jeudi 15 septembre 2016

Saint-Gervais 30 200 Eglise paroissiale historique 1. Origines

Eglise paroissiale de Saint-Gervais

Antoine Schülé de Villalba

(1ère partie)
 Les origines

Au nord du Gard Rhodanien, dans la vallée de la Cèze, le village de Saint-Gervais s’est créé autour de son église. Sous des aspects extérieurs modestes, cet édifice réserve des surprises. En observant le passé de ce bâtiment, je vous invite à découvrir la place que le sacré a occupée et occupe dans la vie d’une communauté aux très anciennes origines.

Cette notice n’est pas exhaustive car de nombreuses pistes restent encore à être explorées mais elle constitue une première approche qui peut-être suscitera d’autres recherches.
Ce texte est accompagné de nombreuses notes soit pour expliquer certains mots spécialisés, soit pour citer des sources, soit encore pour donner quelques précisions complémentaires.

Pratiques religieuses antérieures à la chrétienté


Jean – Baptiste Charavel et l’ossuaire de Coste Rigaude

Le sacré est ce qui caractérise l’homme. Sur les crêtes de Saint-Gervais, au néolithique, les habitants d’ici rendaient hommages aux morts de façon particulière : des poteries, des bijoux accompagnaient les défunts dans leur tombe commune. La découverte d’un tumulus néolithique, par Jean-Baptiste Charavel[1], à Coste-Rigaude en témoigne : nous sommes à environ 3500 ans avant Jésus-Christ. Au cimetière communal actuel, une reconstitution est visible sur la tombe du découvreur où il a réuni, en un ossuaire, tous les ossements collectés sur le site[2]. Par contre, tous les objets ont été déposés, à Nîmes, au musée d’Histoire Naturelle[3]. Cependant, il demeure sur notre commune d’autres vestiges à valeur sacrée.

Jupiter


Fragment de la pierre dédiée à Jupiter

Une pierre cubique, tronquée, offre trois faces sculptées : l’une, latérale, présente une roue[4] à six rayons ; la face principale, les serres et le bas des ailes déployées d’un aigle[5] ; la troisième, une coupe devant laisser surgir des flammes, avec - en dessous-  une cavité permettant d’insérer un support[6]. La face arrière ne comporte aucun motif.
Ces figurations ne sont pas sur le même niveau. Il y a un mouvement ascendant depuis la face centrale, l’aigle, vers la gauche jusqu’à la roue et plus haut encore, à droite, jusqu’à la coupe.
Ces attributs sont ceux de Jupiter. Il s’agit soit d’un autel qui lui était dédié[7], soit d’un piédestal supportant sa statue[8]. Le fait que cette pierre soit sectionnée sur sa partie supérieure rend les deux variantes possibles.

Au Jupiter des Romains sont attribuées les mêmes fonctions que le Zeus des Grecs. Initialement, il a été le dieu des phénomènes célestes, de la pluie et de la foudre. En temps de sécheresse, il était invoqué pour envoyer à la terre cette humidité qui féconde. Il a été le dieu invoqué tout particulièrement pour l’agriculture. Cette caractéristique a fait que les Gaulois l’ont facilement adopté comme le dieu des arbres. Les semailles lui étaient consacrées et les principales fêtes de vendanges lui étaient dédiées. Plus tardivement et par similitude, il est devenu le dieu de la fécondité et des familles. Il devint ainsi le protecteur des unions.
Très tardivement, il est devenu le dieu de l’état romain à qui l’on sacrifiait les ennemis pour le remercier de la victoire. A ce moment, il devint aussi le dieu des serments, et, lors d’un acte diplomatique, on lui rendait un sacrifice.
Comme représentant de valeurs morales, il était aussi le dieu de l’hospitalité[9] le dieu purificateur. Dans une perspective religieuse, il était le souverain maître du monde physique et moral ainsi que du passé, du présent et de l’avenir. En raison de ce dernier titre, il était perçu comme celui qui envoie aux hommes les oracles, les songes et les avertissements. Tous les autres dieux lui étaient soumis et c’est pourquoi il était appelé Jupiter Optimus Maximus.

En ce temps où l’on parle du « devoir de mémoire », il convient de ne pas oublier les personnes qui ont péri pour avoir confessé une foi autre que celle prescrite par l’autorité politique en place : leur Foi leur interdisait de sacrifier à des idoles. De même que des saints martyrs sont représentés avec les engins avec lesquels ils étaient suppliciés, de même, il est acceptable de placer dans une église un objet évoquant un culte païen, qui a non seulement une histoire particulière sommairement retracée ci-dessus[10] mais qui témoigne des cruautés, d’origine politique, que toute personne de Foi ou tout simplement éprise d’humanisme ne peut que condamner.

