mardi 28 janvier 2025

Expériences militaires de pacification du XIXe siècle pour le XXIe siècle.

 Armée et pacification au XIXe siècle :

éléments pour une réflexion à l’aube du XXIe siècle.

Antoine Schülé,  La Tourette, juillet 2004

Version 2, revue en 2025.

Lors de la préparation d’un colloque sur “Armée et pacification” en 2004, j’ai été amené à considérer cet aspect de l’histoire de la sécurité et de la défense. La mise en ligne en 2025 de cet article me paraît justifié dans la mesure où ce thème est toujours récurrent lorsqu’il est traité de colonialisme, du rayonnement d’une civilisation ou du “droit d’ingérence”, cet habillage récent pouvant conduite à bien des dérives. Suite à des considérations générales, je me limite essentiellement à des engagements de l’armée française au XIXe siècle, car il est possible d’établir plusieurs cas de figure qui alimentent la réflexion sur l’acceptation de certaines pratiques au XXIe siècle. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre le colonialisme : ce phénomène a toujours existé et continue d’exister sous d’autres formes. La France a eu les Musulmans sur une partie de son territoire, les Grecs, les Romains, les Wisigoths, les Francs... Et c’est la France aujourd’hui. De plus, l’Europe subit un colonialisme “culturel” américain outrancier qui s’empare non de territoires (ses règles économiques se chargent d’exploiter les ressources, ce qui est amplement suffisant), mais des esprits (ce qui est plus grave, car c’est la pire des dépendances). 

Opérations de maintien de la paix. Chaliand

Introduction

Globalisation et fragmentation

Le XXIe siècle est face à une globalisation soit imaginée ou voulue, soit perçue de façons fort différentes suivant son appartenance à l’Europe, aux Etats-Unis, à l’ Afrique ou encore à l’Asie ou plutôt aux Afriques ou aux Asies (le pluriel s’impose, car nous en avons une vision européenne monobloc complètement erronée). Une caractéristique internationale était déjà apparue dans la deuxième moitié du XXe siècle : les grandes explosions minoritaires se produisent ou se développent partout sur la planète. Et l’entrée dans le XXIe siècle n’a pas pu les gommer d’un coup de baguette magique, ainsi que certains experts internationaux l’avaient parfois cru et imprudemment annoncé, après la chute du Mur de Berlin.

Pour comprendre ces puissances minoritaires, il faut remonter dans le temps. Il est patent que la guerre asymétrique permet à une minorité d’avoir assez de force pour déstabiliser n’importe quelle grande puissance. Cela peut rendre chagrin les spécialistes qui restent persuadés que nous vivons des temps tellement nouveaux et que l’étude du passé ne sert à rien. Les histoires des hommes, de leurs lois, de leurs mœurs ont permis les constitutions d’Etats, de civilisations, de communautés. Les droits que nous connaissons actuellement sont l’expression de rapports de force qui se sont succédé à divers moments donnés : d’une façon ou d’une autre, il y a toujours des dominants et des dominés; généralement, le dominé cherche à se libérer de ses liens de dépendance. Diverses légitimités politiques, et non pas une, ont consacré des droits qui ne sont pas éternels : par exemples, une simple révolution, un changement de régime politique modifient des lois qui paraissaient bien établies. Nous vivons dans un monde divers et non pas uniforme : une globalisation outrancière qui étouffe des minorités est une source certaine de guerres. C’est ce que nous vivons.

Il nous faut accepter le pluralisme qui va au-delà de la tolérance. En effet, le pluralisme permet d’accepter diverses conceptions du bien, alors que la tolérance exprime une seule notion du bien par rapport à d’autres valeurs, tolérées parfois avec quelques limites, mais aussi rejetées avec une violence juridique ou armée, au nom même de cette “tolérance” (voilà tout le paradoxe). Avec la tolérance, ces autres valeurs sont mesurées à une seule aune, c’est-à-dire à une seule notion du bien, la sienne généralement qui ignore superbement l’autre. Le gouvernement des Etats-Unis offre l’exemple le plus patent  à la personne qui sait voir les faits. C’est ainsi que sans rougir, certains Etats sont parvenus à magnifier la « tolérance zéro » dans les relations internationales : ce qui demeure une utopie, car ce qui est accepté dans un Etat est refusé dans un autre ! Exemples : Pakistan, Israël, Corée du Nord et du Sud... 

Ainsi, en introduisant ce sujet, il est nécessaire de garder à l’esprit qu’il y a et y aura toujours des minorités ethniques, linguistiques, religieuses et culturelles. Les ignorer, c’est aller au devant de conflits non seulement politiques. Plus encore, par escalades successives, c’est être confronté à des guerres civiles ou interétatiques. Notons que certains Etats permettent ou ont permis dans leurs passés une communauté de diverses minorités se respectant les unes et les autres : Russie, Autriche, Syrie, Liban, Irak.... Leurs ennemis ont tenté, tentent et tenteront toujours d’exploiter l’une des ces minorités pour déstabiliser ou ruiner cette union qui leur a donné la puissance : l’Angleterre a mené cette politique dans toute son histoire, depuis Henri VIII.  Cet aspect est occulté par les dits “bien-pensants” de nos jours : la politique internationale anglaise a été sacralisée, il est quasiment sacrilège de la critiquer. 

La troisième guerre mondiale, sur laquelle les spécialistes ont tellement disserté, sera probablement un embrasement planétaire de guerres civiles, ne connaissant plus de frontière, plus de loi. Dans la mesure où des Etats s’affranchissent des lois internationales comme des traités de paix, ce phénomène ne pourra qu’empirer. Voyez Israël (qui refuse le droit international), les Etats-Unis (qui rejette ou revendique certains droits selon ses intérêts du jour) et même la France (qui ignore des traités quand cela lui convient). Le terrorisme international en est une forme d’expression : une minorité qui n’a plus rien à perdre est conduite inévitablement à des actes terroristes, selon les uns, ou de résistance, selon les autres. La dénomination retenue s’effectue selon des valeurs, ce dont je me méfie, car la notion du bien et du mal n’est pas la même dans tous les Etats, disons plutôt selon des intérêts précis, ce qui est plus réaliste, quitte à décevoir les humanistes de salon. S’il y avait un seul terrorisme tout serait plus simple, mais nous avons dans le monde une mosaïque de terrorismes, travaillant encore isolément, mais des échanges de techniques, de moyens, de formations se créent, des liens se nouent. Le stade ultime sera atteint lorsque les diverses expressions du terrorisme ou de résistance se réuniront avec l’intention de régler leurs situations respectives face à une puissance hégémonique refusée. L’histoire a démontré que des ennemis peuvent s’allier temporairement pour éradiquer un adversaire. Prenons l’exemple des Etats-Unis et de l’URSS, deux Etats Empire. Après 39-45, les dépouilles de l’adversaire étant partagées, la Guerre froide, nouvelle dénomination, a repris cette lutte bien antérieure à la Deuxième guerre mondiale ! Il existe aussi un terrorisme d’Etat aux procédés assez sournois, justifiés par leur seule notion de bien : sanctions économiques, suspension d’aides humanitaires, contrôle de l’énergie, accaparement de points d’eau, destruction d’hôpitaux, bombardement de camps de réfugiés... Vous trouverez aisément des exemples pour illustrer ce propos. De même, il existe un terrorisme idéologique, à coloration culturelle, dont les armes sont multiples en Europe : la censure, l’occultation, des procès d’intention, de fausses accusations, des rumeurs négatives...  Ne croyez pas que ceci soit le propre des seuls Etats totalitaires, les démocraties, même déjà à un niveau communal, n’échappent pas à cette forme d’hégémonie totale voulue par des tyrans comme des tyranneaux.

Le monde et les commandements militaires américains

En dépit des lois internationales, trop souvent revendiquées ou rejetées au gré des besoins, l’actualité démontre que l’affirmation d’une puissance dans un pays tiers ne répond pas toujours à des exigences humanitaires : les présidents des Etats-Unis ont utilisé à plusieurs reprises des mensonges pour justifier leurs guerres. En Irak, son dirigeant est diabolisé de façon caricaturale dans les media qui cultivent la haine, sans aucune gêne et avec la haute approbation de politiques ou d’universitaires complaisants.

Israël et ses revendications territoriales depuis 1919

Cependant, l’histoire offre d’autres exemples qui peuvent alimenter notre réflexion. C’est le but de mon exposé. Pour ne pas tomber dans la polémique stérile de l’actualité, je vous propose de considérer plusieurs cas de figure du passé intéressant notre approche.

Les frontières : expression d’une incohérence

Depuis la nuit des temps, les frontières ont été, sont et seront des sources de guerre : Chine, Afrique, Europe centrale… N’oublions pas que trop souvent les frontières ont été écrites par des lignes de sang, avant de devenir des lignes sur une carte. Il importe de savoir comment et quand elles ont été constituées. Par qui surtout ? En un temps où l’on parle de responsabilité en cas de guerre, ne faudrait-il pas accuser ces créateurs de certaines frontières qui ont totalement ignoré des minorités, des espaces occupés depuis des siècles par des tribus ou des peuples. Pour les nomades, une frontière ne signifie rien : seule la possession ou l’accès à des points d’eau a de l’importance. Il faudrait d’ailleurs s’entendre sur le mot minorité car il est des cas, en Afrique par exemple, où ces dites minorités étaient ou sont majoritaires chez eux !

L’école historique marxiste a réglé le cas en affirmant que les nécessités économiques ont conditionné les volontés des puissances. L’explication est un peu courte. En fait, les économistes n’ont pas décidé ou imposé des frontières. Par contre, les politiques ont la responsabilité devant l’histoire des frontières tracées qu’ils ont légalisées pour satisfaire une géopolitique de puissance. L’Afrique est typique pour ses lignes rectilignes de frontière ne respectant ni les peuples, ni les lignes de frontières dites naturelles (si souvent recherchées en Europe) : nous sommes à la source de guerres civiles actuelles qui ne feront que se maintenir, si aucune solution n’est trouvée pour revenir à la raison. Les limites qui se sont forgées dans la longue durée et au prix de nombreuses vies humaines sacrifiées n’ont pas été respectées. De nos jours, la Chine mène une politique discrète et dont on ne parle quasiment pas pour établir des frontières sûres avec les pays à l’ouest de son territoire. Il n’en demeure pas moins que l’annexion du Tibet s’était faite militairement, sous l’imparable prétexte républicain chinois de “libération”. Entre l’Inde et la Chine, des troupes armées s’observent et il y a eu des confrontations armées.

L’Irak recherchait ses frontières en tentant de restaurer d’anciennes : cela a pesé dans la première guerre du Golfe. Soumettre un Etat producteur de pétrole et ayant une position stratégique clef sur le plan moyen-oriental a motivé la seconde. 

Le XIXe siècle pèse sur le XXIe siècle

Pour comprendre ces situations belligènes du XXe siècle et de nos jours, il suffit de remonter au XIXe siècle. Notre actualité est une conséquence directe de la politique des Etats du XIXe siècle. Ignorer cette vérité, c’est refuser de comprendre le présent, c’est s’empêcher d’établir une prospective constructive pour l’avenir.

Eviter un faux débat

Il ne s’agit pas de faire l’apologie du colonialisme ou d’ouvrir le débat sur impérialisme et colonialisme. Non ! Nous voulons rester pratique. Nous voulons percevoir les critères admis par les politiques et les conditions réunies par les militaires pour pacifier des territoires extérieurs à l’Europe, c’est-à-dire les colonies au XIXe siècle.

Précisons d’entrée qu’il y a eu autant de colonialismes que d’Etats colonisateurs ou de puissances. La lutte anticolonialiste a caricaturé les politiques coloniales des Etats. Cela est une erreur grave d’un point de vue historique. La France et l’Allemagne ont adopté des politiques en la matière fort différentes de l’Angleterre ou des Etats-Unis (Californie) ou encore de l’Espagne ou du Portugal. Pour analyser cela, il faut cesser d’adopter les seules considérations économiques comme étant le plus petit dénominateur commun entre eux, mais n’étant pas le plus décisif. Les considérations géopolitiques, qui sont les plus ignorées du grand public, ont plus pesé sur la création de colonies.

Des mémoires différentes

Le colonialisme est un sujet délicat, car il y a différentes mémoires suivant l’Etat qui a exercé la puissance et suivant l’Etat qui l’a subi. D’ailleurs, sous les expressions la décolonisation ou l’acquisition de l’indépendance, vous entendez deux dénominations qui traitent de la même chose, mais qui vous donnent deux perspectives différentes. D’ailleurs, au final, les luttes pour l’indépendance n’ont en fait que changé les dépendances. L’indépendance est quelque chose de très abstrait, à partir du moment où l’on perçoit toute l’interdépendance des Etats, qu’elle soit voulue ou non ! L’indépendance ne pourrait exister que dans l’existence d’une autarcie. Cela est encore moins possible de nos jours qu’autrefois dans la majorité des pays. 

