samedi 3 février 2018

La vie des mots, ces voyageurs dans le temps et l'espace.


La vie des mots

Antoine Schülé


Introduction

Le propre de l’historien est d’être curieux, un curieux du passé bien entendu, non pour satisfaire une curiosité malsaine, pour nuire, pour diffamer mais, tout simplement pour comprendre ce passé qui a construit ce présent dans lequel nous vivons ; ce présent sur lequel nous bâtissons, plus ou moins péniblement, un avenir qui ne dépend de nous que pour une partie car l’historien n’ignore pas que le hasard ou la Providence (l’appellation se déterminant selon la croyance de chacun), détruit, corrige, détourne ou bonifie plus d’un projet, même le mieux conçu et le mieux préparé !

Un historien réunit les faits, les analyse, tente de les comprendre, même quand cela semble défier tout raisonnement logique pour les expliquer et ce qui ne signifie jamais les justifier. Son intention est de donner des réponses aux questions légitimes que se pose tout « Honnête homme ». D’ailleurs, ce qu’il y a de merveilleux dans une recherche historique est que, plus nous réunissons de réponses, plus nous nous posons de nouvelles questions. Oui, le travail d’historien est une quête qui ne finit jamais : c’est ce qui décourage certains mais ce qui motive d’autres, les vrais historiens !

Aussi était-il normal qu’en tant que lecteur de cette littérature médiévale (je vous signale que cela porte sur environ 1000 ans), je me sois intéressé à ces mots soit perdus, soit aux origines oubliées, soit aux sens ayant évolué dans le temps.

Je vous rassure tout de suite, vous n’aurez pas droit à un discours de linguiste ou d’un spécialiste de phonétique. Les linguistes se complaisent en de longues explications étymologiques selon des règles de phonétique qui ne fonctionnent pas toujours et comportant autant d’exceptions que dans la Grammaire française, cela n’est pas peu dire ! Mon but dans cette communication est essentiellement de vous donner sobrement les origines de quelques mots qui vous sont connus et que nous employons souvent mais dont les origines échappent à notre compréhension.

Les mots voyageurs

Chaque mot a une origine, une vie connaissant parfois de nombreuses mutations et parfois aucune : le mot « barbe » vient du latin « barba », le mot « pré » vient du latin « pratum ». C’est simple et clair et ne mérite pas plus d’explication. Toutefois, quelle est l’origine du mot « barba » latin ? Là, vous ne trouverez pas facilement la réponse car en matière d’étymologie, les spécialistes se contentent le plus souvent de remonter à la racine latine ou grecque.

Le sanskrit, une des grandes langues de civilisation en Asie, se retrouve dans les plus anciens mots connus et ayant trait à la vie courante des Gaulois, des Celtiques et de bien d’autres langues, hors du territoire européen. « Sanskrit » signifie « construit» [selon une grammaire établie]. La préhistoire du sanskrit serait, selon les recherches actuelles, le descendant d'une langue encore plus ancienne, dite indo-européenne.
Le premier monument littéraire sanscrit, connu de nos jours, est le Ṛgveda, une anthologie d'hymnes religieux. Ceux-ci ont été composés dans le nord-ouest de l'Inde, au milieu du IIe millénaire avant J.-C. Le nom ārya (sanskrit), airya, ariya (iranien) que se donnent en commun ces deux groupes a fait adopter le terme aryen pour désigner leur communauté. On a choisi le terme indo-aryen pour désigner le rameau linguistique implanté dans l'Inde : des mots de cette langue sont au XIVe siècle avant Jésus-Christ, chez les Hittites notamment.
Un exemple de sanscrit : le mot mère.

Or, notre belle langue française a de multiples origines en plus de l’indo-européen, le celtique, le germanique, les mots arabes, les mots hispaniques et même d’Amérique du Sud comme de la Norvège. Ainsi nos bons « vieux » mots labélisés français (parfois pas tant que çà, à double titre) ont les couleurs du monde !

