lundi 12 novembre 2018

Maurice Zundel, brève introduction à sa pensée.


Maurice Zundel,

Antoine Schülé, 10 août 2017

Maurice Zundel nous donne l’occasion de se réunir aujourd’hui et je m’en réjouis car cela permet, en plus de nous revoir, d’évoquer son parcours de vie et surtout sa pensée. Parler d’un « théologien » et d’un « mystique » suscite des craintes, au sein d’un public non habitué à ces deux noms. Aussi je tiens tout de suite à vous rassurer : Zundel est très réaliste et concret dans ses propos et sait, avec talent, traiter des grandes questions que tout croyant se pose, au regard de la Foi.


Plusieurs raisons me motivent pour vous en parler : je l’ai connu personnellement dans mon très jeune âge ; je l’ai lu pendant plusieurs décennies ; je lui dois d’être resté catholique alors que la spiritualités exprimée et vécue par les Orthodoxes m’intéresse vivement ; il m’a permis de découvrir une lectures vivante des Évangiles ; grâce à lui, j’ai goûté pleinement l’Evangile de Jean ainsi que les écrits pauliniens ; il m’a conduit à la lecture non seulement de plusieurs Pères de l’Église mais encore de Saint Augustin, d’Angelus Silesius et de Newman, et plusieurs autres auteurs inspirés qui ont répondu et répondent à mes questions  et à mes attentes; l’essentiel a été d’ouvrir mon cœur à ce Dieu intérieur qui frappe au cœur de chaque homme et qu’il suffit d’écouter dans le silence...
Je m’arrête là, en disant que je dois beaucoup à ce grand témoin de la Foi !

Son parcours de vie
La date du 10 août est la date anniversaire de sa naissance à Dieu en 1975, voici 42 ans aujourd’hui même, à Lausanne, alors qu’il était prêtre auxiliaire à la paroisse du Sacré-Coeur où j’ai fait mes premiers pas et mes premières expériences dans l’Eglise.
Il est né au monde, il y a 110 ans, le 21 janvier 1897 à Neuchâtel, en Suisse. Il s’agit d’un canton devenu protestant, suite à une votation et grâce à une très courte majorité, devant les catholiques. Une de ses grand-mères était protestante.
En 1911, deux faits marquent son destin : dans l’église de l’Assomption, dénommée à Neuchâtel, « l’église rouge » (rouge, non au nom d’un engagement politique mais en raison de la couleur de la façade qui dénote dans une ville où la pierre jaune domine), il entend un appel de la Vierge ; un ami lui lit le Sermon sur la montagne que nous appelons les Béatitudes. Sa vie est bouleversée. Il termine ses études au collège de l’abbaye bénédictine d’Einsielden, se situant en Suisse allemande et qui mérite votre visite (elle demeure encore de nos jours un lieu de pèlerinage très fréquenté, avec sa chapelle de la Vierge) : il y découvre le silence où parle Dieu à travers la beauté de la liturgie ; il dira souvent que ce lieu est « la patrie de son âme ». Sa vocation sacerdotale y est née.
De retour en Suisse romande, il suit les cours au grand séminaire de Fribourg de 1915 à 1919 et le 20 juillet 1919, il est ordonné prêtre.
Jusqu’en 1925, il servira la paroisse St. Joseph de Genève, dans un quartier pauvre. Les questions sociales ne cesseront pas de le préoccuper car il est très conscient que leur non-règlement est une source potentielle de grands dangers. Un dénonciation calomnieuse d’un de ses confrères auprès de son évêque (et oui, il y a malheureusement parfois des Judas dans l’Église et il s’agit de ne pas les cautionner d’une façon ou d’une autre), fait qu’il est envoyé à Rome à l’Angelicum, pendant trois ans pour y parfaire son thomisme (officiellement sa façon réaliste d’enseigner les Évangiles est considérée comme hors des normes acceptables). De 1927 à 1939, il est successivement à Paris, à Londres et à Jérusalem. Il donne des cours de catéchisme dans des collèges de jeunes filles et anime des retraites. Il noue de nombreux contacts avec les théologiens connus à Paris.
Un grand tournant dans sa vie, de 1939 à 1945, est son séjour au Caire. Il y étudie l’Islam. A son retour en Suisse en 1946, il arrive finalement à la paroisse du Sacré-Coeur, à Lausanne, où il sera prêtre auxiliaire jusqu’en 1975. Il reste cependant un prêtre itinérant : il prêche des retraites à Genève, à Paris, à Londres, à Beyrouth et au Caire. Il est très apprécié dans les monastères, du Carmel notamment.
A Lausanne, il est connu pour sa générosité envers les pauvres : des mendiants l’agressent quand il ne peut plus rien leur donner et ses confrères s’irritent du défilé de quémandeurs d’aumône, à la porte du presbytère ! En 1972, Paul VI, que Zundel avait rencontré à Paris dans les années 20, avant d’être élu Pape, l’invite à prêcher une retraite au Vatican : il a fallu attendre cet évènement pour que ses confrères suisses lui prêtent une plus grande attention !
De son vivant, il a publié une vingtaine de livres. Trois méritent chacun une mention particulière : en 1926, sous le nom de Frère Benoît, il publie Le poème de la Sainte Liturgie. Un livre remarquable et que je conseille à tous les adolescents : il m’a permis de comprendre et donc de vivre toute la beauté d’une messe célébrée dans le respect de cette liturgie, chargée de sens et qui n’est pas une longue suite de formules mais une merveilleuse profession de Foi ! En 1938, son livre Recherche de la personne connaîtra les foudres de son évêque qui le fait retirer de la vente. En 1976, sa retraite au Vatican est publiée sous le titre Quel homme et quel Dieu ? : il s’agit du dernier ouvrage qu’il a écrit au prix de grands efforts. Invité au Vatican peu de mois avant le Carême 1972, il avait improvisé, oralement et sans notes particulières, ses prédications. Aussi l’écriture, par après, des propos tenus a épuisé ses forces. Ce grand prêcheur est devenu aphasique une année, avant de naître à Dieu, dans la clinique Bois-Cerf, tenue à cette époque par des religieuses.

