mercredi 8 mars 2017

Saint-Gervais : un prêtre sous la Révolution.


Jean-Baptiste Alexandre Servier

Prêtre à Saint-Gervais
au temps de la Révolution

par Antoine Schülé de Villalba

Edition du 8 mars 2017

Signature dans registre paroissial

Mon intention est de vous faire découvrir quelques personnalités fortes de Saint-Gervais. Cette mission n’est pas facile car les documents sont rares, dispersés, parfois ignorés de leurs détenteurs. Si j’ai pu prendre le risque de vous proposer cette démarche, c’est grâce aux prêts, aux discussions de nombreuses personnes qui détenaient un bout de vie de ces personnalités : des témoignages oraux pour les plus récents, des écrits, des dessins pour les plus anciens, des traces parfois infimes dans l’un ou l’autre document. C’est véritablement un travail de fourmi auquel il faut s’astreindre. Parfois, il faut se résigner à ne jamais pouvoir disposer de tous les renseignements que l’on désirerait. Alors, je ne peux vous offrir que ce que j’ai pu trouver. Ni plus, ni moins. Et vous vous en souviendrez ou vous l’oublierez, peu importe, cela n’est plus mon affaire.

Aussi, je profite de vous rappeler que tout document ancien qui éclaire le passé de Saint-Gervais intéresse le passionné d’histoire que je suis. Je m’empresse de préciser, on ne le dira jamais assez, que je ne désire pas posséder les documents mais seulement les connaître, éventuellement les photocopier ou les relever afin de compléter la connaissance de ces temps anciens. Lorsque je vous dis que ces vieux papiers ont de la valeur, c’est n’est pas, bien sûr, une valeur financière, qui se traduirait en un matelas de billets de banque. Non, c’est une valeur historique qui mérite autre chose que la décharge publique ou un bon feu de cheminée ! D’autre part, il est possible que, par non savoir de jeunes ou moins jeunes, des documents soient détruits. Cela serait regrettable et diffusez mon message en faveur de la préservation du patrimoine que je souhaite, non pour satisfaire des ambitions personnelles et politiques (ainsi que l’actualité communale le démontre), mais pour découvrir la vérité dans ce passé qui appartient à tous ! Je suis toujours disponible pour vous conseiller ou vous informer.

Introduction

En France, il est des sujets historiques délicats : les guerres de religion, la Révolution, la Guerre de 39-45, la Résistance comme l’Epuration. Il n’est pas possible d’en expliquer en quelques mots les difficultés. Toutefois, j’en vois une, la principale : c’est une histoire dont la politique s’est emparée pour se construire une éthique, une ligne de conduite idéalisée. Le public a une sorte de besoin de personnes idéalisées surtout lorsqu’elles sont mortes pour une cause (et si on pouvait leur faire connaître ce que l’on dit d’elles, elles nous surprendraient par leurs corrections) comme diabolisées (au lieu de laisser parler les faits et de les comprendre, on les utilise pour attiser le feu de la haine). Aussitôt de parler de certains sujets, cela devient risqué car l’histoire se transforme pour certains en une religion totalitaire sans avoir les avantages d’une religion qui respecte la liberté de pensée de tous mais en prenant par contre plutôt les défauts des hommes qui la propagent d’une manière erronée et qui ne devrait pas remettre en cause l’esprit qui les anime….

Oui, il y a des sujets historiques délicats car les propos historiques sont récupérés par les idéologies, les politiques, les passions humaines et les passions de la Raison ne sont pas moindre que celles des religions !

Notre rencontre de ce jour veut éviter ces écueils idéologiques par établir les faits, c’est véritablement à un travail d’historien que je vous invite. Nous regarderons le cas d’Alexandre Servier à la lumière de son témoignage écrit et au regard de cas similaires vécus en France, sans pour autant établir une histoire exhaustive de la Révolution et de l’Eglise car nous n’en aurions ni le temps, ni les moyens en ces quelques minutes où nous sommes réunis.

Ni apologie, ni hagiographie, ni volonté de conversion, ni endoctrinement : de ma part, il s’agit de vous faire découvrir une personnalité de Saint-Gervais qui a eu un parcours de vie original et qui mérite notre attention. Son nom est Jean-Baptiste Alexandre Servier, prêtre à Saint-Gervais au temps de la Révolution. Pour le Bicentenaire de la Révolution[1], un cahier spécial a été rédigé pour la commune de Saint-Gervais. C’est un cahier riche en informations diverses, qui réunit de nombreux textes intéressants. C’est là que, pour la première fois, j’ai lu des informations sur Alexandre Servier. Je pensais que tout était dit sur ce prêtre qui a été présenté comme prêtre assermenté : toutefois, j’avais tout de même des questions qui ne me paraissaient pas résolues en 1989.

Le temps a passé, j’ai réalisé des travaux d’histoire et accompli ma vie professionnelle : tous deux m’ont entraîné sur d’autres sujets et d’autres activités. Cependant, depuis, avec les années, des documents de paroisse et de particuliers s’accumulent. Et, là, je m’aperçois que nous avons un problème : je découvre en effet une autre Alexandre Servier. Ainsi, j’espère que cet exposé
·       répare l’oubli qui règne sur cette personnalité digne d’intérêt et
·       corrige les quelques erreurs, dont certaines graves, qui ont pu être commises à son sujet et
·       complète ce qui a été dit.

Voltaire a repris des fables anciennes pour nous écrire un texte qui s’intitule « Les Aventures de la raison ». La raison est cachée dans un puits, en compagnie de sa fille qui s’appelle la Vérité. Malheureusement, depuis que Voltaire a réécrit ce texte, je doute parfois que la raison et la vérité soient véritablement sorties du puits : j’en veux pour preuves, les mensonges de l’histoire qui ont encore cours dans les esprits. Les ouvrages de Le Goff[2] en signalent quelques-uns. Au cours de et exposé, certains faits pourront choquer, cela n’est point de ma faute ou de ma responsabilité. En effet, l’histoire ne se refait pas : l’histoire est ce qui a été et que cela plaise ou déplaise ne joue aucun rôle. Alors acceptez que je dise peut-être ce qui ne se dit pas toujours. Ecoutez et vous pouvez même vérifier que cela est vrai.

Plantons tout d’abord le décor. Abordons quelques aspects de la Révolution et de l’Eglise en France, de 1789 à 1802.

