Hildegarde
de Bingen
(1098
– 1179)
les
soins de l’âme et du corps.
Antoine
Schülé , La Tourette, octobre 2018
«Le
corps est l’atelier de l’âme où l’esprit vient faire ses
gammes. »
Hildegarde
« Pour
le service des hommes, ne relâche pas ta plume !
Transcris
ce qu’ont vu tes yeux
et
ce qu’ont perçu tes oreilles intérieures. »
Hildegarde
Bingen , prologue « Le livre des œuvres divines »
Fêtée
le 17 septembre dans notre calendrier romain, Hildegarde de Bingen
est la quatrième femme, déclarée « Docteur de l’Eglise »,
le 7 octobre 2012 par le Vatican. Elle est copatronne de l’Europe,
avec saint Benoît.
Au
XXe siècle en France, ce n’est pourtant pas son œuvre
spirituelle qui a retenu principalement l’attention mais ses écrits
médicaux et ses recettes de cuisine. Les passionnés de musique
religieuse se sont plutôt attachés à ses compositions musicales :
on en compte 77. En Allemagne, avant même d’être sanctifiée,
elle était très connue, en plus, pour ses drames liturgiques (voir
les vices ci-dessous) et ses manuscrits enluminés, selon les visions
qu’elle avait reçues.
Il
m’a paru utile de vous partager mes connaissances sur cette femme
du Moyen Age et extraordinaire à plus d’un titre. Pour bien la
situer, retenons qu’elle vit pleinement selon l’esprit de saint
Benoît et qu’elle a été une abbesse bénédictine.
Avant
d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à vous rappeler que, lors
de notre dernière rencontre, je vous parlais du traité d’Isidore
de Séville (env. 560-636) sur La nature de l’homme où il
écrivait que, je cite : « L’homme
est double, intérieur et extérieur. L’homme intérieur est une
âme, l’homme extérieur est corps. ». Sa
conclusion est qu’il faut harmoniser le corps et l’âme : en
aucun cas, il ne fallait les dissocier.
Les
auteurs
chrétiens proposent une nouvelle anthropologie : oui, une
nouvelle connaissance de l’homme. Ceci est une véritable
renaissance qui
a débuté au XIIe
siècle
déjà, je tiens à le souligner !
A
leur suite, Hildegarde de Bingen veut démontrer qu’il est possible
de reconnaître
Dieu dans la création.
Elle le peut car elle a une profonde connaissance du monde culturel
de son temps. Il vous faut enlever de l’esprit que les moines ou
les moniales n’étaient que des gens ignares, enfermés dans les
cellules d’un cloître. Elle décrit l’harmonie de l’univers
que l’homme doit découvrir pour se transformer intérieurement.
Son intention est double : guider les âmes et régénérer
l’esprit. Elle l’exprime avec clarté et simplicité de la façon
suivante : «Le
corps est l’atelier de l’âme où l’esprit vient faire ses
gammes. ».
Elle
définit la place de l’homme dans le cosmos et dans l’histoire. A
la suite
de saint
Augustin,
elle souligne tous les effets positifs de la venue du Verbe,
autrement
dit Jésus,
en chacun d’entre nous, à la condition que le cœur s’ouvre à
la Parole de Dieu.
Sa
méthode est originale : elle
ne suit pas la théorie platonicienne qui commençait à prendre une
extension dont Platon lui-même n’aurait jamais imaginer les
suites.
Les
disciples de Platon raisonnent
à
l’infini : par
contre,
Hildegarde propose la contemplation
et
nous dit comment ouvrir nos
cœurs,
en nous faisant part de son expérience.
Elle
adopte le langage des images dont
elle a eu non seulement des visions mais, en plus, des explications
qu’elle a entendues et qu’elle se contente de transmettre
fidèlement.
L’homme
se doit de découvrir la Lumière de Dieu pour mieux La regarder et
regarder autour de lui.
Dans quel but l’homme est-il invité à effectuer cette démarche ?
Par la raison et la volonté, l’homme doit prendre
des décisions dans sa vie :
il lui faut donc discerner
le bien et le mal
afin d’agir
dans la volonté de Dieu dont
les fruits sont ou
seront la
beauté, la vérité, l’harmonie et la paix.
Pour
Hildegarde de Bingen, l’homme qui
suit cette voie, devient
ainsi le vêtement de Dieu.
