mercredi 24 août 2016

Trois religions monothéistes et la notion de guerre juste.

Trois religions monothéistes

et la notion de « guerre juste »


Antoine Schülé, historien
(rédigé en 2004)

« Tout homme cherche la paix même en faisant la guerre
et nul ne cherche la guerre en faisant la paix. »
Saint Augustin[1]

Introduction

Par son titre, vous percevez que le sujet est vaste et devient aussi chaque jour plus d’actualité. La nécessité de comprendre les forces de paix résidant dans trois religions monothéistes prédominantes m’a poussé à établir une comparaison entre elles. En quelques pages, il ne sera pas possible d’épuiser le sujet mais je me propose de vous introduire à ce thème avec quelques clefs qui m’ont paru les plus intéressantes.

Une caricature courante règne dans les esprits car largement véhiculée par les média : « La religion est cause de la guerre ». En fait, au regard de l’histoire, la religion a, dans la majorité des cas, humanisé la guerre (les trêves de Dieu du Moyen Age, Saladin à ses débuts,…) lorsqu’elle n’a pas réussi à l’en empêcher (tribunal religieux donnant le droit par arbitrage lorsque les autorités temporelles ne parvenaient pas à s’entendre). Des intérêts politiques (prise du pouvoir ou consolidation de l’indépendance du pouvoir par rapport aux religieux) et des intérêts économiques (dès qu’une église possède une autonomie financière forte comme une influence prépondérante sur une population, d’autres pouvoirs peuvent l’envier ou cherchent à se l’approprier) ont plus souvent conduit à des guerres dites « de religion » alors que la religion était plus un prétexte que la raison fondamentale (l’historique des Länder d’Allemagne est ce qui pourrait le plus alimenter la question). Pour l’historien, avant de parler d’une guerre de religion, il convient de distinguer très nettement, pour éviter toute confusion, si l’acteur de l’histoire sert Dieu (la religion est alors engagée si une autorité religieuse la déclare) ou se sert de Dieu (là, c’est de la politique et la religion est utilisée). Mais développer cette mise en perspective qui mérite un développement particulier n’est pas l’objet de cette communication.   

En se penchant sur la notion de guerre juste, nous pouvons découvrir ce qui unit les religions dans leur désir d’une paix à se construire et ce qui les distingue dans une lutte qui n’est parfois pas uniquement spirituelle mais qui peut devenir une confrontation de forces que nous appelons « guerre ». Saint Augustin définit la paix comme « une concorde bien ordonnée ». La concorde signifie qu’aucune menace ne doit peser sur l’une ou l’autre des parties recherchant un concordat : cela peut s’établir dans un ordre établi et non dans le chaos. La diplomatie de nos jours, en 2004, devrait se rappeler cette notion élémentaire.

L’histoire nous apprend que la guerre est un phénomène permanent et que ce que nous appelons « paix » n’est bien souvent qu’une « paix relative ». La Guerre froide a autorisé des guerres économiques dont le grand public n’a pas toujours eu conscience. Qu’est-ce que la paix ? Pensons que tandis que l’Europe occidentale jouissait de cette paix relative après 1939-45, période appelée d’ailleurs « Guerre froide », des peuples et des personnes mouraient de façon misérable soit dans des camps, soit de la faim et sans que les populations non directement concernées en aient une perception vive : il existe encore de nos jours un vaste silence sur les expulsés d’Europe centrale, par exemple. Les guerres indirectes en Afrique, et issues de la Guerre froide, « anticoloniales » ou « anti-impérialistes » ont causé mille maux dont les Européens n’ont eu que très peu conscience (à l’exception de ce qui se passait en Algérie). Affirmer cela n’est pas culpabiliser ces populations[2] car l’erreur ou le silence ont d’autres origines (les propos sur le totalitarisme p.e. varient selon que celui-ci soit de droite ou de gauche, selon les besoins électoraux et non selon les principes humanitaires pourtant si souvent proclamés) alors que bien des églises ont œuvré pour soulager, comme elles le pouvaient, ces victimes, avec ou sans la foi, condamnées au silence comme au martyre. Il s’agit de ces nombreuses guerres inavouées actuellement ou oubliées anciennement de la part de celles et ceux qui pratiquent le « historiquement et politiquement correct ».

La religion affirme que la guerre n’est pas le résultat de la volonté de Dieu mais que la guerre est le fruit de la déchéance de l’homme qui n’a pas respecté la loi de Dieu. Ainsi la religion étudie la guerre généralement sous deux aspects : la nécessité et la charité (je développerai ultérieurement cela) alors que la philosophie construit son approche sur la notion de justice. Ces deux approches se complètent pour tout penseur chrétien mais l’histoire des civilisations démontre qu’il y a eu des dichotomies tardives. Il y a une véritable filiation de pensée au sein de nos diverses religions. Le thème que nous abordons aujourd’hui est un voyage dans les cœurs mêmes de nos civilisations : les religions monothéistes.

Il m’a fallu résumer et, résumer, c’est toujours trahir un peu. Cependant, les éléments que je soumets à votre réflexion sont puisés aux sources mêmes de ces grands courants religieux qui ont développé, chacun, leurs messages bien particuliers. Pour me forger une opinion, j’ai eu recours à des sources diverses dont une bibliographie abondante découle des ouvrages principaux que je donne en référence à la suite de cet article.
L’ouvrage de base demeure « Les religions et la guerre[3] » et il est rédigé sous la direction de Pierre Viaud, aux éditons du Cerf et publié sous l’égide du Secrétariat de la Défense nationale française. Des représentants des différentes religions s’expriment en communiquant les valeurs fondamentales qui structurent leurs regards sur la guerre. Suite à cette lecture, il est possible d’étudier les auteurs classiques de chacune des religions : cela est un long voyage dans le temps et dans les pensées. J’ai eu l’occasion de lire le Coran en entier, d’approfondir des textes de l’Ancien testament et de compléter utilement ma découverte de Pères de l’Eglise et des écrits les plus contemporains sur la guerre.

Dieu unique

Le monothéisme reconnaît un Dieu unique et, pour tous, en découle donc une vérité unique : cette notion bien comprise peut ouvrir à la tolérance dans la mesure où chacun accepte dans sa religion l’expression diverse, autre de cette vérité qui se trouve aussi dans l’autre religion. Dieu seul détient la Vérité dans sa plénitude : l’homme peut s’en approcher avec quelques certitudes de la raison en plus que celles de la foi seule. Ainsi, si l’expression de cette Vérité ne devient pas refus systématique d’une croyance autre qui serait considérée comme une croyance imparfaite, nous pouvons vivre dans une véritable recherche de compréhension mutuelle. Au cœur même des religions monothéistes, il y a un noyau fondamental commun qui devrait être une source de rapprochements et non de divisions. 

Par contre, cette notion de vérité unique ouvre la porte du fanatisme si elle est mal comprise : rechercher les points qui divisent, les cultiver, les exacerber. Elle devient le refus d’une autre expression de cette approche de la vérité qu’est l’autre religion. C’est permettre les guerres de conversion qui ont ensanglanté, malheureusement, quelques pages d’histoire et, triste paradoxe, alors que toutes les religions dans leur expression fondamentale rejettent les guerres de conversion ! Qu’est-ce une guerre de conversion ? Une guerre de conversion vise à forcer l’adhésion des peuples n’ayant jamais été enseignés dans la foi d’une des religions. Or la conversion est demandée par une adhésion libre de l’esprit. Les religions proposent la foi et ne l’imposent pas.
Cependant, la guerre de conversion a été dans la plupart des cas une exploitation politique du phénomène religieux. Sous couvert de défendre une foi, des autorités politiques ou économiques (deux exemples fort différents par nature : Espagne et Angleterre[4]) y ont vu l’occasion d’étendre soit leur puissance, soit leur influence. Les représentants de la Foi ont souvent dénoncé ces pratiques : l’exemple le plus célèbre est celui de Vitoria[5].
Les opposants à toute religion ont collationné des cas particuliers, illustrant les guerres de conversion, pour dénaturer la vision objective du rôle pacificateur des religions. Au vu de leurs démarches, ils procèdent comme si les condamnés de droit pénal de nos jours étaient les seuls représentants de la société pour les historiens de demain ! Voilà qui serait pour le moins réducteur ! Ne vouloir considérer que les déviances pour ne pas reconnaître les intentions, les succès des religions, cela est du parti pris, source d’une forme d’obscurantisme qui en vaut bien d’autres, déjà connues dans le passé. Cela est d’autant plus surprenant qu’il y a eu des idéologies mortifères laïques, comme le communisme notamment, qui ont causé - en quelques décennies - plus de morts que deux millénaires de christianisme (en y soustrayant celles et ceux victimes de leur Foi). La laïcité qui devient une religion n’est plus la laïcité mais le laïcisme, une forme d’athéisme. La laïcité ne détruit pas la pensée religieuse. La laïcité laisse la liberté de croyance comme de ne pas être croyant : la laïcité qui interdit une expression religieuse contreviendrait à l’esprit qu’elle proclame. 

Comparons les guerres du Moyen Age, avec des guerres parfois tragiques mais encore limitées, et les guerres entre la Révolution de 1789 (la Terreur) et la Deuxième guerre mondiale (la guerre totale) ! Les Croisades ou les luttes contre les hérésies dans le monde chrétien, mais encore musulman ou juif (pour ces deux derniers, celles-ci ne font pas l’objet d’articles dans les média et pourtant croisades[6] comme luttes contre hérétiques[7] ont aussi existé chez eux), sont bien modestes au regard du XIXe et XXe siècle. En disant cela, je n’excuse pas les erreurs sanglantes qui entachent les vies des religions mais il est nécessaire de les relativiser face à ce que toute l’histoire nous enseigne dans le beau[8] comme dans le pire, et ce « pire que pire » qui peut malheureusement encore exister ou advenir. 

Le droit humanitaire, proposé par les organismes internationaux, a emprunté de nombreuses valeurs avancées par les religions et nous aurons l’occasion d’en donner un raccourci éclairant avec des auteurs comme saint Augustin, saint Thomas, Vitoria, Suarez et Grotius.

Notion de guerre juste

Le discours sur la guerre juste s’est construit sur trois couches qui s’interpénètrent dans le temps : la première est la religion. « La guerre est-elle sur le plan divin ou sur le plan humain ? » est sa grande question. Les religions du Livre cherchent la réponse dans l’analyse des Ecritures et la Parole.
Ensuite, en deuxième couche, vient le discours du philosophe qui l’étudie plus sur le plan humain et qui, dans la longue durée, se détache partiellement du discours religieux mais difficilement car les esprits ont été structurés par le discours religieux préexistant. Le philosophe peut simplement marquer ses distances par rapport à celui-ci sans toutefois pouvoir s’en affranchir véritablement, même quand il prétend s’y opposer.
La troisième couche est celle créée par le juriste. Le juriste n’anticipe pas les faits comme le religieux peut le faire dans une vision, à la lecture des Ecritures[9] comme à l’écoute de la Parole[10] ou, encore, le philosophe par la pensée et le raisonnement. Le juriste étudie la question sur le plan droit par rapport aux particularités du fait, soumis à son jugement : dans le temps, se composent un code, un discours sur le droit, c’est-à-dire sur le légitime et sur l’illégitime. Ce discours ne tient que par rapport à des valeurs acceptées ou rejetées (il suffit de savoir en son âme et conscience quelle position prendre : c’est le discernement qui est demandé dans le Nouveau testament et non l’aveuglement ou la passivité). Chaque pays ayant ses mœurs : le juriste représente généralement les mœurs de son pays et reste aussi sous la double influence, cette fois-ci, des réflexions religieuse ou areligieuse et philosophique, propres à son temps et à son pays.

« Théorie que tout cela » me direz-vous.
Prenons un exemple concret : L’Ancien testament est pour des lecteurs radicaux des Ecritures un récit où le Dieu-Tout-Puissant décide de la victoire sur l’ennemi. Il peut autoriser des massacres, des ruses et des trahisons : il faudrait une heure pour en établir un catalogue.
L’Ancien Testament a été le premier et parfois seul livre de tactique pour des combattants : il est possible d’illustrer tous les cas de figure de la technique élémentaire du combat[11]. La pensée militaire protestante s’est construite sur cette lecture. Les premiers évêques accompagnant des rois en guerre ont puisé dans ce savoir.

Une lecture rigoriste des Ecritures a pesé sur les solutions radicales que les dirigeants de certains Etats ont pu assez facilement adopté au cours de l’histoire de leurs pays. La guerre leur était un moyen pour mener à terme le plus rapidement un conflit : la victoire étant donnée par Dieu, le vaincu n’avait plus qu’à se soumettre.
Vous me direz que ce propos nuit à mon affirmation sur l’humanisation de la guerre par les religions. Et non. Un chef d’état ou de guerre n’est pas une autorité religieuse !  Une distinction élémentaire est à faire entre une guerre demandée par les autorités religieuses et une guerre voulue par les autorités politiques.

La révolution du Nouveau testament

Durant le Haut Moyen Age, les évêques assumaient parfois le rôle de chef d’état-major : la rédaction des ordres leur incombait et cette lecture de l’Ancien Testament a influencé leur rôle de conseiller du prince. Le contexte était bien précis : les autorités politiques et religieuses étaient menacées par des assaillants unissant une opposition totale contre eux. Il est évident que le moine, dans son monastère, ne lira pas les Ecritures comme un chef de guerre ! Gardons à l’esprit que nous avons des textes presque identiques[12] dans nos différentes traductions de la Bible mais qu’il y a des lectures différentes : par exemple, les Psaumes lus par un Catholique ou un Orthodoxe, qui reconnaissent dans le Christ le Messie, sont lus différemment que par un Juif qui attend le Messie.
Pour le lecteur qui lit l’Ancien testament avec la connaissance du Nouveau testament, la lecture change. L’Ancien l’intéresse pour déceler ce en quoi le Nouveau testament était déjà annoncé. L’histoire d’Israël devient ainsi porteuse d’un message. Mais ce message diffère dès qu’il s’adresse, comme dans le Nouveau testament, non plus à un peuple mais en s’étendant à toutes les nations.

Le Nouveau testament change la perspective : le Dieu-Tout-Puissant devient le Dieu-Tout-Puissant par son Amour[13] qu’Il porte à l’homme en envoyant son Fils pour les Chrétiens, un prophète pour les Musulmans alors que Jésus-Christ reste un sage hérétique pour les Juifs. Le Dieu du champ de bataille s’efface pour être Celui qui arme spirituellement son fidèle. La lutte se déroule sur un autre plan : non la conquête des territoires ou d’un pouvoir terrestre mais la conversion de cœurs et des esprits. Le croyant se doit d’accepter les succès comme les échecs à la façon de Job lorsqu’il dit après avoir subi des malheurs : « Dieu a donné, Dieu a repris. Loué soit le Seigneur ! ». La fidélité à Dieu peut exiger d’être à contre-courant de l’esprit du monde : une minorité peut ainsi avoir raison contre une majorité, la loi du nombre ne compte pas.