De la langue des Caraïbes, l’arawak, provient le mot « canot ». La « girafe » est un mot arabe. La caste ou le fétiche ont des origines portugaises. La mangouste est mot marathe, de la région de Bombay (Inde). De la langue des Aztèques, le nahuatl a donné, via l’Espagne, un mot qui ravit les enfants et que je suis dans l’obligation de vous donner en raison des fêtes de Noël qui approchent : le chocolat (le mot pochocacàua-atl a été abrégé en chocacàua-atl pour s’hispaniser en un chocolate devenu chocolat ; dans le cacàuatl, vous avez identifié le mot cacao).
La langue anglaise a emprunté de nombreux mots au vieux français et phénomène étrange ceux-ci sont restés dans la langue anglaise pour disparaître en français et, parfois même, nous revenir de l’Angleterre mais avec un autre sens ! Ainsi la fidélité n’existe même pas dans les mots : que nous dirait Sacha Guitry qui a tant glosé sur la fidélité des amants ou des couples qui se prêtent des serments très humains, donc mortels, justement par des mots !
La langue turque a fait des emprunts à la langue arabe comme la langue arabe a puisé dans la langue grecque, ce qui s’oublie trop facilement ! Vous voyez que les mots se jouent des frontières ou des cultures mais nous, les locuteurs, celles et ceux qui parlons cette langue française, nous l’avons oublié.

Quelques cheminements démontreront les voies étranges suivies par nos mots :
Le sucre vient du sanskrit, passe par l’arabe, puis l’italien pour prendre sa forme française. Le riz vient de l’hindi, passe par l’arabe pour se franciser. Le sirop mot d’origine arabe, a passé par l’Espagne avant de devenir français. Mais levons les yeux au ciel, pour parler de l’azur qui est un mot persan, ayant passé par l’arabe, pour devenir ce mot tant prisé des poètes !
Pensez à un fruit bien de chez nous : l’abricot a été emprunté, vers 1550, à l'espagnol qui l’avait lui-même pris de l'arabe (al-barqoûq), qui l'avait reçu du grec syrien, qui, lui, le tenait du latin (praecoquum : oui, le précoce est son sens initial ; le préfixe latin prae- signifie avant ; coquere a donné le mot cuire ; l’abricot est donc ce fruit qui arrive à maturité avant les autres). L’abricot est originaire de la Chine pour s’implanter dans les régions méditerranéennes en passant par l’Arménie, peu avant l’ère chrétienne : c’est pourquoi, avant que la dénomination abricot soit retenue, Pline appelle ce fruit armeniacum, signifiant d’Arménie.

Un autre phénomène est à considérer : les mutations sémantiques sur la longue durée. Quelques exemples illustrent cela :
  • voler (dérober), d'emploi commun depuis le XVIe siècle, s'explique par le fait que ce mot fut au Moyen Âge un terme de chasse (d'un rapace qui « vole » sur sa proie et la saisit) ; vol (action de dérober), tiré du même verbe voler au XVIIe siècle, est donc un autre mot que vol (action de se déplacer en l'air), attesté dès le XIIe siècle1 ;
  • traire, mot d'usage jadis général, au XVIe siècle céda sa place au verbe tirer, dérivé de tire, mot du langage des tisserands picards, et d'origine flamande ;
  • épave fut un terme juridique désignant les bestiaux égarés (beste espave, du latin expavida.

