous allons, à nouveau, galoper !
Ce caballus a une origine gauloise car nos « fameux ancêtres » étaient de grands amateurs de courses de chevaux : d’eux, nous avons les mots char, charrue. Les Galates ont repris ce mot du turc keväl qui vient lui-même de Perse : kaval et désignant déjà un cheval médiocre. Après cette longue chevauchée dans l’espace, revenons aux descendants de cheval dans la langue française.
Le chevalet dénommait le petit cheval au Moyen Age. Sur caballus, s’est formé un caballarius qui est à l’origine du chevalier. Mais attention ! Au Ve s., il s’agissait d’un garçon d’écurie. Sous le dernier roi carolingien (Lothaire, 941-986), il désigne un soldat à cheval sans armure. Petit-à-petit, il a servi de titre de celui qui accède au premier degré de la noblesse.
Caballarius a donné naissance au cavalier actuel seulement en 1470. En 1546, Rabelais l’utilise come terme de fortification.

Par l’Italie, une jument de race, propre à la reproduction, s’appelait une cavale ; ce terme se retrouve plus spécialement dans les textes poétiques.

Portons un dernier regard sur les différents types de chevaux :

Le destrier : le cheval de guerre. D’un destre du latin dextera, pour la main droite, car l’écuyer tenait, de la main gauche, soit son cheval, soit une bête de somme (pour les « bagages » du chevalier) et, de la main droite, le destrier, cheval qui n’était monté que pour le combat. Dressage particulier pour qu’il ne soit pas effrayé par le fracas des armes et les chocs violents qui accompagnaient les luttes !

Le palefroi : le cheval de voyage. Il faut s’arrêter un instant sur ce mot qui consacre une union étrange entre le mot grec : para et le mot gaulois veredus, pour un cheval de poste. Le paraveredus était un cheval de poste en renfort. C’est Moyen Age que ce terme a pris ses lettres de noblesse. De l’italien du XIe s. le palefrenus a donné en provençal le palefrenier, attesté au XIVe s.

Le sommier (oui, l’heure de rejoindre votre lit approche) : le cheval de charge mais son sens partiel est demeuré dans la construction et dans l’ameublement. D’origine grecque, d’un sagma, il se rapportait à un cheval, un âne ou un mulet.

Vous piaffez d’impatience pour que le mot fin soit prononcé et, sans plus, je conclus ces petits voyages offerts par la vie des mots, en vous remerciant de votre attention.
1 Pour celles et ceux qui ont recours à des traductions électroniques, le lexique automatique ne distingue pas les deux sens de voler : je vous laisse imaginer les belles erreurs de traduction que cela produit !
2 Le prénom Eve vient de l’hébreu avva, la vie.