Eglise
paroissiale de Saint-Gervais
Antoine
Schülé de Villalba
(1ère
partie)
Les
origines
Au nord du Gard Rhodanien, dans la vallée de la Cèze, le
village de Saint-Gervais s’est créé autour de son église. Sous des aspects
extérieurs modestes, cet édifice réserve des surprises. En observant le passé
de ce bâtiment, je vous invite à découvrir la place que le sacré a occupée et
occupe dans la vie d’une communauté aux très anciennes origines.
Cette notice n’est pas exhaustive car de nombreuses
pistes restent encore à être explorées mais elle constitue une première
approche qui peut-être suscitera d’autres recherches.
Ce texte est accompagné de nombreuses notes soit pour
expliquer certains mots spécialisés, soit pour citer des sources, soit encore
pour donner quelques précisions complémentaires.
Pratiques religieuses antérieures à la chrétienté
Jean
– Baptiste Charavel et l’ossuaire de Coste Rigaude
Le sacré est ce qui
caractérise l’homme. Sur les crêtes de Saint-Gervais, au néolithique, les
habitants d’ici rendaient hommages aux morts de façon particulière : des
poteries, des bijoux accompagnaient les défunts dans leur tombe commune. La
découverte d’un tumulus néolithique, par Jean-Baptiste Charavel[1],
à Coste-Rigaude en témoigne : nous sommes à environ 3500 ans avant
Jésus-Christ. Au cimetière communal actuel, une reconstitution est visible
sur la tombe du découvreur où il a réuni, en un ossuaire, tous les ossements
collectés sur le site[2].
Par contre, tous les objets ont été déposés, à Nîmes, au musée d’Histoire
Naturelle[3]. Cependant,
il demeure sur notre commune d’autres vestiges à valeur sacrée.
Jupiter
Fragment
de la pierre dédiée à Jupiter
Une
pierre cubique, tronquée, offre trois faces sculptées : l’une, latérale,
présente une roue[4] à
six rayons ; la face principale, les serres et le bas des ailes déployées
d’un aigle[5] ;
la troisième, une coupe devant laisser surgir des flammes, avec - en dessous- une cavité permettant d’insérer un support[6].
La face arrière ne comporte aucun motif.
Ces
figurations ne sont pas sur le même niveau. Il y a un mouvement ascendant
depuis la face centrale, l’aigle, vers la gauche jusqu’à la roue et plus haut
encore, à droite, jusqu’à la coupe.
Ces
attributs sont ceux de Jupiter. Il s’agit soit d’un autel qui lui était dédié[7],
soit d’un piédestal supportant sa statue[8].
Le fait que cette pierre soit sectionnée sur sa partie supérieure rend les deux
variantes possibles.
Au
Jupiter des Romains sont attribuées les mêmes fonctions que le Zeus
des Grecs. Initialement, il a été le dieu des phénomènes célestes, de la pluie
et de la foudre. En temps de sécheresse, il était invoqué pour envoyer à la
terre cette humidité qui féconde. Il a été le dieu invoqué tout
particulièrement pour l’agriculture. Cette caractéristique a fait que les
Gaulois l’ont facilement adopté comme le dieu des arbres. Les semailles lui
étaient consacrées et les principales fêtes de vendanges lui étaient dédiées.
Plus tardivement et par similitude, il est devenu le dieu de la fécondité et
des familles. Il devint ainsi le protecteur des unions.
Très
tardivement, il est devenu le dieu de l’état romain à qui l’on sacrifiait les
ennemis pour le remercier de la victoire. A ce moment, il devint aussi le dieu
des serments, et, lors d’un acte diplomatique, on lui rendait un sacrifice.
Comme
représentant de valeurs morales, il était aussi le dieu de l’hospitalité[9]
le dieu purificateur. Dans une perspective religieuse, il était le souverain
maître du monde physique et moral ainsi que du passé, du présent et de
l’avenir. En raison de ce dernier titre, il était perçu comme celui qui envoie
aux hommes les oracles, les songes et les avertissements. Tous les autres dieux
lui étaient soumis et c’est pourquoi il était appelé Jupiter Optimus Maximus.
En
ce temps où l’on parle du « devoir de mémoire », il convient
de ne pas oublier les personnes qui ont péri pour avoir confessé une foi autre
que celle prescrite par l’autorité politique en place : leur Foi leur
interdisait de sacrifier à des idoles. De même que des saints martyrs sont
représentés avec les engins avec lesquels ils étaient suppliciés, de même, il
est acceptable de placer dans une église un objet évoquant un culte païen, qui
a non seulement une histoire particulière sommairement retracée ci-dessus[10]
mais qui témoigne des cruautés, d’origine politique, que toute personne de Foi
ou tout simplement éprise d’humanisme ne peut que condamner.
