La liberté selon Maurice Zundel.
Antoine Schülé
La seule vraie liberté est la libération de soi.
« Est-ce Dieu qui a laissé se commettre cet attentat universel
contre ce qu’il y a de plus sacré au monde : la liberté de l’esprit,
qu’un afflux ininterrompu de suggestions menteuses ne cesse de rendre étranger à lui-même ? »1
Introduction
La liberté ! Quel sujet ! Que d’encre versée, de paroles prononcées, de sacrifices et d’actes odieux ou héroïques commis en ou sous son nom !
En fin connaisseur de la nature humaine, Maurice Zundel s’interroge souvent sur l’importance et la portée ce mot, en lui donnant son sens chrétien qui peut intéresser même l’athée ou celui qui croit l’être, alors qu’au fonds de lui-même, il perçoit que l’esprit est transcendant en toute liberté :
« Il n’y a qu’un seul problème qui me passionne, qui constitue le vrai problème de notre vie : le problème de la liberté. C’est cela que nous voulons réaliser dans notre vie sociale; c’est de cela que nous rêvons dans notre vie profonde; nous voulons être libres. » (Conférence à des religieux en 1964)"2
Et pour résumer en une seule phrase sa pensée, il suffit de citer celle de saint Paul dans sa Lettre aux Galates (5,1) sur laquelle Maurice Zundel a construit sa réflexion :
« C’est pour que nous restions libres, que le Christ nous a libérés. »
Paul Valéry, dans son livre « Regards sur le monde actuel », souligne, en littéraire, les illusions que peuvent porter des mots comme celui de « liberté » :
"... c’est un de ces mots qui ont plus de valeur que de sens, qui chantent plus qu’ils ne parlent, qui demandent plus qu’ils ne répondent, de ces mots qui ont fait tous les métiers. »
Avec « De l’esprit de lois » de Montesquieu, cette notion est précisée d’une façon plus rationnelle. La citation suivante devrait nous mener à considérer attentivement nos pays qui, de nos jours, se noient dans un déluge législatif3 qui enlève toute réalité à ce mot, devenu vide de sens et tout au plus un cache-sexe d’une propagande politique éhontée :
« Dans un État, c’est-à-dire une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir et à ne pas être contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir. »
Nous vivons dans des sociétés où nous devons payer des impôts pour financer des actes ou des projets que notre âme et notre conscience refusent. Pire, des condamnations menacent toute personne qui critique une criminalité législative : oui, celle autorisée par des lois qui nient la vie. Dans ce cas, où est donc notre liberté ?
En 1956, lors du soulèvement du peuple hongrois contre la dictature communiste, Maurice Zundel s’interroge sur l’usage que font les chrétiens de leur liberté. Et en ouverture de cette présentation, son interpellation, en fin de son homélie, reste d’actualité :
« Nous sommes ici, pour entendre la question que [le peuple hongrois] nous pose : “Et vous, que faites-vous de vos libertés ?” Nous sommes ici pour faire un choix entre la vie de parasite et celle de créateur, entre la vie de l’homme qui sauve sa peau et l’entretient — jusqu’à ce qu’elle claque — et l’homme qui choisit de devenir un héros et d’atteindre la sainteté. » 4
Est-ce la liberté de Mai 68 revendiquée, encore de nos jours, par de nostalgiques révolutionnaires, issus de familles bourgeoises aisées ? Une anarchie de salon qui a éveillé la brutalité animale de l’homme qui a perdu la capacité de maîtriser ses pulsions :
« Nous sentons bien que la liberté est un bien immense, mais toute la difficulté est de la situer !... Une liberté anarchique, la liberté de la brute qui obéit à toutes les impulsions et qui est esclave de tous ses instincts n’est pas la liberté !... C’est la bombe atomique ! […] La bombe atomique, c’est une liberté anarchique, c’est la liberté de la brute qui ne connaît plus aucune limite, qui détruit toutes les valeurs et qui saccage toute la dignité humaine. »5
À partir de ces deux citations, fortes dans leur expression, étudions ce qu’est la liberté selon Maurice Zundel.
Nos déterminismes de naissance
Selon lui, pour parler de liberté, il convient tout d’abord d’identifier nos dépendances non voulues à la naissance, ces inégalités naturelles indéniables :
« Nous sommes nés sans l’avoir voulu. Nous n’avons pas choisi nos parents, ni notre pays, ni notre race, ni notre époque, ni notre sexe, ni notre religion. Tout cela a été déposé dans notre berceau et nous a été imposé. L’homme est d’abord un être préfabriqué aussi bien dans son être physique, avec son énergie nerveuse, sa circulation sanguine, etc., que de son être moral, psychique, affectif… Quand nous avons commencé à prendre conscience de nous-mêmes, il y avait une foule de choses déposées en nous dès avant notre naissance et des impulsions, impressions de la petite enfance qui ne peuvent s’effacer.
Nous avons été jetés dans l’existence comme un colis sur un quai de gare avec une étiquette, un numéro et, à ce point de vue, nous sommes dans le même cas que tous les animaux, végétaux, minéraux, tous les éléments de l’univers. Mais ces éléments subissent leur vie. Ils sont prisonniers de leur biologie.
L’homme prend un jour conscience de son existence et peut s’interroger sur sa vie, la mettre en question, la poser, la refuser, la juger… Ce qui fait le mystère de l’homme, sa condition unique, c’est qu’il ne peut pas se contenter de sa vie préfabriquée qui lui est donnée. Sa biologie est ouverte : il ne peut rester irresponsable. Préfabriqué, l’homme a pourtant un choix à faire, une responsabilité à assumer. Il doit ajouter à ce qu’il est de par sa naissance quelque chose qu’il n’est pas encore et que sa naissance ne peut pas lui donner. Il doit devenir un autre homme que celui qu’il est.
L’homme se définit à partir de ce qu’il ne tient pas par sa naissance. Il doit créer tout ce qui fait de lui un homme. La spiritualité se définit, se constate, s’expérimente à partir du point où nous découvrons que nous ne pouvons pas en rester à l’état que nous tenons de notre naissance, mais que nous avons à passer la nouvelle naissance dont parlait Jésus à Nicodème. » 6
On ne naît pas homme, on le devient à partir du moment où l’on est un créateur7 en fonction de dons reçus à identifier et à cultiver : choisir, émonder, fructifier... La liberté est de ne pas rester prisonnier de ses déterminismes de naissance. La libération est la prise de conscience de devoir assumer des choix libres : c’est ainsi que l’homme naît. Il est dès lors possible de parler de sa nouvelle naissance en ce qu’il est un créateur : devenir un homme libre, selon l’appel de Dieu (qu’il faut donc entendre). Toute une vie est bien nécessaire pour atteindre cet objectif. Une bonne mort en est le signe le plus évident : elle consiste à se dépouiller de son ego pour naître, avec un esprit libre et définitivement, en Dieu.
Quel modèle ? Le Christ en est le plus parfait.
Pourquoi ? Sa vie est un acte d’amour total et absolu, jusqu’à la mort acceptée sur la croix, aux tortures corporelles qui lui sont infligées, aux injures subies, à des moqueries endossées, à la lâcheté et à la trahison de ses proches qu’Il nommait ses amis, à une condamnation voulue et exigée par le Grand Prêtre, Caïphe, - ce gardien de la Loi, ce pharisien par excellence qui sait manipuler les foules et le système politique en place. À côté de tout cela, il était assuré de l’amour de sa mère, de l’amour de Dieu et a pu révéler son amour de l’homme qu’il sauve, par son suprême sacrifice : quel cœur humain peut rester insensible à pareil témoignage ? Comment ignorer toutes les personnes qui ont subi ou subissent le martyre, depuis 2000 ans et encore de nos jours, pour nous donner ce même témoignage ?
La Déclaration des Droits de l’homme
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de 1789, est devenue le nouvel évangile, chargé de guider les hommes. Des protestants français en revendiquent la paternité, sans doute en raison de la formule « en présence et sous les auspices de l’Être suprême », insérée dans le préambule, qui n’a aucune valeur juridique contraignante, contrairement aux articles qu’elle mentionne. Ce texte, devenu sacré, a été à la base d’une religiosité civique révolutionnaire8, voire de la religion civile républicaine9 que d’autres préfèrent nommer philosophie républicaine, ainsi que de nombreux discours politiques le proclament avec force.
Il est à noter qu’il s’agit d’une liste de droits et que l’adjonction d’une liste de devoirs n’a jamais été acceptée. Ce texte a servi de référence à l’idéologie des droits de l’homme qui s’exprime dans la Déclaration universelle des droits de l’homme10, adoptée par l’assemblée de l’Organisation des Nations unies, réunie à Paris en 1948.