Aussi
pour vous permettre de mieux connaître ou de découvrir son œuvre,
cette
communication se divise en trois parties : 1. Une sagesse
chrétienne, 2. Les soins du corps et
de l’âme,
3. Une musique inspirée.
Une
sagesse chrétienne
L’œuvre
théologique de Hildegarde de Bingen se développe principalement en
trois livres, le premier indique la voie à suivre pour pour
acquérir la sagesse, le deuxième les moyens à appliquer
pour la vivre et le troisième le but qu’il s’agit
d’atteindre :
Le
Scivias ,
titre
généralement traduit par « Connais
les voies du Seigneur »,
a été publié
en 1151, alors qu’elle était âgée de plus de 50 ans.
Le
Liber
vitae meritorum,
c’est-à-dire « Le
livre des mérites de la vie »,
a été rédigé de 1158 à 1163.
Le
Liber
divinorum operum,
« Le
livre des œuvres divines »
constitue son testament spirituel. Elle
a
pris
du temps pour le composer : sa rédaction a commencé en 1163
pour s’achever en 1174.
Je
vous rappelle
qu’elle est
née
à Dieu en 1179 : la
mort est une naissance à Dieu et non une fin, mais ce thème n’est
pas celui de ce jour.
Ces
trois livres ont un point commun : elle décrit et commente ses
visions. Dans quelle condition a-t-elle eu ces visions ? Ce ne
fut ni dans son sommeil, ni dans une extase. Elle voit et entend des
révélations avec ses cinq sens. Chaque
vision a une explication théologique et spirituelle. Aux
admirateurs de la Divine
Comédie
de Dante
(1265-321
et dont je pourrais vous parler si vous le souhaitez),
je signale qu’il est nécessaire de lire Hildegarde de Bingen pour
percevoir combien
elle a pu l’inspirer ou le précéder dans son expérience
spirituelle.
Avoir
des visions, c’est bien. Le besoin de les transcrire et de les
porter à la connaissance des hommes et femmes de son temps ne lui
est pas venu spontanément : ses premières visions,
elle les a eues
à l’âge de trois
ans. Se parents en étaient inquiets : le risque était qu’un
prêtre borné, il
y en a parfois,
y voie l’œuvre
de Diable
et la condamne au bûcher ! Elle
attendit près de 50 ans pour les communiquer et se libérant ainsi
d’une maladie qui provenait de son refus de les diffuser, de
les communiquer à ses contemporains.
Comment
se produisaient ces visions ? Laissons la parole à Hildegarde :
« Chaque
fois que je me mettais à mon pupitre, j’élevais toujours le
regard vers la lumière de vérité et de vie, afin qu’elle
m’instruisit de ce que je devais dire. Tout ce que j’ai écrit en
effet lors de mes premières visions, tout le savoir que j’ai
acquis par la suite, c’est aux mystères des cieux que je le dois.
Je l’ai perçu en pleine conscience, dans un parfait éveil de mon
corps. Ma vision, ce sont les yeux intérieurs de mon esprit et les
oreilles intérieures qui l’ont transmise. J’ai
déjà bien insisté sur ce point lors de mes précédentes visions :
je ne me trouvais absolument pas dans un état de léthargie. »1
Il
est extraordinaire que
l’image qu’elle donne de l’homme (inscrit
dans un cercle)
ressemble
exactement
à
celle que,
bien plus tard, Léonard
de Vinci
(1452-1529) a
rendu si célèbre.
Pour
elle, la devise de St. Bernard : « Credo
ut intellegam. »,
pouvant se traduire par « Je
crois pour que je comprenne. »
est
une base. La
Foi permet de comprendre et n’aveugle pas. La Foi reconnaît les
limites des connaissances humaines et ne cultive pas cet orgueil de
la Science qui croit, quant
à elle,
tout pouvoir
expliquer.
Les meilleurs scientifiques de nos jours reconnaissent que plus leurs
recherches avancent, plus de nouveaux mystères surgissent. Il faut
l’accepter et cette acceptation n’interdit pas la recherche
scientifique
comme
les Bénédictins et de nombreux religieux l’ont démontré.
L’Église devrait mieux parler
des
hommes de sciences qu’Elle a eus,
en son sein !
Il
ne faut pas oublier sa Correspondance.
Elle a échangé des courriers avec toutes
les personnalités de son temps : des évêques, le Pape, st.
Bernard, Frédéric Barberousse. A
quelques-uns, même à l’Empereur, elle
n’hésite pas à faire des remontrances. Elle
donne des éclaircissements
sur le catharisme qui
est né sur les rives du Rhin avant
de
se propager jusque dans le Languedoc et la Provence.