Depuis que les civilisations existent, il y a eu des colonisations comme des immigrations et donc des émigrations. Les Celtes, c’est-à-dire les Gaulois, sont à l’origine des Galates qui ont vécu au Nord de la Turquie ! Nos peuples se sont constitués par assimilation, par insertion, par intégration ou par rejets, basés sur des refus de la différence religieuse ou ethnique. Le « droit à la différence » est une expression contemporaine, mais en fait les Grecs, par rapport aux Romains dans l’Antiquité, l’ont déjà revendiqué ! La culture grecque a dominé la culture latine d’une Rome qui a pourtant vaincu les peuples par les armes. Ainsi, l’histoire donne de multiples cas où l’immigration est perçue soit comme une invasion (Attila), soit comme une intégration enrichissante (Marseille). Entre ces deux extrêmes, il y a toute une gradation possible qui s’est exprimée dans le temps et qui compose l’originalité de nos cultures. 

Relation du dominant au dominé

Peut-on établir une corrélation d’une part entre la métropole et les colonies et d’autre part une grande puissance de la globalisation et un petit état ayant des richesses naturelles ? Oui, dans un certain sens et surtout au niveau de la relation mentale entre le dominant et le dominé. Les Etats-Unis invoquent la liberté qui n’a pourtant pas été donnée aux tribus amérindiennes qui étaient chez elles, bien avant l’arrivée des colons. L’Angleterre aux Indes et en Afrique du Sud a commis des exactions tragiques pour bien des peuples sans subir la moindre condamnation des bien-pensants ou de ceux qui se prétendent humanistes : la loi du plus fort est toujours la meilleure (Jean de La Fontaine le dit si bien dans “Le loup et l’agneau”). Ces deux pays illustrent ce qui suit.

Colonies anglaises. Vidal-Lablache 1936.

D’un côté, vous avez celui qui estime être le gouvernement politique le plus parfait et d’avant-garde : sa technologie - de l’armement principalement - lui donne en fait cette certitude, mais la technologie n’est pas le critère absolu d’une supériorité politique, morale, culturelle ou religieuse : comme si cela pourrait être le cas ? D’un autre côté, vous avez «les Autres » : sous ce label généraliste, le dominant ne cherche pas à établir des détails, cela est pour lui inutile.

Le dominant détient le Pur, le Bien, le Savoir et même le Don d’Amour, alors que les Autres sont l’Impur, le Mal, l’Ignorance et le Besoin d’Amour. Vous pouvez peut-être être choqué des mentions « Don d’Amour » ou « Besoin d’Amour » mais il est important de le souligner : le dominant tente d’établir une relation de type paternaliste particulier (dans son esprit du moins) entre lui et le dominé. Pour sa bonne conscience, il veut être celui qui punit et récompense, selon ses critères ou ses «valeurs», bien entendu. 

L’Autre reste à ses yeux un être dans l’enfance de l’humanité, confiné aux ténèbres de l’ignorance et dans l’incapacité à contenir ses pulsions. Il faut tout lui apprendre : c’est lui refuser d’être ce qu’il est pour le transformer en ce qu’il ne peut pas être, du jour au lendemain. Généralement, il faut trois générations pour faire perdre à un personne ses vraies racines (aussi bien culturelles, religieuses ou politiques) : cela représente un espace temps de 60 à 100 ans, si tout se déroule sans heurt !  

Le lobby colonial voit trois intérêts économiques dans la conquête des territoires : placement de capitaux à l’extérieur, écoulement de produits manufacturés de la métropole, approvisionnement de la métropole en produits spécifiques (caoutchouc par exemple) et en matières premières (charbon, uranium, terres rares, énergie fossile, or, diamants etc.). L’Etat y voit une image de sa grandeur et de sa puissance : contrôle des axes maritimes (ports, accès à la mer chaude) ou fluviaux, des sources d’énergie, création d’Etats-tampons.  Son peuple croit en son apport civilisationnel incomparable, surtout quand son ignorance l’empêche d’établir la moindre comparaison. Les morts des Autres sont passés sous silence. Il s’installe même un racisme victimaire : il y a les morts qui méritent la mémoire perpétuelle (films, commémorations et documentaires) et ceux dont les noms comme leurs souffrances ne doivent même pas être évoqués (vous serez considérés comme des apologistes d’une pensée honnie et donc condamnables avec des lois prévues spécifiquement, au nom de cette fameuse, et o combien fumeuse, “liberté d’expression” qui vous est ainsi refusée par les “Grands prêtres” de la démocratie). 

L’Allemagne a eu une relation plus apaisée avec ses colonies : elle respectait les structures politiques d’un pays dans la mesure où le lien établi n’était pas contesté. Il est curieux de constater que l’Angleterre et la France ont contesté à l’Allemagne le droit d’instaurer des colonies ainsi qu’elles le pratiquaient à outrance au XIXe siècle.  

Qu’en était-il avec  les colonies françaises ?

Colonies françaises. Vidal-Lablache 1936

Colonies françaises

L’occupation d’Alger est décidée par Charles X. La Monarchie de Juillet a achevé la conquête de l’Algérie. Napoléon III a fait annexer : Mayotte, les Iles Marquises, Tahiti, la Nouvelle Calédonie, le Sénégal, la Cochinchine et le Cambodge. La Troisième République a aussi poursuivi une politique de conquête et de colonisation. Des années 1880 à 1919, les territoires administrés en plus par la France sont : le Gabon, la Tunisie, le Sahara, le Tchad, la Mauritanie, le Soudan, la Haute-Volta, le Dahomey, le Niger, le Tonkin, l’Annam, la Somalie, Djibouti, Madagascar, les Comores, la Polynésie, les Nouvelles Hébrides, le Maroc, le Togo, le Cameroun, le Liban, la Syrie.

La population française est peu informée sur les colonies. L’école ou des manifestations temporaires (Exposition universelle p.e.) présente la colonisation comme une mission civilisatrice. Il faut véritablement attendre la Première guerre mondiale pour que la population fasse connaissance avec des indigènes, comme les spahis marocains et les tirailleurs sénégalais.

La colonie française est généralement une forme d’organisation qui correspond à la doctrine de l’assimilation. Cela nécessite de recruter des fonctionnaires, l’envoi massif d’instituteurs, de médecins, d’implanter toute une infrastructure économique de type occidental. Le protectorat recherche une association. Les théoriciens britanniques parlent de l’Indirect Rule, mais selon une application très spécifique à la Grande-Bretagne. 

Lyautey s’est inspiré aussi d’un associationniste nommé de Lanessan, ancien gouverneur général en Indochine et républicain. Gouverner les colonies avec les élites indigènes est son principe majeur. L’avantage de ce système est son moindre coût.

Le gouvernement politique français n’a jamais choisi entre ces deux méthodes. : Il est possible de dire que pour la France, il y avait un véritable « patchwork » législatif. Trois tendances pèsent sur les choix pour les colonies : le parti colonial, le monde des affaires, les grandes compagnies concessionnaires. Le souci de rentabilité a prédominé comme toute conquête de territoire l’exige et peu importe sous quel prétexte cette action est admise ou autorisée. Le manque de rentabilité des colonies a justifié plus tard l’abandon de celles-ci : il ne faut pas le dire. Officiellement, il s’agit de redonner à ces pays la liberté et la démocratie...  

Une « philosophie » de la colonisation

Cependant, il s’agit de ne pas oublier qu’il existait au XIXe siècle une « philosophie », plus laïque que religieuse, de la colonisation. 

Jules Ferry

Le français Jules Ferry, le républicain laïc et franc-maçon, disait, je cite : « les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. », un droit qui est d’ailleurs un devoir, car « elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. ». Il reprochait à la monarchie de sacrifier les colonies, alors que les colonies feraient, selon lui, la grandeur de la France. Jules Ferry a développé une puissance maritime : pas de marine efficace sans point d’appui : «nécessité d’avoir sur les mers des rades d’approvisionnement, des ports de défense et de ravitaillement». 

Cécil Rhodes

En Angleterre, cette conception était aussi dominante et antérieure : elle s’accompagnait d’un messianisme religieux anglican. Après la victoire de Pretoria, Lords Roberts ordonna de rendre grâce « au Dieu de la race impériale ». Cecil Rhodes a écrit dans son testament que, s’il y a un Dieu, « il travaille d’une manière visible à faire de la race anglo-saxonne l’instrument choisi à l’aide duquel il amènera un état social fondé sur la police, la liberté et la paix. ». Chamberlain n’hésitait pas à proclamer : « Nous sommes une race maîtresse prédestinée par nos qualités aussi bien par nos vertus à nous étendre dans le monde. »...

Non, je vous rassure les propos ci-dessus ne sont pas d’Adolf Hitler et donc ils ne doivent pas susciter en vous le cri d’horreur obligé !  Au XXIe siècle, les dirigeants de certains Etats utilisent les mêmes mots pour justifier ainsi des exactions ! Aussi, lorsque des médias parlent d’un phénomène nouveau, ils témoignent tout au plus des limites de leur culture historique et de leur ignorance du XIXe siècle.

Armée et colonisation

L’histoire enseignée dans les écoles donne des images bien souvent fausses du rôle de l’armée dans la colonisation. Les anticolonialistes ont imposé des caricatures qui se sont imposées en bien des esprits. L’historien officiel Lavisse, quant à lui, avait voulu donner un récit idyllique de la colonisation. La vérité se trouve entre deux. Penchons-nous un peu plus sur le rôle de l’armée, en quelques mots. 

L’Armée a bien été l’instrument de la conquête coloniale. Cette conquête a été voulue par les politiques aussi bien de la Monarchie, que de l’Empire et que de la République. C’est sous Gambetta et Ferry que le Soudan, la Tunisie, le Tonkin ont été occupés dans les années 1880.

En 1897, Jean-Louis de Lanessan ancien gouverneur de l’Indochine et future ministre de la Marine et des Colonies dans le ministère Waldeck-Rousseau, écrit que : «Il ne faut surtout jamais confier à l’autorité militaire la direction des affaires d’aucune colonie. Par son éducation, par ses intérêts personnels, par les excitations dont elle est entourée, l’Armée est irrémédiablement poussée vers l’emploi de la force. Elle tient moins à prévenir des désordres qu’à les réprimer, et les pertes qu’elle subit ne font que l’encourager dans la voie des expéditions sanglantes, car de la mort des uns résulte l’avancement des autres.»

Pourtant certains administrateurs civils de colonie ont été incompétents : des appuis politiques les ont cependant maintenus à leur poste. Au Soudan, en 1894, un Grodet se comportait en tyranneau pour surveiller les militaires avec une susceptibilité maladive. 

Cependant, Galliéni, Lyautey, Joffre, Mangin ont été des militaires colonisateurs de grandes envergures et qui ont su être fidèles au régime politique en place et subordonné à l’autorité civile, sans se départir d’un esprit critique à l’égard de celle-ci. Etre subordonné, ce n’est pas se taire, mais parler à bon escient et à qui de droit sans effusion médiatique ou sans goût de l’éclat. 

Lyautey a eu pour règles :

éviter et limiter au maximum l’emploi de la force;

présenter dès le début une image d’une France humaine et généreuse (actions médicales);

faire de l’armée coloniale une école d’éducation et de civilisation.

Les officiers se sont mis dans les colonies à l’école de l’initiative, de l’endurance et de l’énergie. Quatre des huit maréchaux de la Grande guerre se sont formés outre-mer : Galliéni, Franchet d’Esperey, Joffre et Lyautey.

Pour l’Afrique et Madagascar, la France a implanté : 2000 dispensaires, 600 maternités, 40 hôpitaux. Elle a construit 18 000 kilomètres de voies ferrées, 215 000 kilomètres de pistes, 50 000 kilomètres de routes bitumées, 63 ports, 196 aérodromes, 16 000 écoles primaires et 350 collèges ou lycées. Il est évident que ces infrastructures ont eu un coût assumé par la France. Selon l’étude de Jacques Marseille, parue en 1984 sous le titre : Empire colonial et capitalisme français, il apparaît clairement que la France ne s’est pas enrichie avec son empire colonial : au contraire, elle s’est appauvrie. Il est incontestable qu’il y a eu des colons indignes et des actes militaires ayant parfois causé des dommages inexcusables. Il convient de ne pas en faire une généralité, face aux nombreux apports positifs pour les peuples et qui sont indéniables quoiqu’occultés de nos jours.

Depuis l’indépendance des Etats africains, ceux-ci restent très dépendants de l’aide internationale. Les guerres intestines sont cruelles : Congo, Tchad, Rwanda, Mauritanie, Soudan, Côte d’Ivoire... et la liste pourrait s’allonger ! Actuellement, la Chine construit des ports, des aéroports en s’assurant certaines ressources qui lui sont nécessaires. Et pourtant l’Afrique a de nombreuses richesses qui devraient la libérer  pour la rendre plus indépendante : son sous-sol, ses professionnels ayant reçu des formations de pointe en divers continents, sa natalité, des terres à cultiver de façon adaptée aux climats, les nouvelles maîtrises de l’eau et de l’énergie... Tout ceci est une autre thématique, revenons à l’armée française.

