La
joie du Chrétien
selon Maurice
Zundel
par Antoine Schülé
La joie : un signe de Dieu.
La plus belle prière,
c'est la joie des autres1.
«
Comme notre vie serait belle,
si chacun de nous était le
sacrement de la vie et de la joie.
Dieu est le bonheur et la
religion, c'est la vie.
Si la Croix est le moyen,
la joie est la fin.
Notre mission est d'être
une demeure de joie,
afin d'être dans l'Eglise
le testament de la joie :
"Je vous ai dit
ces choses
Inutile de vous dire que c’est
sous le signe de la joie de Dieu que j’ai le plaisir de vous
entretenir en ce jour sur la joie selon Maurice Zundel. Bien entendu,
il s’agit de savoir de quelle joie il s’agit.
Lors de nos précédentes
réunions, je vous avais fait allusion à certaines personnes donnant
le catéchisme avec des visages fermés, des yeux tristes, un ton de
parole respirant la mélancolie : elle semblaient vivre une
mortification perpétuelle. A l’âge de mes 8 à 12 ans, elles me
surprenaient car je voyais Maurice Zundel dont le visage
resplendissait de joie. J’ai heureusement connu des prêtres et des
chanoines qui savaient rire, se réjouir, consoler avec un sourire :
ils brillaient d’une sorte de rayonnement positif. Ainsi, ils
devenaient attractifs : ils possédaient cette joie qui rassure,
qui rend confiant. Et je trouvais comme je trouve , encore
maintenant, ceci comme extrêmement précieux.
Oui, dans notre Église, il
n’est pas interdit d’être joyeux, ni d’avoir du plaisir à
vivre sa Foi.
La Bible parle souvent de la
joie avec de nombreux synonymes : liesse,
allégresse, rire, sourire et le qualificatif
heureux ou mieux encore bienheureux des béatitudes ou
la phrase merveilleuse de Jésus dans l’Evangile de Jean (20.29) :
« Parce que tu m’as vu, tu as cru : Bienheureux ceux
qui, sans avoir vu, ont cru. ».
Connaître la joie ne signifie
pas ignorer la souffrance, être inconscient, cultiver une forme
d’égoïsme. C’est pourquoi j’ai opéré une sélection
d’extraits de diverses retraites ou homélies données par Maurice
Zundel pour signifier que la joie et le plaisir du chrétien existent
et sont les signes de Dieu.
Histoire de l’Eglise
Les anticléricaux du XIXe s.
et du XXe s. et encore de nos jours, se plaisent à donner une vision
sinistre de l’Église. Or son histoire enseigne d’autres regards.
Elle a cultive le rire du carnaval (une sorte de relâchement
temporaire qui ne devait pas cultiver la méchanceté mais une forme
d’humour) comme la joie des fêtes pascales (un vrai temps fort).
Le Moyen Age aimait le rire contrairement à ce que veut nous faire
croire « Le roman de la rose » de Umberto Eco. Il
s’agissait de facéties, d’une ironie non blessante (oui, ceci
existe), une correction fraternelle donnée avec humour et sagesse
(St. François d’Assise et de nombreux moines y avaient recours :
lisez les fioretti ou les anthologies qui rapportent leurs
propos).
L’historien Michelet a
donné de fausses images de la vie du Chrétien avant la Révolution :
films (Jacquou le Croquant par exemple), romans ne cessent de
véhiculer ses clichés qui sont tout simplement faux.
