jeudi 25 août 2016

Littérature et guerre au Moyen Age.


Lectures médiévales de la guerre

Antoine Schülé, 
historien.

« […] l’imagination est seigneur et maître
de toutes œuvres bonnes ou mauvaises que l’on fait,
de tout le corps et des membres de l’homme.
Tu sais bien qu’œuvre bonne ou mauvaise, petite ou grande,
ne se fit jamais sans avoir été d’abord imaginée et pensée ;
donc elle est maîtresse ;
car selon ce que l’imagination commande,
on fait œuvre bonne ou mauvaise. »[1]
Gaston Phoebus, comte de Foix.
           
Poésie, récits mythologiques, Ancien et Nouveau Testament, chroniques, livres de chasse, écrits des Pères de l’Eglise, recueil de sentences, sermons, chansons de geste, romans, chants et contes sont autant de moyens fort différents mais complémentaires d’exprimer la guerre sous différents aspects.

Multiplicité des origines
Les racines de cette littérature médiévale  traitant de la guerre sont lointaines et multiples : elles puisent dans les mythologies et les antiquités grecques et latines, dans les textes hébraïques de l’Ancien testament[2], notamment avec les Psaumes[3] de guerre qui se retrouvent dans un écrit qui leur est antérieur : « Le livre des morts » égyptien[4]. De plus, nous avons les racines celtiques avec la matière de Bretagne et la Légende arthurienne[5] mais celles aussi scandinaves avec les sagas, pensons à la Saga de Sigurdr[6] dont  Wagner a donné une lecture, très éloignée du texte d’origine, avec sa Tétralogie rendant célèbre Siegfried : le héros vainqueur du dragon protégeant l’or du Rhin. D’autres sagas du Nord[7] apportent leurs notes : les beautés sauvages des sagas d’Islande ; les envolées lyriques de celles de Norvège et de Suède ou encore le sentiment et le mystère de celles du Danemark. Le roman d’Alexandre[8] nous conduit en Inde et a eu un lecteur passionné en la personne de Napoléon Bonaparte. Des racines orientales, par la Perse, avec des écrits provenant de l’Inde du IIe s. av. J.-C., ont nourri des écrits catalans (Raymond Lulle) puis provençaux : les fables animalières sont ainsi nées dans des exempla et un Jean de La Fontaine n’a pas repris que des fables d’Esope. Ces récits tendent à reculer les frontières du monde inconnu par l’imagination : le guerrier est ainsi incité à rechercher l’aventure qui lui permettra d’être un héros dans le respect des valeurs qui lui ont été inculquées. L’étymologie des noms portés par les héros et l’étude des noms ethniques et géographiques[9] apparaissant dans les romans ouvrent le lecteur à une découverte de l’Europe et de mondes réels lointains ou qui sont supposés exister.

Les « classiques » et une diffusion européenne
La chanson de Roland[10]  a connu une rapide diffusion : un curé nommé Conrad, la traduit en latin puis en allemand le Ruolandes-Liet. Dans les pays néerlandais, plusieurs variantes ou traductions existent. Dans les traditions scandinaves, elle fait corps avec les vies de Charlemagne : un compilateur islandais du XIIIe siècle a repris un texte de Roland proche de celui du manuscrit d’Oxford qui fait référence. Un Danois du XVe siècle en a livré une version abrégée dans sa Keiser Karl Magnus kronike. Un Roland en version anglaise existe depuis le XIIIe s. En Italie, les œuvres d’art témoignent, bien avant les traductions écrites du XIIIe s., de la diffusion orale de cette chanson par les jongleurs : Roland et Charlemagne y sont des héros populaires. L’Espagne lui a donné une autre coloration au XIIIe s., fierté nationale oblige, dans la Cronica general d’Alfons X et dans la Chronica Hispaniae de Rodrigue de Tolède.
Au Moyen Age, la culture française rayonne dans toute l’Europe et même en Angleterre qui mène déjà une politique défavorable à la France. En ce qui formera l’Allemagne actuelle, les romans français de chevalerie sont admirés et recherchés par les acteurs culturels de ce temps : en témoignent les liens étroits existant entre les Troubadours et les Minnesänger. Un passeur culturel entre le Sud et le Nord a été Rodolphe de Fenis, comte de Neuchâtel[11] (1160-1196) qui connaissait Folquet de Marseille : il a traduit en allemand la lyrique provençale et romane des années 1180.
La légende du Cid[12] aura une diffusion européenne plus tardive : cette chanson de geste espagnole, composée vers 1142, est inspirée de la vie de Rodrigo Diaz (1043-1099), surnommé le Cid Campeador (le chef qui gagne les batailles). Poème, romances castillanes et chroniques valorisent ce héros chevaleresque hispanique faisant contrepoids à Roland. Corneille, en 1636, en donna une nouvelle version française qui a rendu ce nom célèbre et il y aurait une réflexion à développer sur son choix du Cid et non de Roland. La légende a permis de sauver ce personnage que l’histoire avait mis de côté ! De nos jours, La chanson de Roland et le Cid sont les deux récits restés les plus connus.