Quatre cas d’école

Pour traiter ce sujet, quatre pays ont été retenus : Algérie, Madagascar, Mexique et Maroc. Le choix s’est porté sur eux en raison de leur valeur « cas d’école » qu’ils représentent et en raison des succès ou des échecs qu’ils mettent en évidence. Il vous appartiendra au regard de ces faits historiques de vous forger une opinion et, pourquoi pas, de revisiter les pages d’histoire, en considérant toute leur richesse  en expériences variées encore mal exploitées qu’elles renferment et les conséquences que celles-ci ont sur notre actualité. 

Thomas Bugeaud

1. l’Algérie avec Thomas Bugeaud (1784-1849) : les leçons d’une guerre asymétrique espagnole. 

Le grand public a tendance à croire que les généraux de l’Armée cultivaient l’esprit de conquête. Le cas de l’Algérie mérite d’être conté. En fait, plusieurs hauts responsables de l’Armée ont étudié les demandes des politiques avec sagesse. Ils craignaient que les forces françaises soient engagées dans des opérations lointaines qui pouvaient compromettre les nécessités immédiates de sécurité de la France. 

Bugeaud, par exemple, a établi au départ un réquisitoire contre la conquête de l’Algérie. En 1838, il disait déjà, et c’était véritablement prémonitoire, qu’il la considérait comme «le plus funeste présent que la Restauration ait fait à la Monarchie de Juillet». Pour lui, l’éloignement du champ de bataille européen toujours possible en était la raison principale.

Pour les gouvernants, le propre d’une armée est de soumettre l’adversaire par l’usage ou le déploiement de la force armée. Cela ne peut pas faire de doute. Mais cet aspect ne doit pas occulter les missions politiques et administratives dont l’armée française a assumé les charges, une fois l’action militaire achevée. Ces deux aspects ont sans doute fait la particularité de la France dans les colonies. 

Pour soumettre par la force, deux doctrines ont été mises en application : la méthode du maréchal Valée et celle de Bugeaud. 

Au début, dans les années 1830, les français occupent les ports pour protéger le commerce français, lutter aussi contre la piraterie en Méditerranée. Les projets de colonisation ou d’occupation totales connaissent des difficultés et des échecs avec Valée. L’engagement de l’artillerie est trop difficile, la politique des forts occupés et dispersés sur le territoire ne fonctionnent pas. Abd El Kader obtient de nombreuses victoires en raison de sa mobilité et de sa capacité à conduire les tribus au combat.

Bugeaud établit quant à lui une sorte de doctrine de « pénétration pacifique ». L’objectif était simple : économiser des vies, économiser des ressources de la nation comme du pays colonisé, respecter ainsi certaines préoccupations humanitaires. 

Bugeaud a établi cette doctrine suite à des expériences fâcheuses où il s’était aperçu que des conquêtes avec un grand nombre de victimes ne créaient qu’une plus grande résistance. Des villages rasés, des récoltes détruites, des vergers arrachés n’étaient pas propices à se concilier les populations locales. La religion musulmane considère comme un grand crime le fait de détruire des vergers alors qu’elle pouvait tolérer le principe des prises de guerre. 

Il s’agit de ne pas oublier que Bugeaud avait en mémoire les guerres de Vendée et surtout la guerre d’Espagne où il avait eu à jouer un rôle. Rappelez-vous que la résistance espagnole à Napoléon est un exemple caractéristique de guerre asymétrique ayant eu un plein succès malgré les forces imposantes déployées par la France. Vous pouvez constater le poids de l’histoire récente, espace d’une vie d’homme, dans l’appréciation des faits pour mener une mission nouvelle, une mission à accomplir. 

Il réalise que l’administration civile est plus lourde, plus coûteuse et moins efficace que l’administration militaire. L’armée peut effectuer des travaux importants de génie à moindre coût, alors que les civils colons n’avaient ni les bras, ni les moyens financiers d’assurer des travaux d’importance : routes, ponts, villages nouveaux, dispensaires, etc. 

Les routes favorisaient :

le commerce des habitants locaux, 

l’écoulement des produits de la métropole, 

le déplacement des armées, 

un meilleur contrôle des territoires. 

Le génie était, après les forces combattantes que sont l’infanterie et la cavalerie, la troupe la plus mise à contribution dans les activités de pacification.

Cet exemple devrait démontrer, si besoin était, l’utilité de l’histoire pour accomplir des actions humanitaires à réaliser dans le futur.  

Joseph Gallieni

2. Madagascar et Joseph Gallieni (1849 – 1916) : connaître le pays où l’on est envoyé en mission.

Il a conduit des opérations au Soudan, au Tonkin puis à Madagascar. Il a favorisé la rédaction d’études géographiques et ethnologiques sur les territoires administrés par la France et sur leurs habitants.

A Madagascar, il a fondé l’Académie Malgache. Il avait perçu toutes les limites de la politique de la canonnière. Il a réalisé toute l’utilité de connaître les particularités « ethniques » ou « raciales » (au sens où on l’entendait au XIXe siècle). Concrètement, cette connaissance des peuples a permis de déterminer la construction politique existante d’un pays pour mieux pouvoir travailler avec. 

Pourquoi ce réalisme ? Il a le souvenir des expériences malheureuses liées à l’ignorance des conquérants quant au pays conquis. Chacune de ses missions démontre que la conquête militaire est un moment assez facile pour celui qui dispose de la puissance technologique, c’est-à-dire de l’armement. Par contre, les problèmes arrivent lors de la gestion de la conquête. 

Cas de Menabe : un contre-exemple

A l’ouest de l’île de Madagascar, dans le Sakalava, le commandant Gérard est à la tête d’une colonne pour conquérir Menabe. Il se fie à quelques informations fausses ou lacunaires, tenues pour exactes provenant d’un commerçant. Alors que les indigènes sont prêts à déposer les armes et le font savoir, le commandant veut faire vite et massacre tous ceux qui ne sont pas parvenus à s’enfuir. Il tue le roi local, Toera.

Cette cruauté et ce manque de loyauté provoquent la résistance des indigènes et c’est pendant six longues années qu’une guerre de résistance est menée. L’excès de cruauté suscite inévitablement une résistance farouche et acharnée. Cette vérité d’hier est une vérité pour aujourd’hui comme pour demain.

Or le projet de Gallieni est de créer plutôt un protectorat qui consiste à installer une administration française superposée aux structures politiques admises par les indigènes. Les chefs locaux gardent les postes honorifiques et sauvent la face devant leurs peuples.

La méthode de Galliéni est motivée par l’idée politique d’occuper et d’administrer Madagascar avec des moyens civils et militaires réduits. La pratique coloniale confiée à l’armée passe par la conquête et la gestion du territoire. La connaissance du pays permet aux militaires d’économiser les vies et d’en assurer une gestion cohérente. En des terres inconnues et là où il n’y avait aucun savoir utilisable, les militaires deviennent demandeurs et producteurs, parfois, de savoir ethnologique.

Il emploie la méthode britannique qui consiste à « diviser pour mieux régner ». Les luttes entre tribus sont utilisées pour s’introduire dans un territoire. C’est la première étape. Pour cela, il faut connaître le pays. Il respecte la nature politique du pays pour vivre en meilleure harmonie possible avec les habitants. C’est la deuxième étape.

Galliéni et Lyautey ont très souvent écrit et proclamé leur volonté d’utiliser la connaissance historique ou anthropologique du terrain colonial à des fins politiques et dans un but d’efficacité. Actuellement, les responsables militaires des troupes envoyées en mission à l’étranger se doivent de disposer des connaissances anthropologiques des pays où ils sont en mission, sous peine de commettre des fautes impardonnables auprès des populations indigènes : germes de guerres futures.

Napoléon III

3. Le Mexique et Napoléon III : échecs politiques (1862-1867).

Ce cas est présenté dans la littérature surtout comme une tentative de Napoléon III de constituer un allié catholique de la France sur le territoire des Amériques, alors que les USA se tiennent à la doctrine dite de Monroe, même si John Quincy Adams en fut l'inspirateur. 

Lorsqu'il devient le cinquième président des Etats-Unis (1817-1825), James Monroe, a derrière lui une carrière de diplomate : ambassadeur à Paris. Nommé secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, ses positions en matière de conduite des affaires extérieures, sont connues sous le nom de doctrine de Monroe. Elle  exprime les volontés que les États-Unis entendent exercer sur leur continent. Sa doctrine peut se résumer en deux points : absence d'ingérence dans les luttes opposant métropoles européennes et colonies américaines, mais opposition déclarée à toute tentative de reconquête par ces métropoles des colonies dont les Etats-Unis ont reconnu la légitimité du gouvernement. 

Au moment où Monroe fait cette déclaration, il n’a aucun moyen de l’appliquer. C’est une déclaration politique. L’intention première est tout simplement de ne pas s’attirer de querelles militaires avec l’Europe.

Cette doctrine évoluera, dans le temps et jusqu’à nos jours, pour satisfaire les Etats-Unis dans ses volontés d’extension aussi bien politiques que territoriales : cette déclaration deviendra en quelque sorte la définition du pré carré des Etats-Unis.

Mais au moment de la déclaration, les Etats-Unis sont en pleine guerre civile. Ainsi, l’idée d’étendre l’influence de puissances européennes au Mexique séduit la France, la Grande-Bretagne ainsi que l’Autriche-Hongrie. De 1858 à 1861, une guerre civile a opposé les “libéraux” aux cléricaux. Les biens de l’Eglise ont été nationalisés. Des catholiques sont massacrés et la mémoire collective actuelle n’en garde aucun souvenir : silence, les libéraux mexicains sont des “les gentils”; ils mènent la lutte des Lumières contre l’obscurantisme religieux des “méchants”. 

Au début, et jusqu’à ce que la France se retire, l’opération est un succès du point de vue militaire. En effet, malgré les lenteurs, les lourdes pertes et le fait que la France doit finalement assumer toute l’opération seule, le Mexique est conquis et son régime politique changé, avec toutefois un reste de résistance (minorité agissante) dans les régions les plus inaccessibles et montagneuses.  

Malgré ce premier succès, la pénétration et l’occupation tournent à l’échec pour plusieurs raisons. 

La première est surtout d’ordre diplomatique, car la France finit par s’engager seule dans cette guerre qui, depuis le début, menace les intérêts américains. Les Nordistes, contre l’invasion du Mexique, gagnent la guerre civile américaine. La Grande-Bretagne et l’Autriche-Hongrie refusent dès lors l’affrontement direct avec les USA. En se mettant à dos les USA, la France s’isole dans un conflit qui n’est ni compris, ni accepté par la communauté internationale de l’époque. 

La situation intérieure mexicaine en est la seconde raison : la France se met également à dos une bonne partie des Mexicains et en particulier la gauche se proclamant anti-libérale et anti-autoritaire qui ne comprend pas que la France renverse le président - dit libéral - Benito Juarez, pour remettre en place une dictature semblable à celle de Santa Anna de 1855. C’est donc ces opposants qui alimentent la guérilla contre la France afin de perturber régulièrement l’avancée de l’Armée française. 

En parlant d’ailleurs des aspects militaires, malgré les victoires françaises, une très grande partie des morts n’est pas due à la guérilla, mais surtout aux maladies comme la fièvre jaune et le paludisme. Cette guérilla est violente et bénéficie d’une bonne connaissance du terrain, d’une facilité à se disperser comme à se concentrer, d’avoir le temps pour elle et ayant comme meilleures alliées, les maladies qui épuisent et tuent les troupes intervenantes. 

Cette opération fut un échec cuisant pour la France. En dépit des ses victoires militaires intérieures, Napoléon III est confronté à l’hostilité de la population mexicaine, à la guérilla juariste, et surtout à la crainte d’un conflit direct avec les USA. Il retire les troupes françaises et son soutien à l’Empereur Maximilien, ce qui provoque la chute de celui-ci. 

Lorsque l’armée française quitte le pays en 1867, l’Empereur Maximilien, le frère de l’empereur d’Autriche François-Joseph 1er, n’ayant plus de partisans, est renversé par les juaristes qui reprennent le pouvoir. Les juaristes établissent une cour martiale (un formalisme légal est toujours très prisé dans ces moments de crise) et le condamneront à mort en juin 1867.

L’échec a été dû essentiellement à une superposition de volontés politiques pas toujours conciliables : Napoléon III, l’empereur Maximilien, son épouse (fille du roi de Belgique), les responsables militaires sur place et les Mexicains qui ne supportent pas cette greffe politique qui est mal préparée. 

