mardi 9 avril 2024

Gaston Febus (1331 - 1391) et son "Livre de la chasse"

 Gaston III de Foix-Béarn

(30 avril 1331, Orthez - 1er août 1391, L’Hôpital d’Orion) 

par Antoine Schülé

La Tourette, le14 septembre 2022.


La Provence a gardé le souvenir vivace du roi René au XVe s., les Pyrénées ont un héros, paré aussi de légendes : Gaston Phœbus (ou Febus). Face à cette personnalité du XIVe siècle, nous sommes surpris par son réalisme politique, sa soif de savoir, son talent de gestionnaire et son sens de la communication. L’approche historique consiste à faire part de ce qui appartient à la légende et de ce qui est la réalité accessible quant à sa vraie nature. L’espace d’un instant, intéressons-nous à cette page du passé où une paix assurée aux populations dépend aussi bien de l’emploi de la force armée que de la négociation diplomatique. 

Il est le fils de Gaston II de Foix-Béarn et d’Aliénor de Comminges. Son père meurt au siège d’Algésiras, durant la croisade conduite en Andalousie. 

Il est âgé alors de 12 ans et il ne sera majeur qu’à l’âge de 14 ans : sa mère assure la régence. En 126 étapes, sa mère lui fait recevoir les hommages de reconnaissance dans tous les territoires leur appartenant. Il s’engage à maintenir les libertés et les garanties prévues par le droit coutumier. Le peuple attend de lui une protection militaire, car seule la paix permet un commerce fructueux et une vie agricole normale.

À la succession de Gaston II, il devint le 12e comte de Foix le 26 septembre 1343, seigneur de Béarn en 1347 (successeur de Gaston IX), le 3e coprince d’Andorre, vicomte de Marsan. 

Il a exercé le pouvoir pendant 47 ans, 10 mois et 6 jours. En 1358, il sera appelé Gaston Febus. Nombreuses graphies possibles : Phœbus, Phobus, Phébus, Fobus… 

Sa signature

De la mythologie grecque : Phoibos - Apollon était l’âme du monde, le soleil renaissant chaque jour, source de vie; dieu de la médecine en raison de la force de ses rayons; dieu de la divination, car il voit tout; dieu chasseur, car ses rayons comme des flèches percent la terre. Ce choix nous démontre que Gaston III a eu connaissance des écrits d’Ovide : le livre des Métamorphoses, un long poème de douze mille vers, divisés en 15 livres. 



Son blason : armes écartelées de Foix et Béarn : pour Foix "d’or à trois pals de gueules" et pour Béarn "d’or à deux vaches passantes de gueules, accolées, accornées et clarinées d’azur" (traduction de ce langage de blason : deux vaches rouges, tournées vers la gauche, avec au cou une cloche bleue). Il avait un sceau, à ses débuts, le présentant en chevalier et, plus tard, avec son blason ci-dessus surmonté d’un heaume. Dans les documents officiels, sa titulature était : "Gaston, par la grâce de Dieu comte de Foix, seigneur de Béarn, vicomte de Marsan et de Gabardan“. 



Son territoire est morcelé le long de la chaîne pyrénéenne. Deux puissances l’entourent : à l’ouest, il jouxte avec son Béarn, les rois d’Angleterre, ducs d’Aquitaine, et, à l’est, avec Foix, le roi de France. Entre ces deux pays, la maison d’Armagnac entre en conflit avec lui pour la possession de la Bigorre. Le commerce du Béarn a besoin des ports de Bayonne et de Bordeaux. Au sud, il y a l’Aragon avec qui une entente se réalise et, au sud-ouest, la Navarre avec qui la méfiance est de rigueur : un ancien allié peut devenir, selon ses intérêts du moment, un ennemi parfois loyal ou, le plus souvent, déloyal.

La guerre de Cent Ans

En bref :

De 1337 à 1453, des querelles dynastiques et successorales opposent l’Angleterre à la France, chaque royaume ayant ses vassaux, des soutiens opportunistes pour répondre à des besoins d’extension de territoires aux dépens de ses voisins. 

Lors de la mort de Charles IV, sans laisser de fils, en 1328, la question se posait de savoir qui pouvait lui succéder sur le trône de France, alors que son épouse, la reine Jeanne, était enceinte. L’assemblée de barons, en attente de la naissance, confia la régence à Philippe de Valois. Trois prétendants réclamèrent la couronne : Philippe, comte d’Évreux, en tant qu’époux de Jeanne de Navarre, fille de Louis X ; Édouard III, roi d’Angleterre, en tant que fils d’Isabelle, fille de Philippe IV (petit-fils de Philippe le Bel, neveu de Louis X, de Philippe V et de Charles IV) et Philippe, comte de Valois, le cousin germain des trois derniers rois de France. 

Les barons se réunirent pour établir un nouveau droit successoral : la couronne de France ne pouvait se transmettre qu’en ligne masculine et, en cas d’absence de fils ou de frère, elle devait s’attribuer au plus proche parent par les mâles. Philippe de Valois fut proclamé roi, ce que Édouard III d’Angleterre refusa d’admettre. 

Cette guerre n’a pas été permanente. Elle a connu de nombreux épisodes, avec des changements d’alliances. La peste et la famine se sont ajoutées aux calamités locales dues à la guerre : levées d’impôt pour financer les nécessités militaires et les pillages occasionnés par les compagnies de mercenaires, pas payées ou désireuses de réunir du butin, aux dépens des populations. Jusqu’en 1380, l’Angleterre obtient des succès. Dès 1380, pour la France, Duguesclin récupère des territoires pris par les Anglais. Sous Charles VI, de nouvelles défaites françaises et plusieurs guerres civiles aboutissent, en 1420, au Traité de Troyes : une bonne partie de la France est livrée aux Anglais.

Charles VII, avec la Paix d’Arras de 1435, met un terme aux querelles intestines françaises. En 1453, il a libéré la France des Anglais, sauf Calais. 

Plus précisément, pour Foix et Béarn :

Le père de Gaston III s’était engagé du côté de la France et son fils entend poursuivre ce lien, mais de façon très diplomatique en ménageant autant que possible son indépendance. Il opte en certaines circonstances pour une sorte de neutralité pour le Béarn dont il se déclare le souverain, après la défaite française de Crécy du 26 août 1346. Par contre, pour Foix, il confirme son allégeance au roi de France en 1348. Il a des terres dans les sénéchaussées d’Agen, de Toulouse et de Carcassonne. 

Pour préserver les communautés placées sous sa protection, Gaston III allie stratégie, diplomatie et un emploi de la force militaire, plus pour dissuader que conquérir. L’Armagnac demeure son ennemi principal. 

Le 4 août 1349, il épouse Agnès de Navarre, à l’église du Temple à Paris, juste avant le décès du père de celle-ci, Philippe VI, le roi de France, le 22 août 1350. Jean II prend la succession royale. 

Avril 1351, le conflit franco-anglais reprend. En 1352, Toulouse demande à Gaston III, en tant que comte de Foix, ayant prêté serment au roi de France, de la protéger contre les Anglais. Il mène plusieurs campagnes, pendant que son demi-frère Arnaud-Guilhelm gère ses terres. Lors d’un soulèvement à Orthez, en octobre 1353, il punit les coupables d’amendes financières. 

En 1355, le Prince Noir, fils d’Édouard III, roi d’Angleterre, arrive à Bordeaux pour imposer les prétentions anglaises sur le royaume de France. Le 19 septembre 1356, à Poitiers, la France subit une nouvelle défaite. Jean II est fait prisonnier et une trêve est signée entre les deux royaumes. Pour le Béarn, Gaston Febus se déclare en être le seul souverain et n’a donc pas l’obligation d’en rendre hommage au roi d’Angleterre. Il le lui rend seulement pour deux petits territoires enclavés en zone conquise par les Anglais.

Gaston III et les chevaliers Teutoniques

Il s’engage en Prusse pour une croisade où il adoptera comme surnom Febus et sa devise sera “Toquey si gauses”. Embarqué à Bruges, il fait des escales en Norvège et Suède pour être à Könisberg, le 9 février 1358. Il est promu chevalier de l’Ordre Teutonique,à Marienburg. Exceptionnellement, il a dû emprunter de l’argent pour effectuer cette expédition. Lors de son retour en France, il délivre la dauphine de France, Jeanne de Bourbon, assiégée à Meaux. Lors de cette lutte sans pitié contre la jacquerie, une révolte des paysans, Gaston III a lancé son cri “Febus aban” qu’il adoptera définitivement. 

Gaston Febus :: un politicien, un administrateur, un militaire, un chasseur, un musicien et un écrivain. 

Sa première mission est la défense des droits coutumiers (les fors) et la protection des cités marchandes ainsi que des exploitants des terres agricoles, des bois et des pâturages en montagne. Il possède des moulins et des mines de fer et d’argent. 

Il construit des forteresses. Il répond aux appels de communautés agressées. Tout cela coûte : armement, destriers, soldats, bêtes de trait, constructions. Montrer sa force pour ne pas devoir s’en servir : ainsi, nous pourrions résumer sa stratégie. En tant qu’ancien officier des troupes de forteresses en Suisse, je suis impressionné par la densité de son réseau de forts. Il est d’une modernité surprenante pour le recrutement d’ hommes aptes au combat et pour la qualité de leur armement. 

Il favorise une administration fiscale très perfectionnée pour son temps : ceux qui ne peuvent pas payer en argent le fouage s’acquittent en corvée ou service armé. Lorsqu’il capture des ennemis de haut rang, il exige d’importantes rançons. 

Il est informé très rapidement sur tout ce qui concerne ses intérêts.

Pour mener sa politique et la guerre éventuelle, il constitue une énorme réserve financière. Il prête de l’argent aux seigneurs en difficulté, mais exige des garanties. Généreux parfois avec qui lui plaît, il est intransigeant sur les questions d’argent, le nerf de la guerre et de sa politique. 

Il soigne spécialement sa renommée : il serait, de nos jours, un grand communicant.

Passionné de musique, il échange les musiciens avec la cour d’Aragon et d’Avignon. Il apprécie les troubadours en langue d’oc, les instrumentistes nommés jongleurs ou aussi ménestrels et les chantres -compositeurs. Phœbus a composé lui-même des chants. Il faisait venir des musiciens de Flandres, ou d’Allemagne. Il se plaisait à découvrir de nouveaux instruments ou des perfectionnements à ceux existants.

En fonction des circonstances, il noue ou dénoue des alliances avec tantôt la France, tantôt l’Angleterre, tout en ménageant ses adversaires, sauf ceux d’Armagnac. Son objectif est d’effectuer une soudure territoriale entre Foix et Béarn, la Bigorre étant l’enjeu principal. Les communautés qui s’y trouvent demandent sa protection miliaire, ce qu’il accorde volontiers : il n’est pas le possesseur de ces territoires, mais leur protecteur et protège du même coup ses intérêts. 

Lorsqu’il y a deux Papes, l’un à Rome et l’autre à Avignon, il ne prend position ni pour l’un ni pour l’autre, une vraie neutralité, une fois de plus, quitte à irriter l’évêque local. La neutralité consiste à ne point se laisser enchaîner par des alliances . "Neutre", de l’expression latine "ne uter", signifie étymologiquement "ni l’un ni l’autre" automatiquement. Un petit État doit se garder libre de ses engagements. La Suisse était autrefois neutre et, de nos jours, des intérêts purement économiques ont mis fin à sa neutralité : je le regrette vivement.  

Les Chroniqueurs

Jean Froissart

La source principale qui a contribué à la renommée de Gaston Febus se lit dans "Les chroniques de France, d’Angleterre et des pays voisins" de Jean Froissart qui a été aussi un romancier : Meliador est son récit écrit dans l’esprit arthurien que notre Béarnais, à l’esprit chevaleresque, aimait lire ou entendre. 

Il est né à Valenciennes en 1337. Poète à ses débuts auprès des comtes de Hainaut, il a suivi la jeune Philippa de Hainaut qui épouse le roi Édouard III d’Angleterre. À Londres, il s’entretient avec les chefs de guerre anglais et les chevaliers français battus à Poitiers. Chargé de mission par la reine, il se rend en Écosse, en France, en Savoie et en Italie. À la mort de Philippa en 1369, il commence ses Chroniques

Il a compilé les chroniques déjà existantes, point de départ de toute recherche. Son apport est d’avoir interrogé et discuté avec les princes, les seigneurs et les gens d’armes de son temps. Descriptions, récits et dialogues rendent agréable la lecture de son livre. Il tente de comprendre au mieux les personnalités qu’il rencontre. Il écrit pour être lu par la noblesse qui lui est contemporaine et celle future : il loue la vie chevaleresque qu’il idéalise. 

Son œuvre est originale. Il se rend dans les différentes cours royales ou comtales pour s’informer. Il est en quelque sorte l’ancêtre, de ce que nous nommons aujourd’hui, des journalistes d’investigation. 

La réputation de Febus est si grande qu’il tient à l’approcher. Il reste pendant 120 jours auprès de lui, à la cour d’Orthez où il arrive en novembre 1388. Il note tout ce qu’il entend ou sait sur ce personnage. Dans le livre III, intitulé Voyage en Béarn, il nous livre un précieux témoignage oral, à prendre avec un regard critique. Il est tributaire des informateurs qui lui racontent ce qu’ils veulent bien dire ou mal dire. Oui, nous avons un recul temporel et des confrontations de sources diverses que Froissart ignorait, mais ceci ne doit pas occulter la richesse des données qu’il apporte. 

