Lectures médiévales de la guerre
Antoine Schülé,
historien.
« […] l’imagination est seigneur et maître
de toutes œuvres bonnes ou mauvaises que l’on fait,
de tout le corps et des membres de l’homme.
Tu sais bien qu’œuvre bonne ou mauvaise, petite ou
grande,
ne se fit jamais sans avoir été d’abord imaginée et
pensée ;
donc elle est maîtresse ;
car selon ce que l’imagination commande,
on fait œuvre bonne ou mauvaise. »[1]
Gaston Phoebus, comte de Foix.
Poésie, récits mythologiques, Ancien et Nouveau Testament,
chroniques, livres de chasse, écrits des Pères de l’Eglise, recueil de
sentences, sermons, chansons de geste, romans, chants et contes sont autant de
moyens fort différents mais complémentaires d’exprimer la guerre sous
différents aspects.
Multiplicité des origines
Les racines de cette littérature médiévale traitant de la guerre sont lointaines et
multiples : elles puisent dans les mythologies et les antiquités grecques
et latines, dans les textes hébraïques de l’Ancien testament[2], notamment
avec les Psaumes[3]
de guerre qui se retrouvent dans un écrit qui leur est antérieur : « Le livre des morts » égyptien[4]. De
plus, nous avons les racines celtiques avec la matière de Bretagne et la Légende arthurienne[5]
mais celles aussi scandinaves avec les sagas, pensons à la Saga de Sigurdr[6]
dont Wagner a donné une lecture, très
éloignée du texte d’origine, avec sa Tétralogie
rendant célèbre Siegfried : le héros vainqueur du dragon protégeant l’or
du Rhin. D’autres sagas du Nord[7]
apportent leurs notes : les beautés sauvages des sagas d’Islande ;
les envolées lyriques de celles de Norvège et de Suède ou encore le sentiment
et le mystère de celles du Danemark. Le
roman d’Alexandre[8]
nous conduit en Inde et a eu un lecteur passionné en la personne de Napoléon
Bonaparte. Des racines orientales, par la Perse, avec des écrits provenant de
l’Inde du IIe s. av. J.-C., ont nourri des écrits catalans (Raymond
Lulle) puis provençaux : les fables animalières sont ainsi nées dans des exempla et un Jean de La Fontaine n’a
pas repris que des fables d’Esope. Ces récits tendent à reculer les frontières
du monde inconnu par l’imagination : le guerrier est ainsi incité à
rechercher l’aventure qui lui permettra d’être un héros dans le respect des valeurs
qui lui ont été inculquées. L’étymologie des noms portés par les héros et
l’étude des noms ethniques et géographiques[9]
apparaissant dans les romans ouvrent le lecteur à une découverte de l’Europe et
de mondes réels lointains ou qui sont supposés exister.
Les
« classiques » et une diffusion européenne
La chanson de Roland[10]
a connu une rapide diffusion : un curé
nommé Conrad, la traduit en latin puis en allemand le Ruolandes-Liet. Dans les pays néerlandais, plusieurs variantes ou
traductions existent. Dans les traditions scandinaves, elle fait corps avec les
vies de Charlemagne : un
compilateur islandais du XIIIe siècle a repris un texte de Roland
proche de celui du manuscrit d’Oxford qui fait référence. Un Danois du XVe
siècle en a livré une version abrégée dans sa Keiser Karl Magnus kronike. Un Roland en version anglaise existe
depuis le XIIIe s. En Italie, les œuvres d’art témoignent, bien
avant les traductions écrites du XIIIe s., de la diffusion orale de
cette chanson par les jongleurs : Roland et Charlemagne y sont des héros
populaires. L’Espagne lui a donné une autre coloration au XIIIe s.,
fierté nationale oblige, dans la Cronica
general d’Alfons X et dans la Chronica
Hispaniae de Rodrigue de Tolède.
Au Moyen Age, la culture française rayonne dans toute
l’Europe et même en Angleterre qui mène déjà une politique défavorable à la
France. En ce qui formera l’Allemagne actuelle, les romans français de
chevalerie sont admirés et recherchés par les acteurs culturels de ce
temps : en témoignent les liens étroits existant entre les Troubadours et les
Minnesänger. Un passeur culturel entre le Sud et le Nord a été Rodolphe de
Fenis, comte de Neuchâtel[11]
(1160-1196) qui connaissait Folquet de Marseille : il a traduit en
allemand la lyrique provençale et romane des années 1180.
La légende du Cid[12]
aura une diffusion
européenne plus tardive : cette chanson de geste espagnole, composée vers
1142, est inspirée de la vie de Rodrigo Diaz (1043-1099), surnommé le Cid Campeador (le chef qui gagne les
batailles). Poème, romances
castillanes et chroniques valorisent ce héros chevaleresque hispanique faisant
contrepoids à Roland. Corneille, en 1636, en donna une nouvelle version française
qui a rendu ce nom célèbre et il y aurait une réflexion à développer sur son
choix du Cid et non de Roland. La légende a permis de sauver ce personnage que
l’histoire avait mis de côté ! De nos jours, La chanson de Roland et le Cid
sont les deux récits restés les plus connus.
Des
« auteurs », des conteurs, des lecteurs et auditeurs.
Cette abondante et diverse littérature médiévale a connu
différentes formes de lectures ou de récitations, selon les époques, de leur
création à nos jours : chacune privilégiant tel ou tel aspect comme les
sentiments, les devoirs, la politique, la religion, l’amour courtois ou
l’érotisme le plus cru[13].
Toutefois, c’est le phénomène guerre qui retiendra notre attention mais en
n’oubliant pas qu’il ne constituait qu’un thème parmi d’autres et surtout mêlé
étroitement aux autres.
Les écrits médiévaux[14]
sont les reflets d’un large espace temps que forme le Moyen Age, du Ve
au XVe siècle ! Les écrivains tentaient de répondre aux
questions et aux attentes d’un large public, fort divers car pas uniquement
constitué de nobles, de seigneurs, de chevaliers ou de clercs mais encore de
paysans, de bourgeois et de personnes d’humbles conditions : l’oralité, à
l’égal de la radio ou de la télévision du XXe s., a ouvert leur
diffusion de façon massive. Les soucis de rhétorique et de didactique de
l’écrivain médiéval rendent leur lecture plus difficile de nos jours mais la
sécheresse de quelques textes n’enlève pas la fraîcheur et la sensibilité du
plus grand nombre d’entre eux. Un flot verbal a parfois nui au lecteur
contemporain mais cela était fort goûté à leur création : les jongleurs
ont transmis des récits qui ont été mis par écrit que bien plus tard et il est
probable que certaines traditions orales aient été perdues. Multiples sont
ainsi les témoignages écrits médiévaux sur le vécu de la guerre qui est louée
lorsqu’elle est juste et qui est condamnée en des termes les plus vifs quand
elle est injuste.