Les Pères de l’Eglise (dont saint Augustin) réfléchissent sur la guerre et délivrent un message religieux donnant les éléments complexes qui expliquent l’existence de la guerre : il y a des motivations et des pratiques acceptables au regard de la religion, comme la légitime défense, le secours à apporter à l’opprimé, et d’autres inacceptables et qu’il convient même de combattre comme le massacre de populations civiles, la haine de l’ennemi (et oui, ce message a encore toute son actualité).
L’approche des premiers hommes d’Eglise porte plus d’ailleurs sur la notion de charité dans la guerre que sur la justice de la guerre : il faut attendre le XIIe et le XIIIe siècle pour que les philosophes à la suite de saint Thomas d’Aquin traitent ce deuxième aspect de façon systématique. C’est à partir du XVIIe siècle avec Grotius que se développe une réflexion juridique sur la guerre, répondant aux problèmes de leur temps, en s’inspirant de leurs prédécesseurs comme Vitoria et Suarez.
Au XVIIIe siècle, le regard sur le droit de la guerre change et répond à d’autres critères qui ne relèvent plus uniquement du religieux mais qui répondent à des idéologies.
Finalement, après deux guerres mondiales, un droit international s’ébauche pour être ce qu’il est aujourd’hui avec ses forces comme ses faiblesses : ses forces sont ses intentions, ses faiblesses sont ses moyens déficients pour les appliquer.
La naissance de ce droit international doit beaucoup à cette filiation de pensée qui est faite, comme dans bien des successions spirituelles, de reniements et de reconnaissances.

Religions et la guerre

Toute civilisation recherche la paix pour les siens au prix, parfois, de la guerre contre les autres : c’est la forme de guerre la plus classique, la guerre de survie. Une civilisation bien établie, en sécurité, peut chercher à élargir sa zone d’influence ou d’autorité : là nous avons une guerre de conquête. A l’intérieur d’une civilisation, il peut y avoir la guerre civile s’exprimant par le terrorisme, la rébellion ou la résistance. Nous sommes face à trois formes de guerre bien distinctes et il faut y ajouter les guerres inavouées comme en URSS[14], il y a encore peu de temps, ou en Chine de nos jours[15].

Quelles sont les positions du judaïsme, du christianisme et de l’islam par rapport à la guerre et à ces différentes expressions ? Cette question est nécessaire dans la mesure où tout conflit est sous-tendu, ravivé ou justifié par des considérations religieuses : Bush, un Evangéliste, est un exemple de nos jours face à un Pape, Jean-Paul II, Catholique ; sur la nécessité d’une guerre et le droit à la guerre en Irak lors de la Deuxième guerre du Golfe, tous deux s’expriment au nom de leur foi mais chacun d’entre vous reconnaîtra que leurs conclusions ne sont pas les mêmes ! Il s’agit de ne pas oublier que le premier est un politique et que le deuxième est une autorité religieuse. Les instances internationales ou intergouvernementales ont été incapables de faire entendre le droit lors de ce qu’on appelle faussement la deuxième guerre du Golfe[16], mis à part les pays qui ont refusé de cautionner une guerre qui, de nos jours encore, ne possède aucune base légale.

Je vous propose deux approches : la première est comparative à travers quelques grands thèmes et la deuxième est plus particulière à chacune des religions. C’est la façon la plus simple pour aborder un sujet qui n’est peut-être pas trop connu du grand public.

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I  Approche comparative

Nos parentés religieuses :

Depuis la révélation au Sinaï à Abrahm qui devient alors Abraham, le judaïsme s’est lentement formé et il doit beaucoup à l’Egypte (comme la lecture des psaumes en comparaison des prières égyptiennes le démontre) ou encore à la civilisation assyrienne : les deux sources trop souvent délaissées des origines du judaïsme. L’Ancien Testament est riche en guerres multiples où les exploits (comme David contre Goliath) côtoient les pires massacres, véritables crimes contre l’humanité (lire : Josué, Juges, Samuel, Deutéronome, etc.).
Du judaïsme est née une civilisation fondée sur la révélation : Dieu parle à l’homme qui L’écoute mais L’entend parfois mal. La religion s’étend dans le monde par multiplication (les premières églises), division (Orient - Occident : Catholiques romains et orthodoxes) et séparation (différents mouvements issus de la Réforme p.e.).

Le Christ provoque une révolution dans la filiation de pensée mosaïque : il y a tout à la fois rupture sur de nombreux points quant à l’entendement et continuité dans l’écoute. A Sa suite, les Pères de l’Eglise ont un discours commun mais les interprétations fleurissent et les divisions, au cours du temps et pour des raisons où la politique n’est pas absente, naissent aussi au sein d’un christianisme qui connaît plusieurs courants de pensée. Elles s’alimentent cependant à la même source appelée : Parole du Christ ; les Evangiles essentiellement et le reste du Nouveau Testament, les lettres de saint Paul plus particulièrement. Orthodoxes, Protestants exprimeront des idées différentes plus souvent convergentes sur l’essentiel et plus rarement divergentes sur un message christique qui est le même à la base.

Du judaïsme naît aussi l’Islam. La culture orientale assimile un message de façon autre que les chrétiens occidentaux et se sensibilise à des aspects qui préoccupaient moins la culture occidentale. Le dernier prophète d’Allah revendique une vérité composée d’éléments de la religion mosaïque et de la religion du Christ. Nous avons ainsi de nombreux points communs qu’il conviendrait de relever, cela serait un pas vers la recherche de la paix, au lieu de les occulter comme cela est malheureusement la mode depuis le 11 septembre 2001, pour cultiver la haine.

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Quel est l’apport de la religion à l’homme qui doit vivre la guerre ?  

La religion donne un nouveau sens à la vie humaine dans la mesure où cette vie terrestre précède une vie dans un au-delà. Croire en une autre vie après la vie change toute l’approche de l’homme dans la mesure où sa façon d’être dans le présent aura des conséquences sur cette autre vie, dans la mesure où le sacrifice accepté ou refusé pour les autres, aura aussi une conséquence pour lui. Cette prise de conscience étant faite, le vivant se doit d’annoncer et de mettre en pratique ce qui sera l’après-vie autre : la Cité de Dieu pour les croyants.
Dieu connaît chaque homme avant qu’il soit créé dans le sein de sa mère dit le Psaume et : « Il connaît nos intentions et sonde nos reins ». Agir en gardant à l’esprit cette donnée essentielle de la religion suscite chez un homme de foi un comportement qui doit correspondre à cette dernière.

L’essentiel pour toutes les religions qui nous intéressent aujourd’hui est cette prise de conscience que l’homme n’est pas qu’un corps, mortel, mais aussi un esprit, appelé à l’immortalité. La religion nous sensibilise au fait que le corps connaît plusieurs petites morts comme plusieurs naissances dans la vie même pour laisser grandir l’esprit. Depuis notre naissance, nous ne cessons pas de mourir et de renaître d’une certaine façon : nous mûrissons de notre enfance jusqu’au dernier instant, dans la mesure où la santé le permet. La vie agitée imposée par nos sociétés cache trop souvent cette réalité.
C’est un élément capital pour comprendre le sens de la religion dans son approche de la guerre et du sens pouvant être donné à la mort, celle que l’on peut être amené à donner en tant que soldat comme à celle que l’on peut recevoir en tant que soldat ou martyr[17].

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La guerre selon les grandes religions monothéistes peut s’étudier au travers de huit approches :

Le discours traditionnel sur la guerre
Les guerres conventionnelles
La dissuasion et la dissuasion nucléaire
Les armes nouvelles
Le terrorisme
Les guerres inavouées
Implications économiques de la défense

Pour être complet, il faudrait aussi ajouter les réflexions religieuses qui autorisent dans des cas bien précis les droits au tyrannicide, à la résistance, issus généralement du droit à la légitime défense. Ceci pourrait faire l’objet d’une autre étude car elle est trop complexe pour être jointe à ce travail.

1.     Tradition

Nous avons l’avantage de pouvoir analyser trois grandes religions sur la longue durée. De leurs origines à nos jours, pour chacune, il y a eu de grandes évolutions : religion minoritaire d’abord, majoritaire ensuite, alliée à l’Etat ou aux détenteurs du pouvoir, opposée au gouvernement en place ou subissant l’oppression gouvernementale ou d’une autre religion d’Etat ! Voilà autant de cas de figure qui modifient les données.
Pour chacune des religions, il convient de prendre conscience qu’il n’y a pas de prise de position unique et figée dans le temps; tout se situe dans la longue durée, selon un contexte bien précis de sécurité ou d’insécurité à l’expression religieuse. Il en découle de nombreuses variantes où l’antireligieux peut, s’il le veut, peindre tout en noir. Je préfère une approche plus réaliste : un crime reste un crime mais certaines luttes restent acceptables alors que d’autres pas.

Souhait d’une paix universelle

C’est une expression commune et formulée par toutes les religions. Chacun doit être un artisan de paix. Les religions monothéistes parlent d’un monde à venir où il y aura une communauté universelle : ce concept a été repris par des formulations laïques, prenez les discours des organisations internationales actuelles ! Parfois, elles refusent le religieux mais, en fait, laïcisent un discours religieux vieux de plusieurs millénaires et qui suscite ainsi un large consensus.
Le principe de la non-violence est fréquent dans le discours religieux.
Cependant le principe de la légitime défense est toujours reconnu : la façon de concevoir la légitime défense est différente d’une religion à l’autre. L’histoire nous le démontre aisément et leurs propos diffèrent.
Généralement, une guerre ne doit se mener que lorsqu’elle est indispensable, c’est-à-dire généralement que lorsqu’on doit tuer pour ne pas être tué. Mais pour les protestants français ou les orthodoxes, cet acte qui consiste à faire la guerre reste de l’ordre du mal.
Sur la notion de guerre juste, Catholicisme et Islam offrent deux discours très élaborés dans le temps mais retenons l’essentiel en quelques mots :

Catholique

Au XIIIe siècle, saint Thomas d’Aquin a défini sur la base des réflexions des Pères de l’Eglise (dont saint Augustin du Ve siècle déjà), les trois conditions pour qu’une guerre puisse être déclarée juste : autorité légitime du prince, cause juste, intention droite. Il faut que les trois conditions soient réunies en même temps. Il a ainsi favorisé une volonté politique, provenant de la réflexion religieuse, de limiter au maximum les causes de guerre.
Sur cette base, de nombreux discours se sont forgés et il y a eu des ajouts et compléments comme des développements jusqu’au XIXe siècle.

Islam :

Le devoir de Jihâd existe contre les polythéistes, les mécréants et les faiseurs de dieux. Le Jihâd est aussi bien une lutte intérieure du croyant qu’une lutte contre un occupant qui ne respecterait pas la religion. Si, pour la première, cela est un devoir permanent du croyant, pour la dernière, seule une autorité religieuse[18] peut décréter celle-ci.
La guerre reste juste en cas de défense, de protection, de justice et d’ordre. Il y a une référence au droit qui est explicite.
Il est important de garder cela à l’esprit car un de ces cas de figure suffit pour justifier la guerre.

Eglises issues de la Réforme :

Il n’y a pas de guerre juste car la guerre reste de l’ordre du mal à travers les propos de J. Ellul. Mais les protestants eux-mêmes sont très partagés sur la question : avec Luther, notamment, nous percevrons les nuances de leurs composantes.

Orthodoxe :

Il n’existe pas de guerre juste, mais il est permis de récupérer les biens acquis par la violence et une démonstration de force est acceptable pour mener une paix durable.


Judaïsme

Les Juifs ne parlent pas de guerre juste.
Pour eux, trois cas de guerre sont admissibles :
·       Guerre ordonnée contre les sept nations occupant la terre d’Israël (Josué)
·       Se sauver d’un oppresseur qui l’attaque
·       Guerre facultative contre d’autres peuples
o   pour élargir ses frontières ou
o   accroître sa puissance avec l’autorisation d’un tribunal de soixante et onze sages :
ce qui permet la guerre offensive !

Ces discours sur la guerre sont peu connus et méritent notre attention car, en ce bref aperçu, vous percevez les diverses nuances essentielles qui distinguent l’une ou l’autre religion. Ainsi, il est permis de mieux comprendre les bases religieuses qui conditionnent l’acceptation ou le refus de la guerre. Il est aussi possible d’établir une prospective tenant mieux en compte le poids de la religion dans la volonté ou la nécessité de guerre.

Il convient d’analyser surtout les prises de position sur la « guerre offensive » qui pour certains peut être une « guerre préventive » : vous apprécierez la nuance importante que distinguent ces deux qualificatifs.

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A propos de la guerre offensive

Les Orthodoxes et les protestants expriment, sans autre nuance, leur refus total de toute guerre offensive. Cependant les « Evangélistes » américains, que certains appellent les Puritains, ont développé une justification par glissement de sens : une « guerre préventive » faite dans une perspective « défensive » peut ainsi devenir offensive…

Catholiques

Il y a deux grands étapes : les Croisades et après. Du temps de Bernard de Clairvaux, la guerre contre l’Islam consistait à défendre des Lieux Saints comme ceux qui effectuaient le pèlerinage (car ils étaient rançonnés ou vendus comme esclaves). C’est un regard de l’histoire qui a classé les Croisades parmi les guerres offensives : or, c’est faux jusqu’à la deuxième Croisade et c’est juste lorsque les intérêts politiques (affirmation de puissance et intérêts économiques) ont pris le dessus pour les dernières Croisades. Initialement, la Croisade répondait à des motivations religieuses et, finalement, le détournement mercantile, dû aux marchands de Venise et aux ambitions des seigneurs de guerre, a pris le dessus.
De façon générale, les catholiques refusent la guerre offensive comme ce fut le cas pour la deuxième guerre du Golfe. Dialogue, arbitrage, négociation sont les moyens de régler les crises avant qu’elles ne se transforment en conflits et ensuite en guerres.

Islam :

Le Jihâd peut être mené contre les populations non musulmanes qui avoisinent la terre d’Islam. Le principe du Jihâd est défensif mais des situations peuvent le rendre offensif, comme nous le verrons par après.

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A propos des guerres de conversion :

Un principe reste commun dans toutes les religions : en matière de religion, il ne doit pas et ne peut pas y avoir de contrainte. La liberté de conscience était reconnue dans les faits bien avant qu’elle soit proclamée ! Cependant, cette liberté dans l’esprit n’a pas toujours été pratiquée : pour chaque religion, je pourrais vous trouver des contre-exemples mais cela ne peut pas éliminer le principe. Les Papes ont pris des mesures pour protéger les Juifs qui étaient nombreux dans les cités papales. Cependant, les religions sont vécues par des hommes qui ne sont point parfaits. Le travail de conversion se fait par la parole et les actes mais jamais par la force : il y a, là inné au cœur de nos religions, un respect de la liberté de conscience et d’autres motifs de nature humaine (politique, finances, etc.) l’ont fait oublier.

2.     Guerre conventionnelle

Trois points sont communs à toutes les religions qui nous intéressent :
·       la reconnaissance de la fonction de soldat
·       la nécessité de la déclaration de guerre
·       des règles à respecter dans la conduite de la guerre.

Cependant, il y a des nuances qu’il faut distinguer :

Judaïsme :
Les missions des soldats et des armées sont de tenir en respect leurs agresseurs et de faire la guerre droitement.

Catholicisme :
La fonction de soldat n’est pas condamnée. Faire la guerre droitement est une exigence.

Orthodoxie :
Il y a approbation de la condition de soldat qui défend les autres car c’est le devoir de tout citoyen d’un Etat, en obéissance à son prince qui reste César. Toutefois, une pénitence sera imposée à ceux qui ont pris les armes et on prie pour eux.

Luthériens :
Nul chrétien ne doit porter le glaive et en faire usage pour lui-même ; par contre, il peut et doit le porter pour réprimer la méchanceté et protéger la piété. Pour les Luthériens, le ciel n’est pas promis au soldat.

Islam
L’islam promet le ciel à ses combattants et à ses martyrs. Toutefois, le soldat doit avoir pris les armes en ayant une pureté d’intention, une loyauté dans les actes et une conduite élégante : dans ces conditions, il sera accueilli, après sa mort, dans le jardin d’Eden.