Son portrait de Gaston Phœbus est resté une page célèbre :

" Le comte Gaston de Foix dont je parle et au temps où je fus en sa présence, avait environ cinquante-neuf ans d’âge. Et je vous affirme que j’ai eu vu de nombreux chevaliers, rois, princes et autre savant lui, mais jamais je n’ai vu quelqu’un d’aussi bien proportionné de corps, d’aussi belle stature, d’aussi élégant, de si belle forme, ni de si belle taille et d’un visage aussi sanguin et souriant, les yeux vairs et affectueux envers ceux qu’il lui plaisait de regarder. Il était si parfait en toute chose qu’on ne saurait que le louer. Il aimait ce qu’il devait aimer et haïssait ce qu’il devait haïr. 

Il était sage chevalier, disposait d’une belle intelligence, conseillait utilement et n’avait pas recours à des marmousets. Il régnait avec prudence. En sa chambre, il priait le psautier en nocturne, les heures de Notre-Dame, du Saint-Esprit, de la Croix et les vigiles pour les défunts. Quotidiennement, au nom de la charité voulue par Dieu, il distribuait cinq francs en petite monnaie à des pauvres. 

Il fut généreux et délicat dans sa façon de donner. Il savait prélever sur ses biens pour remettre à qui était dans le besoin. Il aimait les chiens par-dessus tous les autres animaux : il chassait volontiers été comme hiver. Il aimait se divertir de faits d’armes et d’amour. Il n’aimait pas les dépenses excessives et les propos excessifs. Il voulait savoir tous les mois l’état de ses comptes. Pour collecter ses revenus, payer ses gens et administrer ses biens, il désignait douze notables. Tous les deux mois, il permutait le responsable de la collecte des revenus qui reprenait sa fonction au sein des douze. Il accordait sa confiance à un contrôleur qui tenait un registre précis des recettes et des dépenses que le comte consultait régulièrement. Il possédait des coffres dans sa chambre où il prenait parfois de l’argent pour le donner à un chevalier ou à un écuyer qui se présentait à lui, car jamais celui-ci ne repartait sans recevoir une bourse. Il constituait une réserve d’or pour avoir la capacité de faire face à des guerres ou des désagréments de fortune. Il était accueillant et chacun pouvait s’adresser à lui : il leur parlait gentiment et avec délicatesse. 

Il était concis dans ses conseils et ses réponses. Il disposait de quatre clercs secrétaires pour écrire ou récrire ses messages. Il fallait qu’ils soient toujours disponibles quand il sortait de sa chambre. Il ne les appelait ni Jean, ni Gautier, ni Guillaume. Quand il y avait une lettre à lire ou à écrire, il les appelait par un "Mau-me-sert", c’est-à-dire "Mal me sert-on" "

 Autres sources

D’autres chroniqueurs ont écrit : Honoré Bovet parle des comtes de Foix dans "L’arbre des batailles" ; Michel du Bernis, notaire à Foix, au XVe s., reprend ce qu’avait écrit Bovet, il est original à partir de la bataille de Launac et se fie à des archives qu’il a consultées ; Arnaud Esquerrier, un contemporain de Bernis, écrit selon des archives dont il avait la garde en tant que trésorier ; Miégeville, un cordelier du couvent de Morlas, résume les faits rapportés par Esquerrier ; l’archevêque de Reims, Juvénal des Ursins (1388 - 1473), conseiller de la Couronne, diplomate, écrivain polémiste et moralisateur, fournit des éléments utiles dans sa Chronique de Charles VI ; Aymeric de Peirac, attaché à la maison d’Armagnac, alliée au Prince Noiret et ennemie farouche de Gaston, souligne les points obscurs de la vie de Febus. 

Au XVIe s., leurs écrits, principalement ceux d’Esquerrier, seront repris par Guillaume Laperrière, prieur d’un collège de Toulouse et historiographe des capitouls, dans ses Annales de Foix ; Bertrand Hélie, un juriste, dans Historia comitum Fuxensium ; le pasteur béarnais Pierre Olhagaray, historiographe du roi Henri IV, en 1609, dans son Histoire de Foix, Béarn et Navarre.

Plus récemment deux auteurs vous permettent de lire les informations les plus récentes sur notre Béarnais : Pierre Tucoo-Chala avec son "Gaston Febus, Grand Prince médiéval, 1331-1391" et Claudine Pailhès "Gaston Fébus".

La bataille de Launac

De retour de son voyage en Prusse, il prend connaissance d’un traité de paix entre le roi d’Angleterre Édouard III et le roi de France Jean II. Les Anglais ont capturé Jean II, exigent une forte rançon et la cession d’une bonne partie de la France. Son dauphin, Charles V refuse ces conditions britanniques. Il charge Jean de Poitiers avec la mission de rallier le Midi à la cause royale. 

Febus désapprouve l’alliance de Jean Ier d’Armagnac, son ennemi de toujours, avec Jean de Poitiers. En mars 1359, il lance une série d’attaques contre Armagnac, tout en assurant sa fidélité au Dauphin du roi de France. Le 8 mai 1360, lors de la paix de Brétigny, il obtient une importante compensation financière pour la perte de la Bigorre

Le comte a le plus souvent cherché à éviter la guerre et il n’en est qu’une qui reste la seule grande bataille qu’il ait menée. Le 5 décembre 1362, une confrontation armée décisive a lieu entre les alliés d’Armagnac et ceux de Febus à Launac. Celui-ci est en infériorité numérique, mais emporte une nette victoire. Le comte d’Armagnac et une grande partie de la noblesse du Midi sont ses prisonniers qu’il libère contre de bonnes rançons : il empoche ainsi près de 500 000 florins. Cette victoire lui offre une puissance financière, en plus d’une reconnaissance de ses mérites militaires. Le 14 avril 1363, la paix avec l’Armagnac est jurée. Chaque année, le 5 décembre, une fête commémorative célèbre l’évènement.

Le Livre de la chasse

La chasse est le thème traité depuis les temps les plus reculés. Elle a inspiré des danses, des dessins, pensons aux grottes de Lascaux ou à la grotte Chauvet. Avec la Bible, et tout spécialement les Psaumes, un symbolisme animalier est né. Les diverses mythologies ont incorporé dans l’imaginaire collectif des animaux, des chimères, etc. Depuis le VIIe s., avec Isidore de Séville, un classement objectif débute. Le Moyen Âge, dès le XIIe s. nous a donné de nombreux bestiaires et, sur la base de cette source, je vous ai déjà donné une conférence sur la symbolique animale.

Les premiers traités de chasse sont écrits en latin. L’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, entre 1244 et 1250, a rédigé un "De arte venandi cum avibus", il s’agit d’un traité de fauconnerie. 

À la fin du XIIIe s., nous avons le premier traité en français "Chace dou cerf". Trois caractéristiques apparaissent à la lecture : la transmission d’un savoir technique, l’élaboration d’un discours moral et une volonté didactique. 

Au XIVe s., trois œuvres prédominent :

Le livre du Roy Modus et de la Royne Ratio du Normand Henri de Ferrières, rédigé entre 1354 et 1376

Le Roman des deduis de Gace de la Buigne, chapelain du roi Jean le Bon, composé entre 1359 et 1377

Le livre de la chasse de Gaston Phebus en 1387.

Sa rédaction a débuté le 1er mai 1387. Il est dédié au duc de Bourgogne, Philippe le Hardi. Febus a consulté le plus ancien traité de chasse en langue française du normand Henri de Ferrières, rédigé vers 1370. Par exemple, il a repris le texte de Ferrières sur le découpage du cerf et du sanglier. 

Ce traité de cynégétique se décompose en quatre parties :

1. La vie des différents gibiers, un recueil de diverses observations personnelles ou rapportées, en 14 chapitres : le cerf, le renne, le daim, le bouc, le chevreuil, le lièvre, le lapin, l’ours, le sanglier, le loup, le renard, le blaireau, le chat et la loutre ; il est à noter que Buffon, à la fin du XVIIIe s., fait référence à ces données ;

2. Les chiens, les mesures d’hygiène et la tenue d’un chenil en 12 chapitres : louange de la fidélité du chien à son maître, leurs maladies, le dogue, le lévrier, le chien courant, le chien d’oiseaux, le mâtin, la formation d’un bon veneur dès l’âge de 7 ans, le chenil, la nécessité de promener les chiens, comment mener les chiens et la poursuite du gibier ; 

3. En 21 chapitres, comment instruire les veneurs et la chasse à courre de divers animaux, pour chacun avec traque, poursuite, mise à mort et découpage : la chasse au cerf, celle qui est la plus belle et la plus honorable, la reconnaissance des divers pieds de cerf, analyse des fumées, observation du frayoir (lieu où le cerf frotte ses bois), chercher à vue le cerf avec un limier, les diverses zones où peut se trouver le cerf, entendre raire le cerf (son brame), la quête du sanglier et du cerf, comment écorcher et dépecer le cerf, les récompenses données au limier et aux autres chiens, idem pour le sanglier, la formation d’un bon valet de chiens (qui deviendra bon aide et page, avant de devenir un bon veneur), l’emploi des lévriers pour forcer le cerf qui a ses ruses pour échapper à ses poursuivants (très long et instructif chapitre). Ensuite, de façons plus brèves, indications pour le renne, le daim, le chevreuil, le bouc sauvage, le lièvre, les lapins, l’ours, encore le sanglier, le loup, le renard, le blaireau, le chat et la loutre.

4. Pièges, avec filets et engins divers et emploi de l’arbalète ou de l’arc (26 chapitres) : les haies, la fosse, les lacets, les dards projetés par une corde tendue au sol (Febus n’aime pas du tout ce procédé), les filets, la prise de loups par hameçonnage, l’art de tirer les bêtes avec un arc ou une arbalète.

Le lecteur remarque qu’il dispose ainsi d’un livre écrit par un praticien sachant être aussi un théoricien. 

Le bon chasseur est avant tout un bon observateur. Il doit connaître son gibier, ses chiens et son territoire de chasse. Rarement, il s’engage en solitaire : il conduit une équipe où chaque personne a un rôle précis à tenir. La formation doit commencer dès le plus jeune âge afin d’acquérir une expérience qui ne cessera de grandir avec les années de pratique. Cet exercice est aussi une bonne préparation à la guerre : force, adresse, chevauchée, poursuite à pied en terrains variés, art de déjouer les ruses, reconnaissance concrète d’un pays. 

L’aspect moral bénéfique de la chasse, meilleur antidote à l’oisiveté, est souligné dans le prologue. Chacun des chapitres est rédigé sobrement, sans artifice. Chaque animal est présenté de façon identique, claire et avec des détails précis, car observés. Il cite des croyances populaires en émettant des réserves ou en confirmant leur véracité. Ses descriptions d’animaux sont complètes : leurs amours, leur reproduction, les mœurs, leurs comportements face au chasseur. Il est passionnant lorsqu’on le suit lors de la recherche de l’anima : son pistage, son débusquage, sa poursuite, jusqu’à la curée et le dépeçage. Les détails sont d’une précision étonnante pour son temps. Les saisons, les paysages, les végétaux et le milieu aquatique sont dépeints avec réalisme.

Gaston a prêté son ouvrage et l’a fait circuler de son vivant : des correspondances en témoignent. Il demandait une caution importante pour son prêt : ceci signifie qu’il était enluminé. 

Cet ouvrage a souvent été recopié, en se conformant à quatre manuscrits d’origines connues. Quarante-quatre manuscrits, dont 21 avec miniatures, sont répertoriés de nos jours. La Bibliothèque nationale française (BNF) en possède quatorze. 

À la fin de cette conférence, vous pourrez voir le fac-similé d’un des plus beaux manuscrits, le BN 616. Toutes les images accompagnant cet exposé sont produites à partir de cet exemplaire. 

Les détenteurs du msct BN 616

Un livre enluminé est un objet précieux. Nous savons que celui présenté ici a eu plusieurs possesseurs : Aymar de Poitiers, seigneur de Saint-Villier. 

En 1525, il fait partie du butin de guerre lors de la défaite française à Pavie et il se trouve dans la bibliothèque de Bernard Clesius, évêque de Trente. La question s’est posée pour savoir s’il avait appartenu à François Ier, mais elle n’a reçu aucune réponse certaine. 

Il est offert en 1530 à l’archiduc Ferdinand d’Autriche, le frère de Charles Quint. 

En 1661, Louis XIV le reçoit des mains du marquis de Vigneau. Il est déposé à la Bibliothèque royale, sous la cote 7097. En 1709, il sort de la collection pour rejoindre la Bibliothèque du Grand Dauphin. Le duc de Bourgogne, à son tour Dauphin, en prit possession en 1711, mais, à sa mort en 1712, ce livre retourne au Cabinet du Roi. En 1726, le fils naturel de Louis XIV, est le Grand Veneur de France et comte de Toulouse : il reçoit l’ouvrage qui se trouve dès lors à la Bibliothèque du château de Rambouillet. En 1737, son fils, le duc de Penthièvres le remet à la famille d’Orléans et le roi Louis-Philippe l’a possédé. En 1834, il est au Louvre. 