Le Moyen Age ne connaît pas le mot « plagiat » car les imitations ou les
écritures « à la manière de »
sont des pratiques courantes. Pour l’auditeur ou le lecteur médiéval ce n’est
pas le « messager » qui
compte mais le « message ».
En ce temps-là, un « littérateur »
était un professeur de grammaire et un « escrivain » est plus un copiste qu’un auteur : David
Aubert est un « escrivain »
pour Philippe le Bon c’est-à-dire un
remanieur-auteur de textes et il serait plus proche d’un éditeur de nos jours. Pour de nombreuses légendes, nous ne
connaissons que les noms des copistes : par exemple, Turoldus est le
copiste de la Chanson de Roland,
version d’Oxford. La particularité est qu’avant les écrits, il y a eu des
traditions orales avec des variantes régionales. La même tradition orale
connaît plusieurs écritures, adaptations ou encore des continuations ou des
ajouts divers : la particularité est que, sur plusieurs siècles, nous
n’avons pas un texte figé une fois pour toute ; chacun lui donne une vie,
une couleur particulière, sans toujours laisser son nom car l’auteur s’efface
devant une œuvre qui appartient à la mémoire collective. Quelques genèses de
textes, laborieusement établies, ne sont guère plus sûres que certaines
généalogies familiales ! Les romans multiples formant La légende arthurienne[15]
en est le meilleur exemple : des séries télévisées de nos jours
connaissent le même phénomène. Leur succès ne se dément pas encore
actuellement : les aventures de Lancelot, de Gauvain, d’Arthur comme le
personnage de Merlin ont inspiré et inspireront plus d’un film à succès. Des
images fortes prennent encore sens pour le public contemporain. Un aspect non
négligeable est ce que j’appellerais la « plasticité »[16]
de ces récits à tous les temps, depuis leur création. Leur secret est que sans
doute ils parlent encore à l’homme d’aujourd’hui.
Contrairement à notre temps, l’écrit ne prédomine pas au
Moyen Age : l’oralité tient une place primordiale. Les propos se transmettent
de bouche à oreille et ainsi nous sommes plus proches de la tradition des
Celtes dont le savoir se transmettait oralement et jamais par écrit. Il y a eu
d’abord le verbe et ce n’est que plus tard que l’écrit est devenu la mémoire de
l’oral. La transmission du savoir est très physique et nécessite une empathie
entre l’orateur et son public. Le maître initie le disciple par la parole. De
plus, il y a une vie sociale importante : les solitaires sont rares, les
communautés familiales, tribales et villageoises sont des foyers de
transmission orale de la connaissance.
Les premières lectures n’étaient pas silencieuses : lire
était d’abord un acte vocal, le texte était partagé à haute voix lorsqu’il
n’était pas su tout simplement par cœur. La capacité de mémorisation des hommes
de ce temps a quelque chose d’impressionnant : un conteur exercé pouvait retenir
des milliers de vers et les réciter selon les besoins, avec plus ou moins de
fidélité. Cette capacité de mémorisation est remarquable. Le livre est non seulement
lu à haute voix mais le public en discute : il y a une connaissance qui est
partagée avec du public ne maîtrisant bien souvent aucunement l’écriture ou la
lecture.
Ainsi lorsque nous parlons de lettré ou d’illettré au Moyen
Age ce n’est pas lié à l’alphabétisation mais à la connaissance de la langue
employée pour transmettre le savoir : certains connaissances, mais pas toutes,
étaient données en latin mais cela était plutôt pour la théologie. L’emploi de
la langue vernaculaire et les lectures à haute voix ont développé une culture
littéraire : l’audition d’œuvres lues à plusieurs reprises ont façonné
l’imaginaire de plus d’un guerrier et d’un non noble dès son plus jeune âge,
surtout au début du Moyen Age où la vraie noblesse était désignée par les faits
accomplis, non par hérédité !
Toutefois, les récits médiévaux déconcertent le lecteur trop
cartésien [17]:
l’écrivain, en prenant la définition du mot « celui qui cultive l’art d’écrire », conte le faux, voyage dans
un monde imaginaire, parfois symbolique, et en même temps exprime le vrai. Il
n’écarte pas le miraculeux et le féérique de la narration de faits. Il n’y a
pas cette frontière qu’impose la raison. Certains actes produisent des
légendes : il n’existe pas de guerre, depuis que l’homme est homme, qui
n’ait pas produit ses légendes et cela est valable jusqu’à nos jours. Avec les
Chroniqueurs, et sur un espace temps de plusieurs siècles, l’écrivain historien
se révèlera en pratiquant une distinction toujours plus fine entre les faits et
les légendes. Par contre, l’écrivain[18] a
la conviction profonde d’accomplir une tâche spirituelle en transmettant un
message dont il est un des héritiers.
Différents types d’écrivains, pouvant être qualifiés de
« militaires » car traitant
de la guerre, sont identifiables : des imaginatifs proposent des fictions
débattant sur les bons ou mauvais motifs de guerre et sur la recherche de
l’aventure qui permettra de reconnaître le héros selon la chevalerie; des
combattants narrent des faits vécus ; des témoins n’ayant pas participé
aux batailles mais ayant été proches de ceux qui ont fait la guerre, livrent
des regards spécifiques sur des faits d’histoire ; des chroniqueurs
idéalisent ou vilipendent la guerre selon les choix de leur protecteur ou
commanditaire ; des religieux tentent de limiter l’emploi de la force aux
cas de nécessité de survie, de luttes contre les ennemis de la Foi. Leurs
écrits surprennent encore par leurs fibres spécifiques, tantôt passionnelle et
sentimentale, tantôt aventureuse mais surtout par leur diversité : il y en
a pour tous les goûts. Plusieurs siècles plus tard, nous pouvons partager leurs
perceptions de la guerre en raison de ces hommes qui se sont confiés soit au
jongleur, soit à l’ « escrivain »,
soit encore à l’écriture ou la dictée de leur vécu.
