lundi 12 novembre 2018

La résurrection et Maurice Zundel


Maurice Zundel et la résurrection


par Antoine Schülé

La Tourette, novembre 2018

« Le mystère de la mort nous trouble
parce que nous n’avons pas résolu l’énigme de la vie. »1

« Aujourd’hui tout peut commencer. »2Au

« Dieu est la clef d’un monde qui n’existe pas encore. »3

Introduction

Données biographiques



Maurice Zundel est connu pour sa spiritualité mais, pour celles et ceux qui ne l’ont pas encore découvert, voici quelques données biographiques.

Maurice Zundel est un mystique et théologien suisse, né à Neuchâtel en 1897. Il a connu la vie bénédictine à l’abbaye d’Einsielden (où la Vierge Marie est particulièrement vénérée). Ordonné prêtre en 1922, il a commencé sa vie en paroisse St. Joseph, à Genève. Victime de la hargne d’un confrère, il a dû mener la vie d’un pèlerin du Christ : elle débuta à Rome, pour accomplir un doctorat de philosophie à l’Angelicum (1925-1927). Il y a rencontré J.-B. Montini, le futur Paul VI, pour la première fois. Il découvre à Assise la vie de st François. Il se retrouve ensuite à Paris où il retrouve pour la deuxième fois le futur pape Paul VI. Il effectue un voyage à Londres où il apprend l’anglais en lisant John-Henry Newman4. Il revient en Suisse où il enseigne le catéchisme dans un pensionnat de jeunes filles (La Tour-de-Peilz). Il séjourne à nouveau en France à Neuilly avant de se rendre à Jérusalem en 1937.

La Deuxième guerre mondiale l’ayant empêché de revenir en Suisse, de 1939 à 1946, il sera aumônier au carmel de Matarieh, près du Caire en Égypte : sa spiritualité y atteint une maturité qui nourrit et nourrira tout fidèle qui veut approfondir sa Foi. 

De 1946 à 1975, il est prêtre auxiliaire à la paroisse du Sacré Cœur à Lausanne. Sa fonction première est d’assurer la prédication et l’accompagnement des malades5. Ses homélies sont très appréciées et il connaît un grand succès. Il est souvent jalousé par quelques confrères, ayant une conception très particulière de la fraternité ecclésiale. Il a eu toutefois le bonheur d’être soutenu par quelques amis prêtres qui ont bien conscience de la profondeur de sa spiritualité vivante. Il voyage beaucoup pour assurer des retraites dans de nombreux couvents de femmes et d’hommes, en France comme en Suisse. Il donne des conférences qui intéressent même les non chrétiens. Il publie plusieurs ouvrages et il est l’auteur de multiples articles dans diverses revues. 
En 1972, Paul VI l’invite à prêcher la retraite de Carême du Vatican et, alors là, le miracle se produit, tous ses confrères suisses lui reconnaissent, enfin mais bien tardivement, ses mérites ! Il naît à Dieu le 10 août 1975 : en effet, la mort est une naissance et non une fin.

Sa spiritualité

Évidemment, mon intérêt pour ce théologien ne tient pas en ces quelques lignes biographiques. Très jeune, je l’ai entendu lors de ses homélies et il m’a ouvert définitivement à la Parole de Dieu. Ses homélies respiraient de l’Evangile et non pas de ses bricolages bibliques (et encore pas toujours !) qui n’apportent strictement rien à la connaissance de la Parole de Dieu qui s’est incarnée en Jésus. Grâce à ses écrits comme ses homélies éditées, j’ai découvert, quelques années plus tard, les Pères de l’Église, st Augustin en tout premier lieu.

Ses retraites, ses écrits sont les fruits merveilleux de sa lecture du Nouveau Testament qu’il n’a pas cessé de méditer tout le long de sa vie terrestre. Sa prise de parole est dès lors une source d’eau vive qui nous permet de partager sa méditation et de nous entraîner plus loin. Bien entendu, il disposait d’une grande faculté d’improvisation : il pouvait fermer les yeux et vous dérouler toute une réflexion, en observant parfois des temps de silence, avec un ton de voix qui montait ou redescendait, selon la nature de son propos. Le plus surprenant est qu’il était écouté par des personnes non croyantes. Son secret est qu’il s’adressait directement aux cœurs de tous ses auditeurs.

Maurice Zundel n’est pas un révolutionnaire des Évangiles : il offre une lecture traditionnelle et bénédictine mais avec un regard neuf et direct, sans ces filtres ou des œillères qui sont imposés indûment avec le temps. Il a du succès car il sait souligner le réalisme du Nouveau testament6 (l’Esprit Saint est dans le concret, dans les actes qui sont les fruits de la contemplation). Il dévoile une foi intelligente, personnalisée et il transmet un amour communicatif. Il ne cultive pas, comme certains prêtres, un « ego » envahissant, ne se prend pas pour un dieu pharaon, ne s’idolâtre pas : non, il vit réellement un total détachement de lui-même pour se mettre au service des autres, des gens heureux ou malheureux, pour partager leurs joies et leurs peines, pour guider et élever les âmes, pour que chacun découvre la vraie grandeur de l’homme lorsqu’il est habité par Dieu. Vous comprenez que cette originalité mérite d’être soulignée.

Entrons dans le vif du sujet.

La résurrection

Parler de la résurrection selon le Nouveau Testament, c’est méditer la Semaine Sainte pour comprendre un message qui diffère totalement de celui de toutes les autres religions (ce qui n’empêche pas des points communs parfois mais faisons attention aux sens des mots qui ne recouvrent pas toujours les mêmes notions). Cette méditation conduit à une contemplation du mystère d’une Passion et d’une Résurrection, avec l’intelligence comme avec le cœur.