La meilleure biographie de Maurice Zundel a été rédigée par le Père Bernard Boissière (avec qui j’ai la joie d’avoir divers entretiens téléphoniques et une correspondance) et France-Marie Chauvelot (dont j’ai fait avec plaisir la connaissance à Paris et qui est disponible pour venir ici afin de nous partager sa lecture de Zundel), édité aux Presses de la Renaissance, en 2004.

Ses sources
Les lectures, déjà faites par un auteur, forgent un esprit, une réflexion, un regard. Il est donc important, face à un écrivain, même religieux, d’identifier sa filiation de pensée. Cette tâche nous est facilitée avec Zundel dans la mesure où il cite volontiers ses sources. En un temps si court, je n’épuiserai pas le sujet mais je vous signale les principales.

Maurice Zundel se réfère d’abord au Nouveau Testament où il privilégie l’Évangile de Jean, l’Apocalypse et les écrits de Saint Paul. A plusieurs reprises, il affirme avec raison qu’il s’agit de lire l’Ancien Testament en fonction du Nouveau Testament et il signale les dangers d’une lecture inverse (ce qui se produit trop fréquemment de nos jours à l’aide d’extraits sélectionnés et de variations de traduction) : le principal d’entre eux est celui de donner une fausse image de Dieu, un Dieu Pharaon, un Dieu Vengeur ; un autre aspect : l’Ancien Testament s’adresse à un peuple (qui a développé, plus d’une fois dans son histoire, une notion perverse de la race élue, ayant abouti à de grands massacres), le Nouveau Testament parle à tous les peuples, à tous les hommes de toutes conditions et même aux non-croyants !
L’œuvre de Maurice Zundel est une méditation puissante et merveilleuse des Évangiles et il cherche à mettre son lecteur au diapason de la Parole de Dieu. Le lire ne peut que provoquer la seule vraie révolution qui soit acceptable : la conversion du cœur par une rencontre avec Dieu en son cœur.

Saint Augustin occupe une place privilégiée dans tous les écrits de Maurice Zundel. Il m’a donné le goût de le lire et, après plusieurs décennies, j’arrive à la conclusion que tout est dit chez saint Augustin.
Une grande question me revient souvent à l’esprit : pourquoi un tel auteur est-il si ignoré des Chrétiens, mis à part quelques spécialistes , si peu mentionné dans les homélies où pourtant il serait si utile de se référer à lui ? Vous me direz que les écrits pauliniens, qui expriment pourtant un réalisme évangélique évident, sont aussi souvent passés sous silence, par les membres du clergé et vous n’aurez pas tort !

Zundel procède à des allusions fréquentes à L’imitation de la vie de Jésus Christ, ouvrage très utile pour s’ouvrir à la méditation et pour expérimenter une retraite avec les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. Une expérience est d’associer les Exercices spirituels avec les écrits de Zundel, surtout les textes de certaines retraites ou les homélies, publiées après sa naissance à Dieu1. N’importe quel lecteur en sort transformé définitivement !

