lundi 12 novembre 2018

La joie chrétienne selon Maurice Zundel


La joie du Chrétien

selon Maurice Zundel

par Antoine Schülé

La joie : un signe de Dieu.
La plus belle prière, c'est la joie des autres1.

« Comme notre vie serait belle,
si chacun de nous était le sacrement de la vie et de la joie.
Dieu est le bonheur et la religion, c'est la vie.
Si la Croix est le moyen, la joie est la fin.
Notre mission est d'être une demeure de joie,
afin d'être dans l'Eglise le testament de la joie :
"Je vous ai dit ces choses
afin que ma joie soit en vous parfaite"2».3


Inutile de vous dire que c’est sous le signe de la joie de Dieu que j’ai le plaisir de vous entretenir en ce jour sur la joie selon Maurice Zundel. Bien entendu, il s’agit de savoir de quelle joie il s’agit.

Lors de nos précédentes réunions, je vous avais fait allusion à certaines personnes donnant le catéchisme avec des visages fermés, des yeux tristes, un ton de parole respirant la mélancolie : elle semblaient vivre une mortification perpétuelle. A l’âge de mes 8 à 12 ans, elles me surprenaient car je voyais Maurice Zundel dont le visage resplendissait de joie. J’ai heureusement connu des prêtres et des chanoines qui savaient rire, se réjouir, consoler avec un sourire : ils brillaient d’une sorte de rayonnement positif. Ainsi, ils devenaient attractifs : ils possédaient cette joie qui rassure, qui rend confiant. Et je trouvais comme je trouve , encore maintenant, ceci comme extrêmement précieux.
Oui, dans notre Église, il n’est pas interdit d’être joyeux, ni d’avoir du plaisir à vivre sa Foi.

La Bible parle souvent de la joie avec de nombreux synonymes : liesse, allégresse, rire, sourire et le qualificatif heureux ou mieux encore bienheureux des béatitudes ou la phrase merveilleuse de Jésus dans l’Evangile de Jean (20.29) : « Parce que tu m’as vu, tu as cru : Bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru. ».

Connaître la joie ne signifie pas ignorer la souffrance, être inconscient, cultiver une forme d’égoïsme. C’est pourquoi j’ai opéré une sélection d’extraits de diverses retraites ou homélies données par Maurice Zundel pour signifier que la joie et le plaisir du chrétien existent et sont les signes de Dieu.

Histoire de l’Eglise

Les anticléricaux du XIXe s. et du XXe s. et encore de nos jours, se plaisent à donner une vision sinistre de l’Église. Or son histoire enseigne d’autres regards. Elle a cultive le rire du carnaval (une sorte de relâchement temporaire qui ne devait pas cultiver la méchanceté mais une forme d’humour) comme la joie des fêtes pascales (un vrai temps fort). Le Moyen Age aimait le rire contrairement à ce que veut nous faire croire « Le roman de la rose » de Umberto Eco. Il s’agissait de facéties, d’une ironie non blessante (oui, ceci existe), une correction fraternelle donnée avec humour et sagesse (St. François d’Assise et de nombreux moines y avaient recours : lisez les fioretti ou les anthologies qui rapportent leurs propos).

L’historien Michelet a donné de fausses images de la vie du Chrétien avant la Révolution : films (Jacquou le Croquant par exemple), romans ne cessent de véhiculer ses clichés qui sont tout simplement faux.

Le rire joyeux du Moyen Age se retrouve dans les chansons goliardiques, les pièces de théâtre, les prédications, les enluminures, les satires, le Carnaval. Les fidèles vient les joies de Noël, de Pâques, de la Pentecôte (celle-ci est pour moi la fête la plus belle et je souhaiterais que le lundi de Pentecôte soit la journée Zundel par excellence) ainsi que les nombreuses fêtes mariales (la joie de Dieu qui a pris la condition d’homme pour nous sauver, pour nous faire entendre la Parole de Dieu : quelle joie !). Chaque dimanche est un jour de joie quand il est vécu sans hypocrisie, sans mensonge, sans fausseté ! Lorsqu’il nous est donné de s’émerveiller (mot qu’affectionne Maurice Zundel), et ceci est possible chaque jour devant un panorama, une fleur, un visage, un bébé, un geste d’amour : ainsi, nous nous émerveillons de la beauté de la création et donc du Créateur, Dieu. Ne négligeons pas ces petites joies quotidiennes qui font le sel de la vie, de la vie heureuse !