Colonnes romaines

Les deux colonnes centrales du chœur de l’église sont d’origine romaine et ont été réemployées : l’astragale ne fait pas partie du fût mais du chapiteau. Peut-être faisaient-elles partie du temple dédié à Jupiter ? Soit de par et d’autre de sa statue, soit en un temple tétrastyle, c’est-à-dire de quatre colonnes… La question reste ouverte.

Tombes diverses



Sarcophage de pierre et couvercle de sarcophage

Des cippes[11] ou stèles funéraires gallo-romains, des urnes ayant contenu des corps d’enfant, plusieurs tombes du IVe et du Ve siècle[12] révèlent les soins apportés aux sépultures ou aux souvenirs des défunts. Il est surprenant que ces vestiges soient aussi dispersés sur le territoire communal.
Durant ces dix dernières années, le site de la Cave coopérative a révélé une intéressante nécropole mais son étendue est encore plus large : en fait, de la Cave jusqu’à la rue du Presbytère, à l’ouest, et jusqu’au chemin des Boudettes, au nord. Il est possible de conclure qu’en ces temps reculés, le nombre d’habitants était plus élevé que celui de nos jours[13]

Le site de Bayne, lui aussi, a livré de nombreux ossements (de la période romaine) ; de même sous la tour du château (de l’ère chrétienne). Les objets qui accompagnaient les corps de Bayne ont été déposés au Musée archéologique de Nîmes.



Tombe en tuiles plates


Anciennes attestations chrétiennes



 Frise de sarcophage

Deux fragments de sarcophage en marbre sont encastrés sur la façade sud de l’église[14]. Leur découverte date de 1836. Ces vestiges ont été décelés devant la colonne[15], du côté de l’épître, dans le sous-sol de l’église. M. Jean Charmasson[16] a conclu, en comparaison d’un sarcophage similaire se trouvant à Arles, que celui-ci est de 390 après Jésus-Christ. Ce marbre provient de Rome et a certainement transité par Arles avant d’être livré à Saint-Gervais.
Les trois personnages ont des gestes d’orateurs ; des rouleaux de papyrus sont déposés à leurs pieds ; le tout se situe dans un jardin. Le cartouche central est anépigraphe[17] et soutenu par deux anges, distinctement sexués. Au vu des motifs figurant sur la frise de ce sarcophage, il est possible de conclure qu’il a dû être manufacturé pour un docteur de l’église[18].
M. l’Abbé Béraud[19], ne disposant pas des moyens de reproduction et de comparaison existant de nos jours, y avait reconnu une représentation du jardin d’Eden. Cela confirme la thèse qu’un édifice religieux a existé avant le IXe siècle sur ce site. Ce village a donc connu 1600 ans de vie chrétienne : ce n’est pas négligeable.
Qui a pu être cette personnalité religieuse réputée pour son enseignement ? Je n’ai pas la réponse[20]. Plusieurs pistes peuvent être utiles à son identification. A la fin du IVe siècle, il n’y en avait pas en grand nombre. Au fort de Salses, une ancienne carte mentionne le nom de Ferrare pour le village de Saint-Gervais alors que les communes environnantes sont désignées comme de nos jours. Un lieu-dit, à l’est de la commune, s’appelle Saint Roman. A proximité, à l’est de la frontière communale, à Haut-Castel, la chapelle de Saint Victor de Castel possède encore de beaux vestiges. Haut-Castel a été un des lieux habités antérieurement au village que nous connaissons de nos jours[21] et qui fut réoccupé par les habitants de Saint-Gervais lors des Grandes Invasions.

Sur ce même mur sud de l’église, se trouve une stèle funéraire romaine[22] qui n’a aucun rapport avec la frise de sarcophage. Elle est du second siècle de notre ère et porte l’inscription suivante : DIIS MANIBUS MARCI VINICII VOLTINIA JULIANI, ce qui signifie : Aux dieux mânes de Marcus Julianus Vinicius[23], de la tribu de Voltinia Juliani.