Si Zundel critique volontiers le thomisme en tant qu’un formatage, de plus en plus étroit au cours des siècles, il cite volontiers le Saint Thomas dans son texte d’origine et non selon ses innombrables interprètes qui, selon lui, opacifient plus l’image de Dieu qu’ils ne l’éclairent.

Angelus Silesius, de son vrai nom Johannes Scheffler, est une source certaine de Zundel, très souvent oubliée alors que plusieurs distiques de Silesius se retrouvent chez notre auteur. Il est né le 25 décembre 1624. En 1643, il a étudié la médecine, la politique et l’histoire à Strasbourg. Il a aussi poursuivi ses études en Hollande à Leyde. Un fait à retenir : Scheffler a été d’abord un luthérien qui s’est converti au catholicisme, officiellement le 12 juin 1653. Son livre majeur, et qui a influencé Zundel, est Le pèlerin chérubique, en allemand Der Wandermann. Cet ouvrage a été rédigé entre 1653 et 1675.
Pendant deux siècles, il est tombé complètement dans l’oubli : ses critiques du protestantisme qu’il avait trop bien connu expliquent principalement sa mise à l’écart dans les pays protestants : une arme, le silence sur une œuvre, souvent employée contre l’Église consiste à à ne pas mentionner les auteurs considérés comme incorrects, selon celles et ceux désignés comme les bien-pensants. Ce procédé efficace perdure encore plus de nos jours !
Les romantiques allemands l’ont redécouvert au XIXe siècle. D’ailleurs, c’est probablement à la lecture du romancier romantique Gottfried Keller, dans le Grüne Heinrich ou,en français, Henri le Vert, paru en 1854, que Zundel a dû le découvrir. Ce roman est souvent cité dans ses sermons : une des ses techniques oratoires consiste à raconter en résumé le récit d’un romancier pour conduire son auditoire à la compréhension des paraboles de l’Évangile ou de la Parole de Dieu. Cette méthode pourrait être très utile aux prêtres de nos jours qui peinent parfois à capter leur auditoire lors des homélies.

Lors de son séjour à Londres, Zundel a étudié la langue anglaise avec les écrits de Newman (1801-1890). Jusqu’en 1845, celui-ci a été un membre très connu de l’église anglicane, avant de devenir une autorité de l’Église catholique. Sous Léon XIII, il est devenu cardinal en 1879. Benoît XVI l’a béatifié en 2010 et il sera probablement bientôt un Docteur de l’Église.
C’est un écrivain prolifique, plus de 40 livres, sachant manier l’ironie sans blesser. La publication d’environ 600 sermons constitue déjà 12 volumes. Histoire, théologie, méditations, poèmes, une autobiographie et des prières forment un corpus de textes riches d’enseignements. En plus des ses qualités littéraires, il sait allier pensée et vie. Il faut preuve d’une très fine connaissance de la psychologie humaine.
Zundel l’admire tout particulièrement car, à la suite de Saint Augustin, Newman nous partage son expérience profonde de la présence de Dieu au plus intime de lui-même. Ils ont un point commun qu’il s’agit de souligner : ils développent tous deux un grand sens du réel et se méfient de tout ce qui est théorique. Dieu ne se met pas en formules mathématiques. Pour eux, la spiritualité est une réalité et nullement une simple opinion personnelle ainsi que le laïcisme actuel tente de nous le faire croire, avec trop de succès d’ailleurs !

Zundel a connu lors de son séjour à Paris le théologien Garrigou-Lagrange et il en fait souvent mention dans ses livres, avec Massignon. Pour ma part, à ce jour, je ne peux pas vous en dire plus car je n’ai pas eu encore le temps de les lire suffisamment pour vous en parler avec précisions.

Maritain, que Zundel a aussi très bien connu, est cité de façon élogieuse mais je ne suis, pour l’instant, pas certain que Zundel ait adopté complètement la pensée de Maritain. Cela mériterait une étude à faire. Zundel a des liens avec ce courant de pensée appelée le personnalisme mais dans un esprit catholique et mystique, non partagé par d’autres courants dits personnalistes.