Contexte historique

Dans les « Cahiers de doléance », l’historien officiel de la Révolution Michel Vovelle[3], signale avec raison qu’il n’y a pas de trace d’irréligion. L’irréligion, mise en valeur de nos jours, n’est le fait que d’une petite minorité d’intellectuels qui, au nom du savoir qu’ils détenaient, se croyaient supérieurs à toute personne qui trouvait sa plénitude dans la Foi. Cette minorité est toutefois agissante et influente mais son importance a été anormalement grossie durant le XIXe et le XXe siècle. Les historiens de nos jours commencent à envisager sérieusement que la Révolution ne fut pas une affaire de majorité populaire mais la manœuvre réussie d’une minorité structurée ayant des objectifs précis.
Par contre, dans ces « Cahiers de doléance », nous trouvons des critiques sur la hiérarchie de l’Eglise et la richesse de l’Eglise. Ce qui n’est pas en soi un thème nouveau car depuis le Moyen Age, cette critique contre l’Eglise revient régulièrement. Je signale que de nombreux ordres religieux soit pratiquaient la pauvreté (règle de leur ordre), soit venaient en aide aux pauvres ou aux souffrants (ils assuraient l’accueil des malades, des orphelins, des personnes âgées, des handicapés mentaux ou physiques…. ) : ce qu’il convient de ne pas oublier pour rester objectif et ne pas être d’une mauvaise foi évidente (mais cela est fort bien assuré de nos jours par quelques-uns qui se prétendent des « personnes de culture »).   

Les débuts de la Révolution ont trouvé d’ardents défenseurs dans le clergé, le bas comme le haut et dans la noblesse. Cet aspect est occulté car cela ne correspond pas à l’image que l’on veut donner du parfait révolutionnaire : il doit être un oppressé, un miséreux, un souffrant, etc. ! Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse : J’ai remarqué que les révolutionnaires de Mai 68, après les avoir observés et avoir discuté avec eux, sont souvent des enfants de familles riches, de milieux aisés. Ils agissaient par réaction contre un milieu parental qu’ils connaissaient bien. C’était plus rarement des jeunes issus de milieux défavorisés : ceux-ci étaient souvent des jeunes marqués par une personne qu’il prenait comme un maître à penser : leurs orientations de vie en étaient issues !

Il est à souligner que la Constituante du 26 août 1789 dit : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions même religieuses. ». Voilà ce que disaient la loi et les politiques. Actuellement, cette phrase paraît normale à nos yeux. Pour cette époque cette phrase mettait fin à la prédominance d’une religion, catholique, sur une autre ou plutôt sur les autres : juive et protestante. Et sur ce point, même le clergé catholique français dans son ensemble n’y voyait aucune gêne. Pourtant, cette déclaration juridique sera démolie dans les faits comme vous allez pouvoir le constater.

En 1790, le catholicisme n’est pas contesté. Pourtant les premiers massacres contre l’Eglise se préparent.

Le premier acte officiel est le schisme constitutionnel qui s’amorce sérieusement en 1791 et nous allons assister à l’affrontement de deux clergés : les Constitutionnels et les Réfractaires.

La Constitution civile du clergé est proclamée en 1791. A cette occasion, les biens de l’Eglise sont nationalisés. Imaginez de nos jours les réactions si on nationalisait des mosquées, des synagogues, des temples de la Libre Pensée ou les bâtiments consacrés à des cultes aussi divers que variés (temples maçonniques, lieux de réunion de sociétés dites philanthropiques, de sectes…) ! Ce qui est légalisé dans un Etat est-il toujours légitime, voire moral ? Je pose la question et je vous laisse le choix de la réponse.

Un changement s’amorce le 3 juin 1792, lorsque Delacroix, ami de Danton, demande la destruction du catholicisme, le remplacement des figures des saints par les effigies de Rousseau et de Franklin : les nouveaux saints apôtres de la Raison.
Cette motion choque le « Club » qui la déclare inconstitutionnelle et refuse de l’imprimer ! 

Comment le basculement politique contre l’Eglise se déclare très ouvertement ?
A Paris, il faut attendre la fête de Dieu, 1793.
Cela se concrétisera le 10 août 1793 :
·       Fête de la Régénération
·       Invocation faite à la Nature souveraine (et il n’y avait pas d’écologistes comme nous l’entendons de nos jours !)
·       Son promoteur est Hérault de Sécholles
·       Il crée une nouvelle liturgie laïque (calquée sur les rites chrétiens avec des emprunts à d’autres religions antiques; défaut d’imagination)
·       La cérémonie se tient face à une statue d’Isis dont les seins généreux répandent les eaux régénératrices (cela pourrait faire l’objet d’une intéressante psychanalyse de nos jours).

Dans les campagnes, en hiver 1793-4, des autorités religieuses participent encore aux célébrations en l’honneur des victoires de la République.

Situation dans le Gard

Comment réagit-on dans le Gard à cette nouvelle politique contre le clergé ?

Une réaction se crée à Nîmes déjà, dès juin 1790, ensuite une autre suivra à Montauban.
Il y a des affrontements mais ceux-ci n’ont absolument rien à voir avec ce qui passe à Paris. L’affrontement est religieux. En effet, il oppose le petit peuple catholique contre les bourgeois réformés et patriotes.
Le champ d’approche est différent de celui de Paris et plaquez les images de la ville de Paris au Gard est une faute historique tout simplement (mais régulièrement commise de nos jours). Bien sûr, Paris est le centre de la France, voire le nombril du monde (pour quelques Parisiens), mais il faut absolument corriger cette vision étriquée de l’histoire qui malheureusement prédomine dans les esprits. L’histoire officielle a conditionné une pensée unique de l’histoire !

Le tournant est sans aucun doute à l’approche de la guerre de 1792. En été et en automne 1792, un anticléricalisme se construit régulièrement. Elle est le fruit d’un travail des esprits et ne naît pas du tout spontanément comme on aime à le faire croire. La décision est prise de déporter les prêtres réfractaires. Des massacres isolés ont lieu en Normandie et en Provence.

Cependant un épisode sanglant complètement oublié de manuels scolaires généralement car cela pourrait donner une image non voulue et non acceptable de la Révolution : les massacres de septembre 1792. La majorité des victimes sont des prêtres, des religieuses et des fidèles aussi bien de la noblesse que des ouvriers ou des paysans. Les religieuses sont bafouées publiquement et grossièrement par des fanatiques laïcs : mises à nu de leurs corps, injures, coups et humiliations diverses sont leur lot. Y a-t-il un monument qui commémore cet événement ? Un mémorial ? Un recueillement ? Plus d’un prêtre de nos jours ignore cela et loue les bienfaits de la Révolution[4] : c’est leur liberté mais cela ne doit pas rendre le citoyen amnésique !

