La vie des mots
Antoine
Schülé
Introduction
Le
propre de l’historien est d’être curieux, un curieux du passé
bien entendu, non pour satisfaire une curiosité malsaine, pour
nuire, pour diffamer mais, tout simplement pour comprendre ce passé
qui a construit ce présent dans lequel nous vivons ; ce présent
sur lequel nous bâtissons, plus ou moins péniblement, un avenir qui
ne dépend de nous que pour une partie car l’historien n’ignore
pas que le hasard ou la Providence (l’appellation se déterminant selon la
croyance de chacun), détruit, corrige, détourne ou bonifie plus d’un
projet, même le mieux conçu et le mieux préparé !
Un
historien réunit les faits, les analyse, tente de les comprendre, même quand cela semble défier tout raisonnement logique pour les
expliquer et ce qui ne signifie jamais les justifier. Son intention est
de donner des réponses aux questions légitimes que se pose tout
« Honnête homme ». D’ailleurs, ce qu’il y a
de merveilleux dans une recherche historique est que, plus nous
réunissons de réponses, plus nous nous posons de nouvelles
questions. Oui, le travail d’historien est une quête qui ne finit
jamais : c’est ce qui décourage certains mais ce qui motive
d’autres, les vrais historiens !
Aussi
était-il normal qu’en tant que lecteur de cette littérature
médiévale (je vous signale que cela porte sur environ 1000 ans), je
me sois intéressé à ces mots soit perdus, soit aux origines
oubliées, soit aux sens ayant évolué dans le temps.
Je
vous rassure tout de suite, vous n’aurez pas droit à un discours
de linguiste ou d’un spécialiste de phonétique. Les linguistes se
complaisent en de longues explications étymologiques selon des
règles de phonétique qui ne fonctionnent pas toujours et comportant
autant d’exceptions que dans la Grammaire française, cela n’est
pas peu dire ! Mon but dans cette communication est
essentiellement de vous donner sobrement les origines de quelques
mots qui vous sont connus et que nous employons souvent mais dont les
origines échappent à notre compréhension.
Les
mots voyageurs
Chaque
mot a une origine, une vie connaissant parfois de nombreuses
mutations et parfois aucune : le mot « barbe »
vient du latin « barba », le mot « pré »
vient du latin « pratum ». C’est simple et clair
et ne mérite pas plus d’explication. Toutefois, quelle est
l’origine du mot « barba » latin ? Là,
vous ne trouverez pas facilement la réponse car en matière
d’étymologie, les spécialistes se contentent le plus souvent de
remonter à la racine latine ou grecque.
Le
sanskrit, une des grandes langues de civilisation en Asie, se
retrouve dans les plus anciens mots connus et ayant trait à la vie
courante des Gaulois, des Celtiques et de bien d’autres langues,
hors du territoire européen. « Sanskrit »
signifie « construit» [selon une grammaire établie].
La préhistoire du sanskrit serait, selon les recherches actuelles,
le descendant d'une langue encore plus ancienne, dite
indo-européenne.
Le premier monument littéraire sanscrit, connu de nos jours, est le
Ṛgveda, une anthologie d'hymnes religieux. Ceux-ci ont été
composés dans le nord-ouest de l'Inde, au milieu du IIe millénaire
avant J.-C. Le nom ārya (sanskrit), airya, ariya
(iranien) que se donnent en commun ces deux groupes a fait adopter le
terme aryen pour désigner leur communauté. On a choisi le
terme indo-aryen pour désigner le rameau linguistique
implanté dans l'Inde : des mots de cette langue sont au XIVe
siècle avant Jésus-Christ, chez les Hittites notamment.
Un
exemple de sanscrit : le mot mère.
Or,
notre belle langue française a de multiples origines en plus de
l’indo-européen, le celtique, le germanique, les mots arabes, les
mots hispaniques et même d’Amérique du Sud comme de la Norvège.
Ainsi nos bons « vieux » mots labélisés
français (parfois pas tant que çà, à double titre) ont les
couleurs du monde !
De
la langue des Caraïbes, l’arawak, provient le mot « canot ».