L’originalité  zundélienne qui n’a pas plu aussi bien à ses confrères qu’à son évêque: il aime se référer aux écrivains, aux poètes et aux scientifiques connus ou de son temps : Victor Hugo, Gottfried Keller, Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Paul Claudel, Arthur Rimbaud, Oscar Wilde, Friedrich Nietzsche, Albert Einstein, Bachelard…
Dans son enfance, le récit hugolien de Jean Valjean dans Les Misérables l’avait profondément marqué : ce récit d’une rédemption est mentionné dans plus d’une de ses homélies ou retraites.

Il comprenait les raisons de la révolte d’un Camus mais il lui donnait tort sur les conclusions que cet auteur affirmait dans ses romans : Dieu serait l’auteur du mal. Dieu n’est pas à l’origine du mal. Wilde et Rimbaud ne sont pas cités comme des modèles à suivre mais comme des exemples d’un emploi déviant de l’intelligence ou de la poésie : leurs souffrances morales ont quelque chose à nous apprendre.

A grands traits et sommairement, je vous ai brossé les sources de la pensée de Maurice Zundel. Venons-en maintenant à cette pensée en quelques aspects choisis car il est impossible de les mentionner tous, dans le temps qui nous reste et que je tiens à respecter.

Liberté
Un mot essentiel chez Maurice Zundel est liberté et il lui donne un sens précis. La liberté ne se réduit pas à des libertés civiles, limitées par des législations variant d’un pays à l’autre. Plus d’un tyran a pris le pouvoir au nom de la liberté qui, en fait, se réduisait à la sienne au moyen de l’oppression de son peuple. Méfions-nous du pouvoir des mots : le mot démocratie n’a pas le même sens, autrefois, en URSS et, aujourd’hui, en Chine, en Corée du Nord, en France ou encore en Suisse !

Zundel défend la liberté intérieure : celle de notre âme et de notre conscience, ce jardin inviolable où personne d’autre que soi-même ne peut pénétrer. Là réside pleinement notre liberté : il est possible de forcer quelqu’un à dire ce qu’il ne croit pas mais il est impossible de lui faire croire ce qu’il se refuse de croire en son âme et conscience2.
Notre acceptation intérieure et libre témoigne de notre seule autonomie. Elle nous est donnée par la vie spirituelle. L’accomplissement de tout être humain passe par une vie spirituelle qui se fera, avec ou sans Dieu, avec ou sans le respect de la dignité humaine. Comment pouvons-nous la vivre ? Comment en prendre conscience ? Dieu nous rencontre dans ce que nous aimons ou désirons le plus vivement : la musique, la science, la terre, la beauté, la poésie, le visage d’un enfant, l’être aimé… C’est ainsi que Dieu, dont il faut reconnaître la Présence, nous attend et s’offre dans chacun de nos cœurs.
Il respecte notre liberté à un tel point qu’Il nous laisse la liberté de Le refuser ! Nous n’avons pas à chercher Dieu dans le désert, au sommet d’une montagne mais en nous, là où Il nous attend. La vraie liberté ne consiste pas à suivre nos pulsions instinctives à la façon des animaux : ces pulsions qui enchaînent si bien, que plus d’un en devient un esclave, au lieu de les dominer ou de les transformer en des actes de dons bénéfiques ! Reconnaître la présence de Dieu en soi nous libère de nos déterminismes.

Déterminismes
Notre liberté se conquiert, jour après jour, car elle n’est pas acquise par un coup de baguette magique, par les armes, le pouvoir, la richesse ou la science. Notre vie devrait être une libération de tout ce qui nous enchaîne : le temps d’une vie est bien nécessaire pour y parvenir. Il n’y a pas de liberté intérieure aussi longtemps que nous restons emprisonnés par nos déterminismes et nos préfabrications que sont nos préjugés, nos fausses images de Dieu. L’ennemi le plus terrible de notre liberté est en nous : le premier combat spirituel se situe là. L’écoute et la compréhension de la Parole de Dieu sont les deux moyens de libération. Reconnaître l’infini qu’est Dieu, dans notre cœur, c’est cela se libérer pour Zundel.

Notre vraie liberté n’est pas un ferment d’anarchie qui consiste à s’opposer à d’autres mais elle est une libération intime, une libération intérieure qui nous met en communion avec le Dieu intérieur qui réside en chacun d’entre nous : étant ainsi en communion parfaite avec Lui, nous entrons en communion avec toutes celles et tous ceux qui L’ont découvert en elles et en eux. Ainsi nous sommes Église.