Le rire joyeux du Moyen Age se
retrouve dans les chansons goliardiques, les pièces de théâtre,
les prédications, les enluminures, les satires, le Carnaval. Les
fidèles vient les joies de Noël, de Pâques, de la Pentecôte
(celle-ci est pour moi la fête la plus belle et je souhaiterais que
le lundi de Pentecôte soit la journée Zundel par excellence) ainsi
que les nombreuses fêtes mariales (la joie de Dieu qui a pris la
condition d’homme pour nous sauver, pour nous faire entendre la
Parole de Dieu : quelle joie !). Chaque dimanche est un jour de
joie quand il est vécu sans hypocrisie, sans mensonge, sans
fausseté ! Lorsqu’il nous est donné de s’émerveiller
(mot qu’affectionne Maurice Zundel), et ceci est possible
chaque jour devant un panorama, une fleur, un visage, un bébé, un
geste d’amour : ainsi, nous nous émerveillons de la beauté
de la création et donc du Créateur, Dieu. Ne négligeons pas ces
petites joies quotidiennes qui font le sel de la vie, de la vie
heureuse !
Par contre, et c’est
l’aspect qui a servi aux anticléricaux à caricaturer l’Église :
le Moyen Age refusait le rire sans Dieu. C’est ce rire qui a
abouti au grotesque, à la vulgarité (je pense au dadaïsme
par exemple), encourageant l’imbécilité humaine, la goinfrerie et
la tyrannie (la joie d’un Néron devant Rome incendiée par ses
soins n’est pas la joie d’une Sœur, martyre d’Orange, montant
à l’échafaud pour rester fidèles à ses Foi et à ses vœux). Le
rire diabolique est celui qui donne à croire à l’absurdité du
monde, donc à l’absurdité de la vie : des écrivains du XXe
s. se complaisent dans cette forme de désespoir qu’ils ne cessent
de chanter ! Ils souffrent derrière leurs masques d’un rire
sans Dieu, d’un manque profond de joie de vivre. Nous avons, de nos
jours, des jeunes - pas tous heureusement - qui se promènent avec
des têtes de mort sur leurs vêtements, écrivant sur les murs « No
future ». Ils se droguent, ils tentent de se perdre dans
diverse formes de sensualité : à la fin, ils deviennent des
morts-vivants !
La joie de vivre est le
meilleur moyen de s’arracher à la peur existentielle pour
reconnaître une transcendance dans sa vie : la résurrection
qui n’ignore d’ailleurs pas la souffrance puisque elle passe
d’abord par la mort qui peut être une souffrance mais aussi
parfois une libération et qui est, dans tous les cas, une nouvelle
naissance, selon le jugement de Dieu . C’est déjà là un message
très fort !
Avant de parcourir les
extraits proposés ce jour, il convient de porter un regard sur les
sources utilisées par Maurice Zundel pour nous parler de la joie. Il
y a la Bible bien entendu mais surtout, et cela ne vous surprendra
pas, saint Augustin. Il n’utilise pas tellement le mot joie car
il privilégie le mot bonheur. Zundel a poursuivi sa
méditation sur la joie avec la Bible et avec l’ouvrage sur la
Trinité de saint Augustin. Et il y a un autre auteur que
Zundel cite aussi mais moins connu du grand public et que j’ai
découvert en lisant Zundel : Angelus Silesius (25.12.1624 –
9.7.1677) avec son livre intitulé Le pèlerin chérubique,
ouvrage passionnant écrit par un Luthérien qui s’est converti au
catholicisme.
En quelques mots, la
motivation de Zundel lorsqu’il traite de notre sujet est la
suivante :
Trop de Chrétiens fuient le
mal par la peur de Dieu : ils agissent dans la crainte. Ils sont
des timorés et, là c’est moi qui le dis, presque dans le regret
de ne pas pouvoir commettre tel ou tel acte, contraire au bien mais
qui leur donnerait quelque profit !
Or les Chrétiens pratiquent
le bien car ils ont ainsi conscience d’être des reflets de Dieu
dans leur vie pour les autres : ils agissent dans la joie de
l’Amour de Dieu.
Voici la grande différence
dans la façon de vivre la Foi !
