Jean-Baptiste Alexandre Servier
Prêtre à Saint-Gervais
au temps de la Révolution
par Antoine Schülé de
Villalba
Edition du 8 mars 2017
Mon intention est de vous
faire découvrir quelques personnalités fortes de Saint-Gervais. Cette mission
n’est pas facile car les documents sont rares, dispersés, parfois ignorés de
leurs détenteurs. Si j’ai pu prendre le risque de vous proposer cette démarche,
c’est grâce aux prêts, aux discussions de nombreuses personnes qui détenaient
un bout de vie de ces personnalités : des témoignages oraux pour les plus
récents, des écrits, des dessins pour les plus anciens, des traces parfois
infimes dans l’un ou l’autre document. C’est véritablement un travail de fourmi
auquel il faut s’astreindre. Parfois, il faut se résigner à ne jamais pouvoir
disposer de tous les renseignements que l’on désirerait. Alors, je ne peux vous
offrir que ce que j’ai pu trouver. Ni plus, ni moins. Et vous vous en souviendrez ou
vous l’oublierez, peu importe, cela n’est plus mon affaire.
Aussi, je profite de vous rappeler
que tout document ancien qui éclaire le passé de Saint-Gervais intéresse le passionné
d’histoire que je suis. Je m’empresse de préciser, on ne le dira jamais assez,
que je ne désire pas posséder les documents mais seulement les connaître, éventuellement
les photocopier ou les relever afin de compléter la connaissance de ces temps
anciens. Lorsque je vous dis que ces vieux papiers ont de la valeur, c’est
n’est pas, bien sûr, une valeur financière, qui se traduirait en un matelas de billets
de banque. Non, c’est une valeur historique qui mérite autre chose que la
décharge publique ou un bon feu de cheminée ! D’autre part, il est
possible que, par non savoir de jeunes ou moins jeunes, des documents soient
détruits. Cela serait regrettable et diffusez mon message en faveur de la préservation du patrimoine que
je souhaite, non pour satisfaire des ambitions personnelles et politiques
(ainsi que l’actualité communale le démontre), mais pour découvrir la vérité
dans ce passé qui appartient à tous ! Je suis toujours disponible pour vous
conseiller ou vous informer.
Introduction
En France, il est des sujets
historiques délicats : les guerres de religion, la Révolution, la Guerre
de 39-45, la Résistance comme l’Epuration. Il n’est pas possible d’en expliquer
en quelques mots les difficultés. Toutefois, j’en vois une, la
principale : c’est une histoire dont la politique s’est emparée pour se
construire une éthique, une ligne de conduite idéalisée. Le public a une sorte
de besoin de personnes idéalisées surtout lorsqu’elles sont mortes pour une
cause (et si on pouvait leur faire connaître ce que l’on dit d’elles, elles
nous surprendraient par leurs corrections) comme diabolisées (au lieu de
laisser parler les faits et de les comprendre, on les utilise pour attiser le
feu de la haine). Aussitôt de parler de certains sujets, cela devient risqué
car l’histoire se transforme pour certains en une religion totalitaire sans
avoir les avantages d’une religion qui respecte la liberté de pensée de tous mais
en prenant par contre plutôt les défauts des hommes qui la propagent d’une
manière erronée et qui ne devrait pas remettre en cause l’esprit qui les anime….
Oui, il y a des sujets
historiques délicats car les propos historiques sont récupérés par les
idéologies, les politiques, les passions humaines et les passions de la Raison
ne sont pas moindre que celles des religions !
Notre rencontre de ce jour veut
éviter ces écueils idéologiques par établir les faits, c’est véritablement à un
travail d’historien que je vous invite. Nous regarderons le cas d’Alexandre
Servier à la lumière de son témoignage écrit et au regard de cas similaires
vécus en France, sans pour autant établir une histoire exhaustive de la
Révolution et de l’Eglise car nous n’en aurions ni le temps, ni les moyens en
ces quelques minutes où nous sommes réunis.
Ni apologie, ni hagiographie, ni
volonté de conversion, ni endoctrinement : de ma part, il s’agit de vous
faire découvrir une personnalité de Saint-Gervais qui a eu un parcours de vie
original et qui mérite notre attention. Son nom est Jean-Baptiste Alexandre Servier, prêtre à Saint-Gervais au temps de
la Révolution. Pour le Bicentenaire de la Révolution[1],
un cahier spécial a été rédigé pour la commune de Saint-Gervais. C’est un
cahier riche en informations diverses, qui réunit de nombreux textes
intéressants. C’est là que, pour la première fois, j’ai lu des informations sur
Alexandre Servier. Je pensais que tout était dit sur ce prêtre qui a été présenté
comme prêtre assermenté : toutefois, j’avais tout de même des questions
qui ne me paraissaient pas résolues en 1989.
Le temps a passé, j’ai réalisé des
travaux d’histoire et accompli ma vie professionnelle : tous deux m’ont
entraîné sur d’autres sujets et d’autres activités. Cependant, depuis, avec les
années, des documents de paroisse et de particuliers s’accumulent. Et, là, je m’aperçois
que nous avons un problème : je découvre en effet une autre Alexandre
Servier. Ainsi, j’espère que cet exposé
·
répare l’oubli qui règne sur cette personnalité
digne d’intérêt et
·
corrige les quelques erreurs, dont certaines
graves, qui ont pu être commises à son sujet et
·
complète ce qui a été dit.
Voltaire a repris des fables
anciennes pour nous écrire un texte qui s’intitule « Les Aventures de la raison ». La raison est cachée dans un
puits, en compagnie de sa fille qui s’appelle la Vérité. Malheureusement,
depuis que Voltaire a réécrit ce texte, je doute parfois que la raison et la
vérité soient véritablement sorties du puits : j’en veux pour preuves, les
mensonges de l’histoire qui ont encore cours dans les esprits. Les ouvrages de
Le Goff[2]
en signalent quelques-uns. Au cours de et exposé, certains faits pourront
choquer, cela n’est point de ma faute ou de ma responsabilité. En effet,
l’histoire ne se refait pas : l’histoire est ce qui a été et que cela
plaise ou déplaise ne joue aucun rôle. Alors acceptez que je dise peut-être ce
qui ne se dit pas toujours. Ecoutez et vous pouvez même vérifier que cela est
vrai.
Plantons tout d’abord le décor.
Abordons quelques aspects de la Révolution et de l’Eglise en France, de 1789 à
1802.
