Gaston III de Foix-Béarn
(30 avril 1331, Orthez - 1er août 1391, L’Hôpital d’Orion)
par Antoine Schülé
La Tourette, le14 septembre 2022.
La Provence a gardé le souvenir vivace du roi René au XVe s., les Pyrénées ont un héros, paré aussi de légendes : Gaston Phœbus (ou Febus). Face à cette personnalité du XIVe siècle, nous sommes surpris par son réalisme politique, sa soif de savoir, son talent de gestionnaire et son sens de la communication. L’approche historique consiste à faire part de ce qui appartient à la légende et de ce qui est la réalité accessible quant à sa vraie nature. L’espace d’un instant, intéressons-nous à cette page du passé où une paix assurée aux populations dépend aussi bien de l’emploi de la force armée que de la négociation diplomatique.
Il est le fils de Gaston II de Foix-Béarn et d’Aliénor de Comminges. Son père meurt au siège d’Algésiras, durant la croisade conduite en Andalousie.
Il est âgé alors de 12 ans et il ne sera majeur qu’à l’âge de 14 ans : sa mère assure la régence. En 126 étapes, sa mère lui fait recevoir les hommages de reconnaissance dans tous les territoires leur appartenant. Il s’engage à maintenir les libertés et les garanties prévues par le droit coutumier. Le peuple attend de lui une protection militaire, car seule la paix permet un commerce fructueux et une vie agricole normale.
À la succession de Gaston II, il devint le 12e comte de Foix le 26 septembre 1343, seigneur de Béarn en 1347 (successeur de Gaston IX), le 3e coprince d’Andorre, vicomte de Marsan.
Il a exercé le pouvoir pendant 47 ans, 10 mois et 6 jours. En 1358, il sera appelé Gaston Febus. Nombreuses graphies possibles : Phœbus, Phobus, Phébus, Fobus…
Sa signatureDe la mythologie grecque : Phoibos - Apollon était l’âme du monde, le soleil renaissant chaque jour, source de vie; dieu de la médecine en raison de la force de ses rayons; dieu de la divination, car il voit tout; dieu chasseur, car ses rayons comme des flèches percent la terre. Ce choix nous démontre que Gaston III a eu connaissance des écrits d’Ovide : le livre des Métamorphoses, un long poème de douze mille vers, divisés en 15 livres.
Son blason : armes écartelées de Foix et Béarn : pour Foix "d’or à trois pals de gueules" et pour Béarn "d’or à deux vaches passantes de gueules, accolées, accornées et clarinées d’azur" (traduction de ce langage de blason : deux vaches rouges, tournées vers la gauche, avec au cou une cloche bleue). Il avait un sceau, à ses débuts, le présentant en chevalier et, plus tard, avec son blason ci-dessus surmonté d’un heaume. Dans les documents officiels, sa titulature était : "Gaston, par la grâce de Dieu comte de Foix, seigneur de Béarn, vicomte de Marsan et de Gabardan“.
Son territoire est morcelé le long de la chaîne pyrénéenne. Deux puissances l’entourent : à l’ouest, il jouxte avec son Béarn, les rois d’Angleterre, ducs d’Aquitaine, et, à l’est, avec Foix, le roi de France. Entre ces deux pays, la maison d’Armagnac entre en conflit avec lui pour la possession de la Bigorre. Le commerce du Béarn a besoin des ports de Bayonne et de Bordeaux. Au sud, il y a l’Aragon avec qui une entente se réalise et, au sud-ouest, la Navarre avec qui la méfiance est de rigueur : un ancien allié peut devenir, selon ses intérêts du moment, un ennemi parfois loyal ou, le plus souvent, déloyal.
La guerre de Cent Ans
En bref :
De 1337 à 1453, des querelles dynastiques et successorales opposent l’Angleterre à la France, chaque royaume ayant ses vassaux, des soutiens opportunistes pour répondre à des besoins d’extension de territoires aux dépens de ses voisins.
Lors de la mort de Charles IV, sans laisser de fils, en 1328, la question se posait de savoir qui pouvait lui succéder sur le trône de France, alors que son épouse, la reine Jeanne, était enceinte. L’assemblée de barons, en attente de la naissance, confia la régence à Philippe de Valois. Trois prétendants réclamèrent la couronne : Philippe, comte d’Évreux, en tant qu’époux de Jeanne de Navarre, fille de Louis X ; Édouard III, roi d’Angleterre, en tant que fils d’Isabelle, fille de Philippe IV (petit-fils de Philippe le Bel, neveu de Louis X, de Philippe V et de Charles IV) et Philippe, comte de Valois, le cousin germain des trois derniers rois de France.
Les barons se réunirent pour établir un nouveau droit successoral : la couronne de France ne pouvait se transmettre qu’en ligne masculine et, en cas d’absence de fils ou de frère, elle devait s’attribuer au plus proche parent par les mâles. Philippe de Valois fut proclamé roi, ce que Édouard III d’Angleterre refusa d’admettre.
Cette guerre n’a pas été permanente. Elle a connu de nombreux épisodes, avec des changements d’alliances. La peste et la famine se sont ajoutées aux calamités locales dues à la guerre : levées d’impôt pour financer les nécessités militaires et les pillages occasionnés par les compagnies de mercenaires, pas payées ou désireuses de réunir du butin, aux dépens des populations. Jusqu’en 1380, l’Angleterre obtient des succès. Dès 1380, pour la France, Duguesclin récupère des territoires pris par les Anglais. Sous Charles VI, de nouvelles défaites françaises et plusieurs guerres civiles aboutissent, en 1420, au Traité de Troyes : une bonne partie de la France est livrée aux Anglais.
Charles VII, avec la Paix d’Arras de 1435, met un terme aux querelles intestines françaises. En 1453, il a libéré la France des Anglais, sauf Calais.
Plus précisément, pour Foix et Béarn :
Le père de Gaston III s’était engagé du côté de la France et son fils entend poursuivre ce lien, mais de façon très diplomatique en ménageant autant que possible son indépendance. Il opte en certaines circonstances pour une sorte de neutralité pour le Béarn dont il se déclare le souverain, après la défaite française de Crécy du 26 août 1346. Par contre, pour Foix, il confirme son allégeance au roi de France en 1348. Il a des terres dans les sénéchaussées d’Agen, de Toulouse et de Carcassonne.