Avec ces deux textes, un catéchisme politique s’est constitué : il est tout à la fois un credo et une morale connaissant une vénération rituelle à des dates régulières. Intéressons-nous à cette liberté à la française qui se veut universelle11.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen traite de la liberté dans son article IV qu’il faut compléter avec ses articles V et VI :
« Article IV
La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.
Article V
La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.
Article VI
La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens sont égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
Voici les observations de Maurice Zundel :
« La Révolution française n’a pas non plus réussi à résoudre le problème humain, car elle a défini la liberté comme le pouvoir de tout faire…, à condition de ne pas empiéter la liberté d’autrui. On en arrive à dire que tout est permis… sauf ce qui conduit en prison ! Alors que la vie est désordonnée, la société ne peut respirer la vertu et, au moment où on se croyait civilisé, on aboutit à un véritable carnage12. »13
Avec force, il soulève la question du lavage de cerveau qu’est cette sorte de bien-pensance imposée par les media, déjà de son vivant. Que nous dirait-il aujourd’hui ? Je vous laisse la réponse, mais écoutons son cri du cœur en 1973 :
« Si l’homme n’est que tripes et boyaux, s’il n’est que viscères et glandes, il n’a pas plus de droits qu’une punaise ou un chacal !
Les droits doivent correspondre à une droiture, à une création possible, à un bien universel qui est le bien de tous.
Il ne s’agit pas de protéger la liberté privée de chacun pour que, derrière le rideau de sa vie privée, chacun puisse faire n’importe quoi sans que personne n’ait un droit de regard14.
Le droit suppose une prise de conscience de l’inviolabilité de l’être humain, et d’une telle valeur en chacun que, y attenter, représente un crime. Pratiquer le lavage des cerveaux est le crime des crimes en ce sens qu’on porte ainsi atteinte à ce qu’il y a de spécifiquement humain dans l’homme. »
En 1947, dans son livre intitulé "Itinéraire", Zundel faisait un constat, qui se révèle vrai encore de nos jours, sur les chantres de la fausse liberté que sont des écrivains ou des politiques :
"Nous réclamons l’indépendance pour un domaine où foisonnent les servitudes, comme si une âme esclave était capable de liberté, et notre révolte se renie dans une plate soumission aux déterminismes cosmiques par lesquels l’univers se prolonge en notre organisme. La liberté perd ainsi tout son contenu propre et ne signifie plus rien.
[...]
Dans ces conditions, si l’on retient le mot de liberté en raison des associations sentimentales dont il est chargé, on pourra le faire servir à toutes fins. L’acte "gratuit" au sens de Gide, détaché de tout contexte et dont le seul motif est d’affirmer qu’on est lié par rien, toutes les fantaisies et toutes les perversions charnelles, toutes les fumées de l’inconscient et toutes les extravagances d’une imagination débridée, toutes les névroses et tous les stupéfiants, rejoindront, dans le bric-à-brac de la liberté,
les audaces et les sincérités des artistes qui ne nous laissent rien ignorer de leurs turpitudes,
les revendications dogmatiques de notre pure animalité qui dénoncent le cerveau comme une tumeur maligne et la pensée comme un virus morbide et
les solennelles déclarations des politiciens qui nous promettent tous les vingt-quatre heures un monde nouveau.
Il y en a pour tous les goûts : l’essentiel est de rompre avec quelque chose, la morale, la syntaxe, l’orthographe, la métaphysique ou la foi, en secouant vigoureusement l’une quelconque des vieilleries qui avaient cours la veille, pour apparaître avec toute la nouveauté d’aujourd’hui. " 15
En 2021, la mode de la rupture a connu un progrès : un homme doit s’interroger s’il est une femme, une femme si elle est un homme; mieux encore, il est possible de revendiquer un genre neutre... Cette question existentielle est posée à l’enfant de 6 ans ! Changer de sexe est un acte admis, remboursé dans certains pays par tous les cotisants d’assurances maladie. Sauver un bébé phoque est plus important que sauver un embryon qui ne demandait qu’à naître (et avorté avec le financement participatif de ceux qui refusent cette pratique)... Quel progrès !
En 1971, Zundel réaffirmait avec force :
« Il faut nous placer en face de l’homme comme en face d’un problème : il s’agit de conférer des droits, ou plutôt de reconnaître des droits, non pas à l’homme animal, mais à l’homme que nous avons à devenir.
Ce qui a des droits en nous, c’est la personne, c’est-à-dire l’être qui a une dignité et respecte cette dignité en lui-même et dans les autres.
Contrairement à ce qu’affirme la Déclaration des droits de l’homme, les hommes ne naissent pas libres, ils doivent conquérir leur liberté. Et ils ne sont pas égaux, les dons sont différents.
La seule égalité, c’est que tous se trouvent devant la même exigence, à savoir qu’ils ont à devenir homme et à refuser de se subir pour faire de leur vie un espace illimité de lumière et d’amour où la valeur infinie qui leur est confiée pourra s’exprimer, se révéler et se communiquer.
Tous les débats sur la justice sont empoisonnés par cette équivoque et toutes les Déclarations des droits de l’homme flottent en l’air et sont chimériques parce qu’elles supposent réalisé ce qui ne l’est pas. Elles supposent que l’homme existe alors qu’il n’existe pas encore. »16
Les commentaires de l’Évangile et les pratiques d'un membre du clergé doivent souligner cette grandeur de l’homme à faire naître et sa dignité à reconnaître :
« Il faudrait que l’homme de la rue, lorsqu’il rentre dans une église, entende une parole qui aille à la racine de ses problèmes d’homme. Ce qui sollicite, passionne l’homme d’aujourd’hui, c’est l’appel à la dignité, à la grandeur humaine17. »18
« Ce qui rend tragique la situation humaine, c’est que l’homme sent très bien ce qu’il n’est pas, mais se rend compte très difficilement de ce qu’il doit être. Chacun demande à faire croire à l’importance de sa vie, mais la majorité des hommes ne sait pas en quoi consiste cette dignité qu’ils veulent défendre. Le croyant n’est pas celui qui cherche à se mettre dans la tête ce qu’il faut croire; mais croire, c’est donner son cœur à une certaine lumière19, parce qu’on a découvert que c’est elle qui donne une solution au problème humain. »20
Si la jeunesse chrétienne pouvait entendre les paroles qui précèdent, je suis certain qu’elle trouverait une nouvelle saveur à l’écoute de la Parole.
À propos des droits de l’homme, voici certainement l’extrait le plus explicite de la pensée zundélienne :
« L’homme est sacré dans la mesure où il est consacré.
Sa dignité ne se fonde point sur lui. Elle a quelque chose d’infini qui le dépasse et dont sa nature ne peut rendre raison.
Ce nom d’humanité, qui est si beau, doit le respect qu’il suscite en nous aux résonnances spirituelles dont il est chargé. Aussi bien ne désigne-t-il pas d’abord l’ensemble des hommes qui peuplent la terre, mais la qualité qui révèle en chacun la personne : l’être-source.
On confond régulièrement ces deux acceptations : la masse des individus qui est donnée et la valeur intérieure qui ne l’est pas. Il en résulte pratiquement qu’on donne raison à la multitude qui est le nombre : ce que la majorité décide est loi.
On peut admettre assurément la légitimité de cette formule, pourvu que l’on y voie qu’un moyen pratique de définir le droit (ce qui est droit).
Mais ce droit lui-même a son fondement en un devoir-être inscrit en notre essence et révélé par les aspirations profondes de notre nature, et non dans le nombre des suffrages qui le promulguent. Une majorité quelconque ne peut transformer l’erreur en vérité ni le mal en bien. La loi a sa source première en cette exigence de droiture, où s’exprime la vocation de l’esprit.
Les besoins du corps comme tels, en effet, représentent bien des nécessités vitales pour l’homme autant que pour l’animal. Ils ne constituent point pour eux-mêmes un droit. Leur méconnaissance et leur violation en l’homme ne deviennent crime qu’en raison de la destinée spirituelle à laquelle notre corps est naturellement associé21.
On ne saurait trop insister sur ce point ni marquer trop nettement l’indépendance du droit à l’égard de la force, même de celle qui l’exprime et le couvre.
Il ne peut naître en vérité, ni des désirs de la chair et du sang, ni de la violence égoïste des hommes, mais du devoir de consécration qui réclame de chacun le consentement de tout son être au règne de l’Esprit.
L’obligation rigoureuse d’assurer à tout homme une aisance assez large pour prévenir ses besoins matériels ne tend qu’à rendre chacun capable de don où réside sa suprême noblesse.
“Il n’importe qu’on nous accorde le bonheur si l’on nous refuse la dignité.” Rien ne dit mieux que ce mot de Jean Guéhenno, la direction des réformes à entreprendre pour rendre le monde plus humain. Nous revendiquons pour chacun tous les droits de l’homme qu’afin de permettre à chacun l’exercice de tous ses devoirs22.