Des « auteurs », des conteurs, des lecteurs et auditeurs.
Cette abondante et diverse littérature médiévale a connu différentes formes de lectures ou de récitations, selon les époques, de leur création à nos jours : chacune privilégiant tel ou tel aspect comme les sentiments, les devoirs, la politique, la religion, l’amour courtois ou l’érotisme le plus cru[13]. Toutefois, c’est le phénomène guerre qui retiendra notre attention mais en n’oubliant pas qu’il ne constituait qu’un thème parmi d’autres et surtout mêlé étroitement aux autres.
Les écrits médiévaux[14] sont les reflets d’un large espace temps que forme le Moyen Age, du Ve au XVe siècle ! Les écrivains tentaient de répondre aux questions et aux attentes d’un large public, fort divers car pas uniquement constitué de nobles, de seigneurs, de chevaliers ou de clercs mais encore de paysans, de bourgeois et de personnes d’humbles conditions : l’oralité, à l’égal de la radio ou de la télévision du XXe s., a ouvert leur diffusion de façon massive. Les soucis de rhétorique et de didactique de l’écrivain médiéval rendent leur lecture plus difficile de nos jours mais la sécheresse de quelques textes n’enlève pas la fraîcheur et la sensibilité du plus grand nombre d’entre eux. Un flot verbal a parfois nui au lecteur contemporain mais cela était fort goûté à leur création : les jongleurs ont transmis des récits qui ont été mis par écrit que bien plus tard et il est probable que certaines traditions orales aient été perdues. Multiples sont ainsi les témoignages écrits médiévaux sur le vécu de la guerre qui est louée lorsqu’elle est juste et qui est condamnée en des termes les plus vifs quand elle est injuste.
Le Moyen Age ne connaît pas le mot « plagiat » car les imitations ou les écritures « à la manière de » sont des pratiques courantes. Pour l’auditeur ou le lecteur médiéval ce n’est pas le « messager » qui compte mais le « message ». En ce temps-là, un « littérateur » était un professeur de grammaire et un « escrivain » est plus un copiste qu’un auteur : David Aubert est un « escrivain » pour Philippe le Bon  c’est-à-dire un remanieur-auteur de textes et il serait plus proche d’un éditeur de nos jours. Pour de nombreuses légendes, nous ne connaissons que les noms des copistes : par exemple, Turoldus est le copiste de la Chanson de Roland, version d’Oxford. La particularité est qu’avant les écrits, il y a eu des traditions orales avec des variantes régionales. La même tradition orale connaît plusieurs écritures, adaptations ou encore des continuations ou des ajouts divers : la particularité est que, sur plusieurs siècles, nous n’avons pas un texte figé une fois pour toute ; chacun lui donne une vie, une couleur particulière, sans toujours laisser son nom car l’auteur s’efface devant une œuvre qui appartient à la mémoire collective. Quelques genèses de textes, laborieusement établies, ne sont guère plus sûres que certaines généalogies familiales ! Les romans multiples formant La légende arthurienne[15] en est le meilleur exemple : des séries télévisées de nos jours connaissent le même phénomène. Leur succès ne se dément pas encore actuellement : les aventures de Lancelot, de Gauvain, d’Arthur comme le personnage de Merlin ont inspiré et inspireront plus d’un film à succès. Des images fortes prennent encore sens pour le public contemporain. Un aspect non négligeable est ce que j’appellerais la « plasticité »[16] de ces récits à tous les temps, depuis leur création. Leur secret est que sans doute ils parlent encore à l’homme d’aujourd’hui.
Contrairement à notre temps, l’écrit ne prédomine pas au Moyen Age : l’oralité tient une place primordiale. Les propos se transmettent de bouche à oreille et ainsi nous sommes plus proches de la tradition des Celtes dont le savoir se transmettait oralement et jamais par écrit. Il y a eu d’abord le verbe et ce n’est que plus tard que l’écrit est devenu la mémoire de l’oral. La transmission du savoir est très physique et nécessite une empathie entre l’orateur et son public. Le maître initie le disciple par la parole. De plus, il y a une vie sociale importante : les solitaires sont rares, les communautés familiales, tribales et villageoises sont des foyers de transmission orale de la connaissance.
Les premières lectures n’étaient pas silencieuses : lire était d’abord un acte vocal, le texte était partagé à haute voix lorsqu’il n’était pas su tout simplement par cœur. La capacité de mémorisation des hommes de ce temps a quelque chose d’impressionnant : un conteur exercé pouvait retenir des milliers de vers et les réciter selon les besoins, avec plus ou moins de fidélité. Cette capacité de mémorisation est remarquable. Le livre est non seulement lu à haute voix mais le public en discute : il y a une connaissance qui est partagée avec du public ne maîtrisant bien souvent aucunement l’écriture ou la lecture.
Ainsi lorsque nous parlons de lettré ou d’illettré au Moyen Age ce n’est pas lié à l’alphabétisation mais à la connaissance de la langue employée pour transmettre le savoir : certains connaissances, mais pas toutes, étaient données en latin mais cela était plutôt pour la théologie. L’emploi de la langue vernaculaire et les lectures à haute voix ont développé une culture littéraire : l’audition d’œuvres lues à plusieurs reprises ont façonné l’imaginaire de plus d’un guerrier et d’un non noble dès son plus jeune âge, surtout au début du Moyen Age où la vraie noblesse était désignée par les faits accomplis, non par hérédité !  
Toutefois, les récits médiévaux déconcertent le lecteur trop cartésien [17]: l’écrivain, en prenant la définition du mot « celui qui cultive l’art d’écrire », conte le faux, voyage dans un monde imaginaire, parfois symbolique, et en même temps exprime le vrai. Il n’écarte pas le miraculeux et le féérique de la narration de faits. Il n’y a pas cette frontière qu’impose la raison. Certains actes produisent des légendes : il n’existe pas de guerre, depuis que l’homme est homme, qui n’ait pas produit ses légendes et cela est valable jusqu’à nos jours. Avec les Chroniqueurs, et sur un espace temps de plusieurs siècles, l’écrivain historien se révèlera en pratiquant une distinction toujours plus fine entre les faits et les légendes. Par contre, l’écrivain[18] a la conviction profonde d’accomplir une tâche spirituelle en transmettant un message dont il est un des héritiers.
Différents types d’écrivains, pouvant être qualifiés de « militaires » car traitant de la guerre, sont identifiables : des imaginatifs proposent des fictions débattant sur les bons ou mauvais motifs de guerre et sur la recherche de l’aventure qui permettra de reconnaître le héros selon la chevalerie; des combattants narrent des faits vécus ; des témoins n’ayant pas participé aux batailles mais ayant été proches de ceux qui ont fait la guerre, livrent des regards spécifiques sur des faits d’histoire ; des chroniqueurs idéalisent ou vilipendent la guerre selon les choix de leur protecteur ou commanditaire ; des religieux tentent de limiter l’emploi de la force aux cas de nécessité de survie, de luttes contre les ennemis de la Foi. Leurs écrits surprennent encore par leurs fibres spécifiques, tantôt passionnelle et sentimentale, tantôt aventureuse mais surtout par leur diversité : il y en a pour tous les goûts. Plusieurs siècles plus tard, nous pouvons partager leurs perceptions de la guerre en raison de ces hommes qui se sont confiés soit au jongleur, soit à l’ « escrivain », soit encore à l’écriture ou la dictée de leur vécu.
Le Romantisme du XIXe s.[19] a remis à l’honneur les auteurs médiévaux : Walter Scott en est le plus bel exemple. Au XXe s., de nombreuses éditions renouvelées sont offertes au public. Des spécialistes ont réuni les différentes versions d’une légende pour créer un texte cohérent avec une traduction nouvelle, en remaniant les textes et en supprimant ces digressions qui allongeaient inutilement le récit. Par exemple, l’éditeur H. Piazza dans sa collection « Epopée et légende » à Paris a publié Le roman de Tristan et Iseut[20], renouvelé par Joseph Bédier, La légende de Guillaume d’Orange[21], renouvelée par Paul Truffau et bien d’autres récits dans un style littéraire correspondant plus aux goûts de notre temps et encore très utiles pour toute personne désireuse de s’initier à ces œuvres sans maîtriser l’Ancien français.
Cette littérature médiévale sur la guerre est d’un apport riche pour le sociologue et l’historien car elle donne des réponses à des questions essentielles : quand l’usage de la force était considéré comme nécessaire et quelle était la vie intérieure de celui qui devait porter les armes.  De nombreux textes expriment le besoin d’établir un bilan de vie, de justifier les actes commis dont ils connaissent toute la dureté : c’est une façon soit de les assumer, soit de les regretter. Le désir de transmettre leur vécu répond pour certains à un besoin d’immortaliser des faits qui auraient été aussi mortels que leurs acteurs s’ils ne les avaient pas confiés à la postérité au moyen de chants, de poèmes ou d’écrits. Toutefois, et cela est valable pour tous les temps, le chevalier comme le public a besoin  de héros[22], de modèles.
L’œuvre littéraire sur la guerre au Moyen Age n’est pas la seule fille de l’imagination ou de la fantaisie : elle ne se considère pas comme frivole ou inutile. A travers le vacarme des armes et des appels à l’emploi de la force en des situations précises et codifiées, il y a une recherche de la paix dans une grandeur retrouvée, reconnue et un besoin de liberté dans une institution librement choisie. La légende arthurienne le dit et redit : cette paix apparaît parfois comme une quête sans fin, en raison des vices de la nature humaine soigneusement décrits (jalousie, colère, orgueil, avidité etc.). Cependant, il y a cette quête de la paix qui devrait être là demain et cette guerre qui devrait être la dernière mais, en fait, dans une paix relative, déjà les ingrédients de la guerre de demain se retrouvent… Oui, il y a un certain fatalisme !
Les auteurs médiévaux veulent peindre, voire expliquer, les ardeurs qui animent les guerriers dans le bruit, la confusion et la violence d’un champ de bataille, pensons aux deux figures emblématiques de Roland et d’Olivier : deux caractères fort différents où l’un révèle l’autre sans aucun artifice. Ganelon, l’antihéros, apparaît le plus souvent comme le traître à la façon d’un Judas mais, parfois, certains textes lui donnent les circonstances atténuantes : en faisant tuer Roland, il voulait supprimer le va-t-en-guerre ! D’un récit à l’autre, des variations existent produisant des colorations psychologiques diverses : le désir de comprendre les motivations animant l’action en est l’explication. L’homme confronté à la guerre au Moyen Age connaît les mêmes tourments que celui de 14-18 ou de 39-45 comme de tout autre guerre : il y aurait des études comparatives intéressantes à mener sur la psychologie des combattants à travers les textes littéraires.
Textes en latin[23] ou en ancien français comme en langues vernaculaires forment un tout. Jusqu’au XIIIe s., la littérature latine n’a pas cessé de connaître d’importants développements avant que les littératures romanes prennent la relève. Du XIVe au XVe s., il y a une vie commune, la rupture intervenant à la fin du XVe s..