Déclaration de guerre

Deux principes se détachent clairement :
·       Déclarer la guerre est nécessaire pour éviter toute perfidie ;
·       Exiger d’épuiser tous les moyens pacifiques de règlement des conflits avant de recourir à la guerre.

Chaque religion a déterminé des règles de conduite de la guerre et, pour toutes, elles concernent :
·       l’interdiction de toucher aux civils, aux non-combattants (cela doit limiter les armements à utiliser : pensez aux bombardements massifs, aux mines, aux pièges, au gaz, aux armes biologiques…)
·       l’Islam allonge la liste des intouchables : gens de paix, savants, moines.
·       l’objectif moral doit justifier la guerre (notion de crime de guerre et crime contre l’humanité, selon le judaïsme, selon le christianisme)
·       la réponse armée doit être proportionnée à l’attaque (à moins que les moyens soient iniques et méprisables)

Principes plus particuliers :
·       Assurer un traitement humain à l’ennemi chez les chrétiens
·       Interdiction d’affamer une ville ou de l’encercler complètement (pour le judaïsme[19])
·       Pour les hommes d’armes, ni abuser des personnes (viol), ni piller (butin de guerre), ni calomnier (cultiver la haine) pour les orthodoxes sont des règles de conduite.
·       Interdiction d’employer le feu, le poison, le gaz (Saddam Hussein était un laïc) ou les flèches ou de s’acharner sur les cadavres pour l’Islam qui autorise cependant les blocus économiques et militaires

3. Dissuasion nucléaire

La destruction massive est un acte absolument condamné par l’ensemble des religions du Livre mais il y a eu les Etats-Unis avec Nagasaki et Hiroshima.
L’argument principalement invoqué contre les bombardements massifs :
·       la confusion inadmissible entre les populations combattantes et les populations civiles sous le feu des bombes.

Islam : A sa lecture de l’Ancien testament et du Nouveau testament, la destruction massive relève exclusivement de la volonté divine (ex. : Déluge, envoi des anges exterminateurs, pensez au cas de l’Egypte où c’est Dieu qui intervient et non pas l’homme…). L’homme ne peut pas avoir accès à ce privilège divin.

Les religions offrent des garde-fous et, en supprimant les religions ou leurs forces d’influence, on supprime en même temps ces garde-fous : les idéologies, soi-disant « débarrassées » des religions, ont conduit aux plus grands massacres de l’histoire...
Ainsi, en un temps où il est de bon ton de crier contre les religions, accusées d’être causes de tous les maux, il me paraîtrait plus sage de réunir les religieux, les croyants sincères pour découvrir ce en quoi l’horreur doit et peut être empêchée : c’est un langage propre à chaque civilisation, chaque civilisation a sa religion. Vouloir comme cela se fait maintenant imposer une doctrine mondiale de la guerre et du droit en ignorant les mentalités religieuses équivaut à imposer un langage inconnu : c’est du chinois pour les arabes et de l’arabe pour les latins !

4. Dissuasion :

Islam :
Dissuader est une obligation, répond à un ordre divin. Ne pas s’exposer aux menaces ennemies et viser à assurer la paix sont la dissuasion.
La dissuasion nucléaire et la dissuasion chimique demeurent possibles à la condition essentielle qu’il n’y ait pas usage de ces armes ! L’inconnue demeure si le détenteur de ces armes suivra la voix de la religion ou la voix de ses intérêts immédiats en cas de conflit…

Eglises réformées :
La dissuasion est moralement inacceptable. Elle équivaut à un chantage par la force.

Judaïsme, catholicisme, et orthodoxie :
La dissuasion reste une contre-menace. Une position médiane : menace de la terreur contre menace d’une autre terreur. Entre deux maux : la capitulation ou la contre-menace, choisir le moindre c’est-à-dire la contre-menace mais sans prétendre que cela soit un bien.
L’expérience a démontré dans le temps que l’ « équilibre de la terreur » a été une source de sagesse…

Ceci étant dit, chacun reconnaît la nécessité de trouver des solutions aux différends avec des moyens dignes de l’homme. Tout doit être établi pour déterminer un délai de paix pour favoriser un désarmement progressif et pour créer une limitation des armements.
Cependant, il convient de ne pas oublier que les armements ne sont pas les responsables des guerres, ils ne sont que des moyens entre les mains de ceux qui décident de s’en servir. L’actualité le démontre. Des machettes deviennent des armes puissantes et même de destruction massive. La religion rappelle que c’est l’homme, le cœur de l’homme qu’il faut d’abord changer, l’armement est une autre affaire !

5. Terrorisme

« Mode d’action violente et clandestine utilisant la terreur au service d’un projet politique. [20]» C’est une définition qui écarte la terreur d’un Etat car sa violence n’est pas clandestine mais revendiquée et elle est le plus souvent au service d’un projet économique, au nom de la politique.
La Terreur en Vendée sous la Révolution, l’action coloniale de l’Angleterre en Indes ou en Afrique du Sud, les Etats-Unis contre les Indiens d’Amérique sont autant de formes de terreur d’Etat qui pourraient illustrer ce propos, chacune avec les nuances qui leur sont propres. N’oublions pas ces cas que les média officiels commémorent peu car nous vivons un temps où règne le racisme des victimes : celles qui ont droit à la mémoire et toutes les autres qui sont murées dans le silence.

Mais cette question du terrorisme doit être entendue sans négliger une mise en perspective complémentaire, immédiate et indispensable : le droit à la rébellion (antérieurement appelé le tyrannicide) et à la résistance. La ou les cause(s) de terrorisme doit ou doivent être dissociée(s) des moyens employés que l’on qualifie d’actions terroristes. Il est des causes justes défendues avec des moyens injustes.

Condamnation du terrorisme par toutes les religions
Le non respect de la vie humaine et des non-combattants plus particulièrement est l’argument général et commun à toutes les religions contre le terrorisme. A cela s’ajoute des particularités dans le discours :

Judaïsme :
Ce procédé fait perdre à l’homme son éthique élevée, sa recherche permanente de la justice.
Catholicisme et islam :
Le terrorisme est une subversion et une déstabilisation du corps social. C’est en plus une manœuvre contre la paix. Ils ont le souvenir des révolutions qui ont ponctué leurs passés.
Religions réformées :
Le terrorisme augmente la peur, la haine, la soif de vengeance, sans résoudre les problèmes de fonds
Orthodoxie :
Le terrorisme est la manifestation du Mal et reste un emploi immoral de la violence. Que cette violence soit collective ou individuelle (elle a l’expérience des anarchistes en Russie), ne change rien à ce qui précède.

Luttes contre le terrorisme :
Orthodoxe et églises réformées affirment que d’exercer des pressions contre le terrorisme est la fonction des responsables légitimes des pays qui le subissent

Dans ce cas, les Réformés préconisent un principe de réciprocité : l’Etat doit adopter une réponse proportionnée à l’agression et sans connaître l’excès.

6. Les guerres inavouées

Il convient tout d’abord de définir ce qu’on entend par guerres inavouées. Les guerres inavouées sont les agressions que subissent les religions de la part du temporel, de l’autorité politique.

Différentes formes d’intolérance due aux idéologies ont régné. Quelques cas pratiques :

Catholicisme, orthodoxe, islam ont eu à subir :
·       le matérialisme athée (des religieux ont ainsi été tout à fait « légalement » condamnés à mort ou placés dans des camps où ils ont vécu misérablement)
·       le collectivisme marxiste (l’URSS a accumulé les horreurs[21])
Judaïsme, catholicisme, orthodoxie et Islam ont été victimes :
·       du nationalisme excessif (la naissance des Etats ou des formes d’Etats a été une cause de bien des morts)
Judaïsme, catholicisme, protestantisme, islam ont connu et connaissent :
·       le racisme (il n’y a pas une religion qui subirait seule ce fléau). Il n’existe pas un seul racisme mais plusieurs racismes : l’un n’est pas moindre que l’autre dans son expression et je tiens à le souligner. Il existe même un racisme des victimes : celles qui ont droit à la mémoire et d’autres à l’oubli !
Orthodoxie et islam ont connu des emprisonnés en raison du :
·       du laïcisme, à distinguer de la laïcité.   

Les guerres inavouables entre les 5 religions du Livre :

Chacune a eu ses intégrismes et ses exclusivismes. L’Islam, par exemple, énonce l’ismaïlisme et le batinisme[22].

Toutes ont subi une fois ou l’autre au cours de leur développement :
·       soit un génocide, soit une extermination massive.

La religion a pour but l’unification du genre humain dans la foi mais chacune affirme la liberté de la conversion. Chacune insiste sur la nécessité de la prière par rapport aux excès commis.

L’Orthodoxie a dû vivre avec le communisme :
« Par le martyre, par le silence, la prière pour les bourreaux, la survie au quotidien, l’exil intérieur, l’orthodoxie a démontré sa non-violence spirituelle face à la violence, car l’enjeu n’est pas le royaume terrestre mais la confession du royaume céleste. »

7. Implications économiques de la défense :

Chaque pays devrait vivre dans l’autosuffisance en matière d’armement : voilà pour le principe. La vente d’armes uniquement pour générer des profits reste illicite. Toutes soulignent que la vente d’armes peut être une façon d’assister son prochain en danger. Toutes affirment que les nécessités des dépenses de défense ne doivent pas déséquilibrer l’économie interne des Etats, surtout un Etat non menacé et en temps de paix.

Le Judaïsme souligne qu’il est un impératif moral de donner à la victime innocente des possibilités de se défendre

Le Protestantisme adopte une approche très réaliste en affirmant que l’économique en matière de production d’armement doit être subordonné au politique pour éviter les escalades dommageables pour le monde.

Conclusion :

Nombreux sont les points communs quant à la vision de la guerre et aux moyens qu’elle peut engager. Des nuances distinguent les religions et permettent de mieux comprendre l’esprit des pays en guerre.

***

II. Particularités

Judaïsme

Tout pays a le devoir de se défendre contre les agressions militaires dont il serait la victime. La paix est le bien suprême et justifie la guerre. Le racisme est une grande menace pour toutes les nations. La déclaration universelle des droits de l’homme rencontre des difficultés considérables dans l’application mais elle reste un instrument utile pour la paix entre les nations.

La Bible prédit les temps messianiques : les réveils religieux en témoignent. Les progrès scientifiques ne correspondent pas au progrès de l’esprit religieux et de la conscience morale.

Des valeurs morales impératives se mettent en action dans l’univers. La Bible juive les fait connaître et elles sont reprises par les religions issues du judaïsme. La Bible n’est pas l’unique référence pour les Juifs : les commentaires des rabbins ont beaucoup de poids dans l’interprétation qui est donnée des Ecritures. Prenons un exemple :
« Le loup habitera avec la brebis. »
Interprétation : il y aura toujours des nations fortes et des nations faibles mais les nations fortes ne profiteront pas de leur puissance pour imposer leur volonté aux nations faibles.

La religion juive ne peut admettre qu’une guerre défensive. Le Décalogue stipule les devoirs de l’homme et non ses droits. Selon la Bible, le sens de l’histoire est de conduire l’humanité à l’époque messianique. Au sein des Etats, les guerres peuvent être évitée si tout homme privilégie une recherche d’harmonie, une volonté de justice, des mesures stables contre les iniquités sociales, la sous-alimentation, la misère, les taudis. Les écueils sont les égoïsmes, l’indifférence à l’égard du sort de l’autre.

Le Rabin Kaplan situe la crise spirituelle de notre temps en des termes qui donnent à réfléchir : « Mais, même si [l’homme] arrive à reculer ses limites biologiques, physiques, intellectuelles et psychologiques, elles n’en existent pas moins, il ne peut les supprimer. Ce que la littérature contemporaine a décrit comme étant la condition humaine est exactement la condition de l’homme sans Dieu, la condition de l’homme après la mort de Dieu : un être dont l’existence est absurde, plongé dans un monde absurde, sans avenir, sans espoir. Il y aurait là une grave menace sur le monde si nous n’avions en regard des raisons de ne pas désespérer de l’avenir. »[23]


Commentaires talmudiques en faveur de la paix :

« Les Sages augmentent la paix en ce monde. »
« Quiconque verse le sang, l’Ecriture lui impute comme s’il avait diminué l’image divine. »

Conception juive de la guerre :

« L’entrée même de notre peuple en Terre promise nous a plongés dans une bataille continuelle. ». « Les périodes de paix sont à être consignées tant elles sont exceptionnelles. »[24] Le Rabbin Charles Bismuth rappelle que : « Le peuple juif depuis ses origines a été proche de sa terre. ». Le passage du nomadisme au sédentarisme résume toute l’histoire du peuple d’Israël. « Une part importante des prescriptions de la Thora sont liées à la terre. ». C’est pourquoi il conclut : « Il est difficile de penser que ces idées, profondément ancrées dans la conscience juive, puissent amener un jour ce peuple à devenir conquérant, agressif ou guerrier. ». Chacun discerne actuellement en son âme et conscience la politique d’Israël mais il est possible de dire que c’est un choix politique qui dicte sa conduite et non un choix religieux (mis à part celui des lecteurs à la lettre et non à l’esprit de L’Ancien testament…).

« Nous associons D.[25] Lui-même en Le nommant « Maître des batailles » (Ex. 15,3). Tout cela tend à montrer qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre la guerre et le judaïsme. » (Ex. 14,14). La guerre n’est jamais un but en soi, mais une nécessité temporelle, son objectif étant la paix définitive.

Guerre préventive :
Talmud Babli Sanhédrin 72a la justifie de la façon suivante : « S’il veut te tuer, prends les devants pour le tuer. »

Conditions de la guerre :
·       Objectif moral
·       Décision judiciaire pour déclarer la guerre
·       Assentiment du Grand Prêtre
·       Traitement humain de l’ennemi exige des mesures
·       Guerre juste contre les 7 nations occupant la terre d’Israël
·       Possibilité du roi à mener des guerres facultatives afin d’élargir les frontières d’Israël ou d’accroître sa puissance.

Principes :
La guerre ne doit pas avilir ses guerriers à l’heure de la violence. Ne pas se réjouir de la défaite des ennemis est une règle. L’homicide reste un crime contre l’image divine mais la légitime défense est acceptée.

« Aimer son ennemi » est un principe évoqué par les différentes religions comme nous nous le verrons par la suite. Selon le Talmud, Sanhédrin selon Lv 19 : c’est choisir au condamné une mort douce c’est-à-dire celle qui le fera moins souffrir et l’humiliera le moins. Et plus récemment, ce principe devient : « L’amour qui nous est commandé pour notre ennemi doit l’amener à vaincre son mauvais penchant, à l’inspirer au bien. »

Terrorisme
La tradition de se battre est un thème récurrent dans l’Ancien Testament.

La Rabbin Kaplan déclare qu’ « …il n’est pas question, sous le bon (ou le mauvais) prétexte de « faire la guerre », d’avoir recours à des procédés faisant perdre à l’homme et surtout au peuple juif son éthique élevée et sa recherche permanente de la justice. »

« …il est aisé de comprendre la véritable aversion que le peuple juif peut avoir pour le terrorisme, lui qui l’a si souvent subi, et même a appris à vivre au quotidien avec cette menace permanente. »

« Mais de tout temps, la Thora fait un devoir au peuple juif de ne pas user de tels méthodes et s’il est vrai que certains groupes extrémistes se sont manifestés dans le passé et jusqu’à nos jours, ils ne représentent en fait qu’une infime minorité du peuple, désavouée par le reste et par les principes mêmes de la loi juive qu’ils ne respectent d’ailleurs pas. »[26]. Cependant, l’histoire rappelle ce que la création de l’état d’Israël doit au terrorisme : Bégin a mené des actions terroristes et les attentats contre les Anglais et les membres du CICR, le Liban et la Palestine.