Il faut sans doute manger pour vivre. Mais, qu’est-ce que vivre ? Toute la question est là.
“Dans tes yeux, ô vie, je regardais naguère”, dit Niestzche, “et dans un abîme, il me sembla plonger.”23
Au fond de soi-même, chacun de nous perçoit confusément cet abîme et il sent bien que, ses besoins matériels fussent-ils entièrement satisfaits, la vie ne ferait que commencer.
Car l’homme ne vit pas seulement de pain. »24
La longue et si riche citation qui précède mérite d’être lue et relue. À chaque fois, observez un temps de silence intérieur et écoutez ce que votre cœur vous dit à la raison : de raisonner sur cette voie spirituelle vous permettra de faire résonner la voix de Dieu.
Poursuivons la réflexion.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, qu’est devenue, dans le monde occidental, cette notion de liberté ? Notre auteur de ce jour nous en donne une description réaliste :
« Ne subir aucune contrainte, n’être lié par aucun ordre préexistant, ne consentir à faire que ce qui s’harmonise avec ses propres dispositions du moment, c’est, à première vue, ce qui constitue la liberté totale, si passionnément proclamée comme le fondement d’une ère nouvelle. »25
Et, en France, il manque chez certains élus de la République, le plus important, le respect de la dignité humaine. Prenons deux exemples !
Dans un gouvernement, une justice rapide pour les uns avec grand tapage publicitaire, une justice lente pour les autres avec des faits finalement prescrits dans le temps26, tout en ayant le soin de les faire oublier. Des mœurs admises pour les uns et condamnées pour les autres. Des manifestants pacifistes arrêtés et condamnés; des casseurs - connus dans toute l’Europe - jamais arrêtés. Des journées commémoratives imposées selon un racisme victimaire d’État : il y a des victimes - ayant été parfois des bourreaux ou des criminels - qui sont commémorées en grande pompe et les autres à qui tout souvenir public est refusé, voire même condamné. Oui, quelle étrange image de la "liberté chérie" dont il faut chanter le nom !
Lorsqu’un maire ou une élue municipale traite de « merde » une personne qui n’est pas d’accord avec une de leurs options : il est évident que leur républicanisme revendiqué27 n’a aucune valeur. Ils ont fait usage de leur liberté, mais il est normal de mépriser ce type de comportement. Mépriser un comportement, chez un chrétien, n’est pas mépriser la personne qui agit ainsi : la foi chrétienne lui laisse toujours espérer que même la pire des crapules peut encore se convertir28. Une personne ne doit pas être réduite à sa faute ou à ses fautes. Oui, il faut cultiver beaucoup d’espérance ! On ne saurait en vouloir à des élus de ce genre qui sont enfermés à un tel point dans leur narcissisme qui entend cacher leur mal être aux causes diverses29. Tout ce qui ne correspond pas à leur hideur « morale » ne peut que les irriter, aussi leur irritation réjouit, au final, la personne qui la subit de cette façon ! Leur grossièreté, même revêtue des habits de la Marianne, devient alors la meilleure caution de la bonne moralité de leur victime.
Bien entendu, il y a des républicains qui, selon un humanisme laïc30, agissent dans le respect de la dignité de chacun : ils méritent notre confiance et notre respect. J’ai observé des athées qui avaient plus d’humanisme que certains pharisiens de paroisse qui sont à ne pas être confondus avec l’Église, Corps du Christ !
L’Union des républiques socialistes et soviétiques, la République démocratique allemande et la République démocratique de Chine pouvaient et peuvent invoquer sans rougir les articles des Droits de l’homme, cités précédemment, comme la démocratie ou le socialisme, mais, dans ces pays, de quelle liberté s’agit-il ou s’agissait-il ?
Pourquoi des communistes revendiquent encore de nos jours ces « paradis » perdus dont les horreurs sont connues et si souvent passées sous silence : pas de journée de commémoration mondiale, pas d’acte de repentance, même pas l’exercice de la justice pour environ 100 millions de victimes, plus tous les millions impossibles à comptabiliser dans le reste du monde (Cambodge, Vietnam, Corée, Cuba, Angola…) qui revendiquait aussi cette « liberté » ? Mieux encore et de nos jours, des cœurs frémissent de joie à chanter l’Internationale, espèrent en un nouveau communisme, pour s’irriter, bruyamment et avec véhémence, à la simple évocation d’un chant supposé nazi ou fasciste, acte qui sera, par contre, sévèrement condamné !
Maurice Zundel prend clairement position contre les dictatures du XXe siècle :
« Si le régime du parti unique jugule toute opposition, si les réquisitions de l’État imposent à la production, sous les plus graves sanctions, un rythme forcené qui en fait un esclavage, si le délit d’opinion expose aux pires sévices ou aux plus humiliants repentirs, en monopolisant l’information et en récompensant la délation, si un homme peut disparaître sans que nul ne puisse en demander compte, si les tribunaux se bornent à entourer d’une comédie légale les jugements dictés par le pouvoir, si la prison attend quiconque refuse d’être un tueur, un mouchard ou un tortionnaire, voire une prostituée, il importe peu qu’on laisse à l’individu une petite marge d’initiative dans un secteur privé, entouré de barbelés, ou que la police ne place pas des écouteurs sous le lit des êtres neutres dont la soumission est à toute épreuve. Dans une société dont on ne peut pas sortir sans risquer sa vie, aussi bien, chacune des conditions qui viennent d’être énumérées ferme l’horizon du choix et dispose de l’homme comme d’un objet. »31
Notre auteur défend d’abord la dignité de l’homme : cet homme n’est ni un objet, ni un instrument, ni un esclave, mais un sujet dans le monde du travail :
« Interdire de traiter l’homme comme une marchandise, c’est affirmer qu’il ne peut être réduit à l’état d’instrument en vue d’un résultat auquel on l’applique du dehors comme on fait d’une machine. Il faut qu’il s’y puisse appliquer lui-même en comprenant et en voulant la fin à laquelle son effort est ordonné. Ainsi il situe son travail dans un univers intelligible qu’il n’a pas à subir. Son labeur s’inscrit dans le circuit intérieur où il devient un choix, un acte de sa liberté, et il s’affranchit, par cette dimension humaine, des nécessités qui en eussent fait une contrainte. »32
Qu’est-ce qu’un homme objet et quand sa rébellion est justifiée ?
« Être un objet cela veut dire être un instrument entre les mains d’un autre qui en fait ce qu’il veut, qui l’ordonne aux fins qu’il a choisies. Et les animaux en sont là, dans ce sens qu’ils ne peuvent pas disposer d’eux-mêmes, ils n’ont pas de recul, ils sont tout entiers sous le plafond de leurs instincts, ils ne peuvent pas poser leur vie devant eux, l’examiner, la peser, l’apprécier, la juger, la choisir. Le privilège de l’homme : ce privilège magnifique et redoutable, c’est que justement l’homme peut mettre sa vie devant soi, et peut la peser dans les balances de son jugement; il peut l’apprécier, il peut l’accepter ou la refuser, il peut la déformer ou l’accomplir, mais sa vie est entre ses mains.
Et quand l’homme est traité par un autre homme comme un objet, quand on veut le faire servir d’instrument, il se rebelle justement; et cette rébellion, ce n’est pas autre chose que la conscience qu’il a de ne pas être un objet, de ne pouvoir jamais servir d’instrument passivement entre les mains d’un autre, enfin c’est la conscience qu’il prend de lui-même comme d’un sujet, comme d’un être qui doit être l’origine et la source de ses actes, et un créateur de son existence humaine en tant qu’humaine. »33
Maurice Zundel apporte sa réflexion sur la liberté et la nature de celle-ci, à la suite de nombreux penseurs chrétiens depuis le Haut Moyen Âge déjà. Le chrétien n’a pas attendu la Révolution pour savoir ce qu’était la liberté, car le Christ en a donné le meilleur exemple, et le prix de la liberté, car les martyrs ont accepté leur sort pour assumer leur liberté.
Progressivement, au moyen de quelques citations, approfondissons la pensée zundélienne.
La liberté : une préoccupation humaine majeure
"... On est vraiment homme que dans la mesure où l’on est vraiment libre.
C’est le Christ qui nous fait découvrir qu’un être humain n’est vraiment humain que s’il est libre. Sommes-nous conscients que le Christ apporte là une réponse unique dans sa profondeur et sa plénitude à notre préoccupation majeure d’aujourd’hui ? »34
« “Liberté” ne veut pas dire faire n’importe quoi et tout ce que l’on veut. “Liberté” signifie se construire, se faire homme, évacuer de soi les ombres, les limites et les options passionnelles, enfin tout ce qui nous empêche d’être source et origine de nous-mêmes.