Pour préserver les communautés placées sous sa protection, Gaston III allie stratégie, diplomatie et un emploi de la force militaire, plus pour dissuader que conquérir. L’Armagnac demeure son ennemi principal.
Le 4 août 1349, il épouse Agnès de Navarre, à l’église du Temple à Paris, juste avant le décès du père de celle-ci, Philippe VI, le roi de France, le 22 août 1350. Jean II prend la succession royale.
Avril 1351, le conflit franco-anglais reprend. En 1352, Toulouse demande à Gaston III, en tant que comte de Foix, ayant prêté serment au roi de France, de la protéger contre les Anglais. Il mène plusieurs campagnes, pendant que son demi-frère Arnaud-Guilhelm gère ses terres. Lors d’un soulèvement à Orthez, en octobre 1353, il punit les coupables d’amendes financières.
En 1355, le Prince Noir, fils d’Édouard III, roi d’Angleterre, arrive à Bordeaux pour imposer les prétentions anglaises sur le royaume de France. Le 19 septembre 1356, à Poitiers, la France subit une nouvelle défaite. Jean II est fait prisonnier et une trêve est signée entre les deux royaumes. Pour le Béarn, Gaston Febus se déclare en être le seul souverain et n’a donc pas l’obligation d’en rendre hommage au roi d’Angleterre. Il le lui rend seulement pour deux petits territoires enclavés en zone conquise par les Anglais.
Gaston III et les chevaliers Teutoniques
Il s’engage en Prusse pour une croisade où il adoptera comme surnom Febus et sa devise sera “Toquey si gauses”. Embarqué à Bruges, il fait des escales en Norvège et Suède pour être à Könisberg, le 9 février 1358. Il est promu chevalier de l’Ordre Teutonique,à Marienburg. Exceptionnellement, il a dû emprunter de l’argent pour effectuer cette expédition. Lors de son retour en France, il délivre la dauphine de France, Jeanne de Bourbon, assiégée à Meaux. Lors de cette lutte sans pitié contre la jacquerie, une révolte des paysans, Gaston III a lancé son cri “Febus aban” qu’il adoptera définitivement.
Gaston Febus :: un politicien, un administrateur, un militaire, un chasseur, un musicien et un écrivain.
Sa première mission est la défense des droits coutumiers (les fors) et la protection des cités marchandes ainsi que des exploitants des terres agricoles, des bois et des pâturages en montagne. Il possède des moulins et des mines de fer et d’argent.
Il construit des forteresses. Il répond aux appels de communautés agressées. Tout cela coûte : armement, destriers, soldats, bêtes de trait, constructions. Montrer sa force pour ne pas devoir s’en servir : ainsi, nous pourrions résumer sa stratégie. En tant qu’ancien officier des troupes de forteresses en Suisse, je suis impressionné par la densité de son réseau de forts. Il est d’une modernité surprenante pour le recrutement d’ hommes aptes au combat et pour la qualité de leur armement.
Il favorise une administration fiscale très perfectionnée pour son temps : ceux qui ne peuvent pas payer en argent le fouage s’acquittent en corvée ou service armé. Lorsqu’il capture des ennemis de haut rang, il exige d’importantes rançons.
Il est informé très rapidement sur tout ce qui concerne ses intérêts.
Pour mener sa politique et la guerre éventuelle, il constitue une énorme réserve financière. Il prête de l’argent aux seigneurs en difficulté, mais exige des garanties. Généreux parfois avec qui lui plaît, il est intransigeant sur les questions d’argent, le nerf de la guerre et de sa politique.
Il soigne spécialement sa renommée : il serait, de nos jours, un grand communicant.
Passionné de musique, il échange les musiciens avec la cour d’Aragon et d’Avignon. Il apprécie les troubadours en langue d’oc, les instrumentistes nommés jongleurs ou aussi ménestrels et les chantres -compositeurs. Phœbus a composé lui-même des chants. Il faisait venir des musiciens de Flandres, ou d’Allemagne. Il se plaisait à découvrir de nouveaux instruments ou des perfectionnements à ceux existants.
En fonction des circonstances, il noue ou dénoue des alliances avec tantôt la France, tantôt l’Angleterre, tout en ménageant ses adversaires, sauf ceux d’Armagnac. Son objectif est d’effectuer une soudure territoriale entre Foix et Béarn, la Bigorre étant l’enjeu principal. Les communautés qui s’y trouvent demandent sa protection miliaire, ce qu’il accorde volontiers : il n’est pas le possesseur de ces territoires, mais leur protecteur et protège du même coup ses intérêts.
Lorsqu’il y a deux Papes, l’un à Rome et l’autre à Avignon, il ne prend position ni pour l’un ni pour l’autre, une vraie neutralité, une fois de plus, quitte à irriter l’évêque local. La neutralité consiste à ne point se laisser enchaîner par des alliances . "Neutre", de l’expression latine "ne uter", signifie étymologiquement "ni l’un ni l’autre" automatiquement. Un petit État doit se garder libre de ses engagements. La Suisse était autrefois neutre et, de nos jours, des intérêts purement économiques ont mis fin à sa neutralité : je le regrette vivement.
Les Chroniqueurs
Jean Froissart
La source principale qui a contribué à la renommée de Gaston Febus se lit dans "Les chroniques de France, d’Angleterre et des pays voisins" de Jean Froissart qui a été aussi un romancier : Meliador est son récit écrit dans l’esprit arthurien que notre Béarnais, à l’esprit chevaleresque, aimait lire ou entendre.
Il est né à Valenciennes en 1337. Poète à ses débuts auprès des comtes de Hainaut, il a suivi la jeune Philippa de Hainaut qui épouse le roi Édouard III d’Angleterre. À Londres, il s’entretient avec les chefs de guerre anglais et les chevaliers français battus à Poitiers. Chargé de mission par la reine, il se rend en Écosse, en France, en Savoie et en Italie. À la mort de Philippa en 1369, il commence ses Chroniques.