Commerce des armes

Le récit de Lamech

Avec Tsilah, sa deuxième épouse, Lamech enfanta Tubal Caïn qui forgea toute sorte des instruments de cuivre et de fer[27]. Tubal Caïn, l’étymologie est explicite : « améliore le travail de Caïn ». Or Lamech tue accidentellement son grand-père Caïn et son propre fils Tubal Caïn, victime ainsi des armes qu’il a lui-même forgées ! L’arme s’est retournée contre lui. Il n’a pas mesuré, au départ les conséquences de ses inventions. Voilà un récit court mais riche de sens.
Le grand rabbin de Lyon Richard Wertenschlag affirme que « L’histoire biblique nous aura déjà appris que le commanditaire est responsable au même titre que l’exécuteur des basses besognes. ». Il se réfère à Saül et la tuerie contre les prêtres de Nob ou encore à David organisant la mort d’Ouri le Hittite pour prendre possession de sa femme.

Selon Maimonide[28]  : « Nul n’est censé ignorer la Loi et les conséquences fatales de cette infraction. » (Hil’hot Melahim 10-1). Ainsi même celui qui a tué, en ignorant l’interdit, est coupable ! Cela vaut pour les trois fautes capitales :
·       Meurtre
·       Idolâtrie : rendre culte à des idoles comme les fabriquer.
·       Unions illicites
Il vaut mieux se faire tuer que d’enfreindre ces interdits.

Un commerce immoral :
Il vaut mieux s’attaquer aux causes du mal plutôt que de se contenter de réprimer les effets. Il ne faut pas renoncer à ce marché lucratif qu’est le commerce des armes car il risquerait de tomber entre d’autres mains.
Obtenir des gains en lésant autrui, en étant la cause indirecte de l’assassinat ou de blessures de centaines d’innocents, reste une activité coupable. 

Principes moraux :
 « Mieux vaut peu avec la crainte de D. [29] qu’un grand trésor avec le trouble. Mieux vaut de l’herbe pour nourriture, là où règne l’amour, qu’un bœuf engraissé si la haine est là. »[30]
« Malheur à celui qui bâtit une ville avec le sang, qui fonde une cité avec l’iniquité. »[31]

Mais le commerce des armes est possible lorsqu’il s’agit d’une entreprise d’assistance à populations en danger.

***

Eglise catholique

Elle aborde la notion de guerre juste en partant d’abord de la paix. Elle pose deux questions dans l’ordre suivant : Quel paix ? Quelle guerre ? 

Le Christ qui accepte la mort sur la Croix pour sauver les croyants représente le défi même de la non violence. La Passion du Christ est la renonciation à la force violente pour exercer la force de l’esprit. Il a accepté de mourir pour témoigner de la Résurrection car, ce que ses proches eux-mêmes n’ont pas compris immédiatement - emprisonnés qu’ils étaient dans des schémas de pensée propres à l’Ancienne alliance -, est qu’Il refusait tout messianisme politico-religieux : ceci est capital pour comprendre que sa mission ne pouvait pas s’accomplir en recourant à la violence.

En s’inspirant essentiellement des textes d’Isaïe (9, 6), l’Eglise ne peut se fonder que sur le droit et la justice, découlant d’une volonté divine et non d’une volonté humaine. Or, le fait de privilégier la justice a des implications :
·       refuser toute capitulation devant l’injustice ;
·       refuser toute compromission avec l’injustice ;
·       impossibilité de vivre un pacifisme qui serait synonyme de lâcheté ou qui serait la recherche d’une douce quiétude pour préserver sa tranquillité.

Construire la paix est une entreprise divine. Rechercher la paix, c’est cultiver le don de Dieu. Ainsi l’homme n’a pas à rester passif dans une attente de la paix que Dieu ferait tomber du ciel. Il y a là une demande d’adhésion à chacun des fidèles pour devenir un artisan de paix : cela demande à être actif. Agir devient une réponse à une interpellation divine. C’est pourquoi avant de se prononcer sur la notion de guerre juste, l’Eglise a constamment développé une théologie de la paix, fondée sur la charité. La paix est le fruit de l’Amour de Dieu. Une humanité pacifiée, une société fraternelle sont les deux objectifs que tout croyant doit garder à l’esprit.

La paix et la guerre sont traitées dans les sources bibliques, la tradition théologique, le Concile Vatican II et l’éthique[32] de notre temps. Il n’est pas possible de retracer de façon complète ce vaste programme en ces quatre points mais retenons quelques jalons.

Sources bibliques :
La Bible est la Parole adressée par Dieu à l’humanité. L’épître aux Ephésiens est un évangile de la paix (6.15) avec un vocabulaire guerrier. Avec Isaïe, il est retenu que la paix doit se fonder sur le droit et la justice (Is 9,6). Ce message de paix s’est élaboré dans la longue durée car « La révélation judéo-chrétienne a été une longue marche en avant où tout n’était pas donné au départ et il faut savoir distinguer entre la volonté divine elle-même et la conscience qu’un peuple pouvait en avoir à un moment donné de son histoire. » [33]

Le « Tu ne tueras point. »[34] se traduit par le : « Tu ne commettras pas de meurtre. »
Cependant, l’Ancien testament ne remet pas en cause le principe de la légitime défense. Il y a un appel au renoncement à la violence dans toute la mesure du possible, à l’effort patient pour établir des relations pacifiques entre les individus et les groupes sociaux.

Nouveau testament : Paix du Christ.
Le commandement évangélique de non-violence est vécu par le Christ[35] qui refuse de se défendre au moment de son arrestation. Il ne résiste pas à celui qui Lui veut du mal. Il aime son ennemi et pardonne car « ils ne savent pas ce qu’ils font. »[36]. Une des dernières paroles du Christ, cité par l’évangéliste Jean[37] : « Je vous laisse la paix, je vous donne la paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. » est une déclaration de la valeur inestimable que Jésus donne à la paix. Mais cette paix est au-dessus de la paix humaine, elle est essentielle. Accepter de subir la mort, même indigne, pour les autres, pour sauver les autres est une façon d’agir pour la paix. Il refuse tout messianisme politico-religieux, ce que les contemporains du Christ, ses proches comme ses ennemis, peinent à comprendre :
·       C’est un choix de son ministère public : Jésus s’adresse à la conscience humaine.
·       Il est le Témoin de la Vérité et de l’Amour : c’est d’ailleurs pour cela qu’il doit mourir à la demande d’une autorité religieuse, suivie par l’autorité politique et sous les conspuassions de la foule, sous le mépris des soldats.

La théologie de la paix pour les chrétiens devient une théologie de la charité car celle-ci est le fruit de l’amour de Dieu, alors que la guerre est le fruit de Satan qui existe par l’homicide, le mensonge, la division. Dans le Christ, il y a un appel qui s’adresse à tout homme de bonne volonté à se réconcilier au pied de la Croix. En Jésus, l’humanité pacifiée et la société fraternelle ont commencé à se réaliser.

Trois aspects découlent de ce qui précède :
·       La charité qui demande l’amour des ennemis : non pour la raison ou le motif qu’ils soient ennemis mais parce qu’il y a possibilité d’une conversion. Un ennemi peut renoncer à son aveuglement. L’apôtre Paul[38] en est le meilleur exemple. Tout homme est une création divine. Il jouit de la liberté. C’est l’usage qu’il fait de sa liberté qui en fait un élu ou un déchu. Un ennemi de la paix est aveuglé par ses intérêts, ses idéologies, ses ambitions : il y a possibilité de conversion. Du mal, Dieu peut en tirer un bien !
·       L’éthique évangélique dit la charité envers nos ennemis, mais celle-ci sera différente de celle accordée à nos amis ! Pour ces derniers, elle ne saurait être moindre ! Dans un monde de violence et de péché, l’amour effectif du prochain demande de recourir à la violence pour défendre le prochain contre un injuste agresseur.
·       Certains textes du Nouveau testament interdisent une interprétation rigide de la non-violence évangélique.

Saint Jean-Baptiste à des soldats qui lui demandaient ce qu’ils devaient accomplir pour réaliser la conversion intérieure qu’il prêchait : « Ne faites ni violence ni tort à personne et contentez-vous de votre solde. »[39] Ainsi, il conçoit un usage légitime de la force. Il n’a pas demandé à ce qu’ils renoncent à leur profession. Le récit du centurion qui demande à Jésus la guérison du serviteur malade[40] est un autre exemple. Jésus admire l’expression de la foi du centurion qui était officier de l’armée romaine occupant la Palestine ! Sa profession n’est pas réprouvée. De même avec le centurion de Césarée[41], il se convertit mais il ne lui est pas demandé de renoncer au métier des armes.

Conception de la politique
La mission première du pouvoir politique est l’exercice de la justice[42] : seule la justice garantit la paix. A propos de l’autorité[43], il est dit : « Ce n’est pas en vain qu’elle porte le glaive ; en punissant, elle est au service de Dieu pour manifester sa colère envers le malfaiteur. »[44] Le pouvoir politique fait respecter la justice au moyen de lois, d’applications des lois et de secours aux victimes contre les perturbateurs intérieurs de l’Etat et contre les ennemis extérieurs. Il s’agit que les lois ou les juges soient les reflets de la justice et il y a ce champ délicat entre dire le droit et faire œuvre de justice. Mais cela est un autre aspect de la question… L’exercice de la force est nécessaire dans des cas bien précis. La non-violence doit être recherchée comme en témoigne un saint François d’Assise.

Théorie de la guerre juste
Basée sur la tradition évangélique, une théorie de la guerre juste s’élabore. Cette théorie subit des évolutions qui traduisent toute la complexité du dialogue entre exigences évangéliques et pratiques politiques.

Pour comprendre cela, un retour sur les origines du christianisme s’impose. Jusqu’à Constantin, le problème de la guerre n’est pas primordial pour l’Eglise naissante. Persécutions, luttes contre les hérésies, invasions barbares, brigandages et guerres civiles ainsi que luttes pour le pouvoir se succèdent.

Le premier différend intervient lorsque les soldats recrutés prêtent serment à l’empereur. Le deuxième survient lorsque la victoire étant acquise, des sacrifices aux dieux de l’Etat sont imposés. Dans ce contexte : un chrétien avait-il le droit de s’engager ? Un soldat converti pouvait-il rester ? La réponse est donnée par l’histoire : le martyr privilégié par des soldats refusant les honneurs aux dieux. 

Au IVe siècle, la masse des populations chrétiennes s’accroît. Le problème de la défense militaire se pose avec acuité. Devant la poussée barbare, une nécessité de se défendre s'ordonne et le danger d’imposer des pratiques païennes à des hommes d’armes avait disparu.
Le service aux armées devient un service concret de leurs frères humains. A partir de ce moment, les Pères de l’Eglise n’hésitent pas à faire l’éloge de la fonction sociale du soldat. La punition des déserteurs est demandée par les évêques eux-mêmes.

Toutefois, l’idéal évangélique de la non-violence ne disparaît pas et se retrouve dans le puissant mouvement monastique. Le moine ne fuit pas le monde mais il porte dans son vécu un témoignage de la radicalité des exigences évangéliques : pauvreté, chasteté, prière, non-violence. Cette non violence lui sera possible dans la mesure où l’autorité politique préserve son espace de paix soit en protégeant le monastère, soit en refusant de s’approprier les biens du monastère par la force[45]. Leur renoncement témoignait leur combat de la foi pour honorer les exigences évangéliques. C’est pourquoi les religieux ne devaient pas être astreints au service militaire. Le Père René Coste conclut que : « Le témoignage de non violence de la tradition monastique de l’Eglise ne met pas en cause la nécessité de la légitime défense dans un monde de violence, il est un appel vivant à l’ensemble des chrétiens à faire tout ce qui dépend d’eux pour créer un monde pacifié. »[46]

Saint Augustin[47]
Avec la Cité de Dieu[48], une réflexion intense sur le problème de la guerre et de la paix se développe.
Au début du Ve siècle, Alaric avait saccagé Rome. Les milieux conservateurs, alors païens, accusaient le christianisme d’être responsable de ces malheurs.
Saint Augustin dénonce les guerres entreprises par cupidité ou par soif de domination : langage de son temps que vous pouvez traduire en nos termes contemporains par guerres pour des raisons économiques ou pour une volonté hégémonique d’une puissance. Chacun perçoit toute l’actualité de son propos !

Par contre, la participation à la défense peut s’imposer dans certaines circonstances : « Notre devoir, c’est de vouloir la paix et de ne faire la guerre que par nécessité, afin que Dieu nous délivre de cette nécessité et nous conserve dans la paix. ». Il met en évidence des cas où la violence injuste ne peut être arrêtée que par la contre violence. Le devoir de charité envers celui qui est injustement attaqué impose de le défendre. Se retrancher derrière la non-violence ne serait-ce pas le droit de se faire accuser de pharisaïsme ? Le devoir d’empêcher l’injustice est un devoir chrétien. Le devoir de prendre parti en faveur des victimes de la violence injuste est véritablement la naissance du devoir d’ingérence (cette notion n’est pas si nouvelle).
« C’est l’injustice de l’adversaire qui contraint le sage à des guerres justes. »
A l’exemple de Jésus, il est possible de renoncer à se défendre soi-même mais pouvons-nous laisser notre prochain sans défense efficace quand il dépend de notre aide fraternelle, de notre devoir de charité qui peut aller jusqu’à devoir sacrifier sa vie pour autrui ? L’Evangile apporte une réponse : c’est le devoir de charité qui est absolu et non celui de la non-violence ! L’argument central de saint Augustin est la charité, pas la justice. Ce qui n’est pas sans conséquence…

Cette lumière de saint Augustin éclaire toute la notion de la « guerre juste » qui est mieux exprimée dans l’expression « résistance collective contre l’agression ». Ainsi, il y une volonté d’action responsable, dynamique par exigence de charité dans un monde de violences et de guerres.



Saint Thomas d’Aquin[49]
Dans la « Somme théologique » lorsque Thomas d’Aquin traite de la charité, il examine le problème de la guerre. Sa source est le Nouveau testament et saint Augustin est la référence patristique.

La question première est : « Est-ce toujours un péché de faire la guerre ? » Par rapport à la guerre, il y a donc présomption de péché. Face à un cas - tout cas étant particulier-, il s’agit d’analyser s’il y a droit de participer à la guerre en conscience. Ainsi, avant d’accepter la guerre, se convaincre que la guerre à faire n’est pas un péché est la première question. Pour saint Thomas, se résoudre à la guerre n’est possible que si la charité, dans sa composante de justice, nous l’impose.

L’avantage de saint Thomas est d’employer un langage clair sans l’obscurcir par de vaines considérations. Ainsi, sa théorie des conditions de la « guerre juste » est résumée en ces propres termes[50] :

« Pour qu’une guerre soit juste, il faut trois conditions :
·       L’autorité du prince, sur l’ordre de qui la guerre doit se faire…
·       Une cause juste : c’est-à-dire qu’il est requis que ceux qui sont attaqués méritent de l’être en raison de quelque faute…
·       Une intention droite chez ceux qui font la guerre ; c’est-à-dire qu’on doit se proposer de promouvoir le bien ou d’éviter le mal. »

De nos jours, il serait établi tout un discours sur le « discernement éthique ». Cependant, prenez les guerres les plus récentes à travers ces trois questions et des évidences s’imposent en toute simplicité et toute clarté.