La « girafe » est un mot arabe. La caste ou
le fétiche ont des origines portugaises. La mangouste
est mot marathe, de la région de Bombay (Inde). De la langue des
Aztèques, le nahuatl a donné, via l’Espagne, un mot qui ravit les
enfants et que je suis dans l’obligation de vous donner en
raison des fêtes de Noël qui approchent : le chocolat (le
mot pochocacàua-atl a été abrégé en chocacàua-atl
pour s’hispaniser en un chocolate devenu chocolat ;
dans le cacàuatl, vous avez identifié le mot cacao).
La
langue anglaise a emprunté de nombreux mots au vieux français et
phénomène étrange ceux-ci sont restés dans la langue anglaise
pour disparaître en français et, parfois même, nous revenir de
l’Angleterre mais avec un autre sens ! Ainsi la fidélité
n’existe même pas dans les mots : que nous dirait Sacha
Guitry qui a tant glosé sur la fidélité des amants ou des couples
qui se prêtent des serments très humains, donc mortels, justement
par des mots !
La
langue turque a fait des emprunts à la langue arabe comme la langue
arabe a puisé dans la langue grecque, ce qui s’oublie trop
facilement ! Vous voyez que les mots se jouent des frontières
ou des cultures mais nous, les locuteurs, celles et ceux qui parlons
cette langue française, nous l’avons oublié.
Quelques
cheminements démontreront les voies étranges suivies par nos mots :
Le
sucre vient du sanskrit, passe par l’arabe, puis l’italien
pour prendre sa forme française. Le riz vient de l’hindi,
passe par l’arabe pour se franciser. Le sirop mot d’origine
arabe, a passé par l’Espagne avant de devenir français. Mais
levons les yeux au ciel, pour parler de l’azur qui est un
mot persan, ayant passé par l’arabe, pour devenir ce mot tant
prisé des poètes !
Pensez
à un fruit bien de chez nous : l’abricot a été
emprunté, vers 1550, à l'espagnol qui l’avait lui-même pris de
l'arabe (al-barqoûq), qui l'avait reçu du grec syrien, qui,
lui, le tenait du latin (praecoquum : oui, le précoce
est son sens initial ; le préfixe latin prae-
signifie avant ; coquere a donné le mot cuire ;
l’abricot est donc ce fruit qui arrive à maturité avant
les autres). L’abricot est originaire de la Chine pour s’implanter
dans les régions méditerranéennes en passant par l’Arménie, peu
avant l’ère chrétienne : c’est pourquoi, avant que la
dénomination abricot soit retenue, Pline appelle ce fruit
armeniacum, signifiant d’Arménie.
Un
autre phénomène est à considérer : les mutations sémantiques
sur la longue durée. Quelques exemples illustrent cela :
-
voler (dérober), d'emploi commun depuis le XVIe siècle, s'explique par le fait que ce mot fut au Moyen Âge un terme de chasse (d'un rapace qui « vole » sur sa proie et la saisit) ; vol (action de dérober), tiré du même verbe voler au XVIIe siècle, est donc un autre mot que vol (action de se déplacer en l'air), attesté dès le XIIe siècle1 ;
-
traire, mot d'usage jadis général, au XVIe siècle céda sa place au verbe tirer, dérivé de tire, mot du langage des tisserands picards, et d'origine flamande ;
-
épave fut un terme juridique désignant les bestiaux égarés (beste espave, du latin expavida.
Que
cet internationalisme du vocabulaire ne nous fasse cependant pas
oublier que de nombreux mots viennent de ces patois ou dialectes,
tant décriés par l’enseignement public du français au XIXe
et XXe siècle : l’alsacien, le basque, le breton,
le catalan, le corse, le flamand occidental, le francique mosellan,
le franco-provençal, les langues dites d’Oïl (franc-comtois,
wallon, champenois, picard, normand gallo, poitevin-saintongeois), le
lorrain, le bourgignon-morvandiau, sans parler des mots gaulois, dont
on retrouve des liens avec le sanscrit, ou le francique (c’est-à-dire
un dialecte allemand).