Transmission du savoir médiéval
Le XIXe siècle a forgé les esprits en laissant l’image d’un guerrier médiéval soudard ayant soif de pillage et ne connaissant ni foi, ni loi. De l’autre côté, il y a eu une vision hagiographique du chevalier paré de toutes les vertus. La vérité est autre. Elle est plus complexe et de nombreux chercheurs, dont Martin Aurell[24], ont réussi à mieux discerner les connaissances acquises par un noble guerrier mais aussi les images véhiculées sur la guerre auprès du public, aspect le plus original qu’il convient de signaler.
L’influence des épîtres de saint Paul est grande dans les écrits moraux rédigés pour l’éducation des jeunes. Pouvoir et savoir utilisés sans mesure et sans discernement mènent à l’orgueil dénoncé comme l’ennemi intérieur à combattre avant de livrer bataille sur le terrain. Puissance militaire et culture écrite évoluent en parallèles. Cela se constate d’abord en Orient, c’est-à-dire en Grèce, et ensuite lors des Croisades, cette tradition de littérature guerrière ou chevaleresque sera cultivée en Occident avec le même succès que connaîtront les romans policiers au XXe s. Le lys des rois de France symbolise cette symbiose idéale de la culture chevaleresque : le pétale central est plus haut, c’est la Foi ; de part et d’autre, deux pétales plus petits, l’un est la sapientia, la sagesse nécessitant un minimum de savoir et l’autre la militia, la force en cultivant d’abord la maîtrise de soi mais toutes les deux sont sous les regards de la Foi.

Education
D’un soldat, il était attendu, déjà dès la romanisation de la Gaule, un minimum de connaissances d’écriture et de calcul : pour des raisons très pratiques : solde, tour de garde, permission, intendance… Celui qui exerçait un commandement devait posséder quelques connaissances supplémentaires, sans toutefois devenir un érudit.
Avec Cicéron et Sénèque, formant les lectures de base, le jeune apprend l’honnêteté (honestum), l’efficacité (utile). Au sein de la noblesse, le « livre » exerce une influence croissante. L’homme de guerre est à la recherche d’une intériorité : la noblesse de sang ou acquise sur un champ de bataille ne lui suffit plus ; avec la christianisation de la société, il veut cultiver une noblesse d’âme. Dès le Ve s., ses références les plus courantes sont puisées dans l’«Art militaire» de Végèce qui constitue un socle. Le « Chastoiement d’un père à son fils » est aussi le texte le plus connu : le folklore oriental y est introduit en Europe par l’ultime conversation d’un Arabe et de son fils. Diverses versions se diffusent et ce livre trouve son origine dans la «Discipline de clergie » de Pierre Alphonse[25], au début du XIIe s. Le vrai chevalier se devait de maîtriser trois capacités distinctes :

1. Connaître les 7 arts libéraux : le « trivium »[26] et le « quadrivium »[27];
2. Cultiver 7 pratiques guerrières : équitation, nage, tir à l’arc, lutte, fauconnerie, échecs, poésie ;
3. Lutter contre 7 vices : gloutonnerie, ébriété, luxure, colère, mensonge, avarice, médisance.