L’Évangile de Jésus-Christ est l’Évangile de cette liberté absolue qui ne s’accomplit que dans cette libération totale.
Être libre ne veut pas dire faire ce que je veux ! Jésus lui-même a dû apprendre à ne pas faire ce qu’il voulait ! (Mt 26,39).
Être libre, cela veut dire : être libre de moi, n’être plus enfermé dans mon narcissisme, n’être plus esclave de mes possessions, devenir un espace illimité où tout l’univers pourra être accueilli.
Nous sommes sur un terrain parfaitement solide lorsque nous affirmons que la liberté est un non-sens si elle ne signifie pas libération, donc exigence totale, infinie et créatrice.
Cette exigence créatrice fait face au-dedans de nous à la Rencontre, ou plutôt à la Présence de cette “Beauté si antique et si nouvelle”35, qui ravissait le cœur de saint Augustin36. »37
La liberté de Dieu
Se libérer des fausses images de Dieu est le premier pas de la liberté de l’homme.
« Au lavement des pieds, Jésus a exprimé le sens le plus profond de la Divinité : la Divinité est à genoux, la Divinité est divine parce qu’elle est dépossédée. Dieu est Dieu parce qu’Il n’a rien et ne peut rien avoir, Dieu est Dieu parce qu’Il est incapable de rien dominer, parce qu’Il ne peut que se donner. Dieu est Dieu parce qu’Il est essentiellement l’espace où notre liberté respire, Dieu est libre de Lui-même puisqu’il n’est pas attaché à soi, étant uniquement et éternellement communication totale de Lui-même. C’est ce Dieu-là, ce vrai Dieu qui se révèle en Jésus-Christ, qui peut seul nous mettre sur le chemin de notre divinisation. »38
La divinisation est la prise de conscience de la Présence de Dieu en soi et ce chemin qui nous conduit à enlever de soi tout ce qui obscurcit l’image de Dieu que nous devons refléter. Laisser transparaître la Présence de Dieu dans sa vie quotidienne : c’est ainsi que nous devenons des créateurs et atteignons la sainteté à laquelle chacun d’entre nous est appelé.
La Trinité est la caractéristique de la liberté de Dieu qui est communiquée à l’homme. J’ai souvent lu des explications sur Dieu trinitaire, sans être convaincu par ce qui était soumis à ma compréhension. Par contre, seul Maurice Zundel m’ a permis de percevoir la beauté de ce mystère. Raison pour laquelle je tiens à vous la partager. Ainsi, je vous offre la clef de compréhension de sa pensée théologique, lors d’une de ses prises de parole en 1972, mais qu’il a souvent donnée dans d’autres écrits ou homélies :
"... Quel est l’axe de ce témoignage que le peuple chrétien a à prendre ? Quel est son centre de Lumière ? Il n’y a qu’un seul centre de Lumière, éblouissant, inépuisable, qui s’est inscrit dans l’Histoire en la Naissance de Jésus, c’est la Trinité divine ! C’est la grande, l’immense nouveauté ! En Jésus Christ, le Dieu éternel qui était imparfaitement connu, se révèle comme Trinité. C’est-à-dire qu’Il se révèle comme une éternelle communion d’amour. Nous n’avons pas affaire à un être solitaire qui se regarde, qui se contemple, qui se loue, qui s’admire, qui se repaît de lui-même, et qui demande qu’on le loue et qu’on l’admire.
Le Dieu qui se révèle en Jésus Christ, le Dieu qui entre au cœur de l’Histoire, en Jésus-Christ, (et toute l’Histoire se réfère précisément à cet événement immense et inépuisable), Il ne peut pas se regarder, revenir à soi, puisque le Moi en Lui est une relation à l’Autre. C’est au cœur de ce dépouillement, de cette désappropriation, qu’éclate la candeur de la Lumière éternelle.
Si Dieu est pure transparence, s’Il est l’Infinie Vérité, c’est précisément en raison de cette désappropriation, de ce vide éternel qu’Il fait en Lui-même, dans l’éternelle communication de tout son être; dans cette circulation d’amour qui va du Père au Fils, du Fils au Père, dans la respiration vivante de l’Esprit Saint.
Un tel Dieu, qui réalise Lui-même la béatitude de la pauvreté, comme Saint François l’a si profondément vécue : “Bienheureux ceux qui ont un cœur de pauvre, parce que le Royaume des Cieux leur appartient.” (Matthieu, 5,3).
Ce Dieu tout dépouillement, toute désappropriation, toute transparence, et tout Amour, est aussi toute liberté. C’est cela justement la merveille des merveilles, c’est qu’Il est libre de soi. Il ne colle pas à soi. Il ne peut que se donner et Il ne peut que susciter une créature et une création libre, appelée à se donner comme Lui, à être ce qu’Il est : offrande, transparence, amour, liberté. »39
Pourquoi Jésus est-Il un chemin de liberté ?
« En Jésus nous apprenons le chemin de notre liberté. En Lui, nous apprenons que la suprême grandeur, c’est la totale évacuation de soi; que la suprême valeur, c’est de ne rien posséder; qu’exister en forme de don, c’est cela même la caractéristique de la liberté — entendu comme libération — parce que vivre de ce Dieu-là, c’est entrer au cœur de la liberté, c’est devenir une valeur, un bien commun, universel, capable de jouer à son tour le rôle de ferment de libération dans tous ses frères humains et dans toute la création. C’est là le centre de perspective, le témoignage que le peuple chrétien a à rendre.
Toute la dogmatique est là, dans l’épanouissement magnifique de cette révélation de la liberté divine et de celle à laquelle nous sommes appelés. Rien de plus actuel, de plus brûlant, de plus passionnant, justement parce que c’est le seul problème.
L’homme a à se faire, et il ne peut se faire que s’il rencontre en lui cet espace infini de lumière et d’amour où Dieu se respire. Il a à se faire en se donnant, et à devenir parfait comme son Père céleste (Mt 5,48).
La réponse que le peuple chrétien doit donner est là, non pas dans les mots, mais dans la vie. Quand nous nous serons libérés de nous-mêmes, il n’y aura plus de problèmes, tous s’éclaireront. Tous les handicaps, les obstacles, les murs de séparation, toutes les guerres, les haines, proviennent finalement de ce “moi possessif”, individuel ou collectif qui s’adore lui-même, qui se prétend être à la source de tout bien, regardant toujours l’autre comme la source de tout mal.
Et voilà que Jésus est venu nous guérir de nous-mêmes en nous donnant ce Dieu qui est une éternelle communion d’amour. Lui qui n’a rien, qui est tout parce qu’Il n’a rien, qui est l’antipossession. C’est Lui qui consacre notre humanité, qui nous apprend le chemin de notre liberté, puisqu’Il est le chemin de notre liberté. Liberté dure, magnifique, liberté à conquérir sans cesse. Liberté créatrice où, dans l’évacuation de nous-mêmes, nous pouvons nous ouvrir à une vie infinie qui porte la lumière jusqu’aux extrémités de l’univers. »40
Maurice Zundel justifie la propriété dans la mesure où elle n’est pas une soif de possession, mais elle est un espace de liberté pour cultiver ses dons afin de les partager avec les autres. Une famille a besoin d’un espace de liberté, donc de sécurité, pour vivre en harmonie. Il est nécessaire que les besoins vitaux soient satisfaits pour s’ouvrir à la spiritualité. Se désapproprier du superflu est une nécessité qui ne conduit pas à vivre dans la misère : le riche qui partage ses richesses, sans attendre de contrepartie, n’est pas un riche avare. Un homme pauvre, en raison de sa situation pécuniaire, a une richesse de cœur ou de pensée à donner que ses limites financières ne devraient pas étouffer : chacun possède une richesse intérieure que de modestes apparences ne doivent point cacher. Cette richesse, source de générosité, peut être matérielle, spirituelle ou intellectuelle, selon les dons reçus. Que faisons-nous pour partager nos dons et pour discerner les dons d’autrui ?
Ne pas être des pharisiens
Le pharisaïsme est un danger permanent. Il a existé du temps de Jésus, mais il existe de différentes façons de nos jours. Zundel nous y rend attentifs :
« Ce qui est frappant, immédiatement, dans l’histoire de Jésus-Christ telle que les Évangiles nous le rapportent, c’est que les ennemis de Jésus sont des gens très bien. Ils se recrutent à peu près tous parmi les gens très bien ! Ce sont les chefs du Peuple, ce sont les Princes des Prêtres, ce sont les théologiens, ce sont les exégètes, ce sont les gens de la Bible, ce sont les canonistes, enfin… tous des gens très bien !