Charlemagne
parlait un dialecte allemand, le francique : les spécialistes
débattent avec vigueur pour savoir s’il s’agissait d’un
francique rhénan (ce que je crois) ou de francique rhéno-mosan (il
y a là un parfum de chauvinisme national dans le débat, je vous le
dis en tant que neutre, puisque partiellement Suisse d’origine).
Plus tard, il a étudié le latin, la langue diplomatique de son
temps !
Un
petit rappel : un cliché demeure dans les esprits que les
prêches dans les églises se tenaient en latin afin que le peuple
n’y comprenne rien. Cela est ridicule, mais les idées fausses ont
si souvent la vie dure. En effet, en 813, au Concile de Tours, il est
recommandé aux prêtres de prêcher dans la « langue romane
rustique », c’est-à-dire le latin des illettrés,
pouvant être compris d’un public plus large. En compléments,
comme « supports pédagogiques » comme nous disons
de nos jours, les vitraux, les retables et les peintures religieuses
(ancêtres de nos bandes dessinées mais à but éducatif)
suffisaient pour expliquer aux fidèles les grandes pages de l’Ancien
et du Nouveau Testament, les paraboles ou les vies de Saints.
Ce
fut avec le roi Hugues Capet, élu roi à Senlis en 987, dont le
roman, qui deviendra le français, fut la langue maternelle :
il ne comprenait plus le francique et avait à un interprète pour
dialoguer avec ses sujets ne maîtrisant pas sa langue. Le roman
devint ainsi la langue de cour, chargée de prestige qui a, tout de
même, attendu les réformes de l’éducation nationale au XIXe
siècle pour écraser, d’une certaine façon, les langues
concurrentes, nos dialectes !
Le
mot étymologie s’explique par ses racines grecques : le sens
propre du mot est « choisir le vrai », dans
et par les mots.
Il
est amusant de constater que le grec et le latin ont construit des
mots, aux sens différents sur la même racine de base : un
exemple, la racine «leg » signifie cueillir,
rassembler et choisir. Le legein grec a
conservé le sens de rassembler pour signifier au final dire,
c’est-à-dire rassembler des mots. Le legere latin a
mémorisé les sens de cueillir et choisir pour prendre
au final le sens de lire (rassembler des lettres). L’arbre
généalogique, ayant cette racine pour souche, est généreux en
fruits que nous retrouvons en allemand, en français, en espagnol, en
anglais, en italien et en portugais. Nous sommes dans cette agitation
électorale aux Etats-Unis et en France, il me faut donc en dire
plus.
La
forme grecque legein, au sens de dire, est à l’origine
du logos et de toutes ces finales en -logue, -logie.
Nous retrouvons cette racine grecque dans lexique et même
dans l’horloge, un système qui dit l’heure, tout
simplement !
Le
verbe lire, du legere latin, possède de nombreux
dérivés : la leçon, le fait de lire ; la
légende, ce qui doit être lu ; le sortilège,
qui lit le sort.
Le
sens de choisir, encore du latin legere, a produit
des : cueillir (colligere en latin ; élire
(car c’est choisir) ; intelligent (du latin
intelligere, comprendre, c’est donc choisir entre le
vrai et le faux, en fonction de connaissances acquises ou en cours de
découverte) ; légion, les légionnaires étaient
recrutés par sélection ; élégant(e), une personne qui
sait faire le bon choix ; négligent, celui qui ne
recueille pas ; sacrilège, celui qui vole par choix
volontaire les objets sacrés.
Après
cette mise en bouche qui, je l’espère, ne vous a pas découragé,
abordons un voyage dans le pays des mots.
Balade
au pays des mots
A
propos des crustacés
La
gastronomie nous ayant réuni ce soir, faisons honneur à
l’écrevisse, au crabe et à la crevette, sans
oublier les gambas puisque nous sommes en terre
languedocienne. Les trois premiers noms de crustacés, fort prisés
dans nos assiettes, ont un air de parenté à nos oreilles.
Rapidement et sans réfléchir, ce groupe cr et les
labiales b et v dans la syllabe suivante
peuvent nous le faire croire. L’histoire généalogique des ces
trois mots apporte des éléments de réponse qui nous détromperont
vite !