Lors de la liquidation des biens des Orléans en 1848, cet ouvrage est déposé à la Bibliothèque nationale. 

Les enluminures

Ce traité comporte 87 enluminures qui datent du début du XVe s.. Une analyse attentive de celles-ci permet d’identifier plusieurs peintres. 

Trois groupes d’artistes travaillent en trois étapes. Tout commence avec des dessins. Les attitudes et les gestes des personnages sont typiques du Bedford trend. Ensuite vient le travail de peinture qui se pratique en deux temps. Le premier se porte sur les personnages, les animaux, le mobilier et le cadre topographique (ciel et terre). Le second s’achève avec le décor végétal comme l’attestent les débordements sur les figures animées ou inanimées.


Gaston Febus, corner et huer

Les plus belles sont les ff 13, 50, 51 v et 54. Le caractère germanique de cette production est l’œuvre de Haincelin de Haguenau, premier peintre identifiable. Le folio 54 est un chef-d’œuvre. Febus apprend à ses hommes à corner et à huer. Remarquez les motifs damassés de la robe du comte de Foix, le gonflement des joues des sonneurs. Le folio 50 est réputé pour ce chien griffon au pelage bouclé, témoignage du style gothique que nous retrouvons dans toute l’Europe médiévale et qui a ses origines en Orient.

Les autres peintres appartiennent à l’atelier du maître des Adelphes du duc de Bedford, aussi appelé Maître de Bedford, un grand miniaturiste parisien. Ce courant stylistique s’identifie par des personnages pleins de vitalité et des scènes animées.

Les fonds sont variés. Une série de 14 fonds d’or guilloché. Le folio 107v, nous avons un fond d’or piqueté de petits points, dont l’alignement forme des rinceaux stylisés. Les scènes des ff 52 v, 53 v et 54 ont des fonds à ramages dorés, propres à l’Europe centrale. Nos artistes se sont probablement inspirés d’un manuscrit illustré par des enlumineurs avignonnais. 



Le deuxième peintre se reconnaît dans le fol 73v. Les personnages sont bien différents et l’artiste joue avec la peinture pour accentuer tel ou tel aspect. 



Le troisième peintre se distingue dans le fol 26v, avec les connils, les lapins. Cette façon de constituer un paysage est probablement du Maître d’Egerton

Febus avait donné des consignes pour que les enluminures soient techniques et documentaires par les détails mis en valeur. Vous remarquez que les artistes ne jouent pas sur la profondeur. Nous sommes comme face à une tapisserie. Le but est d’instruire son lecteur aussi bien par le texte que l’image. 

Le comte de Foix est revêtu de vêtements splendides, avec des couleurs vives, bordés d’or et ornés de parements de bijoux et de fourrures. Les motifs sont des lions, des paons ou des oiseaux étranges. Les miniatures ayant été composées une quinzaine d’années après la mort de Febus, on pourrait croire à une création fantaisiste des artistes. Cependant les témoignages écrits abondent sur la splendeur voulue de ses habits : une marque de son pouvoir et de sa richesse. Il est clair qu’il ne se rendait point ainsi à la chasse ! De plus, il vivait généralement de façon austère, sauf lors de fêtes et de réceptions exceptionnelles où il soignait ainsi son image. 

À une première lecture du texte de nos jours, le plus difficile est de posséder toutes les expressions de vénerie. Ce vocabulaire spécifique une fois possédé, il vous est possible de revivre une chasse du XIVe s. comme si vous y étiez ! 


Gaston Febus prie Dieu

Livre des oraisons

Febus l’a rédigé dans la fin des années 1380 et il est donc âgé de 56 ans. Il l’a annexé à son livre de la chasse. Nous les trouvons associés dans deux manuscrits le BN 616 et le BN 1292. Il s’agit de 36 prières majoritairement en français, les trois premières étant écrites en latin. Il s’agit d’une confession dans l’esprit de saint Augustin et une adaptation personnalisée de prières proposées par saint Anselme. L’Abbé de Madaune a publié son contenu en 1893.

Il entend proclamer un acte de repentance, mais il n’explicite pas la ou les fautes de façon précise. Les spécialistes s’interrogent pour savoir s’il sous-entend la mort de son fils ou une autre faute et, si oui, laquelle ? 

Une mort tragique ?

Le rejet d’une épouse et la mort de son fils ?

La vérité sur les circonstances exactes de la mort de son fils ne sera probablement jamais établie. Elle est entourée de mystère et Froissart nous a transmis ce qu’il a pu entendre à ce sujet. Est-ce la version juste ?

Le seul héritier officiel est né treize ans après le mariage, ayant uni Agnès et Febus. Né en septembre 1362, ce fils se prénomme aussi Gaston. Deux demi-frères, Yvain et Bernard, nés hors mariage, le précèdent. Trois mois après sa naissance, sa mère Agnès, en décembre 1362, est répudiée pratiquement : elle doit quitter Orthez avec un minimum de bagages. Febus invoque le non-payement ponctuel de la dot, ce qui est vrai, pour justifier son acte. Elle se réfugie chez son frère Charles II de Navarre. La raison véritable nous échappe et il y a des hypothèses émises par ses contemporains et les historiens, sans que l’on puisse conclure avec certitude sur la validité de l’une ou de l’autre. J’y vois une incompatibilité d’humeurs et charnelle, le plus probablement : une répugnance physique et une antipathie foncière forment une union explosive pour la désunion d’un couple.

Odon de Mendousse, évêque de Lescar

Dès 1378 et surtout en 1380, ce membre éminent du clergé local se met à la tête d’un complot contre Gaston III. Il réunit les barons du Béarn, comme le baron d’Andoins, mécontents du fait que des fonctions administratives soient accordées à des non-nobles. Charles II de Navarre, dit le Mauvais, travaille à susciter des ressentiments contre celui qui a été son beau-frère : une façon assez fréquente de pratiquer le "Aimez-vous les uns les autres comme des frères !", mais à la façon de Caïn ! Il est quasiment certain qu’il n’hésitait pas à empoisonner toute personne pouvant le gêner : la plus radicale réduction au silence. 

Ressentiment ou manipulation ? L’héritier officiel, tant attendu par son père, est insatisfait du sort que lui réserve son paternel. Il estime n’être qu’un pion entre ses mains. Il se considère comme bien moins traité que ses demi-frères. 

Âgé de 18 ans, influencé par son oncle Charles, il doit administrer une poudre empoisonnée dans le plat de son père. Entre fin juillet et début août 1380, il est démasqué sans parvenir à ses fins. Il est curieux que l’évêque Odon de Mendousse et le baron d’Andoins partent immédiatement en exil chez Charles II de Navarre qui leur a versé différentes sommes d’argent, pour services rendus, mais lesquels ?

Incarcéré au château de Moncade à Orthez, le jeune Gaston observe une grève de la faim.

Les uns disent que Febus a tué son fils par accident en voulant le forcer à avaler de la nourriture, d’autres qu’il l’aurait tué dans un accès de colère : un coup de sang, sa nature impérieuse ayant augmenté avec l’âge. Pourtant, il existe de nombreux témoignages de sa grande maîtrise en des circonstances difficiles !

Quant au fils mort, certains disent qu’il savait qu’il allait administrer un poison mortel, d’autres disent qu’il aurait été abusé par Charles de Navarre qui lui aurait fait croire qu’il donnait un philtre d’amour à son père, pour renouer les liens charnels entre Agnès et Febus… Naïveté ou même stupidité ? J’ai peine à le penser. Cette page d’histoire nous reste mystérieuse sans plus de témoignage fiable. 

Une autre faute ?

Claudine Pailhès dans son livre suggère une autre piste que je vous soumets, mais sans trop y croire. Elle suggère un lien particulier de nature homosexuelle entre le duc de Bourgogne et le comte de Foix. La prière V pourrait le suggérer, mais il est usuel dans les confessions de s’accuser de toutes les fautes que les Psaumes rapportent : l’intention ou l’idée, sans suivi d’acte, pouvant être déjà un crime. Elle s’étonne d’une cour exclusivement masculine lors de la visite de Froissart à la cour d’Orthez Or Froissart a assisté à une commémoration de la bataille de Launac, genre de cérémonie réunissant les hommes de guerre plutôt que la gent féminine, plus sensible à une manifestation musicale. 

Mme Pailhès tente d’apporter un portrait psychologique de notre Béarnais, c’est oublier qu’il est impossible de percer les secrets d’un cœur d’une personne ayant vécu il y a cinq siècles. Autant, je lui accorde totale confiance sur les faits qu’elle retrace, autant je reste dubitatif sur son analyse psychologique. Avec les documents disponibles de nos jours, nous pouvons tout au plus repérer des traits de caractère et c’est déjà bien. Ayant lu de nombreuses confessions rédigées en cette fin du Moyen Âge, je ne crois pas qu’il faille la suivre sur cette piste, sans éléments plus probants à ma connaissance.

Les oraisons

Les spécialistes s’accordent à identifier deux sources : les prières monastiques d’Anselme (1033-1109) dans ses "Meditationes" et de Jean de Fécamp (~990-1078) avec son "Soliloquia" et son "Manuale", tous deux ayant été inspirés par saint Augustin et ses "Confessions". L’adaptation a consisté à transformer une prière collective de repentance en une prière individuelle. 

Gaston de Foix a sélectionné des prières et, à ce titre-là, il y a un grand intérêt à les connaître. Il les a appliquées à son expérience de vie, en y incluant des faits plus personnels (surtout dans les trois premières). N’allez pas croire que vous trouverez à leur lecture des détails croustillants de la presse-people de notre temps ! Non, elles sont calquées sur les Psaumes, selon les prescriptions de l’Église romaine.

L’originalité de ce livre est d’avoir été écrit par un aristocrate de haut rang. Nous y lisons une profession de foi, des actions de grâce pour les bienfaits reçus (victoire, force, etc.), l’expression des regrets quant à des fautes de jeunesse, des appels à la miséricorde de Dieu, l’affirmation d’une totale confiance en Dieu et à sa justice, des demandes à l’Esprit saint de lui ouvrir l’intelligence et une claire reconnaissance de la Sainte Trinité. 

Quelques extraits vaudront plus que de longs propos : 

Prière 2 : 

"Elle est grande, la miséricorde de Dieu, et grande est sa puissance. Car il n’y a personne espérant fermement en Lui qu’Il abandonne en quelques égarements que ce soit. Je sais de par moi-même, Seigneur, à qui, dans mon grave état de péché, votre pitié est venue grandement en aide." 

"Dans votre miséricorde vous m’avez préservé et m’avez tiré de grandes tribulations."

"Je sais bien que vous êtes juste, c’est pourquoi j’espère fermement en vous."

Prière 5, d’où est venue, sans doute, l’idée de l’hypothèse Mme Pailhès qui oublie les enfants hors-mariage de Febus :

"À Toi Seigneur, je reconnais les secrets de mon cœur, à Toi, je confesse mes péchés et les laideurs de mon cœur. Certainement j’ai péché plus durement que Sodome et j’ai plus fauté que Gomorrhe…

Aussi je viens vers Toi, Seigneur, avec grande tristesse de cœur, une grande contrition à travers des pleurs et des larmes."

Prière 7 :

" Ô Lumière, bienheureuse Trinité, et principale Unité. Accrois en moi la foi. Accrois mon espérance. Accrois ma charité. Délivre-moi Seigneur et que la bien heureuse Trinité me rende juste, qu’Elle délie les crimes, qu’Elle pardonne les péchés."



Gaston Phoebus, Jean-Claude Drouot

Le film "Gaston Phébus, le lion des Pyrénées"

Jean-Claude Drouot, qui a débuté avec la série de Thierry la Fronde, y incarne le comte de Foix qui a pour frère Guilhelm, joué par l’excellent Georges Marchal (qui a interprété aussi le Marquis de Bois-Doré, titre du roman du même nom de George Sand). Le film a été réalisé en 1963 par Bernard Borderie. La trilogie de Myriam et Gaston de Béarn a servi de base à l’intrigue. 

Ce film dépeint un Febus colérique, assoiffé de vengeance envers Agnès de Navarre qui aurait provoqué l’empoissonnement de Myriam, l’amour depuis l’enfance de Gaston : à son profit, Charles de Navarre aurait chargé un ménestrel de remettre entre les mains de Myriam un luth lui occasionnant une piqûre mortelle. Le mariage de Gaston avec Agnès n’aurait eu lieu que pour la soumettre à une torture psychologique. Son intention se retourne contre lui et le conduit à tuer par mégarde son fils hémophile. Trahisons, scènes de combat, intrigues amoureuses, festins excessifs sont les ingrédients usuels de ce genre de film. Celui-ci est plaisant, mais éloigné de la vérité historique. Alexandre Dumas n’a pas fait mieux. Le film présente des clichés d’une cour médiévale certainement pas aussi rustre qu’on voudrait nous le faire croire.

Pour ma part, l’histoire réelle est plus passionnante que n’importe quelle fiction ! L’idéal chevaleresque ordinaire au XIVe s. est indéniable chez notre seigneur de Béarn. 