Vitoria, Suarez : canonistes espagnols du XVIe siècle.
Vitoria et Suarez sont les représentants de la pensée théologique espagnole et sont les inspirateurs bien méconnus du droit international actuel et même des droits de l’homme. La théologie espagnole a promu ce qui est appelé le droit naturel que deux écoles, hollandaise, allemande, reprendront et que les protestants développeront tout particulièrement. Grotius en sera aussi influencé. Ces deux écoles inspireront encore les encyclopédistes et Jean-Jacques Rousseau ainsi que les doctrinaires de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ! Il y a une filiation de pensée très riche et il est regrettable qu’elle soit occultée auprès du grand public. *




François de Vitoria[51]
Il reprend et développe la pensée de Thomas et d’Augustin. Il considère la guerre dans une perspective bien précise : quelle sera la répercussion de la guerre sur le bien commun de l’humanité ? Ainsi, il définit d’abord ce qu’est la guerre injuste :
« Une guerre est injuste pour la seule raison que, malgré son utilité pour telle province, elle causerait un dommage à l’univers et à la chrétienté. »

Dans la conduite des hostilités, la guerre est à être pratiquée sans différence de traitement. Que l’on soit Européens (chrétiens), Musulmans, Indiens d’Amérique, la pratique d’une guerre juste s’applique dans tous les cas et peu importe la religion de l’adversaire.

C’est pourquoi François de Vitoria ose dire que :
·       la différence de religion ne justifie pas la guerre ;
·       l’extension de l’empire n’est pas une cause suffisante pour faire la guerre ;
·       la recherche de la gloire ou de quelques autres avantages personnels (richesses des colonies) du prince n’est pas un motif pour faire la guerre

Au XVe siècle, tout est déjà dit et je suis impressionné par la modernité de ce message. Dans le contexte du temps de Vitoria, cela était courageux mais cela ne signifie pas qu’il ait toujours été entendu. De tout temps, et donc du nôtre aussi, les autorités politiques n’entendent que ce qu’elles veulent bien entendre.

Ainsi, cet homme dont la réflexion est issue de la pensé médiévale, tant décriée par celles et ceux qui la méconnaissent lourdement de nos jours, a été plus loin encore. Il écrit d’une façon très vigoureuse et ses phrases rendent la flamme qui l’animait lorsqu’il formulait sa pensée : « Avant de mener une guerre, il faut que l’on ait épuisé toutes les procédures pacifiques possibles de solution du conflit. Il faut que dans la guerre, il y ait proportion entre la gravité de l’injustice et celle des dommages qui résulteront inévitablement de la lutte. » Ceci est essentiel pour son temps comme pour notre temps.

Bartolomé de Las Casas[52]
Il est surnommé le « Père des Indiens » en raison de sa défense vigoureuse contre l’exploitation et l’oppression dont les Indiens étaient victimes.

Erasme[53]
Hollandais et humaniste, il dénonce la facilité avec laquelle les hommes d’Etat chrétiens de son temps avaient recours à la guerre. Il prend dans son mode vie ses distances avec l’Eglise mais sa pensée doit beaucoup aux Pères de l’Eglise.

De multiples successeurs
Il faudrait parler du théologien Francisco Suarez (1548-1671) et de Père Louis Taparelli d’Azeglio (1793 -1862). Ils ont permis, avec d’autres mais que nous ne pouvons pas tous citer ici jusqu’à Pie XII (Pape de 1939 à 1958), d’établir une doctrine théologique traditionnelle sur le recours aux armes. Celui-ci est possible contre deux types d’agression :
·       Violation massive des droits de l’homme
·       Agression contre l’existence ou l’indépendance d’un Etat

Vatican II

Jean XXIII, dans son encyclique Pacem in Terris (1963) déclare : « […] il devient humainement impossible de penser que la guerre soit, en notre ère atomique, le moyen adéquat pour obtenir justice d’une violation de droits. » (n° 127). Cependant, il ne condamne ni la résistance armée, ni un emploi possible de l’arme nucléaire.
La seule option raisonnable est la paix : n’oublions pas que l’arme nucléaire et ses possibilités sont dans les plans militaires des grandes puissances de son temps. L’arme nucléaire a donné un pouvoir de destruction massive dont les effets dépassent toute vue humaine.
Se fondant sur Isaïe (32.17) qui disait déjà : « La paix est avant tout œuvre de justice.», la promotion des droits de l’homme et l’effort de fraternité deviennent des exigences fondamentales. Le travail pour la paix est une tâche permanente : « La paix n’est jamais acquise une fois pour toute, mais elle est sans cesse à être construite. »

Paix du Christ
Le don de la paix du Christ a des exigences sur les relations humaines : contribuer de toutes ses forces au dialogue, à la compréhension, à l’entraide, à la fraternité et à la paix entre les hommes. Quelle non violence serait acceptable ? La réponse du Concile Vatican II[54] est la suivante : « Poussés par le même esprit, nous ne pouvons pas ne pas louer ceux qui, renonçant à l’action violente pour la sauvegarde des droits, recourent à des moyens de défense qui, par ailleurs, sont à la portée même des plus faibles, pourvu que cela puisse se faire sans nuire aux droits et aux devoirs des autres ou de la communauté. »
Cette prise de position n’a pas manqué de surprendre. Constatons qu’elle est toute en nuance et nous sommes un temps où l’on n’apprécie guère les nuances. Elle affirme que la non-violence doit s’établir jusqu’à la limite de ses possibilités. Il n’y a cependant aucune non-violence absolue car le commandement de la non-violence est subordonné au commandement suprême de la charité.
Actions en faveur du maintien de la croissance et de la paix, amélioration de travail de tous, respect des minorités ethniques, raciales, religieuses, coopération au développement du tiers monde et tout acte de justice et de charité comme tout ce qui rend le monde plus fraternel (plan politique, économique, social, culturel) sont des comportements qui, sans recours à quelque forme de violence que cela soit, sont des réalisations pratiques de la non-violence.

Réalisme du Concile :
« Chaque jour encore la guerre poursuit ses ravages en quelques points du globe. » Face aux crimes individuels de toute sorte, aux dictatures et totalitarismes, aux violations graves des minorités et à l’exploitation économique de l’homme par l’homme, au terrorisme et aux guerres d’agression, réaffirmer la valeur permanente du droit des gens et de ses principes universels est une nécessité. En effet, « Dans une humanité profondément marquée par le péché, où le crime – individuel et collectif – se manifeste massivement, il peut être dans bien des cas, nécessaire d’opposer la contre violence au déferlement de la violence, si l’on veut empêcher – au moins partiellement – que la seule loi soit celle de la jungle. »[55]

En 1983, la Constitution de pastorale « Gaudium et spes » redit : « La guerre, assurément, n’a pas disparu de l’horizon humain. Et aussi longtemps que le risque de guerre subsistera, qu’il n’y aura pas d’autorité internationale compétente et disposant de forces suffisantes, on ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifique, le droit de légitime défense.
Les chefs d’état et ceux qui partagent les responsabilités des affaires publiques ont donc le devoir d’assurer la sauvegarde des peuples dont ils ont la charge, en ne traitant pas à la légère des questions aussi sérieuses. Mais faire la guerre pour la juste défense des peuples est une chose, vouloir imposer son empire à d’autres nations en est une autre.
La puissance des armes ne légitime pas tout usage de cette force à des fins politiques ou militaires. Et ce n’est pas parce que la guerre est malheureusement engagée que tout devient, par le fait même, licite entre parties adverses. »[56]

Ainsi dans notre monde de violence, la guerre est souvent une dure nécessité pour empêcher de plus grands maux.
Par rapport à la guerre totale qui, ne l’oublions pas, est toujours techniquement possible et politiquement envisagée par certains groupes de conseil de Grandes puissances (ou se voulant être considérées comme telles), l’Eglise catholique affirme le principe de l’immunité de la population civile :
« Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou à de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation. »[57]



Jean-Paul II[58]
Deux affirmations prolongent ce qui précède. La première est que : « Les peuples ont le droit et même le devoir de protéger, par des moyens proportionnés, leur existence et leur liberté contre un injuste agresseur. » et la seconde complète sa pensée : « La guerre est le moyen le plus barbare et le plus inefficace de résoudre les conflits. ».
***

Orthodoxes

Avec le récit de la Genèse, l’histoire de l’humanité sur terre commence par un assassinat dû à la jalousie qui se nourrissait dans le cœur d’un homme : Caïn a tué Abel.
« La guerre entre les hommes n’est qu’une manifestation extérieure de ce qui les anime sans cesse de l’intérieur »[59] dit le prof Andronikof, théologien orthodoxe.
Réfléchir sur la vraie nature de la guerre invisible permet de découvrir la clef de la guerre visible. Les puissances des ténèbres se mettent au service de l’ennemi de Dieu et de l’homme.
La tuerie physique est ainsi un épiphénomène de la réalité spirituelle. A la suite de l’Evangéliste Luc[60], les orthodoxes répètent : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, après cela ils ne peuvent rien faire de plus. » Le vrai danger est celui qui fait périr l’âme….

La guerre à rejeter est celle qui traduit une forme d’appétit de puissance. Si l’essence de la guerre consiste à la recherche de biens matériels, à l’assouvissement de désir, à l’embrasement des passions, le « Tuer pour tuer » s’illustrera par la férocité, le massacre et la destruction (cupidité, viol, pillage).
Les mobiles politiques de la guerre peuvent être la conquête et la domination. Il faut se méfier tout particulièrement des guerres de pacification : Pax romana, par exemple, où unification et uniformisation d’un régime aussi bien étatique qu’économique ne sont pas voulues pour le bien des peuples mais pour asseoir une autorité politique sur des vastes territoires. La logique d’une croyance d’Etat est parfois identique à la logique d’une idéologie : elles ont leurs lois.

Il convient de garder en mémoire la nature réflexive de toute guerre car la guerre entraîne une opposition par une agression ou par une défense. Les motifs et les intentions interviennent pour distinguer prévention ou représailles, punition ou revanche. Face à une guerre préventive, le caractère moral doit prédominer. De toute façon, la guerre ne peut avoir qu’une justification humaine et non divine ! Pensées et comportements de ceux qui vont au combat déterminent de quelle nature est la guerre.

Ancien testament
La guerre est un phénomène permanent de l’histoire d’Israël depuis l’entrée en possession de la terre promise. Le Seigneur intervient dans les conflits. L’histoire d’Israël illustre combien l’absence ressentie de Dieu ou la présence divine perçue influencent le comportement des fidèles. Abraham a mené une guerre défensive pour libérer son neveu Loth avec sa famille et ses biens.
La bible enseigne que depuis la chute de l’homme, le prince du mal est l’ennemi de Dieu et de toute créature. Pour les Orthodoxes, la guerre inévitable traduit ce conflit fondamental opposant Satan au Créateur. La liberté de l’homme réside dans ses choix. Le sort heureux du monde serait infiniment plus facile s’il n’était que le jouet de la toute puissance divine !
L’ennemi d’Israël peut devenir un instrument de Dieu : l’Assyrie et lire Isaïe. Dans le Deutéronome[61], Moïse a précisé que des propositions de paix devaient être faites avant de combattre une ville. Mais Moïse a ordonné des massacres. Josué a détruit des villes entières.

A la lecture de l’Ancien testament, le Seigneur soutient le guerrier juste ou celui qui châtie. Malgré le caractère sacré des guerres, celui qui y a pris part est marqué par l’impureté car la loi mosaïque prévoit une purification. Il y a une grande difficulté à vaincre le sacrifice humain[62] offert à Dieu par le vainqueur. Deutéronome et Lévitique insistent pour arrêter ce sacrifice humain : cette insistance démontre que cela a été difficile à corriger, même dans la longue durée.

Nouveau testament
Guerre reste une fatalité. Elle est propre au temps historique qui est le temps de l’épreuve. Le temps de Dieu ne s’achève pas dans l’histoire mais dans le temps de Dieu.

Satan conduit sa lutte terrestre contre le Créateur et la créature : conquérir un royaume terrestre alors que le croyant, créature de Dieu, recherche le royaume de Dieu, infiniment grand où se trouve la vie éternelle. Satan travaille par la chair uniquement alors que Dieu travaille par l’esprit : l’esprit dominera la chair. Dans la guerre à mener, l’esprit de justice doit l’animer. Aimer son ennemi est une nécessité car la force de l’amour permet de se libérer du cycle de la violence. Etablir la paix est un devoir mais que cela ne soit pas une fausse paix.

La première question est de savoir ce qu’est la paix.
Est-ce une notion abstraite ? Un état de fait ? Une absence de conflit ? Une disposition morale, psychologique ou spirituelle ? La tranquillité individuelle ? Coexister paisiblement avec autrui ? Un pacifisme généralisé ou unilatéral ? Un apaisement ou la passivité ?
Pour les orthodoxes, la réponse est dans la révélation divine : « L’écriture parle maintes fois de la paix. C’est bien pour nous enseigner le sens. »[63] Les instructions du Seigneur à Moïse sur le contenu des bénédictions sacerdotales apporte la première réponse : « Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Qu’Il fasse rayonner sur toi son regard, qu’Il t’accorde sa grâce […] qu’Il te donne la paix ! »[64] Commentaires : La bénédiction des hommes consiste donc à appeler celle de Dieu, laquelle est une grâce qui entraîne et signifie des apports précis : la garde, la présence dans la lumière du regard divin, la paix. La paix est donc un don, un charisme qui procède non des hommes mais de Dieu. Etre dans la paix se conçoit donc en restant dans la paix de Dieu. « Les pensées de l’esprit sont vie et paix. Les pensées de la chair sont mort.»[65] La paix est une qualité ou un attribut de Dieu.

Le Psaume 85[66] apporte une autre réponse : « La miséricorde et la vérité se sont rencontrées, la justice et la paix se sont embrassées. » Elle est fondamentale par son contenu. Le judaïsme n’est pas innovant en la matière. D’autres religions le préconisaient : par exemple, sur un hiéroglyphe égyptien, la justice et la vérité forment le socle du trône, du haut duquel le roi les fait régner par la Divinité parmi son peuple. « Roi de justice, roi de paix » est la fonction royale.

Pour obtenir la paix, il faut commencer par la demander à Celui qui non seulement la détient mais qui encore en fait la substance, Dieu. Rechercher la paix qui doit venir d’en haut. Jacques dans son épître[67] écrit : « La sagesse d’en haut est d’abord pure, ensuite faite de paix, modérée, conciliante, pleine de miséricorde et de bons fruits, exempte de duplicité, d’hypocrisie. Le fruit de la justice est semé dans la paix chez ceux qui font la paix ».

Comment faire la paix ? Vivre dans la sainteté est cette condition qui est demandée à tout chrétien. Cette paix doit se conquérir par la force en livrant le bon combat sur cette terre, un combat singulier assisté par l’énergie divine. « Tant que la victoire n’aura pas été remportée de vive lutte par chacun et par tous, ni chacun ni l’humanité ne connaîtront la paix» Cette durée de lutte, c’est la durée de l’histoire de l’homme jusqu’à ce que Satan soit enchaîné pour mille ans. Mais Satan réussira encore à séduire les nations. Et là, il y aura le combat final…comme le dit l’Apocalypse[68] de Jean.