Le Romantisme du XIXe s.[19] a
remis à l’honneur les auteurs médiévaux : Walter Scott en est le plus bel
exemple. Au XXe s., de nombreuses éditions renouvelées sont offertes
au public. Des spécialistes ont réuni les différentes versions d’une légende
pour créer un texte cohérent avec une traduction nouvelle, en remaniant les
textes et en supprimant ces digressions qui allongeaient inutilement le récit. Par
exemple, l’éditeur H. Piazza dans sa collection « Epopée et légende »
à Paris a publié Le roman de Tristan et
Iseut[20],
renouvelé par Joseph Bédier, La légende
de Guillaume d’Orange[21],
renouvelée par Paul Truffau et bien d’autres récits dans un style littéraire
correspondant plus aux goûts de notre temps et encore très utiles pour toute
personne désireuse de s’initier à ces œuvres sans maîtriser l’Ancien français.
Cette littérature médiévale sur la guerre est d’un apport
riche pour le sociologue et l’historien car elle donne des réponses à des
questions essentielles : quand l’usage de la force était considéré comme
nécessaire et quelle était la vie intérieure de celui qui devait porter les
armes. De nombreux textes expriment le
besoin d’établir un bilan de vie, de justifier les actes commis dont ils
connaissent toute la dureté : c’est une façon soit de les assumer, soit de
les regretter. Le désir de transmettre leur vécu répond pour certains à un
besoin d’immortaliser des faits qui auraient été aussi mortels que leurs
acteurs s’ils ne les avaient pas confiés à la postérité au moyen de chants, de
poèmes ou d’écrits. Toutefois, et cela est valable pour tous les temps, le
chevalier comme le public a besoin de
héros[22],
de modèles.
L’œuvre littéraire sur la guerre au Moyen Age n’est pas la
seule fille de l’imagination ou de la fantaisie : elle ne se considère pas
comme frivole ou inutile. A travers le vacarme des armes et des appels à
l’emploi de la force en des situations précises et codifiées, il y a une
recherche de la paix dans une grandeur retrouvée, reconnue et un besoin de
liberté dans une institution librement choisie. La légende arthurienne le dit et redit : cette paix apparaît
parfois comme une quête sans fin, en raison des vices de la nature humaine
soigneusement décrits (jalousie, colère, orgueil, avidité etc.). Cependant, il
y a cette quête de la paix qui devrait être là demain et cette guerre qui
devrait être la dernière mais, en fait, dans une paix relative, déjà les
ingrédients de la guerre de demain se retrouvent… Oui, il y a un certain
fatalisme !
Les auteurs médiévaux veulent peindre, voire expliquer, les
ardeurs qui animent les guerriers dans le bruit, la confusion et la violence
d’un champ de bataille, pensons aux deux figures emblématiques de Roland et
d’Olivier : deux caractères fort différents où l’un révèle l’autre sans
aucun artifice. Ganelon, l’antihéros, apparaît le plus souvent comme le traître
à la façon d’un Judas mais, parfois, certains textes lui donnent les
circonstances atténuantes : en faisant tuer Roland, il voulait supprimer
le va-t-en-guerre ! D’un récit à l’autre, des variations existent
produisant des colorations psychologiques diverses : le désir de
comprendre les motivations animant l’action en est l’explication. L’homme
confronté à la guerre au Moyen Age connaît les mêmes tourments que celui de
14-18 ou de 39-45 comme de tout autre guerre : il y aurait des études
comparatives intéressantes à mener sur la psychologie des combattants à travers
les textes littéraires.
Textes en latin[23]
ou en ancien français comme en langues vernaculaires forment un tout. Jusqu’au
XIIIe s., la littérature latine n’a pas cessé de connaître
d’importants développements avant que les littératures romanes prennent la
relève. Du XIVe au XVe s., il y a une vie commune, la
rupture intervenant à la fin du XVe s..
Transmission du savoir
médiéval
Le XIXe siècle a forgé les esprits en laissant
l’image d’un guerrier médiéval soudard ayant soif de pillage et ne connaissant
ni foi, ni loi. De l’autre côté, il y a eu une vision hagiographique du
chevalier paré de toutes les vertus. La vérité est autre. Elle est plus
complexe et de nombreux chercheurs, dont Martin Aurell[24],
ont réussi à mieux discerner les connaissances acquises par un noble guerrier
mais aussi les images véhiculées sur la guerre auprès du public, aspect le plus
original qu’il convient de signaler.
L’influence des épîtres de saint Paul est grande dans les
écrits moraux rédigés pour l’éducation des jeunes. Pouvoir et savoir utilisés
sans mesure et sans discernement mènent à l’orgueil dénoncé comme l’ennemi
intérieur à combattre avant de livrer bataille sur le terrain. Puissance
militaire et culture écrite évoluent en parallèles. Cela se constate d’abord en
Orient, c’est-à-dire en Grèce, et ensuite lors des Croisades, cette tradition
de littérature guerrière ou chevaleresque sera cultivée en Occident avec le
même succès que connaîtront les romans policiers au XXe s. Le lys
des rois de France symbolise cette symbiose idéale de la culture chevaleresque
: le pétale central est plus haut, c’est la Foi ; de part et d’autre, deux
pétales plus petits, l’un est la sapientia,
la sagesse nécessitant un minimum de
savoir et l’autre la militia, la force en cultivant d’abord la maîtrise
de soi mais toutes les deux sont sous les regards de la Foi.
Education
D’un soldat, il était attendu, déjà dès la romanisation de la
Gaule, un minimum de connaissances d’écriture et de calcul : pour des raisons
très pratiques : solde, tour de garde, permission, intendance… Celui qui exerçait
un commandement devait posséder quelques connaissances supplémentaires, sans
toutefois devenir un érudit.
Avec Cicéron et Sénèque, formant les lectures de base, le
jeune apprend l’honnêteté (honestum),
l’efficacité (utile). Au sein de la
noblesse, le « livre » exerce une influence croissante. L’homme de guerre est à
la recherche d’une intériorité : la noblesse de sang ou acquise sur un champ de
bataille ne lui suffit plus ; avec la christianisation de la société, il veut
cultiver une noblesse d’âme. Dès le Ve s., ses références les plus
courantes sont puisées dans l’«Art
militaire» de Végèce qui constitue un socle. Le « Chastoiement d’un père à son fils » est aussi le texte le plus
connu : le folklore oriental y est introduit en Europe par l’ultime
conversation d’un Arabe et de son fils. Diverses versions se diffusent et ce
livre trouve son origine dans la «Discipline
de clergie » de Pierre Alphonse[25],
au début du XIIe s. Le vrai chevalier se devait de maîtriser trois
capacités distinctes :
2. Cultiver 7 pratiques guerrières : équitation, nage, tir à
l’arc, lutte, fauconnerie, échecs, poésie ;
3. Lutter contre 7 vices : gloutonnerie, ébriété, luxure,
colère, mensonge, avarice, médisance.