Les parents nobles tiennent à ce que leurs enfants possèdent un minimum d’instruction littéraire. Les « enseignants » dans les familles médiévales s’adressent à des élèves âgés entre 6 et 12 ans. La « lectura » était des textes lus et expliqués ; la « lectio » était une lecture privée, individuelle se faisant parfois à haute voix ; la « praelectio » était une lecture publique glosée et commentée par un « maître ».
Pour une famille cultivant les armes, le plus important reste que l’enfant devienne un cavalier, sachant tenir, de sa droite, une pique et, de sa gauche, un bouclier, user du galop du cheval pour donner de la force à sa charge. A terre, il doit savoir tenir une épée. L’art de l’escrime s’apprend dès la petite enfance avec une épée et un bouclier de bois. Le jeune adulte[28] est vite initié à sa fonction future, que cela soit au champ[29] ou à la guerre[30] comme à la prière ! Avec ses rudiments de base, la formation du guerrier se poursuit hors du foyer familial comme écuyer d’un chevalier. Lors de veillées, il écoute les récits (poésie, romans, chansons de geste, chants, contes) qui meublent ainsi son imaginaire.

Clercs et chevaliers
Pratiquement, nous n’avons pas une séparation totale entre le clerc et le chevalier comme trop de clichés nous le feraient croire. Nous avons le « miles litteratus », le chevalier lettré et le « clericus militaris », le clerc militaire qui sera souvent l’intendant[31].
Les textes médiévaux ont caricaturé la concurrence entre clercs et chevaliers : certes, leurs vocations finales divergent et les manières de vivre seront très distinctes mais il y a de nombreux points communs. Couramment dans la même famille, ceux qui allaient devenir guerriers ou prêtres ont grandi ensemble, ont reçu la même formation de base. Tous les chevaliers n’accomplissent pas forcément leur destin sur un champ de bataille mais dans l’administration royale ou de cours. Dans le Sud de la France, il y a de nombreuses satires (pensons à Boniface de Castellane) contre cette bureaucratie naissante.