Des gens si bien qu’ils en font plus que la Loi n’en demande, comme les pharisiens. De peur de manquer à la règle, ils vont plus loin que la règle. Ils sont ainsi parfaitement sûrs d’être allés jusqu’au bout des exigences divines et ils n’ont rien à se reprocher puisqu’ils ont fait plus que le nécessaire !
Ce sont ces gens, précisément, qui se sont opposés avec le plus d’acharnement à l’œuvre de Jésus, Lui qui passait pour l’ami des pauvres, des publicains, des pécheurs, des femmes de mauvaise vie, et Lui qui était précisément mal vu par tout le gratin sacerdotal et théologique de l’époque.
La question que nous avons à nous poser est : est-ce qu’il n’en est pas toujours ainsi ? Est-ce que, finalement, le pharisaïsme n’est pas encore la caractéristique de ce que nous croyons être notre christianisme ? »41
Et il poursuit :
« Comment, est-ce que ces gens qui, précisément, étaient des hommes de bonne volonté — aussi loin que leur bonne volonté pouvait aller tout au moins — comment se sont-ils trouvés, comme instinctivement, dans le camp opposé de Jésus-Christ ? C’est que justement Notre Seigneur apportait en Lui une véritable révolution, une révolution de la conception de Dieu et une révolution de la conception de l’homme et, par conséquent, une révolution sur le sens même et sur la signification du Bien.
Et c’est faute d’avoir compris cette révolution accomplie par Jésus que nous sommes restés nous-mêmes des pharisiens. Car il n’y a pas de doute que la morale de l’ensemble des chrétiens, c’est la morale des pharisiens du temps de Jésus, la morale des bonnes œuvres, la morale des bien-pensants, la morale de l’homme convenable dont la situation extérieure est irréprochable et qui, précisément, tend tous ses efforts vers cette réputation d’homme honorable et digne d’estime et de confiance42.
Et il n’y a rien à dire. La plupart des gens, l’immense majorité des chrétiens, pharisiens dans ce sens, le sont de toute bonne foi et avec le maximum de bonne volonté, parce qu’ils n’ont pas appris autre chose ? Et qu’est-ce qu’il leur aurait fallu apprendre ? Il leur aurait fallu apprendre ce que nous savons d’ailleurs dès que nous nous examinons nous-mêmes, que le véritable mal c’est ce “moi”, ce moi propriétaire qui ramène tout à soi, y compris les bonnes œuvres qu’il accomplit et qui annule justement tout le bien qu’il fait par le bien qu’il refuse de devenir.
Et c’est justement là l’immense révolution accomplie par Jésus : il ne s’agit pas de faire des choses, mais de devenir quelqu’un, de devenir une personne, de devenir une source, un espace, une liberté. »43
L’intelligence ne préserve pas de la maladie de ce « moi » possessif :
« Vous avez des hommes prodigieusement intelligents qui sont braqués sur des mesquineries et qui mettront le monde à feu et à sang plutôt que d’avouer qu’ils se sont trompés; parce que, justement, toute leur intelligence est encore greffée, accrochée à ce “moi” primitif et infantile qui est le “moi” de l’immense majorité des hommes.
Car seuls les saints échappent à ce déterminisme. Seuls les saints constituent un espace de lumière et de liberté, un espace sans frontière où chacun se sent invité à respirer l’air de sa nativité.
Nous voulons donc simplement, aujourd’hui, essayer de prendre conscience que le Bien que nous avons à devenir, c’est justement cela : un être libre de ce moi infantile, un être capable d’introduire dans le monde une dimension nouvelle, un être source, un être origine, un être créateur. »44
Chacun peut ainsi s’accomplir dans sa vie soit familiale, soit professionnelle, soit sacerdotale, soit encore associative. Cette révolution est la seule qui soit vraie.
La révolution qui reste à faire
« La révolution qui doit changer le monde commence par soi-même. On ne peut, en effet, rien libérer si l’on ne se libère pas de soi, puisqu’on introduira forcément dans l’action en apparence la plus justement motivée tout ce que l’on porte en soi de servitudes internes non surmontées. Il ne s’agit pas de conserver ou de chambarder tout ce qui existe, mais d’ordonner à cette fin qui est l’homme tous les moyens dont on dispose ou que l’on inventera, en visant d’abord à garantir cette solitude créatrice où il peut devenir l’origine de soi. Rien n’est plus passionnant que cette création intérieure où chacun est appelé à faire de soi un bien universel, dans une égalité fondée sur une même exigence de don total. »45
Ainsi, la seule vraie révolution est celle du cœur qui s’unit au Cœur de Dieu. Elle est individuelle pour s’unir aux autres dans l’Amour de Dieu. Elle réussit quand nous quittons le narcissisme, l’égoïsme, la recherche du pouvoir ou de la domination par l’argent ou par une autorité qui nous est confiée (morale, éducative, politique, sociale…).
Elle consiste à déjouer cet esprit malin qui ruse pour satisfaire l’orgueil de mille et une façons. L’hypocrisie est fréquente : il ne suffit pas de porter une croix visible sur la poitrine pour être chrétien. Même, derrière la fonction sacerdotale, discernons ce qui relève du véritable amour de Dieu, d’un paraître factice qui cache parfois des abîmes de fausseté et donc d’hypocrisie.
« Être chrétien, ce n’est pas promener dans le monde une figure morose, ce n’est pas répandre autour de soi ses mauvaises humeurs, ce n’est pas dissoudre la joie des autres, ce n’est pas éteindre leur espérance, ce n’est pas colporter des nouvelles catastrophiques ! Être chrétien, c’est faire fleurir toutes les fleurs dans la certitude que l’amour aura le dernier mot. » 46
L’Évangile propose la joie de l’homme sauvé et non la tristesse de l’homme qui refuse Dieu au profit de jouissances éphémères.
Le vrai chrétien doit être le sourire de Dieu :
« La plus grande puissance du monde, c’est le sourire. C’est du sourire que nous vivons, comme c’est de l’absence de sourire que nous mourons. Là où il n’y a pas le sourire, la vie s’éteint. Où il y a le sourire, la vie prospère. Et c’est aussi la plus grande fragilité.
Il est clair que si le sourire vous est offert et qu’il rencontre un visage fermé, il ne peut plus rien. Si on ne répond pas à cette intimité, rien ne se passe. C’est l’exemple le plus suggestif de la puissance de Dieu, cette toute-puissance de l’Amour, mais qui ne peut arriver, s’il n’y a pas correspondance.
Autant le sourire est puissant s’il est reçu, autant il ne peut rien s’il rencontre un visage fermé. Gardez cette image du sourire, qui est la seule image véritable de la puissance divine. »47
Le sourire d’un prêtre au cœur irradié par le Christ réchauffe les fidèles; un cœur sec ou dur comme la pierre les afflige.
Et, pour ne pas être des dupes, gardons à l’esprit ce propos clairvoyant de 1960 et qui reste parfois en certaines paroisses encore d’actualité quand nous nous posons cette simple question : est-ce un prêtre qui nous libère en nous ouvrant à Dieu ou qui nous enserre au service de son seul ego, de ses propres limites ? Il suffit d’avoir connu Maurice Zundel pour aimer le premier type, car il y en a heureusement beaucoup qui méritent toute notre affection, et fuir le second qui réduit des fidèles à sa seule dévotion à la place de Dieu :
« Il se peut que des hommes d’Église se comportent parfois comme des satrapes et s’attribuent un pouvoir usurpé, comme l’âne de la fable s’attribuait la vénération qui s’adressait aux reliques dont il était chargé. La foi tranquillement continuera à vénérer les reliques, en renvoyant in petto l’âne à son râtelier. On ne peut être dupe que dans la mesure où l’on méconnaît les exigences libératrices de la foi. »48
Et, face à certains prêtres, Maurice Zundel, qui a eu l’expérience de subir des confrères malveillants envers lui et d’autres fidèles, nous dit comment réagir :
"... Le fidèle, heureusement, n’est jamais lié aux défaillances du prêtre, car sa foi le rapporte au prêtre comme au sacrement du Christ, et lui fait un devoir de se séparer de lui dès qu’il cesse d’être pour lui le signe diaphane du Maître unique.
Si nous sommes liés à Pierre confessant le Christ à Césarée, nous ne sommes pas liés à Pierre reniant le Christ au prétoire. » 49
Cette règle de conduite est à retenir afin de ne pas cautionner des défaillances, surtout quand elles sont permanentes50.