Que cet internationalisme du vocabulaire ne nous fasse cependant pas oublier que de nombreux mots viennent de ces patois ou dialectes, tant décriés par l’enseignement public du français au XIXe et XXe siècle : l’alsacien, le basque, le breton, le catalan, le corse, le flamand occidental, le francique mosellan, le franco-provençal, les langues dites d’Oïl (franc-comtois, wallon, champenois, picard, normand gallo, poitevin-saintongeois), le lorrain, le bourgignon-morvandiau, sans parler des mots gaulois, dont on retrouve des liens avec le sanscrit, ou le francique (c’est-à-dire un dialecte allemand).
Charlemagne parlait un dialecte allemand, le francique : les spécialistes débattent avec vigueur pour savoir s’il s’agissait d’un francique rhénan (ce que je crois) ou de francique rhéno-mosan (il y a là un parfum de chauvinisme national dans le débat, je vous le dis en tant que neutre, puisque partiellement Suisse d’origine). Plus tard, il a étudié le latin, la langue diplomatique de son temps !
Un petit rappel : un cliché demeure dans les esprits que les prêches dans les églises se tenaient en latin afin que le peuple n’y comprenne rien. Cela est ridicule, mais les idées fausses ont si souvent la vie dure. En effet, en 813, au Concile de Tours, il est recommandé aux prêtres de prêcher dans la « langue romane rustique », c’est-à-dire le latin des illettrés, pouvant être compris d’un public plus large. En compléments, comme « supports pédagogiques » comme nous disons de nos jours, les vitraux, les retables et les peintures religieuses (ancêtres de nos bandes dessinées mais à but éducatif) suffisaient pour expliquer aux fidèles les grandes pages de l’Ancien et du Nouveau Testament, les paraboles ou les vies de Saints.
Ce fut avec le roi Hugues Capet, élu roi à Senlis en 987, dont le roman, qui deviendra le français, fut la langue maternelle : il ne comprenait plus le francique et avait à un interprète pour dialoguer avec ses sujets ne maîtrisant pas sa langue. Le roman devint ainsi la langue de cour, chargée de prestige qui a, tout de même, attendu les réformes de l’éducation nationale au XIXe siècle pour écraser, d’une certaine façon, les langues concurrentes, nos dialectes !

Le mot étymologie s’explique par ses racines grecques : le sens propre du mot est « choisir le vrai », dans et par les mots.

Il est amusant de constater que le grec et le latin ont construit des mots, aux sens différents sur la même racine de base : un exemple, la racine «leg » signifie cueillir, rassembler et choisir.  Le legein grec a conservé le sens de rassembler pour signifier au final dire, c’est-à-dire rassembler des mots. Le legere latin a mémorisé les sens de cueillir et choisir pour prendre au final le sens de lire (rassembler des lettres). L’arbre généalogique, ayant cette racine pour souche, est généreux en fruits que nous retrouvons en allemand, en français, en espagnol, en anglais, en italien et en portugais. Nous sommes dans cette agitation électorale aux Etats-Unis et en France, il me faut donc en dire plus.

La forme grecque legein, au sens de dire, est à l’origine du logos et de toutes ces finales en -logue, -logie. Nous retrouvons cette racine grecque dans lexique et même dans l’horloge, un système qui dit l’heure, tout simplement !

Le verbe lire, du legere latin, possède de nombreux dérivés : la leçon, le fait de lire ; la légende, ce qui doit être lu ; le sortilège, qui lit le sort.
Le sens de choisir, encore du latin legere, a produit des : cueillir (colligere en latin ; élire (car c’est choisir) ; intelligent (du latin intelligere, comprendre, c’est donc choisir entre le vrai et le faux, en fonction de connaissances acquises ou en cours de découverte) ; légion, les légionnaires étaient recrutés par sélection ; élégant(e), une personne qui sait faire le bon choix ; négligent, celui qui ne recueille pas ; sacrilège, celui qui vole par choix volontaire les objets sacrés.
Après cette mise en bouche qui, je l’espère, ne vous a pas découragé, abordons un voyage dans le pays des mots.

Balade au pays des mots

A propos des crustacés
La gastronomie nous ayant réuni ce soir, faisons honneur à l’écrevisse, au crabe et à la crevette, sans oublier les gambas puisque nous sommes en terre languedocienne. Les trois premiers noms de crustacés, fort prisés dans nos assiettes, ont un air de parenté à nos oreilles. Rapidement et sans réfléchir, ce groupe cr et les labiales b et v dans la syllabe suivante peuvent nous le faire croire. L’histoire généalogique des ces trois mots apporte des éléments de réponse qui nous détromperont vite !