Par contre, et c’est l’aspect qui a servi aux anticléricaux à caricaturer l’Église : le Moyen Age refusait le rire sans Dieu. C’est ce rire qui a abouti au grotesque, à la vulgarité (je pense au dadaïsme par exemple), encourageant l’imbécilité humaine, la goinfrerie et la tyrannie (la joie d’un Néron devant Rome incendiée par ses soins n’est pas la joie d’une Sœur, martyre d’Orange, montant à l’échafaud pour rester fidèles à ses Foi et à ses vœux). Le rire diabolique est celui qui donne à croire à l’absurdité du monde, donc à l’absurdité de la vie : des écrivains du XXe s. se complaisent dans cette forme de désespoir qu’ils ne cessent de chanter ! Ils souffrent derrière leurs masques d’un rire sans Dieu, d’un manque profond de joie de vivre. Nous avons, de nos jours, des jeunes - pas tous heureusement - qui se promènent avec des têtes de mort sur leurs vêtements, écrivant sur les murs « No future ». Ils se droguent, ils tentent de se perdre dans diverse formes de sensualité : à la fin, ils deviennent des morts-vivants !

La joie de vivre est le meilleur moyen de s’arracher à la peur existentielle pour reconnaître une transcendance dans sa vie : la résurrection qui n’ignore d’ailleurs pas la souffrance puisque elle passe d’abord par la mort qui peut être une souffrance mais aussi parfois une libération et qui est, dans tous les cas, une nouvelle naissance, selon le jugement de Dieu . C’est déjà là un message très fort !

Avant de parcourir les extraits proposés ce jour, il convient de porter un regard sur les sources utilisées par Maurice Zundel pour nous parler de la joie. Il y a la Bible bien entendu mais surtout, et cela ne vous surprendra pas, saint Augustin. Il n’utilise pas tellement le mot joie car il privilégie le mot bonheur. Zundel a poursuivi sa méditation sur la joie avec la Bible et avec l’ouvrage sur la Trinité de saint Augustin. Et il y a un autre auteur que Zundel cite aussi mais moins connu du grand public et que j’ai découvert en lisant Zundel : Angelus Silesius (25.12.1624 – 9.7.1677) avec son livre intitulé Le pèlerin chérubique, ouvrage passionnant écrit par un Luthérien qui s’est converti au catholicisme.

En quelques mots, la motivation de Zundel lorsqu’il traite de notre sujet est la suivante :
Trop de Chrétiens fuient le mal par la peur de Dieu : ils agissent dans la crainte. Ils sont des timorés et, là c’est moi qui le dis, presque dans le regret de ne pas pouvoir commettre tel ou tel acte, contraire au bien mais qui leur donnerait quelque profit !
Or les Chrétiens pratiquent le bien car ils ont ainsi conscience d’être des reflets de Dieu dans leur vie pour les autres : ils agissent dans la joie de l’Amour de Dieu.
Voici la grande différence dans la façon de vivre la Foi !

Notre joie : s’enfanter à Dieu. Pour cela , il cite Jean (16.21) : :
« La femme, lorsqu’elle enfante, est dans la souffrance, parce que son heure est venue ; mais lorsqu’elle a donné le jour à l’enfant, elle ne se souvient plus de ses douleurs, dans la joie qu’elle a de ce qu’un homme est né dans le monde. ». Zundel médite ce texte et nous dit : notre vie est un enfantement à Dieu et notre naissance à Dieu est la joie parfaite attendue. Cette image de 9 mois dans le liquide matricielle qui constituait un monde en soi pour l’embryon et comme cette vie sur terre qu’il faudra quitter aussi pour une autre vie : naître à Dieu. Voici qui change complètement la vision de la mort chez le Chrétien !

De nombreux écrits de Zundel traitent de la joie du Chrétien : il suffisait de le rencontrer pour ressentir sa joie intérieure qui transparaissait sur son visage et à travers son sourire. Je l'ai eu vu soucieux, au sortir de la clinique Bois-Cerf où il avait effectué une visite de malades mais, malgré tout, il avait toujours un sourire pour celle ou celui qu'il croisait et qu'il connaissait.