Crabe :
un auteur normand, du premier quart du XIIe s. l’utilise
avec la forme : krabbi. Il est d’usage chez certains
spécialistes de le faire remonter au néerlandais : crabbe.
Mais d’autres en doutent et lui donnent une couleur plus nordique
encore : à l’origine, cela provient du norrois (la langue des
Vikings) qui, antérieurement, use déjà de la forme : krabbi.
Pour réconcilier ces spécialistes qui ne s’accordent pas, je
dirai tout simplement que le néerlandais la reprit du norrois pour,
par la Normandie, s’implanter dans la langue française…Mais dans
ce genre de querelles, il vaut mieux ne rien dire car je pourrais me
faire agresser par les deux camps … Changeons de crustacé !
Notre
écrevisse nous vient de la langue de Charlemagne, du
francique : krebitja au XIIIe s.. La racine
kreb de la langue des Francs se retrouve dans le mot allemand
de nos jours Krebs. Il est curieux de constater que ce nom
germanique a effacé le mot cancer qui s’est maintenu dans
la forme chancre, dans les dialectes du nord-ouest, avec le
sens de crabe. Alors qu’il a produit dans le Languedoc les
variantes cran ou cranc mais, avec, cette fois-ci, le
sens d’écrevisse. Depuis le XIVe s., le cancer
désigne généralement le signe zodiacal qui domine le mois de
juillet.
Le
mot écrevisse a évolué d’une autre façon dans les
patois. Le é initial disparaît (une aphérèse) et le
c devient un g : ainsi grévisse
est né. Plusieurs d’entre vous ont étudié la grammaire de M.
Grévisse, nom d’une famille belge. Plus d’un jeune aura plus de
plaisir à goûter des écrevisses que le Grévisse ! Cependant,
il n’est pas interdit d’aimer les deux ! Venons-en à nos
crevettes.
Spontanément,
après ce qui vient d’être dit, nous lui donnerions une origine
germanique à cette crevette. Il en n’est rien. Sa forme
initiale est chevrette qui existe en ancien français et dans
les patois de la côte Atlantique (le normand-picard plus
particulièrement). La crevette faisant de petits sauts comme la
chèvre, du mot latin capra, la chèvre, c’est
ainsi que cette bête d’eau fut baptisée.
Terminer
ce plat de crustacés, sans parler des gambas, serait un
reproche que vous auriez raison de me faire. Sur les bords de la
Méditerranée, la forme francique krebitja a été supplantée
par un mot d’origine grecque cammarus mais pas en ligne
directe, cela aurait été trop simple. Le second m a
muté en un b. Le c s’est durci en un
g : ce qui est une évolution normale. L’italien
en a fait un gambero et l’espagnol un gambaro. Dans
le sud de la France, par contre, la forme cambarus est
demeurée vivace. C’est de Catalogne, que très récemment, la
forme gamba est venue pour désigner cette délicieuse
crevette des eaux profondes de la Méditerranée et de l’Atlantique.
De
l’écu à l’écurie
Chacun
a pu, à l’entrée, voir le blason de cet établissement et cela me
conduit naturellement à l’écu et l’écuyer
puisqu’il existait d’ailleurs un écuyer de bouche.
L’écu
est, à son origine latine scutum, le terme employé dès le
Moyen Age, pour nommer le bouclier (nom d’origine latine car
il disposait d’une boucle formant une petite bosse se distinguait
sur l’écu, dénommé affectueusement bouche ; il est
difficile de le croire mais le mot boucle a la même origine).
Par contre, l’écu comme pièce de monnaie, car portant à son
revers un écu, date plutôt de Saint Louis (1214-1270), une
pièce d’or avec ses armes sur une des faces. L’explication en
est simple : le bouclier était orné de motifs pour distinguer
les combattants entre eux. Ces motifs, signes distinctifs reconnus,
se sont retrouvés sur les monnaies royales, d’abord en or puis en
argent. En Espagne, cela a donné l’escudo. Le mot écusson
est de la du XIIIe siècle, un petit écu portant des
armoiries.