Il a compilé les chroniques déjà existantes, point de départ de toute recherche. Son apport est d’avoir interrogé et discuté avec les princes, les seigneurs et les gens d’armes de son temps. Descriptions, récits et dialogues rendent agréable la lecture de son livre. Il tente de comprendre au mieux les personnalités qu’il rencontre. Il écrit pour être lu par la noblesse qui lui est contemporaine et celle future : il loue la vie chevaleresque qu’il idéalise.
Son œuvre est originale. Il se rend dans les différentes cours royales ou comtales pour s’informer. Il est en quelque sorte l’ancêtre, de ce que nous nommons aujourd’hui, des journalistes d’investigation.
La réputation de Febus est si grande qu’il tient à l’approcher. Il reste pendant 120 jours auprès de lui, à la cour d’Orthez où il arrive en novembre 1388. Il note tout ce qu’il entend ou sait sur ce personnage. Dans le livre III, intitulé Voyage en Béarn, il nous livre un précieux témoignage oral, à prendre avec un regard critique. Il est tributaire des informateurs qui lui racontent ce qu’ils veulent bien dire ou mal dire. Oui, nous avons un recul temporel et des confrontations de sources diverses que Froissart ignorait, mais ceci ne doit pas occulter la richesse des données qu’il apporte.
Son portrait de Gaston Phœbus est resté une page célèbre :
" Le comte Gaston de Foix dont je parle et au temps où je fus en sa présence, avait environ cinquante-neuf ans d’âge. Et je vous affirme que j’ai eu vu de nombreux chevaliers, rois, princes et autre savant lui, mais jamais je n’ai vu quelqu’un d’aussi bien proportionné de corps, d’aussi belle stature, d’aussi élégant, de si belle forme, ni de si belle taille et d’un visage aussi sanguin et souriant, les yeux vairs et affectueux envers ceux qu’il lui plaisait de regarder. Il était si parfait en toute chose qu’on ne saurait que le louer. Il aimait ce qu’il devait aimer et haïssait ce qu’il devait haïr.
Il était sage chevalier, disposait d’une belle intelligence, conseillait utilement et n’avait pas recours à des marmousets. Il régnait avec prudence. En sa chambre, il priait le psautier en nocturne, les heures de Notre-Dame, du Saint-Esprit, de la Croix et les vigiles pour les défunts. Quotidiennement, au nom de la charité voulue par Dieu, il distribuait cinq francs en petite monnaie à des pauvres.
Il fut généreux et délicat dans sa façon de donner. Il savait prélever sur ses biens pour remettre à qui était dans le besoin. Il aimait les chiens par-dessus tous les autres animaux : il chassait volontiers été comme hiver. Il aimait se divertir de faits d’armes et d’amour. Il n’aimait pas les dépenses excessives et les propos excessifs. Il voulait savoir tous les mois l’état de ses comptes. Pour collecter ses revenus, payer ses gens et administrer ses biens, il désignait douze notables. Tous les deux mois, il permutait le responsable de la collecte des revenus qui reprenait sa fonction au sein des douze. Il accordait sa confiance à un contrôleur qui tenait un registre précis des recettes et des dépenses que le comte consultait régulièrement. Il possédait des coffres dans sa chambre où il prenait parfois de l’argent pour le donner à un chevalier ou à un écuyer qui se présentait à lui, car jamais celui-ci ne repartait sans recevoir une bourse. Il constituait une réserve d’or pour avoir la capacité de faire face à des guerres ou des désagréments de fortune. Il était accueillant et chacun pouvait s’adresser à lui : il leur parlait gentiment et avec délicatesse.
Il était concis dans ses conseils et ses réponses. Il disposait de quatre clercs secrétaires pour écrire ou récrire ses messages. Il fallait qu’ils soient toujours disponibles quand il sortait de sa chambre. Il ne les appelait ni Jean, ni Gautier, ni Guillaume. Quand il y avait une lettre à lire ou à écrire, il les appelait par un "Mau-me-sert", c’est-à-dire "Mal me sert-on" "
Autres sources
D’autres chroniqueurs ont écrit : Honoré Bovet parle des comtes de Foix dans "L’arbre des batailles" ; Michel du Bernis, notaire à Foix, au XVe s., reprend ce qu’avait écrit Bovet, il est original à partir de la bataille de Launac et se fie à des archives qu’il a consultées ; Arnaud Esquerrier, un contemporain de Bernis, écrit selon des archives dont il avait la garde en tant que trésorier ; Miégeville, un cordelier du couvent de Morlas, résume les faits rapportés par Esquerrier ; l’archevêque de Reims, Juvénal des Ursins (1388 - 1473), conseiller de la Couronne, diplomate, écrivain polémiste et moralisateur, fournit des éléments utiles dans sa Chronique de Charles VI ; Aymeric de Peirac, attaché à la maison d’Armagnac, alliée au Prince Noiret et ennemie farouche de Gaston, souligne les points obscurs de la vie de Febus.
Au XVIe s., leurs écrits, principalement ceux d’Esquerrier, seront repris par Guillaume Laperrière, prieur d’un collège de Toulouse et historiographe des capitouls, dans ses Annales de Foix ; Bertrand Hélie, un juriste, dans Historia comitum Fuxensium ; le pasteur béarnais Pierre Olhagaray, historiographe du roi Henri IV, en 1609, dans son Histoire de Foix, Béarn et Navarre.
Plus récemment deux auteurs vous permettent de lire les informations les plus récentes sur notre Béarnais : Pierre Tucoo-Chala avec son "Gaston Febus, Grand Prince médiéval, 1331-1391" et Claudine Pailhès "Gaston Fébus".
La bataille de Launac
De retour de son voyage en Prusse, il prend connaissance d’un traité de paix entre le roi d’Angleterre Édouard III et le roi de France Jean II. Les Anglais ont capturé Jean II, exigent une forte rançon et la cession d’une bonne partie de la France. Son dauphin, Charles V refuse ces conditions britanniques. Il charge Jean de Poitiers avec la mission de rallier le Midi à la cause royale.