Elle
porte aussi
un
regard extrêmement lucide sur le clergé de son temps. A
leur sujet, son
constat
n’est
d’ailleurs pas toujours
laudatif :
elle stigmatise les fautes du clergé avec une vigueur que je
considère comme absolument nécessaire. Oui, des
hommes du
clergé, qu’il ne s’agit pas de confondre avec l’Église, n’ont
pas toujours fourni des modèles de sainteté et, lorsque je dis
ceci, il ne s’agit pas uniquement de questions de mœurs mais aussi
de comportements comme
de raisonnements qui
souillent la fonction qu’ils exercent et
parfois même la discréditent : ce qui est plus grave.
Pour
que vous puissiez vous faire une idée précise, voici
un extrait de sa lettre citée à Werner von Kircheim, citée dans
le livre du Père Dumoulin. Il
y a divers scandales dans l’Église et je crois que sa lettre du
XIIe
siècle garde une certaine actualité. Hildegarde
fait état d’une vision. Une femme lumineuse lui est apparue :
il
s’agit de Marie qui figure l’Eglise
dont le vêtement a été souillé et dont l’époux est Jésus.
Elle lui dit ceci :
«
‘’Les
stigmates de mon époux demeurent frais et ouverts, tant que sont
ouvertes les blessures des péchés des hommes. Justement le fait que
les blessures du Christ restent ouvertes
est la faute des prêtres. Ils déchirent mon vêtement puisqu’ils
sont transgresseurs de la Loi, de l’Evangile et de leur devoir
sacerdotal. Ils enlèvent la splendeur à mon manteau, parce
qu’ils négligent totalement les règles qui leur sont imposées.
Ils souillent mes chaussures, parce qu’ils ne marchent pas
sur les droits chemins, c’est-à-dire sur les durs et exigeants
chemins de la justice, et ils ne donnent pas aussi un bon exemple à
ceux qui leur sont soumis. Toutefois je trouve en certains la
splendeur de la vérité.’’ [...]»2.
A
la demande des Évêques de son temps, elle - une femme de ce Moyen
Age tant décrié de nos jours par des personnes qui en ignorent tout
-, elle effectue de nombreux voyages de prédication. Ils ont compris
qu’elle est animée par l’Esprit Saint qui lui donne la force de
surmonter les préjugés sur les femmes qui existaient aussi à son
époque. Nous avons là un bel exemple de féminité avec une force
vraiment virile.
Revenons
à ses visions qu’elle nous décrit avec tant de précisions. Les
longues et patientes recherches menées pour les comprendre ont mis
en évidence : depuis l’âge de 5 ans, Hildegarde était
saisie dans une lumière et amenée à une contemplation du monde.
Le
Scivias
A
l’âge de 42 ans, soit en 1141, elle commence l’écriture du
Scivias
qui sera diffusé en 1151. Ce livre ne peut se lire qu’en ayant
sous
les yeux les
35 miniatures qui servent de base à ses commentaires (en
150 000 mots et 235 pages).
Cette
publication reçoit l’approbation de saint
Bernard
qui était pourtant souvent accusé de misogynie.
Son
message essentiel et je vous en offre une petite synthèse car il
serait impossible en une heure de temps de « tout dire » :
L’homme s’est éloigné de Dieu pourtant son Créateur ;
aussi, elle décrit les voies concrètes, du vécu, du quotidien que
l’homme doit - en totale liberté - choisir et discerner pour
retourner vers son Créateur. Il y a donc un appel double : à
l’intelligence et à la volonté de l’homme.
L’intelligence pour discerner le mal du bien, le vrai du faux et
non pour abdiquer ses facultés de raisonnement. Oui, la volonté car
savoir ne suffit pas, encore faut-il agir, oser agir
et pour ce faire, il faut de la volonté.
Elle
traite de 26 visions et gardons l’image de l’arbre de vie en
tête, avec ses racines, son tronc et ses fruits : 6 visions traitent
du temps avant la venue du Christ (la Création, la Chute), les
racines ; 7 visions traitent du Christ et de l’Église, le
tronc ; 13 visions, de la vie de l’Église s’inscrivant dans
l’histoire, les fruits.
Sa
contemplation du livre de la Genèse compte quelques éléments
que je tiens à vous signaler et sur lesquels je vous invite à
réfléchir par vous-même. Dieu a fait l’homme à partir de la
terre. Par contre, la femme, Eve, a été créée à partir de la
chair d’Adam : de sa côte, de celle qui est proche du cœur.