La vie du Christ démontre combien grand est l’amour de Dieu pour l’humanité, pour toute l’humanité. Jésus est Dieu incarné qui, ayant pris chair de la Vierge Marie par l’Esprit Saint, se désapproprie de sa vie humaine pour vivre totalement le don de soi.
Oui, Il a sacrifié sa vie biologique pour montrer que Son but est de sauver l’homme, sauver ce qui fait la vraie grandeur de l’homme : la Présence de Dieu au cœur de chacun d’entre nous. Présence parfois ignorée ; Présence parfois refusée car Dieu nous laisse libre de Le recevoir ou de ne pas Le recevoir ; Présence parfois voilée ; Présence sans fruit extérieur ; Présence avec grands fruits intérieurs et extérieurs ; Présence source des dons innés propres à chacun d’entre nous….

Maurice Zundel invite son lecteur, son auditeur à renoncer à une vision de Dieu selon l’échelle humaine7 : un Dieu dictateur, un Dieu vengeur, un Dieu inquisiteur, un Dieu persécuteur (guerre, famine, sécheresse et autres calamités sanitaires ou naturelles). Méfions-nous des caricatures de Dieu qui se donnent dans de trop nombreuses sectes et parfois même dans l’Eglise.

La Croix est l’offrande de Dieu à tous les hommes. Découvrons le sens de cette démonstration divine avec Maurice Zundel lorsqu’il nous parle de la résurrection.

La vieil homme, la mort et l’homme nouveau, la résurrection

S’interroger sur la mort, c’est aussi s’interroger sur la vie. Laissons-nous interpeller de façon si directe par ses deux propos :
« […] on prend conscience que l’homme peut n’être qu’un objet, qu’il peut n’être rivé à l’existence que par sa biologie, ses glandes, son corps, ses saillies animales, et le destin de l’homme apparaît toujours infiniment tragique. On est né sans l’avoir voulu ! Et on mourra sans le vouloir !
On subit la vie à l’entrée et, à la sortie, on subit la mort, quelle chose affreuse ! »8

et plus loin :
« Et entre la naissance qu’on ne choisit pas et la mort dont on a horreur, il y a tout l’inconscient, toute cette vie souterraine et animale dont nous sommes pétris et qui nous incline dans le sens des passions imprévisibles qui peuvent, à tout moment, nous emporter au-delà de ce que nous croyons être et nous engager dans des aventures absurdes et meurtrières. »9

La fausse grandeur de l’homme consiste à vouloir être admiré, être considéré comme une valeur et être honoré à n’importe quel prix par la foule qui aime à se créer des faux dieux10 en « divinisant » tel sportif, tel politique, tel philosophe, tel artiste… Et Zundel en parle ainsi :
« Étrange grandeur d’ailleurs, qui a besoin des autres, qui fait la cour à l’opinion, qui a besoin des applaudissements, de la publicité des journaux ou d’avoir son portrait dans les magazines. Étrange grandeur que celle qui repose tout entière sur les applaudissements d’une foule imbécile !…. »11

Le Christ dans sa vie terrestre démontre quelle est la vraie grandeur de l’homme :
« Le Christ, d’une manière si étonnante, si paradoxale, vient nous apprendre la passion de l’homme, enfin celle qui Le meut, Lui. Sinon, qui croit en l’homme, qui y croit infiniment, jusqu’à donner Sa vie, jusqu’à la mort de la croix ? Qu’est-ce que le Christ veut sauver dans l’homme sinon la dignité, la grandeur de l’homme ? Devant quoi est-Il à genoux au lavement des pieds sinon devant la grandeur et la dignité humaines ? Pourquoi meurt-Il,après cette effroyable agonie sinon pour faire contrepoids à tout ce qui empêche l’homme d’atteindre jusqu’à lui-même et de réaliser sa grandeur et sa dignité ?
En réalité, Jésus a apporté une nouvelle échelle des valeurs, comme il a apporté une nouvelle révélation de Dieu. »12 

Aussi est-il intéressant d’approfondir la nature de cette révélation de Dieu dans le Nouveau Testament.

Homme nouveau

Peut-on réduire une personne uniquement à son corps ? Si oui, ne serait-ce pas ignorer ce qui fait d’elle d’être plus qu’un amas de cellules, qu’une plastique ? La lecture de l’Evangile de Jean donne la réponse et une phrase la résume bien: « Personne ne peut voir le royaume de Dieu s’il ne naît de nouveau. » (Jean 3,3).

Maurice Zundel, qui était passionné des plus récentes découvertes scientifiques, a médité cette phrase et voici ce qu’il en dit :
« Il faut donc naître de nouveau, et d’en haut. La première naissance ne suffit pas, car c’est une naissance qui doit essentiellement à la biologie. Elle est enracinée dans l’espèce et, à travers l’espèce, dans l’universel animal et, plus profondément encore, dans l’univers physico-chimique. Ce n’est pas par cette naissance que l’homme peut atteindre à lui-même. Quand il sera né de nouveau, et d’en haut, il se connaîtra, et il connaîtra Dieu comme il nous arrive de découvrir, à travers un visage jusqu’à ici inconnu ou méconnu, le secret d’une âme qui devient proche de la nôtre. »13

Et pour bien le comprendre, il est nécessaire de se remémorer le texte de Saint Augustin que Zundel cite souvent et qui est extrait du livre qu’il faut lire : Les Confessions St Augustin révèle comment il découvre Dieu qui est au-dedans de lui alors qu’il le cherchait à l’extérieur et qui est la Beauté par excellence :

« Tard je Vous ai aimée, Beauté si ancienne et si nouvelle,
tard je Vous ai aimée.
C’est Vous qui étiez au-dedans de moi, et
moi, j’étais en-dehors de moi ! Et c’est là que je Vous cherchais ;
ma laideur se jetait sur tout ce que Vous avez fait de beau.
Vous étiez avec moi et je n’étais pas avec Vous.
Ce qui loin de Vous me retenait,
c’étaient ces choses qui ne seraient pas, si elles n’étaient en Vous.
Vous m’avez appelé, Vous avez crié, et
Vous êtes venu à bout de ma surdité ;
Vous avez étincelé, et Votre splendeur a mis en fuite ma cécité ;
Vous avez répandu Votre parfum, je l’ai respiré et je soupire après Vous ;
je Vous ai goûtée et j’ai faim et soif de Vous ;
Vous m’avez touché, et je brûle du désir de Votre paix. »14

Augustin, sollicité qu’il était par ses sens, ses instincts, soumis qu’il était au paraître, à la possession d’un pouvoir intellectuel avant de devenir un saint, avait tout vécu en extériorité. Mais découvrant Dieu en son cœur, il vit une nouvelle naissance (la conversion) qui n’est plus biologique mais spirituelle : ainsi débute la résurrection. Ainsi, avons-nous à la vivre et ceci peut commencer maintenant si ce n’est pas déjà entrepris, en notre âme et conscience. Dieu est présent au cœur de tous. Chacun peut Le rencontrer en son cœur : il suffit de L’écouter, d’écouter la Parole de Dieu.