Sur
le nom latin scutum s’est formé un adjectif latin
scutarius, qualifiant tout ce qui peut être relatif au
bouclier. Redevenu un substantif, les évolutions sémantiques
commencent : il a désigné un fabricant de bouclier pour
commencer et un porteur de bouclier pour finir.
En
français, le mot écuyer fait son apparition. Dans les
premiers textes en ancien français, il est donné à un jeune homme,
noble qui apprend le métier des armes et qui porte le bouclier du
chevalier. Je vous signale que le bouclier était devenu lourd à
porter et cette charge formait les muscles du bras du porteur. Le
temps passe, ce terme prend du galon : il désigne un officier
du roi ou du prince.
Curieusement,
le sens prend deux directions différentes, soit pour la
cuisine, soit pour les chevaux.
Le
« maître cuisinier » d’un prince porte le titre
d’ « écuyer de cuisine » et l’officier,
proche du roi qui assure la fonction de couper les viandes la table
du roi ou du prince, est l’écuyer tranchant. Deux postes
importants pour un détenteur de l’autorité qui n’ignorait pas
les risques d’empoissonnement, il était prudent que des hommes de
confiance aient un contrôle sur les aliments.
Pour
les chevaux, de différentes races selon l’emploi qui en était
attendu, il y a eu plusieurs grades pour les personnes qui
devaient en prendre soins : écuyer, écuyer d’escuirie,
premier écuyer et grand écuyer. L’écuyer était un
maître en équitation et ensuite toute personne montant bien un
cheval a porté ce nom. Les noms de famille Ecuyer et Equey
ont bien été créés sur le mot écuyer.
Dès
la fin du XIIIe s., le terme évolue en escuyerie, escuerie,
escurie et, au final, écurie servait à nommer la charge
de grand écuyer : celui qui avait la responsabilité des
chevaux dans une maison princière. Il faut se rappeler qu’un roi
ou un prince voyageait la plupart du temps sur ses territoires, avec
femmes et enfants, accompagné d’une nombreuse suite de proches, de
soldats et de serviteurs. Un cheval fournissait un trajet de 20 à 30
Km maximum par jour ! Assurer les relais sur le parcours du roi
ou d’un seigneur important demandait un travail à temps plein :
travail de logistique dirions-nous de nos jours. Les rois étaient
des nomades et ne connaissaient pas la sédentarisation d’un
Président de la République dans les murs dorés de l’Elysée
!
Il
faut attendre le XVIe s. pour que l’écurie désigne le
bâtiment où logent les chevaux. Le terme ne cessera pas de se
démocratiser : grandes puis petites exploitations agricoles
auront leurs écuries. Notre terme supplantera au final celui
d’étable car le petit agriculteur plaçait dans le même
local son cheval et ses bovins.
Dans
le centre de la France, ce mot est tombé encore plus bas pour nommer
l’étable où se trouvaient les porcs. Un peu plus charmant tout de
même, et n’allez pas croire que je vous dis la suite de cette
histoire par association d’idées scabreuses entre le cochon et la
poule car je ne l’oserai pas, dans l’Allier et la Saône-et-Loire,
le poulailler est appelé écurie à poules.
Heureusement,
notre mot est sauvé par le sport hippique, automobile et cycliste :
un ensemble de chevaux de course ; ensemble de coureurs
automobile ou de cyclistes, regroupés par une même firme, le
« sponsor ».
Et,
pour conclure, rehaussons sa valeur avec l’écurie d’un galeriste
ou d’un éditeur : ils réunissent des artistes ou des
écrivains qu’ils valorisent, pour le plus grand profit de tous,
je l’espère…
Un
doux âne à la recherche du divin divan de la douane
Chez
vous, après un bon repas, vous avez certainement l’habitude de
vous reposer dans votre divan pour lire, pour discuter ou pour
écouter et voir votre émission préférée. Vous êtes bien loin de
penser à la douane alors que je pourrais presque dire que
vous vous asseyez dessus mais en tout bien, tout honneur et sans
offusquer le fisc que nous aimons tous, bien entendu (je dis cela car
il y a peut-être un percepteur dans l’assemblée) ! Douane et
divan ont un lien de parenté qu’il convient de percevoir
puisque il est perse d’origine. Afin qu’il ne me soit pas dit
qu’ « Il en perd son latin », perçons ce
mystère avec persévérance, sans vous persécuter en le mettant en
perspective. Ne faisons pas tenir le suspens plus longtemps !