Contexte historique
Dans les « Cahiers de doléance », l’historien
officiel de la Révolution Michel Vovelle[3],
signale avec raison qu’il n’y a pas de trace d’irréligion. L’irréligion, mise
en valeur de nos jours, n’est le fait que d’une petite minorité d’intellectuels
qui, au nom du savoir qu’ils détenaient, se croyaient supérieurs à toute
personne qui trouvait sa plénitude dans la Foi. Cette minorité est toutefois
agissante et influente mais son importance a été anormalement grossie durant le
XIXe et le XXe siècle. Les historiens de nos jours commencent
à envisager sérieusement que la Révolution ne fut pas une affaire de majorité
populaire mais la manœuvre réussie d’une minorité structurée ayant des
objectifs précis.
Par contre, dans ces « Cahiers de doléance », nous
trouvons des critiques sur la hiérarchie de l’Eglise et la richesse de
l’Eglise. Ce qui n’est pas en soi un thème nouveau car depuis le Moyen Age,
cette critique contre l’Eglise revient régulièrement. Je signale que de
nombreux ordres religieux soit pratiquaient la pauvreté (règle de leur ordre),
soit venaient en aide aux pauvres ou aux souffrants (ils assuraient l’accueil
des malades, des orphelins, des personnes âgées, des handicapés mentaux ou
physiques…. ) : ce qu’il convient de ne pas oublier pour rester objectif
et ne pas être d’une mauvaise foi évidente (mais cela est fort bien assuré de
nos jours par quelques-uns qui se prétendent des « personnes de culture »).
Les débuts de la Révolution ont
trouvé d’ardents défenseurs dans le clergé, le bas comme le haut et dans la
noblesse. Cet aspect est occulté car cela ne correspond pas à l’image que l’on
veut donner du parfait révolutionnaire : il doit être un oppressé, un miséreux,
un souffrant, etc. ! Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse : J’ai
remarqué que les révolutionnaires de Mai 68, après les avoir observés et avoir discuté
avec eux, sont souvent des enfants de familles riches, de milieux aisés. Ils
agissaient par réaction contre un milieu parental qu’ils connaissaient bien.
C’était plus rarement des jeunes issus de milieux défavorisés : ceux-ci
étaient souvent des jeunes marqués par une personne qu’il prenait comme un
maître à penser : leurs orientations de vie en étaient issues !
Il est à souligner que la Constituante
du 26 août 1789 dit : « Nul ne peut être inquiété pour ses
opinions même religieuses. ». Voilà ce que disaient la loi et les
politiques. Actuellement, cette phrase paraît normale à nos yeux. Pour cette époque
cette phrase mettait fin à la prédominance d’une religion, catholique, sur une
autre ou plutôt sur les autres : juive et protestante. Et sur ce point,
même le clergé catholique français dans son ensemble n’y voyait aucune gêne. Pourtant,
cette déclaration juridique sera démolie dans les faits comme vous allez
pouvoir le constater.
En 1790, le catholicisme n’est
pas contesté. Pourtant les premiers massacres contre l’Eglise se préparent.
Le premier acte officiel est le
schisme constitutionnel qui s’amorce sérieusement en 1791 et nous allons
assister à l’affrontement de deux clergés :
les Constitutionnels et les Réfractaires.
La Constitution civile du clergé est proclamée en 1791. A cette
occasion, les biens de l’Eglise sont nationalisés. Imaginez de nos jours les
réactions si on nationalisait des mosquées, des synagogues, des temples de la
Libre Pensée ou les bâtiments consacrés à des cultes aussi divers que
variés (temples maçonniques, lieux de réunion de sociétés dites
philanthropiques, de sectes…) ! Ce qui est légalisé dans un Etat est-il
toujours légitime, voire moral ? Je pose la question et je vous laisse le
choix de la réponse.
Un changement s’amorce le 3
juin 1792, lorsque Delacroix, ami de Danton, demande la destruction du
catholicisme, le remplacement des figures des saints par les effigies de
Rousseau et de Franklin : les nouveaux saints apôtres de la Raison.
Cette motion choque le « Club » qui la déclare
inconstitutionnelle et refuse de l’imprimer !
Comment le basculement politique contre
l’Eglise se déclare très ouvertement ?
A Paris, il faut attendre la fête
de Dieu, 1793.
Cela se concrétisera le 10 août
1793 :
·
Fête de la Régénération
·
Invocation faite à la Nature souveraine (et il
n’y avait pas d’écologistes comme nous l’entendons de nos jours !)
·
Son promoteur est Hérault de Sécholles
·
Il crée une nouvelle liturgie laïque (calquée
sur les rites chrétiens avec des emprunts à d’autres religions antiques;
défaut d’imagination)
·
La cérémonie se tient face à une statue d’Isis
dont les seins généreux répandent les eaux régénératrices (cela pourrait faire l’objet d’une intéressante psychanalyse de nos jours).
Dans les campagnes, en hiver
1793-4, des autorités religieuses participent encore aux célébrations en
l’honneur des victoires de la République.
Situation dans le Gard
Comment réagit-on dans le Gard à
cette nouvelle politique contre le clergé ?
Une réaction se crée à Nîmes déjà,
dès juin 1790, ensuite une autre suivra à Montauban.
Il y a des affrontements mais
ceux-ci n’ont absolument rien à voir avec ce qui passe à Paris. L’affrontement
est religieux. En effet, il oppose le petit peuple catholique contre les
bourgeois réformés et patriotes.
Le champ d’approche est différent
de celui de Paris et plaquez les images de la ville de Paris au Gard est une
faute historique tout simplement (mais régulièrement commise de nos jours).
Bien sûr, Paris est le centre de la France, voire le nombril du monde (pour quelques Parisiens), mais il faut absolument
corriger cette vision étriquée de l’histoire qui malheureusement prédomine
dans les esprits. L’histoire officielle a conditionné une pensée unique de
l’histoire !
Le tournant est sans aucun doute
à l’approche de la guerre de 1792. En été et en automne 1792, un
anticléricalisme se construit régulièrement. Elle est le fruit d’un travail des
esprits et ne naît pas du tout spontanément comme on aime à le faire croire. La
décision est prise de déporter les prêtres réfractaires. Des massacres isolés
ont lieu en Normandie et en Provence.
Cependant un épisode sanglant complètement
oublié de manuels scolaires généralement car cela pourrait donner une image non
voulue et non acceptable de la Révolution : les massacres de septembre
1792. La majorité des victimes sont des prêtres, des religieuses et des fidèles
aussi bien de la noblesse que des ouvriers ou des paysans. Les religieuses sont
bafouées publiquement et grossièrement par des fanatiques laïcs : mises à
nu de leurs corps, injures, coups et humiliations diverses sont leur lot. Y
a-t-il un monument qui commémore cet événement ? Un mémorial ? Un
recueillement ? Plus d’un prêtre de nos jours ignore cela et loue les
bienfaits de la Révolution[4] :
c’est leur liberté mais cela ne doit pas rendre le citoyen amnésique !