Notre joie : s’enfanter
à Dieu. Pour cela , il cite Jean (16.21) : :
« La femme,
lorsqu’elle enfante, est dans la souffrance, parce que son heure
est venue ; mais lorsqu’elle a donné le jour à l’enfant,
elle ne se souvient plus de ses douleurs, dans la joie qu’elle a de
ce qu’un homme est né dans le monde. ». Zundel médite
ce texte et nous dit : notre vie est un enfantement à Dieu et
notre naissance à Dieu est la joie parfaite attendue. Cette image de
9 mois dans le liquide matricielle qui constituait un monde en soi
pour l’embryon et comme cette vie sur terre qu’il faudra quitter
aussi pour une autre vie : naître à Dieu. Voici qui change
complètement la vision de la mort chez le Chrétien !
De nombreux écrits de
Zundel traitent de la joie du Chrétien : il suffisait de le
rencontrer pour ressentir sa joie intérieure qui transparaissait sur
son visage et à travers son sourire. Je l'ai eu vu soucieux, au
sortir de la clinique Bois-Cerf où il avait effectué une visite de
malades mais, malgré tout, il avait toujours un sourire pour celle
ou celui qu'il croisait et qu'il connaissait.
Maurice Zundel n'est ni le
premier ni le dernier à traiter de la joie chrétienne : l'Ancien
Testament (le Cantique des Cantiques, Psaumes) et le Nouveau
Testament (les Béatitudes, Apocalypse), les Pères de l'Eglise
(maniant l'humour et l'ironie) et le Moyen Age (cultivant une
alliance saine entre le corps et l'esprit) comme la Renaissance (qui
doit tant aux XIIIe et XIVe s.) nous offrent
des textes admirables, trop souvent ignorés. Il s'agit de les
redécouvrir. Trop de Chrétiens oublient la joie pascale, les joies
de la Pentecôte, des fêtes de Noël, de la Trinité,de la Sainte
Croix... donc cette joie sereine et non tapageuse (appelée
« musique » mais ne devant rien aux muses) ou
artificielle (drogues diverses, exacerbation des sens) que nous
propose la culture ambiante qui règne de nos jours.
Toutefois, à travers
quelques citations extraites de ses œuvres, soyons attentifs à
cette joie chrétienne qu'il convient de partager dans notre
quotidien où chacun d’entre nous doit se faire homme à la Lumière
du Christ.Une création continue dans la joie…
L’Évangile
est un Testament de Joie.
Abandonnons
donc ces masques sinistres pour laisser rayonner le sourire de Dieu
en nous vers les autres !
Refusons la mélancolie :
"Un vrai Chrétien est
tout tourné vers la joie, tout ouvert à la joie. "Un saint
triste est un triste saint."... Il faut chasser la
mélancolie du service de Dieu. Il ne s'agit pas de feindre quoi
que ce soit, d'être une caricature. Tout en respectant nos
lassitudes, nos dégoûts, il faut les dépasser. L'agonie de Dieu,
c'est la ruine de la joie, et la seule manière de détacher le
Christ de la Croix, c'est de transformer chaque jour l'existence
humaine et lui donner un visage de beauté et de joie." 4
Le plaisir
« 137. Qu’est-ce
que le plaisir ?
C’est la joie d’une
activité conforme à la nature : la joie d’un
accomplissement, le contentement que procure une satisfaction.
142. Quelle est la fonction
du plaisir ?
La vie. Le plaisir est le
gardien de la vie.
143. Quelle est la règle
du plaisir ?
Garder la vie. Toutes
les fois qu’il va contre la vie, il est mauvais. Quand il va vers
la vie, il est bon.
150. Que veut dire
soumettre le corps à l’esprit ?
C’est, en somme, donner de
l’esprit au corps, l’élever au plan de l’esprit, plan
supérieur au sien, donc l’aimer magnifiquement.
151. Pourquoi la vie nous
est-elle donnée ?
Pour que nous la
construisions. Nous la recevons comme une ébauche ; nous avons
à la conquérir, à l’inventer, à l’organiser.