Maurice Zundel n'est ni le premier ni le dernier à traiter de la joie chrétienne : l'Ancien Testament (le Cantique des Cantiques, Psaumes) et le Nouveau Testament (les Béatitudes, Apocalypse), les Pères de l'Eglise (maniant l'humour et l'ironie) et le Moyen Age (cultivant une alliance saine entre le corps et l'esprit) comme la Renaissance (qui doit tant aux XIIIe et XIVe s.) nous offrent des textes admirables, trop souvent ignorés. Il s'agit de les redécouvrir. Trop de Chrétiens oublient la joie pascale, les joies de la Pentecôte, des fêtes de Noël, de la Trinité,de la Sainte Croix... donc cette joie sereine et non tapageuse (appelée « musique » mais ne devant rien aux muses) ou artificielle (drogues diverses, exacerbation des sens) que nous propose la culture ambiante qui règne de nos jours.
Toutefois, à travers quelques citations extraites de ses œuvres, soyons attentifs à cette joie chrétienne qu'il convient de partager dans notre quotidien où chacun d’entre nous doit se faire homme à la Lumière du Christ.Une création continue dans la joie…
L’Évangile est un Testament de Joie.

Abandonnons donc ces masques sinistres pour laisser rayonner le sourire de Dieu en nous vers les autres !

Refusons la mélancolie :

"Un vrai Chrétien est tout tourné vers la joie, tout ouvert à la joie. "Un saint triste est un triste saint."... Il faut chasser la mélancolie du service de Dieu. Il ne s'agit pas de feindre quoi que ce soit, d'être une caricature. Tout en respectant nos lassitudes, nos dégoûts, il faut les dépasser. L'agonie de Dieu, c'est la ruine de la joie, et la seule manière de détacher le Christ de la Croix, c'est de transformer chaque jour l'existence humaine et lui donner un visage de beauté et de joie." 4

Le plaisir
« 137. Qu’est-ce que le plaisir ?
C’est la joie d’une activité conforme à la nature : la joie d’un accomplissement, le contentement que procure une satisfaction.
142. Quelle est la fonction du plaisir ?
La vie. Le plaisir est le gardien de la vie.
143. Quelle est la règle du plaisir ?
Garder la vie. Toutes les fois qu’il va contre la vie, il est mauvais. Quand il va vers la vie, il est bon.

150. Que veut dire soumettre le corps à l’esprit ?
C’est, en somme, donner de l’esprit au corps, l’élever au plan de l’esprit, plan supérieur au sien, donc l’aimer magnifiquement.
151. Pourquoi la vie nous est-elle donnée ?
Pour que nous la construisions. Nous la recevons comme une ébauche ; nous avons à la conquérir, à l’inventer, à l’organiser.
Nous travaillons à la joie parfaite de tout notre être, aussi bien du corps que de l’esprit, puisqu’à la fin le corps va devenir capable des joies de l’esprit. »5

Dieu a besoin de notre joie :

"Ni la joie, ni la douleur ne sont nécessaires à la sainteté authentique. Il est des moments où Dieu a besoin de notre joie, comme il est des moments où l'humanité a besoin de notre douleur. Ce qui rend la douleur bonne, c'est l'amour qui la transfigure et si la joie est transfigurée par l'amour, elle qui est déjà un bien, elle devient doublement un bien."6

Le sourire :

"La plus grande puissance du monde, c'est le sourire. C'est du sourire que nous vivons, comme c'est de l'absence du sourire que nous mourons. Là où il n'y a pas de sourire, la vie s'éteint. Où il y a le sourire, la vie prospère. Et c'est aussi la plus grande fragilité. Il est clair que si le sourire vous est offert et qu'il rencontre un visage fermé, il ne peut plus rien. Si on ne répond pas à cette intimité, rien ne se passe. C'est l'exemple le plus suggestif de la Puissance de Dieu, cette tout-puissance de l'Amour, mais qui ne peut arriver, s'il n'y a pas correspondance.
Autant le sourire est puissant s'il est reçu, autant il ne peut rien s'il rencontre un visage fermé. Gardez cette image du sourire qui est la seule image véritable de la Puissance divine. Vous comprendrez que Dieu soit à la fois source de toute vie et qu'il soit le Dieu crucifié : Il donne sa vie et Il meurt."7

Notre vie doit atteindre à la joie :

« Il importe essentiellement à la réalisation de notre mission [de Chrétien] d'en faire une moisson de joie, de joie pour les autres d'abord, bien sûr, de joie pour Dieu, au premier chef, et de joie pour nous. Puisque le testament de Jésus est un testament de joie, ses intentions ne seront réalisées que si notre vie atteint à la joie. »8