L’administration importée par la France a commis aussi de nombreuses bévues. Les militaires de l’administration ont été parfois récompensés avant les militaires combattants. Les soldes ont  été diminuées, le ravitaillement a fait défaut : cela a créé un malaise au sein de l’armée, malaise dont il est peu souvent fait mention dans la littérature traitant ce sujet, mais dont on trouve des échos très précis (je pense aux mémoires d’officiers engagés au Mexique).

Ce cas est riche d’enseignements. L’essentiel à retenir est sans doute que la puissance militaire, aussi forte soit-elle, n’est rien s’il n’y a pas une forme d’adhésion des populations indigènes à la politique menée par la puissance mise en place par la force. La force ne peut pas ignorer la politique locale. 

Hubert Lyautey

4. le Maroc et Hubert Lyautey (1854 – 1934) : montrer sa force pour en éviter l’emploi.

L’armée française y  a tout fait pour créer une politique indigène dont elle assumait le contrôle. Le principe en était simple : il consistait à nommer des notables locaux pour assurer les directions locales. 

L’objectif était que le pays ne se considère plus comme conquis, mais protégé. De nombreux militaires ont réussi des exploits en la matière. Ceci a été rendu possible par leurs connaissances très précises de la région dans laquelle ils intervenaient. Il n’y avait pas un mépris de l’indigène, mais un intérêt réel à le comprendre, à le connaître. L’indigène pouvait être parfois un adversaire redoutable, mais il méritait le respect. Certaines puissances actuelles qui utilisent la force armée oublient le respect que l’on doit aux habitants d’un pays : cela ne peut que créer un rejet, un rejet violent. 

Lyautey est celui qui, sans aucun doute, a le mieux personnifié cette politique, à la suite de Bugeaud et de Galliéni. Il n’évitait pas la guerre lorsqu’il le fallait, mais il savait acquérir les populations en : 

traçant des routes (raison militaire peut-on dire mais utile aux populations)

bâtissant ou rebâtissant des villes et des villages (il ne faut pas oublier que dans les pays colonisés les constructions sont fragiles)

dressant des barrages pour créer des points d’eau (actuellement l’alimentation en eau est toujours une préoccupation majeure)

établissant des marchés (une infrastructure routière permet les échanges commerciaux vitaux pour faire vivre les populations) 

encourageant l’agriculture et l’élevage (pour limiter la nomadisation et donc faciliter le contrôle des populations)

nourrissant les affamés (la faim est encore de nos jours un fléau à combattre)

soignant les malades (l’action la plus décisive : lutte contre de nombreuses maladies)

instruisant les enfants (on ironise facilement sur le noir apprenant que ses ancêtres étaient les Gaulois mais la caricature ayant un fond de vérité ne doit pas cacher les apports de l’apprentissage de l’écriture, du calcul, de l’hygiène)

Lyautey pouvait parler à juste titre de sa « guerre créatrice de vie ». Si l’emploi de la force armée de grandes puissances en pays tiers pouvait toujours s’en prévaloir autant de nos jours, ce serait heureux. Un cas ne doit pas cacher les autres : des militaires sont aujourd’hui engager dans des missions qui donnent entière satisfaction aux pays qui en bénéficient et qui ne les subissent pas. N’oublions pas qu’un cas particulier provoquant le scandale peut discréditer les autres opérations.  

D’autres militaires ont travaillé dans cet esprit. Ils sont méconnus, mais entendons le général Margueritte qui disait : «… que ma véritable vocation n’est pas d’être soldat. Je n’aime pas la guerre. J’en ressens l’entraînement quand je suis soumis à son action, mais de sang-froid j’en ai horreur : bâtir, planter, cultiver la terre, faire des travaux d’utilité, voilà ce qui me convient, et c’est à cela que j’ai trouvé satisfaction dans ma carrière… »

Le général Salan lui-même a dit aussi : « J’ai fait rayonner la France aux antipodes. J’ai commandé. J’ai secouru. J’ai distribué. J’ai servi, et, pardessus tout, j’ai aimé. »

Ne croyez-vous pas que ces propos puissent être dans la bouche des commandants de forces armées pour le maintien de la paix ou pour apporter des secours humanitaires ? Lorsque l’on parle des nouvelles missions des armées, n’a-t-on pas oublié ces missions qui ont occupé des armées déjà au XIXe siècle ? Certes le contexte mondial a changé, l’intention politique aussi, quoique parfois on puisse s’interroger dans certaines interventions armées (Serbie, Irak p.e.) quant à une action véritablement humanitaire. Il n’en demeure pas moins que nous trouvons dans ce passé militaire, de nombreux principes vérifiés dans les faits qui permettent d’établir des lignes de conduite utiles pour demain. 

L’armée française a su ainsi coloniser jusqu’en dans les années 1920.

Décolonisation et l’armée;  Missions de coopération, humanitaires, de maintien de la paix

Lors de la décolonisation, l’armée a accepté la décision politique. Trois cas ont mal fonctionné : l’Indochine mais avec le recul historique, il est possible de discerner clairement une faiblesse de la décision politique. Pour le Maroc et la Tunisie, les indécisions politiques, le fait de privilégier la non décision à la décision, ont été lourdes de conséquences : la responsabilité des autorités civiles ne fait, là, aussi aucun doute.

En général, l’armée a transformé sa présence en mission de coopération, principalement pour la formation de cadres des armées africaines et cela se poursuit encore de nos jours. Des accords de défense avec la France sont établis soit pour une présence militaire, soit pour une intervention sur demande. 

L’Algérie constitue véritablement un cas particulier qui ne peut pas être généralisé. En Algérie, il se constate que les Algériens, eux-mêmes et indépendants, suite au départ des Français, n’arrivent pas à régler les difficultés que les Français avaient rencontrées. Les désordres intérieurs avaient des causes imputées pour la plupart bien à tort à la colonisation. Toutefois ceci est un autre débat, trop délicat pour être traité ainsi qu’il le conviendrait dans le cadre de cet exposé.

Missions humanitaires, en cas de catastrophe ou de maintien de la paix sont les missions actuelles de bien des armées dont les compétences sont ainsi utiles pour la paix. Il faudrait être de parfaite mauvaise foi pour le contester ou l'ignorer. 

Conclusion

N’oublions pas qu’en France, les hommes ont agi en se référant aux grands principes de 1789 qui légitimaient à leurs yeux leurs conquêtes (Napoléon en avait donné un exemple en soldat républicain devenu empereur). Au XIXe siècle, elle a voulu imposer sa paix et ne se préoccupait pas d’étendre les libertés de la métropole aux colonies. Or ce choix a été adopté par des civils et des autorités politiques élues démocratiquement. Par contre, les militaires étaient plus favorables à étendre ces droits aux colonies, ce qui ne doit pas être oublié, en vue d’une intégration de ces peuples. 

L’engagement des troupes coloniales sur les champs de bataille européens et les importants sacrifices en vies humaines consentis par celles-ci ont démontré que leurs approches étaient justes.  

Ainsi, il faut rester dans le contexte d’une époque pour l’analyser objectivement et ne pas tomber dans des luttes idéologiques qui occulteraient ou travestiraient les faits et les idées. 

De nos jours, le contexte colonial est terminé, mais l’envoi de troupes à l’étranger au XXIe peut retenir des leçons de troupes qui, au XIXe siècle, avaient aussi des missions de pacification. Il est d’ailleurs à souhaiter qu’une grande puissance n’envoie pas des troupes à l’extérieur de son territoire avec des intentions politiques qui seraient plus du XIXe que du XXIe  siècle, mais je laisse ceci à votre discernement.

 Bibliographie

(avec la collaboration de Thomas Tichy)

Les cotes renvoient aux bibliothèques universitaires de Suisse romande.

Ouvrages de base :

CORVISIER André (1994), Histoire militaire de la France. t. 3 et 4

DELMAS Jean, MASSON, Philippe, (1992), Histoire militaire de France vol 2. De 1715 à 1871, Paris, pp. 509-523. 

Bon ouvrage général sur le Mexique et l’Algérie 

SAVARESE Eric, (1998), L’ordre colonial et sa légitimation en France métropolitaine L’Harmattan 

LIAUZU Claude, (2004), Colonisation : droit d’inventaire, Ed. Colin

Cas du Mexique :

HANNA, Alfred Jackson, (1971) Napoleon III and Mexico : American triumph over monarchy, Chapel Hill : University of North Carolina 

GENEVE Institut hautes études internationales [Ge 72] 

LECAILLON, Jean-François (1994), Napoléon III et le Mexique : les illusions d'un grand dessein préf. de Frédéric Mauro Paris : Ed. L'Harmattan, 

GENEVE Uni. Fac. lettres. Histoire générale [Ge 118]

 VAUD BCU/Dorigny [La C1] 

GUÉRIOT, Paul (1980) : Napoléon III Paris, Payot.

NEUCHATEL Bibliothèque Ville de La Chaux-de-Fonds [CF V] 

Cote CFV 920 NAP 

Dépôt BVCF Magasins 

Lien/collection Histoire. Payot  

SCHEFER, Christian : La grande pensée de Napoléon III : les origines de l'expédition du Mexique, 1858-1862, Paris : M. Rivière, 1939 

VAUD BCU/Dorigny [La C1] 

 Cote BLA 3254 

Dépôt BCUD magasins. 

DU PASQUIER, Armand La grande pensée du règne 

Remarque ** Cet article fait partie d'un document que d'autres bibliothèques peuvent posséder. Il est donc recommandé de voir également sous le titre cité sous Lien/doc. hôte" **  

Note sur le titre In : La Suisse libérale. - Neuchâtel. - 1936/79-84 

Lien/doc. hôte Suisse libérale  

Note Feuilleton de "La Suisse libérale", 72me année, No 79 (vendredi 3 avril 1936)-No 84 (jeudi 9 avril 1936) 

NEUCHATEL Bibl. publique et uni. - Fonds d'étude [Ne V] 

 Cote BPUN ZB 546 

Dépôt BPUN FE Magasins 

LECAILLON, Jean-François, Mythes et phantasmes au cœur de l’intervention française au Mexique (1862-1867) 

Transl/Info: [The myths and phantasms at the heart of the French intervention in Mexico, 1862-67]. Citation : Cahiers des Amériques Latines [France] 1990 (9) : 69-80. 

GENEVE Uni. Fac. lettres. Histoire générale [Ge 118]VAUD BCU/Dorigny [La C1] 

AUBRY, Octave (1949) Le Second Empire, Paris, A. Fayard. 

GENEVE Ville. Bibliothèque publique et univ. [Ge P] 

Plutôt très descriptif et historique

Trouvés dans Historial abstracts 

(Recherche par Internet, ouvrages hors de Suisse)

Cunningham, Michele. 

Title: Mexico and the Foreign Policy of Napoleon III. 

Publication: London: Palgrave, 2001. 251 pp. 

Language: English 

Period: 1860's. 


Article 

Author: Robert, Georges. L'ACTION MEDICALE FRANCO-MEXICAINE ET L'EXPEDITION DU MEXIQUE (1864-1867) 

Transl/Info: [Franco-Mexican medical activity and the Mexican expedition, 1864-67]. 

Citation: Histoire des Sciences Médicales [France] 1999 32[i.e., 33](1): 31-38. 


Type: Article 

Berwanger, Eugene H. UNION AND CONFEDERATE REACTION TO FRENCH THREATS AGAINST TEXAS. Citation: Journal of Confederate History 1991 7: 97-111. 


Type: Article Black, Shirley J.; with commentary by Austensen, Roy A. and Echard, William E. NAPOLEON III'S ATTEMPT TO AMELIORATE MEXICO'S ECONOMIC PROBLEMS. Citation: Proceedings of the Annual Meeting of the Western Society for French History 1991 18: 308-317. 


Type: Article DIAZ, Lilia. LOS EMBAJADORES DE FRANCIA EN EL PERIODO DE LA INTERVENCION Transl/Info: [French ambassadors in the time of the intervention]. 

Citation: Historia Mexicana [Mexico] 1988 38(1): 5-42. 


Type: Collection Black, Shirley J. NAPOLEON III AND EUROPEAN COLONIZATION IN MEXICO: THE SUBSTANCE OF AN IMPERIAL DREAM. 

Publication: Hispanic-American Essays in Honor of Max Leon Moorhead (Pensacola, Fla.: Perdido Bay Pr., 1979): 133-155. 

Abstract: Explores Napoleon III's colonization plans, which were an integral part of his imperial dream for Mexico in the 1860's. France needed Mexican silver and cotton, and Napoleon believed that commercial relations with Mexico demanded political and economic stability. He therefore believed that European colonization could achieve this. Napoleon's plans for development, however, were misunderstood and undermined by Emperor Maximilian. 

Documentation: Primary sources; 8 plates, 128 notes. 

Abstracter: J. Powell 

Editor: Coker, William S., ed. 