Les parents nobles tiennent à ce que leurs enfants possèdent
un minimum d’instruction littéraire. Les « enseignants » dans les familles
médiévales s’adressent à des élèves âgés entre 6 et 12 ans. La « lectura » était des textes lus et
expliqués ; la « lectio » était une
lecture privée, individuelle se faisant parfois à haute voix ; la « praelectio » était une lecture publique
glosée et commentée par un « maître ».
Pour une famille cultivant les armes, le plus important reste
que l’enfant devienne un cavalier, sachant tenir, de sa droite, une pique et,
de sa gauche, un bouclier, user du galop du cheval pour donner de la force à sa
charge. A terre, il doit savoir tenir une épée. L’art de l’escrime s’apprend
dès la petite enfance avec une épée et un bouclier de bois. Le jeune adulte[28]
est vite initié à sa fonction future, que cela soit au champ[29]
ou à la guerre[30]
comme à la prière ! Avec ses rudiments de base, la formation du guerrier se
poursuit hors du foyer familial comme écuyer d’un chevalier. Lors de veillées,
il écoute les récits (poésie, romans, chansons de geste, chants, contes) qui
meublent ainsi son imaginaire.
Clercs et chevaliers
Pratiquement, nous n’avons pas une séparation totale entre le
clerc et le chevalier comme trop de clichés nous le feraient croire. Nous avons
le « miles litteratus », le chevalier lettré et le « clericus militaris », le clerc militaire qui sera souvent
l’intendant[31].
Les textes médiévaux ont caricaturé la concurrence entre
clercs et chevaliers : certes, leurs vocations finales divergent et les
manières de vivre seront très distinctes mais il y a de nombreux points
communs. Couramment dans la même famille, ceux qui allaient devenir guerriers
ou prêtres ont grandi ensemble, ont reçu la même formation de base. Tous les
chevaliers n’accomplissent pas forcément leur destin sur un champ de bataille
mais dans l’administration royale ou de cours. Dans le Sud de la France, il y a
de nombreuses satires (pensons à Boniface de Castellane) contre cette
bureaucratie naissante.
Mythes et chroniques
Au commencement de la littérature médiévale, il n’y avait pas
une frontière entre les mythes et les chroniques. Très souvent, une chronique
commence par des origines mythiques pour se transformer en chronique des temps
plus proches ou connus de l’auteur.
Une chronique peut donner naissance à deux variantes
divergentes. La première construit une nouvelle légende : des faits sont
relus et remodelés en fonction des besoins et un bon exemple nous est donné
avec La chanson de Roland et
l’étude aussi fouillée que pertinente établie par Paul Aebischer[32]
en apporte une bonne démonstration; la deuxième produit ce qui deviendra
l’Histoire avec des Froissart établissant des synthèses d’autres chroniques ou
Joinville démontrant une extraordinaire mémoire visuelle. Le mythe nouveau amène
à comprendre les phénomènes humains en recourant au merveilleux et nous y
trouvons des procédés que la propagande du XXe s. a encore plus
amplifiés. La chronique tente de comprendre le présent avec des témoins et en
recourant au passé tel qu’il peut être connu, avec des sources plus ou moins
fiables et sans s’interdire le recours au merveilleux qui, plus tard, sera
appelé le hasard, permettant de comprendre l’inexplicable ….
Pourquoi un tel succès des récits mythiques et des légendes[33] chez
les hommes de guerre, pas uniquement chevaliers d’ailleurs ? L’auditeur ou
lecteur médiéval ne les lit pas ou ne les écoute pas comme nous. Ma conviction
est que ces récits mythiques avaient pour eux une fonction très précise,
surmonter la peur[34] :
la peur face à l’inconnu, face à la mort à donner ou à recevoir. Pour
transformer cette peur en force de survie, le guerrier construit sa force
intérieure sur sa Foi d’abord et sur les mythes qui lui sont connus. La Foi
donne un sens à sa vie et à sa mort ; les mythes nourrissent son
imagination pour survivre dans des conditions difficiles, en recourant à la
ruse par exemple. L’apprentissage de la ruse à travers la littérature médiévale
serait un axe de recherche utile à prospecter : les œuvres de Frontin et
de Polyen[35]
ont été souvent utilisées. Depuis sa petite enfance, le futur guerrier a eu son
imaginaire meublé de héros et d’actes mythiques : il s’est créé une sorte
de « catalogue » où la fiction et l’invraisemblable ne gênent
nullement. Foi et mythes sont les deux constituants pour maîtriser la peur,
pour agir avec sagesse et pour garder le courage d’entreprendre même quand tout
semble perdu aux yeux de la seule raison.
Des modèles sont proposés pour l’action. Des exemples
explicitent différents cas de figure : comment éprouver sa hardiesse, accomplir
des exploits, affronter l’inconnu, découvrir de nouveaux territoires, progresser
en fonction des rencontres imprévues -parfois bénéfiques, parfois maléfiques-,
être confronté à la mort possible. La question essentielle revient dans la
plupart des récits : comment résoudre le problème du choix en des moments
décisifs. Le chevalier au Papegau illustre
cette nécessité de choisir entre trois voies : la Voie sans Merci, la
Route de l’Injustice et la Route sans nom que choisira Méraugis. Le combat
spirituel équivaut au combat temporel. Dans nos chansons de geste, avant les
victoires sur le champ de bataille, le héros doit livrer des batailles
intérieures pour établir le bon choix : son choix, motivant sa volonté qui
animera son action, fera de lui le héros, une façon d’acquérir l’immortalité et
d’entrer dans la Gloire de Dieu. Sauver les faibles, les opprimés, les dames en
détresse et les demoiselles assiégées sont autant de thèmes traités à
profusion.
C’est bel et bien des récits mythiques qu’est issue une
éthique chevaleresque. Raymond Lulle[36] a
composé le manuel du chevalier chrétien avec son Llibre del Ordre de Cavayleria[37].
Les origines de la chevalerie, les devoirs du chevalier et tous les rites accompagnant
l’adoubement (examens, épreuves, cérémonial), la signification des armes, les
mœurs et coutumes de la chevalerie sont exposés. Son texte rédigé en espagnol a
été très souvent repris en la langue d’oc dans ce genre littéraire appelé ensanhamen, appelé aussi littérature
morale, non dépourvue de qualités littéraires au sens que nous l’entendons
aujourd’hui.