Nous travaillons
à la joie parfaite de tout notre être, aussi bien du corps que de
l’esprit, puisqu’à la fin le corps
va devenir capable des joies de l’esprit. »5
Dieu a besoin de notre joie
:
"Ni la joie, ni la
douleur ne sont nécessaires à la sainteté authentique. Il est
des moments où Dieu a besoin de notre joie, comme il est des moments
où l'humanité a besoin de notre douleur. Ce qui rend la douleur
bonne, c'est l'amour qui la transfigure et si la joie est
transfigurée par l'amour, elle qui est déjà un bien, elle devient
doublement un bien."6
Le sourire :
"La plus grande puissance
du monde, c'est le sourire. C'est du sourire que nous vivons, comme
c'est de l'absence du sourire que nous mourons. Là où il n'y a pas
de sourire, la vie s'éteint. Où il y a le sourire, la vie prospère.
Et c'est aussi la plus grande fragilité. Il est clair que si le
sourire vous est offert et qu'il rencontre un visage fermé, il ne
peut plus rien. Si on ne répond pas à cette intimité, rien ne se
passe. C'est l'exemple le plus suggestif de la Puissance de Dieu,
cette tout-puissance de l'Amour, mais qui ne peut arriver, s'il n'y a
pas correspondance.
Autant le sourire est puissant
s'il est reçu, autant il ne peut rien s'il rencontre un visage
fermé. Gardez cette image du sourire qui est la seule image
véritable de la Puissance divine. Vous comprendrez que Dieu soit
à la fois source de toute vie et qu'il soit le Dieu crucifié : Il
donne sa vie et Il meurt."7
Notre vie doit atteindre à
la joie :
« Il importe
essentiellement à la réalisation de notre mission [de Chrétien]
d'en faire une moisson de joie, de joie pour les autres
d'abord, bien sûr, de joie pour Dieu, au premier chef, et de
joie pour nous. Puisque le testament de Jésus est un
testament de joie, ses intentions ne seront réalisées que si
notre vie atteint à la joie. »8
Le plus grand miracle est
la joie donnée :
«
Le plus grand
miracle, c'est
peut-être de donner la
joie à un être qui a de la peine.
C'est le seul miracle que Dieu attende de nous : la diffusion de la
joie, réalisant cet admirable conseil de Verlaine : "Rien
n'est meilleur à l'âme que de faire une âme moins triste."»9
Béatitude,
une joie intérieure déjà présente non un futur hypothétique :
"La
béatitude n'est pas quelque chose dans laquelle on entre mais
quelque chose en soi, comme le fruit mûr de l'activité humaine : le
ciel est intérieur. Tous les espoirs qui luisent à l'horizon de
l'âme ne sont pas un terme extérieur vers lequel on s'applique et
pour lequel on travaille afin d'obtenir la récompense : le ciel. Il
faut se défaire de cette idée et s'apercevoir que le ciel est déjà
là et, si vous n'arrivez pas encore à l'atteindre, c'est que vous
n'êtes pas au sommet de votre activité la plus divine." 10
Joie
d'exister :
"Pour
l'instant, il pourra nous suffire de retenir que la
joie d'exister
est la première joie, qu'elle est le lien fondamental du vivant avec
soi et que toute joie est, vraisemblablement, l'écho ou
l'orchestration de ce premier accord11."
Joie
des chercheurs cheminant vers le "pays de la vérité"
:
«
On
s'émerveille de la science toujours en mouvement
de leurs auteurs, de leur patiente érudition, de leur probité dans
la confession de leurs erreurs, de leur dépouillement devant l'objet
en lequel ils s'effacent, de leur immortelle
jeunesse
dans l'ardeur avec laquelle ils poursuivent, chacun à sa manière,
leur inépuisable itinéraire vers " le
pays de la vérité".