Or ces martyrs ont aussi droit à la mémoire et les sourires ironiques des ennemis irréductibles de l’Eglise ont bien peu de poids lorsque l’on pense aux souffrances humaines subies au nom de valeurs de la République, ne l’oublions pas. Alors que l’Eglise a fait repentance pour les erreurs que ses fidèles, et non l’Eglise, ont pu commettre en son nom, je remarque que je n’ai pas entendu les Républiques faire une repentance pour les crimes commis, au nom de la République et au nom du Peuple français.

Celles et ceux qui se déclarent patriotes, jacobins, sans-culottes prônent le rejet du clergé, de la religion. Ce rejet va jusqu’à ôter la vie à leurs opposants. Il en sera de même plus tard en URSS, en Chine : des Républiques aussi.

La crise fédéraliste atteint son apogée en été 1793 et le slogan martelé est : « Il n’est pas de bon prêtre patriote. » : slogan facile et simple qui enlève tout jugement ; ce procédé marche toujours. De Marseille à Toulon, la turpitude révolutionnaire allait régner. On en parle peu, parfois même on l’ignore mais cela a existé !

Une réaction : la guerre de Vendée.

Un soulèvement pour le roi et pour la religion
L’attachement à une religion ou à un idéal social devient « fanatisme » pour les autorités politiques en place. Pour diaboliser la religion ou les monarchistes, il fallait les traiter de fanatiques : c’est une recette encore employée quand on veut s’attaquer à une religion.
Ceci dit, ils existent des vrais fanatiques mais cela est autre chose, aujourd’hui nous les appellerions des extrémistes mais il faut se méfier des étiquettes. C’est si commode : ne dit-on pas que pour abattre son chien, on dit qu’il a la rage !

Autres réactions moins connues
Mais les soulèvements se font clairement contre cette politique anticléricale du gouvernement et des exemples sont là : Arles, Montauban, Avignon, Ardèche et Lozère forment une puissante réaction face à ce qui est perçu comme une oppression et une atteinte à la liberté de conscience.

Guerre civile
Une nouvelle dimension du conflit se dessine : une guerre civile menace la République. Pour maintenir une lutte idéologique d’une autorité politique, ne l’oublions pas, l’image du prêtre est attaquée, les fondements de la Foi chrétienne sont ridiculisés. Par contre on s’active pour récupérer les causes du succès de la Foi, on laïcise des valeurs chrétiennes : amour, lumière, justice, fraternité. Cela ressemble aux opérations que les scientifiques pratiquent sur certaines cellules du corps : ils s’emparent de la cellule et lui enlèvent son noyau pour la programmer différemment. Il y a des manipulations spirituelles comme il y a des manipulations génétiques ! S’accomplit ainsi une volonté idéologique. Soyons heureux que des vertus promues par les Eglises soient devenues vertus mises en valeur par la République, du moins dans le discours (car je ne saurais affirmer que cela se soit toujours concrétisé dans les faits ! C’est vous qui pouvez conclure.)

Armes contre l’Eglise, les pamphlets avant l’échafaud
Pour attaquer l’Eglise, le combattant politique est bien pourvu : pamphlets, caricatures, discours, articles de presse, petits spectacles, sont ses armes ordinaires. Auberges, banquets, espaces publiques deviennent les lieux privilégiés pour leur mise en œuvre.
Le prêtre est réduit à un gros prélat, richement vêtu, un peu niais ; le pauvre paysan supporte ses épaules ce gros prélat ; le pauvre paysan porte aussi une riche abbesse. A notre époque, certains journaux dits de la Libre Pensée se complaisent dans des dessins de ce niveau. Ce phénomène existe encore dans des journaux avec des caricatures admises au nom de la liberté d’expression mais je vous déconseille juridiquement de pratiquer la même méthode à leur endroit : vous serez condamnés avec rapidité et sévérité mais vous pouvez chanter à pleine voix « Liberté chérie …. »

Ces actions sont une manifestation d’ignorance de leurs instigateurs sur le rôle même du bas clergé dans la Révolution naissante. De nombreux couvents ont permis les premières expressions des idées de la Révolution : l’histoire leur a donné tort car nous pouvons en considérer les fruits avec la Terreur jusqu’aux divers régimes communistes et totalitaristes du XXe siècle.

Après cette attaque de presse au travers de la caricature, certains provoquent des mascarades, on les appelait des « asinades ». Il s’agissait de promener sur un âne un religieux la tête tournée vers l’arrière. Peut-on considérer ceci comme le respect de la vie humaine, de la personne ?

Intrusion politique dans la pratique religieuse
Concrètement, le gouvernement supprime les vœux perpétuels des religieux et religieuses, lève la clôture dans les couvents et nationalise les biens des membres du clergé (il fallait non seulement tuer l’esprit mais les moyens de vivre alors qu’une communauté religieuse vivait un véritable communisme, au sens premier du terme, le partage des biens pour une vie spirituelle).
Le Pape a interdit aux prêtres de jurer en écrivant une bulle. La caricature s’en mêle et, bien sûr, nous ne tombons pas dans la finesse : un jeune patriote baisse sa culotte pour former un étron et se torche au moyen de la bulle pontificale. Je crois qu’il faut bien visualiser les procédés employés en ce temps pour apprécier le niveau culturel de ceux qui se disaient les défenseurs de la Raison, de la Liberté, ne l’oublions pas.

Un Rabaut Saint Etienne, pasteur réformé, est très actif dans la lutte contre le catholicisme. Il finira sous la guillotine qu’il avait si souvent faite fonctionner contre ses opposants : il a goûté ce qu’il avait offert. En 1791-2, l’activité principale des autorités politiques consiste à faire savoir que le prêtre appartient à un monde rétrograde, à un monde que l’on ne veut plus.

Il y a plusieurs étapes pour s’emparer des biens du clergé : on lui prend d’abord son argenterie, c’est-à-dire tout ce qui sert aussi au service du culte ; on lui prend les cloches pour l’industrie d’armement ; on offre un traitement de salaire aux prêtres abdicataires ; on régularise les prêtres mariés.
Le besoin de déchristianiser se fait au profit de la Nation.

Albitte est l’auteur du fameux « Serment ». Il exerçait son pouvoir dans l’Ain, l’Isère et le Mont Blanc. J’y reviendrai plus en détail avec l’abbé Servier.