Les mythes auront encore plus de force lorsqu’ils seront
christianisés[38] :
Merlin[39]
est au départ un être diabolique ; avec le temps, il se christianise et
devient un prophète ; le mythe païen du Graal est devenu la « Queste
du saint Graal». Au commencement, le Graal était une recherche de
l’impossible. Avec Robert de Born, le chevalier errant devient le chevalier
disponible : le chevalier est un héros en devenir et devant faire ses
preuves en rendant service à la communauté. La force de Merlin est de détenir
tous les savoirs sur le passé, le présent et l’avenir : il serait de nos
jours le symbole de la prospective ou de la futurologie. Les romans arthuriens ont contribué à
l’élaboration d’une éthique chevaleresque
pour employer la formule de Georges Duby.
Un aspect mérite d’être souligné : celui qui livre
bataille ne se bat pas pour une idéologie, pour une religion[40], pour
un suzerain[41]
mais pour la justesse d’une cause, pour un droit établi par la coutume ou les
lois de l’Eglise. La Foi a ainsi régulé l’emploi de la violence : sa
confiance mise en Dieu exige un engagement pour une cause juste. Le héros n’est
pas un homme seul même lorsqu’il combat en solitaire : il combat pour
l’honneur des hommes de son rang et de sa famille, pour la justesse de sa cause
et le service de son suzerain exerçant le droit aussi bien que des peuples dont
il assure la sécurité.
A travers les mythes, des constantes universelles
apparaissent et Georges Gusdorf[42],
dans son étude Mythe et métaphysique,
en fait bien état. Le mythe révèle cette volonté humaine de rechercher des
vérités, de les comprendre et de les éclairer : la poésie est ainsi la
meilleure voie pour faire entendre la voix de ces vérités originelles. L’alliance
entre le mythe et la raison est possible en ce temps : l’un n’écarte pas
l’autre comme cela sera de plus en plus le cas dès le XVIe s. La
seule raison bloque et ferme des
issues pourtant prometteuses. Le mythe
ouvre l’esprit vers l’inconnu qui est
accepté dans la mesure où il peut être affronté. La raison a désintégré l’image de l’homme. Le mythe inscrit l’homme dans l’univers, donne un sens au monde et
donc à l’homme. Les mythes sont à être lus selon l’homme du Moyen Age et non
avec notre regard du XXIe s.. Cet aspect devrait être développé mais
il est bon de garder à l’esprit que le mythe tente d’unir des communautés humaines en les
plaçant sous la protection de forces supérieures à l’homme : d’où le
besoin de sacralité, de rituel. Et deux citations de Gusdorf peuvent donner
l’éclairage utile à une lecture médiévale de la guerre :
« La conscience
mythique permet la constitution d’une enveloppe protectrice, à l’intérieur de
laquelle l’homme trouve son lieu dans l’univers. »[43] et
« En fait, le mythe a pour fonction
de rendre la vie possible. Il donne aux sociétés humaines leur assiette et leur
permet de durer. »[44] .
Les mythes offrent des analyses poussées des interdictions et
des transgressions sous tous les angles : ils inscrivent l’homme dans
un temps et un espace qui deviennent sacrés. Le mythe a trois fonctions :
narrative (il raconte), initiatique (il révèle) et étiologique (il explique). En
plus, il produit des rites qui unissent la communauté. Avec Chrétien de Troyes,
les données mythologiques commencent à s’effacer au profit d’une analyse plus
psychologique des personnages : les celtes deviennent des « chevaliers courtois ». Erec et Enide concilie amour et aventure
pour l’accomplissement de soi. Le héros est un personnage dont la mort a pris
un sens particulier en une situation exemplaire selon une éthique partagée
par une communauté.
Neuf types de héros alimentent l’imaginaire du guerrier
médiéval : trois héros païens, Hector, Alexandre et César ; trois
héros juifs, Josué, David et Judas Macchabée ; trois héros chrétiens,
Arthur, Charlemagne et Godefroy de Bouillon[45].
Le christianisme a réussi cette symbiose de trois cultures : il est
regrettable que des approches historico-politiques aient fait oublier cet
aspect si particulier de la littérature médiévale.
Diversité des Chroniques.
Jean de Joinville décrit les batailles avec force en de
petites scènes mais nous n’y trouvons pas une vision globale des opérations.
Son style alerte rend la lecture de son œuvre agréable.
Jean Le Bel[46]
dans ses « Vrayes Chroniques »[47],
dont Froissart a repris plus tard de larges extraits, s’était consacré à la
carrière des armes : son texte est une source sûre car il a choisi les
témoignages les plus certains et relatent les faits qu’il a vécus. Ses
descriptions des événements et des lieux sont remarquables et il ne tente pas
des conjonctures hypothétiques sur ce qu’il ignore.
Les Croisades ont été traitées dans plusieurs chroniques. Un
témoin comme Eudes de Deuil, lors de la seconde croisade (1147-1149) est
une source fiable : de façon générale cependant, les données fournies par
d’autres auteurs sont moins certaines. Elles ont aussi été un sujet prisé des
trouvères et troubadours avec les chansons de croisades : exhortations à
l’expédition, complaintes des croisés devant quitter la femme aimée, des
« disputes » (discussions) sur la croisade et parfois elle est remise
en cause non sans force[48] dans
des satires. L’Estoire de la guerre
sainte a servi la gloire de Richard Cœur de Lion mais reste intéressante
dans la mesure où l’on découvre la vision d’un jongleur anglo-normand,
Ambroise, qui l’avait accompagné : il a été le témoin oculaire et a
constaté les souffrances endurées par les pèlerins en Terre sainte. Son regard
ne porte pas uniquement sur les guerriers mais aussi sur les hommes qui les
accompagnent. Saint Bernard a prêché en faveur de la croisade et sa prédication
nous est restée. Une source précieuse est formée par les lettres fournissant non seulement des faits mais
aussi des perceptions de la guerre en
cours.
La croisade contre les Albigeois[49] a
fait l’objet de nombreux récits de guerre qui offrent un regard plus pertinent
sur les procédés de guerre en usage. Leur lecture est encore polémique de nos
jours car la tentation est grande pour les historiens du XXIe s. de
vouloir illustrer leur perception de la guerre au lieu la replacer dans le
contexte du début du XIIIe s.
L’Eglise et la guerre.