Febus désapprouve l’alliance de Jean Ier d’Armagnac, son ennemi de toujours, avec Jean de Poitiers. En mars 1359, il lance une série d’attaques contre Armagnac, tout en assurant sa fidélité au Dauphin du roi de France. Le 8 mai 1360, lors de la paix de Brétigny, il obtient une importante compensation financière pour la perte de la Bigorre.
Le comte a le plus souvent cherché à éviter la guerre et il n’en est qu’une qui reste la seule grande bataille qu’il ait menée. Le 5 décembre 1362, une confrontation armée décisive a lieu entre les alliés d’Armagnac et ceux de Febus à Launac. Celui-ci est en infériorité numérique, mais emporte une nette victoire. Le comte d’Armagnac et une grande partie de la noblesse du Midi sont ses prisonniers qu’il libère contre de bonnes rançons : il empoche ainsi près de 500 000 florins. Cette victoire lui offre une puissance financière, en plus d’une reconnaissance de ses mérites militaires. Le 14 avril 1363, la paix avec l’Armagnac est jurée. Chaque année, le 5 décembre, une fête commémorative célèbre l’évènement.
Le Livre de la chasse
La chasse est le thème traité depuis les temps les plus reculés. Elle a inspiré des danses, des dessins, pensons aux grottes de Lascaux ou à la grotte Chauvet. Avec la Bible, et tout spécialement les Psaumes, un symbolisme animalier est né. Les diverses mythologies ont incorporé dans l’imaginaire collectif des animaux, des chimères, etc. Depuis le VIIe s., avec Isidore de Séville, un classement objectif débute. Le Moyen Âge, dès le XIIe s. nous a donné de nombreux bestiaires et, sur la base de cette source, je vous ai déjà donné une conférence sur la symbolique animale.
Les premiers traités de chasse sont écrits en latin. L’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, entre 1244 et 1250, a rédigé un "De arte venandi cum avibus", il s’agit d’un traité de fauconnerie.
À la fin du XIIIe s., nous avons le premier traité en français "Chace dou cerf". Trois caractéristiques apparaissent à la lecture : la transmission d’un savoir technique, l’élaboration d’un discours moral et une volonté didactique.
Au XIVe s., trois œuvres prédominent :
• Le livre du Roy Modus et de la Royne Ratio du Normand Henri de Ferrières, rédigé entre 1354 et 1376
• Le Roman des deduis de Gace de la Buigne, chapelain du roi Jean le Bon, composé entre 1359 et 1377
• Le livre de la chasse de Gaston Phebus en 1387.
Sa rédaction a débuté le 1er mai 1387. Il est dédié au duc de Bourgogne, Philippe le Hardi. Febus a consulté le plus ancien traité de chasse en langue française du normand Henri de Ferrières, rédigé vers 1370. Par exemple, il a repris le texte de Ferrières sur le découpage du cerf et du sanglier.
Ce traité de cynégétique se décompose en quatre parties :
1. La vie des différents gibiers, un recueil de diverses observations personnelles ou rapportées, en 14 chapitres : le cerf, le renne, le daim, le bouc, le chevreuil, le lièvre, le lapin, l’ours, le sanglier, le loup, le renard, le blaireau, le chat et la loutre ; il est à noter que Buffon, à la fin du XVIIIe s., fait référence à ces données ;
2. Les chiens, les mesures d’hygiène et la tenue d’un chenil en 12 chapitres : louange de la fidélité du chien à son maître, leurs maladies, le dogue, le lévrier, le chien courant, le chien d’oiseaux, le mâtin, la formation d’un bon veneur dès l’âge de 7 ans, le chenil, la nécessité de promener les chiens, comment mener les chiens et la poursuite du gibier ;
3. En 21 chapitres, comment instruire les veneurs et la chasse à courre de divers animaux, pour chacun avec traque, poursuite, mise à mort et découpage : la chasse au cerf, celle qui est la plus belle et la plus honorable, la reconnaissance des divers pieds de cerf, analyse des fumées, observation du frayoir (lieu où le cerf frotte ses bois), chercher à vue le cerf avec un limier, les diverses zones où peut se trouver le cerf, entendre raire le cerf (son brame), la quête du sanglier et du cerf, comment écorcher et dépecer le cerf, les récompenses données au limier et aux autres chiens, idem pour le sanglier, la formation d’un bon valet de chiens (qui deviendra bon aide et page, avant de devenir un bon veneur), l’emploi des lévriers pour forcer le cerf qui a ses ruses pour échapper à ses poursuivants (très long et instructif chapitre). Ensuite, de façons plus brèves, indications pour le renne, le daim, le chevreuil, le bouc sauvage, le lièvre, les lapins, l’ours, encore le sanglier, le loup, le renard, le blaireau, le chat et la loutre.
4. Pièges, avec filets et engins divers et emploi de l’arbalète ou de l’arc (26 chapitres) : les haies, la fosse, les lacets, les dards projetés par une corde tendue au sol (Febus n’aime pas du tout ce procédé), les filets, la prise de loups par hameçonnage, l’art de tirer les bêtes avec un arc ou une arbalète.
Le lecteur remarque qu’il dispose ainsi d’un livre écrit par un praticien sachant être aussi un théoricien.
Le bon chasseur est avant tout un bon observateur. Il doit connaître son gibier, ses chiens et son territoire de chasse. Rarement, il s’engage en solitaire : il conduit une équipe où chaque personne a un rôle précis à tenir. La formation doit commencer dès le plus jeune âge afin d’acquérir une expérience qui ne cessera de grandir avec les années de pratique. Cet exercice est aussi une bonne préparation à la guerre : force, adresse, chevauchée, poursuite à pied en terrains variés, art de déjouer les ruses, reconnaissance concrète d’un pays.
L’aspect moral bénéfique de la chasse, meilleur antidote à l’oisiveté, est souligné dans le prologue. Chacun des chapitres est rédigé sobrement, sans artifice. Chaque animal est présenté de façon identique, claire et avec des détails précis, car observés. Il cite des croyances populaires en émettant des réserves ou en confirmant leur véracité. Ses descriptions d’animaux sont complètes : leurs amours, leur reproduction, les mœurs, leurs comportements face au chasseur. Il est passionnant lorsqu’on le suit lors de la recherche de l’anima : son pistage, son débusquage, sa poursuite, jusqu’à la curée et le dépeçage. Les détails sont d’une précision étonnante pour son temps. Les saisons, les paysages, les végétaux et le milieu aquatique sont dépeints avec réalisme.