Colonnes
romaines
Les
deux colonnes centrales du chœur de l’église sont d’origine romaine et ont été
réemployées : l’astragale ne fait pas partie du fût mais du chapiteau.
Peut-être faisaient-elles partie du temple dédié à Jupiter ? Soit de par
et d’autre de sa statue, soit en un temple tétrastyle, c’est-à-dire de quatre
colonnes… La
question reste ouverte.
Tombes
diverses
Sarcophage
de pierre et couvercle
de sarcophage
Des
cippes[11]
ou stèles funéraires gallo-romains, des urnes ayant contenu des corps d’enfant,
plusieurs tombes du IVe et du Ve siècle[12]
révèlent les soins apportés aux sépultures ou aux souvenirs des défunts. Il est
surprenant que ces vestiges soient aussi dispersés sur le territoire communal.
Durant
ces dix dernières années, le site de la Cave coopérative a révélé une
intéressante nécropole mais son étendue est encore plus large : en fait,
de la Cave jusqu’à la rue du Presbytère, à l’ouest, et jusqu’au chemin des
Boudettes, au nord. Il est possible de conclure qu’en ces temps reculés, le
nombre d’habitants était plus élevé que celui de nos jours[13].
Le
site de Bayne, lui aussi, a livré de nombreux ossements (de la période
romaine) ; de même sous la tour du château (de l’ère chrétienne). Les
objets qui accompagnaient les corps de Bayne ont été déposés au Musée
archéologique de Nîmes.
Tombe
en tuiles plates
Anciennes attestations chrétiennes
Frise
de sarcophage
Deux fragments de
sarcophage en marbre sont encastrés sur la façade sud de l’église[14].
Leur découverte date de 1836. Ces vestiges ont été décelés devant la colonne[15],
du côté de l’épître, dans le sous-sol de l’église. M. Jean Charmasson[16] a
conclu, en comparaison d’un sarcophage similaire se trouvant à Arles, que
celui-ci est de 390 après Jésus-Christ. Ce marbre provient de Rome et a
certainement transité par Arles avant d’être livré à Saint-Gervais.
Les trois personnages ont
des gestes d’orateurs ; des rouleaux de papyrus sont déposés à leurs
pieds ; le tout se situe dans un jardin. Le cartouche central est
anépigraphe[17]
et soutenu par deux anges, distinctement sexués. Au vu des motifs figurant sur
la frise de ce sarcophage, il est possible de conclure qu’il a dû être
manufacturé pour un docteur de l’église[18].
M. l’Abbé Béraud[19],
ne disposant pas des moyens de reproduction et de comparaison existant de nos
jours, y avait reconnu une représentation du jardin d’Eden. Cela confirme la
thèse qu’un édifice religieux a existé avant le IXe siècle sur ce
site. Ce village a donc connu 1600 ans de vie chrétienne : ce n’est
pas négligeable.
Qui a pu être cette
personnalité religieuse réputée pour son enseignement ? Je n’ai pas la
réponse[20].
Plusieurs pistes peuvent être utiles à son identification. A la fin du IVe
siècle, il n’y en avait pas en grand nombre. Au fort de Salses, une ancienne
carte mentionne le nom de Ferrare pour le village de Saint-Gervais alors
que les communes environnantes sont désignées comme de nos jours. Un lieu-dit,
à l’est de la commune, s’appelle Saint Roman. A proximité, à l’est de la
frontière communale, à Haut-Castel, la chapelle de Saint Victor de Castel
possède encore de beaux vestiges. Haut-Castel a été un des lieux habités antérieurement
au village que nous connaissons de nos jours[21]
et qui fut réoccupé par les habitants de Saint-Gervais lors des Grandes
Invasions.
Sur
ce même mur sud de l’église, se trouve une stèle funéraire romaine[22]
qui n’a aucun rapport avec la frise de sarcophage. Elle est du second siècle de
notre ère et porte l’inscription suivante : DIIS MANIBUS MARCI VINICII
VOLTINIA JULIANI, ce qui signifie : Aux dieux mânes de Marcus Julianus
Vinicius[23],
de la tribu de Voltinia Juliani.
Stèle
Marcus Vinicius
Le deuxième élément ayant
trait aux antiquités chrétiennes de la commune est actuellement introuvable[24].