Crabe : un auteur normand, du premier quart du XIIe s. l’utilise avec la forme : krabbi. Il est d’usage chez certains spécialistes de le faire remonter au néerlandais : crabbe. Mais d’autres en doutent et lui donnent une couleur plus nordique encore : à l’origine, cela provient du norrois (la langue des Vikings) qui, antérieurement, use déjà de la forme : krabbi. Pour réconcilier ces spécialistes qui ne s’accordent pas, je dirai tout simplement que le néerlandais la reprit du norrois pour, par la Normandie, s’implanter dans la langue française…Mais dans ce genre de querelles, il vaut mieux ne rien dire car je pourrais me faire agresser par les deux camps … Changeons de crustacé !

Notre écrevisse nous vient de la langue de Charlemagne, du francique : krebitja au XIIIe s.. La racine kreb de la langue des Francs se retrouve dans le mot allemand de nos jours Krebs. Il est curieux de constater que ce nom germanique a effacé le mot cancer qui s’est maintenu dans la forme chancre, dans les dialectes du nord-ouest, avec le sens de crabe. Alors qu’il a produit dans le Languedoc les variantes cran ou cranc mais, avec, cette fois-ci, le sens d’écrevisse. Depuis le XIVe s., le cancer désigne généralement le signe zodiacal qui domine le mois de juillet.
Le mot écrevisse a évolué d’une autre façon dans les patois. Le é initial disparaît (une aphérèse) et le c devient un g : ainsi grévisse est né. Plusieurs d’entre vous ont étudié la grammaire de M. Grévisse, nom d’une famille belge. Plus d’un jeune aura plus de plaisir à goûter des écrevisses que le Grévisse ! Cependant, il n’est pas interdit d’aimer les deux ! Venons-en à nos crevettes.

Spontanément, après ce qui vient d’être dit, nous lui donnerions une origine germanique à cette crevette. Il en n’est rien. Sa forme initiale est chevrette qui existe en ancien français et dans les patois de la côte Atlantique (le normand-picard plus particulièrement). La crevette faisant de petits sauts comme la chèvre, du mot latin capra, la chèvre, c’est ainsi que cette bête d’eau fut baptisée.

Terminer ce plat de crustacés, sans parler des gambas, serait un reproche que vous auriez raison de me faire. Sur les bords de la Méditerranée, la forme francique krebitja a été supplantée par un mot d’origine grecque cammarus mais pas en ligne directe, cela aurait été trop simple. Le second m a muté en un b. Le c s’est durci en un : ce qui est une évolution normale. L’italien en a fait un gambero et l’espagnol un gambaro. Dans le sud de la France, par contre, la forme cambarus est demeurée vivace. C’est de Catalogne, que très récemment, la forme gamba est venue pour désigner cette délicieuse crevette des eaux profondes de la Méditerranée et de l’Atlantique.