Stèle Marcus Vinicius

Le deuxième élément ayant trait aux antiquités chrétiennes de la commune est actuellement introuvable[24]. Heureusement, il subsiste une photographie due à M. l’Abbé Béraud. Il était encastré dans un des murs de la maison des Soeurs Trinitaires[25], située au sud de l’église. Une orante, les mains ouvertes vers l’extérieur, à hauteur du cœur, est représentée portant un voile et une robe avec de beaux drapés. Cette œuvre du début du Ve siècle atteste une grande maîtrise de son créateur. Ce témoignage d’une spiritualité exercée par une femme apporte un éclairage intéressant sur notre passé paroissial.



L’orante[26]




Agrandissement de la figure


Fin de la première partie, vous êtes invité(e)s à lire les deux qui suivent.

Antoine Schülé

La Tourette, juillet 2004
Contact: antoine.schule@free.fr



[1] En mai 1937. Il serait utile de revoir la datation des objets trouvés en fonction des nouvelles découvertes réalisées dans la région.
[2] Je profite pour rappeler que des ossements humains de personnes ayant existé il y a plusieurs centaines ou milliers d’année ont droit au même respect que ceux de notre siècle. Il est particulièrement pénible, pour ne pas dire plus, de découvrir dans des décharges à ciel ouvert des vestiges humains.
[3] Boulevard Amiral Courbet : une vitrine leur est consacrée.
[4] C’est le symbole de l’infini recommencement, du cycle de la vie et des saisons. Au Moyen Age, la roue sera un symbole souvent repris avec plusieurs sens dont celui de la représentation solaire : la Nouvelle lumière christique.
[5] Symbole à la fois céleste et solaire : pour de nombreuses religions, il représente les états spirituels supérieurs. Pour les Chrétiens, il sera le monde des anges et il sera le symbole de l’apôtre Jean, l’Evangéliste transmettant « la Parole, lumière des hommes »
[6] De torche ou d’une lampe probablement.
[7] C’est la variante privilégiée par l’archéologue Jean Charmasson. Elle se serait trouvée à l’extérieur et devant le temple dédié à Jupiter.
[8] Comme le Jupiter Verospi se trouvant au Vatican : le dieu est assis sur un aigle et tient la foudre d’une main.
[9] « Jupiter, car c’est toi qui assures les droits des hôtes… » (Enéide, I, v. 731)
[10] Et dont quelques éléments ont été intégrés et renouvelés par le christianisme.
[11] Le cippe est une colonne.
[12] Celles-ci ont été réutilisées à plusieurs reprises jusqu’au IXe siècle.
[13] 720 habitants.
[14] Ils sont exposés aux intempéries, aux véhicules mal parqués et aux actes de vandalisme. Ils mériteraient une meilleure protection.
[15] Celle proche du chœur, du côté de l’actuelle chapelle de la Vierge.
[16] Consulter son étude dans les Cahiers du Gard Rhodanien n° 57, 1996, p. 3-23. Il traite aussi de l’orante dont il sera fait mention ultérieurement.
[17] C’est-à-dire ne comportant pas d’inscription.
[18] J’imagine que, si cela avait été un évêque, son nom serait resté à la postérité !
[19] Historien local (il a desservi la paroisse dans les années 1930) qui a fait état des connaissances de son temps : il a eu le mérite d’initier des recherches historiques qu’il convient de faire progresser !
[20] Et je remercie toute personne qui pourrait me fournir des éléments pour l’identifier.
[21] Et dont la création est romaine selon Jean Charmasson.
[22] Corpus, t.XII, n° 2735 ; Histoire générale du Languedoc, t. XV, p. 1010, n° 1597.
[23] A la vue de ce nom, comment ne pas se rappeler le célèbre récit de Quo vadis ? Marcus Vinicius est le nom du héros de ce roman, écrit par le Polonais Henryk Sienkiewicz, prix Nobel de littérature en 1905. Dans le film célèbre du même nom, il est incarné par Robert Taylor. Personne n’oublie la scène finale où Lygie part avec Marcus, loin de Rome, en compagnie du jeune Nazaire qui avait été le compagnon de Saint Pierre…Qu’il serait tentant de les faire venir à Saint-Gervais !
[24] Toue personne pouvant permettre sa redécouverte est invitée à le faire. Nous voudrions en faire au moins un moulage.
[25] Qui ont beaucoup œuvré pour la vie sociale de la commune : soins médicaux, enseignement gratuit.
[26] 1 Timothée 2.8 : Ainsi donc je veux que les hommes prient en tout lieu, élevant vers le ciel des mains pieuses, sans colère, ni dispute.

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