La mort de Gaston Febus

Un mardi 1er août 1391, âgé de 60 ans, il est de retour de chasse. Il se lave les mains pour s’attabler et, frappé d’apoplexie , il tombe au sol et meurt peu de temps après. Le lendemain, il est porté et enseveli dans le couvent des Frères Prêcheurs d’Orthez.

Il est très curieux, selon moi, que cet homme, si soucieux d’une bonne administration de ses territoires,n’ait pas rédigé de testament. Certes l’héritier officiel était mort, mais il avait trois enfants naturels qu’il a reconnus et aimés de son vivant : Bernard, Yvain et Gratien.

Phœbus avait prévu que sa vicomté revienne au roi de France. Pour des raisons politiques, celui-ci la refusa. Selon les lois en vigueur, le petit-neveu, fils du neveu détesté par Febus, reprit la succession, à l’âge de 14 ans, en se faisant correctement  brider par les communautés et les seigneurs locaux. 


Le bal des ardents

Yvain de Béarn se rendit à la cour de France. Le roi Charles VI aimait les spectacles. Le 28 janvier 1393, lors d’une fête pour le mariage d’une dame de la reine, déjà deux fois veuve, le roi et cinq proches dont Yvain se déguisèrent en "sauvages". Leurs vêtements étaient enduits de poix, sur laquelle des poils hirsutes avaient été collés. Ils dansaient en tout sens en faisant des mimiques pour la joie de tous. La consigne avait été donnée de ne pas allumer de torche. Sauf que le duc d’Orléans arriva sans en être informé. Il voulut reconnaître le roi et approcha une torche qui mit le feu aux sauvages attachés entre eux. Le roi fut sauvé par la duchesse de Berry qui le recouvrit de sa robe. Un autre put plonger dans un baquet d’eau. Yvain cria qu’il fallait sauver le roi, mais lui, mourut de ses blessures, deux jours plus tard et dans de grandes douleurs. 

Gratien se rendit à la cour de Navarre. Avec le duc de Bourbon, il a pris part à une expédition sur Tunis qui fut un échec. Rapatrié sur la Sicile, il est probable que Gratien fut enterré en l’église Sainte-Agathe de Catane, le 6 septembre 1394.

Bernard est le seul à avoir eu une postérité. Installé en Castille, il devint comte de Medinaceli. Il épouse Isabel de la Cerda. Son fils Gaston fut légitimé par le Pape, mais ne voulut pas porter le titre de Foix. En 1479, les descendants devinrent ducs et il y eut une ligne directe jusqu’en 1711.

Cent cinquante plus tard, au château de Pau, un jeune Henri de Navarre courait dans le château : c’était le futur Henri IV, aussi un roi de légendes…

Conclusion

En quelques minutes, je vous ai retracé les éléments saillants de cette vie de Febus. Son sens diplomatique, politique, stratégique et militaire mérite d’être souligné. 

Proche de son peuple, il privilégiait les compétences plutôt que les titres. Il n’hésitait pas à écouter les doléances et à juger selon la justice, et non selon des règles évoluent en fonction des circonstances. Il avait un profond respect des droits coutumiers. Le peuple l’aimait, car il leur a assuré la paix autant que possible. Protecteur des arts, il a favorisé des traductions d’ouvrages savants de son temps. Il a su traiter de la chasse de façon vivante et pertinente. 

Trois aspects forts de sa politique mériteraient de plus grands développements :

Les pages les plus sombres de l’histoire ont été écrites avec le sang des hommes. Les peuples honorent les guerriers pour la paix qu’ils procurent et haïssent les mercenaires, devenus soudards vivants du pillage, du viol et pratiquants des tortures. Febus a démontré sa puissance militaire pour ne pas devoir s’en servir et rallier des communautés désireuses de bénéficier de sa protection. 

Son pragmatisme politique s’est concrétisé en une forme de neutralité. La neutralité n’est pas un idéal ou un objectif, mais uniquement un moyen de défendre les intérêts propres à un ou des territoires, en refusant l’engrenage mortifère de jeu d’alliances automatiques. 

Febus est à la fois un seigneur féodal et un souverain moderne : féodal quand il sert de façon limitée le roi de France pour sa vicomté de Foix ; moderne quand il s’affirme le souverain de Béarn ne devant hommage à aucun roi. Vous voyez qu’il est possible d’accomplir du "en même temps" de façon intelligente et non d’une manière contradictoire et donc stérile.

Il nous a permis de nous réunir ici pour en parler ce soir et je vous remercie de votre attention.

Antoine Schülé

antoine.schule@free.fr

Pour les personnes qui le souhaitent, je vous présente trois fac-similés, en plus du "Livre de la chasse " de Gaston Febus.

Le fac-similé est la reproduction exacte de l’original, avec ses défauts, ses transparences d’encre ou de couleur à travers une page par exemple ou des taches, des coupures, des ajouts tardifs portés sur l’original… Certaines éditions reproduisent aussi la reliure d’origine à l’état initial. 

Bestiaire

Un Bestiaire de la Bibliothèque bodléienne d’Oxford qui date de la fin du XIIe s. et du début du XIIIe s. Les miniatures ont été réalisées séparément du texte. Il contient 131 enluminures, dont 6 en pleine page.

Le texte a sa source dans un "Physiologus" latin, complété par diverses sources ultérieures : nous sommes face à une sorte de compilation. Il s’agit d’un traité didactique sur la signification allégorique, religieuse et morale des animaux mentionnés dans la Bible, selon un écrit grec du IIe s. Ouvrage typique de ce que certains appellent la Renaissance du XIIe s.

Apocalypse.

L’art chrétien a mis du temps à illustrer ce livre de saint Jean. Il a fallu attendre le Ve siècle.

Saint Augustin, s’inspirant de commentaires de son temps, a souligné qu’il ne s’agissait pas d’une vision dramatique de la fin des temps, mais d’une image allégorique de l’Église : de sa fondation, de la Résurrection, à son accomplissement final qui est le retour du Sauveur. L’histoire de l’Église devait être une longue pérégrination : elle le fut, elle l’est et le sera encore. Le triomphe du Christ n’est pas le temps présent, mais le règne du Christ à tout jamais. L’Église du Ciel n’a pas être confondue avec l’Église terrestre.

L’intérêt de cet ouvrage est d’y trouver des enluminures et des miniatures inachevées. Ceci nous est très utile pour comprendre le travail de l’artiste ou des artistes : une miniature se réalisait à plusieurs mains parfois. Nous avons le dessin initial, le peintre et le peintre en lettres. L’or était appliqué en premier pour être poli ensuite sans abîmer les autres couleurs. 

Le texte latin a été écrit en premier et les miniatures dessinées par après. Il y a des ajouts de texte en français.

Cet exemplaire de 61 pages a été réalisé pour Édouard ou Eléonor de Castille vers 1261. Les enluminures sont d’un artiste de Canterbury, travaillant pour Édouard Ier. Il semblerait que le travail se soit réalisé en deux temps ou avec une finition inachevée par une autre main. Il y a toute une querelle de spécialistes pour élucider cette question, mais, pour nous, il est juste  utile de percer les secrets de la réalisation avec ce que nous voyons.

Le livre du Roi Modus et de la reine Ratio

Ce livre de 105 pages, rédigé en 1370, est une copie avec des enluminures de la fin du XIVe s. Ce manuscrit a été établi pour Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Sa présence est attestée dans sa bibliothèque dès 1467. En 1536, il est dans celle de Charles Quint. 

Son auteur est Henri de Ferrières, un Normand. L’ouvrage se partage en deux sections : 1, la chasse à courre (les deduits que l’on a des chiens) ; 2, la chasse au vol (de fauconnerie et du deduit des oiseaux).

De nos jours, 9 manuscrits ont été répertoriés. Le plus ancien est de 1379. (le BN 13 399). Celui-ci en fac-similé est le plus récent. L’original se trouve à la Bibliothèque royale de Bruxelles et il a dû être composé entre 1450 et 1460. Les enluminures sont de Maître Girart de Roussillon. 

Nous retrouvons cette didactique de l’illustration, mais les fonds sont plus vivants, plus naturels. L’objectif est de donner une vision exacte des méthodes employées pour lever le gibier et construire des pièges. Voir les : fol 56 v le piège à chevreuil ; fol15r, le pique-nique des chasseurs avant de se mettre à l’œuvre ; fol 61 r, les fauconniers devant le roi Modus.

L’artiste n’est probablement pas un chasseur : il utilise des modèles techniques que chacun d’entre eux reproduit. Son originalité se révèle dans le décor de fonds ou le soin qu’il apporte à un détail de l’animal (le pelage par exemple) ou à l’homme (gonflement des joues de celui qui corne ; les cheveux flottant au vent lors d’un galop, etc.). 

Dans "Le livre de la chasse" de Febus, il y a une dynamique surprenante dans diverses scènes. Il n’y a plus cette fixité du Bestiaire. Dans l’Apocalypse, la finesse des traits et des plis de vêtement mérite l’attention.


samedi 6 avril 2024

Bibliographie du blog Antoine Schülé

 Blog “Chemins d’histoire” d’Antoine Schülé

Liste des liens d’articles mis en ligne

Pour répondre à différentes demandes, voici la liste des liens électroniques qui vous permettront de consulter gratuitement les articles que j’ai publiés sur ce blog. 

Plusieurs des sujets traités ont connu des développements depuis leur rédaction ou leur publication. Pour des compléments d’information ou des actualisations de mes recherches, n’hésitez pas à me contacter : antoine.schule@free.fr   

Thèmes

Histoire médiévale et contemporaine; 

Histoire : guerre et sécurité (de l’antiquité à nos jours); 

Histoire de la vallée de la Cèze; 

Littérature; 

Poésie; 

Spiritualité (chrétienne et autres); 

Maurice Zundel. 

Pays traités plus spécialement : Suisse, France, Allemagne, Europe.



Histoire

Arnold Toynbee, Alfred Weber et Daniel Reichel : résiliences des peuples

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/3654161379509617733

Relations internationales : histoire et prospective

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/457147032636365429 

Jordis von Lohausen, une analyse géopolitique

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/6849386268508454117


Histoire médiévale

Dhuoda et son traité sur l’éducation (843)

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/353782714756953688

Hildegarde de Bingen : mystique, musicienne, soins du corps et de l’âme

(1098 - 1179)

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/4777291546444168902

Moyen Age et la notion de guerre juste

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/2192004538578536853

Littérature et guerre au Moyen Age

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/2960073521824102213

Brève introduction aux “Carmina burana”

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/9173739393075430382

Christine de Pizan (1365 - 1430)


Histoire : guerre et sécurité

Guerre en quelques citations

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Guerre juste selon  trois religions monothéistes

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/2145439064405864902

Armes biologiques : brève synthèse

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/1299333966594606534

Pensée militaire suisse

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/7410503491693992806

Histoire militaire suisse : une bibliographie sélective

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/288657133408820059

1914-1918 : Suisse et neutralité

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/6619581732140795469

Val des Dappes : difficultés pour établir une fraction de frontière franco-suisse

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/5868466218684145417 

Spiritualité et guerre : Chine

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/808297750715549488

Virgile et l’Enéide, les blessures psychiques de guerre

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/2643017525627099806

Engagement militaire et spiritualité

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/2067500661612239772

Armées et pacification

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/3327688341446546324

Prisonniers de guerre

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Histoire de la Vallée de Cèze

La Roque sur Cèze en une chronologie

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/170541064026701141

Les cascades du Sautadet (La Roque-sur-Cèze), Youtube, photographies d’ Antoine Schülé, sur la musique de Charles Gounod (ouverture de Mireille) :

Saint-Gervais en une chronologie

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/2712379064144737707

Gervais, les origines du nom

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/6173818471402437301

Saint-Gervais et sens de ses lieux-dits

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/6455600826833627900

           Saint-Gervais : naissance d’une paroisse

  https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/4987653791395180701

Saint-Gervais : vers l’église actuelle

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/4987653791395180701

Saint-Gervais : église paroissiale et notices complémentaires

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/7130669743118396390

Saint-Gervais : Alexandre Servier, un prêtre sous la Révolution (de 1790 à 1817)

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/979475016756034136

Famille de Guasc, baronnie de Saint-Gervais

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/2934365236682906063

Jean-Baptiste Charavel : l’ossuaire néolithique de Saint-Gervais (1937)

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/4416429268912827214

Henri Lombard (1925 - 1950), une histoire agricole de la basse vallée de Cèze 

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/136185314516530041

Caribert Mourret, le caricaturiste et pamphlétaire (début XXe s.).

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/1815629120261230711



Littérature

La langue française en Suisse romande,  par Adrien Schülé

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/2500092077299341788

La langue française en Suisse romande, par Antoine Schülé

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/8442789966528059993

La vie des mots

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/7803419036117656517

Humour, gastronomie et littérature

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/7353827311075320252 

Rabelais et Montaigne : A propos de l’éducation

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/6886291240659745873

Le “rire” de Rabelais

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/2579404490384897339

Thomas More et son “Utopie”

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/6259773949805062320

Jules Verne : ses visions de la guerre (1828 - 1905)

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/8820270168823419919

Frédéric Mistral (1830 - 1914)

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/7064151503425189961

Marcel Pagnol : un observateur de son temps (1895 - 1974)

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Spiritualité

Bestiaire médiéval (fin XIIe s. -début XIIIe s.)