Heureusement, il subsiste une photographie due à M. l’Abbé Béraud. Il était
encastré dans un des murs de la maison des Soeurs Trinitaires[25],
située au sud de l’église. Une orante, les mains ouvertes vers l’extérieur, à
hauteur du cœur, est représentée portant un voile et une robe avec de beaux
drapés. Cette œuvre du début du Ve siècle atteste une grande
maîtrise de son créateur. Ce témoignage d’une spiritualité exercée par une
femme apporte un éclairage intéressant sur notre passé paroissial.
Agrandissement de la
figure
Fin de la première partie, vous êtes invité(e)s à lire les deux qui suivent.
Antoine Schülé
La Tourette, juillet 2004
Contact: antoine.schule@free.fr
[1]
En mai 1937. Il serait utile de revoir la datation des objets trouvés en
fonction des nouvelles découvertes réalisées dans la région.
[2]
Je profite pour rappeler que des ossements humains de personnes ayant existé il
y a plusieurs centaines ou milliers d’année ont droit au même respect que ceux
de notre siècle. Il est particulièrement pénible, pour ne pas dire plus, de
découvrir dans des décharges à ciel ouvert des vestiges humains.
[3]
Boulevard Amiral Courbet : une vitrine leur est consacrée.
[4]
C’est le symbole de l’infini recommencement, du cycle de la vie et des saisons.
Au Moyen Age, la roue sera un symbole souvent repris avec plusieurs sens dont
celui de la représentation solaire : la Nouvelle lumière christique.
[5]
Symbole à la fois céleste et solaire : pour de nombreuses religions, il
représente les états spirituels supérieurs. Pour les Chrétiens, il sera le
monde des anges et il sera le symbole de l’apôtre Jean, l’Evangéliste
transmettant « la Parole, lumière des hommes »
[6]
De torche ou d’une lampe probablement.
[7]
C’est la variante privilégiée par l’archéologue Jean Charmasson. Elle se serait
trouvée à l’extérieur et devant le temple dédié à Jupiter.
[8]
Comme le Jupiter Verospi se trouvant au Vatican : le dieu est assis
sur un aigle et tient la foudre d’une main.
[9]
« Jupiter, car c’est toi qui assures
les droits des hôtes… » (Enéide, I, v. 731)
[10]
Et dont quelques éléments ont été intégrés et renouvelés par le christianisme.
[11]
Le cippe est une colonne.
[12]
Celles-ci ont été réutilisées à plusieurs reprises jusqu’au IXe siècle.
[13]
720 habitants.
[14]
Ils sont exposés aux intempéries, aux véhicules mal parqués et aux actes de
vandalisme. Ils mériteraient une meilleure protection.
[15]
Celle proche du chœur, du côté de l’actuelle chapelle de la Vierge.
[16]
Consulter son étude dans les Cahiers du Gard Rhodanien n° 57, 1996, p.
3-23. Il traite aussi de l’orante dont il sera fait mention ultérieurement.
[17]
C’est-à-dire ne comportant pas d’inscription.
[18]
J’imagine que, si cela avait été un évêque, son nom serait resté à la
postérité !
[19]
Historien local (il a desservi la paroisse dans les années 1930) qui a fait
état des connaissances de son temps : il a eu le mérite d’initier des
recherches historiques qu’il convient de faire progresser !
[20]
Et je remercie toute personne qui pourrait me fournir des éléments pour
l’identifier.
[21]
Et dont la création est romaine selon Jean Charmasson.
[22]
Corpus, t.XII, n° 2735 ; Histoire générale du Languedoc, t. XV, p. 1010,
n° 1597.
[23]
A la vue de ce nom, comment ne pas se rappeler le célèbre récit de Quo
vadis ? Marcus Vinicius est le nom du héros de ce roman, écrit par le
Polonais Henryk Sienkiewicz, prix Nobel de littérature en 1905.
Dans le film célèbre du même nom, il est incarné par Robert Taylor. Personne
n’oublie la scène finale où Lygie part avec Marcus, loin de Rome, en compagnie
du jeune Nazaire qui avait été le compagnon de Saint Pierre…Qu’il serait
tentant de les faire venir à Saint-Gervais !
[24]
Toue personne pouvant permettre sa redécouverte est invitée à le faire. Nous
voudrions en faire au moins un moulage.
[25]
Qui ont beaucoup œuvré pour la vie sociale de la commune : soins médicaux,
enseignement gratuit.
[26]
1 Timothée 2.8 : Ainsi donc je veux que les hommes prient en tout lieu,
élevant vers le ciel des mains pieuses, sans colère, ni dispute.
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