Plus tard, le gouvernement encourage des feux de joie : tableaux, statues, confessionnaux sont brûlés (des Réformés avaient pratiqué de même lors des Guerres dites de religions) alors que les habits sacerdotaux sont pris pour organiser des cortèges burlesques (ainsi que le pratiquent certaines minorités qui revendiquent leurs droits à la différence … à notre époque).

Le gouvernement préfère encourager le mariage du prêtre pour éviter l’abdication de celui-ci. Le Gard connaît quelques abdicataires qui s’investissent dans des manifestations en faveur du culte de la Raison.

 Là où il y avait des prêtres constitutionnels (50% de prêtres), il y avait plus facilement des prêtres abdicataires (50% des constitutionnels). Albitte a proposé un texte pour les prêtres qui abdiquent et qu’il est nécessaire de connaître :

« Je soussigné … faisant le métier de prêtre depuis … sous le titre … convaincu des erreurs par moi trop longtemps professées, déclare en présence de la municipalité de … y renoncer à jamais, déclarer également renoncer abdiquer et répudier comme fausseté, illusion et imposture tout prétendu caractère et fonction de prêtrise, dont j’atteste déposer sur le bureau de ladite assemblée tous brevets, titres et lettres : je jure en conséquence, en face des Magistrats du peuple, duquel je reconnais la toute-puissance et la sagesse, de ne jamais me prévaloir des abus du métier sacerdotal, auquel je renonce, de maintenir la Liberté, l’Egalité, de toutes mes forces, de vivre et de mourir pour l’affermissement de la République, une indivisible et démocratique, sous peine d’être déclaré infâme, parjure et ennemi du peuple et traité comme tel… »[5] Un bel exemple d’étatisme poussé à outrance !

En 1793-4, il y a des autodafés de la République en l’occasion de mascarades carnavalesques. Des prêtres sont congédiés. Des églises sont fermées. Il n’y a plus de servants. Certaines églises sont transformées en temples de la raison, quand elles ne deviennent pas des granges, des parcs à bestiaux.

Albitte songe aussi à raser les clochers. Il ne pourra mettre en exécution son projet. Par contre, les croix sont abattues, les livres et les documents de l’église sont brûlés dans des feux de joie. Les ciboires et les calices sont utilisés lors de banquets républicains.

Dans le Gard, un prêtre marié Person est mis en avant ; il est marié à une protestante et déclare son mariage chaste.
Ailleurs, la presse vante les mérites d’un sans-culotte se faisant une gloire d’avoir chié sur l’autel, et il se donne fièrement le sobriquet de « lou cagaïre » !
Un autre prêtre n’hésite pas à déclarer que le premier sans-culotte est Jésus (vous savez, plus tard, on dira que Jésus était le révolutionnaire qui a précédé le Che…)

Nous découvrons des personnes qui, pour préserver leurs prébendes, s’adaptent à une théorie du gouvernement sans réaliser toujours comme elles sont manipulées mais c’est un fait parmi d’autres !

Une résistance face à la déchristianisation

Pour les campagnes, c’est peut-être la caractéristique majeure de ces temps troublés.
Massif central
Nord du Gard, Lozère, Ardèche,
Haute-Loire, Cantal, Lot, Aveyron
sont les régions qui défendent le plus le catholicisme.

Il règne une révolte générale dans les cœurs. La résistance est solide, fondamentalement différente dans l’expression à celle de la Vendée. Elle est efficace, originale et encore très mal connue car cela fait partie de l’histoire qui ne doit pas intéresser les chercheurs officiels. D’autre part, les traces ont été effacées pour lisser une histoire qui doit valoriser les valeurs dites républicaines.

La lutte contre cette résistance de la Foi est aussi impitoyable.
Des femmes abritant un curé réfractaire sont exécutées. Un « journalier », c’est-à-dire un salarié au jour le jour, nous dirions un « ouvrier » aujourd’hui, coupe l’arbre de la liberté pour planter à sa place une croix : il est exécuté.
Les citoyens résistants sont déclarés « fanatisés » par les fonctionnaires publics qui subissent leurs refus. Imaginez de nos jours….
Il est à signaler un phénomène important : le rôle des femmes car elles sont très actives dans ce mouvement de résistance publique.

A St. Jean-du-Gard, le 7 pluviôse, la population réformée se soulève contre la nouvelle persécution religieuse. Lorsque l’Etat parle des « Arsenaux du Midi », il dénomme en fait des fabricants de crucifix

Un fait mérite d’être retenu : la déchristianisation se déroule contre la volonté populaire des campagnes.
Les villes prétendent détenir « la lumière » mais les populations se refusent à une nouvelle forme de religiosité : celle du culte révolutionnaire qui tente de se créer des sanctuaires dans les églises mêmes.

Les déchristianisateurs sont les représentants en mission dans les armées révolutionnaires et les administrateurs dans les sociétés populaires. Ils ont pouvoir de vie et de mort et ne s’en privent pas.

Les contre, les opposants sont plus difficilement saisissables par les historiens : leur lutte était dans l’ombre, leurs écrits pouvaient les accuser alors tout se passait dans l’oralité qui est une des conditions du travail clandestin, du résistant.

Comme le constate Vovelle, la déchristianisation fut d’ailleurs globalement en France, un échec et elle a suscité des gradations fort différentes d’opposition suivant les régions.

En conclusion de cette première partie de l’exposé, je voudrais vous communiquer quelques chiffres et une citation de Sartre que je ne commenterai pas mais que je laisse à votre réflexion.

Le clergé de l’église catholique constituait le 1 % de la population française. Le clergé et ses membres ont subi le 6 % des victimes de la Révolution. Trois mille prêtres ont péri : soit exécutés, soit morts en détention. Parmi eux, on compte 6 évêques.
La France, de la Révolution à ce qui est devenu - non une République- mais un Empire, a eu deux millions de morts dont 400 000 en raison de la guerre révolutionnaire, 500 000 de la guerre civile et 1 100 000 sur les champs de bataille. Le tribunal révolutionnaire a guillotiné avec procès, 17 000 personnes (je vous fournirai quelques exemples de procès car c’était des procès sans défense) et sans procès, 35 000. Il y a eu approximativement 350 000 personnes, considérées comme catholiques, exécutées sans aucune formalité particulière ! Des études achevées ou en cours sur la Vendée peuvent élever très certainement cette macabre comptabilité.
Voilà des faits, des chiffres. Je ne les commente pas : ils parlent d’eux-mêmes.