Gaston a prêté son ouvrage et l’a fait circuler de son vivant : des correspondances en témoignent. Il demandait une caution importante pour son prêt : ceci signifie qu’il était enluminé.
Cet ouvrage a souvent été recopié, en se conformant à quatre manuscrits d’origines connues. Quarante-quatre manuscrits, dont 21 avec miniatures, sont répertoriés de nos jours. La Bibliothèque nationale française (BNF) en possède quatorze.
À la fin de cette conférence, vous pourrez voir le fac-similé d’un des plus beaux manuscrits, le BN 616. Toutes les images accompagnant cet exposé sont produites à partir de cet exemplaire.
Les détenteurs du msct BN 616
Un livre enluminé est un objet précieux. Nous savons que celui présenté ici a eu plusieurs possesseurs : Aymar de Poitiers, seigneur de Saint-Villier.
En 1525, il fait partie du butin de guerre lors de la défaite française à Pavie et il se trouve dans la bibliothèque de Bernard Clesius, évêque de Trente. La question s’est posée pour savoir s’il avait appartenu à François Ier, mais elle n’a reçu aucune réponse certaine.
Il est offert en 1530 à l’archiduc Ferdinand d’Autriche, le frère de Charles Quint.
En 1661, Louis XIV le reçoit des mains du marquis de Vigneau. Il est déposé à la Bibliothèque royale, sous la cote 7097. En 1709, il sort de la collection pour rejoindre la Bibliothèque du Grand Dauphin. Le duc de Bourgogne, à son tour Dauphin, en prit possession en 1711, mais, à sa mort en 1712, ce livre retourne au Cabinet du Roi. En 1726, le fils naturel de Louis XIV, est le Grand Veneur de France et comte de Toulouse : il reçoit l’ouvrage qui se trouve dès lors à la Bibliothèque du château de Rambouillet. En 1737, son fils, le duc de Penthièvres le remet à la famille d’Orléans et le roi Louis-Philippe l’a possédé. En 1834, il est au Louvre.
Lors de la liquidation des biens des Orléans en 1848, cet ouvrage est déposé à la Bibliothèque nationale.
Les enluminures
Ce traité comporte 87 enluminures qui datent du début du XVe s.. Une analyse attentive de celles-ci permet d’identifier plusieurs peintres.
Trois groupes d’artistes travaillent en trois étapes. Tout commence avec des dessins. Les attitudes et les gestes des personnages sont typiques du Bedford trend. Ensuite vient le travail de peinture qui se pratique en deux temps. Le premier se porte sur les personnages, les animaux, le mobilier et le cadre topographique (ciel et terre). Le second s’achève avec le décor végétal comme l’attestent les débordements sur les figures animées ou inanimées.
Les plus belles sont les ff 13, 50, 51 v et 54. Le caractère germanique de cette production est l’œuvre de Haincelin de Haguenau, premier peintre identifiable. Le folio 54 est un chef-d’œuvre. Febus apprend à ses hommes à corner et à huer. Remarquez les motifs damassés de la robe du comte de Foix, le gonflement des joues des sonneurs. Le folio 50 est réputé pour ce chien griffon au pelage bouclé, témoignage du style gothique que nous retrouvons dans toute l’Europe médiévale et qui a ses origines en Orient.
Les autres peintres appartiennent à l’atelier du maître des Adelphes du duc de Bedford, aussi appelé Maître de Bedford, un grand miniaturiste parisien. Ce courant stylistique s’identifie par des personnages pleins de vitalité et des scènes animées.
Les fonds sont variés. Une série de 14 fonds d’or guilloché. Le folio 107v, nous avons un fond d’or piqueté de petits points, dont l’alignement forme des rinceaux stylisés. Les scènes des ff 52 v, 53 v et 54 ont des fonds à ramages dorés, propres à l’Europe centrale. Nos artistes se sont probablement inspirés d’un manuscrit illustré par des enlumineurs avignonnais.
Le deuxième peintre se reconnaît dans le fol 73v. Les personnages sont bien différents et l’artiste joue avec la peinture pour accentuer tel ou tel aspect.
Le troisième peintre se distingue dans le fol 26v, avec les connils, les lapins. Cette façon de constituer un paysage est probablement du Maître d’Egerton.
Febus avait donné des consignes pour que les enluminures soient techniques et documentaires par les détails mis en valeur. Vous remarquez que les artistes ne jouent pas sur la profondeur. Nous sommes comme face à une tapisserie. Le but est d’instruire son lecteur aussi bien par le texte que l’image.
Le comte de Foix est revêtu de vêtements splendides, avec des couleurs vives, bordés d’or et ornés de parements de bijoux et de fourrures. Les motifs sont des lions, des paons ou des oiseaux étranges. Les miniatures ayant été composées une quinzaine d’années après la mort de Febus, on pourrait croire à une création fantaisiste des artistes. Cependant les témoignages écrits abondent sur la splendeur voulue de ses habits : une marque de son pouvoir et de sa richesse. Il est clair qu’il ne se rendait point ainsi à la chasse ! De plus, il vivait généralement de façon austère, sauf lors de fêtes et de réceptions exceptionnelles où il soignait ainsi son image.
À une première lecture du texte de nos jours, le plus difficile est de posséder toutes les expressions de vénerie. Ce vocabulaire spécifique une fois possédé, il vous est possible de revivre une chasse du XIVe s. comme si vous y étiez !
Gaston Febus prie Dieu
Livre des oraisons
Febus l’a rédigé dans la fin des années 1380 et il est donc âgé de 56 ans. Il l’a annexé à son livre de la chasse. Nous les trouvons associés dans deux manuscrits le BN 616 et le BN 1292. Il s’agit de 36 prières majoritairement en français, les trois premières étant écrites en latin. Il s’agit d’une confession dans l’esprit de saint Augustin et une adaptation personnalisée de prières proposées par saint Anselme. L’Abbé de Madaune a publié son contenu en 1893.