Le plus grand miracle est la joie donnée :

« Le plus grand miracle, c'est peut-être de donner la joie à un être qui a de la peine. C'est le seul miracle que Dieu attende de nous : la diffusion de la joie, réalisant cet admirable conseil de Verlaine : "Rien n'est meilleur à l'âme que de faire une âme moins triste."»9

Béatitude, une joie intérieure déjà présente non un futur hypothétique :

"La béatitude n'est pas quelque chose dans laquelle on entre mais quelque chose en soi, comme le fruit mûr de l'activité humaine : le ciel est intérieur. Tous les espoirs qui luisent à l'horizon de l'âme ne sont pas un terme extérieur vers lequel on s'applique et pour lequel on travaille afin d'obtenir la récompense : le ciel. Il faut se défaire de cette idée et s'apercevoir que le ciel est déjà là et, si vous n'arrivez pas encore à l'atteindre, c'est que vous n'êtes pas au sommet de votre activité la plus divine." 10

Joie d'exister :

"Pour l'instant, il pourra nous suffire de retenir que la joie d'exister est la première joie, qu'elle est le lien fondamental du vivant avec soi et que toute joie est, vraisemblablement, l'écho ou l'orchestration de ce premier accord11."

Joie des chercheurs cheminant vers le "pays de la vérité" :

« On s'émerveille de la science toujours en mouvement de leurs auteurs, de leur patiente érudition, de leur probité dans la confession de leurs erreurs, de leur dépouillement devant l'objet en lequel ils s'effacent, de leur immortelle jeunesse dans l'ardeur avec laquelle ils poursuivent, chacun à sa manière, leur inépuisable itinéraire vers " le pays de la vérité".

" Le pays de la vérité", notre vraie patrie , c'est vers lui qu'ils aspirent, vers lui qu'ils nous conduisent par cette traction qui les entraîne, de la circonférence où leurs disciplines se segmentent, vers le Centre où éclate pour tous "la même joie de connaître", dans la communion avec cette Présence qui est la Vérité en Personne, que nul ne peut dire mais que chacun reconnaît, dès qu'empli de sa lumière, il devient libre de soi.
Les livres, je leur dois cette conversation qui ne lasse ni ne blesse jamais, ce besoin de silence qu'ils nourrissent, ce tranquille bonheur qui n'est pris à personne, ce stimulant indispensable qu'ils ne cessent d'offrir à ma pensée et, dans les heures tragiques, la présence de l'éternel, dont ils sont la quête et le signe.

Je sais qu'il y a des livres qui ne valent pas d'être lus. Nul ne nous contraint à les lire et cela suffit pour échapper à leur impuissante intrusion dans un monde d'où le silence les rejette.
Mais il y a tant d'autres, capables de nous enrichir, que j'ai toujours trouvé en eux, quand l'humanité devenait folle, la force d'espérer et de croire, malgré tout, en l'homme, à cause de ses meilleurs d'entre nous qui, au-delà d'un absurde carnage, ne cessaient d'orienter nos regards et nos efforts vers " le pays de vérité".»12

Joie de cette liberté qui est de ne plus être quelque chose mais être quelqu'un :

"[La liberté] a ses racines dans l'homme en tant qu'homme. Elle signifie qu'il peut cesser d'être quelque chose pour devenir quelqu'un, que sa vocation est de ne rien subir et, d'abord, de ne pas se subir en se laissant dominer par son "moi" possessif et animal. Seul, de tous les vivants, il est dans "sa nature" de dépasser "sa nature", ce que sa naissance le fait, pour devenir ce qu'il se fait13.

Mais [...] c'est uniquement par le don de soi, par cette offrande de tout lui-même qui constitue le "moi oblatif", qu'il accède vraiment à soi, qu'il devient une personne, en s'affranchissant de toutes ses dépendances par l'amour qui les assume, qu'il recrée, en un mot, soi et tout.

La portée humaine de la dogmatique chrétienne, c'est justement, qu'elle identifie la vie divine elle-même avec ce mouvement oblatif qui donne seul sens à la liberté en en faisant une dignité - c'est-à-dire une suprême valeur - par cette radicale désappropriation que l'Evangile nomme l'esprit de pauvreté.