De l’écu à l’écurie
Chacun a pu, à l’entrée, voir le blason de cet établissement et cela me conduit naturellement à l’écu et l’écuyer puisqu’il existait d’ailleurs un écuyer de bouche.
L’écu est, à son origine latine scutum, le terme employé dès le Moyen Age, pour nommer le bouclier (nom d’origine latine car il disposait d’une boucle formant une petite bosse se distinguait sur l’écu, dénommé affectueusement bouche ; il est difficile de le croire mais le mot boucle a la même origine). Par contre, l’écu comme pièce de monnaie, car portant à son revers un écu, date plutôt de Saint Louis (1214-1270), une pièce d’or avec ses armes sur une des faces. L’explication en est simple : le bouclier était orné de motifs pour distinguer les combattants entre eux. Ces motifs, signes distinctifs reconnus, se sont retrouvés sur les monnaies royales, d’abord en or puis en argent. En Espagne, cela a donné l’escudo. Le mot écusson est de la du XIIIe siècle, un petit écu portant des armoiries.
Sur le nom latin scutum s’est formé un adjectif latin scutarius, qualifiant tout ce qui peut être relatif au bouclier. Redevenu un substantif, les évolutions sémantiques commencent : il a désigné un fabricant de bouclier pour commencer et un porteur de bouclier pour finir.
En français, le mot écuyer fait son apparition. Dans les premiers textes en ancien français, il est donné à un jeune homme, noble qui apprend le métier des armes et qui porte le bouclier du chevalier. Je vous signale que le bouclier était devenu lourd à porter et cette charge formait les muscles du bras du porteur. Le temps passe, ce terme prend du galon : il désigne un officier du roi ou du prince.
Curieusement, le sens prend deux directions différentes, soit pour la cuisine, soit pour les chevaux.
Le « maître cuisinier » d’un prince porte le titre d’ « écuyer de cuisine » et l’officier, proche du roi qui assure la fonction de couper les viandes la table du roi ou du prince, est l’écuyer tranchant. Deux postes importants pour un détenteur de l’autorité qui n’ignorait pas les risques d’empoissonnement, il était prudent que des hommes de confiance aient un contrôle sur les aliments.
Pour les chevaux, de différentes races selon l’emploi qui en était attendu, il y a eu plusieurs grades pour les personnes qui devaient en prendre soins : écuyer, écuyer d’escuirie, premier écuyer et grand écuyer. L’écuyer était un maître en équitation et ensuite toute personne montant bien un cheval a porté ce nom. Les noms de famille Ecuyer et Equey ont bien été créés sur le mot écuyer.
Dès la fin du XIIIe s., le terme évolue en escuyerie, escuerie, escurie et, au final, écurie servait à nommer la charge de grand écuyer : celui qui avait la responsabilité des chevaux dans une maison princière. Il faut se rappeler qu’un roi ou un prince voyageait la plupart du temps sur ses territoires, avec femmes et enfants, accompagné d’une nombreuse suite de proches, de soldats et de serviteurs. Un cheval fournissait un trajet de 20 à 30 Km maximum par jour ! Assurer les relais sur le parcours du roi ou d’un seigneur important demandait un travail à temps plein : travail de logistique dirions-nous de nos jours. Les rois étaient des nomades et ne connaissaient pas la sédentarisation d’un Président de la République dans les murs dorés de l’Elysée !
Il faut attendre le XVIe s. pour que l’écurie désigne le bâtiment où logent les chevaux. Le terme ne cessera pas de se démocratiser : grandes puis petites exploitations agricoles auront leurs écuries. Notre terme supplantera au final celui d’étable car le petit agriculteur plaçait dans le même local son cheval et ses bovins.
Dans le centre de la France, ce mot est tombé encore plus bas pour nommer l’étable où se trouvaient les porcs. Un peu plus charmant tout de même, et n’allez pas croire que je vous dis la suite de cette histoire par association d’idées scabreuses entre le cochon et la poule car je ne l’oserai pas, dans l’Allier et la Saône-et-Loire, le poulailler est appelé écurie à poules.
Heureusement, notre mot est sauvé par le sport hippique, automobile et cycliste : un ensemble de chevaux de course ; ensemble de coureurs automobile ou de cyclistes, regroupés par une même firme, le « sponsor ».
Et, pour conclure, rehaussons sa valeur avec l’écurie d’un galeriste ou d’un éditeur : ils réunissent des artistes ou des écrivains qu’ils valorisent, pour le plus grand profit de tous, je l’espère…