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Poésie sacrée 1

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Poésie sacrée 2

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/3539275450950195773

Poésie sacrée 3

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/7621565139154770632

Christianisme : tradition et progrès.

https://www.blogger.com/blog/post/edit/4968441732784536950/5618477612589287341

Saint Suaire : un évangile pour notre temps

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Onfray et son : “Traité d’athéologie” (2005)

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Chartreuse de Valbonne : symbolique chrétienne.

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Saint Augustin (354 - 430)

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Antoine de Padoue (1195 - 1231)

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Thomas d’Aquin (1224 ou 1225 - 1274)

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Thomas More : spiritualité et politique (1478 - 1535)

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Jean de la Croix (1542 - 1591)

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Angelus Silesius (1624 - 1677)

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John Henry Newman (1801 - 1890)

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Padre Pio (1887 - 1968)

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Maurice Zundel, mystique, prophète, alliant foi et raison

(1897 - 1975)

Zundel : introduction à sa pensée

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Zundel : Dieu et Eglise

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Zundel : la liberté

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Zundel : la joie

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Zundel et Noël

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Avec Zundel : méditation sur un chemin de Croix

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Zundel et la  Résurrection

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Zundel et l’Eucharistie

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dimanche 10 mars 2024

Christine de Pizan : illustrations médiévales de la féminité.

 Christine de Pizan (1365 - 1430)

par Antoine Schülé

En hommage à Marie-Laure Mallet (née Rifont)

Introduction

Mis à part quelques passionnés et érudits, peu nombreuses sont les personnes à connaître Christine de Pizan. Or, c’est une femme, au parcours de vie bien réel et donc non fantasmé, qui nous permet de découvrir le rôle des femmes, à la fin de ce qui est appelé le “Moyen Age”. Elle est poète, philosophe, éditrice et délivre son regard historique et politique, en fonction de la morale de son temps où celle-ci n’avait rien à voir avec la “moraline de circonstance” de notre actualité. L’abondance de ses écrits est une source précieuse pour comprendre l’esprit de son siècle.

Il convient de la situer dans son contexte historique, avant d’observer le contenu de son message. Celui-ci élimine bien des idées fausses qui dominent encore au sein du grand public. Le cinéma et quelques romanciers nous peignent de couleurs sombres ce passé médiéval qui n’est ni plus ni moins cruel que notre présent et où le statut des femmes dans la société est très éloigné des caricatures qui nous instillées. 

Naissance de la vocation de Christine Pizan

Née à Venise, le 5 octobre 1365, Christine a pour père Thomas, médecin et astrologue qui avait étudié à Bologne. Elle lui voue une grande admiration.  Le roi de Hongrie et le roi de France lui demandent de venir en leur cours : ils désirent disposer d’un savant médecin, dit “physicien” et créer un lien politique privilégié avec Venise, riche cité commerçante. En 1365, il opte pour la France et sa famille le rejoint, quatre ans après sa venue, alors que  Charles V règne sur la France, aux frontières plus petites que celles qui vous sont connues  de nos jours. 

Elle est âgée de 15 ans lorsque son père lui fait épouser Etienne Castel en 1380 : son époux est le notaire et secrétaire de Charles V. Veuve en 1390 et mère de trois enfants, elle doit affronter les gens de finance qui, profitant de ses méconnaissances juridiques et de son manque d’argent, ont les moyens d’apparence légale de diminuer encore plus sa fortune. 

De son père, elle a reçu une instruction de base qui l’ont conduite non seulement à étudier, mais encore encore à cultiver sa passion indéfectible pour l’étude. Une citation du dialogue fictif entre Christine et Dame Droiture, dans la Cité des Dames, nous fournit des éléments biographiques qui nous éclairent sur sa démarche intellectuelle :

C’est un fait que tous les hommes, et en particulier ceux qui sont les plus instruits ne partagent pas l’opinion [...] qui voudrait que l’éducation des femmes soit un mal. Il est bien vrai que parmi les moins instruits bon nombre y souscrivent, car il leur déplairait que des femmes soient plus savantes qu’eux. Ton père, grand astronome et philosophe, ne pensait pas que les sciences puissent corrompre les femmes; il se réjouissait au contraire - tu le sais bien - de voir tes dispositions pour les lettres. Ce sont les préjugés féminins de ta mère qui t’ont empêchée, dans ta jeunesse, d’approfondir et d’étendre tes connaissances car elle voulait te confiner dans les travaux de l’aiguille qui sont l’occupation coutumière des femmes. Mais comme le dit proverbe [...] : “Chassez le naturel, il revient au galop.” Quelque opposition que fit ta mère à ton penchant pour l’étude, elle ne put empêcher que tes dispositions naturelles n’en récoltent quelques gouttelettes. Je ne pense que tu crois avoir été corrompue par ton savoir, mais que tu l’estimes, au contraire, comme un grand trésor. Et en cela, tu as bien raison.”

Alors, moi, Christine, je lui répondis : “Ma Dame, ce que vous dîtes là est aussi vrai que l’Evangile.” 

Très heureuse de son mariage, elle choisit de rester veuve et de se consacrer à sa passion, l’écriture avec laquelle elle compte bien aussi gagner sa vie. Pour commencer, elle a composé de nombreuse ballades qui lui ont donné une belle réputation dans le monde des lettres. Son parcours de vie la conduit à traiter de multiples sujets qui nous apportent un vrai regard sociologique, même si ce qualificatif n’existe pas en cette fin du XIVe s. Elle croit en la force du discours et de la culture. 

Elle a la volonté d’écrire un “miroir” des vertus féminines.  Comment faut-il entendre ces mots “miroir” et “vertu” ?  

Le mot vertu n’a pas le sens que nous lui connaissons de nos jours : ce sens en lien avec la chasteté ou la volonté de fuir le mal date du XVIIe s. Au Moyen Age, le mot vertu est synonyme de courage, force ou qualité : trois sens qui ne sont point “genrés” pour employer ce qualificatif à la mode.

De nos jours, au mot “miroir”, vous pensez tout de suite à une femme s’admirant avec complaisance, pour jouir de son image. Le sens médiéval en est tout autre : il est curieux de constater qu’un symbole est lu de façons différentes aux cours des siècles. Au Moyen Age, le miroir est généralement le symbole du savoir et il renvoie le Chrétien à une pratique encore plus personnelle qu’il convient de préciser. Premièrement, l’homme a été créé à l’image de Dieu. Deuxièmement, s’observer dans un miroir consiste à s’analyser, en son âme et conscience, pour savoir si l’on correspond à l’image de Dieu. Troisièmement, les défauts peuvent être ainsi corrigés, dans le but d’atteindre cette beauté qui incarnera le mieux possible un des reflets de Dieu. Il n’y a donc rien de narcissique dans cette pratique, mais un examen de conscience, pour exercer sa force intérieure (une vertu) afin de se corriger et de pratiquer ainsi une conversion qui passe par une purification intérieure. Examiner sa conscience selon l’Evangile invite à  se modeler sur Jésus ou sur les personnes cultivant la sainteté : ceci est tout simplement cette conversion permanente qui est l’œuvre de toute une vie pour tout croyant sincère et vraiment pratiquant.  

Toutefois, avant d’entrer dans le vif du sujet, faisons brièvement  le point sur les femmes au Moyen Age.

Les femmes au Moyen Age

Un cliché domine : la femme aurait été méprisée au Moyen Age. Les anticléricaux, depuis Voltaire jusqu’à des hommes politiques récents, comme Laurent Fabius, ont diffusé comme une vérité historique que : “Les docteurs de l’Eglise avaient discuté pendant des siècles pour savoir si les femmes avaient une âme.” Ce vulgaire mensonge irrite tout médiéviste quelque peu sérieux et, même, toute personne ayant un minimum de culture historique de base. En fait, lors du synode de Mâcon en 486, un seul prélat a soutenu que, sous le terme latin “homo” dans la Sainte Bible, il ne fallait pas y inclure les femmes. Or, le latin, pour désigner l’homme masculin, emploie le mot “vir”. Les évêques, en citant les Ecritures, ont aussitôt démontré son erreur et réfuté totalement son affirmation, pourtant très goûtée et propagée par les idéologues, désireux de nuire au message ou aux fidèles chrétiens. 

La mère du Christ, les saintes et martyres, déjà au commencement du christianisme, ont suffisamment démontré que l’Eglise a toujours vénéré les femmes, ayant assumé leur sainteté par des actes. D’Héloïse (ayant eu une vie affranchie d’une certaine façon de certaines règles de l’Eglise) à Hildegarde de Bingen, il y a eu des femmes réputées, soit à la tête de grands couvents, soit se prononçant sur des questions brûlantes d’actualité. Pour mémoire, Pétronille de Chemillé, âgée de 22 ans (serait-ce possible de nos jours à cet âge ?), est la première abbesse de Fontevraud, une abbaye double, regroupant une communauté d’hommes et une autre de femmes : nous sommes au XIIe siècle. 

Notre auteur n’est pas le fruit d’une création spontanée, elle a des racines, des prédécesseurs et pas seulement parmi les femmes écrivains. Elle s’inscrit en revendiquant une ascendance culturelle, aussi bien féminine que masculine. Quelques noms de femmes écrivains, qui l’ont précédée, pour vous donner l’envie de les découvrir ! Les habitués de mes conférences ont déjà entendu mes communications sur Dhuoda avec son traité sur l’éducation et Hildegarde de Bingen, femme mystique, musicienne et transmettant le savoir médical de son temps. D’autres mériteraient d’être mieux connues.

Dès la fin du XIIe s., il y a déjà eu une vingtaine de femmes troubadours identifiées : la noblesse occitane cultivait cet art de la poésie que nous retrouvons dans les Ballades de Christine de Pizan. Plus spécialement, je pense aux quatre Chants de la Comtesse de Die par exemple ou encore  aux chansons de Dame Castelhoza. D’autres nous ont laissé des écrits anonymes où leurs auteurs ou autrices, comme certains se plaisent à nommer ainsi, sont bien reconnues comme étant des femmes. Dans le Nord de la France, la plus connue est sans aucun doute Marie de France. Les lais de Marie de France ont été rédigés en Angleterre, à la fin du XIIe s. et en vieux français. Elle a versifié sur des traditions légendaires des jongleurs bretons (la légende arthurienne), avec sa part d’imagination pour les transformer en contes où se mêlent le rationnel et l’irrationnel. Son public aimait le merveilleux.

Une synthèse des connaissances de son temps

Ce tableau vous mentionne ses principales sources de réflexion. D’autres seront fournies ci-dessous sur des thèmes plus précis.

Christine ne nous cache pas ses sources : elle mentionne les auteurs qui ont nourri son esprit. Elle a lu les Anciens, elle les a étudiés et elle a alimenté ainsi une pensée qui lui est propre. En art de poésie, elle s’inscrit comme d’autres hommes ou femmes dans l’esprit de son siècle. 

Ballades et rondeaux

La production lyrique de Christine de Pizan est abondante : environ 300 ballades et 80 rondeaux. Deux recueils rédigés entre 1380 et 1410 existent en plusieurs manuscrits : Cent ballades et Cent ballades d’Amant et de Dames

En comparaison, Eustache Deschamps (1346-1407) est, quant à lui, l’auteur de 1032 ballades. Il manie l’ironie avec un art consommé : il avait imaginé un Club des Fumeux qui réunirait tous le sots de la société  ! Ce serait de nos jours un club florissant !

La ballade, mot d’origine provençale, désignait initialement une chanson à danser. Il s’agit d’une poésie lyrique à forme fixe, comportant généralement trois strophes et un envoi. Victor Hugo et les romantiques du XIXe s. la remettront à l’honneur pour versifier soit une légende guerrière, soit un amour tragique, soit un drame sanglant, soit encore un récit fantastique. Actuellement une ballade évoque plutôt un chant populaire. Le rondeau est un petit poème à forme fixe de treize vers sur deux rimes ou à vingt vers en cinq quatrains. 

Pour rappel, le lyrisme courtois entend peindre un amour idéal. Ses thèmes traditionnels sont : la description de la nature au printemps; la langueur lancinante que vit l’amoureux; une discussion sans fin sur les rôles du cœur et des yeux dans l’amour; la réfutation des médisants et, au final, l’envoi soit à la destinatrice du poème, soit à un prince dont la faveur est demandée.

Notre auteur reprend les grands thèmes courtois et de “moralité”, c’est-à-dire l’art de se comporter non seulement avec les femmes, mais encore avec les autres. La peinture de l’amour constitue le fond principal : les douleurs de sentiments non exprimés ou non partagés; les vicissitudes de la vie amoureuse, de son premier instant à sa conclusion, pas obligatoirement charnelle; les actions des médisants sur le lien sentimental; les souffrances de la séparation; les refus d’aimer; la beauté de ce mois de mai, le mois de l’amour. Souvent, elle souligne que les femmes sont victimes de l’inconstance et de la désinvolture de l’amant. Cinquante-trois de ses ballades sont aussi des éloges de diverses personnalités. 