Tout
commence bien entendu par la douane. Ce mot est persan
d’origine : dîvân. Il détermine un bureau
administratif et, en même temps, cela ne manque pas de poésie,
un recueil de poèmes. La langue arabe, avec le mot diwan,
désigne une salle de réunion mais aussi le registre.
Sous ce dernier sens, l’ancien italien au XIVe s. a formé un doana
qui a produit douane. Ne croyez pas qu’il n’existait pas
de douane avant le XIVe siècle, la langue du fisc qui aime le
contribuable (merci de ne pas prononcer ce mot en faisant
croire qu’il est composé de deux mots, dont le premier est très
expressif pour celui qui a versé de lourds tributs), avait déjà
créé, ce que nous avons de nos jours encore sur nos autoroutes, des
péages.
Par
la langue turque, le diwan a désigné, par évolution
sémantique, le meuble de la salle de réunion et c’est ainsi que
le divan français, depuis 1742, existe encore de nos jours !
Chez les Turcs, le divan était à l’origine un conseil,
l’assemblée de notables devant décider, c’est-à-dire
gouverner. Puis, petit-à-petit, il a désigné la salle de
réception chez les notables turcs, dont le pourtour était garni de
coussins, pour devenir une véritable estrade à coussins. Ce
nom est demeuré pour le sofa qui orne votre salon. Curieux sofa,
du mot arabe suffa ayant aussi passé par le turc sofa
pour arriver dans notre langue, désigne, cela ne vous surprendra
pas, aussi le coussin. On n’en sort pas, le monde arabe est
non seulement dans notre langue mais encore dans nos intérieurs !
Fraternité
Etant
le cadet d’une fratrie, je puis vous dire que je fus regardé d’un
œil noir par mes trois aînés et pas considéré comme un cadeau
mais un ennemi contre qui toute action nuisible est justifiée par
avance (la fraternité selon Caïn n’a pas été celle selon
Abel ! Je n'ose pas pesner aux frères de Joseph de l'Ancien Testament). Heureusement, il n’en est pas ainsi dans toutes les
familles ! Or cadet et cadeau ont une origine
identique avec des sens divers, alors qu’ils proviennent tous deux
du sud de la France.
Voici
comment le cadeau nous est arrivé : du mot latin caput,
soit la tête, le latin populaire a retenu un capitellus.
En provençal, le mot capdel en est issu, avec deux sens le
chef, celui qui est en tête, et la lettre capitale, la
première lettre que nous appelons encore capitale. Ce dernier
sens a existé jusqu’au XVIe s., avec une progression :
il désignait les traits de calligraphie au XVes. Le verbe
cadeler = enjoliver de traits pour exprimer
l’acte d’un auteur ou d’un avocat accumulant des paroles
superflues, - vocable à retenir quand vous entendez nos politiques !
Au XVIIes., Furetière donne un sens nouveau : le
divertissement généralement offert à une dame. Dans
les « Précieuses ridicules » de Molière, il
est employé en ce sens. Il faut attendre 1787 pour comprendre ce mot
comme de nos jours avec une évolution qui mérite des
précisions : le mot a été employé pour réception où dans
la société de l’Ancien régime, ce n’est pas les invités qui
apportaient des cadeaux à leur hôte mais celui qui recevait ! Autre
temps, autres mœurs !
Le
cadet connaît la même origine latine que cadeau mais
il nous vient par la Gascogne mais, cela surprend, avec le sens de
chef ! Au XVe s., les armées royales
disposaient de nombreux chefs gascons. Or souvent, ils étaient les
fils juniors ou puînés des familles nobles.
Finalement le cadet était un gentilhomme qui servait comme
volontaire dans les troupes royales : Cyrano de Bergerac
en offre une belle illustration. Ce n’est qu’au XVIe s.,
que le mot cadet a supplanté le mot puîné, synonyme
quasiment oublié de nos jours, pour prendre le sens que vous
connaissez tous.