Dieu a pris la condition d’homme, en la personne de Jésus en
prenant chair de Marie, une femme. Ces signes de Dieu sont
signifiants et il m’a fallu lire Hildegarde pour percevoir toute
l’importance de ces signes.
Actuellement
c’est la puissance de ses images, les
enluminures,
qui retiennent
le plus l’attention. Ce qui déconcerte le lecteur contemporain,
c’est son langage symbolique. D’un point
de vue théologique, elle nous
offre un merveilleux catéchisme
où
il est question de tant de thèmes que tout chrétien devrait
approfondir : la
Trinité, le
Christ, le
Salut de l’Église et
la
Fin des temps.
Tout
ceci pour préconiser une conséquence logique : un code de
conduite pour agir dans les voies de Dieu. Nous pouvons appeler ceci
une morale, même si le mot donne de l’urticaire à certaines
personnes. Hildegarde de Bingen exalte les vertus. Elle parle comme
un prophète audible encore en ce XXIe
siècle. Elle donne un enseignement qui garde toute sa valeur. Son
écrit mêle différents genres d’écriture : le style
narratif, le
style
dramatique, des exposés scientifiques et même des poésies
accompagnées de musique
(l’art
lyrique lui est très important
et
je reviendrai sur cet aspect).
Que
retenir sans entrer dans trop de développements ? Hildegarde
aime et chante la vie. Le mot latin qu’elle préfère est
viriditas,
c’est-à-dire fraîcheur,
vitalité
et fécondité
(pas
uniquement biologique mais aussi celle des actes de vie dans le
quotidien).
Son originalité au XIIe
siècle est de proclamer très clairement que la santé se décompose
en trois constituants indissociables : la santé physique, la
santé psychique et la santé spirituelle. Il ne lui a pas fallu
attendre Sigmund Freud
(1856-1939) ou Carl
Gustave
Jung
(1875-1961) pour
établir
ce constat et elle
a l’avantage de ne pas
utiliser tout un jargon particulier incompréhensible
pour le grand public.
Elle
vous conduit à une exploration de l’âme par la contemplation et
en prenant pour guide l’Esprit Saint. La finalité de cette
démarche est que nous devenions des coopérateurs de Dieu.
Le
livre des mérites de la vie
Hildegarde
utilise de nombreuses images de la vie animale et j’ai traité
cette approche médiévale lors d’une précédente communication, à
laquelle je vous renvoie. Son enseignement porte sur les vices et les
vertus. Pourquoi ? Elle nous invite à démasquer ces esclavages
intérieurs qui peuvent nous asservir, en décrivant 35 vices.
Le
principal est l’orgueil : Qu’est-ce que l’orgueil ?
C’est accomplir sa propre volonté au lieu d’accomplir la volonté
de Dieu.
Parmi
les vices, je souhaite, en ce jour, en retenir un plus
particulièrement : la lâcheté. Et je reprends le choix
du Père Pierre Dumoulin, auteur d’un ouvrage3
que j’estime être le meilleur pour effectuer une première
approche de la pensée de Hildegarde de Bingen. Il s’agit d’une
image et d’un dialogue entre la lâcheté et la Victoire en Dieu
(donc le courage chrétien), avec une conclusion, une morale de
l’histoire pourrions nous dire. Retenez aussi que les sœurs
bénédictines jouaient ces scènes, en costumes adaptés :
théâtre et danse au service de la Foi. Voici quelques extraits qui
vous permettront de vous faire une idée plus précise :
[Image] 4:
«La
lâcheté a une tête humaine, mais son oreille
gauche est comme celle d’un lièvre et lui couvre la tête, elle a
un corps de ver lové dans son trou.