Être conscient des limites de la liberté pour être soi
L’homme ne naît pas libre : le croire est une simple vision de l’esprit et complètement irréaliste. L’homme doit conquérir sa liberté et ceci jusqu’à sa mort. Les limites de l’homme et de sa liberté sont multiples et, ensemble, considérons quelques-unes d’entre elles.
Nos limites individuelles sont : à la naissance déjà (avons-nous choisi de naître?) ; la biologie (avons-nous choisi de revêtir le corps que nous avons, avec ses forces et ses faiblesses?) ; le milieu social (avons-nous choisi nos parents?) ; la culture ambiante dans laquelle on a grandi (bidonville en Inde ou un quartier huppé de Paris?) ; l’éducation reçue ou pas reçue…
Les limites sociales sont forgées par chaque civilisation et culture avec des valeurs retenues qui diffèrent d’une civilisation à l’autre ou selon des principes adoptés ou imposés à tous…

Des limites sont nécessaires mais sont-elles bonnes ou mauvaises ? Quand sont-elles mauvaises ? Elles sont mauvaises lorsqu’elles empêchent le développement de la personne, de l’être intérieur. Le communisme ou bien d’autres idéologies (athées en URSS ou en Chine comme déistes, avec un Voltaire par exemple) ont empêché l’expression de la liberté intérieure, propre à chacun en fonction de son vécu.

Tout homme a une vocation à devenir libre. Être soi, avoir une certaine autonomie mais pour l’employer à quoi ? A se connaître et à aimer.
Pour se connaître, le Nouveau Testament est indispensable pour entendre ce que Dieu propose à l’homme et nous appelle à accomplir, selon les dons reçus de Lui et gratuitement. « A l’un est donné par l’Esprit une parole de sagesse, à un autre un parole de science selon le même Esprit, à un autre la foi dans le même Esprit, à un autre le charisme de guérir. » (1 Corinthiens, 12, 8-9). Dieu ne cesse de nous dire : « Si tu veux, … » et Il attend notre réponse qui peut être comme celle de Marie : « Que Ta volonté soit faite ! ». Dieu ne s’impose pas. Dieu n’est pas un Pharaon ou un dictateur : Il a le respect de notre liberté et c’est ce qui Le rend fragile car nous pouvons Le refuser ou, pire encore, Le crucifier par nos actes !

Fausses images de Dieu
Les écrivains du XXe siècle, que Zundel cite souvent afin de démontrer leurs erreurs, ont cultivé dans l’opinion publique de fausses images de Dieu, en prêtant à Dieu leur propre visage ! Il Lui ont fait endosser leurs limites, leurs étroitesses, leurs préjugés et leurs intérêts particuliers. Des hommes ont modelé Dieu suivant leurs besoins pour en faire une idole.

L’Église, dans son passé, a hélas parfois favorisé cette confusion, en se laissant partiellement instrumentalisée par des hommes ne pensant qu’à leur prise de pouvoir : les guerres dites de religion en ont été et en sont des exemples encore d’actualité (les acteurs ont changé mais le scénario tragique reste le même).

Exemple avec La Peste de Camus : un enfant, sans défense et dans de grandes douleurs, meurt. Pour Camus, le Créateur est donc le Créateur du mal, donc Dieu est un tortionnaire. Lorsqu’il écrit ceci, il est dans la suite d’un Voltaire qui aboutissait à cette même conclusion, avec le tremblement de terre à Lisbonne3.
Comment Zundel répond à cette question essentielle sur l’existence du mal ? Camus se trompe car il cultive une fausse image de Dieu.

Pourquoi fausse ? Ainsi que d’autres écrivains ou philosophes, il cultive un monothéisme fermé, poussé à son extrême limite. Il s’agit pour eux d’un Dieu extérieur qui sait tout, qui prévoit tout, qui juge tout, qui dit tout, qui ne laisse aucune liberté à l’homme : tout était, est et sera écrit par Lui. Il exige une totale soumission comme dans l’Ancien testament ou dans le Coran. Nous serions face à Dieu solitaire et tout puissant. Or cela n’est pas le cas : n’importe qui aurait le droit de se révolter contre un Dieu qui serait ainsi. Camus, et bien d’autres avec lui, ignore le monothéisme chrétien se dévoilant dans le Nouveau testament !

Le monothéisme chrétien est tout autre : il s’agit d’un monothéisme ouvert avec un Dieu intérieur qui se communique dans un Amour infini, dans la mesure où nous acceptons un cœur à cœur avec Lui. Cette intériorisation du monothéisme chrétien est révélée dans la Trinité. Avec la Trinité, nous avons la révélation que Dieu n’est pas un solitaire qui se repaîtrait de lui-même, n’est pas un Narcisse suprême, cultivant une auto-glorification qui ne cesserait de célébrer sa grandeur.