Dieu nous attend. Nous avons à Le rencontrer. Dieu ne s’impose pas, Il s’offre à nous. Il attend notre « oui » à Sa Parole. Et Maurice Zundel exprime notre mission de faire connaître Dieu selon les dons reçus de la façon suivante :

« Le « oui » de l’homme est absolument indispensable au « oui » de Dieu, comme le consentement de notre esprit à la vérité, qui n’est qu’un autre nom de Dieu, est absolument indispensable au rayonnement de la vérité en nous.

Qu’est-ce que la vérité si nous ne l’atteignons pas ? Qu’est-ce que la vérité si nous ne la laissons pas transparaître ? Elle est comme morte, comme inexistante, parce qu’elle n’a pas d’autre moyen de se proclamer et de se faire jour que de devenir lumière en nous quand nous devenons lumière en elle. »15.

Renoncer au péché originel est le commencement de la résurrection et il faut entendre ce qu’est le péché originel :

« Qu’est-ce donc que le péché originel sinon celui qui livre le monde à l’inertie des forces aveugles, qui se laisse à sa condition d’objet, qui n’arrive pas à découvrir à travers lui la racine de toute existence qui est l’amour ? 
Toute faute pleinement voulue, pleinement consciente, est nécessairement une faute originelle. C’est le refus de nouer le monde à sa source qui empêche la circulation dans l’univers d’une liberté créatrice et nous enlève la possibilité de donner au monde un visage où le nôtre puisse se reconnaître.

Et bien sûr que Dieu, le Dieu esprit, le Dieu vérité, le Dieu pauvre, le Dieu amour, le Dieu qui nous appelle à naître de nouveau, ne peut que s’offrir, toujours à nouveau, éternellement. Mais Il ne peut pas accomplir le pas que nous avons à faire. Il ne peut pas se substituer à notre liberté. Ce serait tuer en nous la dignité de créateur. C’est impensable et impossible. »16

La nouvelle naissance spirituelle transforme l’homme qui se laisse éclairer par Dieu jour après jour et que Zundel appelle « l’aventure humaine » que chacun est appelé à vivre. Écoutons-le :

« C’est dans le secret de notre vie, dans l’intimité de nos choix, de nos décisions et de nos affections que nous réalisons notre vocation d’homme, c’est-à-dire notre vocation de créateur et de fils de Dieu. »17

Il s’agit de trouver Dieu dans l’expérience humaine, quand ceci est possible bien entendu. Malheureusement, l’homme - laissé libre car Dieu n’est pas un dictateur - choisit parfois d’autres voies et les forces du mal sont à l’œuvre, avec toutes les conséquences nuisibles pour l’humanité. N’accusons pas Dieu d’être responsable des maux qui accablent le monde : observons les causes qui sont dans des comportements humains !

Le mystère pascal en est un témoignage éclatant : un grand Prêtre Caïphe a demandé la mort de Jésus ; la foule habilement manipulée a crié ses exigences ; un politique Ponce Pilate a préféré suivre la voix populaire plutôt que celle de sa conscience ; quelques soldats en ont profité pour laisser libre cours à leur sadisme. Une minorité a compris en son cœur le scandale de la crucifixion de Jésus alors qu’elle ne comprenait pas encore ce que signifie la résurrection. La passion de Jésus nous révèle la vraie grandeur de Dieu qui est de se donner pour sauver l’homme. Le mystère pascal nous appelle à réaliser notre grandeur. Zundel, en ayant les vies des saints en l’esprit, nous en parle ainsi :

« [Le mystère pascal] nous appelle à être vrais, à ne pas tricher, car c’est cela qui est l’opposé même de la grandeur : tricher avec soi-même, tricher dans sa solitude, tricher dans sa pensée, tricher dans ses amours. Celui qui dit la vérité dans son cœur, celui-là gravit la montagne de Dieu, ou plutôt il devient lui-même la montagne de Dieu, il devient le phare qui éclaire l’humanité. »18

Que d’exigences dans cette courte citation ! Entendez-vous cet appel au discernement et donc à nos intelligences ? Précisons tout de suite que l’intelligence est donnée à tous, aux plus humbles et pas seulement à quelques intellectuels qui le sont ou qui prétendent l’être. Au fond de nos campagnes, j’ai découvert des personnes sans instruction qui avaient ou ont une intelligence des faits bien supérieure à des hommes, chargés de titres universitaires ou de fonctions politiques ou ecclésiastiques ! Elles avaient des dons d’observation qui n’étaient pas étouffés par de fausses connaissances.

Cette rencontre dans le cœur avec Dieu nous permet de renoncer à cette idolâtrie d’un faux dieu que certains chrétiens cultivent. Écoutez plutôt :

« Il est donc parfaitement clair qu’en rencontrant Dieu nous ne rencontrons pas un maître, un pouvoir despotique, une domination, un interdit, une limite. Au contraire, en Le rencontrant, nous nous rencontrons ; en Le rencontrant, nous scellons notre dignité ; en Le rencontrant, nous découvrons notre liberté.
L’immense majorité des hommes ne le savent pas, car ils sont tournés vers un faux Dieu, un Dieu extérieur, un Dieu dans l’espace atmosphérique, un Dieu qui contraint, qui limite, qui menace, qui terrifie, un Dieu qui tue alors qu’Augustin Le rencontrait comme la Vie, la Vie de la vie. »19

Être vivant avant la mort

Pour Zundel, être mort, c’est être en-dehors de soi-même. Aussi, la question essentielle n’est pas tant de savoir si l’on sera vivant après la mort mais, d’abord, d’être vivant avant la mort ! De notre vivant, nous avons à vaincre la mort. La citation qui suit est un peu longue mais elle livre si bien sa pensée que je me refuse à l’écourter :

« La question n’est pas de savoir si l’on sera vivant après la mort, mais d’abord d’être vivant avant la mort… Car justement, le sens de notre existence et l’appel de l’Evangile, c’est de vaincre cette mort qui fait de nous-mêmes un appendice de notre biologie, un simple résultat des forces physico-chimiques et organiques qui se sont croisés au moment de notre conception.