Les responsables de l’Eglise, durant tout le Moyen Age, ont
longuement et abondamment débattu[50]
sur la nature de la guerre, sur le droit à la guerre comme dans la guerre et
sur la guerre offensive et défensive. Nous avons de véritables chefs d’œuvre et
des textes d’une grande valeur littéraire, saint Augustin en est une bonne
illustration. Certains Pères de l’Eglise se sont opposés totalement à l’emploi
des armes : les actuels objecteurs de conscience contre l’armée y
trouveraient de quoi renouveler leur argumentaire.
Les saints militaires[51]
ayant porté les armes sont nombreux saint Sébastien[52], saint
Georges, saint Maurice[53],
saint Martin de Tours, saint Démétrius, saint Louis[54],
Jeanne d’Arc… Avant le combat, selon une tradition de l’Ancien Testament, des
prières étaient faites. Les sépultures honorent les combattants. Il n’y a pas
de frontières précises entre activités de guerre et activités de paix pour le
chevalier. La paix nécessite parfois l’emploi de la force de façon mesurée. Le
christianisme cherche à limiter les désolations de la guerre chaque fois qu’il
le peut : c’est ainsi qu’est né un droit dans la guerre. Les épîtres de saint Paul privilégient le
combat spirituel (Ephésiens, 6, 10-17) mais selon lui, le combat temporel est
possible (Hébreux, 11, 32-34). Les orantes
et les bellatores, les clercs et les
guerriers, mènent le même combat, chacun avec ses armes propres. Cependant, la
coupure n’est pas totale entre les deux ainsi que l’a entretenue une
fausse image de la féodalité : de nombreux clercs ont aussi porté les armes.
L’armée de l’empereur Otton III est commandée par l’évêque Bernard. En 1053, le
pape Léon IX remporte sur les Normands une victoire dans les Pouilles. Les
Chrétiens voyaient en la Croisade une guerre défensive et malgré cet aspect, il
y a eu des oppositions vives. Robert de Blois et Honoré Bovet illustrent ces
liens unissant clergie et chevalerie.
Robert de Blois, trouvère après avoir été un clerc, est un
bon exemple d’un auteur cultivant plusieurs styles littéraires, avec ses écrits
du milieu du XIIIe s. Avec Beaudous,
il a rédigé un roman arthurien mettant en scène le fils de Gauvain et la
demoiselle de Galles ; il a composé une Chanson d’Amors et un roman d’aventure Floris et Lyriopé ainsi que des poèmes religieux. Une des ses
œuvres nous intéresse spécialement : l’Enseignement
des Princes[55].
En des vers octosyllabiques, son poème didactique et moral enseigne le respect
dû aux femmes, détaille le symbolisme des armes du chevalier[56],
condamne des vices trop humains comme la médisance, l’envie, l’orgueil, les
traîtres à la parole donnée (Ganelon, Guillaume
d’Angleterre), la confiance mal placée dans les serfs (exemple de Darius et
d’Alexandre), l’avarice (louange des largesses d’Arthur). Il fait l’éloge de la
modération, de la patience et de la maîtrise de soi (exemple de César à
Ilerda). Cette œuvre doit beaucoup au roman d’Alexandre comme aux écrits de
Raymond Lulle et de nombreux stéréotypes médiévaux s’y retrouvent.
Honoré Bovet[57] a
fait ses études à Avignon. Licencié en droit canon, il sera moine de l’abbaye
bénédictine de l’Ile Barbe (Lyon) pour achever sa vie en tant que prêtre et
prieur de Selonnet au diocèse d’Embrun. Son traité didactique, intitulé L’Arbre des batailles[58],
est écrit en prose française et a connu un vif succès avec des traductions en
provençal, catalan, espagnol et anglais[59].
Après avoir partagé ses réflexions sur les tribulations de l’Eglise connaissant
le schisme, il établit un résumé de l’histoire universelle pour, dans les deux
dernières parties, traiter des « batailles » et des droits des gens
en toutes circonstances (duel en champ clos, légitime défense, vengeance…). Il
évite la sécheresse juridique en illustrant sa prose d’exemples de son temps et
en recourant au dialogue. Son texte reflète l’écrit d’un de ses contemporains,
le juriste bolonais Jean de Legnano : De
Bello, de represaliis et de duello.
Les livres cynégétiques
Ils sont trop souvent oubliés dans l’étude de la guerre
médiévale et pourtant, bien plus tard, un Walter Scott en a fait bon usage pour
ses descriptions littéraires. La chasse est un des moyens de s’entraîner à la
guerre : maîtrise de soi, maîtrise de son cheval sont les aptitudes qu’y se
développent. De grandes similitudes existent entre la conduite d’une chasse et
celle d’une troupe : le seigneur n’est généralement pas seul mais il
dispose de tout un entourage n’ayant pas forcément des notions du combat mais
apprenant ainsi des méthodes utiles pour le combat. Les chasses sont des entraînements
à la traque du gibier et au tir à l’arc ou à l’arbalète. Achever un cerf ou un
sanglier n’est pas une tâche facile. Les meilleures indications sur l’archerie
se trouvent dans les livres cynégétiques : la qualité des cordes fait
l’objet d’une grande attention. Les ruses des animaux pour déjouer le ou les
chasseur (s) sont aussi des enseignements : un sanglier a un talent
particulier pour laisser passer ses poursuivants et partir à contre-sens. L’art
des pièges est aussi traité : piéger un homme ou un animal, il n’y a aucune
différence.
Le livre de la Chasse
du roi Modus et de la reine Ratio[60] d’Henri Ferrière et enluminé par
Girart de Rousillon, exécuté pour Philippe Le Bon, duc de Bourgogne[61],
a inspiré plus d’un écrivain disciple de saint Hubert. Ainsi, Le livre de la chasse de Gaston Phébus[62]
constitue un autre témoignage : la chasse développe les dons d’observation
qu’un fantassin ou un cavalier ne devait pas négliger. En terre inconnue, la
chasse est un des moyens d’assurer l’alimentation du guerrier et de ses
accompagnants éventuels, sans recourir à des réquisitions mal supportées
par les populations locales (aspect purement logistique non négligeable). La
chasse est un moyen de connaître le territoire où le seigneur exerce son droit
de justice et reconnaître les lieux où il peut être amené à livrer bataille.
Ces livres offrent de beaux textes et possèdent des enluminures qui les
accompagnent : il est ainsi possible de visualiser ces scènes avec
précision.