Un doux âne à la recherche du divin divan de la douane
Chez vous, après un bon repas, vous avez certainement l’habitude de vous reposer dans votre divan pour lire, pour discuter ou pour écouter et voir votre émission préférée. Vous êtes bien loin de penser à la douane alors que je pourrais presque dire que vous vous asseyez dessus mais en tout bien, tout honneur et sans offusquer le fisc que nous aimons tous, bien entendu (je dis cela car il y a peut-être un percepteur dans l’assemblée) ! Douane et divan ont un lien de parenté qu’il convient de percevoir puisque il est perse d’origine. Afin qu’il ne me soit pas dit qu’ « Il en perd son latin », perçons ce mystère avec persévérance, sans vous persécuter en le mettant en perspective. Ne faisons pas tenir le suspens plus longtemps !
Tout commence bien entendu par la douane. Ce mot est persan d’origine : dîvân. Il détermine un bureau administratif et, en même temps, cela ne manque pas de poésie, un recueil de poèmes. La langue arabe, avec le mot diwan, désigne une salle de réunion mais aussi le registre. Sous ce dernier sens, l’ancien italien au XIVe s. a formé un doana qui a produit douane. Ne croyez pas qu’il n’existait pas de douane avant le XIVe siècle, la langue du fisc qui aime le contribuable (merci de ne pas prononcer ce mot en faisant croire qu’il est composé de deux mots, dont le premier est très expressif pour celui qui a versé de lourds tributs), avait déjà créé, ce que nous avons de nos jours encore sur nos autoroutes, des péages.
Par la langue turque, le diwan a désigné, par évolution sémantique, le meuble de la salle de réunion et c’est ainsi que le divan français, depuis 1742, existe encore de nos jours ! Chez les Turcs, le divan était à l’origine un conseil, l’assemblée de notables devant décider, c’est-à-dire gouverner. Puis, petit-à-petit, il a désigné la salle de réception chez les notables turcs, dont le pourtour était garni de coussins, pour devenir une véritable estrade à coussins. Ce nom est demeuré pour le sofa qui orne votre salon. Curieux sofa, du mot arabe suffa ayant aussi passé par le turc sofa pour arriver dans notre langue, désigne, cela ne vous surprendra pas, aussi le coussin. On n’en sort pas, le monde arabe est non seulement dans notre langue mais encore dans nos intérieurs !

Fraternité
Etant le cadet d’une fratrie, je puis vous dire que je fus regardé d’un œil noir par mes trois aînés et pas considéré comme un cadeau mais un ennemi contre qui toute action nuisible est justifiée par avance (la fraternité selon Caïn n’a pas été celle selon Abel ! Je n'ose pas pesner aux frères de Joseph de l'Ancien Testament). Heureusement, il n’en est pas ainsi dans toutes les familles ! Or cadet et cadeau ont une origine identique avec des sens divers, alors qu’ils proviennent tous deux du sud de la France.

Voici comment le cadeau nous est arrivé : du mot latin caput, soit la tête, le latin populaire a retenu un capitellus. En provençal, le mot capdel en est issu, avec deux sens le chef, celui qui est en tête, et la lettre capitale, la première lettre que nous appelons encore capitale. Ce dernier sens a existé jusqu’au XVIe s., avec une progression : il désignait les traits de calligraphie au XVes. Le verbe cadeler = enjoliver de traits  pour exprimer l’acte d’un auteur ou d’un avocat accumulant des paroles superflues, - vocable à retenir quand vous entendez nos politiques ! Au XVIIes., Furetière donne un sens nouveau : le divertissement généralement offert à une dame. Dans les « Précieuses ridicules » de Molière, il est employé en ce sens. Il faut attendre 1787 pour comprendre ce mot comme de nos jours avec une évolution qui mérite des précisions : le mot a été employé pour réception où dans la société de l’Ancien régime, ce n’est pas les invités qui apportaient des cadeaux à leur hôte mais celui qui recevait ! Autre temps, autres mœurs !

Le cadet connaît la même origine latine que cadeau mais il nous vient par la Gascogne mais, cela surprend, avec le sens de chef ! Au XVe s., les armées royales disposaient de nombreux chefs gascons. Or souvent, ils étaient les fils juniors ou puînés des familles nobles. Finalement le cadet était un gentilhomme qui servait comme volontaire dans les troupes royales : Cyrano de Bergerac en offre une belle illustration. Ce n’est qu’au XVIe s., que le mot cadet a supplanté le mot puîné, synonyme quasiment oublié de nos jours, pour prendre le sens que vous connaissez tous.