Dans l’ordre biologique, notre existence ne diffère évidemment pas des animaux. Nous sommes plantés dans l’univers, comme eux. Comme eux, nous sommes une branche d’une même évolution. Et tant que nous sommes ce résultat ou cette résultante, nous n’existons pas. Si nous nous laissons porter par notre biologie, nous sommes déjà morts, car il n’y a aucune raison de revendiquer pour notre biologie une durée quelconque. Pourquoi notre biologie serait-elle plus sacrée que celle d’une punaise ou d’un chacal ?

Il est clair que l’immortalité n’a aucun sens si elle n’est pas l’éternisation de notre vie aujourd’hui. Être dehors ou être mort, c’est une seule et même chose.

C’est pourquoi la majorité des hommes sont déjà morts, parce qu’ils n’ont pas vaincu la mort, parce qu’ils sont livrés aux forces aveugles qui sont à l’œuvre dans l’univers. Ils sont déjà morts parce qu’ils ne se sont jamais rencontrés eux-mêmes, parce qu’ils n’ont pas eu accès à la Vie de leur vie. Ils sont déjà morts parce qu’ils ne sont pas entrés dans cette communion avec la Présence qui est le cœur et la clé de leur intimité. Ils sont déjà morts parce qu’ils ne sont pas devenus une source et une origine, parce qu’ils n’ont rien créé, alors que l’homme n’est homme qu’au moment où il devient un créateur et de soi-même et de l’univers, en offrant à Dieu le berceau vivant d’un cœur transparent à sa lumière.

Le véritable néant pour l’homme, c’est l’absence de cette dimension humaine qui constitue notre dignité. »20

Vivre par l’esprit

La véritable dignité de l’homme est de vivre par l’esprit. Pas n’importe quel esprit bien entendu : l’Esprit de Dieu. A la naissance, des dons qui diffèrent d’une personne à l’autre, nous ont été donnés pour percevoir cet appel. Nous sommes libres de répondre ou de ne pas répondre à cet appel, d’utiliser ou ne pas utiliser ces dons reçus. La vie est ce chemin, cette « aventure humaine » où nous nous dévêtissons du vieil homme pour être un homme nouveau : comme Hildegarde Bingen le disait déjà au XIIe siècle, l’homme est appelé à devenir le vêtement de Dieu. L’esprit ne méprise pas le corps mais le corps ne doit pas supplanter l’esprit. Je vous livre l’extrait d’une homélie de Zundel donnée au Caire :

« Notre corps est le cordon ombilical par lequel nous sommes entrés dans l’univers et l’univers est en prise avec nous. Nous collons à la terre, et à travers la terre nous atteignons l’univers. La mort physique serait donc, en première approximation, l’extinction des énergies reçues passivement à notre naissance. Mais nous pouvons poser cet axiome qu’il est dans la nature de l’homme de dépasser sa nature, c’est-à-dire que nous atteignons déjà à l’esprit et que nous pouvons reconnaître en nous un corps qui nous rive à la terre comme un cordon ombilical dont la section entraîne la mort, et un esprit qui peut nous affranchir de la terre et de toute dépendance possible.
Il y a donc une dimension de l’être humain qui apparaît vraiment comme un sujet, où il est arraché à sa condition d’objet, où est révélé en lui la dignité humaine d’être source et origine. Ici, incontestablement, nous sommes en face de l’esprit. Cette qualité concerne tout l’homme et enveloppe ce que nous appelons le corps autant que l’intelligence et la volonté
Si l’homme se résigne à être objet en se soumettant à ses instincts, s’il accepte cet esclavage consciemment, nous pouvons parler de mort humaine, d’une mort de l’humanité dans l’homme, d’une mort humaine qui précède la mort physique. C’est cela la grande tragédie, finalement, c’est de n’avoir pas vaincu la mort durant la vie. C’est pourquoi la vraie question est de savoir si nous sommes vivants avant la mort.»21

La vie

Nous sommes vivants, selon l’esprit, lorsque nos vies laissent transparaître la lumière de Dieu, tel un élément du vitrail constitué de multiples verres différents les uns des autres (et c’est ce qui en fait la beauté) qui vit en laissant passer la lumière et Zundel prolonge la parole de 1 Jean, 4, 12 :
« Personne n’a jamais vu Dieu ; si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et Son amour parfait est en nous. Nous connaissons que nous demeurons en Lui, et qu’Il demeure en nous, en ce qu’Il nous a donné son Esprit. Et nous, nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde. Celui qui confessera que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu. Et, nous, nous avons connu l’amour que Dieu a pour nous, et nous n’y avons pas cru. Dieu est amour ; et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. »

La vie, c’est la rencontre de Dieu dans son cœur. Vous avez certainement tous fait une expérience simple qui est, à mon avis, déjà, un grand signe en faveur de la résurrection : nos morts sont toujours vivants quand ils sont vivants dans nos cœurs. Ceci signifie bien qu’ils sont vivants non par leur corps mais par ce qui nous les attache, par leur esprit. En des situations joyeuses ou tristes, il arrive que nous entendions la voix de l’un ou l’autre de nos défunts qui soit partage notre joie, soit console une blessure de l’âme. Mais nous avons un témoignage bien plus grand que nous expérimentons à la lecture du Nouveau testament.