Guerre physique et combat spirituel 
Leur point commun est qu’ils sont comparables par leurs causes mais ils divergent par leurs moyens ou manifestations. La cause externe est le mal, œuvre du diable. La cause interne est la passion. Berdiaev écrit : « La guerre est extraordinairement révélatrice, elle projette à la surface ce qui se passe dans la profondeur. Le meurtre spirituel y apparaît sur le plan physique. »[69]
Dans une guerre physique, les adversaires peuvent avoir l’un pour l’autre du respect, voire de l’admiration. Ils peuvent surmonter leur haine et faire preuve de pitié envers l’ennemi vaincu en soignant les blessés p.e. En marchant délibérément à la mort, ils élèvent leur esprit. Dans le combat spirituel, l’adversaire ne peut pas être aimé. Face à l’ennemi inhumain, incapable d’aimer, il ne peut pas y avoir de concession. C’est ainsi que l’homme doit lutter contre des éléments de lui-même.
Son adversaire peut être sa propre conscience[70] !
La paix des hommes est instable et précaire. La guerre et le combat invisible, spirituel, ont des finalités différentes. Tous deux répondent pourtant au Psaume 33[71] : « Cherche la paix et poursuis-la. »

La condition de l’homme est dans cette nécessité de vaincre contradiction et conflit, compromis et hypocrisie, doute et hostilité. « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez. » C’est à une conversion à la justice et à la vérité à laquelle chacun est invité. Pour y arriver, se faire violence à soi-même pour obtenir la paix intérieure peut s’imposer. La paix des peuples dépend de la paix des cœurs. Pour la paix, il convient d’abord de travailler sur soi-même.

Entre les Etats, les orthodoxes pensent que César tout seul est incapable de vaincre la mal : il ne peut viser que le moindre mal. C’est l’objectif des lois ! La guerre, on peut la prévenir, la retarder, la mettre hors la loi, sans plus.

Pour les personnes comme pour les Etats, une division intérieure est à vaincre par le choix du bien ou du mal. Comment se déterminer ? Selon un seul critère : la Parole de Dieu qui, Elle seule, peut éclairer les mouvements et les pensées du cœur.

Le glaive qu’est la Parole de Dieu est semblable au glaive physique du guerrier. Quand Pierre tranche l’oreille du serviteur du Grand prêtre lors de l’arrestation du Christ « Le disciple impulsif réagit selon la pratique naturelle du monde, qui consiste en fait à opposer le mal au mal et non pas à sublimer l’acte pour vaincre le mal par le bien. »[72]. Et cet acte est commenté de la façon suivante : « Son geste n’en semble pas moins légitime, car il convient sans conteste de tirer l’épée quand on est dans le monde pour défendre sa vie ou celle d’autrui si l’on juge qu’elle est plus importante que la mort aux fins de sa mission ou de sa condition. Légitime aussi de le faire, faute de mieux, pour empêcher un mal physique immédiat, massacre, viol, atteinte par le glaive aussi à la foi même…. »
Pierre a commis une erreur car le Christ avait accepté la mort pour la vaincre et pour libérer les hommes par la Résurrection. Pierre a eu tort de ne l’avoir pas acceptée. Son erreur est là non dans sa réaction mais dans le sens donné à sa réaction. De plus, le Christ guérit le serviteur blessé par Pierre : le tranchant de l’épée mutile l’homme, le Verbe qu’est le Christ reconstitue son intégrité. Le miracle s’opère en faveur du soldat qui L’arrête sur un ordre supérieur.

Une parole du Christ, dans Luc[73], est : « Maintenant [...] que celui qui n’a pas d’épée, qu’il vende son manteau pour en acheter une. » Commentaire : « maintenant » signifie la fin du ministère terrestre du Christ. Ainsi la loi demeure pour assurer l’instruction de la justice. Un double travail doit s’accomplir : dans la conscience individuelle et dans la conscience des peuples. Chaque homme est appelé à gagner sa paix personnelle en se soumettant à la justice de sa conscience, éclairée par Dieu. La lutte intérieure consiste à mettre fin à l’intrusion de l’ennemi et à refuser l’emprise des passions. Paix des cœurs à acquérir pour la paix des peuples : paix des peuples découle de la paix des cœurs !

Le saint et le Soldat
Alexandre de la Néva est un saint orthodoxe qui a sauvé le peuple russe par les armes. Le débat sur la guerre consisterait-il à condamner immédiatement tout acte de guerre ? Héraclite a écrit : « Polemos est le père de tout. ». La guerre est à l’origine de tout mouvement. Que dit l’histoire des hommes, du règne animal, du règne végétal ? Au cœur de toute vie, la mort est incrustée au nom de la vie ! Au cœur de la création, il y a la violence destructrice pour la survie.

Pour les Orthodoxes, l’état déchu de notre monde est la conséquence de la faute originelle. Toutefois, il s’agit de s’interdire toute naïveté, toute candeur comme croire pouvoir échapper au cycle de la violence en la refusant par des paroles ou des actes pacifistes. Cette naïveté repose sur un orgueil : croire que l’homme peut par lui-même se soustraire au cycle de la violence. « A l’intérieur du vivant et de chacune de nos vies, il y a violence. Ainsi dans l’acte de nourrir un corps, il y a destruction au nom même de la vie et de la survie. »[74]  Le rêve pacifiste terrestre, pour les Orthodoxes, est l’expression d’un orgueil démoniaque : celui des hommes se mettant d’accord entre eux pour se partager la terre après avoir exclu Dieu.

Depuis Abel et Caïn, le désordre mortifère est le lot de l’humanité. « Pour la tradition orthodoxe, nul être humain et nulle société n’échappent à la présence du mal et de la violence ; ils sont les caractéristiques fondamentales du monde déchu, éloigné de Dieu. » Le Mal et la violence sont inhérents à la nature humaine : infirmité des hommes. La vraie Paix ne peut être que divine. La religion orthodoxe recommande de prier et de supplier Dieu pour la paix. Reconnaître l’énormité accumulée des pulsions de violence et de mort dans chacune des sociétés et des cœurs humains implique la nécessité de les sublimer par la prière et l’ascèse.

L’idée du soldat chrétien est possible. Il s’agit ni de fuir ni d’ignorer le monde mais de vivre chaque jour sans illusion. Berdiaev : « l’Eglise est du monde sans être du monde. » Tout pouvoir comporte un germe de péché mais certains chrétiens, au nom des autres et pour le salut des autres, doivent accepter de prendre ce risque.

Deux paroles du Christ : « Tous ceux qui useront de l’épée périront par l’épée» ne doit pas faire oublier : « Mes paroles sont l’esprit et la vie. » Ainsi, « On peut admettre l’utilisation des armes par l’homme pour la guerre sans trahir l’esprit du Christ, mais au contraire en étant animé par Lui et on peut, par parole et par acte, rejeter toute action armée et, dans cette négation, inconsciemment ou consciemment, trahir l’esprit du Christ et lui être étranger. »[75]
C’est pourquoi :
« L’orthodoxie condamne en général la guerre car elle la considère comme une conséquence du mal et du péché dans le monde ; elle a toléré par condescendance les guerres défensives faites pour rétablir la justice bafouée. »[76]

***

Protestants

Les différentes églises issues de la Réforme ont des prises de position variées. Pour commencer, abordons l’une des plus récentes et la plus originale pour notre sujet, celle de Jacques Ellul, professeur à l’université de Bordeaux, théologien.
Sa démarche est très rigoriste et je vous la présente en neuf points :

1.     La Parole de Dieu n’a pas à être réinterprétée ou édulcorée.
2.     Il n’y a jamais de guerre acceptable pour la foi. Il n’y a aucune guerre sainte.
3.     La non puissance n’est pas l’impuissance.
4.     Le plus d’armement n’est qu’un risque d’augmenter plus la guerre.
5.     La décision de non défense n’est pas plus irréaliste qu’une politique de la défense.
6.     L’Evangile proclame le refus de la guerre et de la violence : tout est dit.
7.     Les dirigeants d’une église et les « théologiens » qui justifient une guerre au regard de la foi ne sont que de lamentables politiciens.
8.     Deux exemples historiques illustrent ses propos, je me contente de vous les livrer tels quels, sans commentaire :
a.      « La guerre de 1939, inévitable, a eu l’adhésion des chrétiens parce que visant la dictature hitlérienne. elle s’est faite au nom de la liberté. Et le résultat ? Le renforcement d’une dictature pire que celle de Hitler, la dictature de Staline. »
b.     « Ce qui a perdu Hitler, ce n’est ni l’héroïsme anglais, ni la puissance soviétique mais tout simplement parce que l’hiver russe s’est produit en octobre. »
9.     Conclusion : Pour les chrétiens, le recours ultime est la promesse de Dieu. La prière est plus forte que les armées. Se remettre à Dieu est la règle absolue.

Ellul ne critique pas les chrétiens qui s’engagent dans une guerre qu’ils croient juste et il dit : « que l’on fasse donc la guerre si l’on croit que c’est bien mais que l’on ne cherche pas de justification spirituelle ou morale. ».
Pour lui, toutes les réflexions théologiques sur la guerre juste dérivent de la conviction qu’il y a continuité entre l’Eglise et l’Etat.[77] Jésus tend à créer une société différente de la société globale. La société globale peut employer la violence et faire la guerre mais les chrétiens et l’Eglise ont à la récuser et à refuser d’y participer.
Cela signifie-t-il que le gouvernement civil agit comme il l’entend ? Non, l’Eglise fait partie de l’ensemble de cette société. Elle a donc à donner son avis, son opinion sur les problèmes rencontrés par le pouvoir. La grande difficulté est de proclamer le message de l’évangile (refus de la guerre et de la violence). Les chrétiens doivent se situer hors de l’engrenage qui conduit fatalement à la guerre.
La guerre et la violence sont de l’ordre de la nécessité (« on ne peut pas faire autrement… ») et, sur ce dernier point, sont en opposition radicale avec le message de l’Evangile, non plus seulement celui de l’amour mais celui de la liberté. Ne pas confondre liberté chrétienne et pseudo liberté politique. Ceci implique le refus de toute guerre, y compris de la guerre de la libération. La guerre est une nécessité, un monde de non liberté. Le chrétien combattant perd sa liberté chrétienne et n’a pas à se justifier.
Un modèle est donné par les Quakers américains : leur lutte contre la propagande militariste. Les Chrétiens n’ont pas à former une grande foule mais à être le petit troupeau exemplaire. Il cite encore les adventistes et baptistes en URSS. Le caractère international de l’Eglise implique que les chrétiens fidèles récusent les frontières nationales. C’est retrouver une Eglise vraiment universelle au-delà des nations.
Jacques Ellul est une référence chez les Protestants mais il ne présente pas un courant majoritaire et c’est pourquoi il faut connaître la perspective de Luther.

Luther[78]

Quatre citations illustreront son approche de la guerre :

1.            Du « Grand catéchisme de 1529 », à propos du commandement du décalogue : «Tu ne tueras pas.», son commentaire est le suivant :
« Transgresse à ce commandement, non seulement celui qui fait du mal mais encore celui qui, pouvant faire du bien à son prochain, le retenir, le défendre, le protéger et le secourir afin qu’aucun mal ou préjudice n’arrive à son corps, ne le fait pas. Lorsque tu vois quelqu’un condamné à mourir ou en pareille détresse et que tu ne lui portes pas secours alors que tu en sais voies et moyens, tu l’as tué. »

2.            Dans son « Traité sur l’autorité temporelle » :
   « Nul chrétien ne doit porter le glaive ni faire appel à lui pour lui-même et pour ses propres intérêts ; mais lorsqu’il s’agit d’un autre, il peut et doit le porter et faire appel à lui afin que la méchanceté soit réprimée et la piété protégée. » et encore :
« Tout seigneur et prince a le devoir de protéger les siens et de faire régner la paix. C’est son office et c’est pour cela qu’il a le glaive. Ce doit être pour lui la conscience sur laquelle il se repose ; il doit savoir que cette œuvre est juste devant Dieu et qu’elle est ordonnée par Lui. » car « Dieu – qui ne tolère aucune injustice – règle ainsi les événements : que l’on fasse la guerre aux fauteurs de guerre. »

Sa prière à dire avant le combat est d’un contenu significatif :

« Père céleste, me voici, selon ta divine volonté, engagé dans cette œuvre extérieure et au service de mon supérieur, ainsi que je suis tenu de le faire envers toi d’abord, et ensuite à cause de toi, envers mon supérieur. Je rends grâce à ta bonté et à ta miséricorde de m’avoir placé dans cette œuvre qui, j’en ai l’assurance, n’est pas un péché mais une œuvre juste et une obéissance agréable à ta volonté. Mais parce que je sais et que j’ai appris, par ta parole riche de grâce, qu’aucune de nos bonnes œuvres ne peut nous aider, et que personne ne peut être sauvé en tant que soldat mais uniquement comme chrétien, je ne veux pas mettre ma confiance et mon obéissance en cette œuvre, mais l’accomplir librement au service de ta volonté. Je crois, dans mon cœur, que seul le sang innocent de ton Fils bien-aimé Jésus-Christ, mon Seigneur, me délivre et me sauve, ce sang qu’il a répandu pour moi par obéissance à ta volonté propre. Je m’en tiens à cela, je vis et meurs en cela, je combats et je fais toutes choses en cela. Garde-moi et soutiens-moi Seigneur mon Dieu, par ton Esprit, dans cette foi. Amen. »[79]  Et Luther conclut :
« Si après cela, tu veux réciter la confession de foi et le Notre Père, tu peux le faire, et que cela te suffise. Remets alors ton corps et ton âme entre ses mains, tire ton épée et frappe au nom de Dieu. »

Autres auteurs
Dans ses écrits, Zwingli précise encore : « Chacun doit obéir à la légalité et s’en tenir à la juridiction que son gouvernement lui prescrit à moins qu’il ne contrevienne à la volonté de Dieu. » Cette dernière précision est d’importance car elle ouvre la porte au devoir de désobéissance civile. Je ne le développe pas car cela me conduirait sur un sujet éloigné du mien.
Max Huber, dans son livre « La politique internationale et l’Evangile » » est explicite lui aussi :
« Le droit de légitime défense se justifie aussi au point de vue religieux. La vie est le bien le plus précieux que Dieu ait donné à l’homme, d’elle dépend tout ce que nous pouvons accomplir au service et pour l’amour de Dieu. »

Pour les missions de la paix, le soldat doit et peut engager sa vie :
·       s’interposer entre des unités adverses susceptibles d’engager le combat
·       mettre les militaires des pays amis en situation d’accomplir leur mission (mettre en œuvre les matériels qui leur sont livrés)
·       assurer la liberté de circulation dans les zones proches de celles des combats

Ces militaires peuvent être acculés à faire usage de leurs armes dans des situations complexes. La responsabilité du gouvernement qui engage les militaires est grave et exige : compétence, lucidité, sang-froid.