Toutefois, permettez-moi de vous citer un auteur de référence, Jean-Paul Sartre, considéré par certains en tant qu’autorité morale :
« Un régime révolutionnaire doit se débarrasser d’un certain nombre d’individus qui les menacent, et je ne vois pas là d’autres moyens que la mort. On peut toujours sortir d’une prison. Les révolutionnaires de 1793 n’ont probablement pas assez tués. ». Est-ce un humaniste ? A vous, en votre âme et conscience de penser ce que vous voudrez !

Après avoir brossé ce contexte, il convient de parler de notre Alexandre Servier :


Curé Servier

Il n’est pas possible de parler de l’histoire de la paroisse de Saint-Gervais (Gard) sans faire mention de ce personnage courageux que fut l’Abbé Jean-Baptiste Alexandre Servier. En quelques notes, je vous propose de le découvrir comme il apparaît dans les courts écrits qu’il nous reste de lui. Ses parents habitaient Saint-Gervais et il y est probablement né mais à une date qui ne m’est pas connue.

La Révolution, après des débuts où il était difficile de percevoir ce qu’elle allait réellement produire, a voulu supprimer la religion chrétienne[6] par une immixtion progressive du pouvoir civil dans le spirituel. Au commencement, l’Etat a supprimé les revenus de l’Eglise de France, ensuite la liberté du culte et fait, finalement, éclater le clergé en exigeant un serment à la Constitution civile. Le peuple chrétien n’est pas tenu en compte par le gouvernement : la cible est le clergé avec celles et ceux qui veulent le défendre. 1793 reste la date charnière entre deux temps : celui des espoirs et celui des faits. La Terreur de l’Etat a fait fonctionner légalement la guillotine pour massacrer un grand nombre de personnes (ouvriers, agriculteurs, religieux, nobles, commerçants : toutes fonctions ou classes confondues avec y compris des enfants) dont le seul crime était d’avoir la Foi. Le devoir de mémoire consiste aussi à ne pas oublier ces pages douloureuses de notre passé. Il vaut la peine de savoir comment Saint-Gervais a vécu ce temps troublé.

Le serment de Servier et le serment constitutionnel
Servier desservait la Paroisse lorsque la Révolution éclata. Il a prêté un serment selon une formule qui lui était propre et qui ne correspondait pas au serment constitutionnel[7] qui était exigé par les autorités politiques[8].

L’abbé Servier prête bien un serment mais il a pris grand soin de le notifier en un procès-verbal. Ainsi le serment qu’il prête en ce dimanche 30 janvier 1791, à la messe de 8 heures n’est pas celui du décret de l’Assemblée nationale ! Et c’est cela qui m’a surpris.

Selon la « Constitution civile du Clergé », le prêtre devient un fonctionnaire en service dans la nation. Ainsi, il est exigé un serment où il doit promettre, je cite :
« d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout son pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi. » Cette formule est très courte, brève.

Or, le serment que Servier prête est le suivant, beaucoup plus long, plus précis et nuancé : « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles dont la conduite m’a été confiée par l’Eglise [E majuscule et le mot est souligné par Servier], d’être fidèle à la nation, à la loi, au roi, de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale, acceptée et sanctionnée par le roi, en tout ce qui ressort de la puissance temporelle et qui ne sera point opposé à la Religion catholique, apostolique et romaine, dans le sein de laquelle je veux vivre et mourir. »

Il a limité avec intelligence un serment dont il a perçu tous les dangers. Il y reconnaît la hiérarchie de l’Eglise en disant que c’est de l’Eglise qu’il a reçu mission. Il limite le serment à ce qui est temporel et refuse toute immixtion dans le spirituel. Il privilégie la religion non seulement catholique mais encore romaine, c’est-à-dire l’autorité du pape sur celle de la Constitution. Ce qui va à l’encontre des autorités politiques qui exigeaient le serment constitutionnel. A la lecture de ce serment, il y a une erreur historique de considérer l’abbé Servier comme un prêtre constitutionnel et c’est bien pour cela qu’il a dû s’exiler. Prêter un serment, oui ; Constitutionnel, non.

Ce serment est courageux car il décide de rester pour veiller sur les paroissiens dont il a la charge et il ose marquer le 30 janvier 1791 sa différence et son indépendance d’esprit alors que Rome n’avait pas encore déclaré sa position sur ce serment. Pie VI condamnera la Constitution civile du clergé le 10 mars et le 13 avril 1791. Avant de prêter ce serment, Servier a prononcé un discours plein de religion, de patriotisme et il a exprimé à sa façon sa soumission à un décret politique dont il limite volontairement la portée. Ce procès-verbal est signé de témoins : Flachaire, Fabre, Balme, Noëlle, Cour (maire), Baumet. Noms bien connus de cette époque. A cette messe assistaient la municipalité, le Conseil Général de la Commune, la garde nationale, les fidèles.

Plusieurs prêtres ont eu recours à cette déclaration juridique. Il existe un grand nombre de variantes à la limitation du serment. Servier a choisi les limites les plus fortes qui aient pu se faire à son époque. Protéger les fidèles le plus long temps possible par sa présence apparaît comme sa première volonté. Il ne peut pas être compté parmi les prêtres constitutionnels contrairement à ce que certains ont voulu prétendre (pour flatter leurs choix politiques 200 ans après !).

Quelques pourcentages[9]
Dans le Gard, le 34% des prêtres, soit 178, ont dit oui au serment ; la majorité, de 66%, soit 342 prêtres, ont dit non. Il est à noter que dans le secteur d’Uzès, il n’y a eu que 20% de oui.

Motifs d’un serment spécifique
Il y a d’ailleurs une raison à ce procédé et il faut revenir au Massacre des Capucins de Nîmes, complètement occulté de nos jours.
C’est en 1790, six mois avant. Le 14 juin 1790, le couvent est l’objet d’une attaque : le Père Benoît (59 ans) est massacré dans le couloir de la sacristie conduisant à la chapelle de la Vierge. Le Père Siméon (45 ans) est tué dans son lit. Le Père Séraphin (27 ans) est tué devant la porte de sa cellule de moine. Le Frère Fidèle (83 ans), sourd et presque aveugle, est tué sur sa couche. Le Frère Célestin, clerc (20 ou 21 ans) trouve la mort devant les portes des commodités, mais il sera traîné dans l’édifice : son sang se trouve dans la bibliothèque et dans un couloir pour être abandonné finalement dans un petit dortoir, près du choeur. Ils ont été laissés dans leur sang pendant près de 44 heures.
Il ne m’est pas possible de développer les raisons de cette page douloureuse de l’histoire de Nîmes (qui a véritablement eu ses moines de Tiberine !) mais ne pas la raconter serait faire injure à l’histoire et aux victimes de ce temps. Nîmes a eu 300 victimes de ce genre en 1790. Les défenseurs de l’histoire officielle parlent des bagarres de Nîmes, le mot « bagarre » a pour but d’atténuer les faits : vous constatez par vous-mêmes que le choix des mots est en soi une guerre de l’information. Pour ma part, un fait reconnu qui occasionne 300 morts est et reste un massacre et non une bagarre. De cet événement, on n’en parle quasiment jamais et je pense que c’est une erreur. Il est vrai que la France a connu d’autres massacres et j’y reviendrai du moins en donnant quelques données chiffrées.