Or ces martyrs ont aussi droit à
la mémoire et les sourires ironiques des ennemis irréductibles de l’Eglise ont
bien peu de poids lorsque l’on pense aux souffrances humaines subies au nom de
valeurs de la République, ne l’oublions pas. Alors que l’Eglise a fait
repentance pour les erreurs que ses fidèles, et non l’Eglise, ont pu commettre
en son nom, je remarque que je n’ai pas entendu les Républiques faire une repentance
pour les crimes commis, au nom de la République et au nom du Peuple français.
Celles et ceux qui se déclarent
patriotes, jacobins, sans-culottes prônent le rejet du clergé, de la religion. Ce
rejet va jusqu’à ôter la vie à leurs opposants. Il en sera de même plus tard en
URSS, en Chine : des Républiques aussi.
La crise fédéraliste atteint son
apogée en été 1793 et le slogan martelé est : « Il n’est pas de bon prêtre patriote. » : slogan facile et
simple qui enlève tout jugement ; ce procédé marche toujours. De Marseille
à Toulon, la turpitude révolutionnaire allait régner. On en parle peu, parfois
même on l’ignore mais cela a existé !
Une réaction : la guerre
de Vendée.
Un soulèvement pour le roi et pour
la religion
L’attachement à une religion ou à
un idéal social devient « fanatisme »
pour les autorités politiques en place. Pour diaboliser la religion ou les monarchistes,
il fallait les traiter de fanatiques :
c’est une recette encore employée quand on veut s’attaquer à une religion.
Ceci dit, ils existent des vrais
fanatiques mais cela est autre chose, aujourd’hui nous les appellerions des
extrémistes mais il faut se méfier des étiquettes. C’est si commode : ne
dit-on pas que pour abattre son chien, on dit qu’il a la rage !
Autres réactions moins connues
Mais les soulèvements se font
clairement contre cette politique anticléricale du gouvernement et des
exemples sont là : Arles, Montauban, Avignon, Ardèche et Lozère forment une
puissante réaction face à ce qui est perçu comme une oppression et une
atteinte à la liberté de conscience.
Guerre civile
Une nouvelle dimension du conflit
se dessine : une guerre civile menace la République. Pour maintenir une
lutte idéologique d’une autorité politique, ne l’oublions pas, l’image du
prêtre est attaquée, les fondements de la Foi chrétienne sont ridiculisés. Par
contre on s’active pour récupérer les causes du succès de la Foi, on laïcise
des valeurs chrétiennes : amour, lumière, justice, fraternité. Cela
ressemble aux opérations que les scientifiques pratiquent sur certaines
cellules du corps : ils s’emparent de la cellule et lui enlèvent son noyau
pour la programmer différemment. Il y a des manipulations spirituelles comme il
y a des manipulations génétiques ! S’accomplit ainsi une volonté
idéologique. Soyons heureux que des vertus promues par les Eglises soient
devenues vertus mises en valeur par la République, du moins dans le discours (car
je ne saurais affirmer que cela se soit toujours concrétisé dans les
faits ! C’est vous qui pouvez conclure.)
Armes contre l’Eglise, les
pamphlets avant l’échafaud
Pour attaquer l’Eglise, le
combattant politique est bien pourvu : pamphlets, caricatures, discours,
articles de presse, petits spectacles, sont ses armes ordinaires. Auberges,
banquets, espaces publiques deviennent les lieux privilégiés pour leur mise en
œuvre.
Le prêtre est réduit à un gros
prélat, richement vêtu, un peu niais ; le pauvre paysan supporte ses
épaules ce gros prélat ; le pauvre paysan porte aussi une riche abbesse. A
notre époque, certains journaux dits de la Libre Pensée se complaisent dans des
dessins de ce niveau. Ce phénomène existe encore dans des journaux avec des
caricatures admises au nom de la liberté d’expression mais je vous déconseille
juridiquement de pratiquer la même méthode à leur endroit : vous serez
condamnés avec rapidité et sévérité mais vous pouvez chanter à pleine voix
« Liberté chérie …. »
Ces actions sont une manifestation
d’ignorance de leurs instigateurs sur le rôle même du bas clergé dans la Révolution
naissante. De nombreux couvents ont permis les premières expressions des idées
de la Révolution : l’histoire leur a donné tort car nous pouvons en
considérer les fruits avec la Terreur jusqu’aux divers régimes communistes et
totalitaristes du XXe siècle.
Après cette attaque de presse au
travers de la caricature, certains provoquent des mascarades, on les appelait
des « asinades ». Il
s’agissait de promener sur un âne un religieux la tête tournée vers l’arrière. Peut-on
considérer ceci comme le respect de la vie humaine, de la personne ?
Intrusion politique dans la
pratique religieuse
Concrètement, le gouvernement
supprime les vœux perpétuels des religieux et religieuses, lève la clôture dans
les couvents et nationalise les biens des membres du clergé (il fallait non
seulement tuer l’esprit mais les moyens de vivre alors qu’une communauté
religieuse vivait un véritable communisme,
au sens premier du terme, le partage des biens pour une vie spirituelle).
Le Pape a interdit aux prêtres de
jurer en écrivant une bulle. La caricature s’en mêle et, bien sûr, nous ne
tombons pas dans la finesse : un jeune patriote baisse sa culotte pour
former un étron et se torche au moyen de la bulle pontificale. Je crois qu’il
faut bien visualiser les procédés employés en ce temps pour apprécier le niveau
culturel de ceux qui se disaient les défenseurs de la Raison, de la Liberté, ne
l’oublions pas.
Un Rabaut Saint Etienne, pasteur réformé,
est très actif dans la lutte contre le catholicisme. Il finira sous la
guillotine qu’il avait si souvent faite fonctionner contre ses opposants :
il a goûté ce qu’il avait offert. En 1791-2, l’activité principale des
autorités politiques consiste à faire savoir que le prêtre appartient à un
monde rétrograde, à un monde que l’on ne veut plus.
Il y a plusieurs étapes pour
s’emparer des biens du clergé : on lui prend d’abord son argenterie,
c’est-à-dire tout ce qui sert aussi au service du culte ; on lui prend les
cloches pour l’industrie d’armement ; on offre un traitement de salaire
aux prêtres abdicataires ; on régularise les prêtres mariés.
Le besoin de déchristianiser se
fait au profit de la Nation.
Albitte est l’auteur du fameux
« Serment ». Il exerçait
son pouvoir dans l’Ain, l’Isère et le Mont Blanc. J’y reviendrai plus en détail
avec l’abbé Servier.