[Dialogue] :*
Lâcheté : Je
ne prendrai aucun risque, de peur d’être exilée et privée de
protecteur. Si je m’exposais aux offenses des autres, je perdais
mes moyens d’existence et serais privée de mes amis. J’honore
les nobles et les riches, je ne m’occupe pas des saints et des
pauvres, puisqu’ils ne peuvent rien me donner. Je veux être en
paix avec tous pour ne pas risquer de périr. Si je me battais, on
riposterait ; si je faisais du mal, on m’en ferait encore
plus. Je me tiendrai donc tranquille : qu’on me fasse bien ou
mal, je me tairai. Il vaut mieux parfois pour moi mentir et tromper
que dire la vérité ; il vaut mieux gagner que perdre et éviter
les forts que les combattre. A quoi bon entreprendre ce que je ne
pourrai ne pas achever ? […]
Victoire : « En
divagant, abrutie par la peur, tu es partie en exil et tu as trompé
l’homme… Tu n’as aucun honnêteté. Moi, je tiens le glaive des
vertus de Dieu avec lequel je pourfends les injustices… Je ne veux
pas d’une vie croupissant dans la poussière et les vanités de ce
monde, mais je désire venir à la source jaillissante… Je combats
le vieux serpent et ses dépouilles avec le Mystère de la Divine
Écriture pour rester dans le vrai Dieu... »
[Morale]
-
La lâcheté suit la dureté comme une vilaine tache. L’homme lâche
ne veut pas s’opposer aux vices, mais les attire par sa paresse.
Les imbéciles, dans leur insignifiance, se croient honnêtes alors
qu’ils aiment l’oisiveté, ne pensent à faire aucun bien, mais
se tournent vers la médisance, s’attachent lâchement aux
insinuations et aux calomnies au point que cela occupe complètement
leur cœur. Ils échangent la confiance qu’ils devraient avoir en
l’aide de Dieu et des hommes contre les saletés de leur
plaisir. »5
Vous
avez l’exemple de propos virils, prononcés par une femme et qui
témoignent de son expérience et de la vie, et des hommes. Oui, la
lâcheté est un vice encore trop commun de nos jours : notre
Église peut en mourir, si trop de Chrétiens ne réagissent pas
en se confiant à Dieu et en ayant le courage de vivre leur Foi en
actes et en paroles ! Nos sociétés n’osent plus reconnaître les
origines de leurs maux pour réagir sainement : par lâcheté.
Dans certaines familles, il y a des refus de reconnaître des
vérités : par lâcheté. Au final, le lâche se pourrit la vie
qui devient ainsi tragiquement inutile.
Ces
vices entraînent des tares physiques. Il donc nécessaire de
pratiquer des vertus pour soigner l’homme. Évidemment je précise
tout de suite que Hildegarde n’affirme jamais que la maladie soit
une punition de Dieu mais que la maladie peut être un signe de Dieu.
La maladie peut être aussi une occasion de redécouvrir Dieu.
Hildegarde a été malade car elle voulait taire ses visions :
elle fut guérie quand elle a accepté de les faire connaître.
Je
signale d’ailleurs que bien des médecins actuels affirment avec
raison que le corps somatise des évènements de la vie alors que
nous ne les avons même plus en mémoire : l’inconscient
existe, il n’est plus nécessaire de le démontrer. Retenez qu’au
XIIe siècle une femme, bénédictine le disait
déjà, certes pas avec nos mots mais avec des exemples concrets
!
Les
vertus sont enseignées par Dieu non par des lois, des théories, des
raisonnements purement intellectuels : Dieu s’est fait homme
par le Christ qui a enseigné par sa vie, par des actes qui
correspondaient à ses paroles. Il y a tant de personnes qui
dissertent, parlent d’abondance mais qui trahissent les mots de
leur bouche par les maux de leurs actes ! L’histoire comme
l’actualité en donnent tant d’exemples !
Cultiver
les vertus, c’est retrouver la vraie nature de l’homme qui est
d’être, et non de paraître, un véritable enfant de Dieu.
Cultiver
les vertus, même dans les vices du monde et malgré eux, exige aussi
du courage : au final, dans cette vie promise après la vie
terrestre, et à laquelle je crois, sa vision nous laisse entrevoir
les joies et les beautés que vit le bienheureux, désigné
heureusement non par les hommes mais par Dieu.
Le
livre des œuvres divines
Je
vous l’avoue, c’est mon livre préféré et c’est celui qui m’a
incité, il y a plus de trente ans maintenant, à étudier son œuvre.
Elle y commente 10 visions.
Hildegarde
l’a achevé cinq ans avant sa mort. Il est magnifique car c’est
une invitation pressante à contempler la puissance de Dieu
dans Ses Œuvres, dans Sa Création. L’homme, et j’entends bien
sûr la femme aussi bien que l’homme, doit contempler les
merveilles de Dieu dans notre univers, dans notre cosmos, dans notre
quotidien pour découvrir ou prendre conscience de l’agir de
Dieu. Ainsi quand je vois un beau panorama, une personne
belle par ses qualités morales, j’admire l’œuvre de Dieu dans
la nature, dans autrui. Malheureusement, il me faut subir le laid ou
l’image inverse de Dieu, qu’il est possible d’appeler le Diable
(oui, il existe, n’importe qui peut le rencontrer) : la rose
humaine n’est jamais sans les épines des vices.