L’éthique du militaire chrétien peut et doit être définie de la façon suivante :
·       Refus de la lâcheté ;
·       Se remettre à la toute - puissance de Dieu ;
·       Face aux blessures, à la mort, aux défaites humiliantes comme aux victoires grisantes, il s’agit de tenir un idéal ;
·       Se souvenir qu’il y a deux royaumes : celui de l’Evangile et celui du monde. Le royaume de ce monde doit permettre un déroulement harmonieux de la vie de l’humanité dans la création ;
·       Réaliser la personne (amour) et la société (solidarité) ;
·       Le sacrifice de soi-même est un enrichissement pour le sacrifié et celui pour lequel il se sacrifie ;
·       Citoyen d’une patrie et savoir être courageux
·       Dignité d’homme : faire face à l’adversité
·       Rester sans haine

Les guerres de conversion
Le pasteur André Dumas souligne que le danger du monothéisme serait de favoriser des exclusivismes guerriers. Il faut se garder de toute intransigeance. « L’histoire montre amplement que le facteur religieux a plus souvent été un obstacle à la conciliation, à la cohabitation fraternelle qu’un effort de réconciliation et de pacification. Que de guerres menées au nom de la fidélité religieuses et trop souvent de la conversion forcée ! Que de saluts imposés par la contrainte à ceux que l’on veut sauver malgré eux ! Que de dogmatismes qui font s’entrechoquer des croyants adverses, quels que soient, par ailleurs, les facteurs purement profanes, économiques et politiques qui ont, eux aussi, alimenté les foyers de ces guerres ! »[80]

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Islam

La guerre : justifications et aspects humains
Chaque nation, en temps de paix comme en temps de guerre, a sa propre philosophie, établie par les sages et les savants ou par les chefs et les généraux : une sorte de conception particulière des fins et des moyens. Ces fins et ces moyens peuvent être ou ne pas être légitimes selon un bon critérium et l’avis de tierces personnes rendant leur jugement en toute objectivité et en toute impartialité, ayant un esprit équilibré et modéré, sans préjugés et sans fanatisme pour un principe, une confession ou une religion.

En Islam, c’est différent. Le Livre saint est le Coran. Dieu envoie Sa révélation, émet Ses préceptes. Son jugement est décisif. Les règles de la paix, de l’ordre et de la stabilité proviennent de Lui. La législation islamique en est issue pour lancer un appel à la paix, pour établir la paix et la sécurité.

Les pays musulmans ont accepté des chartes et des conventions internationales. Une lutte doit être rapide pour chercher le plus vite possible la paix. L’Islam veut être une religion de la tolérance et des cas particuliers du passé proche choquent aussi bien les musulmans croyants que les non musulmans. Les guerres en Islam ne visent pas la domination des autres nations ou peuples car cela constituerait une injustice, injustice prohibée par toutes les religions.

La miséricorde exige d’établir la justice entre les hommes. La justice exige de combattre le faux, de réprimer l’injustice. C’est permettre aux hommes de connaître le meilleur système de vie ici-bas et dans l’au-delà. La guerre en islam est une nécessité à laquelle on peut recourir dans les limites du droit et de l’équité.
Toute autorisation de se défendre est donnée à ceux qui ont été attaqués parce qu’ils ont été injustement opprimés. Dieu est puissant pour les secourir[81].

L’islam enseigne à ses fidèles la nécessité de se doter de tous les moyens de défense pour ne pas s’exposer aux attaques ennemies. C’est de la dissuasion mais la première dissuasion réside dans la foi, la conviction et la force morale sans faille. Il est contre la destruction massive : le Coran dit que la destruction massive est du seul pouvoir de Dieu. Les armes de destruction massive ou similaires sont la cause d’une sorte d’aliénation des Etats : ces Etats ont entraîné l’humanité dans une voie dont l’issue est incertaine. Le rappel à la responsabilité collective
consiste à défendre l’homme face à son devenir.

Un triste constat
La Seconde guerre mondiale a causé la mort de 49 millions de personnes et a coûté plus de 500 milliards de dollars. Par après, les rivalités Est-Ouest n’ont pas cessé. Guerres civiles, guerres d’indépendance, guérillas, conflits de toute sorte dans le monde, dans tous les continents se succèdent. Ils occasionnent la férocité. Des pertes humaines et matérielles sont considérables. La complexité des situations de guerre tient à des difficultés politiques, raciales, religieuses et à des déséquilibres économiques. De la Société des nations à l’ONU, il est de nombreux cas où les bons offices des instances internationales paraissent vains car la majorité des résolutions et décisions restent lettre morte.
La conclusion en est que la raison du plus fort demeure. Il convient de prendre acte de la dégradation et la corruption morales de notre temps. Egoïsme régionaliste et nationaliste, orgueil des nations ou des puissances ou des pouvoirs rendent toute solution, en faveur de la paix, difficile, voire impossible

Progrès technologiques : un carcan
Les découvertes scientifiques, les développements technologiques ont rendu la société humaine, otage impuissant d’un arsenal tout à la fois sophistiqué et meurtrier. L’Islam dénonce les coûts exorbitants consacrés aux armements alors que cet argent pourrait servir au bonheur des hommes.

L’homme, doté pourtant de raison par le Tout Puissant, s’est détourné de sa vocation première : assurer la paix dans les cœurs et la sécurité sur la terre. L’homme dont le Très-Haut a fait son représentant sur terre a renié son Créateur pour « adorer ce faux dieu qu’est le positivisme scientifique ». Ses fruits sont égarement, désarroi, division, faillite morale et matérielle. La conclusion urgente : est de mettre un terme à ce postulat implicite selon lequel tout ce qui est scientifiquement et techniquement faisable est nécessaire et désirable pour l’humanité.

Que propose l’Islam ?
Pour l’Islam, la Chari’a, le droit musulman qui éclaire le chemin des croyants, est issue du Coran, de la tradition (Sunna) et de la juste interprétation des textes et des dogmes de la religion islamique. Elle facilite la vie de l’homme dans sa pratique de la religion et dans ses rapports avec ses semblables par un appel constant à la raison ; elle est la base de conduite humaine comme le fondement de la croyance et la source de spiritualité.

Salâm
Le Coran développe toute une doctrine du « salâm », du salut. C. 2/208 : Allah le Miséricordieux : « o croyants, entrez tous dans la paix. » et C. 109/23 : « Une offense subie appelle une riposte légitime ; mais celui qui pardonne et se montre conciliant, Dieu saura l’en récompenser. Dieu n’aime pas les injustes. »

Avant de traiter la question, il est nécessaire de savoir que l’Islam possède plusieurs mots ayant des sens très précis pour traiter de la guerre ou de ce qui s’en approche. Vous connaissez tous le mot « jihâd » mais ce mot est, la plupart du temps, employé abusivement par les occidentaux.
Le « jihâd » se distingue du « harb », ce mot « harb » recouvre toute guerre qui est le fruit de la haine, de la discorde, de la rivalité et de la cupidité. Les résultats du HARB sont massacre, pillage, viol et ruine. Le HARB est cette guerre qui réjouit le cœur du mauvais.
Par contre, le JIHAD qui provient du mot JAHADA signifie « résistance, endurance au combat et refus du désespoir ». Il existe deux sortes de JIHAD, le mineur et le supérieur. Jihâd est entendu comme un appel à Dieu et au respect des serments. Onze chapitres du Coran en traitent : C 6/152, 7/157, 16/125-126, 23/8, 25/52, 26/214-216, 30/47, 32/33, 42/39-43, 70/22, 100/1-5. Les hadiths (dires, actes, approbation non formulées par écrit du Prophète et de ses proches) complètent le sens à donner au jihâd.

Le JIHAD mineur concerne le militaire qui combat contre les polythéistes, les mécréants et les faiseurs de Dieu. Le JIHAD majeur concerne chaque croyant car c’est le combat spirituel en paroles et en actes contre le mal qui peut se trouver en soi-même comme chez les autres. C’est la lutte contre Satan. Le JIHAD majeur consiste à recommander le bien, à proscrire le mal et à faire régner l’ordre divin. Cela implique la maîtrise de soi et le missonnariat.
Il importe que le combattant mène une lutte qui reste dans le chemin de Dieu. La mort en combattant ouvre le jardin de l’Eden. L’intention de combattre est déjà une promesse d’y entrer.
La pureté de l’intention et la loyauté dans les actes commandent l’action.
L’essentiel réside dans le service, le culte, la lutte intérieure, l’observation des exigences.

Des sourates explicitent cela :
« Gardez-vous de penser que ceux qui ont été tués dans la voie de Dieu sont morts, non, ils sont vivants au contraire, en présence de leur Seigneur, comblés de faveurs surabondantes. »[82] et « Luttez pour la cause de Dieu selon le droit de sa lutte. »[83]

Un hadith complète encore :
« Celui qui demande à Dieu le martyre en toute vérité, Dieu le fait parvenir aux demeures des martyrs, même s’il meurt dans son lit. »

Le Jihâd est défensif dans son principe : il peut devenir parfois offensif à la suite de situations dont seuls les musulmans ont à apprécier l’importance et l’urgence.[84] Il vise à poser les bases d’une déontologie de la guerre


Principes
Leurs règles de combat sont à être connues[85] car si on ne les respecte pas à leur égard, cela ne pourra qu’augmenter la haine, les représailles comme l’actualité le démontre :

1.            ne pas attaquer les vieilles personnes, les femmes, les enfants et les fuyards. Enfant et simple d’esprit ne peuvent pas être tués
2.            la guerre doit se limiter aux armées belligérantes. Interdiction de tuer les non combattants
3.            ne pas persécuter les gens à l’intérieur de leurs maisons
4.            ne pas attaquer des personnes dans leurs prières
5.            ne pas brûler les corps des ennemis
6.            ne pas tuer un ennemi ligoté
7.            ne pas déraciner les arbres
8.            ne pas défigurer les victimes
9.            ne pas mettre à mort les prisonniers de guerre, les blessés et les émissaires
10.        interdiction de tuer une fois le combat terminé
11.        Si l’ennemi utilise des musulmans comme boucliers (otages), il est licite de prendre le risque de les tuer sans les viser. Besoins de la guerre. Sauvegarder les autres combattants musulmans.
12.        traiter l’ennemi sans colère, sans haine sans fanatisme

Le combat principal est de l’ordre du spirituel et le jihad mineur est autorisé par les religieux dans les cas de :
·       de défense : s’opposer à l’agression, riposter à la tyrannie et à l’oppression
·       de protection : secourir le Prophète ou ses représentants, soutenir et assister l’appel missionnaire de l’Islam, aider les pauvres
·       de justice et d’ordre : s’attaquer à la sédition, à la violence injustifiée, à la rébellion et à toute forme d’injustice.

Finalement, un des principes essentiels se retrouve dans cette citation :
« Les combattants dans la voie de Dieu ne doivent attaquer l’ennemi qu’à la suite d’une proclamation de guerre, à moins qu’ils se trouvent en état de légitime défense ou quand l’ennemi rompt le pacte et viole le serment. »

Le droit d’expulser l’ennemi qui réside dans la communauté ou dans un pays d’Islam est indiscutable. Il y a le devoir d’étudier les conditions de retour à la paix et les circonstances compatibles avec cet objectif. Dans le cas particulier où l’ennemi est acharné et cruel, il s’agit de ne pas faiblir et de persévérer.


Règle de la guerre : la réciprocité

L’utilisation du moyen le plus fort quand il y a possibilité de réaliser la fin en utilisant le moyen le plus faible est répréhensible. C’est un aspect qui doit être retenu par des troupes qui auraient à agir pour des missions où la force armée est engagée. Ainsi, l’utilisation de projectiles explosifs est à proscrire car ils défigurent les cadavres : mais il peut y avoir la règle de la réciprocité si les musulmans ne sont pas respectés sur ce principe.


La guerre est ruse.
L’utilisation de tromperies et de ruses est légale en cas de guerre pour remporter la victoire. En Europe, la propagande de guerre n’a pas échappé à cette règle ! La guerre est une nécessité exceptionnelle pour une paix stable et durable. Eviter de faire couler le sang reste un devoir.

Il n’est pas interdit de :
·       tendre des embuscades
·       utiliser des mines terrestres et maritimes
·       diviser les rangs de l’ennemi
·       affaiblir le moral de l’ennemi
·       pratiquer la guerre des nerfs
·       espionner
·       assassiner ou ruser pour se débarrasser d’un ennemi fourbe

Révocation de l’alliance contre la perfidie et la trahison :
« Tenir un engagement sans perfidie vaut mieux qu’une perfidie contre une autre perfidie. »
« Si tu crains vraiment une trahison de la part d’un peuple, rejette son alliance pour pouvoir lui rendre la pareille. »[86]

Messager, ambassadeur
La tradition du prophète interdit de le tuer, même s’il vient du pays ennemi et cela sous peine d’endurer la malédiction de Dieu, des anges et de tous les hommes. La négociation a pour but de mettre un terme à la guerre.

Règles absolues

·       Respecter les engagements et les chartes et prohiber la perfidie et la trahison.
·       Respecter l’humanité de l’homme, l’honorer, avoir un sentiment sincère de fraternité humaine.

Aux noms de la vertu et de la piété
Ne pas tremper dans l’atrocité, la désobéissance et les actions immorales considérées comme licites par l’ennemi.
Traiter les prisonniers avec bonté et générosité.
Possibilité de libérer les prisonniers sans contrepartie si pas de prisonniers musulmans chez l’ennemi.
Pitié et compassion invitent au pardon.
Le Coran stipule l’obligation de justice envers les ennemis.
Principe de réciprocité peut autoriser la loi du talion s’il y a profanation.

Sort des prisonniers
Assistance médicale à accorder.
Soins et secours sans récompense ni remerciement. (L’Homme, 8-9)
Tuer les prisonniers est répréhensible.

But de la guerre : la paix
Le but unique qui soit recherché dans la guerre est de réunir les conditions d’une paix acceptable, c’est-à-dire :
·       établir une situation favorable aux mujahidun, les combattants
·       assurer le respect de la religion islamique
·       garantir que l’adversaire ne commette plus d’agression, de sédition, ou de corruption
·       obtenir la déclaration claire d’une volonté de paix qui soit réciproque

La sécurité
Elle exige à la fin de la guerre un pacte stipulant l’abandon de la lutte et du combat avec l’ennemi.

Guerre de conversion
La conversion forcée est refusée. De même, il y a un refus net d’un expansionnisme dominateur qui pourrait porter atteinte à l’Islam. Il n’y a aucune injustice à pratiquer contre les gens du Livre car : « Dieu ne vous interdit pas d’être bons et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus à cause de votre foi et qui ne vous ont pas expulsés de vos maisons. Dieu aime ceux qui sont équitables. ».[87]

Quand le croyant le peut, il ne doit pas vivre au milieu des infidèles :
« Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas pour amis les juifs et les chrétiens. Ils sont amis les uns des autres et celui qui se lie d’amitié avec eux est des leurs. »[88]
Cela est d’autant plus vrai contre les purs incroyants… Le voisinage des infidèles est considéré comme un danger.
Le jihâd guerrier contre les infidèles est un cas particulier. Les luttes contre les gens du Livre (juifs, chrétiens, idolâtres) sont autorisées si ceux-ci livrent des actes de guerre contre l’Islam :
« On les combattra jusqu’à ce qu’ils fassent professions d’islam ou qu’ils paient comptant la jizya[89], du fait qu’ils soient dans un état d’apaisement. » [90] 
Détruire l’infidélité n’est pas équivalent à détruire l’infidèle. Une fois, que la jizya est payée par les infidèles, les musulmans n’ont plus le droit de les tuer ou de les contraindre à embrasser une religion autre que la leur.
La tradition autorise des droits de guerre : le butin qui est pratiqué dans les pays de toutes les religions mais sous d’autres appellations[91], ce qui ne change rien quant à la nature du procédé. Le butin est une récompense, donc possible et il y a une règles de partage : 1/5 est réservé aux pauvres et à Dieu. Il prévoit le droit de capturer des enfants impubères, des filles non réglées, des femmes majeures ou non majeures[92].
Les autorités musulmanes, à l’exception groupes minoritaires très actifs cependant, s’accordent pour exprimer ceci :
« On ne peut pas tuer un homme simplement parce qu’il confesse une autre religion que l’Islam. Le combat doit être réservé à ceux qui combattent les musulmans, les agressent ou les empêchent de diffuser la propagande islamique aux quatre coins du monde. »[93]

Terrorisme et résistance
Le terrorisme est rejeté mais la résistance est autorisée spécialement contre l’occupant. Le cas de l’assassinant de Sadate en 1981 est éclairant en la matière.