Petit
retour à la maison
Du
printemps à l’automne, plus d’une famille apprécie la véranda
qui protège des brusques aléas du climat. Or ce mot à un parfum
tout particulier, celui des Indes.
En
hindi, la verge et la perche se dit vara qui a
donné dans cette même langue le mot varandah pour désigner
une galerie faite de perches, sens repris par les Portugais
avec varanda mais les Anglais, devenus maîtres du pays avec
des moyens peu recommandables d’ailleurs, ont transformé ce mot
hindi en veranda devenu en français véranda en
1758 : une galerie légère en bois, vitrée adossée à la façade
d’une maison. Au siècle suivant, les architectes ont contribué à
la bonne implantation de ce mot dans notre vocabulaire.
Elevons
les yeux
Souvent,
il est dit qu’un littéraire ou un intellectuel a la tête dans les
nuages. Intéressons-nous à ce mot nuage. C’est un jeunet
dans la langue française car il n’apparaît qu’au XVIe
s. Or, les nuages existaient avant mais les termes nues et
nuées. Deux expressions qui s’entendent encore en ont gardé
le vocable : « tomber des nues » ou une
« nuée de sauterelles». Nue est le mot de
l’ancien français issu du latin classique nubes, devenu
déjà en latin vulgaire ou latin de cuisine nuba.
Ayant
parlé de nuage, je ne peux éviter de vous raconter une
histoire d’eau, e a u bien entendu, et
j’apporte cette précision pour les libertin(e)s éventuels,
présents dans cette salle et qui ont pour référence le livre
« Histoire d’O ».
Eau
vient du latin aqua, que nous retrouvons dans aqueduc,
et son évolution paraît bien étrange : des mutations
progressives du latin en français ont permis cette métamorphose. La
forme médiévale est EWE, non pas Eve2,
notre mère à tous, quoique son nom pourrait mis en relation avec
l’eau matricielle qui a permis l’éclosion de la vie humaine.
Cette forme EWE se retrouve dans le mot évier, un aquarium
au sens strict d’origine ou le nom Evian, ville d’eau
savoyarde que je suis obligé de mentionner car je sui né en Savoie.
Revenons en Provence, aqua est devenu aigo d’où est
issu le aigue qui se retrouve en final de bien des lieux-dits
où se trouve de l’eau : pensez à Aigues-Mortes ou
tout simplement au mot aiguière.
Il
faut encore poursuivre ce mot latin à l’ablatif pluriel aquis
que vous retrouvez dans Aix : Aix-en-Provence,
Aix-les-Bains. Ce dernier nom de ville est redondant car par
deux fois il nous dit qu’il y a de l’eau. Aussi dire que l’on
va prendre les eaux à Aix-les-Bains, cela est un véritable
pléonasme vicieux !
Ayant
fait allusion à Eve, il est inévitable que je vous parle du pomum
dont une fausse traduction entrée dans les mœurs est demeurée dans
le mot pomme. Je vous rassure tout de suite, il n’y aura pas
une pomme de discorde avec ce mot pour vous culpabiliser, vous
Mesdames, avec cette Eve qui a fait croquer la pomme à Adam. Nous
savons tous combien il bon maintenant d’écouter les femmes !
Bien Messieurs, un peu de respect s’il vous plaît !
Il a
fallu attendre le Ve siècle pour ce pomum acquière
le sens de pomme que nous lui donnons de nos jours. Pourquoi ?
Le fruit par excellence pour nos ancêtres était la pomme,
sauf, car il y a toujours une exception en France, dans les Vosges où
le mot issu de pomum désigne la framboise, car c’était
le fruit prédominant de cette région !
La
pomme que nous entendons de nos jours en français était en latin un
malum, mot emprunté du grec. Il faut être bien malin pour
s’y retrouver quand on sait que le malin fut ce serpent qui a fait
croquer la pomme à Eve avant qu’Adam la croque, la pomme bien sûr,
pas Eve ! Vous voyez comme ce mot est un vrai cercle vicieux.