Mieux
que des commentaires ou des synthèses, un extrait de son écrit vous
permettra de bien comprendre sa pensée. Il faudrait analyser tout
l’extrait et, si vous le souhaitez, nous pourrions le faire en une
autre réunion.
Écoutez
plutôt :
«103
[...] L’âme certes n’est ni chair ni sang, mais elle
emplit et la chair et le sang, pour leur donner la vie, car,
raisonnable, elle est issue de Dieu qui a insufflé la vie à la
forme première. L’âme et le corps sont donc l’œuvre
unique d’une double nature. Au corps de l’homme, l’âme
apporte l’air pour la pensée, la chaleur pour la concentration, le
feu quand il s’agit d’assimiler et l’eau quand il s’agit de
transmettre, et la viridité pour la germination. Voilà comment
l’homme est composé depuis le début de son institution, en haut
comme en bas, autour de lui et à l’intérieur : partout, il
est corporel. Telle est sa nature.
104-105
Or lorsque l’homme accomplit des œuvres
justes, les éléments suivent aussi des voies justes. Dans le cas
contraire, l’homme est dominé par les éléments et par le
douloureux châtiment qui les accompagne. Le corps agit en effet avec
l’âme conformément à la volonté de ses désirs, et Dieu juge
l’homme d’après ses œuvres, pour la vie ou pour la peine. L’âme
pénètre tout le corps par ses pensées, par ses paroles, par ses
soupirs, comme le vent pénètre tous les recoins d’une maison.
Dans l’homme, pendant cette coopération, le corps est pesant, et
il occupe un lieu déterminé, il ne peut se lever de terre. Mais
lorsque le corps et son âme vivante seront renouvelés, après le
dernier jour, il sera léger, il volera comme un oiseau. L’âme
tant qu’elle est dans le corps, sent Dieu, parce qu’elle vient de
Dieu. Mais tant qu’elle accomplit sa tâche dans les créatures,
elle ne voit pas Dieu. Lorsqu’elle aura quitter l’atelier de son
corps et lorsqu’elle sera confrontée à Dieu, elle
connaîtra sa nature et ses anciennes dépendances corporelles. »6
L’âme
est le souffle de Dieu dans le corps qui est constitué de quatre
éléments : terre, eau, feu, air. L’âme régit la pensée
droite mais la liberté est laissée à l’homme de désirer la
voie de Dieu, en faisant le bien et cultivant le beau, ou de la
refuser, en pratiquant le mal et en préférant le laid. Les
Évangiles insistent pour que le Chrétien discerne le vrai du
faux, le bien du mal : il ne peut pas et ne doit y avoir de
confusion possible comme le préconise le relativisme ambiant qui
règne dans toutes les strates de nos sociétés actuelles.
Les
soins du corps et de l’âme
Les
Bénédictins ont réuni de nombreuses connaissances médicales :
leurs livres de santé témoignent d’une curiosité intellectuelle
remarquable. Ils mentionnent des plantes qui ne se trouvent nullement
en Europe mais uniquement en Chine, aux Indes et bien sûr au Moyen
Orient7.
La
bénédictine Hildegarde de Bingen a réuni tout ce savoir et
l’a en plus enrichi par ses visions,
en décrivant les plantes, mais
aussi des pierres,
dons un livre intitulé Physica.
De façon plus originale, elle
a composé une sorte de livre de consultations sur les maladies à
traiter et donc sur les soins
à fournir : Causae
et curae.
C’est
probablement un de ses livres le mieux connu des non chrétiens et
celui qui a fait sa célébrité au XXe
siècle. De
nos jours, il
existe toute une école8
de soins selon les méthodes établies par Hildegarde de Bingen.
Pour
elle, être en bonne santé est garanti si l’on mène une vie
juste. Il
peut y avoir des accidents, des conséquences de la famine ou des
guerres : leur cause ne se trouve pas en Dieu mais dans les
fautes des hommes.
Les
pensées, que nourrit chacun d’entre nous, jouent un rôle
important, voir décisif, sur notre état de santé. Regardez le
visage de celui qui est toujours aigri, rogue et celui qui sourit à
la vie ou aux autres (si les autres ne l’agressent pas bien
entendu).