Type: Article 

Villaume, J.-L. D'ORIZABA À PARRAS: LES ÉQUIPAGES MILITAIRES AU MEXIQUE DE 1862 À 1866 

Transl/Info: [From Orizaba to Parras: the Army Service Corps in Mexico, 1862-66]. 

Citation: Revue Historique des Armées [France] 1978 5(3): 39-56. 


Type : Article Black, Shirley J. NAPOLÉON III ET LE MEXIQUE : UN TRIOMPHE MONÉTAIRE Transl/Info : [Napoleon III and Mexico : a monetary triumph]. 

Citation: Revue Historique [France] 1978 259(3): 55-73. 


Type: Article  Black, Shirley J. NAPOLEON'S QUEST FOR SILVER IN MEXICO. 

Citation: Proceedings of the Annual Meeting of the Western Society for French History 1973 1: 246-265. 


Type: Article Barker, Nancy N. MONARCHY IN MEXICO: HAREBRAINED SCHEME OR WELL-CONSIDERED PROSPECT? 

Citation: Journal of Modern History 1976 48(1): 51-68.

Link to full text at JSTOR   [Help] 


Type: Article Blumberg, Arnold. FRENCH GOVERNMENT JUSTIFICATION FOR THE MEXICAN EXPEDITION, 1862-1867; A STUDY OF SUBTLE CHANGES IN THE MANAGEMENT OF PUBLIC OPINION THROUGH PROPAGANDA. 

Citation: Proceedings of the Annual Meeting of the Western Society for French History 1974 2: 292-301. 


Type: Article Barker, Nancy Nichols. FROM TEXAS TO MEXICO: AN AFFAIRISTE AT WORK. Citation: Southwestern Historical Quarterly 1972 76(1): 15-37. 


Type: Article : Barker, Nancy Nichols. FRANCE, AUSTRIA, AND THE MEXICAN VENTURE, 1861-1864. Citation: French Historical Studies 1963 3(2): 224-245.

Link to full text at JSTOR   [ Help ] 


Type : Article Barker, Nancy N. VOYAGEURS FRANÇAIS AU MEXIQUE, FOURRIERS DE L'INTERVENTION (1830-1860) 

Transl/Info: [French travellers to Mexico, advance agents for intervention (1830-60)]. 

Citation : Revue d'Histoire Diplomatique [France] 1973 87(1/2) : 96-114. 


Type: Article Reuter, Paul H UNITED STATES-FRENCH RELATIONS REGARDING FRENCH INTERVENTION IN MEXICO: FROM THE TRIPARTITE TREATY TO QUERETARO. 

Citation: Southern Quarterly 1968 6(4): 469-489. 


Type: Article Schmidl, Erwin A. DIE AUFZEICHNUNGEN JULIUS FLEISSIGS ÜBER SEINE TEILNAHME AM MEXIKANISCHEN ABENTEUER KAISER MAXIMILIANS, 1864-67 Transl/Info: [Julius Fleissig's record of his participation in the Mexican adventure of Emperor Maximilian, 1864-67]. 

Citation: Mitteilungen des Österreichischen Staatsarchivs [Austria] 1984 37: 247-289. 


Type: Article Quirarte, Martín. LA INTERVENCION FRANCESA Y EL IMPERIO DE MAXIMILIANO DESDE LA PERSPECTIVA DEL PORFIRISMO 

Transl/Info: [The intervention of France and the empire of Maximilian from the Porfirist viewpoint]. Citation: Anuario de Historia [Mexico] 1965 5: 49-68. 


Type: Article  Meyer, Jean. L'EXPÉDITION DU MEXIQUE D'APRÈS LES DOCUMENTS ET ÉTUDES MEXICAINS Transl/Info: [The Mexican expedition according to the documents and Mexican studies]. Citation : Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine [France] 1974 21(1) : 135-141. 


Type : Article Quirarte, Martin. HISTORIOGRAFIA EUROPEA SOBRE LA INTERVENCION FRANCESA Y EL IMPERIO DE MAXIMILIANO 

Transl/Info: [European historiography of the French intervention and the Empire of Maximilian]. 

Citation : Revista de Historia de América [Mexico] 1967 (63/64) : 151-179. 

Abstract: A survey of the literature developed from the Maximilian Affair. European writing, especially French, varies in value. The military record is satisfying. The soldiers made accurate observations on social and economic conditions in Mexico, many anti-Mexican in tone. Spanish histories of the era tend to a more balanced tone, but all Europeans wrote in a distant and restrained way. The author evaluates the work of Emannuel Domenech, Felix de Salm-Salm, Laizillon, François du Barail, Pruneda, Keratry, d'Hericault, Lefevre, Emile Ollivier, Pierre de la Gorce, and Conte Corti. 


Cas de l’Algérie :

BOIS, Jean-Pierre (1997), Bugeaud Paris, Fayard.  

GENEVE Ville. Bibliothèque publique et univ. [Ge P] 

NEUCHATEL Bibl. publique et univ. - Fonds d'étude [Ne V] 

VAUD BCU/Dorigny [La C1] 

Excellent livre, traite de tout (pp. 262-529)

SULLIVAN, Antony Thrall (1983) Thomas-Robert Bugeaud, France and Algeria, 1784-1849 : Politics, Power and the Good Society, Hamden Connecticut : Archon Books.

VAUD BCU/Dorigny [La C1] 

Auteur Bugeaud de la Piconnerie, Thomas Robert Par l'épée et par la charrue : écrits et discours / de Bugeaud ; introd., choix de textes et notes par le général Paul Azan  

Lieu / Dates Paris : Presses universitaires de France, 1948 

FRIBOURG BCU - Centrale et Université [Fr C]

GENEVE Ville. Bibliothèque publique et univ. [Ge P] 

NEUCHATEL Bibl. publique et univ. - Fonds d'étude [Ne V] 

VAUD BCU/Dorigny [La C1] 


Cas du Madagascar :

GHEUSI, Pierre-Barthélemy  Gallieni et Madagascar / P.-B. Gheusi  Paris: Ed. du Petit Parisien, 1931 

VAUD BCU/Dorigny [La C1] CA 2762

GALLIENI, Joseph-Simon (1928) Lettres de Madagascar : 1896-1905 Paris : Société d'Ed. géographiques maritimes et coloniales.

NEUCHATEL Bibl. publique et univ. - Fonds d'étude [Ne V] 

BLANCHON, Georges, Le général Galliéni / G. Blancho Paris, 1915 

GENEVE Ville. Bibliothèque publique et univ. [Ge P] Cote BPU ZS 58/16

BASSET, Charles Madagascar et l'oeuvre du Général Galliéni Paris : A. Rousseau, 1903 Thèse Th. droit Paris, 1903 

VAUD BCU/Dorigny : Section droit et sc. écon. [La C3] ZTF 497

Auteur X*** (Capitaine)  

Titre Voyage du Général Gallieni : cinq mois autour de Madagascar, progrès de l'agriculture, développement commercial, ressources industrielles, moyens de colonisation / Capitaine X***  

Paris : Hachette, 1901 

GENEVE Ville. Musée d'ethnographie [Ge 47] ET AF 39

Gallieni, Joseph-Simon  La pacification de Madagascar : opérations d'octobre 1896 à mars 1899 / Joseph-Simon Gallieni ; ouvrage rédigé par F. Hellot  

Lieu / Dates Paris : R. Chapelot, 1900 

VAUD BCU/Dorigny [La C1] AB 138

MICHEL, Marc, (1989), Gallieni, Paris, Fayard.

GENEVE Ville. Bibliothèque publique et univ. [Ge P] 

VAUD BCU/Riponne [La C2] 

Excellent ouvrage : tout sur Madagascar pp,. 175-234.


Cas du Maroc :


DUROSOY, Maurice (1976)  Avec Lyautey : homme de guerre, homme de paix Paris : Nouvelles éditions latines, 

GENEVE Ville. Bibliothèque publique et univ. [Ge P]


LE REVEREND, André, Un Lyautey inconnu : correspondance et journal inédits : 1874-1934 André Le Révérend Paris : Librairie académique Perrin, 1980

FRIBOURG BCU - Centrale et Université [Fr C]

 GENEVE Ville. Bibliothèque publique et univ. [Ge P] 

 VAUD BCU/Riponne [La C2] 

Études de sa personnalité, points de vue et copies de son courrier. Très intéressant, mais ne donne pas directement toutes les informations sur la pacification. 


André Le REVEREND, (1983) Lyautey, Paris : A. Fayard,

FRIBOURG BCU - Centrale et Université [Fr C]

NEUCHATEL Bibl. publique et univ. - Fonds d'étude [Ne V] 

VALAIS Médiathèque Valais - Martigny

 

BENOITS-MECHAIN, Jacques, (1984) Lyautey l'Africain, ou le rêve immolé; préf. de Charles-Henri Favrod ; avant-propos de Pierrette Cuendet Genève : Edito-Service, cop. 

GENEVE Ville. Bibliothèque publique et univ. [Ge P] 


DE CHARRETTE, Hervé, (1997) Lyautey Paris J.-C. Lattès. 

GENEVE Ville. Bibliothèque publique et univ. [Ge P] 

Plutôt des réflexions personnelles, pas de mention de faits militaires. 


LYAUTEY, Louis Hubert Gonzalve (1946) Du rôle social de l'officier; avec une préf. de Juin Paris, R. Julliard, 

VAUD BCU/Dorigny [La C1] 


HEIDSIECK, Patrick (1941), Rayonnement de Lyautey, Paris, Gallimard. 

FRIBOURG BCU - Centrale et Université [Fr C]

Très intéressant, surtout les pp. 191-210. 


Trouvés à la BMF (ancienne Bibliothèque militaire fédérale, à Berne) : 


BOURGET, Pierre, La rivalité Pétain Lyautey de 1925 au Maroc, un nouvel éclairage, in Guerre et conflits en Afrique noire, Guerre mondiale et conflits contemporains, Revue d’histoire 46e année, n. 181, Printemps 1996, pp. 125-133.


SINGER, Barnett, Lyautey : An interpretation of the man and French Imperialism, in Journal of Contemporary History, vol. 26 nb. 1 January 1991 pp. 131-157.


 André LE REVEREND Lyautey écrivain : 1854-1934; préf. de Jean Guitton Paris Ophrys, 1976


DUROSOY, Maurice, Lyautey maréchal de France 1854-1934, Paris, Charles- Lavauzelle, 1984. 

Pas très intéressant, il n’y a que des photos. 


DUROSOY, Maurice, (1956) Lyautey mon général, Parsi, Juillard,. Biographie . 

Il s’agit plutôt d’un témoignage personnel. 


D’ORMESSON, Wladimir, Lyautey, Paris, Libraire ancienne, 1931. Pas très intéressant

pp. 71-78. Il y a 50 ans, le maréchal Lyautey, Revue historique des Armées 1984, n. 3, Vincennes, auteur : section du service historique des armées de Terre. Liste bibliographique de ses ouvrages.   


GUILLAMO, Manuel, Lyautey un cultivateur face à l’islam ? in Revue historique des armées n. 3 1991. Pp. 16-23, Vincennes. 

Excellent réflexion générale et bonne synthèse. 




jeudi 16 janvier 2025

Questions juridiques sur ouvrages des rives de la Cèze (Gard : Sabran-Saint-Gervais) : faits et documents.

 Quand un changement de lit de la Cèze 

devient pomme de discorde, 1816-1826.

Antoine Schülé, La Tourette

La Cèze

La Cèze roule ses eaux de façon paisible en apparence et creuse, au gré de ses caprices, son passage dans cette longue vallée de Cèze. Or le lit de cette rivière forme la limite de séparation de plusieurs communes. De nombreux propriétaires ont des parcelles qui s’étendent de part et d’autre de ses eaux. 

En basse vallée de Cèze, par exemple, le problème est que ses rives ont parfois des pentes abruptes du côté de St. Gervais et que l’accès à la rive d’en face, sur Sabran, n’est pas toujours aisé. Il y avait plusieurs passages à gué, utilisables uniquement lorsque le débit d’eau était moyen et qui, pour la plupart, sont d’ailleurs soit oubliés de nos jours, soit ont disparu lors de diverses crues, survenues depuis 1826. Selon celles-ci, les variations du lit de la Cèze ont occasionné de nombreux procès. Les questions litigieuses étaient les suivantes :

A qui appartient le gravier amené par les eaux : à la terre qui a été creusée par les flots ou à celui qui a reçu les graviers sur sa terre ?

A-t-on le droit de construire une digue de protection pour protéger sa terre mais au risque de renvoyer les eaux avec plus de force sur les terres de la rive d’en face ? Un ouvrage construit avait-il un caractère uniquement défensif pour ses terres ou offensif pour la terre d’en face ?

Qui prend en charge la perte des terres emportées par l’eau ?

Pouvait-on creuser dans le lit de la Cèze pour protéger sa terre ?

Comment retrace-t-on les limites des terres ?