Inutile de vous dire qu’ici à St. Gervais, cet événement était connu. Les précautions de l’abbé Servier s’expliquent dès lors aisément lorsqu’on veut bien connaître le contexte dans lequel il a vécu.

La Révolution a promulgué une multiplicité de lois. Le prêtre face aux serments exigés peut prêter un serment en son âme et conscience quand celui-ci a trait au domaine temporel ; par contre il ne peut pas laisser se dicter par l’Etat un serment qui a trait au spirituel. Et cela est valable pour tous les temps, même de nos jours. En disant cela, je pense la Chine qui vit cette tentative de mainmise du gouvernement sur l’Eglise par l'autorité politique chinoise. Il n’y a pas que cet exemple : pensons encore à l’Eglise orthodoxe en Russie et à ses relations avec le pouvoir politique du temps du communisme ou actuellement.

La Révolution a enclenché une machine qui avait pour finalité de supprimer la religion chrétienne. Trois étapes caractérisent ce processus : réformes sociales en fonctionnarisant le prêtre ; suppression des sources de revenu de l’Eglise ; substituer ensuite César à Dieu. Des indices s’accumulaient dans le temps et Servier a fait partie de ceux qui voulaient être tout à la fois patriote et rester fidèle à sa foi.
D’ailleurs, il est à se demander si le serment même des prêtres dit constitutionnels pouvait être juridiquement valable car, et je m’étonne que les historiens ne le soulignent pas, la plus grande majorité des prêtres (le 95 %) ignoraient le contenu de la Constitution (ce qui est tout de même extraordinaire !). Comment prêter serment à une Constitution que l’on ne connaît pas ? C’est tellement évident. Cela annule la validité de leur serment pour le 95% d’entre eux !

Jeanne de Romillon et un 12 juillet 1791
Elle avait fait sa profession de foi au couvent de Pont-Saint-Esprit et elle a pris le nom de sœur Saint Bernard. Obligée de quitter Pont, elle s’est réfugiée dans le couvent de Bollène mais elle y sera arrêtée avec trois autres religieuses.
Voici comment l’Accusateur du tribunal du Peuple les a condamnées :
« Les quatre ci-devant religieuses se sont déclarées les ennemies de la Révolution et les artisanes de la tyrannie ; elles se sont déclarées en rébellion contre le peuple souverain et l’autorité de la Convention Nationale ; réfractaires à la loi, elles ont constamment et avec obstination refusé de prêter le serment qu’elle leur prescrivait ; elles ont propagé le plus dangereux fanatisme dans l’intention d’appeler l’anarchie, d’exciter la guerre civile, d’opérer la dissolution de la Représentation nationale et le renversement de la République. »
Vous pouvez apprécier le discours adopté à l’égard de religieuses dont le seul véritable crime était de croire en Dieu, de Le prier et de répandre le bien par charité autour d’elles.
Elle a été exécutée un samedi matin, le 12 juillet. Un incident mérite d’être signalé. Avant que sa tête soit placée sous le couperet, une voix dans la foule qui assiste à ce prononcé de justice populaire, a crié dans la foule : « Vive la Nation ! ». Elle s’est retournée et s’est écriée : « Oui, je dis comme vous et avec plus de justice que vous : vive la nation qui me procure en ce beau jour la grâce du martyre. » Elle parle de ce « beau jour » non en raison de sa mort mais parce qu’elle meurt un samedi, jour de la semaine chez les catholiques, spécialement consacré à la Vierge Marie.

Le cas de Marie-Claire Dubac
C’est une Ursuline du couvent de Bollène. Elle est née à Laudun, le 9 janvier 1727.
Son procès est, comme tant d’autres, simple et expéditif. C’est pourquoi je me permets de le citer dans son intégralité.
« Qui es-tu ? » demande le président Fauvetty
« Je suis religieuse et je le resterai jusqu’à ma mort. »
« Veux-tu prêter serment ? »
« Non, ma conscience le défend. »
A cette réponse, Fauvetty prononce la sentence de mort qui sera exécutée.


Deuxième serment refusé et exil
En tant que prêtre déclaré insermenté, dit réfractaire, Servier a été déporté. Il a quitté Saint-Gervais et la France, en 1792. Il avait refusé le nouveau serment demandé le 14 août pour le 26 août : c’est celui que je vous ai énoncé en introduction.
Il écrit : « A la force, point de résistance. Des passeports (véritables lettres d’exil) viennent au nom de la loi d’être expédiés, un pour mon frère vicaire de cette paroisse, un autre pour moi. Il nous est enjoint de sortir du Royaume, sous peine d’être arrêté et conduit à la Guyane française. ». Il part donc avec son frère et un autre prêtre natif de Bourg Andéol (Bourg Saint Andéol). Ils se sont embarqués à Aigues-Mortes. Il a choisi l’exil dans les états du Saint-Siège.

Vente des biens Servier
Un document inédit nous apprend que le deuxième jour du mois de vendémiaire de l’an trois de la République (c’est-à-dire le 23 septembre 1794), les biens d’Alexandre Servier comme ceux de son frère Joseph Servier sont confisqués.
La commune de Saint-Gervais s’appelle Gervais-les-Bagnols et fait partie du canton de Bagnols et appartient au district de Pont sur Rhône (Pont-Saint-Esprit). Les administrateurs de ce district de Pont sur Rhône sont : Raoux, Pelissier, Bertrand et Souquart.  Le document, pré imprimé en partie, nous apprend que les frères Servier ne sont pas traités en tant qu’émigrés (mention rayée) mais en tant que déportés (mention portée à la main). Je n’invente pas cette information, c’est écrit par les représentants de l’autorité politique de l’époque.
Par affichage du 28 fructidor an 2 (14 septembre 1794), les biens des frères Joseph et Alexandre Servier mis en vente publique sont une ferme avec jardin, vivier, tuilerie, vignes, terres diverses et graviers et deux cuves à vin cerclées en fer pouvant contenir 135 barraux de vin. Par un autre document, j’ai su que cette ferme Servier est celle du Pigeonnier. On parlait non pas du quartier du Pigeonnier à cette époque mais du domaine du Pigeonnier. J’y reviendrai ensuite car cette vente était frappée d’une irrégularité qui mérite d’être racontée.