Pour Zundel, Dieu vu comme une puissance extérieure à l’homme est : le viol de notre autonomie, le viol de notre intériorité, le viol de notre inviolabilité, c’est le viol de notre expérience humaine. Cette image d’un faux Dieu a été trop véhiculée par l’expression mal comprise d’un Dieu Tout-Puissant, un Dieu Pharaon.

Or nous sommes face à Dieu tout puissant d’Amour : c’est Jésus qui nous le fait découvrir. Dieu acceptant de prendre la condition d’homme, Jésus ne cesse de dire et de redire que Dieu existe non selon des conceptions trop humaines, dans l’attente d’un royaume territorial et politique. Le Royaume de Dieu n’est pas de ce monde mais Celui du monde, invisible à l’homme de chair qui peut toutefois en prendre conscience par l’esprit : c’est là tout l’œuvre permanente de l’Esprit Saint. Lorsque Jésus révèle Dieu n’étant pas un solitaire, Il nous différencie fondamentalement avec le Dieu de l’Ancien Testament et du Coran.

Ce Dieu intérieur à rencontrer, là où il attend notre oui :
Nous arrivons sur un point essentiel de la pensée zundélienne. Tous ses écrits en témoignent. Et le texte de Saint Augustin qu’il cite le plus souvent provient d’un livre à lire et à relire Les Confessions où Dieu - qui est au-dedans de nous - est la Beauté par excellence :
« Tard je vous ai aimée, Beauté si ancienne et si nouvelle,
tard je vous ai aimée.
C’est vous qui étiez au-dedans de moi, et
moi, j’étais en-dehors de moi ! Et c’est là que je vous cherchais ;
ma laideur se jetait sur tout ce que vous avez fait de beau.
Vous étiez avec moi et je n’étais pas avec vous.
Ce qui loin de vous me retenait,
c’étaient ces choses qui ne seraient pas, si elles n’étaient en Vous.
Vous m’avez appelé, vous avez crié, et
Vous êtes venu à bout de ma surdité ;
Vous avez étincelé, et Votre splendeur a mis en fuite ma cécité ;
Vous avez répandu Votre parfum, je l’ai respiré et je soupire après vous ;
je Vous ai goûtée et j’ai faim et soif de Vous ;
vous m’avez touché, et je brûle du désir de Votre paix. »4

Augustin , avant de devenir un saint, avait tout vécu en extériorité : sollicité qu’il était par ses sens, ses instincts ; soumis au paraître, à la possession d’un pouvoir intellectuel.
Nous pouvons commettre la même erreur par exemple, dans notre affectivité, dans ce désir brûlant de posséder l’autre : l’amour possessif en est un exemple qui finit régulièrement par un constat d’échec, avec ce grand sentiment de vide et d’impuissance qui en est le terme.

Dieu ne nous commande pas de L’aimer mais exerce un attrait par Sa Beauté, Son Amour qui nous transforme en Lui-même, dès que nous acceptons de répondre à Son appel. Dieu se propose à nous pour nous arracher à notre dispersion en de multiples activités sans sens, à notre impuissance à vaincre soit nos limites, nos servitudes plus ou moins conditionnées et volontaires, soit nos dépendances se vivant en des obsessions variées : l’argent, le sexe, le pouvoir, la possession de l’autre, le jeu, etc. Cela passe par cette prise de conscience qu’offre Dieu à travers Sa Parole : c’est ainsi qu’Il nous libère. L’Esprit Saint illumine notre discernement qui demande une part d’intelligence avec la force de la Foi. Dieu nous attend au plus profond de nos cœurs. Il nous laisse tellement libre que nous avons le pouvoir de Lui dire : « Non ». C’est la cause du mal : le mal provient de notre refus de Dieu et non de Lui !

Dès que nous comprenons ce message essentiel de Saint Augustin, nous sommes des mystiques. Ce mot fait peur alors que son sens grec est simple : mustes signifie initié. L’Évangile est une initiation et se mettre à l’écoute et à la compréhension de l’Évangile, c’est être mystique. Rien que pour cela il valait la peine de venir ce soir : peut-être que plus d’un parmi nous découvre ainsi qu’il est un mystique sans l’avoir perçu !