Le message permanent de Jésus, de Dieu, et de l’Esprit Saint est un appel à la vie qui est précieuse puisqu’elle nous permet de connaître Dieu. La vie, c’est de discerner cette rencontre de Dieu en soi, en son cœur. Comment y parvenir ? En renonçant à soi-même, à son petit ego, si envahissant chez certaines personnes, nous anticipons notre résurrection en laissant la place à Dieu dans nos cœurs. Nos cœurs peuvent ainsi briller de l’amour de Dieu. Dieu se reconnaît dans le Beau, le Vrai et le Bien. Tout acte humain en ce sens devient signe de Dieu. Ouvrir son cœur à Dieu est un geste qui renouvelle le monde, la création. Chacun d’entre nous apporte ainsi sa pierre pour un monde plus beau : être une pierre vivante de l’Église.

Ceci exige des renoncements, des luttes. C’est un chemin parsemé d’embûches et faire le bien peut lever contre vous une armée d’ennemis : les forces du mal existent, parfois même là où on ne les attend pas ! Contrer le mal avec fermeté en soi d’abord, en autrui et dans nos sociétés est une mission lourde, une croix à porter mais, avec nous, nous avons plus qu’un Simon de Cyrène, nous avons Jésus. Il y a du travail. Il existe de nos jours une charité bêtifiante, fréquente chez les Catholiques : elle consiste à donner raison systématiquement aux ennemis de l’Église, de considérer l’agresseur comme la victime, et la victime comme le coupable. Cette forme de lâcheté est inadmissible. Il y a pire : celles et ceux qui se refusent à voir la vérité car demeurer dans l’erreur leur offre un confort qui leur suffit ! Le courage est bel et bien d’amener ses ennemis à la raison, à la lumière de Dieu et ceci même s’il faut subir bien des avanies.

Regardez Hildegarde de Bingen, Maurice Zundel ou Padre Pio, et il y en aurait bien d’autres à citer : leurs proches, des prêtres ou des moines, n’ont pas reconnu leurs forces spirituelles, les ont jalousés et leur ministère s’est exercé malgré tout. Un grand Prêtre, Caïphe, a demandé la mort de Jésus. Oui, face à des autorités mal assumées par leurs détenteurs, dénoncer le mal nécessite du courage, du renoncement à soi. Et il ne faut pas se leurrer, il y aura toujours des personnes qui refuseront de discerner le mal parce que ceci les arrange bien !

Une vie est nécessaire pour rayonner de la Présence de Dieu en soi, selon les dons reçus : retrouver la grandeur et la dignité de l’homme, créé à l’image de Dieu. Il faut une vie pour se dépouiller, par de petites morts successives dont il faut prendre conscience, de tout ce qui nous éloigne de Dieu. Pour être adulte, le bébé ne se préoccupant que de lui, n’est plus car il a grandi ; l’enfant que nous avons été n’est plus ; l’adolescent a émondé ses passions, ses défauts pour autant qu’il en ait eu conscience ; les premiers pas dans la vie professionnelle ont été accomplis pour donner place à un homme compétent dans sa spécialité…. Chacun peut allonger la suite de ces petites morts vécues dans son passé pour être l’homme qu’il est maintenant et prendre ainsi conscience de l’homme qu’il pourrait être, s’il change de tel ou tel comportement, s’il émonde ce qu’il faut peut-être encore émonder ou développer un don reçu (fructifier le talent). Une vie peut être soit une descente aux Enfers (dont l’égotisme outrancier en est le plus sûr chemin), soit ce chemin de perfection (se désapproprier de soi) qui conduit au Royaume de Dieu qui s’atteint lorsque ce cordon ombilical terrestre sera rompu.

Dieu n’est pas une grandeur extérieure : Il se donne à l’infini au cœur de chacun. Écoutons Zundel en cet extrait qui explicite une de ses méditations du « Lavement des pieds » qu’il renouvelle à plusieurs reprises :

« Jésus, à genoux, renverse toutes nos grandeurs pyramidales, toutes nos grandeurs de chair et d’orgueil, et II nous conduit doucement, tendrement, par cette leçon de choses, à l’apprentissage de la vraie grandeur. Il donne au plus petit la possibilité de devenir quelqu’un. Il introduit chacun dans cette aventure infinie qui a Dieu pour centre, pour origine et pour terme. Il supprime entre les hommes ces compétitions mortelles qui aboutissent à la haine et à la guerre parce qu’Il offre une grandeur qui est possible à tous et qui peut être réalisée par chacun au plus intime de son cœur. Davantage, elle ne peut pas l’être autrement. C’est une grandeur qui nous transforme jusqu’à la racine. C’est une grandeur que l’on devient. C’est une grandeur qui coïncide avec la vie et qui rayonne à travers notre présence. »

Qu’est-ce que l’enfer ? « C’est un univers qui a l’air humain et qui est en réalité devenu un univers de choses, d’objets, où pèsent toutes les servitudes de l’extériorité. C’est enfer-là, c’est nous qui le créons. » 22 Toutefois, il existe un autre enfer que nous infligeons à Dieu. Zundel le décrit ainsi :

« Il y a un autre enfer : l’enfer de Dieu, celui qu’Il subit dans cette crucifixion que nous lui infligeons à l’intérieur de nous-mêmes. » mais Dieu nous aime malgré tout et nous invite tout le temps à une conversion où le bien devient une nouvelle forme d’être, d’exister :

« Ce bien, ce n’est pas quelque chose à faire, mais c’est Quelqu’un à aimer, Quelqu’un qui est là, qui se donne, qui ne s’impose jamais, tout en se proposant toujours. ».
Ce Quelqu’un est Dieu bien entendu.

Le réalisme du christianisme

Une vie humaine se construit ou se ruine dans son quotidien. Chaque jour peut être un recommencement tant qu’il y a de nouvelles pages de vie à écrire : le passé peut se corriger si nécessaire ou, au contraire, s’épanouir s’il a été construit sur des bases solides. Maurice Zundel insiste sur ce réalisme de la religion chrétienne. Les lettres de st Paul en sont la meilleure démonstration.