Généralement, les procédures étaient fort longues et il y avait en fin de course des querelles d’experts qui parfois exigeaient de nouvelles contre-expertises. 

Pour illustrer ce type de litige,il est utile de retracer le procès qui a marqué la commune de St. Gervais tout le long du XIXe siècle.

1829, Procès entre M. Collain, domaine de Moncaut, à Sabran

et

27 propriétaires de Saint-Gervais (dont un, M. Gilles, à son insu)

Les faits :

Les terres concernées sont sur rive gauche et se nomment selon la graphie du document : Coudoulas, Gourbeson, L’Argelas, Rajol, Rouveiran.  Face aux terres de Moncaud, propriété de M. Collain, rive droite sur Sabran-Combes, elles bordent du sud-est au sud-ouest la Cèze.

M. Collain a construit une chaussée et renforcé ses abords. Cet ouvrage renvoie les eaux contre Saint-Gervais. Les Saint-Gervaisiens déclarent que l’ouvrage de Collain est offensif. Le danger est menaçant à cours terme pour Saint-Gervais : les eaux projetées contre sa rive peuvent emporter leurs terres.

L’affaire est menée devant le Tribunal d’Uzès.

Saint-Gervais demande la destruction de la digue Collain, construite perpendiculairement au coteau du lit de la Cèze : cette destruction devant s’opérer à ses frais. Il est affirmé que la direction et la hauteur de cette digue auraient dû dépendre d’une décision préfectorale. Il est demandé une indemnité de 100 000.- pour les propriétaires de Saint-Gervais.

Le procès débute le 26 février 1826, avec une demande en justice. Le 6 mars 1826 a lieu l’audience préliminaire. Me Bouyar est l’avocat de la commune de St. Gervais et Me Vidal, avoué, représente M. Collain.

Au 14 mars 1826, les conclusions motivées de M. Collain sont les suivantes :

rejeter la demande de Saint-Gervais;

accusation de Collain contre les propriétaires de Saint-Gervais : c’est eux qui ont construit des ouvrages offensifs (quatre éperons de pierre) projetant le courant de la rivière contre sa propriété;

demande de destruction de ces 4 éperons, aux frais de Saint-Gervais;

M. Collain déclare avoir acheté les terres de Saint-Gervais en amont de la digue : à Etienne Pagès, à Etienne Degas et à Michel Bernard, le 23 novembre 1822; à Louis Fretière, le 27 novembre 1827; à Joseph Larnac, le 7 septembre 1826; à Laurent et à Garcin, le même jour, à François Michel, le 2 mai 1821; à Jean Boissin, le 4 janvier 1826; à  Charavel, à Imbert, à Sartre et à Anselme, le 29 janvier 1823; à Louis Charavel père, le 31 août 1823; à Jean-Baptiste Noëlle et à Jean-Baptiste  Justamond, le 24 février 1822; à Etienne Court, le 3 janvier 1823; à Joseph Broche, le 23 septembre 1823; à Jean-Baptiste Cauvin, le 22 novembre 1827; à Jean-Baptiste Sartre, le 13 janvier 1828; à Vincent Fache, le 7 janvier 1824;  à Joseph Durand, le 11 décembre 1824; à Pierre et à Joseph Charavel, le 9 février 1823; à Joseph Gilles, fils aîné, le 21 juillet 1824; à Laurent Caire, le 11 décembre 1824. 

Me Baumet est le notaire qui a généralement établi les actes.

Les plaidoiries prévues le 20 mars 1826 sont reportées. Une expertise est demandée pour :

Déterminer si l’ouvrage Collain est de caractère offensif contre Saint-Gervais;

Constater que la digue est construite sur pilotis dans le lit de la rivière;

Constater que le mur au-dessus de la chaussée est en éperon pour projeter les eaux contre Saint-Gervais;

Constater la présence d’énormes pierres dans le lit de la Cèze en amont de la digue;

Constater l’élévation de fascines et clayonnages en différents points de la rivière;

Constater que les dommages subis à Saint-Gervais résultent de ces aménagements offensifs de M. Collain;

Déterminer les ouvrages à établir pour protéger les rives de  Saint-Gervais; 

Le 26 mars 1826, M. Joseph Gilles fils déclare être étonné de figurer parmi les demandeurs contre Collain : à son insu, son nom figure parmi les plaignants.

Le 27 mars 1826, M. Collain complète sa demande pour obtenir une indemnité de 10 000.- pour écrit injurieux et diffamatoire que constitue la demande des habitants de Saint-Gervais. Il exige que le résultat de la procédure soit affiché avec la condamnation aux endroits et en nombre d’exemplaire qu’il voudra.

Le 29 mars 1826, les habitants de Saint-Gervais versent au dossier le rapport de M. Geoffroy, ingénieur de l’arrondissement de Nîmes, daté du 18 mars 1828.

Le jugement du 6 mai 1826 de Me Félix Robernier, substitut de M. le Procureur du Roi, se prononce ainsi : le sieur Gilles est retiré de la procédure; Me Journet est désigné par le tribunal pour se rendre sur les lieux afin d’établir un avis sur tous les points soulevés par les parties et pour un établir un procès-verbal.

La date de visite des lieux est annoncée pour le 13 août 1826.

Ainsi le 2 septembre 1826, des vérifications et divers constats sont faits en présence de M. Collain et de plusieurs habitants de Saint-Gervais. Le procès-verbal est rédigé le 6 septembre pour être enregistré, le  17 du même mois,  par le Tribunal.

Le 27 mars 1827, les plaidoiries, durant toute l’audience du jour, ne peuvent pas s’achever. Ainsi, elles prennent fin le 10 avril 1826.

Le 20 novembre 1828 le procès-verbal est communiqué aux habitants de Saint-Gervais qui demandent de nouvelles vérifications. 

Les questions soulevées le 22 janvier 1829 par le Tribunal sont les suivantes :

1. Les habitants de Saint –Gervais, demandeurs, ont-ils le droit à formuler leur requête contre Collain ?

2. Faut-il recourir à une nouvelle vérification des lieux ?

3. Si les deux premières questions sont résolues négativement, faut-il accueillir ou rejeter la demande des habitants de Saint-Gervais ?

4. Que conclure suite aux clayonnages de M. Collain ?

5. Que décider par rapport à la demande de M. Collain quant à la destruction des trois éperons sur rive gauche par les habitants de Saint-Gervais ?

6. La demande de M. Collain quant à écrit injurieux et diffamatoire des habitants de Saint-Gervais est-elle fondée ? 

7. Faut-il accorder des dommages comme le demandent les parties en présence ? 

Le 17 février 1829, tombent les conclusions du Tribunal : 

• La digue de M. Collain est construite entièrement sur son domaine ; cette digue est nécessaire pour la conservation du domaine de Moncaut ; M. Collain était en droit de l’établir ; par de grandes crues, cette digue peut renvoyer les eaux sur l’autre rive ; 

• les habitants de Saint-Gervais ont les mêmes droits pour protéger leurs rives. Les clayonnages de M. Collain sont dans le lit de la rivière et empêchent le cours naturel de l’eau pour être projetée sur l’autre rive ; 

• les trois ouvrages en éperon de Saint-Gervais sont établis de façon offensive et doivent être détruits ; ces trois ouvrages sont plus pour rejeter les eaux contre Moncaut que pour protéger les terres de Saint-Gervais ; 

• les demandeurs ne sont pas tous propriétaires riverains face aux clayonnages de M. Collain ; 

• il n’y a pas lieu de procéder à de nouvelles vérifications ; quant aux dommages subis lors de la dernière inondation, la digue a pu augmenter les dommages, mais M. Collain était en droit d’établir sa digue ; 

• la demande en dommages de M. Collain n’est pas justifiée et la demande de Saint-Gervais ne l’est pas aussi.

Décisions :

rejet d’une nouvelle vérification des lieux

rejet de la demande de destruction de la digue ;

ordonnance de destruction des clayonnages de M. Collain sous 15 jours ;

ordonnance de destruction des 3 éperons en pierre, édifiés par les habitants de Saint-Gervais ;

condamnation des propriétaires de Saint-Gervais au deux tiers des dépens et de M. Collain à un tiers.

Ce résultat en justice déçoit les Gervaisiens. Un propriétaire foncier, ayant les moyens financiers, pouvait protéger sa terre, mais un grand nombre de petits propriétaires fonciers ne pouvait pas assurer les frais de  construction d’une digue.

Cette décision de justice a provoqué une réaction et c’est ainsi qu’un acte d’union des propriétaires riverains a été adopté. Il est daté du 12 février 1837 et en voici la teneur pour l’essentiel :

Acte d'union extrait.

Acte d’union entre les propriétaires riverains de la Cèze

de la commune de Saint-Gervais.

spécialement pour Gourbeson, Le Plan, le Rajol

Motifs :

En 1816, le lit de la Cèze faisant face à la grange de Moncaut, limite entre Sabran et Saint-Gervais, était demi-circulaire : l’Argelas, sur la rive de Saint-Gervais, protégeait les terres. 

Nombreux ouvrages construits sur Sabran ont rejeté les eaux de la Cèze contre Saint-Gervais.

Il est constaté la perte de 32 hectares suite à un triple changement du lit de la rivière. 

De nouveaux travaux sur rive droite menacent Gourbeson, le Plan et le Rajol.

Résolution de s’unir et de combiner les moyens et les efforts pour établir des ouvrages défensifs.

Décisions :

1. Union prévue pour une durée de dix ans, renouvelable;

2. Confection et construction, entretien ou réparations de digues et chaussées ou de clayonnages de manière défensive sur la rive gauche de la Cèze.

Priorité : à partir de l’extrémité Est de la levée en pierre de M. Pradier (construite depuis quelques années) jusqu’au chemin du Plan.

Financement

en proportion des terres possédées sur les bords de Cèze : 4 Francs pour 8 ares (équivalent à une hémine, en ancienne mesure) ; il lui sera déduit éventuellement le travail soit fourni par lui, soit par ses préposés; 

En cas refus de payer soit en argent, soit en travail, les commissaires de la Société pourront employer des manœuvriers dont le salaire sera payé par le refusant ou le retardataire;

Hippolyte Rouvière est chargé de la fonction de trésorier et tient les comptes pour chaque semaine de travail ainsi qu’un état des travaux réalisés.

Nomination de 3 commissaires : 

Tracé, direction et surveillance des travaux et réparations sont assurés par trois commissaires : Louis Fabre père, Jean Charavel, fils puîné de feu Louis, Jacques Degas. 

Vente des terres concernées :

Engagement de vendre ses terres comprises dans l’acte d’union uniquement à un autre membre de l’association;

En cas de vente suite à une succession : estimation par expert convenu ou nommé par le Juge de paix.

Suivent les noms et prénoms des sociétaires avec les paraphes de plusieurs familles, très lisibles. Ainsi, 58 propriétaires se sont unis pour construire la digue. La digue du Plan a été édifiée en ces années 1837-1840. Une partie de l’ouvrage avait déjà commencé dans les années 1830 par un Fabre.

Cet acte d’union reste un exceptionnel témoignage de solidarité face à une nuisance commune : une crue de la Cèze.

Et pourtant :

Le 1er mars 1860, un nouveau procès s’achève à Uzès : les questions soulevées sont identiques; l’union des riverains de la Cèze, rive gauche, est devenu un Syndicat. A M. Collain s’ajoute le nom de M. Constant. En un siècle, 60 hectares ont disparu de la commune de St. Gervais. Procureur de la République, Préfet, Ministère des travaux publics à Paris sont alertés… Ceci est une autre histoire...

Divers courriers démontrent qu’en 1904, le litige était toujours prêt à resurgir pour de nouveaux procès… 

Antoine Schülé

Annexes ci-dessous :

1. Copie de l’acte d’union

2. Décision du Tribunal d’instance d’Uzès.

1. Copie de l’acte d’union

Acte d’union

Entre les habitants de la commune de St. Gervais, soussignés ou sous-dénommés, les signataires se portant fort pour les illettrés, les uns et les autres agissant en leur qualité respective de propriétaires des terres, composant les quartiers du territoire de St. Gervais, appelés, Gourbeson, Les Plans et Rajol, qui sont situés sur la rive gauche de la rivière de la Cèze, a été fait l’acte d’union dont la teneur suit :

Exposé des motifs

En 1816, la Cèze qui sépare les territoires de St. Gervais et de la commune de Sabran, et dont le cours est du nord-ouest au sud-est, coulait par une ligne demi-circulaire, le long du bout septentrional des terres, tout proche des bâtiments de la grange de Moncaud, assise sur la rive droite. Les eaux s’étaient naturellement portées par un monticule ou tertre, extrêmement élevé, nommé L’Argelas, existant sur la rive gauche en face et au nord de ladite grange de Moncaud. Une série non interrompue de travaux et d’ouvrages éminemment offensifs, exécutés depuis cette époque par le propriétaire actuel de ce domaine et par les possesseurs des terrains, supérieurs et inférieurs du même bord, qui n’ont été que trop dociles à ses leçons et à ses exemples, ont produit des effets tellement désastreux pour les terres de la rive opposée, que déjà il s’en est ensuivi un triple changement de lit de la rivière et que le résultat de ces révolutions successives a été d’enlever au territoire de St. Gervais et de transporter, au détriment des légitimes propriétaires, sur celui de Sabran, une contenance de terrain, d’environ trente-deux hectares.