Plus tard, le gouvernement
encourage des feux de joie : tableaux, statues, confessionnaux sont brûlés
(des Réformés avaient pratiqué de même lors des Guerres dites de religions)
alors que les habits sacerdotaux sont pris pour organiser des cortèges
burlesques (ainsi que le pratiquent certaines minorités qui revendiquent leurs
droits à la différence … à notre époque).
Le gouvernement préfère encourager
le mariage du prêtre pour éviter l’abdication de celui-ci. Le Gard connaît
quelques abdicataires qui s’investissent dans des manifestations en faveur du
culte de la Raison.
Là où il y avait des prêtres constitutionnels
(50% de prêtres), il y avait plus facilement des prêtres abdicataires (50% des constitutionnels).
Albitte a proposé un texte pour les prêtres qui abdiquent et qu’il est
nécessaire de connaître :
« Je soussigné … faisant le métier de prêtre depuis … sous le titre … convaincu
des erreurs par moi trop longtemps professées, déclare en présence de la municipalité
de … y renoncer à jamais, déclarer également renoncer abdiquer et répudier comme
fausseté, illusion et imposture tout prétendu caractère et fonction de
prêtrise, dont j’atteste déposer sur le bureau de ladite assemblée tous
brevets, titres et lettres : je jure en conséquence, en face des
Magistrats du peuple, duquel je reconnais la toute-puissance et la sagesse, de
ne jamais me prévaloir des abus du métier sacerdotal, auquel je renonce, de
maintenir la Liberté, l’Egalité, de toutes mes forces, de vivre et de mourir
pour l’affermissement de la République, une indivisible et démocratique, sous
peine d’être déclaré infâme, parjure et ennemi du peuple et traité comme tel… »[5]
Un bel exemple d’étatisme poussé à outrance !
En 1793-4, il y a des autodafés
de la République en l’occasion de mascarades carnavalesques. Des prêtres sont
congédiés. Des églises sont fermées. Il n’y a plus de servants. Certaines
églises sont transformées en temples de la raison, quand elles ne deviennent
pas des granges, des parcs à bestiaux.
Albitte songe aussi à raser les
clochers. Il ne pourra mettre en exécution son projet. Par contre, les croix
sont abattues, les livres et les documents de l’église sont brûlés dans des
feux de joie. Les ciboires et les calices sont utilisés lors de banquets
républicains.
Dans le Gard, un prêtre marié
Person est mis en avant ; il est marié à une protestante et déclare son
mariage chaste.
Ailleurs, la presse vante les
mérites d’un sans-culotte se faisant une gloire d’avoir chié sur l’autel, et il
se donne fièrement le sobriquet de « lou cagaïre » !
Un autre prêtre n’hésite pas à
déclarer que le premier sans-culotte est Jésus (vous savez, plus tard, on dira
que Jésus était le révolutionnaire qui a précédé le Che…)
Nous découvrons des personnes qui,
pour préserver leurs prébendes, s’adaptent à une théorie du gouvernement sans
réaliser toujours comme elles sont manipulées mais c’est un fait parmi
d’autres !
Une résistance face à la
déchristianisation
Pour les campagnes, c’est
peut-être la caractéristique majeure de ces temps troublés.
Massif central
Nord du Gard, Lozère,
Ardèche,
Haute-Loire, Cantal,
Lot, Aveyron
sont les régions qui
défendent le plus le catholicisme.
Il règne une révolte générale
dans les cœurs. La résistance est solide, fondamentalement différente dans
l’expression à celle de la Vendée. Elle est efficace, originale et encore très
mal connue car cela fait partie de l’histoire qui ne doit pas intéresser les chercheurs
officiels. D’autre part, les traces ont été effacées pour lisser une histoire qui
doit valoriser les valeurs dites républicaines.
La lutte contre cette résistance
de la Foi est aussi impitoyable.
Des femmes abritant un curé
réfractaire sont exécutées. Un « journalier », c’est-à-dire un
salarié au jour le jour, nous dirions un « ouvrier » aujourd’hui, coupe
l’arbre de la liberté pour planter à sa place une croix : il est exécuté.
Les citoyens résistants sont
déclarés « fanatisés » par les fonctionnaires publics qui subissent
leurs refus. Imaginez de nos jours….
Il est à signaler un phénomène
important : le rôle des femmes car elles sont très actives dans ce mouvement
de résistance publique.
A St. Jean-du-Gard, le 7 pluviôse,
la population réformée se soulève contre la nouvelle persécution religieuse.
Lorsque l’Etat parle des « Arsenaux
du Midi », il dénomme en fait des fabricants
de crucifix…
Un fait mérite d’être
retenu : la déchristianisation se déroule contre la volonté populaire des
campagnes.
Les villes prétendent détenir
« la lumière » mais les
populations se refusent à une nouvelle forme de religiosité : celle du
culte révolutionnaire qui tente de se créer des sanctuaires dans les églises
mêmes.
Les déchristianisateurs sont les
représentants en mission dans les armées révolutionnaires et les
administrateurs dans les sociétés populaires. Ils ont pouvoir de vie et de mort
et ne s’en privent pas.
Les contre, les opposants sont plus difficilement saisissables par les historiens :
leur lutte était dans l’ombre, leurs écrits pouvaient les accuser alors tout se
passait dans l’oralité qui est une des conditions du travail clandestin, du
résistant.
Comme le constate Vovelle, la
déchristianisation fut d’ailleurs globalement en France, un échec et elle a
suscité des gradations fort différentes d’opposition suivant les régions.
En conclusion de cette première
partie de l’exposé, je voudrais vous communiquer quelques chiffres et une
citation de Sartre que je ne commenterai pas mais que je laisse à votre
réflexion.
Le clergé de l’église catholique
constituait le 1 % de la population française. Le clergé et ses membres ont
subi le 6 % des victimes de la Révolution. Trois mille prêtres ont péri :
soit exécutés, soit morts en détention. Parmi eux, on compte 6 évêques.
La France, de la Révolution à ce
qui est devenu - non une République- mais un Empire, a eu deux millions de
morts dont 400 000 en raison de la guerre révolutionnaire, 500 000 de
la guerre civile et 1 100 000 sur les champs de bataille. Le tribunal
révolutionnaire a guillotiné avec procès, 17 000 personnes (je vous
fournirai quelques exemples de procès car c’était des procès sans défense) et
sans procès, 35 000. Il y a eu approximativement 350 000 personnes,
considérées comme catholiques, exécutées sans aucune formalité
particulière ! Des études achevées ou en cours sur la Vendée peuvent
élever très certainement cette macabre comptabilité.
Voilà des faits, des chiffres. Je
ne les commente pas : ils parlent d’eux-mêmes.