Pour les « Frères musulmans » lorsque Sadate accepte de signer une paix séparée avec Israël, il agit en apostat, et cela suffit à vouloir sa mort.
Pour les « Grands ulémas », les accords de camp David étaient conformes à l’Islam. Surtout qu’une portion de la terre d’Islam, le Sinaï, réintingrait le DAR EL ISLAM. Ainsi, l’assassin de Sadate est un terroriste. Le président Sadate est mort en SHAHID, c’est-à-dire en martyr.

Le terrorisme est condamné sous le terme de HIRABA, un attentat contre l’ordre public. Le droit pénal prévoit soit que l’auteur doit être tué ou crucifié, soit que sa main droite ou son pied gauche doit être coupé et qu’il soit expulsé du pays. Le terrorisme mafieux est ainsi combattu.
Le MOHARIB est tout acte de chantage à attentat en cas de refus de payement d’une rançon : c’est un acte de voleur doublé d’un terroriste qui doit aussi connaître la peine capitale.

Le résistant ne doit pas être confondu avec le terroriste. Lorsque du séjour du Prophète à Médine, entre 622-3, ses adeptes avaient dû résister contre l’oppression[94] qui s’est exercée contre eux. Et la résistance se justifie ainsi :
« Toute autorisation de se défendre est donnée à ceux qui ont été attaqués parce qu’ils ont été injustement opprimés – Dieu est puissant pour les secourir – et à ceux qui ont été chassés injustement pour avoir dit seulement ‘’ Notre Seigneur est Dieu. ‘’»
Ainsi pour les musulmans, un mouvement de libération nationale n’est pas terroriste. Les luttes islamiques sont autorisées contre le colonialisme, l’impérialisme et toutes les formes d’agression et d’oppression jusqu’à la victoire finale. Libérer le sol national justifie une guerre de libération qui est ainsi une guerre défensive, une action patriotique.
Dans la tragédie des luttes armées, car cela est toujours une tragédie, il y a des distinctions à établir : acte terroriste, acte criminel de droit commun, acte d’héroïsme, acte de combat.

La lutte du peuple palestinien s’est tournée vers l’action violente et de guérilla car ses représentants ont fait le constat que toutes les autres tentatives de négociation ou d’arbitrage ont échoué. La lutte est perçue comme l’ultime recours face à ce qui est inacceptable : lutte de libération.

La Palestine relève les actions violentes israéliennes : Deir Yassine en 1948, Kobeia en 1953, Kafr Kacem, Khan Younes et Rafah en 1956, Sabra et Chatilla en 1985, de même le détournement d’un avion syrien en 1954 ainsi que l’attaque de l’aéroport de Beyrouth en 1968, la destruction d’un avion en vol libyen en 1973, le détournement d’un avion du Yémen en 1981 et d’un autre avion libyen en 1986. Selon le droit de la réciprocité et devant l’impossibilité d’appliquer le droit ou les décisions internationales, les mesures extrêmes sont adoptées et plongent deux peuples dans la spirale infernale de la violence. 

Israël et la Palestine ont connu des extrémismes sanglants et, cependant, il y a des Israéliens et des Palestiniens désireux de vivre en paix. Il est regrettable que le bruit des armes couvre leurs voix. Ignorer cette masse de femmes et d’hommes de bonne volonté est probablement la plus grande défaite des forces de paix. Devant l’horreur, n’oublions pas les causes et l’histoire dans la longue durée qui expliquent une situation qui n’aurait jamais dû exister. Les responsabilités de cette situation ne sont pas uniquement au Proche Orient et ceci n’est pas l’objet de cette étude. 
 
Désespoir, cause du terrorisme :
Il convient de rappeler que les crises régionales, nées de l’absence de solutions à certains problèmes, poussent les générations successives au désespoir et par là même à l’utilisation de tous les moyens matériels pour le recouvrement de leurs droits. Tant que les causes du terrorisme ne sont pas résolues, il est vain de croire que la force des armes puisse régler quoi que ce soit. Au contraire, certaines conduites - militaires ou pas - embrasent plus la haine, provoquant cet aspect immoral du terrorisme : des innocents meurent.

Condamnation du meurtre, de la violence et de l’agression
La sourate VI, verset 151, dit explicitement : « Ne tuez personne injustement. Dieu vous l’a interdit. ». Si l’homicide est volontaire, Dieu réserve le pire des châtiments.
La violence illégitime est prohibée : « Oui, Dieu ordonne l’équité, la bienfaisance et la libéralité envers les proches parents. Il interdit la turpitude, l’acte répréhensible et la rébellion. Il vous exhorte. Peut-être réfléchissez-vous. ». Le recours sans droit à la violence est condamné. Dieu recommande aux fidèles à ne pas recourir aux représailles et à pardonner aux agresseurs.

***

Conclusion

La guerre est de l’ordre du mal. La principale arme contre la guerre est la justice. Tout homme religieux désire la paix et il n’intervient à la guerre que par nécessité et charité. Il s’agit de maîtriser la violence dans le respect de l’homme qui est l’image de Dieu. Il faut chaque fois que cela est possible humaniser la guerre. Aider l’opprimé et refuser la lâcheté sont des règles imprescriptibles. Le glaive appartient aux gouvernants et les responsabilités de l’action sont entre les mains des chefs de guerre et des soldats.

Pour la paix et contre la guerre, il faut privilégier la non violence mais celle-ci ne peut pas être absolue. Le recours aux armes est l’ultime recours quand tout autre moyen a été épuisé. Pour aller vers le chemin de la paix, chaque homme doit travailler d’abord sur lui-même contre ses mauvais penchants. Ainsi l’Esprit pourra vaincre le mal. La seule vraie révolution est celle du cœur.

Avec l’histoire, il est toujours possible de mettre en accusation les religions, - je dis bien toutes les religions et non pas seulement une -, pour ce qu’elles n’ont pas pu faire à telle ou telle occasion. Or, rester sur un tel constat serait stérile. L’arbre ne doit cependant pas cacher la forêt : Saladin a recherché la paix car il était religieux. Il vaut mieux rechercher ce en quoi elles ont ce formidable potentiel de paix qui peut les unir, plutôt que de cultiver la mémoire qui nourrit la haine ou le triste racisme des victimes : celles qui ont droit à la mémoire et celles qui connaissent le silence.
Ainsi, malgré les défaillances dans leur passé, les religions peuvent être à la source d’idées dont la puissance pourrait sauver le monde, cette force qui renverse des montagnes. L’histoire du XXe siècle nous a démontré cette force destructrice des idées non religieuses. Pourquoi ne pas espérer un XXIe siècle démontrant la puissance constructrice des religions animées par les valeurs qui leur sont communes plutôt que celles qui les divisent ?

Le psaume 32 - qui parle à toutes les religions monothéistes - dit cependant qu’au-dessus de toutes les armées, il y a Dieu, le Tout Puissant :

« Le salut d’un roi n’est pas dans son armée,
ni la victoire du guerrier dans sa force.
Illusion que les chevaux pour la victoire ;
une armée ne donne pas le salut.

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
La joie de notre cœur vient de Lui,
notre confiance est dans son Nom très Saint.

Que Ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en Toi ! »

Et ces mots bien compris ne peuvent que nous conduire vers les chemins de la paix.

Antoine Schülé

Contact : antoine.schule@free.fr

Bibliographie

Pour être exhaustif, il faudrait rédiger un livre à lui tout seul mais voici quelques pistes de lecture parmi d’autres.

Sources

Bible, la TOB est la plus pratique avec ses commentaires.

Le Coran.

Oeuvres de saint Augustin et Thomas d’Aquin.

Francisco de Vitoria : Leçons sur les Indiens et sur le droit de guerre. Ed. Droz. Genève. 1966. 164 p.

Secrétariat général de la Défense nationale, sous la direction de Pierre Viaud : Les religions et la guerre. Judaïsme, Christianisme, Islam. Ed. Cerf. Paris. 1991. 588 p.

Ouvrages de base

Georges Minois : L’Eglise et la guerre. Ed. Fayard. 548 p.

Peter Haggenmacher : Grotius et la doctrine de la guerre juste. Ed. Puf. Paris 1983. 684 p.

Michael Walzer : Guerres justes et injustes. Argumentation morale avec exemples historiques. Traduction par Simone Chambon et Anne Wicke. Ed. Belin. Paris. 1999.

Pour en savoir plus

Albéric de Palmaert : Les religions face à la guerre. Ed. Centurion. Paris. 1992. 156 p.
Le cas de la France est étudié de façon synthétique et utile.

Jean XXIII : Encyclique Pacem in terris. Commentaire et index analytique par l’Action populaire. Ed. Spes. Paris. 1963. 208 p.

Eugen Drewermann : La spirale de la peur. Le christianisme et la guerre. Ed. Stock. Paris. 1994. 424 p. Traduction par Claude Maillard de : Die Spirale der Angst. Der Krieg und das Christentum. 1982. Verlag Friedrich Pustet.
Grande confusion entre ce qui est du christianisme et du christianisme « utilisé ».

Mgr Gaillot : Lettre ouverte à ceux qui prêchent la guerre et la font faire aux autres. Ed. Albin Michel. Paris. 1991. 168 p.
Pour une vision particulière du sujet.

H. Hug (pasteur) : La conscience chrétienne et la question militaire. Lausanne. 1929. 80 p.
Approche reflétant la pensée protestante romande.

R. Regout : La doctrine de la guerre juste de saint Augustin à nos jours d’après les théologiens et les canonistes catholiques. Paris. 1935.
Ouvrage très complet.

Philippe Contamine : La guerre au Moyen Age. Nouvelle Clio 24. Ed. Puf. Paris. 524 p.
Bibliographie très détaillée sur christianisme et guerre.

Lénine : A propos des guerres justes et injustes. Ed. du Progrès. Moscou. 1983. 284 p.
Le communisme scientifique est une religion laïque qui possède aussi sa doctrine.




[1] De Civitate Dei, chap. 19, para. 12
[2] Ainsi que le font si facilement quelques auteurs.
[3] Secrétariat général de la Défense nationale, sous la direction de Pierre Viaud : Les religions et la guerre. Judaïsme, Christianisme, Islam. Ed. Cerf. Paris. 1991. 588 p.
[4] Selon une tradition établie dans la longue durée et que poursuivent les Etats-Unis avec des moyens de notre temps.
[5] Lire plus bas.
[6] Conquête de l’Espagne par les arabes.
[7] Le Christ a été condamné comme un hérétique : si les Romains ne L’avaient pas crucifié à la demande du Grand Prêtre, Il aurait été lapidé.
[8] Il pourrait s’établir une encyclopédie de tous les bienfaits que les religions ont entraînés.
[9] Ancien Testament.
[10] Nouveau Testament.
[11] M. Altermath en avait fait une démonstration au CHPM et sa démarche pourrait être développée.
[12] Querelles d’experts sur les mots : sujet passionnant pour les lexicographes mais il s’agit de garder une fidélité à l’esprit des textes et ne pas s’achopper à la lettre car toute lecture des Ecritures deviendrait impossible pour le grand public.
[13] Certains textes, comme Isaïe, annoncent le Dieu de Miséricorde mais Il est quelque peu perdu dans le fracas des batailles.
[14] Non la guerre froide mais le terrorisme d’Etat.
[15] Tibet.
[16] La première l’était du fait d’une réponse à une agression ; la deuxième est une guerre contre Saddam Hussein par une grande puissance pour des intérêts particuliers et sur des motifs avérés faux. Le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » est pratiquement remis en cause.
[17] Bonhoeffer et Père Kolbe p.e.
[18] Ne pas confondre avec des défenseurs autoproclamés d’une foi : deux cas différents, Bush et Ben Laden.
[19] Il s’agit de distinguer le Judaïsme de la politique de l’Etat d’Israël.
[20] Secrétaire général de la Défense nationale, 4 février 1987.
[21] Et je n’ai pas connaissance de Mémorial ou de musée ou de monuments rappelant les tristes massacres où les chefs de l’Etat viendraient pour observer une minute de silence ou de tribunal international ayant condamné comme il se devrait de tels actes.
[22] Il faudrait étudier les diverses sectes chiites.
[23] Pierre Viaud : Les religions et la guerre. Ed. Cerf. p. 40
[24] Idem, p. 47
[25] Celui dont le nom ne se prononce pas : Dieu.
[26] Idem, p. 64.
[27] Genèse 4,3
[28] Rabi Moshé Ben Maîmon, 1135-1204
[29] Pour Dieu, son nom ne doit pas être prononcé selon la loi juive.
[30] Pr 15-16
[31] Ha 11,12
[32] Parmi d’autres éthiques où les « morales » sont diverses ! Il s’agit d’une éthique catholique à confronter avec les autres.
[33] Viaud p. 89.
[34] Ex 20.13
[35] Matthieu 5, 38-48
[36] Le pardon n’est donc pas accordé à ceux qui savent ce qu’ils font et qui n’attendent ou ne demandent aucun pardon : il y a là un aspect qui mérite attention car il est trop souvent oublié !
[37] 14, 27
[38] Il persécutait les premiers disciples du Christ avant sa conversion sur le chemin de Damas.
[39] Lc 3.14
[40] Matthieu, 8, 5-11.
[41] Conversion, Ac 10.1-11.18 
[42] Rm 13.1-5, 1 P 2.13-14
[43] Dans la mesure où elle respecte la volonté divine, bien sûr.
[44] Rm 13.4
[45] Un moyen détourné consistait à placer un parent à la tête du monastère fortuné. 
[46] Viaud, p.98
[47] 354-430.
[48] Ecrit entre 415 et 427.
[49] 1225-1274
[50] Somme théologique : la charité, T. III, trad. fr. par V Vergriete, Paris, Cerf, 1965, p. 118-120
[51] Vers 1483-1546
[52] 1474-1566
[53] 1465-1536
[54] 78 § 5
[55] Viaud p. 105
[56] n° 79 § 4
[57] n° 80 § 4
[58] Lors de la 15e journée mondiale pour la paix.
[59] Viaud p. 234
[60] 12, 4
[61] 20
[62] Jg 11.30-31.34.39
[63] Viaud, p. 264
[64] Nb 6.26
[65] Rm 8.6 
[66] 11
[67] Jc 3, 17-18

[68] 21.3
[69] Viaud p. 189
[70] Matthieu 5.25-26, Luc 12.58-59
[71] 15
[72] Viaud p. 271
[73] 22.36
[74] Viaud p. 278
[75] Viaud p. 280
[76] Viaud p. 282
[77] Viaud p. 293
[78] « Œuvres », Ed. Labor et fides, t. IV, p. 9-50 De l’autorité temporelle et des limites de l’obéissance qu’on lui doit p.223-262 : Les soldats peuvent-ils être en état de grâce ?
[79] Œuvres, idem, p. 261-2
[80] Viaud, p. 339.
[81] Coran 39, le pèlerinage
[82] Coran 4/169
[83] Coran 22/78
[84] Viaud, p. 385
[85] Aussi par leurs adversaires !
[86] Coran 58, Le Butin
[87] Coran 60/8
[88] Coran 5/51
[89] Impôt de guerre
[90] Coran 9/29
[91] Prenez des traités de paix et vous trouverez toute une sémantique qui n’a pas le mérite de la franchise. 
[92] In Viaud : Les théories classiques de la guerre sainte, prof Roger Arnaldez de l’Institut., p. 379
[93] In Viaud, p. 393, chap. XX du Dr Wahba Moustapha Zehili.
[94] Exercée par Kureich.

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