Redevenons
plus sérieux avec un sujet aussi grave. Malum grec a produit
le mot melun qui désigne la pomme ou le pommier
sauvage dans certains dialectes (en Valais notamment). L’allemand
a préféré le mot Apfel pour ce fruit en retenant plutôt la
racine indo-européenne Abel. L’homophonie entre Abel et
Apfel n’a sans doute pas échappé à vos oreilles En raison de
propos politiques récents, je suis bien obligé de vous traduire ce
mot dans la langue de nos ancêtres les Gaulois : la
pomme est aballo qui est devenu Avalon, une cité qui
se trouve dans le département de l’Yonne.
Dernier
galop sur les rives de Mare nostrum.
Nous
sommes proches de la Camargue et il n’est pas possible de terminer
cet exposé sans un tour de galop entre mer et rizière ou marais, en
s’intéressant au cheval et à ses divers noms.
Les
termes, dits savants, sont hippisme ou hippique du grec
hippos ou équestre qui apparaît au XIVe s.
dans la langue française, avec encore équitation (première
attestation en 1503) du latin equus, rapidement supplanté par
un latin populaire caballus, ayant donné cheval de
médiocre qualité, une rosse. Equus est resté dans le
roumain, le provençal, l’espagnol et le portugais. Cela est su de
la plupart d’entre nous et trop souvent chacun se contente de cette
explication. Mais accrochez-vous car nous allons, à nouveau,
galoper !
Ce
caballus a une origine gauloise car nos « fameux
ancêtres » étaient de grands amateurs de courses de
chevaux : d’eux, nous avons les mots char, charrue.
Les Galates ont repris ce mot du turc keväl qui vient
lui-même de Perse : kaval et désignant déjà un cheval
médiocre. Après cette longue chevauchée dans l’espace, revenons
aux descendants de cheval dans la langue française.
Le
chevalet dénommait le petit cheval au Moyen Age. Sur
caballus, s’est formé un caballarius qui est à
l’origine du chevalier. Mais attention ! Au Ve
s., il s’agissait d’un garçon d’écurie. Sous le
dernier roi carolingien (Lothaire, 941-986), il désigne un soldat
à cheval sans armure. Petit-à-petit, il a servi de titre de
celui qui accède au premier degré de la noblesse.
Caballarius
a donné naissance au cavalier actuel seulement en 1470. En
1546, Rabelais l’utilise come terme de fortification.
Par
l’Italie, une jument de race, propre à la reproduction, s’appelait
une cavale ; ce terme se retrouve plus spécialement dans
les textes poétiques.
Portons
un dernier regard sur les différents types de chevaux :
Le
destrier : le cheval de guerre. D’un destre du
latin dextera, pour la main droite, car l’écuyer tenait, de
la main gauche, soit son cheval, soit une bête de somme (pour les
« bagages » du chevalier) et, de la main droite,
le destrier, cheval qui n’était monté que pour le combat.
Dressage particulier pour qu’il ne soit pas effrayé par le fracas
des armes et les chocs violents qui accompagnaient les luttes !
Le
palefroi : le cheval de voyage. Il faut s’arrêter un
instant sur ce mot qui consacre une union étrange entre le mot
grec : para et le mot gaulois veredus, pour un
cheval de poste. Le paraveredus était un cheval de poste
en renfort. C’est Moyen Age que ce terme a pris ses lettres de
noblesse. De l’italien du XIe s. le palefrenus a
donné en provençal le palefrenier, attesté au XIVe
s.
Le
sommier (oui, l’heure de rejoindre votre lit approche) :
le cheval de charge mais son sens partiel est demeuré dans la
construction et dans l’ameublement. D’origine grecque, d’un
sagma, il se rapportait à un cheval, un âne ou un mulet.
Vous
piaffez d’impatience pour que le mot fin soit prononcé et,
sans plus, je conclus ces petits voyages offerts par la vie des mots,
en vous remerciant de votre attention.
1
Pour celles et ceux qui ont recours à des traductions
électroniques, le lexique automatique ne distingue pas les deux
sens de voler : je vous laisse imaginer les belles
erreurs de traduction que cela produit !
2
Le prénom Eve vient de l’hébreu avva, la vie.
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