Toutefois, permettez-moi de vous
citer un auteur de référence, Jean-Paul Sartre, considéré par certains en tant
qu’autorité morale :
« Un régime révolutionnaire doit se débarrasser d’un certain nombre
d’individus qui les menacent, et je ne vois pas là d’autres moyens que la mort.
On peut toujours sortir d’une prison. Les révolutionnaires de 1793 n’ont
probablement pas assez tués. ». Est-ce un humaniste ? A vous, en
votre âme et conscience de penser ce que vous voudrez !
Après avoir brossé ce contexte,
il convient de parler de notre Alexandre Servier :
Curé Servier
Il n’est pas possible de parler
de l’histoire de la paroisse de Saint-Gervais (Gard) sans faire mention de ce
personnage courageux que fut l’Abbé Jean-Baptiste Alexandre Servier. En
quelques notes, je vous propose de le découvrir comme il apparaît dans les
courts écrits qu’il nous reste de lui. Ses parents habitaient Saint-Gervais et
il y est probablement né mais à une date qui ne m’est pas connue.
La Révolution, après des débuts
où il était difficile de percevoir ce qu’elle allait réellement produire, a
voulu supprimer la religion chrétienne[6] par
une immixtion progressive du pouvoir civil dans le spirituel. Au commencement,
l’Etat a supprimé les revenus de l’Eglise de France, ensuite la liberté du
culte et fait, finalement, éclater le clergé en exigeant un serment à la
Constitution civile. Le peuple chrétien n’est pas tenu en compte par le
gouvernement : la cible est le clergé avec celles et ceux qui veulent le
défendre. 1793 reste la date charnière entre deux temps : celui des
espoirs et celui des faits. La Terreur de l’Etat a fait fonctionner légalement
la guillotine pour massacrer un grand nombre de personnes (ouvriers,
agriculteurs, religieux, nobles, commerçants : toutes fonctions ou classes
confondues avec y compris des enfants) dont le seul crime était d’avoir la Foi.
Le devoir de mémoire consiste aussi à ne pas oublier ces pages douloureuses de
notre passé. Il vaut la peine de savoir comment Saint-Gervais a vécu ce temps
troublé.
Le serment de Servier et le serment
constitutionnel
Servier desservait la Paroisse
lorsque la Révolution éclata. Il a prêté un serment selon une formule qui lui
était propre et qui ne correspondait pas au serment constitutionnel[7]
qui était exigé par les autorités politiques[8].
L’abbé Servier prête bien un
serment mais il a pris grand soin de le notifier en un procès-verbal. Ainsi le
serment qu’il prête en ce dimanche 30 janvier 1791, à la messe de 8 heures n’est
pas celui du décret de l’Assemblée nationale ! Et c’est cela qui m’a surpris.
Selon la « Constitution civile du Clergé », le
prêtre devient un fonctionnaire en service dans la nation. Ainsi, il est exigé
un serment où il doit promettre, je cite :
« d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout
son pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par
le roi. » Cette formule est très courte, brève.
Or, le serment que Servier prête
est le suivant, beaucoup plus long, plus précis et nuancé : « Je
jure de veiller avec soin sur les fidèles dont la conduite m’a été confiée par
l’Eglise [E majuscule et le mot est souligné par Servier], d’être fidèle à
la nation, à la loi, au roi, de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution
décrétée par l’Assemblée nationale, acceptée et sanctionnée par le roi, en
tout ce qui ressort de la puissance temporelle et qui ne sera point opposé à la
Religion catholique, apostolique et romaine, dans le sein de laquelle je veux
vivre et mourir. »
Il a limité avec intelligence un
serment dont il a perçu tous les dangers. Il y reconnaît la hiérarchie de l’Eglise
en disant que c’est de l’Eglise qu’il a reçu mission. Il limite le serment à ce
qui est temporel et refuse toute immixtion dans le spirituel. Il privilégie la
religion non seulement catholique mais encore romaine, c’est-à-dire l’autorité du
pape sur celle de la Constitution. Ce qui va à l’encontre des autorités
politiques qui exigeaient le serment constitutionnel. A la lecture de ce
serment, il y a une erreur historique de considérer l’abbé Servier comme un
prêtre constitutionnel et c’est bien pour cela qu’il a dû s’exiler. Prêter un
serment, oui ; Constitutionnel, non.
Ce serment est courageux car il
décide de rester pour veiller sur les paroissiens dont il a la charge et il ose
marquer le 30 janvier 1791 sa différence et son indépendance d’esprit alors que
Rome n’avait pas encore déclaré sa position sur ce serment. Pie VI condamnera
la Constitution civile du clergé le 10 mars et le 13 avril 1791. Avant de
prêter ce serment, Servier a prononcé un discours plein de religion, de
patriotisme et il a exprimé à sa façon sa soumission à un décret politique dont
il limite volontairement la portée. Ce procès-verbal est signé de témoins :
Flachaire, Fabre, Balme, Noëlle, Cour (maire), Baumet. Noms bien connus de cette
époque. A cette messe assistaient la municipalité, le Conseil Général de la
Commune, la garde nationale, les fidèles.
Plusieurs prêtres ont eu recours
à cette déclaration juridique. Il existe un grand nombre de variantes à la
limitation du serment. Servier a choisi les limites les plus fortes qui aient
pu se faire à son époque. Protéger les fidèles le plus long temps possible par
sa présence apparaît comme sa première volonté. Il ne peut pas être compté
parmi les prêtres constitutionnels contrairement à ce que certains ont voulu
prétendre (pour flatter leurs choix politiques 200 ans après !).
Quelques pourcentages[9]
Dans le Gard, le 34% des prêtres,
soit 178, ont dit oui au
serment ; la majorité, de 66%, soit 342 prêtres, ont dit non. Il est à noter que dans le secteur
d’Uzès, il n’y a eu que 20% de oui.
Motifs d’un serment spécifique
Il y a d’ailleurs une raison à ce
procédé et il faut revenir au Massacre
des Capucins de Nîmes, complètement occulté de nos jours.
C’est en 1790, six mois avant. Le
14 juin 1790, le couvent est l’objet d’une attaque : le Père Benoît (59
ans) est massacré dans le couloir de la sacristie conduisant à la chapelle de
la Vierge. Le Père Siméon (45 ans) est tué dans son lit. Le Père Séraphin (27
ans) est tué devant la porte de sa cellule de moine. Le Frère Fidèle (83 ans), sourd
et presque aveugle, est tué sur sa couche. Le Frère Célestin, clerc (20 ou 21
ans) trouve la mort devant les portes des commodités, mais il sera traîné dans
l’édifice : son sang se trouve dans la bibliothèque et dans un couloir
pour être abandonné finalement dans un petit dortoir, près du choeur. Ils ont
été laissés dans leur sang pendant près de 44 heures.