Et il ne s’illusionne pas des images négatives qui peuvent parfois se trouver au sein de l’Église :
« Nous n’ignorons pas que des hommes consacrés par un rite peuvent ne l’être point par leur esprit. Nous ne sommes point aveugles aux défaillances qu’entraînent parfois pour eux des engagements auxquels leur vie ne souscrit point. »51
Ainsi de fausses images de Dieu entachent Son Visage et malheureusement de nos jours, nous pouvons encore parfois le constater. En quelques mots rédigés en 1936, cet extrait alimente notre discernement :
« Le langage religieux est tellement discrédité dans certains milieux, pour avoir trop servi à couvrir des entreprises qui n’avaient aucun rapport avec la vie intérieure, que des esprits sincères n’y ont plus vu parfois que l’étiquette d’un parti ou la firme d’une affaire, ou la devise d’un ordre social dans lequel leurs frères agonisent.
Le nom de Dieu a pu devenir auprès de certains esprits un obstacle à la croyance en Dieu.
Tant d’hommes en effet — par ignorance assurément, par une inconscience tragique à laquelle beaucoup de zèle a pu être mêlé —, tant d’hommes ont prêté à Dieu leur propre visage, Lui ont fait endosser leurs limites et leurs étroitesses, leurs préjugés et leurs intérêts, ou l’ont modelé suivant leurs besoins, qu’ils en ont fait un être trop semblable à nous pour ne pas Lui donner l’aspect d’une idole aux yeux d’âmes plus respectueuses du mystère ! »52
À chaque chrétien véritable, il appartient de refuser ces fausses images de Dieu et ceci peu importe où elles se diffusent et qui les exploitent, que ceux-ci soient laïcs ou même ecclésiastiques. Le vrai visage de Dieu est Jésus-Christ, la parfaite image à la ressemblance humaine de Dieu : le seul modèle de perfection que nous sommes invités à suivre, mais en sachant qu’il faut une vie pour y parvenir un peu, et que, par la grâce, ce don gratuit de Dieu, cette perfection, ou cette transfiguration, sera atteinte, lors de notre naissance complète à Dieu53.
La notion d’égalité chrétienne, en vue d’une humanisation de l’homme qui est à s’accomplir de son vivant, est bien définie par Maurice Zundel dans la dernière conférence qu’il a donnée le 2 février 1975 et qui a pour titre « Comment évangéliser notre inconscient » :
« La seule aventure qui rend tous les hommes strictement égaux, c’est celle-là : chacun dans son for intérieur, dans le plus secret de lui-même, décide de ce qui arrivera à Dieu dans l’histoire des hommes.
C’est bien la question que l’on peut se poser, sous la forme la plus simple et la plus concrète : qu’est-ce qui va arriver à Dieu aujourd’hui, du fait de ma présence au monde ? Quand nous implorons, dans le Notre-Père, le règne de Dieu en Lui demandant qu’Il vienne, nous ne pouvons pas oublier qu’Il ne peut venir que par nous et à travers nous. Et, nous prenons conscience, si nous sommes attentifs, que chacune de nos défaillances volontaires diminue le royaume de la Présence divine, fait écran à Sa lumière et empêche les autres d’y atteindre.
Si l’infini est la dimension suprême de notre vie, si nous sommes vêtus de Dieu, vêtus de Jésus-Christ, comme dit saint Paul, c’est justement pour être un Évangile vivant, le seul Évangile qui puisse convaincre et sauver.
Ce ne sont pas des tonnes d’exemplaires du Nouveau Testament, livrés à eux-mêmes, qui porteront la lumière, mais ce courant de charité et d’amour, s’il est authentique54, qui circulera d’une âme à une autre et à travers toute la chaîne de la communion des saints dans tout l’univers.
La Bonne Nouvelle, c’est l’Évangile. Mais l’Évangile concret, c’est nous : c’est nous dans la mesure où nous regardons obstinément ce visage du Seigneur après Lequel, comme dit l’antienne de Noël, toute la terre soupire. »55
En ayant ces propos en tête, réfléchissons sur notre responsabilité quotidienne, ne serait-ce que pour proclamer la vérité, même quand elle est dérangeante, et mener le combat spirituel, dans un monde qui hait la vérité au point de prétendre bien ce qui est mal et mal ce qui est bien.
Obéissance et liberté
L’obéissance de Maurice Zundel n’a jamais fait défaut à sa hiérarchie ecclésiale, car il ne se préoccupait pas d’une susceptibilité éventuelle de son ego, face à des procédés ou des considérations injustes56 quant à son œuvre ou à sa personne. Il a su atteindre un tel dépouillement de son "moi" qu’il se contentait de révéler, autant que ses forces et ses dons le permettaient, le vrai visage du Christ. Ce qui ne l’empêchait pas de se montrer critique envers des comportements de membres de l’Église qu’il considérait comme nuisibles à la véritable image de Dieu. Quelques exemples vous ont déjà été donnés. En voici d’autres.
Dans les méditations57 de Maurice Zundel que vous pouvez lire sous le titre "Je parlerai à ton cœur", il mentionne la supérieure tyrannique de sœur Marie-Thérèse de Lisieux qui a commis à l’égard de celle-ci un abus de pouvoir spirituel, en corrigeant le manuscrit de ses Cahiers pour y voir figurer son nom ! Il dit à propos de cette supérieure de sainte Thérèse :
"Il est clair que des abus d’autorité aussi flagrants, tels qu’on peut les voir, noir sur blanc en quelque sorte, dans les manuscrits de sainte Thérèse, que ces abus de pouvoir ne sont nullement garantis par l’institution religieuse elle-même et que le vœu d’obéissance qui va faire l’objet de notre méditation, ne couvre aucunement l’orgueil humain ou la sottise humaine qui use de cette délégation divine pour accomplir sa propre volonté."58
Il cite le cas d’une Mère supérieure qui exigeait de ses sœurs des marques de respect pour son chien, sous peine de subir ses foudres ! Une autre qui traitait une des sœurs soumises à son autorité comme une esclave ! Une fonction ecclésiale n’autorise pas un supérieur à considérer les personnes qui lui sont confiées comme des sujets, corvéables à leurs caprices :
" Il est évident que ces abus n’ont rien à voir avec le vœu d’obéissance et que, si nous sommes fidèles au climat où saint François nous a introduits, en nous révélant que Dieu était la Pauvreté, il est de toute évidence que nous ne pourrons plus concevoir à jamais qu’il y ait dans l’Église des sujets. Il n’y a pas de sujets, puisque Dieu n’en a pas59. Donc l’obéissance ne peut pas faire des sujets, l’obéissance ne peut faire que des hommes libres. C’est pourquoi on ne peut concevoir l’obéissance que comme un sacrement de liberté et c’est au titre de sacrement qu’il faut le considérer toujours."60
Le Christ est explicite (Jean 15,15) : "Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur reste dans l’ignorance de ce que fait son maître; je vous appelle amis, parce que tout ce que j’ai entendu auprès de mon Père, je vous l’ai fait connaître." Oui, le serviteur est un exécutant sans comprendre; un ami obéit en connaissance de cause.
Être au service de Dieu ne consiste pas à être l’esclave aveugle d’un individu - volontairement, je n’emploie pas ici le mot de "personne" -, individu qui, abusant de sa fonction, aboutit, chez certains fidèles qui lui sont confiés, à leur renoncement aux élémentaires facultés de discernement. Ces dernières exigent de l’intelligence, ce don de Dieu qui ne s’abandonne pas par paresse, par hypocrisie, par peur ou par manque de confiance en soi comme en Dieu.
Et tout homme engagé par des vœux dans l’Église, et à mon avis pas seulement dans un Ordre ou une Congrégation, est concerné par cet extrait qu’il convient de méditer afin d’effectuer un examen de conscience :
" ... le vœu d’obéissance a essentiellement ce but d’être un sacrement de libération, de mettre chacun des membres de l’ordre ou de la congrégation dans un rapport immédiat avec Notre Seigneur. Car, puisqu’être membre d’un ordre religieux, être membre d’une congrégation religieuse, c’est être en mission d’Église, c’est représenter l’Église jusque dans son vêtement, c’est donc annoncer Jésus-Christ et permettre la communication de Sa Présence. Il est essentiel que toute la vie religieuse soit, du matin au soir, et du soir au matin une mission divine.
L’obéissance, c’est le sacrement de la mission et, par conséquent, c’est identiquement le sacrement de la liberté. Car je ne vais pas en mission pour moi ni en mon propre nom, je vais en mission pour Jésus-Christ et en la Personne de Jésus-Christ. Il faut donc que je sois envoyé par Jésus-Christ. La mission s’exprime à travers le sacrement de l’obéissance.
Le vœu d’obéissance ramène l’âme religieuse à Jésus-Christ, la met en contact immédiat avec Lui, et ce qu’elle a à demander à l’obéissance qui est un pain substantiel, c’est une nourriture, la nourriture même de l’amour, celle que Jésus attendait de Son Père, celle qui était Sa Nourriture : " J’ai une nourriture à manger qui est d’accomplir la Volonté de mon Père".