Elle
attire l’attention que chacun est responsable en premier de sa
santé. Il y a des comportements sains ou malsains (un art de
vivre), une hygiène de vie qui commence par ses façons de boire ou
de manger qui peuvent être bénéfiques ou maléfiques. Il est
nécessaire d’opter pour des habitudes alimentaires modérées et
soigneusement choisies : alors, là, ses conseils sont multiples
et adaptés à chaque type de situation de santé. La pratique du
jeûne peut être une source de guérison en certaines circonstances.
Sa
pratique de la médecine est toujours valable et elle formule
diverses exigences. Le médecin accompagne la guérison dans la
mesure où il connaît son patient : il n’y a pas une seule
médecine pour tous. Elle établit un profil du patient pour adapter
les soins. Quelle modernité ! Je ne suis pas toujours certain
que tous les médecins appliquent ce procédé de nos jours. Il est
plus facile et rapide de rédiger une ordonnance, même de bonne
longueur, que de prendre le temps de comprendre le patient, de
chercher la cause ou les causes.
Un
changement de comportement du malade offre aussi une possibilité de
guérison. En ce sens, elle apporte une réelle contribution à une
saine pratique de la médecine.
Quant
à l’usage des plantes médicinales, elle est très prudente. Leur
emploi peut être parfois dangereux pour la santé. Les plantes
doivent être ramassée et conservées dans de bonnes conditions et
il s’agit de les employer à bon escient, au bon moment et avec de
bons dosages.
Et
je termine cette deuxième partie de cet exposé, en vous citant ce
que Ellen Breindl écrit si bien dans son livre que je vous
recommande :
« Alors
qu’on a tendance aujourd’hui à considérer et traiter isolément
les diverses doléances des patients, Hildegarde examine l’homme
tout entier. C’est-à-dire que la mal de tête n’est pas
simplement expédié par un cachet ; Hildegarde s’enquiert
toujours du « pourquoi » et de la
« cause » : la douleur
vient-elle finalement du cœur ou peut-être même de l’âme ?
Alors que la médecine moderne voit dans le patient surtout la sommes
de ses organes qu’on traite séparément, Hildegarde voit dans le
« patient » l’unité du corps et de l’âme ;
elle associe la guérison de l’âme à celle du corps et
inversement. De ce point de vue, la plante n’est jamais le seul
remède à base naturelle, mais toujours porteuse en même temps de
forces divines. »9
Une
musique inspirée
Ses
visions étaient accompagnées d’une musique qu’elle s’est
contentée de transcrire. Sa musique veut être le reflet de
l’harmonie divine. Plusieurs d’entre vous ont certainement lu des
thérapeutes qui parlent des vertus curatives de la musique10.
Au XIIe siècle déjà, Hildegarde a écrit de belles
pages sur le pouvoir thérapeutique de la musique.
Dans
l’esprit de Grégoire de Nysse (330 env.-env. 395), elle
distingue quatre sortes d’harmonie : harmonie de l’univers ;
harmonie de l’homme en tant qu’ « image »
de Dieu dans la mesure où cet homme applique les vertus ;
harmonie des bienheureux, les élus de Dieu que seul Dieu connaît et
désigne. La musique exprime par des notes le mouvement des âmes :
une musique n’est pas neutre, elle est une voix de l’âme. La
musique est belle quand elle signifie l’harmonie de l’âme avec
l’univers. N’oublions pas que les Psaumes sont chantés à
l’origine : je vous avoue que la musique grégorienne
accompagnant les Psaumes me captive, m’élève vers un autre
monde et ainsi me fortifie.
Hildegarde
parle ainsi de la musique de ses visions :
« Je
vis de l’air éclatant de lumière dans lequel j’entendis,
au-dessus de toutes les images, toutes sortes de musiques
merveilleuses… et de ce concert, comme la voix d’une multitude,
s’organisait en harmonie de louanges sur les degrés du ciel. »11
Mettons-nous
à l’écoute de sa musique qui touche tout l’être en son
for intérieur. Au moyen d’Internet, votre moteur de recherche vous
fournira plusieurs heures de musique hildegardienne. Je vous renvoie
à ma bibliographie ci-dessous pour les références de deux CD
remarquables que je vous conseille vivement d’acheter.
Conclusion
Hildegarde
de Bingen est une contemplative qui conduit à l’action.
Elle
a eu des visions avec ses yeux et ses oreilles
intérieurs.
Elle
nous dévoile une merveilleuse sagesse chrétienne.
Elle
préfère parler avec des images plutôt que de discourir en de longs
raisonnements.