C'est sur cette désappropriation de soi, sur cette pauvreté selon l'esprit que se fondent tous les droits de l'homme. Parce que l'homme n'atteint à soi qu'en se déprenant de soi - en passant du "moi-chose" au "moi-personne" - , il est indispensable pour que le "moi possessif" puisse "décrocher", que la vie biologique [tout ce que l'homme tient de sa naissance et non de soi], dont il émane [...] n'ait pas à le mobiliser [...] pour sa propre défense. On ne peut attendre d'un homme qui se noie qu'il pense à se faire homme. Que l'on mette d'abord tout en œuvre pour le sauver et il reconnaîtra plus aisément, dans le prix que les autres attachent à sa vie, la valeur qu'elle doit devenir entre ses mains.

De cette valeur[...], il peut seul être l'arbitre et l'auteur14, puisqu'elle se constitue par la désappropriation oblative qui est la seule dimension d'être qu'il puisse réellement tenir de soi. Mais comment prendrait-il conscience d'un appel à une création personnelle qui conditionne sa dignité, s'il est réduit à l'état de chose par l'exaspération de ses besoins organiques continuellement frustrés ?

C'est justement pour préserver, en chacun, la possibilité de l'offrande créatrice où il devient l'origine de soi que la notion de droit s'est peu à peu imposée comme le respect de l'exigence humaine à laquelle chacun doit pouvoir satisfaire, pourvu qu'on lui assure les conditions de sécurité sans lesquelles il est pratiquement impossible de l'accomplir. C'est ce que nous avons exprimer en définissant le droit – en tant qu'il résulte nécessairement de la reconnaissance d'une dimension humaine à tout le moins possible en chacun – comme un espace de sécurité qui cautionne et conditionne l'espace de générosité que chacun est appelé à devenir.

Refuser à quiconque un tel droit , c'est lui dénier la qualité d'homme, le revendiquer pour soi c'est le revendiquer pour tous, puisqu'il garantit uniquement en chacun, la possibilité d'une désappropriation oblative, dont il est évidemment impossible de s'attribuer le monopole."15

Dignité de l'homme : la joie d'être le créateur de son destin:

«  La dignité d'un homme est de ne pas subir son destin mais d'en être l'origine et le créateur, d'y pouvoir consentir, à tout le moins, pour des motifs auxquels il peut accorder un assentiment convaincu. »16

Une économie au service de l'humain :

" L'économie au service de l'humain, peut-on nourrir ce rêve fou ? La liberté devenant pour chacun la chance de se libérer de soi au profit de tous, est-il absurde de l’espérer ? La Cité mettant tout en œuvre pour offrir à chaque citoyen la possibilité de se faire homme, ne serait-ce pas la naissance, enfin, d'une vraie démocratie ?
Mais où sont les écoles qui se proposent une telle fin, les entreprises qui s'en inspirent, les homme politiques qui lui subordonnent réellement leurs décisions ?
L’Église, par sa structure même, pourrait montrer le chemin si elle recouvrait en chacun de nous son vrai visage, si nous renoncions à être des parasites pour devenir des créateurs, si nous croyions vraiment que le Royaume de Dieu est, en chacun, l'espace de générosité – qu'il faut préserver à tout prix – où passe l'axe de l'univers dont nous avons la charge et d'où sourd l'hymne à la joie."17

Dieu ressuscite et l’homme naît :

« Que sont les cathédrales auprès d’un visage qui laisse transparaître la lumière où l’homme naît à soi, en nous introduisant silencieusement dans l’espace où sa libération s’accomplit ?
Chaque visage suscite en nous, secrètement, cette attente. Nous épions le moment où il sera enfin lui-même, dégagé de tous les masques qui l’aliènent à soi.

Et il n’y a pas de joie plus grande que de vivre la transfiguration qui en fait soudain une présence infinie, où deviennent sensibles, tout à la fois, la réalité divine et la réalité humaine.
En vérité, dans le champ de notre expérience, nous ne connaissons pas de révélation plus émouvante et plus convaincante que celle qui nous amène à murmurer au plus intime de nous, devant un visage qui naît à soi : voici l’homme et voici Dieu.

Toute l’aventure humaine, n’est-ce pas, dans les mots les plus simples, d’émerger « de quelque chose en quelqu’un », en organisant le monde pour que la chance de cette transmutation créatrice soit offerte à chacun ?