C’est là l’unique sens de l’obéissance : nous avons une nourriture à recevoir de Dieu qui est l’accomplissement de Sa Volonté, cette Volonté qui est tout Amour, qui vise à nous libérer, à nous identifier avec Lui, à nous revêtir de Lui-même, afin que nous agissions toujours en Sa Présence et en Sa Personne. Il n’y a rien d’autre à attendre de l’obéissance que cette libération et cette certitude qu’on agit dans la Personne de Jésus-Christ. "61
Sans appartenir à un ordre religieux ou sans exercer une fonction ecclésiale, il convient pour Zundel que nous nous fassions "homme", en nous interrogeant chacun sur notre fonction humaine.
La fonction de l’homme
Devenir le reflet du visage de Dieu à travers la vie du quotidien en famille, dans sa vie professionnelle ou associative, avec ses proches et toute personne en difficulté dans la mesure de ses moyens et de ses compétences, toutes ces grâces venues de Dieu. À la générosité de Dieu doit correspondre la générosité de l’homme envers autrui :
« Quand donc il est question de liberté, il ne faut jamais dissocier ce mot magnifique de cet autre mot qui n’est pas moins beau… générosité. Liberté et générosité vont ensemble ! C’est une seule et même chose, car notre liberté c’est le pouvoir de nous donner ! Le pouvoir de faire de tout notre être une offrande… le pouvoir de faire de notre vie un espace de lumière et d’amour où le monde entier pourra trouver un accueil et un refuge.
À ce moment-là, la liberté… oui ! elle devient en effet le bien suprême, parce qu’à ce moment-là l’homme devient une origine et une source… il n’est plus simplement un faisceau d’instincts et de besoins qui réclament… qui veulent être satisfaits… Il est avec Dieu le créateur d’un monde nouveau, d’un monde sans limites, d’un monde merveilleux où tout est ordre, joie, lumière et beauté. »62
« C’est pourquoi, finalement, la liberté ne peut se découvrir qu’au moment où nous entrons en contact avec le Dieu Vivant. Dieu est vraiment le chemin de notre liberté ! C’est à travers son Visage imprimé dans nos cœurs, que nous accédons à nous-mêmes, et que nous comprenons le sens de ce don que nous avons à accomplir et qui est la plénitude même de notre existence. »63
Conclusion
Recherchons la vraie liberté :
« Tant que nous subissons notre vie, notre destin, notre hérédité, nos options passionnelles, nos préjugés… tant que nous ne serons pas radicalement renouvelés, tant que nous ne sommes pas passés par la nouvelle naissance, tant que nous ne sommes pas devenus la source et l’origine de nous-mêmes, tant que nous ne nous sommes pas créés dans un élan d’amour vers l’Amour… la liberté ne signifie rien ! »64
Dieu est présent au cœur de notre liberté :
« Voilà en somme le dialogue dans lequel nous cherche le Seigneur : c’est un dialogue d’amour, un dialogue de lumière, un dialogue de liberté, un dialogue de libération, un dialogue où nous devenons avec Lui les créateurs d’un univers tout neuf, éternellement jeune, irremplaçable, où chacun de nous a un rôle unique à jouer. Car justement, Dieu, en nous créant libres, a remis entre nos mains notre destin, et davantage…
Il a remis entre nos mains Son destin, parce qu’Il ne peut — puisqu’il est essentiellement liberté — Il ne peut témoigner de Lui-même, Il ne peut être présence réelle à l’Histoire, qu’à travers des êtres libérés.
C’est donc dans la mesure où nous serons libérés de nous-mêmes que nous attesterons un Dieu incontestable, un Dieu qui ne s’impose pas, un Dieu qui sera reconnu avec un immense bonheur comme Augustin, lorsqu’il rencontra soudain au fond de lui-même la Beauté si antique et si nouvelle, il n’eut qu’un cri : “Vivante sera désormais ma vie, toute pleine de Toi.”65
Le christianisme révèle quelle est la grandeur de l’homme :
“Dans la nouvelle situation de l’homme et de l’univers en Jésus-Christ, la relation entre Dieu et l’homme devient une relation nuptiale. L’homme est libre, ou plutôt est appelé à devenir libre, libre de soi et libre de Dieu.
L’homme n’aura plus à subir Dieu, car Dieu va lui communiquer ce qu’il a de plus intime, ce qui fonde son inviolabilité.
Dieu ne va pas saisir l’homme comme un objet, s’imposer à lui comme une force aveugle et inconsciente. Dieu va appeler l’homme à se donner à Lui, et Il va d’abord Se donner à l’homme, totalement jusqu’à en mourir.
Quelle grandeur ! Quel Univers tout à fait nouveau ! Quel nouveau visage de l’homme ! Et quel visage, combien aussi nouveau de Dieu ! Comment aurions-nous pu seulement soupçonner que nous puissions être appelés à une telle grandeur et à une telle dignité.”66
et encore :
“Il faut voir dans le christianisme la grandeur de l’homme inséparable de la grandeur de Dieu. Rien ne nos blesse davantage que de voir glorifier Dieu au détriment de l’homme, comme si c’était en établissant le néant de l’homme que l’on faisait ressortir la gloire de Dieu ! Mais non ! La gloire de Dieu est dans la grandeur de l’homme. Et quand Dieu nous apparaît, l’homme se transfigure ! Quand Dieu est vraiment présent, la vie atteint sa plénitude. C’est pourquoi tous ceux qui sont disciples du Vrai Dieu portent en eux un appel à la grandeur. C’est la même chose, au fond, d’écouter en soi l’appel du Vrai Dieu, et de s’acheminer vers la grandeur.”67
Il convient d’échapper à deux tyrannies :
“Il nous serait parfaitement inutile de nous délivrer des tyrannies extérieures si nous nous placions nous-mêmes sous le joug d’une tyrannie intérieure.”68
La question qui se pose à nous tous : que puis-je faire maintenant ?
Il est utile de porter un regard sur ses choix dans le passé :
“Notre possibilité de choisir […] implique la possibilité de nous choisir, en refusant de nous subir.”69
La question : comme il n’est jamais trop tard pour changer de choix, que choisir maintenant ?
Il y a un modèle de vie : le Christ, Dieu fait homme et qui nous appelle :
“Si je dois me libérer de moi-même, si je suis appelé à évacuer en moi toutes les préfabrications, ou tout au moins à les surmonter et à les convertir en liberté créatrice, c’est parce que je suis théophore. Je porte Dieu. La Vie de Dieu Lui-même est remise entre mes mains.
Et il s’agit de faire de moi-même un espace assez vaste pour que Dieu puisse répandre en moi Sa Vie, et, à travers moi, La communiquer à toute l’humanité et au monde entier.”70
La question : que dit ma conscience dans le cœur à cœur avec Dieu ?
Ensuite, il ne reste plus qu’à agir avec courage, mais avons-nous encore du courage d’obéir à la voix de Dieu plutôt qu’aux déluges verbaux, sur un désert d’idée, qui inondent les réseaux sociaux comme la plupart des media ?
Laissons les mots de la fin à Maurice Zundel :
“Il est donc parfaitement clair que, pour Jésus, le Bien c’est le bien que l’on devient, c’est la même chose que la liberté où l’on respire, et il n’y a pas autre chose : Jésus, vraiment, nous a délivrés de toutes lois. Il n’y a qu’un appel dans son message, c’est de ne plus rien subir, c’est de décoller de tout ce qui est préfabriqué, c’est d’inventer en nous cette vie toute neuve qui jaillit du dialogue avec Dieu, c’est de devenir enfin, dans la plénitude du terme, des hommes libres.
Quelle joie de voir que, justement, la sainteté chrétienne s’identifie avec la plénitude de la liberté, selon le mot qui est au cœur de l’Évangile : ‘Si vous écoutez ma parole et si vous devenez mes disciples, vous serez les disciples de la Vérité et la Vérité vous rendra libres.’ (Jean, 8, 31-32).”71
Retrouvons les origines chrétiennes, donc humanistes, de la devise "Liberté, égalité, fraternité" : liberté par l’Esprit Saint, égalité devant Dieu et fraternité par le Christ.
Si cette communication vous conduit à retrouver votre chemin de liberté, elle n’aura pas été inutile à la redécouverte de Dieu qui est la Suprême liberté, s’offrant librement à chacun d’entre nous.
Antoine Schülé, La Tourette, 7 mars 2021
Vous souhaitez une discussion, des précisions sur cette communication :
Contact : antoine.schule@free.fr
1 Maurice Zundel : L’Évangile intérieur. Saint-Augustin. Saint-Maurice.1991. 112 p., p. 51.
2 Emmanuel Latteur : Les minutes étoilées de Maurice Zundel. L’éveil à la Présence. Anne Sigier. Québec. 2001. 500 p., p. 82.