Il ne m’est pas possible de
développer les raisons de cette page douloureuse de l’histoire de Nîmes (qui a
véritablement eu ses moines de Tiberine !) mais ne pas la raconter serait
faire injure à l’histoire et aux victimes de ce temps. Nîmes a eu 300 victimes
de ce genre en 1790. Les défenseurs de l’histoire officielle parlent des
bagarres de Nîmes, le mot « bagarre » a pour but d’atténuer les
faits : vous constatez par vous-mêmes que le choix des mots est en soi une
guerre de l’information. Pour ma part, un fait reconnu qui occasionne 300 morts
est et reste un massacre et non une bagarre. De cet événement, on n’en
parle quasiment jamais et je pense que c’est une erreur. Il est vrai que la
France a connu d’autres massacres et j’y reviendrai du moins en donnant
quelques données chiffrées.
Inutile de vous dire qu’ici à St.
Gervais, cet événement était connu. Les précautions de l’abbé Servier
s’expliquent dès lors aisément lorsqu’on veut bien connaître le contexte dans
lequel il a vécu.
La Révolution a promulgué une
multiplicité de lois. Le prêtre face aux serments exigés peut prêter un serment
en son âme et conscience quand celui-ci a trait au domaine temporel ; par
contre il ne peut pas laisser se dicter par l’Etat un serment qui a trait au
spirituel. Et cela est valable pour tous les temps, même de nos jours. En
disant cela, je pense la Chine qui vit cette tentative de mainmise
du gouvernement sur l’Eglise par l'autorité politique chinoise. Il n’y a pas que cet exemple :
pensons encore à l’Eglise orthodoxe en Russie et à ses relations avec le
pouvoir politique du temps du communisme ou actuellement.
La Révolution a enclenché une
machine qui avait pour finalité de supprimer la religion chrétienne. Trois
étapes caractérisent ce processus : réformes sociales en fonctionnarisant
le prêtre ; suppression des sources de revenu de l’Eglise ;
substituer ensuite César à Dieu. Des indices s’accumulaient dans le temps et
Servier a fait partie de ceux qui voulaient être tout à la fois patriote et
rester fidèle à sa foi.
D’ailleurs, il est à se demander
si le serment même des prêtres dit constitutionnels pouvait être juridiquement
valable car, et je m’étonne que les historiens ne le soulignent pas, la plus
grande majorité des prêtres (le 95 %) ignoraient le contenu de la Constitution
(ce qui est tout de même extraordinaire !). Comment prêter serment à une
Constitution que l’on ne connaît pas ? C’est tellement évident. Cela
annule la validité de leur serment pour le 95% d’entre eux !
Jeanne de Romillon et un 12
juillet 1791
Elle avait fait sa profession de
foi au couvent de Pont-Saint-Esprit et elle a pris le nom de sœur Saint Bernard.
Obligée de quitter Pont, elle s’est réfugiée dans le couvent de Bollène mais
elle y sera arrêtée avec trois autres religieuses.
Voici comment l’Accusateur du
tribunal du Peuple les a condamnées :
« Les quatre ci-devant
religieuses se sont déclarées les ennemies de la Révolution et les artisanes de
la tyrannie ; elles se sont déclarées en rébellion contre le peuple
souverain et l’autorité de la Convention Nationale ; réfractaires à la
loi, elles ont constamment et avec obstination refusé de prêter le serment
qu’elle leur prescrivait ; elles ont propagé le plus dangereux fanatisme
dans l’intention d’appeler l’anarchie, d’exciter la guerre civile, d’opérer la
dissolution de la Représentation nationale et le renversement de la
République. »
Vous pouvez apprécier le discours
adopté à l’égard de religieuses dont le seul véritable crime était de croire en
Dieu, de Le prier et de répandre le bien par charité autour d’elles.
Elle a été exécutée un samedi
matin, le 12 juillet. Un incident mérite d’être signalé. Avant que sa tête soit
placée sous le couperet, une voix dans la foule qui assiste à ce prononcé de justice
populaire, a crié dans la foule : « Vive la Nation ! ».
Elle s’est retournée et s’est écriée : « Oui, je dis comme vous et
avec plus de justice que vous : vive la nation qui me procure en ce beau
jour la grâce du martyre. » Elle parle de ce « beau jour » non en raison de sa mort mais parce qu’elle meurt
un samedi, jour de la semaine chez les catholiques, spécialement consacré à la
Vierge Marie.
Le cas de Marie-Claire Dubac
C’est une Ursuline du couvent de
Bollène. Elle est née à Laudun, le 9 janvier 1727.
Son procès est, comme tant
d’autres, simple et expéditif. C’est pourquoi je me permets de le citer dans
son intégralité.
« Qui es-tu ? »
demande le président Fauvetty
« Je suis religieuse et je
le resterai jusqu’à ma mort. »
« Veux-tu prêter
serment ? »
« Non, ma conscience le
défend. »
A cette réponse, Fauvetty
prononce la sentence de mort qui sera exécutée.
Deuxième serment refusé et exil
En tant que prêtre déclaré
insermenté, dit réfractaire, Servier a été déporté. Il a quitté Saint-Gervais et
la France, en 1792. Il avait refusé le nouveau serment demandé le 14 août pour
le 26 août : c’est celui que je vous ai énoncé en introduction.
Il écrit : « A la
force, point de résistance. Des passeports (véritables lettres d’exil)
viennent au nom de la loi d’être expédiés, un pour mon frère vicaire de cette
paroisse, un autre pour moi. Il nous est enjoint de sortir du Royaume, sous
peine d’être arrêté et conduit à la Guyane française. ». Il part donc avec
son frère et un autre prêtre natif de Bourg Andéol (Bourg Saint Andéol). Ils se
sont embarqués à Aigues-Mortes. Il a choisi l’exil dans les états du
Saint-Siège.
Vente des biens Servier
Un document inédit nous apprend que
le deuxième jour du mois de vendémiaire de l’an trois de la République
(c’est-à-dire le 23 septembre 1794), les biens d’Alexandre Servier comme ceux
de son frère Joseph Servier sont confisqués.
La commune de Saint-Gervais
s’appelle Gervais-les-Bagnols et fait partie du canton de Bagnols et appartient
au district de Pont sur Rhône (Pont-Saint-Esprit). Les administrateurs de ce
district de Pont sur Rhône sont : Raoux, Pelissier, Bertrand et
Souquart. Le document, pré imprimé en
partie, nous apprend que les frères Servier ne sont pas traités en tant
qu’émigrés (mention rayée) mais en tant que déportés (mention portée à la
main). Je n’invente pas cette information, c’est écrit par les représentants de
l’autorité politique de l’époque.