Elle
cultive un profond respect des personnes mais qui ne doit pas
empêcher de dire ce qu’il faut corriger, que ceci plaise ou
déplaise, ceci n’est pas son affaire.
Son
originalité est d’avoir illustré par ses visions
une nouvelle
théologie du salut :
l’homme est
sauvé par la
contemplation de œuvres divines en lui, autour de lui et dans
l’univers (l’harmonie
parfaite).
L’âme
est le souffle de Dieu. Si le corps écoute l’âme, il y a une
harmonie et donc la santé ; si la volonté humaine, toujours
libre, refuse la Parole de Dieu, il y un mal qui peut être en plus
corporel.
Elle
souligne la féminité du Christ car Jésus nous promet une
renaissance à celle ou celui qui marche selon la voie qu’Il a
indiquée Lui-même, lors de son passage terrestre en acceptant de
prendre la condition d’homme. Pour elle, le sang du Christ est le
lait des Chrétiens : image plus parlante à ses yeux que la
source d’eau vive. Un Chrétien renaît par le baptême :
l’eau du baptême succède à l’eau matriciel pour un nouvel
enfantement spirituel. Ensuite, le Chrétien doit ou devrait grandir…
Son aventure terrestre ne fait que commencer : le chemin du
Christ n’est pas facile et peut susciter la haine des autres...
Avant
de vous laisser poser d’éventuelles questions, il me faut vous
proposer une bibliographie utile pour toute personne qui désire
s’initier à son œuvre :
Éditions
de ses œuvres :
Les
deux principaux ouvrages en français d’Hildegarde, avant d’en
lire d’autres :
Le
livre des œuvres divines. Ed. partielle de Bernard
Groceix. Albin Michel. 1989.
Scivias :
Ed. Cerf. 1996. 730 p.
Pour
s’initier correctement, le titre à recommander :
Père
Pierre Dumoulin : Hildegarde de Bingen. Ed.
Des Béatitudes. 2012
Pour
aborder l’aspect médical :
Ellen
Breindl : Hildegarde de Bingen. Une vie,
une œuvre, un art de guérir en âme et en corps. Dangles. France.
1994.
et
Dr
. Gottfried Hertzka, Dr. Wigard Strehlow : Manuel
de la médecine de Ste Hildegarde. Résiac. France. 1988
Musique :
Il
existe d’excellents CD, mes deux préférés :
Sequentia :
Chants de l’extase.
Anonymous
4 : The origin of fire.
Sites
Internet :
La
musique de Hildegarde se trouve facilement sur Internet.
Film biographique
:
Herbert
G. Kloiber : Vision,
il existe une version sous-titrée en français de cette production
en allemand.
Conférences
:
voir
sur KTO et les présentations du Père Pierre Dumoulin, Père
François Marxer, Laurence Moulinier, Lorette Nobécourt, Marie-Anne
Vannier et sur You Tube Arnaud Dumouch.
Je
vous remercie pour votre attention et suis à l’écoute de vos
questions éventuelles.
Antoine
Schülé
La
Tourette, 16 octobre 2018.
Contact
: antoine.schule@free.fr
En
cas d’emploi de mon travail, merci de citer la source !
Vous
souhaitez d’autres présentations sur Hildegarde, contactez-moi.
1Hildegarde
de Bingen (trad. de Bernard Gorceix) : Les livre des
œuvres divines. Albin Michel. Paris. 1989. 100 p.
d’introduction et 224 p. Ci-après abrégé LOD. p. 4
2PL
197, 269 s., Dumoulin, p. 39
3Père
Pierre Dumoulin : Hildegarde de Bingen Prophète
et docteur pour le troisième millénaire. Béatitudes. 2012.
308 p.
4Trois
intertitres du rédacteur pour mieux comprendre la méthode.
5Idem,
p. 162.
6LOD
pp. 120-121.
7C’est
par la Perse que ce savoir lointain est parvenu en Occident :
la culture n’avait déjà pas de frontière en ce temps
moyen-âgeux !
8Dont
le siège est à Bâle (Suisse).
9Ellen
Breindl (trad. de l’allemand par Eliane Kaufholz-Mesmer) :
Hildegarde de Bingen, Une vie, une œuvre, un art
de guérir en âme et en corps. Dangles. 1994. 298 p.
10Leon
Bence et Max Méreaux : Musique pour guérir. Van
de Velde. Fondettes (F). 1988. 280 p.
11Hildegarde
de Bingen : Scivias, 13e vision.
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