3 Pas seulement en France, mais dans tous les pays du monde.
4 Maurice Zundel : Ton Visage ma lumière. 90 sermons inédits. Desclée. 1989. 512 p. (ici abrégé : TVL), p. 168
5TVL, p. 170-171
6 Maurice Zundel : Émerveillement et pauvreté. Saint-Augustin. 2009. 208 p., (abrégé EP) p. 13-15
7 En se faisant l’homme nouveau à la lumière de l’Évangile.
8 Valentine Zuber : Le culte des droits de l’homme. NRF. Gallimard. 2014. 408 p.
9 Je vous rappelle les imprimés initiaux illustrant ce texte : à l’image de Moïse tenant les tables de loi (les 10 commandements), Marianne présente les articles de la Déclaration.
10 Le politiquement correct m’oblige à une correction afin de ne pas en subir une sévère : ne parlons plus des Droits de l’homme mais de Droits humains.
11 À l’image du catholiscisme que cette morale républicaine entend supplanter.
12 Note de Schülé : De la Terreur à nos jours, le carnage est évident ! De la guillotine révolutionnaire au bistouri républicain qui tue l’embryon, quel progrès ! De la guerre juste à la guerre nucléaire, quel génie humain ! De la liberté d’expression proclamée à la censure et à l’autocensure, " Qu’elle est belle la liberté..." ! ...
13 EP, prêches de 1963. p. 16
14 Note Schülé : Pensez à la licence sexuelle depuis les années 1960 : pédophilie, viols, pratiques irrespectueuses de son corps et du corps d’autrui, devenus des jouets de plaisir, sans aucune reconnaissance de la personne et de sa dignité. Au lieu d’un acte d’amour, il y a un soulagement organique à n’importe quel prix dans le mépris de l’autre, quand ce n’est pas, pire encore, dans la pratique d’un satanisme sexuel.
15 Maurice Zundel : Itinéraire. La Colombe. Paris. 1947. 192 p. p. 38-39
16 Maurice Zundel (paroles choisies par Paul Desbains) : Un autre regard sur l’homme. Sarment. Paris. 2005. 380 p. (abrégé : arsh), p. 287
17 Note Schülé : Un homme d’Église qui ne respecte pas la dignité de tous les fidèles, en méprisant leurs travaux comme leurs personnes (et ceci bien souvent par pur orgueil), est indigne de porter des habits sacerdotaux. Au lieu d’être un représentant du Christ, il a choisi d’être un crachat sur le visage du Christ qui, Lui-même, a dit de Judas, aussi son apôtre (Marc, 14, 21) :"Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas né.".
18EP p. 17
19 Note Schülé : Lumière de l’Évangile et non d’une franc-maçonnerie qui affectionne aussi le mot « lumière ».
20EP, p. 17
21 Note de Maurice Zundel : Un matérialisme absolu entraînerait logiquement l’extinction de tout droit. Il n’y aurait plus que des nécessités soumises à un déterminisme fatal, où il ne saurait être question de liberté. L’inviolabilité de la personne repose toute entière sur cette exigence divine, en l’accomplissement de laquelle se réalise son autonomie. Le droit est fondé sur cette capacité de don où doit germer l’altruisme absolu qui nous rapporte à Dieu, en nous affranchissant de toute servitude humaine. On ne saurait donc parler de droit sans adhérer, du moins implicitement, à une conception spirituelle de l’humanité, comme il n’en devrait être strictement question qu’à propos des personnes. Ce qui n’implique nullement que celles-ci n’aient point de devoirs imprescriptibles à l’égard des êtres non spirituels.
22 Note de Maurice Zundel : Qui se résument tous dans le théocentrisme de l’être et de l’action, suscité et soutenu par cette expérience, coextensive de toute vie de l’esprit : il y en moi plus que moi.
23 Zarathustra, p. 116.
24 Maurice Zundel (Marce Donzé) : Oeuvres complètes t. II. Harmoniques, Parole et silence, 2019, 636 p., Recherche de la personne, p. 365-366.
25 Maurice Zundel : Quel homme et quel Dieu ? Retraite au Vatican. Fayard. 240 p. (abrégé : qhqD), p. 30
26 Ou avec des peines légères n’interdisant pas leur activité politique, si précieuse à la main qui les protège.
27 Pour nommer cette morale laïque ayant quelques valeurs qui sont nées dans le sang : ce qui s’oublie trop vite (la Terreur), sauf chez des terroristes qui peuvent chanter volontiers "qu’un sang impur abreuve nos sillons", sans savoir que la Marseillaise traitait du sang anglais...
28 C’est pourquoi il faut prier pour ses ennemis : non pour qu’ils restent des ennemis, mais pour qu’ils se convertissent.
29 Toujours intéressantes à connaître !
30 D’origine chrétienne pourtant : reprise de valeurs chrétiennes en enlevant Dieu, une « dénucléolisation » en fait.
31 Maurice Zundel : La liberté de la Foi. Saint-Augustin. Saint-Maurice. 1992. 124 p., (abrégé LF), p. 46-47.
32LF p. 46
33 Présence de Maurice Zundel, avril 2016, n° 94. « C’est pour nous restions libres, que le Christ nous a libérés. » (Galates, 10, 5,1), p. 5.
34 Maurice Zundel (paroles choisies par Paul Desbains) : Un autre regard sur l’homme. Ed Sarment, 2005. 380 p. p. 223 (abrégé arsh)
35 Dieu.
36 Phrase fameuse que Zundel reprend souvent dans ses homélies ou ses écrits : Augustin découvre un Dieu intérieur et non extérieur.
37 arsh, p. 224. Il s’agit de la Rencontre et de la Présence de Dieu qui nous attend dans notre cœur, qui est toujours là, même chez le païen voire la crapule, mais qui reste dans l’attente d’une réponse à Son appel. Dieu attend chacun d’entre nous avec impatience, et même celui qui l’ignore encore ou ce chrétien qui, au nom de son égocentrisme ou de son pharisaïsme, sacrifie Son Visage.
38 Maurice Zundel (textes choisis par Paul Desbains) : Le problème que nous sommes. La Trinité dans notre vie. Éd. Sarment. 2005. 384 p., p. 260
39TVL, p. 182-183
40TVL, p. 184
41TVL, p. 175
42 Le culte de « son image » : tout est réduit à cela, même l’« amitié » qu’il croit donner !
43TVL, p. 176
44TVL, p. 178
45qhqD, p. 233-234
46 In : Benoît Garceau : De la liberté au don de soi. La voie de Maurice Zundel. Mediaspaul. Montréal. 2014. 120 p., p. 94.
47 Harmoniques : Avec Marie, devenir à notre tour mère de Dieu, p. 476
48LF, p. 101
49 Harmoniques : L’Évangile intérieur, p. 173
50 Le Christ a des paroles dures, envers ceux qui scandalisent les fidèles, voire les détournent complètement de l’Église, en raison de leurs comportements (mœurs, façons d’être contraires à l’esprit des Évangiles, passion de l’argent, culte de son ego, abus d’autorité, abus spirituel... il existe quelques-uns qui cumulent plusieurs de ces dispositions à la fois !) : Ses paroles figurent dans Matt 18,6, Mc 9,42 et Lc 17,1-2 et s’adressent à tous les chrétiens, au Pape jusqu’au plus petit ordonné dans l’Église, du fidèle qui cultive la théologie à celui qui a la foi du charbonnier.
51 Harmoniques : Recherche de la personne, p. 327-328
52 Maurice Zundel : L’Évangile intérieur. St Augutin. Saint-Maurice (CH). 112 p. (abrégé EI), p. 26, 27
53 La mort est une naissance à Dieu : l’enfer est de ne pas pouvoir vivre dans la Lumière de Dieu, car Il nous a laissés libres de la refuser.
54 À souligner !
55Garceau : Idem, p. 99-100.
56 Âgé de 12 à 14 ans, j’en ai été le témoin et, depuis, je suis particulièrement allergique à ces comportements.
57 À l’intention de sœurs franciscaines du Liban, en 1959.
58 Maurice Zundel : Je parlerai à ton cœur. Anne Sigier. Canada. 1990. 328 p. p. 253-254 (abrégé JPC).
59 Rappel : le lavement des pieds.
60JPC, p. 255
61JPC, p. 255-256
62TVL, p. 172
63TVL, p. 173
64TVL, p. 186
65TVL, p. 189
66arsh, p. 214
67arsh, p. 215
68 Présence de Maurice Zundel, n° 94, p. 5.
69qhqD, p. 52
70arsh, p. 228
71TVL, p. 180