"
Le
pays de la vérité",
notre vraie patrie , c'est vers lui qu'ils aspirent, vers lui qu'ils
nous conduisent par cette traction qui les entraîne, de la
circonférence où leurs disciplines se segmentent, vers le Centre où
éclate
pour
tous "la
même joie de connaître",
dans la communion avec cette Présence qui est la Vérité en
Personne, que nul ne peut dire mais que chacun
reconnaît, dès qu'empli de sa lumière, il devient libre de soi.
Les
livres, je leur dois cette
conversation qui ne lasse ni ne blesse jamais, ce besoin
de silence qu'ils nourrissent, ce tranquille
bonheur qui
n'est pris à personne, ce stimulant indispensable qu'ils ne cessent
d'offrir à ma pensée et, dans les heures tragiques, la présence de
l'éternel, dont ils sont la quête et le signe.
Je
sais qu'il y a des livres qui ne valent pas d'être lus. Nul ne nous
contraint
à les lire et cela suffit pour échapper à leur impuissante
intrusion dans un monde d'où le silence les rejette.
Mais
il y a tant d'autres, capables de nous enrichir, que j'ai toujours
trouvé en eux, quand l'humanité devenait folle, la
force d'espérer et de croire,
malgré tout, en l'homme, à cause de ses meilleurs d'entre nous qui,
au-delà d'un absurde carnage, ne cessaient
d'orienter nos regards et nos efforts vers " le
pays de vérité".»12
Joie
de cette liberté qui est de ne plus être quelque chose mais être
quelqu'un :
"[La
liberté] a ses racines dans l'homme en tant qu'homme. Elle signifie
qu'il peut cesser d'être quelque chose pour devenir quelqu'un, que
sa vocation est de ne rien subir et, d'abord, de ne pas se
subir
en se laissant dominer par son "moi"
possessif et animal. Seul, de tous les vivants, il est dans "sa
nature"
de dépasser "sa
nature",
ce que sa naissance le fait, pour devenir ce qu'il se
fait13.
Mais
[...]
c'est uniquement par le don de soi, par cette offrande de tout
lui-même qui constitue
le "moi
oblatif",
qu'il accède vraiment à soi, qu'il devient
une personne, en s'affranchissant
de toutes ses dépendances par l'amour qui les assume, qu'il recrée,
en un mot, soi
et tout.
La
portée humaine de la dogmatique chrétienne, c'est justement,
qu'elle
identifie la vie divine elle-même avec ce mouvement oblatif qui
donne seul sens à la liberté en en
faisant
une dignité
- c'est-à-dire une suprême valeur - par cette radicale
désappropriation que l'Evangile nomme l'esprit
de pauvreté.
C'est
sur cette désappropriation de soi, sur cette
pauvreté selon l'esprit que se fondent tous les droits de l'homme.
Parce que l'homme n'atteint à soi qu'en se déprenant
de soi - en passant
du "moi-chose"
au "moi-personne"
- , il est indispensable pour que le "moi
possessif"
puisse "décrocher",
que la vie biologique [tout ce que l'homme tient de sa naissance et
non de soi], dont il émane [...] n'ait pas à le mobiliser [...]
pour sa propre défense. On
ne peut
attendre d'un homme qui se noie qu'il pense à se faire homme. Que
l'on mette d'abord tout en œuvre
pour le sauver et il reconnaîtra plus aisément, dans le prix que
les
autres attachent à sa vie, la valeur qu'elle doit devenir
entre ses mains.
De
cette valeur[...], il peut seul être l'arbitre et l'auteur14,
puisqu'elle se constitue par la désappropriation oblative qui est la
seule dimension d'être qu'il puisse réellement tenir de soi. Mais
comment prendrait-il conscience d'un appel à une création
personnelle qui conditionne sa dignité, s'il est réduit à l'état
de chose par l'exaspération de ses besoins organiques
continuellement frustrés ?