Il entend proclamer un acte de repentance, mais il n’explicite pas la ou les fautes de façon précise. Les spécialistes s’interrogent pour savoir s’il sous-entend la mort de son fils ou une autre faute et, si oui, laquelle ?
Une mort tragique ?
Le rejet d’une épouse et la mort de son fils ?
La vérité sur les circonstances exactes de la mort de son fils ne sera probablement jamais établie. Elle est entourée de mystère et Froissart nous a transmis ce qu’il a pu entendre à ce sujet. Est-ce la version juste ?
Le seul héritier officiel est né treize ans après le mariage, ayant uni Agnès et Febus. Né en septembre 1362, ce fils se prénomme aussi Gaston. Deux demi-frères, Yvain et Bernard, nés hors mariage, le précèdent. Trois mois après sa naissance, sa mère Agnès, en décembre 1362, est répudiée pratiquement : elle doit quitter Orthez avec un minimum de bagages. Febus invoque le non-payement ponctuel de la dot, ce qui est vrai, pour justifier son acte. Elle se réfugie chez son frère Charles II de Navarre. La raison véritable nous échappe et il y a des hypothèses émises par ses contemporains et les historiens, sans que l’on puisse conclure avec certitude sur la validité de l’une ou de l’autre. J’y vois une incompatibilité d’humeurs et charnelle, le plus probablement : une répugnance physique et une antipathie foncière forment une union explosive pour la désunion d’un couple.
Odon de Mendousse, évêque de Lescar
Dès 1378 et surtout en 1380, ce membre éminent du clergé local se met à la tête d’un complot contre Gaston III. Il réunit les barons du Béarn, comme le baron d’Andoins, mécontents du fait que des fonctions administratives soient accordées à des non-nobles. Charles II de Navarre, dit le Mauvais, travaille à susciter des ressentiments contre celui qui a été son beau-frère : une façon assez fréquente de pratiquer le "Aimez-vous les uns les autres comme des frères !", mais à la façon de Caïn ! Il est quasiment certain qu’il n’hésitait pas à empoisonner toute personne pouvant le gêner : la plus radicale réduction au silence.
Ressentiment ou manipulation ? L’héritier officiel, tant attendu par son père, est insatisfait du sort que lui réserve son paternel. Il estime n’être qu’un pion entre ses mains. Il se considère comme bien moins traité que ses demi-frères.
Âgé de 18 ans, influencé par son oncle Charles, il doit administrer une poudre empoisonnée dans le plat de son père. Entre fin juillet et début août 1380, il est démasqué sans parvenir à ses fins. Il est curieux que l’évêque Odon de Mendousse et le baron d’Andoins partent immédiatement en exil chez Charles II de Navarre qui leur a versé différentes sommes d’argent, pour services rendus, mais lesquels ?
Incarcéré au château de Moncade à Orthez, le jeune Gaston observe une grève de la faim.
Les uns disent que Febus a tué son fils par accident en voulant le forcer à avaler de la nourriture, d’autres qu’il l’aurait tué dans un accès de colère : un coup de sang, sa nature impérieuse ayant augmenté avec l’âge. Pourtant, il existe de nombreux témoignages de sa grande maîtrise en des circonstances difficiles !
Quant au fils mort, certains disent qu’il savait qu’il allait administrer un poison mortel, d’autres disent qu’il aurait été abusé par Charles de Navarre qui lui aurait fait croire qu’il donnait un philtre d’amour à son père, pour renouer les liens charnels entre Agnès et Febus… Naïveté ou même stupidité ? J’ai peine à le penser. Cette page d’histoire nous reste mystérieuse sans plus de témoignage fiable.
Une autre faute ?
Claudine Pailhès dans son livre suggère une autre piste que je vous soumets, mais sans trop y croire. Elle suggère un lien particulier de nature homosexuelle entre le duc de Bourgogne et le comte de Foix. La prière V pourrait le suggérer, mais il est usuel dans les confessions de s’accuser de toutes les fautes que les Psaumes rapportent : l’intention ou l’idée, sans suivi d’acte, pouvant être déjà un crime. Elle s’étonne d’une cour exclusivement masculine lors de la visite de Froissart à la cour d’Orthez Or Froissart a assisté à une commémoration de la bataille de Launac, genre de cérémonie réunissant les hommes de guerre plutôt que la gent féminine, plus sensible à une manifestation musicale.
Mme Pailhès tente d’apporter un portrait psychologique de notre Béarnais, c’est oublier qu’il est impossible de percer les secrets d’un cœur d’une personne ayant vécu il y a cinq siècles. Autant, je lui accorde totale confiance sur les faits qu’elle retrace, autant je reste dubitatif sur son analyse psychologique. Avec les documents disponibles de nos jours, nous pouvons tout au plus repérer des traits de caractère et c’est déjà bien. Ayant lu de nombreuses confessions rédigées en cette fin du Moyen Âge, je ne crois pas qu’il faille la suivre sur cette piste, sans éléments plus probants à ma connaissance.
Les oraisons
Les spécialistes s’accordent à identifier deux sources : les prières monastiques d’Anselme (1033-1109) dans ses "Meditationes" et de Jean de Fécamp (~990-1078) avec son "Soliloquia" et son "Manuale", tous deux ayant été inspirés par saint Augustin et ses "Confessions". L’adaptation a consisté à transformer une prière collective de repentance en une prière individuelle.
Gaston de Foix a sélectionné des prières et, à ce titre-là, il y a un grand intérêt à les connaître. Il les a appliquées à son expérience de vie, en y incluant des faits plus personnels (surtout dans les trois premières). N’allez pas croire que vous trouverez à leur lecture des détails croustillants de la presse-people de notre temps ! Non, elles sont calquées sur les Psaumes, selon les prescriptions de l’Église romaine.
L’originalité de ce livre est d’avoir été écrit par un aristocrate de haut rang. Nous y lisons une profession de foi, des actions de grâce pour les bienfaits reçus (victoire, force, etc.), l’expression des regrets quant à des fautes de jeunesse, des appels à la miséricorde de Dieu, l’affirmation d’une totale confiance en Dieu et à sa justice, des demandes à l’Esprit saint de lui ouvrir l’intelligence et une claire reconnaissance de la Sainte Trinité.