Mythes et chroniques
Au commencement de la littérature médiévale, il n’y avait pas une frontière entre les mythes et les chroniques. Très souvent, une chronique commence par des origines mythiques pour se transformer en chronique des temps plus proches ou connus de l’auteur.
Une chronique peut donner naissance à deux variantes divergentes. La première construit une nouvelle légende : des faits sont relus et remodelés en fonction des besoins et un bon exemple nous est donné avec La chanson de Roland et l’étude aussi fouillée que pertinente établie par Paul Aebischer[32] en apporte une bonne démonstration; la deuxième produit ce qui deviendra l’Histoire avec des Froissart établissant des synthèses d’autres chroniques ou Joinville démontrant une extraordinaire mémoire visuelle. Le mythe nouveau amène à comprendre les phénomènes humains en recourant au merveilleux et nous y trouvons des procédés que la propagande du XXe s. a encore plus amplifiés. La chronique tente de comprendre le présent avec des témoins et en recourant au passé tel qu’il peut être connu, avec des sources plus ou moins fiables et sans s’interdire le recours au merveilleux qui, plus tard, sera appelé le hasard, permettant de comprendre l’inexplicable ….
Pourquoi un tel succès des récits mythiques et des légendes[33] chez les hommes de guerre, pas uniquement chevaliers d’ailleurs ? L’auditeur ou lecteur médiéval ne les lit pas ou ne les écoute pas comme nous. Ma conviction est que ces récits mythiques avaient pour eux une fonction très précise, surmonter la peur[34] : la peur face à l’inconnu, face à la mort à donner ou à recevoir. Pour transformer cette peur en force de survie, le guerrier construit sa force intérieure sur sa Foi d’abord et sur les mythes qui lui sont connus. La Foi donne un sens à sa vie et à sa mort ; les mythes nourrissent son imagination pour survivre dans des conditions difficiles, en recourant à la ruse par exemple. L’apprentissage de la ruse à travers la littérature médiévale serait un axe de recherche utile à prospecter : les œuvres de Frontin et de Polyen[35] ont été souvent utilisées. Depuis sa petite enfance, le futur guerrier a eu son imaginaire meublé de héros et d’actes mythiques : il s’est créé une sorte de « catalogue » où la fiction et l’invraisemblable ne gênent nullement. Foi et mythes sont les deux constituants pour maîtriser la peur, pour agir avec sagesse et pour garder le courage d’entreprendre même quand tout semble perdu aux yeux de la seule raison.
Des modèles sont proposés pour l’action. Des exemples explicitent différents cas de figure : comment éprouver sa hardiesse, accomplir des exploits, affronter l’inconnu, découvrir de nouveaux territoires, progresser en fonction des rencontres imprévues -parfois bénéfiques, parfois maléfiques-, être confronté à la mort possible. La question essentielle revient dans la plupart des récits : comment résoudre le problème du choix en des moments décisifs. Le chevalier au Papegau illustre cette nécessité de choisir entre trois voies : la Voie sans Merci, la Route de l’Injustice et la Route sans nom que choisira Méraugis. Le combat spirituel équivaut au combat temporel. Dans nos chansons de geste, avant les victoires sur le champ de bataille, le héros doit livrer des batailles intérieures pour établir le bon choix : son choix, motivant sa volonté qui animera son action, fera de lui le héros, une façon d’acquérir l’immortalité et d’entrer dans la Gloire de Dieu. Sauver les faibles, les opprimés, les dames en détresse et les demoiselles assiégées sont autant de thèmes traités à profusion.
C’est bel et bien des récits mythiques qu’est issue une éthique chevaleresque. Raymond Lulle[36] a composé le manuel du chevalier chrétien avec son Llibre del Ordre de Cavayleria[37]. Les origines de la chevalerie, les devoirs du chevalier et tous les rites accompagnant l’adoubement (examens, épreuves, cérémonial), la signification des armes, les mœurs et coutumes de la chevalerie sont exposés. Son texte rédigé en espagnol a été très souvent repris en la langue d’oc dans ce genre littéraire appelé ensanhamen, appelé aussi littérature morale, non dépourvue de qualités littéraires au sens que nous l’entendons aujourd’hui.
Les mythes auront encore plus de force lorsqu’ils seront christianisés[38] : Merlin[39] est au départ un être diabolique ; avec le temps, il se christianise et devient un prophète ; le mythe païen du Graal est devenu la « Queste du saint Graal». Au commencement, le Graal était une recherche de l’impossible. Avec Robert de Born, le chevalier errant devient le chevalier disponible : le chevalier est un héros en devenir et devant faire ses preuves en rendant service à la communauté. La force de Merlin est de détenir tous les savoirs sur le passé, le présent et l’avenir : il serait de nos jours le symbole de la prospective ou de la futurologie.  Les romans arthuriens ont contribué à l’élaboration d’une éthique chevaleresque pour employer la formule de Georges Duby.
Un aspect mérite d’être souligné : celui qui livre bataille ne se bat pas pour une idéologie, pour une religion[40], pour un suzerain[41] mais pour la justesse d’une cause, pour un droit établi par la coutume ou les lois de l’Eglise. La Foi a ainsi régulé l’emploi de la violence : sa confiance mise en Dieu exige un engagement pour une cause juste. Le héros n’est pas un homme seul même lorsqu’il combat en solitaire : il combat pour l’honneur des hommes de son rang et de sa famille, pour la justesse de sa cause et le service de son suzerain exerçant le droit aussi bien que des peuples dont il assure la sécurité.
A travers les mythes, des constantes universelles apparaissent et Georges Gusdorf[42], dans son étude Mythe et métaphysique, en fait bien état. Le mythe révèle cette volonté humaine de rechercher des vérités, de les comprendre et de les éclairer : la poésie est ainsi la meilleure voie pour faire entendre la voix de ces vérités originelles. L’alliance entre le mythe et la raison est possible en ce temps : l’un n’écarte pas l’autre comme cela sera de plus en plus le cas dès le XVIe s. La seule raison bloque et ferme des issues pourtant prometteuses. Le mythe ouvre l’esprit  vers l’inconnu qui est accepté dans la mesure où il peut être affronté. La raison a désintégré l’image de l’homme. Le mythe inscrit l’homme dans l’univers, donne un sens au monde et donc à l’homme. Les mythes sont à être lus selon l’homme du Moyen Age et non avec notre regard du XXIe s.. Cet aspect devrait être développé mais il est bon de garder à l’esprit que le mythe  tente d’unir des communautés humaines en les plaçant sous la protection de forces supérieures à l’homme : d’où le besoin de sacralité, de rituel. Et deux citations de Gusdorf peuvent donner l’éclairage utile à une lecture médiévale de la guerre :
« La conscience mythique permet la constitution d’une enveloppe protectrice, à l’intérieur de laquelle l’homme trouve son lieu dans l’univers. »[43] et « En fait, le mythe a pour fonction de rendre la vie possible. Il donne aux sociétés humaines leur assiette et leur permet de durer. »[44] .
Les mythes offrent des analyses poussées des interdictions et des transgressions sous tous les angles : ils inscrivent l’homme dans un temps et un espace qui deviennent sacrés. Le mythe a trois fonctions : narrative (il raconte), initiatique (il révèle) et étiologique (il explique). En plus, il produit des rites qui unissent la communauté. Avec Chrétien de Troyes, les données mythologiques commencent à s’effacer au profit d’une analyse plus psychologique des personnages : les celtes deviennent des « chevaliers courtois ». Erec et Enide concilie amour et aventure pour l’accomplissement de soi. Le héros est un personnage dont la mort a pris un sens particulier en une situation exemplaire selon une éthique partagée par une communauté.
Neuf types de héros alimentent l’imaginaire du guerrier médiéval : trois héros païens, Hector, Alexandre et César ; trois héros juifs, Josué, David et Judas Macchabée ; trois héros chrétiens, Arthur, Charlemagne et Godefroy de Bouillon[45]. Le christianisme a réussi cette symbiose de trois cultures : il est regrettable que des approches historico-politiques aient fait oublier cet aspect si particulier de la littérature médiévale.

Diversité des Chroniques.
Jean de Joinville décrit les batailles avec force en de petites scènes mais nous n’y trouvons pas une vision globale des opérations. Son style alerte rend la lecture de son œuvre agréable.
Jean Le Bel[46] dans ses « Vrayes Chroniques »[47], dont Froissart a repris plus tard de larges extraits, s’était consacré à la carrière des armes : son texte est une source sûre car il a choisi les témoignages les plus certains et relatent les faits qu’il a vécus. Ses descriptions des événements et des lieux sont remarquables et il ne tente pas des conjonctures hypothétiques sur ce qu’il ignore.
Les Croisades ont été traitées dans plusieurs chroniques. Un témoin comme Eudes de Deuil, lors de la seconde croisade (1147-1149) est une source fiable : de façon générale cependant, les données fournies par d’autres auteurs sont moins certaines. Elles ont aussi été un sujet prisé des trouvères et troubadours avec les chansons de croisades : exhortations à l’expédition, complaintes des croisés devant quitter la femme aimée, des « disputes » (discussions) sur la croisade et parfois elle est remise en cause non sans force[48] dans des satires. L’Estoire de la guerre sainte a servi la gloire de Richard Cœur de Lion mais reste intéressante dans la mesure où l’on découvre la vision d’un jongleur anglo-normand, Ambroise, qui l’avait accompagné : il a été le témoin oculaire et a constaté les souffrances endurées par les pèlerins en Terre sainte. Son regard ne porte pas uniquement sur les guerriers mais aussi sur les hommes qui les accompagnent. Saint Bernard a prêché en faveur de la croisade et sa prédication nous est restée. Une source précieuse est formée par les lettres  fournissant non seulement des faits mais aussi  des perceptions de la guerre en cours.
La croisade contre les Albigeois[49] a fait l’objet de nombreux récits de guerre qui offrent un regard plus pertinent sur les procédés de guerre en usage. Leur lecture est encore polémique de nos jours car la tentation est grande pour les historiens du XXIe s. de vouloir illustrer leur perception de la guerre au lieu la replacer dans le contexte du début du XIIIe s.  