C'est
justement pour préserver, en chacun, la possibilité de l'offrande
créatrice où il devient l'origine de soi que la notion de droit
s'est peu à peu imposée comme le respect de l'exigence humaine à
laquelle chacun doit pouvoir satisfaire, pourvu qu'on lui assure les
conditions de sécurité sans lesquelles il est pratiquement
impossible de l'accomplir. C'est ce que nous avons exprimer en
définissant le droit – en tant qu'il résulte nécessairement de
la reconnaissance d'une dimension humaine à tout le moins possible
en chacun – comme un espace de
sécurité qui cautionne et conditionne l'espace de générosité
que chacun est appelé à devenir.
Refuser
à quiconque un tel droit , c'est lui dénier la qualité d'homme, le
revendiquer pour soi c'est le revendiquer pour tous, puisqu'il
garantit uniquement en chacun, la possibilité d'une désappropriation
oblative, dont il est évidemment impossible de s'attribuer le
monopole."15
Dignité
de l'homme : la joie d'être le créateur de son destin:
«
La dignité d'un homme est de ne pas subir son
destin mais d'en être l'origine et le créateur, d'y pouvoir
consentir, à tout le moins, pour des motifs auxquels il peut
accorder un assentiment convaincu. »16
Une
économie au service de l'humain :
"
L'économie au service de l'humain, peut-on nourrir ce rêve fou ? La
liberté devenant pour chacun la chance de se libérer de soi au
profit de tous, est-il absurde de l’espérer ? La Cité mettant
tout en œuvre pour offrir à chaque citoyen la possibilité de se
faire homme, ne serait-ce pas la naissance, enfin, d'une vraie
démocratie ?
Mais
où sont les écoles qui se proposent une telle fin, les entreprises
qui s'en inspirent, les homme politiques qui lui subordonnent
réellement leurs décisions ?
L’Église,
par sa structure même, pourrait montrer le chemin si elle recouvrait
en chacun de nous son vrai visage, si nous renoncions à être des
parasites pour devenir des créateurs, si nous croyions vraiment que
le Royaume de Dieu est, en chacun, l'espace de générosité –
qu'il faut préserver à tout prix – où passe l'axe de l'univers
dont nous avons la charge et d'où sourd l'hymne à la joie."17
Dieu
ressuscite et l’homme naît :
« Que
sont les cathédrales auprès d’un visage qui laisse
transparaître la lumière où l’homme naît à soi, en nous
introduisant silencieusement dans l’espace où sa libération
s’accomplit ?
Chaque
visage suscite en nous, secrètement, cette attente. Nous épions le
moment où il sera enfin lui-même, dégagé de tous les masques qui
l’aliènent à soi.
Et
il n’y a pas de joie plus grande que de vivre la transfiguration
qui en fait soudain une présence infinie, où deviennent sensibles,
tout à la fois, la réalité divine et la réalité humaine.
En
vérité, dans le champ de notre expérience, nous ne connaissons pas
de révélation plus émouvante et plus convaincante que celle qui
nous amène à murmurer au plus intime de nous, devant un visage
qui naît à soi : voici l’homme et voici Dieu.
Toute
l’aventure humaine, n’est-ce pas, dans les mots les plus simples,
d’émerger « de quelque chose en quelqu’un »,
en organisant le monde pour que la chance de cette transmutation
créatrice soit offerte à chacun ?
L’hymne
à la joie, si aucune voix n’y doit manquer, ne peut jaillir qu’à
ce prix. Mais cela exige de chacun la plus longue patience et la plus
radicale désappropriation.
« Que
votre amour, écrit Nietzsche, soit de la pitié pour des
dieux souffrants et voilés. ». Cette petite phrase nous
hante. Aucune parole de lui, aussi bien, ne rend un son plus
chrétien.
« La
Création gémit dans les douleurs de l’enfantement »
nous dit Saint-Paul. Le vrai monde n’est pas encore. C’est à
nous de le faire « en nous faisant », ici,
maintenant. Mais, tant que nos désordres l’empêchent de surgir,
Dieu ne peut qu’y apparaître « souffrant et voilé ».