Sa sensibilité, due à son vécu, nous émeut encore. Elle parle vrai. Le plus simple est de lui donner la parole pour vous en donner un aperçu :

Cent ballades

Douleur du veuvage (V),  extraits : strophe 1 et envoi

Car il est mort celui qui me tenait en vie

Par Dieu ! quel deuil, quel méfait, quelle rage !

Quel inconfort, douloureuse aventure

Pour moi, hélas ! dont le tourment si grave

Tel que jamais plus grand n’endure créature.

Heure maudite que ma vie tant endure,

Car d’autres biens je n’en ai nulle envie,

Sauf de mourir, car survivre n’ai cure

Car il est mort celui qui me tenait en vie.

*

Princes, voyez comment très grande injure

La Mort me fit, dont faut que je dénie,

Car j’ai chuté en grande mésaventure,

Car il est mort celui qui me tenait en vie.

Sagesse : prendre patience  (XVI)

C’est souverain bien que de prendre patience

Qui vivement veut bien considérer

Ce monde-ci où il n’est joie entière,

Et les malheurs qu’il y faut endurer,

Comment vient qui nous met en bière,

Qui bien penser veut sur cette matière,

Il trouvera s’il a quelque nuisance,

Que comme tout réconfort d’une mère,

c’est souverain bien que de prendre patience.

*

Puisque c’est qu’on y peut demeurer

Pourquoi a-t-on cette vie si chère ?

Tout autre vie convient favoriser

Qui aux pécheurs ne sera pas légère.

S’il vaut mieux faire confession entière,

Faire en ce monde une vraie pénitence,

A qui aura pénitence trop fière,

c’est souverain bien de prendre patience.

*

Chaque vrai cœur doit s’énamourer

De la vraie céleste lumière,

Et du seul vrai Dieu que l’on doive adorer:

c’est notre fin et notre joie dernière.

Qui sage est, autre réconfort n’acquiert

Car tout autre bien n’est alors que nuisance,

Et si le monde empêche et trouble en arrière,

C’est souverain bien que de prendre patience. 

Fonction du noble chevalier : établir l’ordre. 

Si l’on veut maintenir l’ordre à juste guise

Sages, bons, gracieux et courtois

Doivent être de droit tous chevaliers;

Agiles, francs, doux, paisibles selon lois

Pour acquérir honneurs; et grands voyageurs,

En faits d’armes entreprenants et fiers,

Droit soutenir et défendre l’Eglise,

Porter les armes doit être leur métier,

Si on veut maintenir l’ordre à juste guise.

*

Hanter les cours des princes et des rois,

Et les faits de bonté souvenir volontiers.

Se doivent d’être pour orphelins et les lois,

Et des femmes, défendeurs coutumiers,

Et accompagner les nobles étrangers,

Etre preux et hardis, et sans couardise,

La voix parlant ferme, vrais et entiers,

Si on veut maintenir l’ordre à juste guise.

*

La noblesse qui a si grande voix,

Les doit tenir loyaux et droituriers

Pour le renom qui est dû aux bons François.

Les faits pesants leur doivent être légers.

Etre orgueilleux, vantards, ni louangiers

Ils ne soient, car chacun trop méprise

Les faits méchants, hâbleurs ou cancaniers,

Si l’on veut maintenir l’ordre à juste guise.

*

Tels chevaliers doivent être bien chers,

Dieu et les saints, et le monde les prisent

Et qu’ils suivent de ces faits les sentiers,

Si l’on veut maintenir l’ordre à juste guise.

Cent ballades d’amant et de dame

Pour illustrer en vérité les aléas de l’amour, Christine compose un livre soigneusement structuré, en un dialogue versifié entre la Dame et l’Amant. En voici le canevas :

1. Résistance de la Dame aux prières de l’Amant

2. La Dame se laisse séduire (X)

3. Le bonheur d’aimer (XXVII-XL)

4. Leur joie troublée par les médisants et par l’éloignement de l’amant (XLI-XLIV)

5. Les joies des retrouvailles (LX-LXIV)

6. Les fêtes et les cadeaux échangés rythment les saisons (LXV-LXXIII)

7. Le temps des crises : l’Amant devient ombrageux; la Dame perçoit des changements de sentiments qui ne ressemblent en rien à ceux de leurs premiers échanges. (LXXXIV-LXXXVI) 

8. La Dame blessée en son cœur attend la mort (C).

Dans Le livre du duc des vrais amants, dame Sibylle dissuadait une dame d’aimer. Ce roman aux dialogues très vivants est un traité d’éducation sentimentale.


Sa vie intellectuelle

Son goût du savoir se développe avec des lectures, des études et surtout des observations. L’expérience vécue apporte plus que le savoir livresque. Elle pourrait avoir pour devise cette citation d’Aristote, lue dans Métaphysique : “Tout homme par nature désire savoir.”  La Nature est la servante de Dieu. Le principe de la vie ou, tout simplement, le biologique est l’expression de la volonté divine. La Parole de Dieu est un pain de vie dont quelques miettes suffisent à la nourrir. 

Pour écrire, elle a besoin de solitude : ce n’est pas une solitude stérile, mais féconde. En enluminure, nous la voyons dans sa chambre, la “celle” qui symbolise le monde intérieur, ayant des portes et des fenêtres sur l’extérieur. Elle se voue au travail littéraire et philosophique comme d’autres à la vie monastique. A mon avis, elle surmonte les souffrances de la vie, qui ne lui ont pas été épargnées, en mettant sa confiance en Dieu. 

Seulete suy et seulete veuil estre,

Seulete m’a mon doulz ami laissiée,

Seulete suy, sanz compaignon ne maistre,

Seulete suy, dolente et courroucée.

Elle utilise une image parlante pour nous décrire son travail d’écrivain : concevoir un livre est pour elle une forme d’enfantement; elle en ressent les mêmes souffrances. Elle cultive un lien à la fois filial et maternel avec la Grammaire et la Philosophie. 

Elle écrit, non pour elle, mais pour ses lecteurs. Un auteur ne nourrit pas son œuvre mais les lecteurs, invités à privilégier la vie contemplative. Elle ressent le besoin de réhabiliter le corps féminin.

Une défense de la féminité

Le Roman de la Rose

L’œuvre la plus connue au Moyen Age est ce livre écrit par deux auteurs différents : Guillaume de Lorris d’abord avec son poème de 4 056 vers, écrit probablement en 1230, et Jean de Meun qui rédige la deuxième partie, la plus longue, entre 1270 et 1280, et qui s’achève au vers 21 677. 

Guillaume de Lorris a voulu offrir à ses lecteurs un traité d’éducation sentimentale. Jean de Meun livre une somme des connaissances de son temps en traitant de sujets très divers : astronomie, cosmogonie, religion, actualités, sujets moraux et philosophiques. Raison pour laquelle, ce livre sera une source infinie de citations, largement exploitée par les personnes cultivées et ceci jusqu’à la Renaissance.  

Guillaume de Lorris est un poète orléanais qui décrit le Paradis d’amour, ce jardin clos où il s’agit de cueillir la Rose bien-aimée. Les chevaliers de la Table Ronde se devaient d’accomplir des prouesses dans le monde extérieur : livrer maintes batailles; accomplir de nombreuses chevauchées; honorer son lien avec son suzerain... L’Amant de la Rose surmonte d’autres difficultés : des obstacles moraux, ses propres sentiments ou ceux de l’être aimé qui sont incarnés en des personnages imaginaires. Ils ont pour noms : Bel-Accueil qui l’introduit dans le jardin; Dangier qui en est le farouche gardien et le repousse; Dame Raison qui descend en vain de sa tour pour lui faire remontrance. Nous sommes devant une œuvre délicate et subtile, entièrement symbolique. 

Jean de Meun crée une suite à ce récit : ce procédé est fréquent au Moyen Age. Bel-Accueil, prisonnier de Jalousie, est délivré pour guider l’Amant à la conquête de la Rose. Les personnages tiennent de longs discours pour développer la thèse et l’antithèse sur des thèmes divers. Il adopte parfois un ton agressif qui a choqué Christine de Pizan. Pratiquant la satire, il attaque volontiers les institutions comme la justice, la propriété, la royauté, la religion ou le mariage... Il y a des scènes grivoises que des lecteurs considèrent même comme grossières. Ceci étant dit, je l’apprécie surtout pour son portrait de Faux-Semblant qui personnifie l’hypocrisie, ce personnage qui prédomine encore actuellement dans bien des milieux ! 

Il exprime son ironie et son scepticisme quant à l’amour courtois de Guillaume de Lorris. Il ne conçoit l’amour que pour la procréation. Selon sa conception de la nature, l’amour ne serait qu’un instinct que favorise le plaisir. Dans la bouche des ses personnages, il établit une énumération des faiblesses, selon lui, innées de la femme. 

Christine décide de réfuter ces propos misogynes : soulignons que Jean de Meun place ceux-ci dans les bouches des médisants et des hypocrites. Ce n’est donc pas une adhésion de celui qui se contente de les rapporter. Que ce soit fait, avec ou sans complaisance, ceci dépend plus du lecteur que de l’auteur. Dans les Carmina burana, il y avait déjà eu des défenses de la féminité et des critiques acerbes sur ce sexe dit faible, alors qu’il est si fort dans l’histoire de l’humanité. Bien plus tard, Rabelais, tout spécialement dans le Tiers Livre reprendra les arguments de ce débat qui peut s’intituler : faut-il ou ne faut-il pas se marier ?

Le dit de la Rose (1403)

En février1402, son récit débute avec un banquet auquel prend part Christine. Au cours du repas, dame Loyauté annonce la création d’un nouvel ordre consacré à l’honneur et à la protection des dames. De retour dans sa chambre, elle s’endort alors que dame Loyauté, au nom du dieu Amour, lui apparaît à nouveau en songe et lui fournit les statuts de ce nouvel ordre : l’Ordre de la Rose. A son réveil, elle trouve ces statuts en un parchemin  sur sa table de chevet. Le jeu entre ce parchemin à l’intérieur et l’extérieur du rêve a du sens : la fiction devient réalité; l’imaginaire devient une expérience à vivre. Amour a rédigé les statuts; dame Loyauté les a transmis. Christine témoigne ainsi non de sa seule autorité morale ou politique, fruit de ses idées, mais d’un message du dieu Amour. 

Le débat sur le Roman de la Rose sera vif et mériterait à lui seul une communication. Le résultat fut que Jean Molinet a réécrit le Roman de la Rose pour en moraliser le texte dans l’esprit de Christine de Pisan. 

Le livre du Chemin de lonc estude. (1403) 

Son écrit, dédié à Charles VII, a été rédigé entre le 5 octobre 1402 et le 20 mars 1403. Dante, l’auteur de la Divine Comédie et l’Enéide de Virgile lui ont servi de modèles.

Dans son prologue,  Christine, âgée de 38 ans, s’interroge pour savoir si en tant que femme, elle a l’autorité d’écrire alors que depuis son veuvage, elle a consacré sa vie à la lecture et à l’étude. Il s’agit d’un voyage dans les différents pays du monde en quête de savoir, pour, avec dame Sibylle, monter dans les cieux afin d’admirer les planètes : elle croit en l’influence des astres, régis par Dieu, sur le destin des hommes (théorie de la prédestination que l’Eglise réfute); elle voit la terre comme étant une sphère (la terre n’est pas plate !). Elle aime les études, mais elle privilégie l’expérience qui enseigne mieux que tout, mieux que la plus grande science doctement proclamée.  

L’effort intellectuel exige de suivre un chemin personnel où les livres deviennent des compagnons de route. Son objectif est de s’’élever à une perfection, dans la mesure de ses forces et avec l’aide de Dieu, au cours d’une vie terrestre qui se poursuivra dans un au-delà dont elle entrevoit les signes.

Elle se questionne aussi sur le pouvoir que les hommes - aussi bien femmes que hommes - ont ou n’ont pas sur leur sort. Y a-t-il un pouvoir arbitraire de Fortune ? Pourquoi des conflits déchirent humanité ? Pourquoi les hommes sont-ils incapables de vivre en paix ? Pourquoi cette férocité, cette ténacité, cette convoitise qui poussent les hommes à se quereller plutôt qu’à se comprendre pour adopter des chemins vers la paix ? Ces questions sont toujours d’actualité et c’est la raison pour laquelle la lecture de Christine de Pizan  nous aide à réfléchir sur ces scandales que sont les guerres qui ne cessent de secouer l’humanité. 

Christine ne parle pas d’un “progrès”, ce mot tant à la mode au XXe s.. Elle souhaite le rétablissement d’une harmonie que suggère le passé. Selon elle, ce passé,  dans ses phases de paix, possède la force du pragmatisme. Elle le préfère à un moyen, dit nouveau, avec toutes ses incertitudes ou ses risques d’échec. Tout commence par reconnaître la corruption de la nature humaine et les défauts incorrigibles de l’homme, depuis qu’Adam a quitté le Paradis. Retrouver la voie de la vertu, le courage d’être et d’agir, est l’affaire de tous et pas seulement des autres : elle commence bel et bien par sa propre personne (”Se connaître soi-même”, sans complaisance et sans mépris) et se diffuse ensuite,  comme par osmose, dans la société.  