Lire les Évangiles permet d’opérer en soi un discernement, pour soumettre nos activités à l’esprit divin, afin de les sélectionner et de les harmoniser selon les dons que Dieu a donnés à chacun. Comment lire le Nouveau testament ? Pour commencer, Zundel préconise une pauvreté. Rassurez-vous tout de suite il ne s’agit pas d’une pauvreté matérielle. Zundel a toujours défendu la propriété pour que celle-ci soit un espace de liberté afin d’accomplir son existence d’homme et non afin d’ asservir autrui. Par pauvreté, il entend ce nécessaire détachement des préoccupations du monde pour se recueillir dans le silence où Dieu peut nous parler dans nos cœurs. L’Esprit Saint peut agir en nous ensuite et nos actes changent et prennent un nouveau puisqu’ils deviennent des reflets de Dieu. Notre amour, dans la vie familiale, professionnelle, humaine, n’est plus un amour possessif mais un amour oblatif. L’Amour de Dieu est pur don et notre amour se transforme aussi en un don aux autres.
Nous attestons de la présence de Dieu partout où nous pouvons faire fleurir la vie, affirmer l’espérance et rayonner de la joie d’avoir vécu cette rencontre intérieure avec Dieu. Il ne s’agit pas de se détourner de la vie mais d’y entrer. Nous devons nous préoccuper de ce qui se passe avant la mort et moins de ce qui pourra se passer après la mort. Notre vie doit laisser transparaître la Beauté de Dieu selon les dons reçus : c’est cela le réalisme mystique de l’Évangile.

Conclusion

Le message de Zundel peut se résumer en trois points  : Accueillir pleinement la présence de Dieu en soi ; établir une relation personnelle et permanente avec Dieu ; Devenir une image de Dieu selon les dons reçus.

Comment y parvenir ? Effacer le poids de son « moi », de son « je » (cet individualisme effréné que nous percevons de nos jours avec toujours plus d’acuité) pour devenir « Lui », c’est cela la pauvreté. L’humilité est de renoncer aux fausses images de Dieu (dans nos prières par exemple!). Dans nos vies, nous devons découvrir chaque jour l’amour de Dieu, avec le Christ qui nous accompagne dans les pages joyeuses et tristes de nos quotidiens. Faire de nos vies un don : partager la joie et dans la tristesse cultiver l’espérance qui provient la Parole de Dieu.

Tout homme est appelé à devenir libre en se libérant des mauvais déterminismes préfabriqués, reçus parfois à la naissance, et en devenant jour après jour, le berceau de Dieu, un espace de transparence pour Le laisser apparaître dans nos actes.

Faisons des temps de silence dans nos vies. Écoutons ce Dieu qui parle à chacun d’entre nous, dans nos cœurs. Ensuite, c’est tout simple : faisons ce qu’Il nous dit de faire ! Soyons ce que nous sommes appelés à être, en laissant enfanter en nous le Christ, afin de pouvoir naître véritablement à Dieu !

Discussion
En un temps si court, vouloir présenter la pensée de Maurice Zundel est un vrai défi. Tout au plus, j’espère vous avoir donné l’envie de le connaître mieux soit par la lecture de ses œuvres, soit en participant à des séances de réflexion et partage sur la base de ses écrits, en rejoignant le groupe existant ou en constituant un nouveau groupe que j’accompagnerais volontiers si cela est souhaité.

Je reste à votre disposition pour vous écouter ou répondre à des questions éventuelles.
Conseils de lecture. Autres thèmes possibles.

Temps de prière

P/ Je vous invite à vous lever pour ce temps de prière que nous ouvrons avec un signe de Croix, symbole de notre Foi.
Au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit. Amen.

Hymne : Veni creator Spiritus
Viens en nous, Esprit Créateur,
Visite les âmes des tiens ;
Emplis de la grâce d’en-haut
les cœurs qui sont tes créatures.


Toi qu’on appelle Conseiller,
Don du Seigneur de Majesté,
Source vive, Feu, Charité,
Toi qui es onction spirituelle,


Toi, le Donateur aux sept Dons,
Puissance de la main de Dieu,
Toi que le Père avait promis,
Qui fais jaillir notre louange,


Mets ta lumière en nos esprits,
Répands ton amour en nos cœurs,
Et que ta force sans déclin
tire nos corps de leur faiblesse.


Repousse l’adversaire au loin ;
Sans tarder, donne-nous la paix ;
Ouvre devant nous le chemin :
que nous évitions toute faute !


Fais-nous connaître Dieu le Père,
Fais-nous apprendre aussi le Fils
et croire en tout temps que tu es
L’unique Esprit de l’Un et de l’Autre.