En date du 11 fructidor (28 août 1794), les biens sont estimés à 45 000 livres.
Pierre Cheyret propose cette somme à la première bougie. Un Bellile de Pont fait une surenchère à 55 000 L, Laurent Melchior de Gervais 55 200 L, Bellile 58 000 L, André Morensac d’Euzet (St. Michel d’Euzet) 59 000 L, Bellille 60 000 L.
A la deuxième bougie, Jean Clavel en propose 61 000 L. Troisième, quatrième, cinquième et sixième feu, pas de surenchère.
Au septième et dernier feu, Morensac en propose 71 000 L ; mais Melchior de Gervais l’emporte à 71 700 L.
Pendant le huitième feu, personne ne surenchérit.
Voilà ce que m’apprenait le document officiel. Je ne cache pas que j’étais surpris que ce Melchior achète une propriété aussi importante alors qu’il ne démarquait pas particulièrement par rapport aux autres propriétaires fonciers de son temps, avant ou après cette date. C’est pourquoi je fais un saut dans le temps 10 après.

Un saut dans le temps
Une explication m’est enfin donnée : un nouveau document apporte la lumière. Ce document date du 20 ventose, an 12 de la République (1 mars 1804), nous sommes sous Napoléon.

Et, première surprise, M. Melchior n’a pas acheté pour lui mais pour plusieurs acquéreurs ! Melchior avait fait l’acquisition pour : Antoine Estournel, Etienne Broche, Etienne Fouyer, Laurent Caire, Pierre Charavel, Alexis Anselme, Louis Anselme, Joseph Anselme, Denis Gueiffier, Jean Baptiste Noëlle, Joseph Fabre dit Quittard, François Charavel, Etienne Pagès, François Broche, Joseph Ode, François Soulier, Etienne Boissin, Marie Merle (qui est représentée par son mari Pierre Balme), Jean Boissin, Joseph Charavel, Gabriel Larnac, Jean-Baptiste Justamond, Laurent Cauvin, André Bluna, et Pierre Anselme. Cela fait 27 acquéreurs !

Les frères Servier avaient acheté ce domaine à André Toussaint Reynaud-Saurin, de Bagnols. Seulement, deuxième surprise, les personnes qui avaient mis leurs biens aux enchères au nom de la République ignoraient que ce bien n’avait pas été payé au vendeur Reynaud-Saurin ! C’est ainsi que 10 ans plus tard, un remboursement est prévu, chacun en proportion de sa part, au fils de l’ancien propriétaire, M. André - Laurent Saurin - Reynaud.
Selon ce qui ressort du document, le prix de vente en raison de la chute de la monnaie ayant court à cette époque était en dessous de sa valeur réelle mais cela est une autre affaire car elle ne nous intéresse pas directement dans le parcours de vie d’Alexandre Servier.

Retour d’exil
Après cinq ans d’exil, Alexandre Servier revint à Saint-Gervais, le 5 août 1797, dans l’illégalité. Les paroissiens lui font fête, le contentement et l’allégresse sont là. En fait, les idées révolutionnaires n’ont pas marqué les esprits de la population mais seulement les structures administratives. Et Servier explique dans une note  de novembre 1799, dans le registre paroissial : « J’étais du nombre des prêtres insermentés, c’est-à-dire appelés réfractaires, pour avoir refusé de faire le serment prescrit par l’Assemblée, vivement proscrit et condamné par notre mère, la sainte Eglise, catholique, apostolique et romaine. »

Nouvelle condamnation et entrée en résistance (an 6)
Un mois après son retour de 1797, la loi du 19 fructidor (5 septembre 1797) punissait de mort tous les émigrés ou prêtres déportés qui n’auraient pas quitté dans les quinze jours le territoire français. Son exil avait été difficile et les périls sur terre avaient été nombreux. Il déclara à ses parents : « Mourir pour mourir, autant vaut-il mourir dans ma patrie que dans une terre étrangère ! ».

Il avait connaissance du cas d’un vénérable prêtre missionnaire de Marseille : M. Donadieu, découvert après la loi du 19 fructidor, fut identifié par deux témoins et ensuite fusillé. Une Commission de 7 à 9 militaires se transportait de ville en ville selon les besoins. La procédure était rapide. Pour un prêtre ou un émigré : identification, exécution. Le dénonciateur était récompensé. Ce système très américain n’a pas disparu, regardez ce qui s’est passé en Irak avec la bénédiction des Etats-Unis et  au nom d’ailleurs de la démocratie, de la liberté, etc. !

Heureusement, la loi et leurs exécutants étaient une chose et la population une autre. L’Abbé Servier eut vite la certitude qu’au sein de la population locale, un rejet profond des lois - aussi bien que des législateurs - de ce temps de la tourmente prédominait. Les Saint-Gervaisiens le cachaient : il rendait visite aux malades, bénissait les mariages, administrait les sacrements. Du 1er octobre 1797 au 7 juin 1798, il se réfugia chez ses parents. En mars 1798, les persécutions de prêtres reprirent avec plus de vigueur. Il travaillait de nuit et, à ce titre, il mérite le titre de « Curé de nuit ». Il effectuait de nombreuses marches et contremarches.

Une récompense de 100 francs avait été promise pour toute personne dénonçant un prêtre insermenté. Une personne a succombé à cette offre mais cette dénonciation faite par une personne de la commune, à Bagnols resta sans suite car l’affaire fut neutralisée par les membres de la municipalité du village. Du 3 mars 1798 au 3 mars 1799, l’Abbé Servier eut fort à faire pour ne pas être piégé par les visites domiciliaires qui se faisaient à l’improviste. Il devait vivre parfois quasiment enterré (à La Roque-sur-Cèze, il y avait dans une cave une paroi d’argile avec des trous d’aération et une entrée facilement camouflable avec un tas de bois), changer chaque soir de logement. Il a séjourné dans la plupart des greniers à foin de la commune ! Pour éviter de se faire prendre, il ne visitait plus ses amis. Il a dû renoncer à toute activité pendant quelques mois et il est fort probable qu’il se soit éloigné quelque temps du village. Il travaillait cependant parfois avec le prêtre assermenté de St. Nazaire. Les signatures des registres paroissiaux l’attestent. Certains fidèles refusaient catégoriquement les services d’un prêtre assermenté. L’attitude de Servier prouve qu’il essayait de vivre pour sa paroisse dans un esprit de tolérance véritable. Pour certaines sépultures, il n’a pas pu intervenir mais ils mentionnent cependant que les habitants de St. Gervais y ont participé. De septembre 1797 au 24 juin 1798, il est possible qu’il ait été absent de la commune.