En effet, Jésus n’a pas écrit un traité théologique, philosophique ou exégétique. Tout au plus, il a récusé les fausses images de Dieu, issues d’interprétations trop humaines de l’Ancien Testament. Aspect trop souvent passé sous silence et pourtant Zundel l’explique très clairement :

« Mais de quel Dieu parlons-nous ? Jésus a payé pour savoir combien le mot « Dieu » peut renfermer toutes les équivoques. Il s’est heurté chaque jour à une religion établie, qui devait ultimement prononcer sa condamnation. Il devait succomber au jugement du sacerdoce. Il devait être rejeté au nom de la tradition et être condamné comme ennemi de la religion. Et c’est à sa mort qu’un grand prêtre attachera le salut de son peuple. Il faut qu’il meure, car il est un danger pour tout le peuple. Il faut qu’il meure, parce qu’il est un blasphémateur et parce qu’il remet en question toute la tradition selon laquelle les hommes ont vécu jusqu’ici.
Jésus savait bien qu’on peut parler tout le jour de Dieu et parler du faux dieu. C’est pourquoi il veut nous ramener au vrai qui est intérieur à nous-mêmes23, au vrai que nous rencontrons toutes les fois que nous nous rencontrons nous-mêmes24. »25

Jésus, Dieu incarné et parole de l’Esprit Saint aux oreilles humaines, a vécu une vie d’homme. Les Évangiles nous offrent plus d’actes que de paroles à notre réflexion. Sous peine de n’avoir rien compris à Sa vie, Sa principale invitation à tous les hommes, de toutes les races, de toutes les nations, est que nos actes soient en accord avec nos paroles. Chrétien ou non chrétien, comment ne pas comprendre l’humanisme véritable et concret de Jésus : « car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez recueilli ; nu et vous m’avez vêtu ; malade, et vous m’avez visité ; en prison, et vous êtes venu à moi. »26 ?

La parabole du bon samaritain (Luc, 10, 29-37) est éloquente : il s’agit de ne pas se payer de mots, de refuser l’hypocrisie, de sauver l’homme pour sauver Dieu qui est en lui, sans que cet homme en est conscience parfois. Dieu a besoin de l’homme pour se faire connaître aux autres hommes : le Nouveau Testament le dit et le redit ! Refuser Dieu dans la vérité de notre vie, c’est crucifier Dieu une nouvelle fois. Prions pour celles et ceux qui le pratiquent si allègrement : il est encore temps qu’ils puissent se convertir, c’est-à-dire ouvrir leurs cœurs à Celui qui la source de toute vie et ainsi suivre la voie de Dieu.

Et Maurice Zundel nous en parle ainsi :

« Jésus n’est pas un philosophe, heureusement ! Il n’apporte pas un système du monde. Il apporte en sa Personne la révélation et la racine de cet univers de personnes27, le seul dans lequel il nous est possible de vivre, de nous estimer, d’aimer et de respirer. Tout ce qu’il y a d’atroce et d’intolérable dans la vie vient de ce que nous sommes encore des êtres biologiques, de ce que nous sommes encore choses, objets, de ce que nous nous laissons porter par les énergies obscures et inconscientes de la nature, de ce que nous ne nous sommes pas encore créés dans ce monde originel28 dont la dimension est la pauvreté29 et l’amour.
Jésus vient nous révéler notre univers et ses véritables coordonnées, ses véritables dimensions, en prenant sur lui nos limites, nos infidélités, nos révoltes, nos égoïsmes, nos agonies, et les révoltes de nos morts.»30

Aussi retenons bien ce qu’il nous dit de l’ascétisme chrétien :

« L’ascétisme chrétien n’est pas le mépris du monde ni le mépris du corps. Ce n’est pas le paiement d’une dîme à un dieu jaloux. L’ascétisme chrétien est la libération, sans cesse poursuivie, de toutes les contraintes biologiques qui nous réduisent à l’état de choses et d’objets. »31

L’Eucharistie prend tout son sens lorsque le fidèle perçoit en son cœur que ce temps de communion est le renouvellement des fiançailles du Christ avec l’humanité, un temps sacré de réciprocité d’amour vécue et exercée. Il faudrait une autre conférence pour vous offrir une synthèse de la méditation zundélienne sur l’Eucharistie mais cet extrait est éloquent en lui-même :

« A chaque eucharistie, le Seigneur nous32 appelle autour de sa table. Quand nous l’invoquons ensemble, nous sommes appelés à former son Corps mystique, où aucun être humain ne peut être oublié, d’où aucun être humain ne peut être exclu. Cette communion doit nous permettre de reprendre conscience de la catholicité, de l’universalité de l’Evangile. Personne n’est laissé à l’écart, personne n’est étranger. Nous sommes tous habités par la grâce et frères de Jésus Christ, Lui qui accompagne chacun d’entre nous sur tous les chemins de la vie. »33

Le Christ accepte de mourir sur une croix pour nous livrer un message fort :

« Il est donc essentiel que nous retenions de cette confrontation avec la croix de Jésus-Christ que le Seigneur s’adresse à nous au plus haut de nous-mêmes. Il nous demande de nous faire hommes, d’être hommes dans la plénitude de nos facultés, dans la plénitude de notre liberté, en nous libérant de tout ce qui n’est pas humain, car la liberté que le Christ nous révèle est une libération. Ce n’est pas cette liberté stupide et grossière de faire n’importe quoi en se livrant à toutes ses fantaisies. C’est plutôt cette liberté créatrice où l’on sort de la fange de son animalité, où l’on se défait de ses entraves et de ses limites pour surgir comme un être tout neuf dans un monde oblatif, illimité, diaphane et transparent, parce qu’il n’est plus qu’un monde offert.
Saint Jean de la Croix nous aidera à retenir cette direction unique : ‘’Une seule pensée de l’homme est plus grande que l’univers tout entier. Il n’y a donc que Dieu qui soit capable et digne de la remplir.’’ »34

Pratiquement, dans notre quotidien, il convient de faire tomber les masques 35 :

« […] il y a tant d’absence dans des conversations qui occupent la plupart de nos journées qu’il est impossible que le visage humain puisse se révéler dans ces mots, ces mots qui marchent tout seuls, ces mots passionnels, qui sont simplement l’expression de nos limites et de nos servitudes.