De pareilles entreprises, récemment et actuellement pratiquées sur la même rive droite, exposent les quartiers de Gourbeson, Le Plan et Rajol, au danger éminent et inévitable d’être entièrement envahis et dévastés par les eaux de la Cèze si, reconnaissant enfin, l’intérêt urgent et le besoin qu’ils ont de s’entendre et de réunir et combiner leurs moyens et leurs efforts, les possesseurs se livrent sans retard et sans relâche à des ouvrages défensifs, seule barrière qui puisse garantir les débris de leurs propriétés.

C’est en cédant à cette considération aussi impérieuse qu’elle est majeure, qu’ils se sont déterminés à former le présent acte d’association.

Stipulations

Article 1er.

A compter d’aujourd’hui, il est établi et contracté entre les parties, une société dont la durée est fixée à dix années pour la confection et pour la construction et l’entretien annuel ou réparations, dont ils pourront devenir susceptibles durant cette intervalle, des digues chaussées et clayonnages déjà commencés et qu’il sera reconnu utile et nécessaire d’exécuter, d’une manière défensive sur la partie de la rive gauche de la rivière de la Cèze qui borde les terres dépendantes des quartiers sus-désignés du terroir de St. Gervais, à partir de l’extrémité est de la levée en pierres, construite depuis quelques années par le Sieur Pradier, jusqu’au point où le chemin dit du Plan, qui tend le village de St. Gervais à la rivière, vient s’arrêter sur son bord.

Il est même expressément convenu que si les lots ou parcelles de terre du quartier du Rajol qui se trouvent au-dessous et au levant de ce chemin, n’étaient pas suffisamment protégés par les ouvrages conduits jusqu’à ce point, la société serait tenue, de les pousser et étendre de manière à les garantir de l’invasion et du ravage des eaux.

Article 2eme.

Les frais de constructions et établissement des digues et clayonnages et de leur entretien et réparations seront supportés par chaque membre de l’association à pro rata de la contenance de terrain qu’il possède sur les bords où ils doivent être fondés et exécutés, et sur le pied, provisoirement fixé à quatre francs à raison de huit ares (ou une émine, en mesure ancienne) de ladite contenance. Sur cette taxation, il lui sera précompté la valeur du travail qu’il pourra avoir employé à ces ouvrages, soit par lui, soit par ses préposés.

Il est stipulé comme une clause de rigueur que si aucun d’entre eux refusait ou restait en retard de fournir le contingent en argent ou en travail, les commissaires de la société, ci-après nommés, seraient autorisés à y suppléer, en employant des manœuvres, dont le salaire serait payé par les refusants ou retardataires.

Article 3eme.

Sont nommés commissaires aux fins de tracé, de la direction et de la surveillance des constructions, travaux et réparations d‘entretien à exécuter, ainsi que de la fixation du contingent à fournir par chaque membre de l’association, d’après les bases sus-indiquées dans les frais et dépenses qu’ils entreprendront, les sieurs Louis Fabre, père, Jean Charavel, fils puîné de feu Louis, et Jacques Dugas, tous les trois membres de la société.

La société a nommé en outre M. Baptiste Rouvière, propriétaire domicilié en cette commune, qui à sa prière, a accepté cette mission, pour son trésorier à l’effet de percevoir le contingent de chaque membre de la société et de l’employer à sa destination, de tenir en compte exact, qui devra réglé au bout de chaque semaine de la recette et de la dépense et un état du travail qui aura été fait soit par les manœuvres, soit par les membres de la société.

Article 4eme.

Dans l’intérêt commun des associés et pour obvier d’ors et déjà à tout événement ultérieur qui pourrait porter atteinte à la solidité des constructions et travaux à exécuter, les membres de l’association et chacun d’eux en particulier, s’interdisent respectivement la faculté de transmettre à tout autre que la société en nom collectif ou qu’à un de ses membres, la propriété de la terre sur laquelle sont ou seront fondés en partie les susdits travaux et constructions ; en conséquence s’il arrivait que l’un d’entre eux décédât ou fut forcé à aliéner, il se soumet expressément sous toutes les peines et charge, toute renonciation requise, à passer vente de son fonds à la société ou à l’un de ses membres exclusivement sur le pied de l‘estimation qui en serait faite par un expert convenu et, en refus ou à défaut, nommé d’office par M. le Juge de Paix du Canton, si les parties ne s’accordent de gré à gré.

Pour l’exécution du présent acte, toutes les parties se sont soumises aux rigueurs des lois et tribunaux.

Fait et rédigé à Saint-Gervais le douze de février mil huit cent trente sept, en deux originaux, lesquels du consentement de toutes les parties, ont été mises en dépôt, l’un entre les mains du sieur Louis Fabre, l’un des commissaires, et l’autre, en celles de M. Rouvière, trésorier de la société.

Noms et prénoms des sociétaires :

Justamond Jean-Baptiste Guerre Louis      St. Auban Auguste

Deguasc de St. Gervais    Augustine Chairet        Joseph Montagnier Isidore

Dugas Jacques        David hoirs de Laurent     Marseille Joseph

Larnac François Fretière françois Argilier Antoine 

Larnac Joseph Cour Etienne Pradier Jean

Estauruel Antoine Fabre oncle Louis    ....

Signataires de l'acte d'union

2. Transcription du jugement  de première instance rendu à Uzès.

Charles, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut.

Le tribunal de première instance du second arrondissement du département du Gard * à Uzès a rendu le jugement suivant :

Entre les sieurs Jean Justamond, Jean-Baptiste Noelle, Joseph François Larnac, Laurent et Joseph Melchior père et fils, François-Michel, Antoine Estouruel père et fils, Etienne Bertrand, Joseph Larnac, Jean-Baptiste Gilles fils, Auguste Gilles, Pierre Tinel, Louis Fabre père, Antoine Bouschet, Louis Fabre fils, François Soulier, Pierre Soulier, Jean-Baptiste Soulier, Jean-Baptiste Anselme, François Cauvin, Denis Gaultier, Jean-Baptiste Gache, Jean Vallat, Joseph Anselme, Alexandre Imbert, Joseph Court, Etienne Court et Jacques Degas, tous propriétaires fonciers, demeurants et domiciliés sur la commune de St. Gervais et demandeurs d’une part

et le sieur Pierre François Collain, propriétaire foncier, demeurant et domicilié à son domaine de Moncaud, situé sur le terroir de la commune de Sabran, assigné défendeur d’autre part ;

Ouïs à l’audience Me Grilleau avocat avec Me Bouyer, avoué des demandeurs

De même Charles Delabarrière, avocat avec Me Vidal, avoué du sieur Collain

De même * de Roberucier ? substitut * le procureur du roi.

En fait, les demandeurs (parmi lesquels on avait aussi fait figurer le sieur Joseph Gilles fils, propriétaire demeurant et domicilié à St. Gervais) se disant propriétaires de toute la partie du territoire de la commune de St. Gervais comprenant les quartiers ou sections de Coudoulous, Gourbeson, L’Argelas, Rajol et Rouveiran bordée au sud-est et au sud-ouest par la rivière de la Cèze, présentèrent à M. le Président du Tribunal de céans une requête ampliative par laquelle après avoir prétendu qu’une chaussée construite sur les propriétés dépendantes du domaine de Moncaud situé sur la rive droite de la Cèze et les réparations qu’il y a faite sur son bord, pour préserver son domaine de l’invasion et des ravages des eaux de la Cèze, n’étaient que des ouvrages ou constructions purement offensives contre le territoire de St. Gervais, qui courait risque et était en danger immédiat d’être emporté aux premières crues de la Cèze, si les ouvrages du sieur Collain n’étaient promptement détruits, ils eurent recours à ce qu’il plût au tribunal prenant en considération les faits et les actes relatés dans leur requête et à l’extrême urgence établie et démontrée par l’imminence du danger (disaient-ils) auquel leurs terres sont naturellement exposées par les travaux du sieur Collain, leur permettre de faire citer directement ledit sieur Collain, devant le Tribunal à l’audience la plus prochaine que M. le Président voudrait l’initier pour savoir condamner :

1) à démolir la digue qu’il a élevée perpendiculairement du coteau jusqu’au lit de la rivière de la Cèze, sauf à lui de la remplacer par une autre dont les dimensions, la direction et la hauteur auraient été préalablement déterminées par l’autorité compétente.

2) à détruire tous les ouvrages effectués et énoncés en l’arrêté rendu par le préfet du Gard (rappelé dans leur requête) ainsi que tout ce qu’il y a rajouté depuis qu’il s’est permis d’exécuter dans le lit de la Cèze et sur la partie appartenant aux demandeurs des graviers existants actuellement sur les bords et dans le délai qui serait préfixé, passé lequel il lui serait permis d’exécuter eux-mêmes cette double destruction aux frais et dépens du sieur Collain, lesquels frais il leur serait délivré exécutoire contre lui, sur le vu de la quittance ou de la déclaration des ouvriers qui y auraient été employés.

3) enfin à une somme de cent mille francs pour tenir lieu aux demandeurs de dommages et intérêts, à raison de pertes et dévastations de terres qu’ils ont souffertes (disaient-ils) par le seul fait des entreprises illicites et des voies de fait et envahissement dudit (p. 2) sieur Collain si même ce dernier n’aurait pas d’après les vérifications, fixation et liquidation qui se verraient faites par experts convenus ou, à défaut, nommés d’office 

et pour voir ordonner

4) que le jugement à intervenir serait quant aux deux premiers chefs exécuté par provision, opposition et appellation nonobstant.

Au vu de cette requête, M. le Président du Tribunal rendit le vingt-six février mil huit cent vingt-huit une ordonnance que les parties seraient tenues d’en venir à l’audience du dix mars lors prochain sans préliminaire de conciliation. Cette ordonnance fut enregistrée à Uzès le même jour de sa date. En vertu d’icelle, par exploit de Pierre Manouard huissier en date du vingt-neuf mois de février, les habitants de la commune de St. Gervais, demandeurs en constituant Me Bouyer avoué pour le lieu, firent signifier la requête expositive avec l’ordonnance suite préénoncée, un procès-verbal dressé à la date du huit février lors courant par M. le juge de paix du canton de Bagnols, sur la réquisition du maire de la commune de St. Gervais et firent en même temps assigner le sieur Collain à comparaître devant le tribunal à l’audience indiquée par l’ordonnance de son Résident et aux suivantes, aux mêmes fins que celles par moi prises dans leur requête.

La cause mise au rôle et appelée à l’audience du dix mars, le tribunal donna acte à Me Vidal avoué à sa déclaration qu’il se constituait avoué du sieur Collain, à charge de réitérer cette constitution dans le jour et fixer la plaidoirie au vingt mars. Le même jour dix mars, celui-ci a réitéré sa constitution d’avoué pour le sieur Collain, avec réserves et protestations, suivant acte de Garibal huissier audiencier, signifié à l’avoué des demandeurs et dûment enregistré.

Le quatorze mars, le sieur Collain fit notifier d’avoué à avoué des conclusions motivées tendantes à ce qu’il plut au tribunal à rejeter la demande des adversaires, subsidiairement d’inrelaxer ? au fonds de tout avec dépens contre les demandeurs solidairement, et trouvant en cause les demandeurs, le sieur Collain conclut recours intentionnellement contre moi à agréer :

attendu :

que tout de s’occuper à protéger la Plaine de St. Gervais contre l’invasion des eaux de la Cèze, les demandeurs ont rejeté les cours de cette rivière par des ouvrages purement offensifs contre la propriété du sieur Collain ;

que notamment et depuis peu ils ont entrepris et parachevé par cotisation quatre éperons en pierre sur les bords de la Cèze opposés au domaine de Moncaud. Lesquels ouvrages par leur nature et par leur direction être forcément déclarés offensifs puisqu’ils sont impuissants pour préserver la plaine de st. Gervais de l’envahissement des eaux et qu’ils bornent tous leurs effets à faire corroder les rives du domaine de Moncaud en repoussant sur elles le courant de la rivière, qu’il y a donc lieu d’une ordonnance de destruction.

Qu’il plaise toujours au Tribunal faisant droit aux demandes reconventionnelles formées par le sieur Collain, condamner les gens de Saint-Gervais à démolir à leurs frais et dans le délai de quinzaine à partir de la signification du jugement à intervenir les quatre éperons par eux construits sur la rive gauche de la Cèze et faute par eux de ce faire dans ledit délai, autoriser le sieur Collain à le faire lui-même et à se faire rembourser le prix de la démolition sur la quittance des ouvriers qu’il emploiera à cet effet et condamner les adversaires solidairement aux dépens ainsi qu’au payement de la somme de cent mille francs à titre de dommages et intérêts, le tout sans préjudice d’autres conclusions à prendre et sous toutes réserves et protestations de fait et de droit.