Par affichage du 28 fructidor an 2
(14 septembre 1794), les biens des frères Joseph et Alexandre Servier mis en
vente publique sont une ferme avec jardin, vivier, tuilerie, vignes, terres diverses
et graviers et deux cuves à vin cerclées en fer pouvant contenir 135 barraux de
vin. Par un autre document, j’ai su que cette ferme Servier est celle du
Pigeonnier. On parlait non pas du quartier du Pigeonnier à cette époque mais du
domaine du Pigeonnier. J’y reviendrai ensuite car cette vente était frappée
d’une irrégularité qui mérite d’être racontée.
En date du 11 fructidor (28 août
1794), les biens sont estimés à 45 000 livres.
Pierre Cheyret propose cette
somme à la première bougie. Un Bellile de Pont fait une surenchère à
55 000 L, Laurent Melchior de Gervais 55 200 L, Bellile 58 000
L, André Morensac d’Euzet (St. Michel d’Euzet) 59 000 L, Bellille 60 000
L.
A la deuxième bougie, Jean Clavel
en propose 61 000 L. Troisième, quatrième, cinquième et sixième feu, pas
de surenchère.
Au septième et dernier feu,
Morensac en propose 71 000 L ; mais Melchior de Gervais l’emporte à
71 700 L.
Pendant le huitième feu, personne
ne surenchérit.
Voilà ce que m’apprenait le
document officiel. Je ne cache pas que j’étais surpris que ce Melchior achète
une propriété aussi importante alors qu’il ne démarquait pas particulièrement
par rapport aux autres propriétaires fonciers de son temps, avant ou après
cette date. C’est pourquoi je fais un saut dans le temps 10 après.
Un saut dans le temps
Une explication m’est enfin
donnée : un nouveau document apporte la lumière. Ce document date du 20
ventose, an 12 de la République (1 mars 1804), nous sommes sous Napoléon.
Et, première surprise, M.
Melchior n’a pas acheté pour lui mais pour plusieurs acquéreurs ! Melchior
avait fait l’acquisition pour : Antoine Estournel, Etienne Broche, Etienne
Fouyer, Laurent Caire, Pierre Charavel, Alexis Anselme, Louis Anselme, Joseph
Anselme, Denis Gueiffier, Jean Baptiste Noëlle, Joseph Fabre dit Quittard,
François Charavel, Etienne Pagès, François Broche, Joseph Ode, François
Soulier, Etienne Boissin, Marie Merle (qui est représentée par son mari Pierre
Balme), Jean Boissin, Joseph Charavel, Gabriel Larnac, Jean-Baptiste Justamond,
Laurent Cauvin, André Bluna, et Pierre Anselme. Cela fait 27 acquéreurs !
Les frères Servier avaient acheté
ce domaine à André Toussaint Reynaud-Saurin, de Bagnols. Seulement, deuxième
surprise, les personnes qui avaient mis leurs biens aux enchères au nom de la
République ignoraient que ce bien n’avait pas été payé au vendeur Reynaud-Saurin !
C’est ainsi que 10 ans plus tard, un remboursement est prévu, chacun en
proportion de sa part, au fils de l’ancien propriétaire, M. André - Laurent
Saurin - Reynaud.
Selon ce qui ressort du document,
le prix de vente en raison de la chute de la monnaie ayant court à cette époque
était en dessous de sa valeur réelle mais cela est une autre affaire car elle
ne nous intéresse pas directement dans le parcours de vie d’Alexandre Servier.
Retour d’exil
Après cinq ans d’exil, Alexandre
Servier revint à Saint-Gervais, le 5 août 1797, dans l’illégalité. Les
paroissiens lui font fête, le contentement et l’allégresse sont là. En fait,
les idées révolutionnaires n’ont pas marqué les esprits de la population mais
seulement les structures administratives. Et Servier explique dans une
note de novembre 1799, dans le registre paroissial : « J’étais du nombre des prêtres insermentés,
c’est-à-dire appelés réfractaires, pour avoir refusé de faire le serment
prescrit par l’Assemblée, vivement proscrit et condamné par notre mère, la
sainte Eglise, catholique, apostolique et romaine. »
Nouvelle condamnation et
entrée en résistance (an 6)
Un mois après son retour de 1797,
la loi du 19 fructidor (5 septembre 1797) punissait de mort tous les émigrés ou
prêtres déportés qui n’auraient pas quitté dans les quinze jours le territoire
français. Son exil avait été difficile et les périls sur terre avaient été
nombreux. Il déclara à ses parents : « Mourir pour mourir, autant vaut-il mourir dans ma patrie que dans une
terre étrangère ! ».
Il avait connaissance du cas d’un
vénérable prêtre missionnaire de Marseille : M. Donadieu, découvert après
la loi du 19 fructidor, fut identifié par deux témoins et ensuite fusillé. Une
Commission de 7 à 9 militaires se transportait de ville en ville selon les
besoins. La procédure était rapide. Pour un prêtre ou un émigré :
identification, exécution. Le dénonciateur était récompensé. Ce système très
américain n’a pas disparu, regardez ce qui s’est passé en Irak avec la
bénédiction des Etats-Unis et au nom
d’ailleurs de la démocratie, de la liberté, etc. !
Heureusement, la loi et leurs
exécutants étaient une chose et la population une autre. L’Abbé Servier eut
vite la certitude qu’au sein de la population locale, un rejet profond des lois
- aussi bien que des législateurs - de ce temps de la tourmente prédominait.
Les Saint-Gervaisiens le cachaient : il rendait visite aux malades,
bénissait les mariages, administrait les sacrements. Du 1er octobre
1797 au 7 juin 1798, il se réfugia chez ses parents. En mars 1798, les
persécutions de prêtres reprirent avec plus de vigueur. Il travaillait de nuit
et, à ce titre, il mérite le titre de « Curé de nuit ». Il effectuait de nombreuses marches et
contremarches.
Une récompense de 100 francs
avait été promise pour toute personne dénonçant un prêtre insermenté. Une
personne a succombé à cette offre mais cette dénonciation faite par une
personne de la commune, à Bagnols resta sans suite car l’affaire fut
neutralisée par les membres de la municipalité du village. Du 3 mars 1798 au 3
mars 1799, l’Abbé Servier eut fort à faire pour ne pas être piégé par les
visites domiciliaires qui se faisaient à l’improviste. Il devait vivre parfois
quasiment enterré (à La Roque-sur-Cèze, il y avait dans une cave une paroi
d’argile avec des trous d’aération et une entrée facilement camouflable avec un
tas de bois), changer chaque soir de logement. Il a séjourné dans la plupart
des greniers à foin de la commune ! Pour éviter de se faire prendre, il ne
visitait plus ses amis. Il a dû renoncer à toute activité pendant quelques mois
et il est fort probable qu’il se soit éloigné quelque temps du village. Il
travaillait cependant parfois avec le prêtre assermenté de St. Nazaire. Les
signatures des registres paroissiaux l’attestent. Certains fidèles refusaient
catégoriquement les services d’un prêtre assermenté. L’attitude de Servier
prouve qu’il essayait de vivre pour sa paroisse dans un esprit de tolérance
véritable. Pour certaines sépultures, il n’a pas pu intervenir mais ils mentionnent
cependant que les habitants de St. Gervais y ont participé. De septembre 1797
au 24 juin 1798, il est possible qu’il ait été absent de la commune.