L’Eglise et la guerre.
Les responsables de l’Eglise, durant tout le Moyen Age, ont longuement et abondamment débattu[50] sur la nature de la guerre, sur le droit à la guerre comme dans la guerre et sur la guerre offensive et défensive. Nous avons de véritables chefs d’œuvre et des textes d’une grande valeur littéraire, saint Augustin en est une bonne illustration. Certains Pères de l’Eglise se sont opposés totalement à l’emploi des armes : les actuels objecteurs de conscience contre l’armée y trouveraient de quoi renouveler leur argumentaire.
Les saints militaires[51] ayant porté les armes sont nombreux saint Sébastien[52], saint Georges, saint Maurice[53], saint Martin de Tours, saint Démétrius, saint Louis[54], Jeanne d’Arc… Avant le combat, selon une tradition de l’Ancien Testament, des prières étaient faites. Les sépultures honorent les combattants. Il n’y a pas de frontières précises entre activités de guerre et activités de paix pour le chevalier. La paix nécessite parfois l’emploi de la force de façon mesurée. Le christianisme cherche à limiter les désolations de la guerre chaque fois qu’il le peut : c’est ainsi qu’est né un droit dans la guerre.  Les épîtres de saint Paul privilégient le combat spirituel (Ephésiens, 6, 10-17) mais selon lui, le combat temporel est possible (Hébreux, 11, 32-34). Les orantes et les bellatores, les clercs et les guerriers, mènent le même combat, chacun avec ses armes propres. Cependant, la coupure n’est pas totale entre les deux ainsi que l’a entretenue une fausse image de la féodalité : de nombreux clercs ont aussi porté les armes. L’armée de l’empereur Otton III est commandée par l’évêque Bernard. En 1053, le pape Léon IX remporte sur les Normands une victoire dans les Pouilles. Les Chrétiens voyaient en la Croisade une guerre défensive et malgré cet aspect, il y a eu des oppositions vives. Robert de Blois et Honoré Bovet illustrent ces liens unissant clergie et chevalerie.
Robert de Blois, trouvère après avoir été un clerc, est un bon exemple d’un auteur cultivant plusieurs styles littéraires, avec ses écrits du milieu du XIIIe s. Avec Beaudous, il a rédigé un roman arthurien mettant en scène le fils de Gauvain et la demoiselle de Galles ; il a composé une Chanson d’Amors et un roman d’aventure Floris et Lyriopé ainsi que des poèmes religieux. Une des ses œuvres nous intéresse spécialement : l’Enseignement des Princes[55]. En des vers octosyllabiques, son poème didactique et moral enseigne le respect dû aux femmes, détaille le symbolisme des armes du chevalier[56], condamne des vices trop humains comme la médisance, l’envie, l’orgueil, les traîtres à la parole donnée (Ganelon, Guillaume d’Angleterre), la confiance mal placée dans les serfs (exemple de Darius et d’Alexandre), l’avarice (louange des largesses d’Arthur). Il fait l’éloge de la modération, de la patience et de la maîtrise de soi (exemple de César à Ilerda). Cette œuvre doit beaucoup au roman d’Alexandre comme aux écrits de Raymond Lulle et de nombreux stéréotypes médiévaux s’y retrouvent. 
Honoré Bovet[57] a fait ses études à Avignon. Licencié en droit canon, il sera moine de l’abbaye bénédictine de l’Ile Barbe (Lyon) pour achever sa vie en tant que prêtre et prieur de Selonnet au diocèse d’Embrun. Son traité didactique, intitulé L’Arbre des batailles[58], est écrit en prose française et a connu un vif succès avec des traductions en provençal, catalan, espagnol et anglais[59]. Après avoir partagé ses réflexions sur les tribulations de l’Eglise connaissant le schisme, il établit un résumé de l’histoire universelle pour, dans les deux dernières parties, traiter des « batailles » et des droits des gens en toutes circonstances (duel en champ clos, légitime défense, vengeance…). Il évite la sécheresse juridique en illustrant sa prose d’exemples de son temps et en recourant au dialogue. Son texte reflète l’écrit d’un de ses contemporains, le juriste bolonais Jean de Legnano : De Bello, de represaliis et de duello.

Les livres cynégétiques
Ils sont trop souvent oubliés dans l’étude de la guerre médiévale et pourtant, bien plus tard, un Walter Scott en a fait bon usage pour ses descriptions littéraires. La chasse est un des moyens de s’entraîner à la guerre : maîtrise de soi, maîtrise de son cheval sont les aptitudes qu’y se développent. De grandes similitudes existent entre la conduite d’une chasse et celle d’une troupe : le seigneur n’est généralement pas seul mais il dispose de tout un entourage n’ayant pas forcément des notions du combat mais apprenant ainsi des méthodes utiles pour le combat. Les chasses sont des entraînements à la traque du gibier et au tir à l’arc ou à l’arbalète. Achever un cerf ou un sanglier n’est pas une tâche facile. Les meilleures indications sur l’archerie se trouvent dans les livres cynégétiques : la qualité des cordes fait l’objet d’une grande attention. Les ruses des animaux pour déjouer le ou les chasseur (s) sont aussi des enseignements : un sanglier a un talent particulier pour laisser passer ses poursuivants et partir à contre-sens. L’art des pièges est aussi traité : piéger un homme ou un animal, il n’y a aucune différence.
Le livre de la Chasse du roi Modus et de la reine Ratio[60] d’Henri Ferrière et enluminé par Girart de Rousillon, exécuté pour Philippe Le Bon, duc de Bourgogne[61], a inspiré plus d’un écrivain disciple de saint Hubert. Ainsi, Le livre de la chasse de Gaston Phébus[62] constitue un autre témoignage : la chasse développe les dons d’observation qu’un fantassin ou un cavalier ne devait pas négliger. En terre inconnue, la chasse est un des moyens d’assurer l’alimentation du guerrier et de ses accompagnants éventuels, sans recourir à des réquisitions mal supportées par les populations locales (aspect purement logistique non négligeable). La chasse est un moyen de connaître le territoire où le seigneur exerce son droit de justice et reconnaître les lieux où il peut être amené à livrer bataille. Ces livres offrent de beaux textes et possèdent des enluminures qui les accompagnent : il est ainsi possible de visualiser ces scènes avec précision.