Petit retour à la maison
Du printemps à l’automne, plus d’une famille apprécie la véranda qui protège des brusques aléas du climat. Or ce mot à un parfum tout particulier, celui des Indes.
En hindi, la verge et la perche se dit vara qui a donné dans cette même langue le mot varandah pour désigner une galerie faite de perches, sens repris par les Portugais avec varanda mais les Anglais, devenus maîtres du pays avec des moyens peu recommandables d’ailleurs, ont transformé ce mot hindi en veranda devenu en français véranda en 1758 : une galerie légère en bois, vitrée adossée à la façade d’une maison. Au siècle suivant, les architectes ont contribué à la bonne implantation de ce mot dans notre vocabulaire.

Elevons les yeux
Souvent, il est dit qu’un littéraire ou un intellectuel a la tête dans les nuages. Intéressons-nous à ce mot nuage. C’est un jeunet dans la langue française car il n’apparaît qu’au XVIe s. Or, les nuages existaient avant mais les termes nues et nuées. Deux expressions qui s’entendent encore en ont gardé le vocable : « tomber des nues » ou une « nuée de sauterelles». Nue est le mot de l’ancien français issu du latin classique nubes, devenu déjà en latin vulgaire ou latin de cuisine nuba.

Ayant parlé de nuage, je ne peux éviter de vous raconter une histoire d’eau, e a u bien entendu, et j’apporte cette précision pour les libertin(e)s éventuels, présents dans cette salle et qui ont pour référence le livre « Histoire d’O ».
Eau vient du latin aqua, que nous retrouvons dans aqueduc, et son évolution paraît bien étrange : des mutations progressives du latin en français ont permis cette métamorphose. La forme médiévale est EWE, non pas Eve2, notre mère à tous, quoique son nom pourrait mis en relation avec l’eau matricielle qui a permis l’éclosion de la vie humaine. Cette forme EWE se retrouve dans le mot évier, un aquarium au sens strict d’origine ou le nom Evian, ville d’eau savoyarde que je suis obligé de mentionner car je sui né en Savoie. Revenons en Provence, aqua est devenu aigo d’où est issu le aigue qui se retrouve en final de bien des lieux-dits où se trouve de l’eau : pensez à Aigues-Mortes ou tout simplement au mot aiguière.
Il faut encore poursuivre ce mot latin à l’ablatif pluriel aquis que vous retrouvez dans Aix : Aix-en-Provence, Aix-les-Bains. Ce dernier nom de ville est redondant car par deux fois il nous dit qu’il y a de l’eau. Aussi dire que l’on va prendre les eaux à Aix-les-Bains, cela est un véritable pléonasme vicieux !
Ayant fait allusion à Eve, il est inévitable que je vous parle du pomum dont une fausse traduction entrée dans les mœurs est demeurée dans le mot pomme. Je vous rassure tout de suite, il n’y aura pas une pomme de discorde avec ce mot pour vous culpabiliser, vous Mesdames, avec cette Eve qui a fait croquer la pomme à Adam. Nous savons tous combien il bon maintenant d’écouter les femmes ! Bien Messieurs, un peu de respect s’il vous plaît !
Il a fallu attendre le Ve siècle pour ce pomum acquière le sens de pomme que nous lui donnons de nos jours. Pourquoi ? Le fruit par excellence pour nos ancêtres était la pomme, sauf, car il y a toujours une exception en France, dans les Vosges où le mot issu de pomum désigne la framboise, car c’était le fruit prédominant de cette région !
La pomme que nous entendons de nos jours en français était en latin un malum, mot emprunté du grec. Il faut être bien malin pour s’y retrouver quand on sait que le malin fut ce serpent qui a fait croquer la pomme à Eve avant qu’Adam la croque, la pomme bien sûr, pas Eve ! Vous voyez comme ce mot est un vrai cercle vicieux.
Redevenons plus sérieux avec un sujet aussi grave. Malum grec a produit le mot melun qui désigne la pomme ou le pommier sauvage dans certains dialectes (en Valais notamment). L’allemand a préféré le mot Apfel pour ce fruit en retenant plutôt la racine indo-européenne Abel. L’homophonie entre Abel et Apfel n’a sans doute pas échappé à vos oreilles En raison de propos politiques récents, je suis bien obligé de vous traduire ce mot dans la langue de nos ancêtres les Gaulois : la pomme est aballo qui est devenu Avalon, une cité qui se trouve dans le département de l’Yonne.