Le lendemain quinze mars, une requête contenant les moyens de défense du sieur Collain fut notifiée d’avoué à avoué. Le même jour et à fin de justifier au procès que les habitants de St. Gervais sont sans intérêt dans leurs demandes et que toute la rive gauche de la rivière de la Cèze, en aval de la digue construite sur le domaine de Moncaud à la rive droite, appartient en propriété au sieur Collain, celui-ci (p.3) fit signifier d’avoué à avoué et versa au Procès les actes suivants :

1. vente par Etienne Pagès, Etienne Degas et Michel Bernard au sieur Collain, reçue par Baumet notaire, le 23 novembre 1822 ;

2. vente par Louis Fretière cadet au sieur Collain, reçue par Baumet, notaire, le 27 novembre 1818 ;

3. ratification de vente par Joseph Larnac au sieur Collain, reçue Baumet le 7 septembre 1826 ;

4. vente par Laurent Garcin, le même jour ;

5. vente par François Michel, le 2 mai 1821 ;

6. Jean Boissin le 4 janvier 1826 ;

7. déclaration de bornage entre sieur Collain et Louis Charavel, reçu ledit notaire le 1er mai 1825 ;

8. vente par les sieurs Charavel, Imbert, Anselme et Sartre au sieur Collain, reçu même notaire du 29 janvier 1823 ;

9. dépôt de vente sous seing privé et quittance par Louis Charavel père au sieur Collain, même notaire du 31 août 1823 ;

10. vente par Jean-Baptiste Noëlle et Jean-Baptiste Justamond, le 24 février 1822 ;

11. vente par Etienne Court, le 3 janvier 1820 ;

12. vente par Joseph Broche, le 23 septembre 1827 ;

13. vente par Jean-Baptiste Cauvin le 23 novembre 1827 ;

14. Jean-Baptiste Sartre le 13 février 1823 ;

15. Vente par Vincent Fabre enregistrée à Bagnols le 7 janvier 1824 ;

16. Joseph Durand, le 11 décembre 1824 ;

17. Vente sous seing privé par Pierre Charavel, le 5 février 1823 ;

18. Joseph Charavel, idem, le même jour ;

19. Joseph Gilles l’aîné, le 21 juillet 1824 ;

20. Laurent Caire, le 11 décembre 1824.

Il fut en même temps déclaré que le sieur Collain ferait usage des dites pièces dans l’instance pendante entre les parties.

Par acte d’avoué à avoué notifié le vingt mars, les sieurs Jean Justamond, Jean-Baptiste Noëlle et consorts demandeurs déclarèrent persister dans les conclusions par eux prises dans leur exploit introductif d’instance et la requête signifiée en titre dudit exploit, et subsidiairement dans le cas le cas où le tribunal croirait devoir ordonner une vérification par experts, ils conclurent à ce qu’il fut donné le mandat aux dits experts de dire et rapporter :

1. Si la digue insurrecsive construite par Collain ne réunit pas en seul point les eaux de la rivière lorsqu’elle déborde et ne les lance avec force sur la rive opposée, occasionnant par suite de cette direction un préjudice notable à la rive gauche.

2. Si la base ou matte de cette chaussée revêtue en pierres de taille n’est point assise sur pilotis dans le lit même de la rivière.

3. Si le revêtissement en pierre des bords de la Cèze, au-dessus de la chaussée dont il s’agit ne se termine en queue ou éperon dont l’effet est encore de rejeter les eaux sur la rive opposée.

4. Si en avant de ce revêtissement il existe une digue de pierres énormes, plantés dans l’eau à une profondeur très considérable. Si cette digue de pierres ne constitue un ouvrage offensif dans le lit même de la rivière.

5. Si dans le lit même de la rivière et dans la branche au midi ainsi que dans la prétendue boue, (ou noue, je lis hôue) au midi de la seconde branche, le sieur Collain n’a construit en pierres et fascines un éperon et divers clayonnages qui barrent en entier toute ladite première branche que ladite loue et tendent à rejeter toute la rivière sur le territoire de St. Gervais.

6. Si les dommages que les demandeurs ont éprouvés dans leurs propriétés, n’ont été principalement occasionnés par les travaux dudit sieur Collain.

7. Ordonner encore que lesdits experts estimeront eux-mêmes dommages ; qu’ils détermineront les ouvrages nécessaires pour la conservation de ce qui reste des propriétés des demandeurs et estimeront le montant de ces mêmes ouvrages à faire pour sur le vu de leur rapport être ensuite requis par les parties et par le Tribunal statué ce qu’il appartiendra !

Le vingt-six mars par acte de Simon Gaillard, huissier, enregistré le 28, Me Vidal avoué déclara à Me Bouyer, avoué des demandeurs, que le sieur Joseph Gilles fils, propriétaire demeurant à St. Gervais, avait donné mandat et charge expresse audit Me Vidal de déclarer qu’il avait été étonné d’apprendre qu’on l’a fait figurer dans le procès que plusieurs habitants de St. Gervais ont intenté contre le sieur Collain en destruction de sa chaussée et autres réparations ; que s’était à son insu et sans son aveu que son nom figurait avec ceux des requérants en l’exploit introductif de cette instance en date du 29 février 1828 par lesquels Me Bouyer est constitué avoué des demandeurs ; que le sieur Gilles avait chargé Me Vidal de se constituer pour lui à l’effet de révoquer, en tant que la forme l’exige, tous mandats ou pouvoirs qu’on pourrait induire de l’insertion de son nom dans l’exploit précité (se réservant l’exercice de l’action en désaveu contre qui de droit si nécessaire) et tenant cette déclaration de demander que le sieur Gilles soit tiré de ladite instance dans laquelle il n’a voulu ni ne voulait s’immiscer en aucune manière ; qu’en conséquence ledit Vidal se constituait pour le sieur Gilles fils, demandait qu’il fut tiré d’instance avec dépens contre ceux qui l’ayant fait figurer, révoquant en ce qui le concernait et en tant que la forme le requérait la constitution d’avoué faite dans le susdit exploit d’assignation introductive d’instances, se réservant tous ses droits et actions contre qui il appartiendra et faisant au surplus ledit sieur Joseph Gilles fit toutes autres réserves et protestations de fait et de droit.

La cause d’abord fixée au six mars, ensuite au vingt n’avait pu être apportée ledit jour et avait été renvoyée au vingt-sept mars, jour auquel elle fut plaidée pendant toute l’audience. Les plaidoiries n’ayant pu se terminer, la continuation en fut renvoyée au dix avril.

Le même jour vingt-sept mars, le sieur Collain fit notifier en la cause les nouvelles conclusions qui avaient été prises par son avoué à l’audience et plaidées par son avocat. Tendantes accessoirement à la demande principale, à ce que, par les motifs y énoncés, il plût au Tribunal ordonner, sans préjudicier aux conclusions déjà prises au fond, la suppression de l’écrit injurieux et diffamatoire présenté en forme de requête à M. le Président du tribunal le 27 février 1828 et dénoncé au sieur Collain en tête de l’exploit du vingt-neuf de ce même mois, condamner tous les adversaires solidairement l’un pour l’autre à payer au sieur Collain, qui s’en réserve l’usage, la somme de dix mille francs à titre de dommages intérêts, ordonner en outre l’impression et l’affiche du jugement en tels lieux et en tel nombre d’exemplaires qu’il plairait au tribunal de fixer et condamner les adversaires solidairement aux dépens.

Le vingt neuf mars, les demandeurs habitants de St. Gervais versèrent au procès et firent notifier à l’avoué du sieur Collain un rapport dressé par le sieur Geoffroy, ingénieur de l’arrondissement de Nîmes le 18 mars 1828, sur la répétition des habitants de St. Gervais et déclarèrent vouloir faire usage de ce rapport dans l’instance pendante entre parties.

Les plaidoiries furent continuées à l’audience du dix avril. A cette audience, sans dérogation à ses conclusions principales ni à celles accessoires ou incidents précédemment signifiés et y additionnant, l’avoué du sieur Collain conclut à ce que :

Dans le cas où le Tribunal ne serait pas suffisamment éclairé sur la nature, la direction et l’emplacement des (p.5) des travaux dont est demandée la démolition, ainsi que sur le but et l’intention qui ont présidé à la confection de ces travaux ; il lui plaise, par préférence à toute autre voie d’instruction ordonner préalablement la visite des lieux contentieux par le Tribunal «in corpore » pour ensuite être ultérieurement statué en connaissance de causes sur les demandes principales, incidentes et reconventionnelles jusqu’alors les dépens, ainsi que tous droits, actions et exceptions demeurant réservés. Les conclusions prises en barre furent notifiées à l’avoué des demandeurs dans les vingt-quatre heures. Le sieur Joseph Gilles fils prit aussi et fit signifier des conclusions motivées tendantes à ce qu’il plut au tribunal le tirer d’instance avec dépens contre ceux qui l’y ont fait figurer et lui donner acte de la réserve expresse qu’il fait de tous les droits et actions à exercer et faire valoir contre qui il appartiendra faisant au surplus toutes autres réserves et protestations de fait et de droit.

Le six mai il fut rendu jugement par lequel le tribunal vivant( ?) son renvoi au conseil (ordonné le dix avril) parties ouïes ensemble. M. … de Roberucier substitut pour M. le Procureur du roi, tira d’instance le sieur Joseph Gilles avec dépens contre ceux qui l’y ont appelé et avant dire droit au fonds de la contestation ordonna que Me Journet son président se transporterait sur les lieux du litige pour y faire l’examen des points de fait contestés, vérifier les autres objets du procès et reconnaître si les clayonnages établis par le sieur Collain peuvent influer sur le cours ordinaire de la rivière, enfin prendre tous les renseignements qu’il jugerait utiles pour éclaircir les difficultés qui divisaient les parties pour sur le vu du procès-verbal qu’il en dresserait être requis par les parties et statué par le tribunal ce qu’il appartiendra dépens réservés. 

Ce jugement enregistré sur la minute du dix mai, sur l’expédition le vingt-sept juin, fut signifié le vingt-huit même mois à l’avoué du sieur Collain.

Par ordonnance sur pied de la requête, rendue le treize août, enregistrée le lendemain, M. le Président fixa son transport sur les lieux au deux septembre suivant à quatre heures après midi. Cette ordonnance fut le seize août notifiée à l’avoué du sieur Collain avec sommation de faire trouver celui-ci sur les lieux aux jour et heure indiqués, pour être présent à l’opération ordonnée par le jugement du six mai et faire à M. Le Président commissaire les observations qu’il trouverait convenables, déclarant que tant en présence qu’absence il serait procédé ainsi que de droit.

Les vérifications et opérations ordonnées furent faites en présence du sieur Collain et de plusieurs des habitants de St. Gervais parties au procès. M. le Président commissaire dressa son procès-verbal le six septembre. Ce procès-verbal ayant été enregistré le dix-sept du même mois, le sieur Collain en fit prendre une expédition, la fit notifier à l’avoué des habitants de St. Gervais le vingt novembre. Postérieurement et le dix neuf janvier dernier, le sieur Collain fit aussi notifier une sommation d’en venir à l’audience, et des conclusions motivées tendantes à ce qu’il plût au Tribunal adjuger au Sieur Collain les fins et conclusions principales et incidentes par lui prises dans la requête et conclusions qu’il a fait signifier au procès les quatorze et vingt sept mars mil huit cent vingt-huit avec dépens, dommages intérêts sans préjuger de prendre encore telles autres conclusions qu’il aviserait et sous toutes réserves. En cet état et la cause ayant été appelée à l’audience du vingt-deux janvier, Me Bouyer avoué de sieur Justamond, Jean-Baptiste Noëlle et autres consorts habitants de St. Gervais, a conclu à ce qu’il plaise au tribunal adjuger à ses clients les fins et conclusions par eux prises dans leur requête présentée à M. le Président et dans leur assignation introductive d’instance et autres versées au procès ; en faisant relaxer ses dits clients des demandes reconventionnelles et en suppression d’écrits formée par le sieur Collain, avec dépens, subsidiairement à ce qu’avant dire droit il plaise au Tribunal ordonner une nouvelle vérification des lieux par experts auxquels il serait donné mandat de dire et rapport les faits articulés dans la requête signifiée au nom de ses clients le vingt mars mil huit (6) cent vingt huit. Me. Grilleau avocat a ensuite développé les moyens tendant à faire accueillir ces conclusions. Me Vidal, avoué du sieur Collain, a persisté dans les conclusions de son client [...] 

Pour me contacter :

antoine.schule@free.fr