Il y aurait beaucoup à dire sur chacune de ses œuvres et celle-ci tout particulièrement. Ce qui me frappe le plus est son pragmatisme : elle refuse de se griser d’illusions. Elle ne veut pas d’un peuple qui trouble, par des émeutes, la vie sociale; elle cultive les valeurs chrétiennes qui, une fois respectées, harmonisent la vie communautaire (qualificatif  à prendre au sens large).

Si vous deviez ne retenir qu’une seule caractéristique de son livre, c’est très certainement ceci : l’acquisition du savoir ne suffit pas, il s’agit encore de le mettre en application, donc d’agir et de le transmettre. Agir : le savoir ouvre à une meilleure intelligence des faits réels, en vue de l’action concrète; transmettre : le savoir est un don qu’il convient de partager.

La Cité des Dames (1405)

Je me demandais quelles pouvaient être les causes et les raisons 

qui poussaient tant d’hommes, clercs et autres, 

à médire des femmes et à vitupérer leur conduite 

soit en paroles, soit dans leurs traités et leurs écrits.” p. 28

Tout est dit dans cette citation. Ecrit en 1405, après le “Débat sur la Rose”, elle rédige son ouvrage didactique et moral dans le même esprit : défendre les femmes méritantes contre d’injustes attaques et combattre cette ignorance qui promeut une extrême misogynie. Elle a modelé ce livre sur la Cité de Dieu de saint Augustin qui avait été traduit à cette époque par Raoul de Presle. L’influence de Boccace est perceptible. Choquée par “Les lamentations de Matheolus”, ce pamphlet virulent contre les femmes, Christine construit une place forte qui se lit comme une allégorie. Il s’agit d’une fiction dans le cadre d’une vision qui lui permet de formuler des vérités essentielles. 

Le Moyen Age aimait les épopées psychologiques, les idées générales sont érigées à la dignité de personnes réelles. Pour ma part, j’avoue volontiers préférer les analyses psychologiques médiévales sous cette forme aux élucubrations psychanalytiques d’un Freud. 

En bref, la structure de son livre est la suivante  : Christine de Pizan souffre du mépris des femmes  que propagent des hommes de lettres. Elle en vient même à regretter sa nature féminine. C’est alors que, soudain, dans une grande clarté, trois dames personnifiant l’une la Raison, une autre la Droiture et la dernière la Justice lui apparaissent. Toutes trois lui déclarent que ses regrets sont sans fondement. C’est pourquoi elles invitent Christine  à construire une citadelle plus résistante que toute cité terrestre. Chaque élément de la discussion qui s’engage devient une pierre s’ajoutant à d’autres : argument par argument, un nouveau portrait positif de la femme s’élabore. 

La métaphore de la construction  est solide : dans le champ des lettres, elle creuse avec la pioche de son intelligence et elle maçonne avec la truelle de sa plume. Selon ses vœux, cet édifice verbal se construit pour l’éternité.

Dame Raison énumère les femmes remarquables en politique : des reines, des guerrières et des chefs d’Etat. Elle mentionne des femmes savantes qui seraient à l’origine de nombreuses inventions comme l’écriture syllabique, le tissage et l’éloquence. Raison conclut en affirmant l’égalité des sexes devant Dieu.

Dame Droiture mentionne les femmes prophètes, les épouses fidèles et vertueuses qui ont marqué leur temps et celles qui ont sauvé leurs pays en des moments décisifs. Droiture réfute les accusations de lâcheté, de pusillanimité, d’infidélité et de coquetterie traditionnellement imputées aux femmes.  

Dame Justice termine le tableau avec la Vierge Marie, les saintes femmes et les femmes martyres qui ont marqué la vie de la chrétienté. Son conseil final est de se méfier du discours perfide et séducteur des hommes.

L’originalité de Christine est d’invoquer des personnalités aussi bien païennes que chrétiennes. Plus tard, Rabelais reprendra ses idées sur l’éducation des filles. Elle affirme que celles-ci sont aussi intelligentes que les garçons et qu’elles ont aussi droit à l’instruction. Elle dénonce les viols et se scandalise des mariages mal assortis. Les femmes ont démontré en certains circonstances des qualités viriles : les reines guerrières et les Amazones. Dans sa perspective religieuse, elle déclare que sans deux femmes, sous leur double visage d’Eve et de de Marie, l’homme - impliquant les deux sexes - n’aurait pas pu accéder au Royaume des cieux. Elle loue aussi la sibylle de l’Antiquité qui connaît la pensée de Dieu. En conclusion, l’excellence des femmes sert la gloire de Dieu. Dame Droiture parle à toutes les femmes blessées par les misogynes : “Sache qu’une diffamation catégorique des femmes ne saurait les atteindre, mais se retourne toujours contre son auteur.” 

Un nouvel extrait du dialogue entre Christine et Droiture explicite son analyse :

[Christine]... je m’étonne fort de l’opinion avancée par quelques hommes qui affirment qu’ils ne voudraient pas que leurs femmes, filles ou parentes fassent des études, de peur que leurs mœurs s’en trouvent corrompues.

[Droiture] me répondit : Cela te montre bien que les opinions des hommes ne sont pas toutes fondées sur la raison, car ceux-ci ont bien tort. On ne saurait admettre que la connaissance des sciences morales, lesquelles enseignent précisément la vertu, corrompe le mœurs. Il est hors de doute au contraire, qu’elle les améliore et les ennoblit.” 

Ce plaidoyer connaît une suite avec son “Livre des trois vertus”. La force des femmes est de vivre selon les principes d’une vie personnelle et sociale que proposent les Evangiles. Elle s’adresse aux princesses comme aux femmes les plus humbles, et même les prostituées.

Brièvement, vous avez eu maintenant eu connaissance des écrits les plus réputés. Or l’œuvre de Christine ne se réduit pas à cette littérature courtoise ou à son plaidoyer pour la féminité. Nous arrivons maintenant à une thématique bien différente. 

Une réflexion politique en un contexte historique précis

Le contexte politique qu’elle a vécu est difficile : querelles entre souverains, entre grands seigneurs, avec la papauté, folie d’un roi, guerres civiles, famines ... Elle relate des faits qu’elle analyse pour tenter de les comprendre. Rappel important pour la lire : comprendre ne signifie pas justifier, c’est acquérir une faculté de discernement pour adopter un choix éclairé en vue de l’action. 

A son époque, elle n’est pas la seule à se livrer à des commentaires et considérations sur le vécu des pays de France. Il y a deux grands noms : Phillipe de Mézières et Alain Chartier. A ses débuts, Froissart a parlé de l’actualité, dans des pastourelles où les bergers oublient leurs amours, pour délivrer un violent pamphlet bourguignon sur les évènements du règne de Charles VI. Nous pouvons y ajouter Machaut qui peint les malheurs du temps ou encore Deschamps qui pleure la mort de Duguesclin.

Christine de Pizan a observé la cour royale de France, sous Charles V (1364-1380) et Charles VI (1380 - 1422). Charles V, fils de Jean le Bon, lui apparaît comme le modèle de sagesse et de prudence. Il fait traduire en français des ouvrages en langue latine. Il améliore l’administration de l’État. Son objectif est de reprendre les terres cédées aux Anglais. La conduite de la guerre est confiée à Bertrand Duguesclin. Une armée nationale succède à l’armée féodale (avec son service d’ost). Un impôt nouveau finance celle-ci : le fouage. Ses frères reçoivent en apanages des portions du domaine royal. Louis dirige l’Anjou. Philippe le Hardi la Bourgogne qui cherchera très vite son indépendance, et Jean, le Berry, l’Auvergne et le Poitou.

Son fils Charles VI, né en 1368, préfère la culture physique à la culture livresque. Il aime les fastes et les fêtes. Il veut se dégager de la tutelle de ses oncles (formant le conseil de régence) pour être indépendant.  Il n’exerce le pouvoir qu’entre 1388 et 1392. Toutefois, il angoisse vite : de plus en plus, il perd la raison et tombe dans une démence profonde, d’abord contre son frère Louis d’Orléans et ensuite contre ses proches. Par moments, il ne reconnaît même plus son épouse. Dément, il a des accès de furie mortifère : croyant tuer son frère, il met à mort quatre hommes... Il lui arrive de tenir des propos incohérents. Parfois lucide, parfois perdant tout sens de la raison, son règne n’a pu être que chaotique et que susciter des luttes pour l’exercice du pouvoir. 

Des guerres civiles éclatent. Jean sans Peur, fils de Philipe le Hardi, donne l’ordre d’assassiner Louis d’Orléans, le frère de Charles VI, en 1407. Finalement, il sera lui aussi occis en 1419 par les Armagnac : son fils, Philippe le Bon prend parti pour l’Angleterre. 

Les émeutiers du boucher Caboche troublent Paris. 

Henri V d’Angleterre débarque en France. En 1415, la victoire anglaise d’Azincourt est totale. Le traité de Troyes en 1420 met un terme provisoire à ce conflit franco-anglais. 

En 1422, meurent deux rois : Charles VI pour la France et Henri V pour l’Angleterre qui règne sur la Normandie, le Nord et Paris, avec l’appui de la France bourguignonne. 

L’héritier de la couronne de France, qui sera Charles VII, s’est réfugié à Bourges : le Midi et l’Anjou lui sont restés fidèles. L’inattendu se produit avec Jeanne d’Arc, en 1429, lors de l’entrevue de Chinon où elle redonne confiance à la France et au roi Charles VII (1422 - 1461). Christine de Pizan sera morte la même année et avant que Jeanne d’Arc soit prisonnière des Anglais à Compiègne (1430) et brûlée vive à Rouen (en 1431).

Christine a grandi pendant le règne de Charles V et a écrit durant celui de Charles VI et s’est réjouie des premiers succès de Jeanne d’Arc. Connaître ce contexte nous permet de bien situer les œuvres politiques de Christine de Pizan : Le livre des faits et bonnes mœurs du roi Charles V en 1404, une Lettre à Isabeau de Bavière en octobre 1405, le Livre du corps de policie rédigé entre 1404 et 1407, une Lamentation sur les maux de la guerre civile en 1410, un Livre de la Paix, écrit de de 1412 à 1414, et son dernier ouvrage le Ditié de Jehanne d’Arc, en 1429.  Elle meurt l’année suivante, sans que l’on sache la date exacte, probablement en l’abbaye de Poissy où sa fille était religieuse. Son activité littéraire a été d’une grande richesse. 

Titres principaux

Ecrits sur la guerre

Vivant ce contexte historique très perturbé, Christine est conduite inévitablement à traiter ce sujet, généralement domaine réservé aux hommes.  

Assurer la paix et un bon gouvernement sont les deux devoirs des princes et de la noblesse : sur ce principe de base, elle délivre un message riche d’enseignements pour tout gouvernement qu’il soit monarchique, démocratique ou autre. Tout a commencé avec ses deux publications  “L’épistre Othéa” (1400-1401),  et le “Livre du corps de policie” (1406-1407).

Epistre Othéa (1401)

Cet ouvrage d’instruction chevaleresque  est dédié à Louis d’Orléans. Sous forme de quatrains le plus souvent, elle énonce cent préceptes moraux qu’elle illustre par des fables ou des références à l’histoire. Il y a un mélange de profane et de sacré, de vers et de prose. Nous y trouvons des leçons de morale, des sentences de philosophes, des allégories pieuses, des maximes de l’Eglise et des extraits de la Bible en latin.

L’épistre Othéa est un miroir pour les princes : Othéa est en fait Christine. La déesse s’adresse au jeune prince troyen Hector dans le but de l’instruire. La structure est la suivante : un récit de l’histoire de chacun ou de chacune, pour faire adopter des règles de conduite; au moyen d’une allégorie, elle y ajoute un sens spirituel.

Les thèmes traités sont : l’amour et la crainte de Dieu; préférer une vie non oisive et régulée; étudier les sciences; choisir un état de vie; être conscient des devoirs de la fonction exercée envers ses supérieurs, ses égaux et ses subordonnés comme envers soi-même; ses devoirs envers ses amis, ses parents, sa femme et ses enfants. 

Elle déconseille la lecture du Roman de la Rose et l’Art d’aimer d’Ovide, dans son quatrain 19 :

Si tu veux chastement vivre

De la Rose ne lis le livre

Ni Ovide l’art d’aimer

Dont l’exemple faict à blasmer.

Le livre du corps de policie” est destiné à un public plus large que celui des seuls princes : elle écrit pour la noblesse et l’ensemble du peuple. Tout Etat doit entretenir l’harmonie qui n’existe que dans la paix. Ce titre vous sera plus explicite ainsi : elle use de la métaphore du corps politique que décrivait déjà Jean de Salisbury, au XIIe siècle, dans son “Policraticus”.

La société est décrite comme un corps dont la tête est le roi, les mains les chevaliers, les soldats et les administrateurs et les pieds le peuple, notamment les paysans. L’ensemble de la communauté vit en interdépendance. Des responsabilités et des devoirs mutuels  s’imposent à chacun des éléments de la société. Elle n’hésite pas à insister sur les qualités psychologiques et morales nécessaires à tous : de nos jours, il serait bon de l’écouter ! Elle dénonce les dépenses déraisonnables qui augmentent les impôts, et finissent par les rendre excessifs et donc insupportables. Elle critique les abus de pouvoir qui sont sources de révoltes légitimes. Elle prône l’équité dans les échanges commerciaux. Elle souhaite que tout jeune prince soit instruit par un bon mentor. Elle veut des principes éducatifs valables pour tous les enfants, filles ou garçons. Les bons princes cultivent la capacité de s’entourer de bons conseillers, disposant d’une faculté de discernement, ce bon usage de l’intelligence. Des personnes d’expériences, aimant la vérité - et non des flatteurs ou des hypocrites - sont précieuses pour une prise de décision judicieuse et adaptée aux particularités d’une situation.  