Dernier galop sur les rives de Mare nostrum.
Nous sommes proches de la Camargue et il n’est pas possible de terminer cet exposé sans un tour de galop entre mer et rizière ou marais, en s’intéressant au cheval et à ses divers noms.
Les termes, dits savants, sont hippisme ou hippique du grec hippos ou équestre qui apparaît au XIVe s. dans la langue française, avec encore équitation (première attestation en 1503) du latin equus, rapidement supplanté par un latin populaire caballus, ayant donné cheval de médiocre qualité, une rosse. Equus est resté dans le roumain, le provençal, l’espagnol et le portugais. Cela est su de la plupart d’entre nous et trop souvent chacun se contente de cette explication. Mais accrochez-vous car nous allons, à nouveau, galoper !
Ce caballus a une origine gauloise car nos « fameux ancêtres » étaient de grands amateurs de courses de chevaux : d’eux, nous avons les mots char, charrue. Les Galates ont repris ce mot du turc keväl qui vient lui-même de Perse : kaval et désignant déjà un cheval médiocre. Après cette longue chevauchée dans l’espace, revenons aux descendants de cheval dans la langue française.
Le chevalet dénommait le petit cheval au Moyen Age. Sur caballus, s’est formé un caballarius qui est à l’origine du chevalier. Mais attention ! Au Ve s., il s’agissait d’un garçon d’écurie. Sous le dernier roi carolingien (Lothaire, 941-986), il désigne un soldat à cheval sans armure. Petit-à-petit, il a servi de titre de celui qui accède au premier degré de la noblesse.
Caballarius a donné naissance au cavalier actuel seulement en 1470. En 1546, Rabelais l’utilise come terme de fortification.

Par l’Italie, une jument de race, propre à la reproduction, s’appelait une cavale ; ce terme se retrouve plus spécialement dans les textes poétiques.

Portons un dernier regard sur les différents types de chevaux :

Le destrier : le cheval de guerre. D’un destre du latin dextera, pour la main droite, car l’écuyer tenait, de la main gauche, soit son cheval, soit une bête de somme (pour les « bagages » du chevalier) et, de la main droite, le destrier, cheval qui n’était monté que pour le combat. Dressage particulier pour qu’il ne soit pas effrayé par le fracas des armes et les chocs violents qui accompagnaient les luttes !

Le palefroi : le cheval de voyage. Il faut s’arrêter un instant sur ce mot qui consacre une union étrange entre le mot grec : para et le mot gaulois veredus, pour un cheval de poste. Le paraveredus était un cheval de poste en renfort. C’est Moyen Age que ce terme a pris ses lettres de noblesse. De l’italien du XIe s. le palefrenus a donné en provençal le palefrenier, attesté au XIVe s.

Le sommier (oui, l’heure de rejoindre votre lit approche) : le cheval de charge mais son sens partiel est demeuré dans la construction et dans l’ameublement. D’origine grecque, d’un sagma, il se rapportait à un cheval, un âne ou un mulet.

Vous piaffez d’impatience pour que le mot fin soit prononcé et, sans plus, je conclus ces petits voyages offerts par la vie des mots, en vous remerciant de votre attention.
1 Pour celles et ceux qui ont recours à des traductions électroniques, le lexique automatique ne distingue pas les deux sens de voler : je vous laisse imaginer les belles erreurs de traduction que cela produit !
2 Le prénom Eve vient de l’hébreu avva, la vie.

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