Quelques extraits vaudront plus que de longs propos :
Prière 2 :
"Elle est grande, la miséricorde de Dieu, et grande est sa puissance. Car il n’y a personne espérant fermement en Lui qu’Il abandonne en quelques égarements que ce soit. Je sais de par moi-même, Seigneur, à qui, dans mon grave état de péché, votre pitié est venue grandement en aide."
"Dans votre miséricorde vous m’avez préservé et m’avez tiré de grandes tribulations."
"Je sais bien que vous êtes juste, c’est pourquoi j’espère fermement en vous."
Prière 5, d’où est venue, sans doute, l’idée de l’hypothèse Mme Pailhès qui oublie les enfants hors-mariage de Febus :
"À Toi Seigneur, je reconnais les secrets de mon cœur, à Toi, je confesse mes péchés et les laideurs de mon cœur. Certainement j’ai péché plus durement que Sodome et j’ai plus fauté que Gomorrhe…
Aussi je viens vers Toi, Seigneur, avec grande tristesse de cœur, une grande contrition à travers des pleurs et des larmes."
Prière 7 :
" Ô Lumière, bienheureuse Trinité, et principale Unité. Accrois en moi la foi. Accrois mon espérance. Accrois ma charité. Délivre-moi Seigneur et que la bien heureuse Trinité me rende juste, qu’Elle délie les crimes, qu’Elle pardonne les péchés."
Gaston Phoebus, Jean-Claude Drouot
Le film "Gaston Phébus, le lion des Pyrénées"
Jean-Claude Drouot, qui a débuté avec la série de Thierry la Fronde, y incarne le comte de Foix qui a pour frère Guilhelm, joué par l’excellent Georges Marchal (qui a interprété aussi le Marquis de Bois-Doré, titre du roman du même nom de George Sand). Le film a été réalisé en 1963 par Bernard Borderie. La trilogie de Myriam et Gaston de Béarn a servi de base à l’intrigue.
Ce film dépeint un Febus colérique, assoiffé de vengeance envers Agnès de Navarre qui aurait provoqué l’empoissonnement de Myriam, l’amour depuis l’enfance de Gaston : à son profit, Charles de Navarre aurait chargé un ménestrel de remettre entre les mains de Myriam un luth lui occasionnant une piqûre mortelle. Le mariage de Gaston avec Agnès n’aurait eu lieu que pour la soumettre à une torture psychologique. Son intention se retourne contre lui et le conduit à tuer par mégarde son fils hémophile. Trahisons, scènes de combat, intrigues amoureuses, festins excessifs sont les ingrédients usuels de ce genre de film. Celui-ci est plaisant, mais éloigné de la vérité historique. Alexandre Dumas n’a pas fait mieux. Le film présente des clichés d’une cour médiévale certainement pas aussi rustre qu’on voudrait nous le faire croire.
Pour ma part, l’histoire réelle est plus passionnante que n’importe quelle fiction ! L’idéal chevaleresque ordinaire au XIVe s. est indéniable chez notre seigneur de Béarn.
La mort de Gaston Febus
Un mardi 1er août 1391, âgé de 60 ans, il est de retour de chasse. Il se lave les mains pour s’attabler et, frappé d’apoplexie , il tombe au sol et meurt peu de temps après. Le lendemain, il est porté et enseveli dans le couvent des Frères Prêcheurs d’Orthez.
Il est très curieux, selon moi, que cet homme, si soucieux d’une bonne administration de ses territoires,n’ait pas rédigé de testament. Certes l’héritier officiel était mort, mais il avait trois enfants naturels qu’il a reconnus et aimés de son vivant : Bernard, Yvain et Gratien.
Phœbus avait prévu que sa vicomté revienne au roi de France. Pour des raisons politiques, celui-ci la refusa. Selon les lois en vigueur, le petit-neveu, fils du neveu détesté par Febus, reprit la succession, à l’âge de 14 ans, en se faisant correctement brider par les communautés et les seigneurs locaux.
Le bal des ardents
Yvain de Béarn se rendit à la cour de France. Le roi Charles VI aimait les spectacles. Le 28 janvier 1393, lors d’une fête pour le mariage d’une dame de la reine, déjà deux fois veuve, le roi et cinq proches dont Yvain se déguisèrent en "sauvages". Leurs vêtements étaient enduits de poix, sur laquelle des poils hirsutes avaient été collés. Ils dansaient en tout sens en faisant des mimiques pour la joie de tous. La consigne avait été donnée de ne pas allumer de torche. Sauf que le duc d’Orléans arriva sans en être informé. Il voulut reconnaître le roi et approcha une torche qui mit le feu aux sauvages attachés entre eux. Le roi fut sauvé par la duchesse de Berry qui le recouvrit de sa robe. Un autre put plonger dans un baquet d’eau. Yvain cria qu’il fallait sauver le roi, mais lui, mourut de ses blessures, deux jours plus tard et dans de grandes douleurs.
Gratien se rendit à la cour de Navarre. Avec le duc de Bourbon, il a pris part à une expédition sur Tunis qui fut un échec. Rapatrié sur la Sicile, il est probable que Gratien fut enterré en l’église Sainte-Agathe de Catane, le 6 septembre 1394.
Bernard est le seul à avoir eu une postérité. Installé en Castille, il devint comte de Medinaceli. Il épouse Isabel de la Cerda. Son fils Gaston fut légitimé par le Pape, mais ne voulut pas porter le titre de Foix. En 1479, les descendants devinrent ducs et il y eut une ligne directe jusqu’en 1711.
Cent cinquante plus tard, au château de Pau, un jeune Henri de Navarre courait dans le château : c’était le futur Henri IV, aussi un roi de légendes…
Conclusion
En quelques minutes, je vous ai retracé les éléments saillants de cette vie de Febus. Son sens diplomatique, politique, stratégique et militaire mérite d’être souligné.