Le livre des fais d’armes et de chevalerie (1410) 

En 1410, nous sommes trois ans après l’assassinat, par Jean sans Peur, de Louis d’Orléans qui était allié avec Isabeau de Bavière, la mère du roi. Le reste de la France connait les exactions des grandes Compagnies. L’état de la chevalerie est sur le déclin, car la notion de guerre juste lui échappe et nous sommes cinq ans avant la bataille Azincourt, cette défaite française qui marquera les esprits. Ma conférence sur Gaston Febus donnait un éclairage autre sur cette période troublée de l’histoire de France.

Quelle est l’attitude du clergé sur ce conflit familial, ayant eu une lecture du “Aimez vous les uns les autres comme des frères ”, non selon le Christ, mais selon Caïn ? La question se pose de façon légitime : la recherche de la paix passe par la vérité pour les membres du clergé et aussi pour le simple fidèle de l’Eglise, du moins selon une évidente lecture de l’Evangile. Or, deux théologiens, maître Jean Petit justifie le duc de Bourgogne, alors que Thomas du Bourg, abbé de Cérisy, condamne celui-ci. Il n’était pas le première fois, et sans nul doute, ni la dernière fois, aujourd'hui comme demain, que des membres éminents de l’Eglise aient pris, prennent ou prendront des avis contraires sur des sujets politiques ! Observant les motivations de chacune des parties, Christine préfère ne pas se positionner pour l’une ou l’autre. Par contre, elle insiste lourdement sur la légitimité du trône héréditaire de Charles VI à Charles VII. Elle veut rallier ses lecteurs à esprit fédérateur en faveur d’une cohésion nationale qui s’impose, en raison de son analyse des faits (la réalité et non une illusion). 

Elle n’a pas la prétention d’être originale sur le traitement de ce grave sujet qu’est la guerre. Elle ouvre son propos avec Minerve, pratique classique en son temps : pour rappel, Minerve,  à l’origine dans la mythologie étrusque, est la femme qui représente la pensée élevée, les lettres, les arts, la musique, la sagesse et l’intelligence; elle correspond à l’Athena des Grecs, ayant un caractère nettement plus guerrier. Pour étayer son discours, elle a recours à des auteurs de référence et très classiques pour les militaires comme Végèce, Frontin et Valère Maxime. Elle instaure au final un dialogue fictif avec Honorat Bovet, l’auteur de l’Arbre des batailles. Elle s’exprime à la fin de son livre aussi sur le sens de l’héraldique. 

La diffusion de son livre n’est pas négligeable. De son vivant, il s’est même trouvé un anonyme pour masculiniser son manuscrit qui a connu, sous cette forme, une large audience ! Cette étude mérite l’intérêt de tout passionné histoire de la pensée militaire, dans la mesure où elle fut imprimée plusieurs fois en version française et a bénéficié de traductions en anglais et en allemand. Depuis le XVIe s., ce texte a été longtemps inaccessible au grand public.

Depuis 2021, nous pouvons le lire, dans sa version intégrale, en vieux français. La guerre consiste aussi à se battre avec les mots et, s’il est une championne dans cet art, c’est bel et bien Christine de Pisan. Ne pouvant tenir l’épée pour défendre le droit et la justice, elle privilégie son arme favorite, la plume. Sa façon de lutter est d’écrire.

Cet ouvrage aura une suite avec son Livre sur la paix. Retenons qu’elle développe une grande réflexion sur le rôle de la monarchie : esquisse du portrait d’un roi idéal et rédaction d’un manuel de gouvernement. Même un chef d’état républicain de nos jours pourrait y trouver des enseignements utiles  : ce qui n’est pas peu dire ! 

La paix d’un royaume comme d’un Etat ne peut se créer qu’en dépassant les rivalités des différentes factions. Nous pourrions actualiser son constat au vu des rivalités politiques que nous vivons. Si les méthodes changent, le principe reste le même : l’assassinat juridique et/ou économique a remplacé l’assassinant physique. La mort sociale de celui qui est considéré comme un ennemi existe dans tous les milieux. Je dis bien tous ! Que les aveugles voient ! Que les sourds entendent ! Que la vérité soit proclamée ! Oui, même cette vérité que chacun souhaite et qui est rejetée dès qu’elle est connue, car elle fait mal, à ces dites “bonnes consciences” (les guillemets s’imposent), construites sur des mensonges que certains cultivent avec une telle dévotion, par peur du réel ou, plus simplement par lâche soumission !

Le livre sur la paix (1412 - 1413)

Ce manuel de science politique a été rédigé lorsque la France vivait trois guerres : celle contre les Anglais, les luttes des princes et les guerres civiles. 

La guerre vient du mauvais seigneur qu’elle décrit comme un tyran. Le tyran a un cœur pervers  dont les effets sur ses sujets sont : cruautés, extorsions, viols, meurtres. Pour elle, le tyrannicide est admis. Pour information, Thomas d’Aquin, le théologien de référence, l’autorise aussi. Elle invoque les exemples de l’Ancien testament : Judith a coupé la tête de Holopherne. Elle dénonce les lettres et les libelles qui soutiennent de faux principes, c’est-à-dire la propagande de son temps, cultivés par des flatteurs qui reçoivent différents bénéfices pour leurs mensonges. Il n’y a pas de paix sans justice et la justice impose le châtiment du malfaiteur.

Elle a des mots durs à l’encontre de la  rébellion cabochienne. Elle souligne que tous les hommes sont égaux devant Dieu. Dans la vie en société, il y a divers états déjà invoqués précédemment dans ce qui forme le corps politique. Par contre, elle redoute les folles émeutes conduites sans raisonnement, sans discussion et ne répondant qu’à des émotions. Pour devenir le maître, il ne suffit pas de jurer ou de menacer.

La paix civile n’est pas une victoire ou une vengeance. La paix dépend de l’équilibre du corps social, sans exclusion de la tête au pied, c’est-à-dire des princes au peuple, formé par les artisans, les paysans et qui mérite le respect. 

Un véritable Etat de droit se construit avec la Justice : le premier devoir du prince est de la rendre. Punir les malfaiteurs évite de créer d’inévitables réactions violentes, nuisibles à tout le corps social.

Le ditié de Jehanne d’Arc (31juillet 1430)

Le dernier livre que rédige Christine de Pizan respire la joie d’une France, sur la voie d’être sauvée des Anglais et des Bourguignons. De plus, c’est une femme qui a joué un rôle prépondérant en raison de son charisme, de son humilité, de sa détermination et de son exemple. Elle loue le roi et ses troupes et formule des menaces contre les Anglais, ainsi que contre les Français félons qui les ont ralliés et contre les villes rebelles comme Paris. Notre auteur meurt avant qu’elle ait appris la nouvelle de l’arrestation et de la mort juridiquement organisée de Jehanne la Pucelle. 

Actuellement où il y a une totale perte du sens des valeurs, je ne serais pas surpris que deux plaques soient apposées, à proximité d’une statue de Jeanne d’Arc : l’une au-dessus, en l’honneur de Charles VII, brûlée vive sous son règne (alors que le roi de France a bénéficié de son soutien et n’a l’a pas sauvée) et l’autre au-dessous, pour Mgr Pierre Cauchon, en témoignage de reconnaissance de tous les pharisiens (cet évêque étant le Caïphe du XVe s.) !

Avec son poème, nous avons un témoignage du vivant de celle qui deviendra, bien plus tard, une des saintes la plus connue de France. Jehanne n’est ni une déesse, ni une fée. Elle est une fille humble, sans savoir livresque, cultivant une foi intérieure, vécue avec intensité. Elle recherche la volonté de Dieu qui s’exprime, à travers elle, par des signes de victoires, non seulement annoncés préalablement, mais confirmés dans les faits. Toute son action est subordonnée à la volonté divine : Jehanne n’est que son instrument entraînant des faits prodigieux. Pour Christine, elle surpasses les grandes héroïnes de l’Ancien Testament : Judith, Esther et Débora qui sauvèrent le peuple de l’esclavage ou encore les grands hommes comme Moïse, Gédéon et David. Sa valeur féminine tient à son âme plus qu’à son sexe : c’est ainsi qu’avec le courage, Dieu met sur pied d’égalité et les hommes et les femmes. 

A la fin de son éloge des vertus féminines de Jehanne, Christine prévoit même que celle-ci se mettra à la tête d’une croisade pour reconquérir les lieux saints. Le message le plus important délivré par ce poème enthousiaste est son appel à tous de vouloir s’engager en faveur d’une cohésion nationale qui seule assurera la paix.

Conclusion

Notre auteur cultive une érudition au service d’un art de vivre les uns avec les autres en harmonie. Les principes chrétiens lui suffisent et elle ne cherche pas à se livrer à des spéculations théologiques : d’autres s’en chargent.

Elle est d’abord une lectrice pour être ensuite un écrivain : elle ne le cache pas et revendique cette démarche intellectuelle. Reconnaissons cette forme d’humilité qui ne l’a point empêchée de nous offrir une  création personnelle et originale, car le fruit de son discernement et de sa réflexion.

A la suite de Dante, elle allie le christianisme et l’Antiquité païenne. Précision importante : l’Antiquité est lue à la lumière des Evangiles. De même, il conviendrait de lire l’Ancien Testament à la lumière du Nouveau Testament, et non l’inverse comme ceci arrive trop souvent !

Dans l’esprit de Boèce qu’elle a lu, elle se console avec la philosophie qui enseigne la sagesse et la raison, deux dons de Dieu qu’elle met en accord avec la foi. 

Les bonnes raisons sont celles de l’expérience et les bonnes théories sont celles qui ont subi l’épreuve de leur application.

Son originalité : être une femme ayant le goût recherché de transformer une expérience de vie terrestre, en une autre expérience qui soit spirituelle. Tout principe de vie est l’expression de la volonté divine : il convient de s’émerveiller et de louer la Nature. Christine est une vraie écophile : l’écophilie n’est pas une invention de notre temps. 

La femme et l’homme sont complémentaires et sont égaux devant Dieu pour bénéficier de ses dons ou grâces qui varient d’une personne à l’autre.

Nourrissant aucune illusion, Christine s’apercevait que qu’elle ne serait pas toujours entendue par les gens, noyés dans les grandes confusions de son temps, mais elle plaçait sa confiance dans le jugement de  la postérité : elle n’a pas eu tort, nous parlons d’elle, aujourd'hui et en ce lieu !

Terminons en lui donnant une nouvelle fois la parole, car elle profère une vérité qui est à entendre, hier, aujourd’hui comme demain, pour toutes les questions que l’humanité se pose :

[...] chaque chose vient en temps et en heure au regard de l’éternité. Comment Dieu a-t-il pu tolérer aussi longtemps les hérésies contre sa sainte parole, qui ont été extirpées avec tant de difficulté et qui seraient encore là  si on ne s’était élevé contre elles pour les confondre ? Il en va ainsi de bien des choses que l’on accepte pendant longtemps mais que l’on finit, un jour, par discuter et réfuter.

La Tourette, le 8 mars 2024.

Antoine Schülé

Courriel : antoine.schule@free.fr

Diverses conférences disponibles sur le Blog : antoineschulehistoire.blogspot.com 

Bibliographie sélective

Sur Gallica, vous pouvez admirer des manuscrits originaux, avec leurs enluminures, et vous entraîner à la lecture de l’ancien français (lire à haute voix et une graphie, paraissant étrange à la vue, se révèlera facilement à l’ouïe).  

Christine de Pizan  (en édition bilingue)

Trad. Jacqueline Cerquiglini-Toulet : Cent ballades d’amant et de dame. Gallimard. 2019. 340 p.

Trad. Andrea Tarnowski : Le Chemin de longue étude. LGR. 2000. 480 p.

Trad. Dominique Demartini et Didier Lechat : Le Livre du Duc des vrais amants. Champion. 2013. 472 p.

Christine de Pizan (version française) :

Ed. Eric Hicks et Thérèse Moreau : La Cité des Dames. LGF. 2000. 404 p.

Christine de Pizan (vieux français) :

Ed. Andrea Valentini : Le Livre des epistres du debat sus le Rommant de la Rose. Garnier. Paris. 2016. 384 p.

Ed. Lucien Dugaz : Le Livre des fais d’armes et de chevalerie. Garnier. Paris. 2021. 636 p.

Ouvrages de référence :

Françoise Autrand : Christine de Pizan. Une femme en politique 1365 - 1430. Ed. Tallandier. 2023. Paris. 556 p.

Excellente biographie pour découvrir sa pensée politique et munie d'une abondante bibliographie.

Collectif sous la direction de Dominique Demartini et Claire Le Ninan : Genèse et filiations dans l’œuvre de Christine de Pizan. Garnier. Paris. 2021. 444 p.

De multiples réflexions sur sa vocation d’écrivain et des pistes de lecture