L’hymne à la joie, si aucune voix n’y doit manquer, ne peut jaillir qu’à ce prix. Mais cela exige de chacun la plus longue patience et la plus radicale désappropriation.
« Que votre amour, écrit Nietzsche, soit de la pitié pour des dieux souffrants et voilés. ». Cette petite phrase nous hante. Aucune parole de lui, aussi bien, ne rend un son plus chrétien.

« La Création gémit dans les douleurs de l’enfantement » nous dit Saint-Paul. Le vrai monde n’est pas encore. C’est à nous de le faire « en nous faisant », ici, maintenant. Mais, tant que nos désordres l’empêchent de surgir, Dieu ne peut qu’y apparaître « souffrant et voilé ».

Le mot de Nietzsche nous aide à entrevoir ce que peut signifier la compassion de saint François pour l’Amour crucifié qui saigne dans ses stigmates. Si Dieu est fragile et désarmé devant la brute qu’est tout homme qui reste captif de son animalité, s’Il agonise dans les vies qui refusent de vivre humainement, l’amour qui perçoit la dimension divine du drame qui se joue en nous, s’applique, en assumant la passion divine, à décrucifier Dieu. C’est par là qu’il prend la mesure de l’homme et du monde qui est à l’échelle de la Croix où Dieu meurt par l’homme et pour lui.
Et quand le poverello descend de l’Alverne, en cachant les plaies qu’a imprimées en lui son extase, il apporte à ses frères la joie qui chante dans le Cantique du Soleil, la plus haute joie : qui est la joie pascale.
Dieu ressuscite et l’homme naît. »18

Conclusion :

« Le bien n’est pas quelque chose à faire mais Quelqu’un à aimer. »19

« La vérité c’est qu’une vie authentiquement religieuse, authentiquement spirituelle, c’est-à-dire authentiquement humaine, se mesure au degré de Joie qui habite en cette vie. Tous les discours, toutes les théories, tous les mystères du monde ne sont rien, c’est-à-dire qu’ils demeurent stériles et sans effet, s’ils n’aboutissent pas finalement à la Joie des autres. »20

« Ce que nous voulons retenir de ce contact avec le Dieu de l’Amour et de la Joie, c’est que notre mission est une mission de Joie. Nous n’aurions pas besoin de nous poser d’autre question que celle-là, si pour les autres nous nous efforcions d’être une source de Joie.
Alors nous serons au cœur de l’Evangile, car l’Evangile n’est pas un livre, l’Evangile n’est pas un système du monde, l’Evangile est Quelqu’un, l’Evangile est une Présence, l’Evangile est un cœur, l’Evangile c’est la source de cette Joie immense qui vient de la rencontre avec le Visage imprimé dans nos cœurs, le Visage justement que seule peut nous révéler la Foi à laquelle nous appelle la divine Liturgie, dont le premier mot est justement :
« J’irai à l’autel de Dieu, du Dieu qui remplit de Joie ma jeunesse » (Ps. 43.4) »21


Antoine Schülé,
La Tourette, avril 2009.

1Maurice Zundel : une de ses phrases favorites.
2Jésus version TOB (Jean 15, 11) : " Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite."
3Marc Donzé : Témoin d'une Présence. Ed du Tricorne. T. II. Genève. 1987. p. 178. Retraite donnée à Morges, octobre 1938.
4Idem, p. 176
5Maurice Zundel : Recherche du Dieu inconnu. AMZ. 1986. p. 43-46.
6Idem, p. 177
7Idem, p.177
8Idem, p. 178
9Idem, p. 178
10Idem p. 179
11Note AS : La symphonie de la Création est le résultat de la joie de Dieu : d'où notre ivresse face à la Nature, cette ivresse est notre émerveillement, une forme de joie bien particulière. Maurice Zundel : Hymne à la joie. p.18
12Maurice Zundel : Hymne à la joie. pp. 82-83.
13Note AS : L'homme se construit chaque jour non sans peine mais sa récompense est dans la joie de surmonter les obstacles, fort de cette confiance dans notre espérance d'aboutir, au final, à la Joie parfaite.
14Note AS : C'est ici notre vrai champ de liberté !
15HJ pp. 108-110
16HJ p. 113
17HJ p. 131
18HJ p. 145
19Maurice Zundel : L’Évangile intérieur. Ed. Saint-Augustin. Saint-Maurice. 1991. p. 100
20Ton Visage, ma Lumière : 90 sermons inédits de Maurice Zundel. Desclée. Paris. 1989. p. 386
21Idem p. 387


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