Satires
Les tournois ont été chantés par plus d’un poète et loués dans plus d’un roman. Cependant les satires n’ont pas manqué à l’égard des chevaliers et plus spécialement des hérauts d’armes, ces maîtres de cérémonie dans les tournois, conteurs de hauts faits chevaleresques et héraldistes reconnus. Par jalousie de conteur, Henri de Laon, poète du XIVe s., dans son Dit des Hérauts, dénonce l’ignorance, la paresse et la convoitise des hérauts et souligne la décadence des tournois. Les seigneurs orgueilleux, cupides, chicaniers ne démontrent ni prouesse, ni courage, ni endurance. Selon lui, les frais de joute sont excessifs alors que les bacheliers sont pauvres et méprisés… Comme d’autres ménestrels, il refuse que les hérauts d’armes leur enlèvent le récit des hauts faits d’armes qu’il considère comme l’une de leur prérogative. La chevalerie n’est cependant pas contestée : les mauvais chevaliers sont par contre blâmés.

Conclusion
Des beautés littéraires ne résident pas uniquement dans les romans et les chansons de geste. Le lecteur d’aujourd’hui comme celui du Moyen Age se plaît à retrouver des vérités éternelles. Les écrits révèlent de multiples témoignages sur la perception de la guerre qui n’est pas considérée isolément mais qui s’inscrit dans toutes les activités humaines : guerre acceptable lorsqu’elle est au service du droit et guerre méprisable quand elle sert l’injustice. Cette littérature est essentielle pour que chaque homme de guerre se forge un modèle, un être exceptionnel par ses actes : le héros médiéval doit incarner dans sa vie des actes qui ne seront plus ainsi des rêves, suggérés par la littérature. Seuls les actes concrétisent la plus haute idée que l’homme de guerre puisse se faire de sa fonction. Surmonter la peur de l’inconnu, résoudre le problème du choix en son âme et conscience, garder la maîtrise de soi, se mettre au service des autres, accepter la nécessité de se sacrifier s’il le faut pour la justesse d’une cause sont des thèmes amplement traités avec des exemples fictifs ou réels : ces messages ont été entendus et s’entendent encore. Un livre de chasse révèle deux mots importants qui connaîtront un grand destin : le roi Modus, c’est la méthode et la reine Ratio, c’est la connaissance. Méthode et connaissance, pratique et imagination, savoir faire et savoir être : c’est tout l’enseignement de cette littérature médiévale traitant de la guerre.   