De fait, il y a des êtres qui semblent masqués à un degré incroyable. On dirait qu’ils ne font pas autre chose que dissimuler leur être véritable. Ils paraissent ne songer qu’à se camoufler parce qu’ils n’ont pas confiance, parce qu’il ne font pas crédit au regard des autres.

Et il arrive parfois qu’un de ces visages, soudain apparaisse. Le masque se déchire et derrière tous ces faux semblants et ces jeux d’artifice, on découvre enfin l’authenticité déchirante d’une âme, d’un esprit, enfin d’une existence où la dimension humaine surgit dans la détresse, dans la solitude, dans l’appel, dans la nuit. Enfin, on la sent, elle est là. Et puis, soudain, on découvre dans cette immense absence la présence qui l’a presque comblée. Dans ce « de profundis », comme dans celui d’Oscar Wilde a écrit en prison, on retrouve enfin la présence unique qui est la Vie de notre vie. »36

Une personne est plus qu’un corps, plus qu’un assemblage d’organes, tous mortels. Une personne, c’est le mystère d’une présence qui nous apporte une joie, une lumière, un cadeau. L’amitié entre deux personnes est la jonction non de deux corps physiques mais de deux âmes. Cessons de voir la résurrection uniquement avec des corps organiques mais percevons ce qui, en nous, peut être immortel :

« Si nous tenons compte des conditions de l’après-vie terrestre, où il n’y aura plus de génération, plus de mariage, plus de lutte pour le pain quotidien, où donc tous les organes qui sont adaptés à ces fonctions auront disparu ? Qu’est-ce qui restera du corps ? Quelle est l’essence de notre corps ? Qu’est-ce qui maintient notre identité depuis le sein maternel jusqu’à notre mort, depuis l’embryon jusqu’au vieillard ? Qu’est-ce qui assure notre présence dans le monde visible et nous permet de nous y manifester, si l’on fait la soustraction de tout ce qui est rigoureusement adapté à notre habitat terrestre et aux fonctions qui ont à s’y exercer pendant le temps où nous y demeurons ? »37

La qualité de notre présence à autrui et de la présence de l’autre ne tient donc pas uniquement aux corps. Il y a un plus qui est du domaine de l’esprit, de la rencontre d’âmes immortelles. Nous avons là le signe qu’une vie autre qu’organique est tangible. Et Zundel souligne que la résurrection commence maintenant :

« Ce serait dans cette direction que nous aurions à vivre le Christ ressuscité en ressuscitant déjà nous-mêmes, en nous transformant, en anticipant notre résurrection, en intériorisant nos puissances organiques, de manière que nous soyons contenus tout entiers dans un certain point de lumière qui annoncerait le mystère de notre être sous la forme d’une présence, d’un présent et d’un cadeau. »38

Conclusion

Rencontrer le Dieu intérieur a une conséquence immédiate :

« Il s’agit de vaincre la mort, aujourd’hui même. Le ciel n’est pas là-bas : il est ici ; l’au-delà n’est pas derrière les nuages, il est au-dedans. L’au-delà est au-dedans, comme le ciel est ici et maintenant. C’est aujourd’hui que la vie doit s’éterniser, c’est aujourd’hui que nous sommes appelés à vaincre la mort, à devenir source et origine, à recueillir l’histoire pour qu’elle fasse à travers nous un nouveau départ. Aujourd’hui, nous avons à donner à toute réalité une dimension humaine pour que le monde soit habitable, digne de nous et digne de Dieu»39

A la question : « Où sont nos morts ? », voici deux réponses de Maurice Zundel :

« Quand nous saurons où sont les vivants, nous saurons où sont les morts. Quelle absence le plus souvent, quel mur nous sépare de ceux qui nos entourent ! Livrés chacun à nos déterminismes, durcis par nos déceptions, asphyxiés par le masque que nous imposent des fonctions anonymes et des attitudes conventionnelles, nous nous heurtons tous les jours à des visages fermés où ne respirent que les instincts qui les nouent. Hostiles parce qu’ils souffrent, il n’y a d’authentique en eux que la douleur stérile des servitudes qu’ils subissent. »40

Un climat de confiance et d’amour de Dieu change tout car  : «Les âmes se touchent et s’échangent dans le silence diaphane où Dieu se respire. » dans un dialogue dans le cœur de Dieu qui bat dans le nôtre.

Le véritable amour possède une force qui dépasse tout :

« C’est l’amour qui triomphe de la mort. C’est l’amour qui est plus fort que la mort ; et c’est notre acte de foi : l’amour est plus fort que la mort à condition que l’amour soit totalement lui-même, à condition que l’amour ne devienne pas un prétexte, un faux-semblant. Il suffit que l’amour aille jusqu’au bout de sa vocation et qu’il communique à l’autre et aux autres l’infini qui est sa Source éternelle. »41

Réalisons ce que  nous découvrons dans le Cœur de Dieu: « C’est là que les vivants ont leur demeure et leur berceau : dans ce Cœur unique, dans ce Ciel au plus intime d’eux-mêmes où tout disparaît dans le Mystère où tous se joignent en une commune respiration. »

Et nos morts se trouvent aussi dans le Cœur de Dieu : « Ne cherchons pas ailleurs les morts dont notre amour refuse d’admettre la disparition. Leur vrai visage et leur éternelle identité empruntent à la même Présence que les nôtres le secret inépuisable dont veut à jamais se nourrir notre tendresse. Nous avons avec eux le même lien qu’avec les vivants. Ils ne sont pas là-bas, derrière les étoiles, mais dans ce Cœur immense qu bat dans le nôtre, où toutes les présences se font jour dans le recueillement de l’Amour, où tous les visages se reconnaissent en l’échange de Dieu. »42

La mort 43 prend un sens différent à la lumière de Dieu :

« La mort physique, considérée en elle-même, est simplement la rupture du cordon ombilical qui nous lie à l’univers matériel où notre organisme puise sa substance. Cette rupture peut être éprouvée comme un arrachement qui nous prive de la vie ou comme une libération qui provoque son suprême épanouissement.
Ces deux issues, bien différentes, sont commandées par le choix que nous faisons de nous-mêmes. Selon que nous passons notre vie dans l’ignorance de notre vocation humaine et chrétienne ou selon que nous passons notre vie, au contraire, dans une sollicitude constante pour l’accomplissement de notre vocation : nous donnerons à notre mort l’une ou l’autre signification. 