L’approche des fêtes de Pâques
1799 lui a donné l’occasion de reprendre ses activités mais pas à l’intérieur
de l’église paroissiale et il y eut un grand afflux de personnes aux cérémonies
religieuses. En mars 1798, il célèbre la messe dans la maison presbytérale. Des
personnes viennent des villages voisins, de Bagnols aussi car ils sont privés
de prêtre. Il y a foule pour l’entendre. Il a même demandé l’autorisation de
pouvoir dire deux messes pour satisfaire la foule !
Le 13 juillet 1800, les autorités
communales autorisent Servier à accomplir ses fonctions de prêtre normalement
dans l’église. Les prêtres de Bagnols feront de même le 19 juillet 1800.
Le Concordat de 1801
allait mettre fin à cette situation délicate : l’évêché de Nîmes était
supprimé et le Gard appartenait à l’évêché d’Avignon. Il faut se souvenir que le
diocèse de Nîmes ne sera restauré qu’en 1821.
Nouvelle alarme
Il y a une nouvelle alerte quant
à sa non expression de fidélité au gouvernement en 1801. Un dimanche soir, le
14 juin 1801, les gendarmes de Bagnols sont venus s’informer à la Mairie à
son sujet : ils obéissaient à un arrêté du Préfet de la Police générale. Tout
prêtre non assermenté devait quitter le territoire français. Il ne fut
cependant pas arrêté et il continua plus discrètement ses activités à son
domicile jusqu’en 1802, pour la plus grande satisfaction de la population. En
1802, il régularise tous les actes accomplis de 1798 à 1802.
Les registres paroissiaux portent
l’écriture de M. l’Abbé Servier jusqu’au 4 novembre 1817. Il a souvent apporté
des notes dans ses écrits et qui sont d’une grande utilité pour l’histoire
paroissiale et pour connaître la façon dont ces moments difficiles ont été
vécus.
Voilà ce que je peux vous dire
sur cette personnalité au passé intéressant mais vous me direz que dans toute
biographie, il faut donner une date de naissance et de mort. Je ne le peux pas
encore, je pense qu’à l’Evêché doit se trouver la réponse. D’après ses écrits,
Servier devait être prêtre en fonction à St. Gervais en 1783. Je pense qu’il
doit être né dans les années 1760.
Vous pourriez croire que plus
rien ne peut nous attacher à ce prêtre sous la Révolution. Et bien
détrompez-vous. Il se fait entendre très souvent aux heures joyeuses et tristes
de la commune. Oui, par notre carillon. La plus grande de nos cloches s’appelle
Angélique et on la doit à la volonté des paroissiens de la commune et la
marraine de cette cloche est la sœur de l’Abbé Servier :
Angélique, la plus grosse
cloche des trois, se trouvant au sud du clocher quadrangulaire, a été bénite le
22 mars 1807. C’était le dimanche des Rameaux. A l’issue des vêpres, les
paroissiens sont venus en procession sur la Place du Château[10],
devant le portail d’honneur. M. l’abbé de Roquemaure était le vicaire
représentant l’évêque pour cette bénédiction. Elle doit son nom à Madame Servier,
religieuse de la Congrégation de Montoire, dans la province du Mans[11].
Elle était la sœur du Curé Servier et Angélique était son nom de profession.
Sources :
Registres paroissiaux 1798, 1801
(avec notices de la main de M. l’Abbé Servier).
Divers documents de particuliers.
Documents
Bulletin 1989 de Saint-Gervais à
l’occasion du bicentenaire de la Révolution
Auteurs consultés :
Ouvrages généraux :
Ernest Lavisse Histoire de la France. La Révolution (2
vol.), Le Consulat et l’Empire.
Georges Soria : Grande historie de la Révolution. Bordas,
Edition du bicentenaire de la Révolution. (9 vol.)
Ouvrages spécifiques
Michel Vovelle : La Révolution contre l’Eglise. De la
raison à l’être suprême. Ed. Complexe. 1988
Pierre Pierrard :
L’Eglise et la révolution 1789-1889Ed. Nouvelle Cité. 1988
Jean Thomas : De la Révolution à la séparation de l’Eglise
et de l’Etat 1789-1905. Lacour. 1987.
André Reyne et Daniel Brehier :
Les trente-deux religieuses martyres
d’Orange. Aubanel. 1995.
Paul Amargier, Régis Bertrand,
Alain Girard, Daniel Le Blévec : Chartreuses de Provence. Edisud. 1988.
Revue :
Historia spécial : La nouvelle France de la Révolution.
Décembre 1988. No. 504.
[1]
Bicentenaire de la Révolution. Cahier spécial. 1989.
[2]
Les manipulations. Les fautes de l’histoire.
[3]
Michel Vovelle : La Révolution contre l’Eglise. De la raison à l’être
suprême. E. Complexes. 1988. 311 p.
[4]
J’ai dans les oreilles un prêtre qui parlait dans un prêche en 2016 de ces
« Les Rois de France, ces tyrans » !
J’avais et j’ai des doutes quant à sa spiritualité mais je n’ai aucun doute
quant à sa méconnaissance historique ! La professer en chaire n’est pas un
signe d’intelligence.
[5]
Vovelle p. 118
[6]
Lire : Jean Thomas, De la Révolution à la séparation de l’Eglise
et de l’état 1789-1905, Ed. Lacour, Nîmes, 1987, 274 p. et Pierre Pierrard :
L’Eglise et la Révolution, 1789-1889. Paris ; 1988. 274 p.
[7]
Il l’avait complété en exprimant son attachement au Pape et aux valeurs
fondamentales de la Foi.
[8]
Il y a donc eu erreur lorsqu’il a été écrit dans la brochure du bicentenaire
saint-gervaisien qu’il avait prêté le serment constitutionnel.
[9]
A ce sujet, consulter Jean Thomas. Voir bibliographie.
[10]
Actuellement Place du Lavoir.
[11]
Département du Loir-et-Cher.
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