Satires
Les tournois ont été chantés par plus d’un poète et loués
dans plus d’un roman. Cependant les satires n’ont pas manqué à l’égard des
chevaliers et plus spécialement des hérauts d’armes, ces maîtres de cérémonie
dans les tournois, conteurs de hauts faits chevaleresques et héraldistes
reconnus. Par jalousie de conteur, Henri de Laon, poète du XIVe s.,
dans son Dit des Hérauts, dénonce
l’ignorance, la paresse et la convoitise des hérauts et souligne la décadence
des tournois. Les seigneurs orgueilleux, cupides, chicaniers ne démontrent ni
prouesse, ni courage, ni endurance. Selon lui, les frais de joute sont
excessifs alors que les bacheliers sont pauvres et méprisés… Comme d’autres
ménestrels, il refuse que les hérauts d’armes leur enlèvent le récit des hauts
faits d’armes qu’il considère comme l’une de leur prérogative. La chevalerie
n’est cependant pas contestée : les mauvais chevaliers sont par contre blâmés.
Conclusion
Des beautés littéraires ne résident pas uniquement dans les
romans et les chansons de geste. Le lecteur d’aujourd’hui comme celui du Moyen
Age se plaît à retrouver des vérités éternelles. Les écrits révèlent de
multiples témoignages sur la perception de la guerre qui n’est pas considérée
isolément mais qui s’inscrit dans toutes les activités humaines : guerre
acceptable lorsqu’elle est au service du droit et guerre méprisable quand elle
sert l’injustice. Cette littérature est essentielle pour que chaque homme de
guerre se forge un modèle, un être exceptionnel par ses actes : le héros médiéval
doit incarner dans sa vie des actes qui ne seront plus ainsi des rêves,
suggérés par la littérature. Seuls les actes concrétisent la plus haute idée
que l’homme de guerre puisse se faire de sa fonction. Surmonter la peur de
l’inconnu, résoudre le problème du choix en son âme et conscience, garder la maîtrise
de soi, se mettre au service des autres, accepter la nécessité de se sacrifier
s’il le faut pour la justesse d’une cause sont des thèmes amplement traités
avec des exemples fictifs ou réels : ces messages ont été entendus et
s’entendent encore. Un livre de chasse révèle deux mots importants qui
connaîtront un grand destin : le roi Modus,
c’est la méthode et la reine Ratio, c’est la connaissance. Méthode et connaissance, pratique et imagination,
savoir faire et savoir être : c’est tout l’enseignement de cette
littérature médiévale traitant de la guerre.
Antoine Schülé
La Tourette, septembre 2013
Contact : antoine.schule@free.fr
[1]
Le livre de la chasse de Gaston Phoebus,
manuscrit français 616 de la Bibliothèque nationale Paris. Club du livre. Philippe Lebaud éd. Paris-Graz. 1976.
Transcription en français moderne par Robert et André Bossuat. In :
Prologue, p. 3.
[2]
Un traité de tactique peut être établi uniquement avec des exemples extraits de
l’Ancien Testament. La guerre totale y est déjà décrite dans : 1 Sam, 15,
1-11.
[3]
Voir : Psaumes avant la bataille : Ps 20, 68 (le psaume des
batailles), 79, 83, 144, 149 ; après la victoire : 18, 21, 60 et
66 ; confiance dans le Dieu des armées : 40.
[4]
Grégoire Kolpktchy : Livre des morts
des anciens Egyptiens. Paris. Stock. 1978. 332 p.
[5]
Danielle Régnier-Bohler (sous la dir.) : La légende arthurienne, Le
Graal et la Table ronde. Paris. Robert Laffont. Coll. Bouquins. 1989. 1208
p. Quinze romans de la Table ronde,
écrits soit en français, soit en langue d’oc et réunis en un seul volume,
témoignent du succès de la légende arthurienne du XIIe au XVe
siècle.
[6]
Régis Boyer : La saga de Sigurdr ou
la parole donnée. Paris. Cerf. 1989. 292 p.
[7]
Ch. Guyot et E. Wegener : Le livre
des Vikings (d’après les anciennes sagas). Paris. Ed. H. Piazza. 1924. 204
p.
[8]Alexandre
de Paris (trad. de Laurence Harf-Lancner) : Le roman d’Alexandre. Paris. Le livre de Poche. Coll. Lettres
gothiques. 1994. 864 p. L’un des plus
anciens romans français versifiés (c’est en son honneur que les vers de douze
pieds sont appelés alexandrins), le
texte original comporte en vis-à-vis la
traduction en français moderne.
[9]
Louis-Fernand Flutre : Table des
noms propres avec toutes leurs variantes figurant dans les romans du Moyen Age.
CERSCM : Centre d’études supérieures de civilisation médiévale. Poitiers.
1962. 324 p. Deux tables : une pour les noms de personne et une pour les
noms géographiques et ethniques.
[10]
Léon Gautier : La chanson de Roland.
Tours. Mame. 1881. 604 p. Texte
critique avec traduction et glossaire.
[11]
Lionel Bartoloni, Jean-Daniel Morerod, Anton Näf, Christian de Reynier : Rodolphe, comte de Neuchâtel et poète.
Neuchâtel. Alphil & Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel. 2006. 80 p.
[12]
Emmanuel de Saint-Albin (trad.) : La
légende du Cid. Paris. Librairie internationale. 2 vol. 1866. 336 p. et 296 p.
[13]
Les clichés largement répandus de l’amour courtois occultent une littérature
érotique au langage cru, sans les fausses pudeurs qui apparaissent dès la
Renaissance. Exemple : le fabliau du XIIIe s. attribué à
Guérin, Chevalier qui fit les cons parler.
[14]
Robert Bossuat, Louis Pichard et Guy Raynaud de Lage (éd. revue par
Geneviève Hasenohr et Michel Zink) : Le
Moyen Age. Paris. Fayard. Collection Dictionnaire des Lettres françaises.
Pochothèque. 1992. 1508 p. Cette
encyclopédie de la production littéraire du Ve au XVe
siècle est un instrument de découverte et de recherche incontournable.
[15] Perceval,
Perlesvaus, Merlin et Arthur, Le livre de Caradoc, Le chevalier à l’épée,
Hunbaut, La demoiselle à la mule, L’âtre périlleux, Gliglois, Méraugis de
Portlesquez, Le roman de Jaufré, Blandin de Cornouaille, Les merveilles de
Rigomer, Meliador, Le chevalier au papegau.
[16]
L’Eternel Retour, film de Jean
Delannoy : Jean Cocteau réinvente à sa manière la légende de
Tristan en partant du principe que les mêmes circonstances peuvent se
reproduire sans que les êtres qui les vivent ne s’en doutent.
[17]
Paul Zumthor : La lettre et la voix,
De la « littérature » médiévale. Paris. Seuil. Coll. Poétique.
1987. 348 p. Il développe une vision restrictive de la littérature aux seuls romans : c’est omettre volontairement de
grands pans de la vie littéraire médiévale.
[18]
Les lais de Marie de France en sont
une bonne illustration.
[19]
Le Cor d’Alfred de Vigny.
[20]
Le roman de Tristan et Iseut,
renouvelé par Joseph Bédier. Paris. Ed. H. Piazza. 1929. 252 p. Agréable adaptation de ce roman qui a
inspiré plus d’un film.
[21]
La légende de Guillaume d’Orange,
renouvelée par Paul Tuffrau. Paris. Ed. H. Piazza. 1920. 276 p. Version en français moderne de cette légende
du XIIe siècle.
[22]
Pour que les Américains s’intéressent au monde arabe, il a fallu un Lawrence
d’Arabie médiatisé par un journaliste.
[23]
Joseph de Ghellinck : L’essor de la
littérature latine au XIIe siècle. Paris-Bruxelles. Desclée de
Brouwer. 1946. 2 vol. 236 p. et 356 p. Cet
ouvrage reste une utile introduction à la richesse des thèmes traités par les auteurs
latins médiévaux.
[24]
Martin Aurell : Le chevalier lettré.
Savoir et conduite de l’aristocratie aux XIIe et XIIIe siècles. Paris.
Fayard. 2011. 540 p.
[25]
Un convers juif et médecin d’Alphonse Ier d’Aragon, devenu son
parrain de baptême
[26]
Grammaire, rhétorique et dialectique.
[27]
Arithmétique (en lieu et place de la médecine avant le XIIe s.), géométrie
(idem de la physique), musique et astronomie.
[28]
14-16 ans.
[29]
Le seigneur médiéval est avant tout l’administrateur d’un bien foncier avant
que d’être un guerrier.
[30]
Robert Fossier : « Le guerrier et le soldat », pp. 254-266.
In : Le travail au Moyen Age.
Hachette. 2000. 320 p.
[31]
Naissance d’une administration royale.
[32]
Paul Aebischer : Préhistoire et
protohistoire du Roland d’Oxford.
Berne. Francke. 1972. 292 p.
[33]
Succès comparables aux films de guerre de nos jours.
[34]
Philippe Contamine : La guerre au
Moyen Age. Paris. PUF. Nouvelle Clio. 1980. 516 p. : « Pour une
histoire du courage », pp. 406-418.
[35]
In : Bibliothèque militaire. Paris. 1839-1840. T. 3. Frontin, Stratagèmes, pp ; 574-639 et
Polyen : Ruses de guerre, pp.
643-831.
[36]
Un grand romancier à diffusion européenne, (1232-1316). Son chef d’œuvre :
Félix ou le Livre des merveilles.
Paris. Ed. du Rocher. 2000. 448 p.
[37]
Raymond Lulle (trad. Patrick Gifreu) : Le
livre de l’ordre de la chevalerie. La Différence.
[38]
Philippe Walter : Mythologie
chrétienne. Rites et mythes du Moyen Age. Paris. Ed. Entente. 1992. 300 p.
[39]
Christine Ferlampin-Acher et Denis Hüe : Mythes et réalités du Roi Arthur. Rennes. Ouest-France. Coll.
Histoire. 2009. 132 p. Tentative de
reconstituer la biographie du Roi Arthur, cette figure légendaire connue
uniquement par la littérature.
[40]
Au départ, les Croisades avaient pour but de protéger les pèlerins se rendant
dans les Lieux Saints ; d’autres croisades dites religieuses étaient des
luttes soit pour le pouvoir (croisade contre les Albigeois), soit pour des
motifs commerciaux, la religion étant considérée comme un atout décisif pour
motiver les protagonistes.
[41]
Au XVIe s., cela changera !
[42]
Georges Gusdorf : Mythe et
métaphysique. Introduction à la philosophie. Paris. Flammarion. Coll.
Champs. 1984. 368 p.
[43]
G. Gusdorf : op. cit. p. 59.
[44]
Idem. p. 66
[45]
Chevalier au cygne et Godefroy de
Bouillon. Poème de 35000 vers qui remanie le cycle des Croisades. Les abominations de la guerre sont amplement décrites.
Une originalité : des amitiés sincères peuvent se nouer avec l’ennemi.
[46]
Claude Gaier : Armes et combats dans
l’univers médiéval II. Bruxelles. De Boeck. 2004. 292 p. « Les guerres
d’Ecosse et d’Angleterre vues par le chroniqueur liégeois Jehan Le Bel
(1326-1361) », pp. 247-261.
[47]
Ed. J. Viard et E. Deprez, Société de l’Histoire de France.
[48]
Lire Huon de Saint-Quentin, Guilhelm IX et Rutebeuf.
[49]
Laurent Albaret et Nicolas Gouzy (dir.) : Les grandes batailles méridionales (1209-1271). Toulouse. Privat.
2005. 236 p.
[50]
P. Contamine : op. cit. :
« La guerre : aspects juridiques, éthiques et religieux. », pp.
419-477.
[51]
André Corvisier : Les Saints
militaires. Paris. Champion. 2006. 352 p.
[52]
Saint patron des archers.
[53]
Saint parton de l’infanterie.
[54]
Le roi guerrier.
[55]
J. Fox : Robert de Blois, son œuvre
didactique et narrative. Etude suivie d’une édition critique de l’Enseignement
des Princes et du Chastoiement des
Dames. Paris. 1950.
[56]
Michel Pastoureau : Une histoire
symbolique du Moyen Age occidental. Paris. Seuil. 2004. 448 p.
[57]
Né vers 1345, près de Sisteron.
[58]
Rédaction probable entre 1386-9.
[59]
Une Europe culturelle existant déjà.
[60]
Gunnar Tilander : Les livres du Roy
Modus et de la Royne Ratio. Paris. Société des anciens textes français,
LXXV-LXXVI. 1932.
[61]
Le livre de la chasse du roi Modus,
manuscrit 10218-19 de la Bibliothèque royale de Bruxelles. Club du Livre.
Paris. 1989. Adapté en français par Gunnar Tilander.
[62]
Le livre de la chasse de Gaston Phoebus,
op. cit.
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