Psaume 117 (116)
Nations, louez toutes le Seigneur.
Peuples, glorifiez-Le tous.
Car Sa fidélité nous dépasse,
et la loyauté du Seigneur est pour toujours.




Psaumes 118
1 Célébrez le Seigneur, car Il est bon,
et Sa fidélité pour toujours.


8 Mieux vaut se réfugier près du Seigneur
que compter sur les hommes !
Mieux vaut se réfugier près du Seigneur
que compter sur les Princes !


Écoutons la Parole de Dieu (1 Jean, 4,12-16)
« Personne n’a jamais vu Dieu ;
si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour parfait est en nous.
Nous connaissons que nous demeurons en Lui, et qu’Il demeure en nous, en ce qu’Il nous a donné son Esprit.
Et nous, nous avons vu et attestons que le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde. Celui qui confessera que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu.
Et, nous, nous avons connu l’amour que Dieu a pour nous, et nous n’y avons pas cru. Dieu est amour ;
et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en Lui. »

[Un temps de silence].

Cet extrait de l’Épître 1 de Jean est fondamental pour comprendre la pensée de Zundel et cette prière à la Beauté de Dieu lue précédemment et que nous donne saint Augustin.
L’Esprit nous unit dans l’Église, nous amène à témoigner de notre Foi, à la proclamer et à l’approfondir. C’est ainsi que les Chrétiens peuvent vivre en communion.
R/ L’Esprit du Seigneur emplit l’univers.
* Alléluia, alléluia.
Il sait toute parole et illumine la vie pour la Vie éternelle.
* Alléluia, alléluia.
Gloire au Père au Fils et au saint Esprit.
Amen.

Zundel priait tout spécialement Marie. Aussi adressons à Marie notre prière.

Marie
Dieu a respecté la liberté de Marie en lui demandant son acceptation et sa réponse a été « Que Ta volonté soit faite ! ». Le monde a ainsi pu être sauvé par la force de l’Esprit Saint qui a permis à Dieu de se faire homme en Jésus pour nous sauver.
Nous pouvons dès lors dire de tout cœur : « Je vous salue Marie ,.. »

L’intercession : Prions

A la suite de Maurice Zundel, prions dans la Joie de notre découverte quotidienne du Seigneur dans nos vies :
R/ Seigneur, exauce nous.
Remettons notre cœur à Dieu afin qu’Il le façonne à Sa guise et qu’Il renouvelle toutes nos actions dans le feu de Son Esprit et nous donner de lutter contre les forces du mal où qu’elles soient. R/

Découvrons en nous et chez les autres la vocation mystique de l’Amour vrai, ce reflet de Dieu dans nos vies qui se traduit dans la gratuité du don de soi et non dans le culte aveugle de son « ego ». R/

Percevons que la Sainte Messe, la Sainte Liturgie, est la plus belle preuve de l’amour de Dieu et de l’amour des hommes pour Dieu et soyons, à chaque célébration eucharistique vécue en vérité, conscients du don précieux de Dieu, Son Amour pour tous les hommes capables de Le rencontrer en leur cœur. R/

Prions pour les ennemis de l’Église, où qu’ils se trouvent et parfois même en son sein, afin qu’ils découvrent la Présence de Dieu qui luit cependant dans leurs ténèbres et qu’ils étouffent. R/

Prions pour dissoudre cet ennemi intérieur, qui rôde comme un lion autour de notre cœur, afin de laisser briller la Lumière de Dieu, par la force de sa Parole. R/

Que toute prière soit une ouverture de l’âme à la perception mystérieuse de la divine Présence dans nos cœurs et que nous puissions dire en toute simplicité : « Viens, Seigneur Jésus ! ». R/

Notre Père

Père, Toi qui as merveilleusement créé l’homme et plus merveilleusement encore rétabli sa dignité en Jésus, fais-nous participer à la divinité de Ton Fils, puisque Tu as voulu prendre notre humanité la nuit de Noël,  Toi qui règnes pour le siècles de siècles.

Amen.
Antoine Schülé








1Les éditions Sigier offrent de très bon ouvrages à consulter.
2Ce champ de liberté inquiète les gens de pouvoir qui préfèrent forger une opinion publique dans une pensée unique dont ils peuvent tirer des profits, pas seulement électoraux...
3Ils n’ont pas lu le Premier livre des Rois (versets 19, 9-13) : Dieu n’est ni dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu mais dans le murmure d’une brise légère.
4Saint Augustin : Les confessions, livre 10, chap. XXVII, coll. Garnier, t. II, p. 119.

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