Proche de son peuple, il privilégiait les compétences plutôt que les titres. Il n’hésitait pas à écouter les doléances et à juger selon la justice, et non selon des règles évoluent en fonction des circonstances. Il avait un profond respect des droits coutumiers. Le peuple l’aimait, car il leur a assuré la paix autant que possible. Protecteur des arts, il a favorisé des traductions d’ouvrages savants de son temps. Il a su traiter de la chasse de façon vivante et pertinente.
Trois aspects forts de sa politique mériteraient de plus grands développements :
Les pages les plus sombres de l’histoire ont été écrites avec le sang des hommes. Les peuples honorent les guerriers pour la paix qu’ils procurent et haïssent les mercenaires, devenus soudards vivants du pillage, du viol et pratiquants des tortures. Febus a démontré sa puissance militaire pour ne pas devoir s’en servir et rallier des communautés désireuses de bénéficier de sa protection.
Son pragmatisme politique s’est concrétisé en une forme de neutralité. La neutralité n’est pas un idéal ou un objectif, mais uniquement un moyen de défendre les intérêts propres à un ou des territoires, en refusant l’engrenage mortifère de jeu d’alliances automatiques.
Febus est à la fois un seigneur féodal et un souverain moderne : féodal quand il sert de façon limitée le roi de France pour sa vicomté de Foix ; moderne quand il s’affirme le souverain de Béarn ne devant hommage à aucun roi. Vous voyez qu’il est possible d’accomplir du "en même temps" de façon intelligente et non d’une manière contradictoire et donc stérile.
Il nous a permis de nous réunir ici pour en parler ce soir et je vous remercie de votre attention.
Antoine Schülé
antoine.schule@free.fr
Pour les personnes qui le souhaitent, je vous présente trois fac-similés, en plus du "Livre de la chasse " de Gaston Febus.
Le fac-similé est la reproduction exacte de l’original, avec ses défauts, ses transparences d’encre ou de couleur à travers une page par exemple ou des taches, des coupures, des ajouts tardifs portés sur l’original… Certaines éditions reproduisent aussi la reliure d’origine à l’état initial.
Bestiaire
Un Bestiaire de la Bibliothèque bodléienne d’Oxford qui date de la fin du XIIe s. et du début du XIIIe s. Les miniatures ont été réalisées séparément du texte. Il contient 131 enluminures, dont 6 en pleine page.
Le texte a sa source dans un "Physiologus" latin, complété par diverses sources ultérieures : nous sommes face à une sorte de compilation. Il s’agit d’un traité didactique sur la signification allégorique, religieuse et morale des animaux mentionnés dans la Bible, selon un écrit grec du IIe s. Ouvrage typique de ce que certains appellent la Renaissance du XIIe s.
Apocalypse.
L’art chrétien a mis du temps à illustrer ce livre de saint Jean. Il a fallu attendre le Ve siècle.
Saint Augustin, s’inspirant de commentaires de son temps, a souligné qu’il ne s’agissait pas d’une vision dramatique de la fin des temps, mais d’une image allégorique de l’Église : de sa fondation, de la Résurrection, à son accomplissement final qui est le retour du Sauveur. L’histoire de l’Église devait être une longue pérégrination : elle le fut, elle l’est et le sera encore. Le triomphe du Christ n’est pas le temps présent, mais le règne du Christ à tout jamais. L’Église du Ciel n’a pas être confondue avec l’Église terrestre.
L’intérêt de cet ouvrage est d’y trouver des enluminures et des miniatures inachevées. Ceci nous est très utile pour comprendre le travail de l’artiste ou des artistes : une miniature se réalisait à plusieurs mains parfois. Nous avons le dessin initial, le peintre et le peintre en lettres. L’or était appliqué en premier pour être poli ensuite sans abîmer les autres couleurs.
Le texte latin a été écrit en premier et les miniatures dessinées par après. Il y a des ajouts de texte en français.
Cet exemplaire de 61 pages a été réalisé pour Édouard ou Eléonor de Castille vers 1261. Les enluminures sont d’un artiste de Canterbury, travaillant pour Édouard Ier. Il semblerait que le travail se soit réalisé en deux temps ou avec une finition inachevée par une autre main. Il y a toute une querelle de spécialistes pour élucider cette question, mais, pour nous, il est juste utile de percer les secrets de la réalisation avec ce que nous voyons.
Le livre du Roi Modus et de la reine Ratio
Ce livre de 105 pages, rédigé en 1370, est une copie avec des enluminures de la fin du XIVe s. Ce manuscrit a été établi pour Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Sa présence est attestée dans sa bibliothèque dès 1467. En 1536, il est dans celle de Charles Quint.
Son auteur est Henri de Ferrières, un Normand. L’ouvrage se partage en deux sections : 1, la chasse à courre (les deduits que l’on a des chiens) ; 2, la chasse au vol (de fauconnerie et du deduit des oiseaux).
De nos jours, 9 manuscrits ont été répertoriés. Le plus ancien est de 1379. (le BN 13 399). Celui-ci en fac-similé est le plus récent. L’original se trouve à la Bibliothèque royale de Bruxelles et il a dû être composé entre 1450 et 1460. Les enluminures sont de Maître Girart de Roussillon.
Nous retrouvons cette didactique de l’illustration, mais les fonds sont plus vivants, plus naturels. L’objectif est de donner une vision exacte des méthodes employées pour lever le gibier et construire des pièges. Voir les : fol 56 v le piège à chevreuil ; fol15r, le pique-nique des chasseurs avant de se mettre à l’œuvre ; fol 61 r, les fauconniers devant le roi Modus.
L’artiste n’est probablement pas un chasseur : il utilise des modèles techniques que chacun d’entre eux reproduit. Son originalité se révèle dans le décor de fonds ou le soin qu’il apporte à un détail de l’animal (le pelage par exemple) ou à l’homme (gonflement des joues de celui qui corne ; les cheveux flottant au vent lors d’un galop, etc.).
Dans "Le livre de la chasse" de Febus, il y a une dynamique surprenante dans diverses scènes. Il n’y a plus cette fixité du Bestiaire. Dans l’Apocalypse, la finesse des traits et des plis de vêtement mérite l’attention.
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