Antoine Schülé
La Tourette, septembre 2013

Contact : antoine.schule@free.fr 



[1] Le livre de la chasse de Gaston Phoebus, manuscrit français 616 de la Bibliothèque nationale Paris. Club du livre. Philippe Lebaud éd. Paris-Graz. 1976. Transcription en français moderne par Robert et André Bossuat. In : Prologue, p. 3.
[2] Un traité de tactique peut être établi uniquement avec des exemples extraits de l’Ancien Testament. La guerre totale y est déjà décrite dans : 1 Sam, 15, 1-11.
[3] Voir : Psaumes avant la bataille : Ps 20, 68 (le psaume des batailles), 79, 83, 144, 149 ; après la victoire : 18, 21, 60 et 66 ; confiance dans le Dieu des armées : 40.
[4] Grégoire Kolpktchy : Livre des morts des anciens Egyptiens. Paris. Stock. 1978. 332 p.
[5] Danielle Régnier-Bohler (sous la dir.) : La légende arthurienne, Le Graal et la Table ronde. Paris. Robert Laffont. Coll. Bouquins. 1989. 1208 p. Quinze romans de la Table ronde, écrits soit en français, soit en langue d’oc et réunis en un seul volume, témoignent du succès de la légende arthurienne du XIIe au XVe siècle.
[6] Régis Boyer : La saga de Sigurdr ou la parole donnée. Paris. Cerf. 1989. 292 p.
[7] Ch. Guyot et E. Wegener : Le livre des Vikings (d’après les anciennes sagas). Paris. Ed. H. Piazza. 1924. 204 p.
[8]Alexandre de Paris  (trad. de Laurence Harf-Lancner) : Le roman d’Alexandre. Paris. Le livre de Poche. Coll. Lettres gothiques. 1994. 864 p. L’un des plus anciens romans français versifiés (c’est en son honneur que les vers de douze pieds sont appelés alexandrins), le texte original  comporte en vis-à-vis la traduction en français moderne.
[9] Louis-Fernand Flutre : Table des noms propres avec toutes leurs variantes figurant dans les romans du Moyen Age. CERSCM : Centre d’études supérieures de civilisation médiévale. Poitiers. 1962. 324 p. Deux tables : une pour les noms de personne et une pour les noms géographiques et ethniques.
[10] Léon Gautier : La chanson de Roland. Tours. Mame. 1881. 604 p. Texte critique avec traduction et glossaire. 
[11] Lionel Bartoloni, Jean-Daniel Morerod, Anton Näf, Christian de Reynier : Rodolphe, comte de Neuchâtel et poète. Neuchâtel. Alphil & Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel. 2006. 80 p.
[12] Emmanuel de Saint-Albin (trad.) : La légende du Cid. Paris. Librairie internationale.  2 vol. 1866. 336 p. et  296 p.
[13] Les clichés largement répandus de l’amour courtois occultent une littérature érotique au langage cru, sans les fausses pudeurs qui apparaissent dès la Renaissance. Exemple : le fabliau du XIIIe s. attribué à Guérin, Chevalier qui fit les cons parler.
[14] Robert Bossuat, Louis Pichard et Guy Raynaud de Lage  (éd. revue par Geneviève Hasenohr et Michel Zink) : Le Moyen Age. Paris. Fayard. Collection Dictionnaire des Lettres françaises. Pochothèque. 1992. 1508 p. Cette encyclopédie de la production littéraire du Ve au XVe siècle est un instrument de découverte et de recherche incontournable.
[15]  Perceval, Perlesvaus, Merlin et Arthur, Le livre de Caradoc, Le chevalier à l’épée, Hunbaut, La demoiselle à la mule, L’âtre périlleux, Gliglois, Méraugis de Portlesquez, Le roman de Jaufré, Blandin de Cornouaille, Les merveilles de Rigomer, Meliador, Le chevalier au papegau.
[16] L’Eternel Retour, film de Jean Delannoy : Jean Cocteau réinvente à sa manière la légende de Tristan en partant du principe que les mêmes circonstances peuvent se reproduire sans que les êtres qui les vivent ne s’en doutent.
[17] Paul Zumthor : La lettre et la voix, De la « littérature » médiévale. Paris. Seuil. Coll. Poétique. 1987. 348 p. Il développe une vision restrictive de la littérature aux seuls romans : c’est omettre volontairement de grands pans de la vie littéraire médiévale.
[18] Les lais de Marie de France en sont une bonne illustration.
[19] Le Cor d’Alfred de Vigny.
[20] Le roman de Tristan et Iseut, renouvelé par Joseph Bédier. Paris. Ed. H. Piazza. 1929. 252 p. Agréable adaptation de ce roman qui a inspiré plus d’un film.
[21] La légende de Guillaume d’Orange, renouvelée par Paul Tuffrau. Paris. Ed. H. Piazza. 1920. 276 p. Version en français moderne de cette légende du XIIe siècle.
[22] Pour que les Américains s’intéressent au monde arabe, il a fallu un Lawrence d’Arabie médiatisé par un journaliste.
[23] Joseph de Ghellinck : L’essor de la littérature latine au XIIe siècle. Paris-Bruxelles. Desclée de Brouwer. 1946. 2 vol. 236 p. et 356 p. Cet ouvrage reste une utile introduction à la richesse des thèmes traités par les auteurs latins médiévaux.
[24] Martin Aurell : Le chevalier lettré. Savoir et conduite de l’aristocratie aux XIIe et XIIIe siècles. Paris. Fayard. 2011. 540 p.
[25] Un convers juif et médecin d’Alphonse Ier d’Aragon, devenu son parrain de baptême
[26] Grammaire, rhétorique et dialectique.
[27] Arithmétique (en lieu et place de la médecine avant le XIIe s.), géométrie (idem de la physique), musique et astronomie.
[28] 14-16 ans.
[29] Le seigneur médiéval est avant tout l’administrateur d’un bien foncier avant que d’être un guerrier.
[30] Robert Fossier : « Le guerrier et le soldat », pp. 254-266. In : Le travail au Moyen Age. Hachette. 2000. 320 p.
[31] Naissance d’une administration royale.
[32] Paul Aebischer : Préhistoire et protohistoire du Roland d’Oxford. Berne. Francke. 1972. 292 p.
[33] Succès comparables aux films de guerre de nos jours.
[34] Philippe Contamine : La guerre au Moyen Age. Paris. PUF. Nouvelle Clio. 1980. 516 p. : « Pour une histoire du courage », pp. 406-418. 
[35] In : Bibliothèque militaire. Paris. 1839-1840. T. 3. Frontin, Stratagèmes, pp ; 574-639 et Polyen : Ruses de guerre, pp. 643-831.
[36] Un grand romancier à diffusion européenne, (1232-1316). Son chef d’œuvre : Félix ou le Livre des merveilles. Paris. Ed. du Rocher. 2000. 448 p.
[37] Raymond Lulle (trad. Patrick Gifreu) : Le livre de l’ordre de la chevalerie. La Différence.
[38] Philippe Walter : Mythologie chrétienne. Rites et mythes du Moyen Age. Paris. Ed. Entente. 1992. 300 p.
[39] Christine Ferlampin-Acher et Denis Hüe : Mythes et réalités du Roi Arthur. Rennes. Ouest-France. Coll. Histoire. 2009. 132 p. Tentative de reconstituer la biographie du Roi Arthur, cette figure légendaire connue uniquement par la littérature.
[40] Au départ, les Croisades avaient pour but de protéger les pèlerins se rendant dans les Lieux Saints ; d’autres croisades dites religieuses étaient des luttes soit pour le pouvoir (croisade contre les Albigeois), soit pour des motifs commerciaux, la religion étant considérée comme un atout décisif pour motiver les protagonistes.
[41] Au XVIe s., cela changera !
[42] Georges Gusdorf : Mythe et métaphysique. Introduction à la philosophie. Paris. Flammarion. Coll. Champs. 1984. 368 p.
[43] G. Gusdorf : op. cit. p. 59.
[44] Idem. p. 66
[45] Chevalier au cygne et Godefroy de Bouillon. Poème de 35000 vers qui remanie le cycle des Croisades. Les abominations de la guerre sont amplement décrites. Une originalité : des amitiés sincères peuvent se nouer avec l’ennemi.
[46] Claude Gaier : Armes et combats dans l’univers médiéval II. Bruxelles. De Boeck. 2004. 292 p. « Les guerres d’Ecosse et d’Angleterre vues par le chroniqueur liégeois Jehan Le Bel (1326-1361) », pp. 247-261.
[47] Ed. J. Viard et E. Deprez, Société de l’Histoire de France.
[48] Lire Huon de Saint-Quentin, Guilhelm IX et Rutebeuf.
[49] Laurent Albaret et Nicolas Gouzy (dir.) : Les grandes batailles méridionales (1209-1271). Toulouse. Privat. 2005. 236 p.
[50] P. Contamine : op. cit. : « La guerre : aspects juridiques, éthiques et religieux. », pp. 419-477.
[51] André Corvisier : Les Saints militaires. Paris. Champion. 2006. 352 p.
[52] Saint patron des archers.
[53] Saint parton de l’infanterie.
[54] Le roi guerrier.
[55] J. Fox : Robert de Blois, son œuvre didactique et narrative. Etude suivie d’une édition critique de l’Enseignement des Princes et du Chastoiement des Dames. Paris. 1950.
[56] Michel Pastoureau : Une histoire symbolique du Moyen Age occidental. Paris. Seuil. 2004. 448 p.
[57] Né vers 1345, près de Sisteron.
[58] Rédaction probable entre 1386-9.
[59] Une Europe culturelle existant déjà.
[60] Gunnar Tilander : Les livres du Roy Modus et de la Royne Ratio. Paris. Société des anciens textes français, LXXV-LXXVI. 1932.
[61] Le livre de la chasse du roi Modus, manuscrit 10218-19 de la Bibliothèque royale de Bruxelles. Club du Livre. Paris. 1989. Adapté en français par Gunnar Tilander.
[62] Le livre de la chasse de Gaston Phoebus, op. cit.  

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