Qu’avons-nous à faire ici-bas, sinon à nous faire ? Nous avons à nous faire, c’est-à-dire à faire de nous une source et une origine, en refusant de subir notre destin, notre hérédité, nos préjugés, nos dynamismes passionnels. C’est-à-dire nous avons à transformer tout cela par cette libération créatrice qui est l’œuvre de la Présence divine en nous. 

[…] L’immortalité, en effet, n’est pas un thème à discussion, c’est une expérience à vivre. Nous avons à nous faire immortels. C’est-à-dire qu’au lieu de nous laisser porter par l’univers, par les forces obscures et inconscientes qui sont à l’œuvre dans le monde physique, nous avons à nous porter nous-mêmes, en faisant de tout notre être une offrande à l’Amour infini. C’est connaître maintenant une transfiguration : rayonner de la Présence de Dieu en nous, selon l’intensité de notre relation avec Lui. »44

Aussi, avec Maurice Zundel, ressusciter prend un sens fort :

Notre résurrection commence à partir du moment où nous laissons mourir en nous le vieil homme, encombré par des déterminismes, pour donner naissance 45 à l’homme nouveau 46 qui reconnaît en son cœur la Présence de Dieu 47.
Cette rencontre avec Dieu en son cœur est le début de la résurrection.
La mort est une naissance à Dieu pour celles et ceux qui L’on connu et rencontré dans leurs cœurs.
Ceci nous oblige à ne pas tricher avec la vie 48, avec soi 49 et avec les autres.
Ceci nous oblige à une exigence de vérité 50.
Lutter pour la vérité est un combat à livrer par chacun d’entre nous, au risque de sa vie : Jésus nous l’a démontré pour nous sauver.
L’humanisme chrétien est à la fois une force et une exigence.
L’Amour, c’est çà.

Antoine Schülé

© Antoine Schülé, novembre 2018.

1Maurice Zundel (textes choisis et présentés par Marie-France Chauvelot) : Vivre Dieu. Presses de la Renaissance. Paris. 2007. 288 p. Abrégé ici VD. p. 268.
2Maurice Zundel : Vie, mort et résurrection. Anne Sigier. Canada. 1995. 168 p. Abrégé ici : VMR. p. 214
3VMR, p. 55
41801-1890 : grand théologien anglican d’abord, il se convertit au catholicisme après avoir analysé la doctrine de l’Église, sur le temps long. Il a reconnu la grandeur du Catholicisme sans le confondre avec les erreurs indignes de quelques catholiques (prêtres ou fidèles bornés).
5A la clinique privée Bois-Cerf notamment qui se trouve à proximité du presbytère du Sacré Cœur, à Ouchy - Lausanne.
6Soulignage ou mise en caractère gras par l’auteur pour l’ensemble de cette communication.
7Fruit d’une mauvaise lecture de l’Ancien Testament.
8VMR, p. 121.
9VMR, p. 122.
10Une maladie de notre temps.
11VMR, p. 25.
12VMR, p. 27
13VMR, p. 34.
14Saint Augustin : Les confessions, livre 10, chap. XXVII, coll. Garnier, t. II, p. 119.
15VMR, p. 39.
16VMR, p. 52.
17VMR, p. 145.
18VMR, p. 146.
19VMR, p. 113.
20VMR, p. 106-107.
21VD, p. 268-269.
22VMR, p. 67.
23Notre cœur où Dieu nous attend.
24Non pour nous admirer (tel un Narcisse) mais pour s’émerveiller de la Présence de Dieu.
25VMR, p. 13
26Matthieu, 25, 35-36.
27Le peuple de Dieu.
28Celui voulu par Dieu et refusé par certains.
29La pauvreté chez Zundel n’est pas de cultiver la misère et de s’y complaire ! Non, la pauvreté est de se désapproprier de soi, de son ego pour s’offrir aux autres, selon les dons reçus, dans sa vie familiale, sa vie professionnelle, ses relations avec autrui. Hospitalité, bienfaisance, écoute, amitié désintéressée, s’émerveiller devant la beauté de la création...
30VMR, p. 125-126.
31VMR, p. 127.
32Zundel s’adresse dans cette homélie aux fidèles de l’Église. Il ne s’agit pas d’extrapoler. Par contre, Dieu s’adresse au cœur de tous et même chez le non croyant ou le fidèle d’un autre religion pour conduire celui-ci vers Lui, par la conversion libre et sincère.
33VMR, p. 81.
34VMR, p. 136.
35Pour cultiver son image, une personne peut adopter un masque qui cache sa vraie nature. Il est vrai que c’est parfois mieux ainsi car, pour certains, c’est un moyen de cacher leur néant intérieur. Mais pour les autres, il y en a qui valent bien plus que le masque qu’ils adoptent !
36Vie de notre vie : Dieu. VMR, p. 110.
37VMR, p. 154.
38VMR, p. 155.
39VMR, p. 110-111.
40Maurice Zundel : Pèlerin de l’espérance. Anne Sigier. 1997. 248 p. Abrégé : PE, p. 112
41VMR, p. 141.
42PE, novembre 1953, p. 113.
43Pour ma part, le cadavre est un vêtement que nous abandonnons sur terre : l’esprit qui l’animait demeure pour toujours et part en communion avec tous les saints, dans la mesure de notre rencontre avec Dieu. Il ne s’oublie pas que certains refusent Dieu … l’enfer du néant s’ouvre...
44PE, p. 132-134.
45Ce qui ne se fait pas en un jour : c’est un chemin pas toujours facile mais que de grâces à recevoir !
46L’eau du baptême succède au liquide matriciel.
47Intérieur comme le dit saint Augustin.
48Qui est précieuse à Dieu nommé aussi justement le Vivant.
49En nourrissant des illusions, par exemple, ou une fausse image de soi.
50Difficile à entendre en certaines circonstances.

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