Le
mot de Nietzsche nous aide à entrevoir ce que peut signifier la
compassion de saint François pour l’Amour crucifié qui saigne
dans ses stigmates. Si Dieu est fragile et désarmé devant la brute
qu’est tout homme qui reste captif de son animalité, s’Il
agonise dans les vies qui refusent de vivre humainement, l’amour
qui perçoit la dimension divine du drame qui se joue en nous,
s’applique, en assumant la passion divine, à décrucifier Dieu.
C’est par là qu’il prend la mesure de l’homme et du monde qui
est à l’échelle de la Croix où Dieu meurt par l’homme et pour
lui.
Et
quand le poverello descend de l’Alverne, en cachant les
plaies qu’a imprimées en lui son extase, il apporte à ses frères
la joie qui chante dans le Cantique du Soleil, la plus haute joie :
qui est la joie pascale.
Dieu
ressuscite et l’homme naît. »18
Conclusion :
« Le
bien n’est pas quelque chose à faire mais Quelqu’un à aimer. »19
« La
vérité c’est qu’une vie authentiquement religieuse,
authentiquement spirituelle, c’est-à-dire authentiquement humaine,
se mesure au degré de Joie qui habite en cette vie. Tous les
discours, toutes les théories, tous les mystères du monde ne sont
rien, c’est-à-dire qu’ils demeurent stériles et sans effet,
s’ils n’aboutissent pas finalement à la Joie des autres. »20
« Ce
que nous voulons retenir de ce contact avec le Dieu de l’Amour et
de la Joie, c’est que notre mission est une mission
de Joie. Nous n’aurions pas besoin de nous poser d’autre
question que celle-là, si pour les autres nous nous efforcions
d’être une source de Joie.
Alors
nous serons au cœur de l’Evangile, car l’Evangile n’est pas un
livre, l’Evangile n’est pas un système du monde, l’Evangile
est Quelqu’un, l’Evangile est une Présence, l’Evangile est un
cœur, l’Evangile c’est la source de cette Joie
immense qui vient de la rencontre avec le Visage
imprimé dans nos cœurs, le Visage justement que seule
peut nous révéler la Foi à laquelle nous appelle la divine
Liturgie, dont le premier mot est justement :
« J’irai
à l’autel de Dieu, du Dieu qui remplit
de Joie ma jeunesse » (Ps. 43.4) »21
Antoine
Schülé,
La
Tourette, avril 2009.
Contact :
antoine.schule@free.fr
1Maurice
Zundel : une de ses phrases favorites.
2Jésus
version TOB (Jean 15, 11) : " Je vous ai dit cela pour que
ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite."
3Marc
Donzé : Témoin d'une Présence. Ed du Tricorne. T.
II. Genève. 1987. p. 178. Retraite donnée à Morges, octobre 1938.
4Idem,
p. 176
5Maurice
Zundel : Recherche du Dieu inconnu. AMZ. 1986. p. 43-46.
6Idem,
p. 177
7Idem,
p.177
8Idem,
p. 178
9Idem,
p. 178
10Idem
p. 179
11Note
AS : La symphonie de la Création est le résultat de la joie
de Dieu : d'où notre ivresse face à la Nature, cette ivresse est
notre émerveillement, une forme de joie bien particulière.
Maurice Zundel : Hymne à la joie. p.18
12Maurice
Zundel : Hymne à la joie. pp. 82-83.
13Note
AS : L'homme se construit chaque jour non sans peine mais sa
récompense est dans la joie de surmonter les obstacles, fort de
cette confiance dans notre espérance d'aboutir, au final, à la
Joie parfaite.
14Note
AS : C'est ici notre vrai champ de liberté !
15HJ
pp. 108-110
16HJ
p. 113
17HJ
p. 131
18HJ
p. 145
20Ton
Visage, ma Lumière : 90 sermons inédits de Maurice
Zundel. Desclée. Paris. 1989. p. 386
21Idem
p. 387
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