L’approche des fêtes de Pâques 1799 lui a donné l’occasion de reprendre ses activités mais pas à l’intérieur de l’église paroissiale et il y eut un grand afflux de personnes aux cérémonies religieuses. En mars 1798, il célèbre la messe dans la maison presbytérale. Des personnes viennent des villages voisins, de Bagnols aussi car ils sont privés de prêtre. Il y a foule pour l’entendre. Il a même demandé l’autorisation de pouvoir dire deux messes pour satisfaire la foule !

Le 13 juillet 1800, les autorités communales autorisent Servier à accomplir ses fonctions de prêtre normalement dans l’église. Les prêtres de Bagnols feront de même le 19 juillet 1800.

Le Concordat de 1801 allait mettre fin à cette situation délicate : l’évêché de Nîmes était supprimé et le Gard appartenait à l’évêché d’Avignon. Il faut se souvenir que le diocèse de Nîmes ne sera restauré qu’en 1821.

Nouvelle alarme
Il y a une nouvelle alerte quant à sa non expression de fidélité au gouvernement en 1801. Un dimanche soir, le 14 juin 1801, les gendarmes de Bagnols sont venus s’informer à la Mairie à son sujet : ils obéissaient à un arrêté du Préfet de la Police générale. Tout prêtre non assermenté devait quitter le territoire français. Il ne fut cependant pas arrêté et il continua plus discrètement ses activités à son domicile jusqu’en 1802, pour la plus grande satisfaction de la population. En 1802, il régularise tous les actes accomplis de 1798 à 1802.

Les registres paroissiaux portent l’écriture de M. l’Abbé Servier jusqu’au 4 novembre 1817. Il a souvent apporté des notes dans ses écrits et qui sont d’une grande utilité pour l’histoire paroissiale et pour connaître la façon dont ces moments difficiles ont été vécus.

Voilà ce que je peux vous dire sur cette personnalité au passé intéressant mais vous me direz que dans toute biographie, il faut donner une date de naissance et de mort. Je ne le peux pas encore, je pense qu’à l’Evêché doit se trouver la réponse. D’après ses écrits, Servier devait être prêtre en fonction à St. Gervais en 1783. Je pense qu’il doit être né dans les années 1760.

Vous pourriez croire que plus rien ne peut nous attacher à ce prêtre sous la Révolution. Et bien détrompez-vous. Il se fait entendre très souvent aux heures joyeuses et tristes de la commune. Oui, par notre carillon. La plus grande de nos cloches s’appelle Angélique et on la doit à la volonté des paroissiens de la commune et la marraine de cette cloche est la sœur de l’Abbé Servier :

Angélique, la plus grosse cloche des trois, se trouvant au sud du clocher quadrangulaire, a été bénite le 22 mars 1807. C’était le dimanche des Rameaux. A l’issue des vêpres, les paroissiens sont venus en procession sur la Place du Château[10], devant le portail d’honneur. M. l’abbé de Roquemaure était le vicaire représentant l’évêque pour cette bénédiction. Elle doit son nom à Madame Servier, religieuse de la Congrégation de Montoire, dans la province du Mans[11]. Elle était la sœur du Curé Servier et Angélique était son nom de profession.

Sources :
Registres paroissiaux 1798, 1801 (avec notices de la main de M. l’Abbé Servier).
Divers documents de particuliers.
Documents
Bulletin 1989 de Saint-Gervais à l’occasion du bicentenaire de la Révolution
Auteurs consultés :

Ouvrages généraux :
Ernest Lavisse Histoire de la France. La Révolution (2 vol.), Le Consulat et l’Empire.
Georges Soria : Grande historie de la Révolution. Bordas, Edition du bicentenaire de la Révolution. (9 vol.)
Ouvrages spécifiques
Michel Vovelle : La Révolution contre l’Eglise. De la raison à l’être suprême. Ed. Complexe. 1988
Pierre Pierrard : L’Eglise et la révolution 1789-1889Ed. Nouvelle Cité. 1988
Jean Thomas : De la Révolution à la séparation de l’Eglise et de l’Etat 1789-1905. Lacour. 1987.
André Reyne et Daniel Brehier : Les trente-deux religieuses martyres d’Orange. Aubanel. 1995.
Paul Amargier, Régis Bertrand, Alain Girard, Daniel Le Blévec : Chartreuses de Provence. Edisud. 1988.
Revue :
Historia spécial : La nouvelle France de la Révolution. Décembre 1988. No. 504.




[1] Bicentenaire de la Révolution. Cahier spécial. 1989.
[2] Les manipulations. Les fautes de l’histoire.
[3] Michel Vovelle : La Révolution contre l’Eglise. De la raison à l’être suprême. E. Complexes. 1988. 311 p.
[4] J’ai dans les oreilles un prêtre qui parlait dans un prêche en 2016 de ces «  Les Rois de France, ces tyrans » ! J’avais et j’ai des doutes quant à sa spiritualité mais je n’ai aucun doute quant à sa méconnaissance historique ! La professer en chaire n’est pas un signe d’intelligence.
[5] Vovelle p. 118
[6] Lire : Jean Thomas, De la Révolution à la séparation de l’Eglise et de l’état 1789-1905, Ed. Lacour, Nîmes, 1987, 274 p. et Pierre Pierrard : L’Eglise et la Révolution, 1789-1889. Paris ; 1988. 274 p.
[7] Il l’avait complété en exprimant son attachement au Pape et aux valeurs fondamentales de la Foi.
[8] Il y a donc eu erreur lorsqu’il a été écrit dans la brochure du bicentenaire saint-gervaisien qu’il avait prêté le serment constitutionnel.
[9] A ce sujet, consulter Jean Thomas. Voir bibliographie.
[10] Actuellement Place du Lavoir.
[11] Département du Loir-et-Cher.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire