mardi 4 juin 2019

Lecture critique du Traité d'athéologie de Michel Onfray.



A propos du “Traité d’athéologie” de Michel Onfray


Antoine Schülé, La Tourette, 22 avril 2019


En 2005, ce livre paraît et les lumières des media se braquent sur Michel Onfray, immédiatement promu le pape des athées, le nouveau messie post-chrétien. Il est encensé, loué, adoré et son traité est déclaré être le nouveau catéchisme des athées. Ainsi pour certains disparaissent les vérités des Évangiles pour entendre enfin cette vérité que détiendrait Michel Onfray, au nom de la philosophie, sa déesse mère. Les journalistes et critiques, autorisés de la bien-pensance et en charge d’instruire le public, surenchérissent : « Il démystifie les religions. », « Il alimente un matérialisme joyeux. », «Il offre un athéisme argumenté, construit, solide et militant. » .

Depuis la parution de cet ouvrage, il est invité très souvent sur les chaînes de radio et les plateaux de télévision : il donne son avis sur tout et même, parfois, sur ce qu’il ignore de toute évidence. Après l’avoir entendu et en lisant des articles où il est cité régulièrement comme une référence incontestable, je me suis décidé enfin à lire son « Traité d’athéologie », afin de me faire une opinion personnelle que je vous partage en cette communication : durant soixante minutes, je vous livre mes impressions et conclusions de lecture en tant que historien et passionné de spiritualité, pas uniquement chrétienne d’ailleurs1.

A) Brève esquisse de l’athéisme

Un athéisme nouveau ?

Le public contemporain s’excite quand il entend le qualificatif de « nouveau, nouvelle » accolé à une notion, sans s’interroger s’il s’agit véritablement de quelques chose de nouveau. Ce qualificatif est très souvent de nos jours soit une façon de faire avaler une vieille soupe dans laquelle quelques ingrédients sont jetés pour tromper les sens, soit pour promouvoir un produit de lessive ou de cosmétique dont l’emballage est nouveau d’apparence mais dont les éléments de base restent les mêmes. Les media, et non Michel Onfray2, ont voulu présenter son athéisme comme un phénomène nouveau au XXIe s. alors qu’il est fort ancien et a connu différentes expressions au cours des millénaires.

L’athéisme existe depuis 2 500 ans au moins et de façon certaine. En Grèce et en Inde, soit 1 000 ans avant Jésus-Christ, de multiples attestations peuvent être réunies. Le XXe s. a connu un athéisme plus spécifique avec le marxisme qui est né au siècle précédent et qui ressuscite sous différentes formes, pour nier l’existence de Dieu, comme de nombreux écrivains, à la mode et inscrits dans les programmes scolaires et universitaires, se complairont à le proclamer.
Le terme d’athée est employé à tort parfois pour désigner une personne adoptant des distances plus nuancées quant à l’existence ou la non existence des dieux ou de Dieu : un agnostique, un matérialiste ou un sceptique n’est pas obligatoirement un athée. Entre le refus de croire en un dieu et le rejet complet de dieu, il y a des gradations, des nuances à percevoir. Il y a plus que l’athéisme, il y encore l’antithéisme dont Michel Onfray est un représentant.

La référence antique incontournable se situe au Ve s. et IVe s. avant Jésus-Christ, avec Démocrite qui diffuse ses idées à l’occasion de ce grand débat, qui agite les philosophes, sur le vide et le plein. Sa théorie sera adoptée par les atomistes : l’univers est un ensemble de particules insécables et se réduit à un mouvement de matières dans le vide. Ce constat est à portée limitée mais d’autres que lui y donneront des conclusions que Démocrite n’aurait peut-être pas approuvées. Comme art de vivre, il prône la modération et la sérénité qui passe par la recherche d’un équilibre intérieur en harmonie avec l’extérieur3 : ce qui ne sera pas le cas de tous ceux qui revendiquent sa pensée. Karl Marx, en 1841, le place comme le précurseur du matérialisme moderne avec Épicure que cite souvent Lucrèce dont la redécouverte est due au clergé médiéval, n’en déplaise à Michel Onfray.

De quelques distinctions à établir

Avant de poursuivre, il est nécessaire de distinguer, en plus de la simple indifférence, plusieurs formes d’attitude face à la religion ou à l’existence comme à la non-existence des dieux ou de Dieu.

Le sceptique pose en principe de base qu’il est impossible de connaître pleinement toute chose (il peut y avoir ainsi une acceptation tacite d’un mystère). Il croit en son expérience sensible et, s’y limitant totalement, il ne forme aucun jugement sur ce qui échappe à ses sens ou à ses expérimentations, y compris dans le domaine religieux où il ne cherche même pas à douter : il se déclare incompétent pour affirmer quoi que ce soit à ce sujet.
L’exemple type, du VIe s. avant J.-C., est Xénophon de Colophon qui justifiait cette optique  : « Aucun homme ne sait et ne saura jamais de certain concernant les dieux. »

L’athéiste nie l’existence de Dieu et ce mot apparaît au XVIe siècle.

L’agnostique, terme lancé par Thomas Huxley en 1869, est presque un synonyme du sceptique : tout ce qui dépasse le domaine de l’expérience est inconnaissable ; il cultive le scepticisme scientifique.

Les fruits de ces croyances, car elles sont aussi des croyances, en sont divers avec des nuances plus ou moins fortes : l’amoralisme4, le pragmatisme, l’individualisme et l’instinctivisme.

L’antithéiste est celui qui combat toute croyance en Dieu car, selon son jugement, cette croyance est une atteinte à la liberté humaine.

Michel Onfray est un antithéiste acharné qui exploite tout ce qu’ont pu écrire les sceptiques, les agnostiques et les athées qu’il a pu répertorier sur un long espace temps et à qui il reproche de ne pas être devenu des antithéistes combattants. Aussi curieux que cela puisse paraître, il est devenu un militant de sa croyance contre toutes les autres croyances qui, selon lui et à des degrés divers, ne sont que des falsifications, des illusions, des aliénations et des moyens d’exploiter autrui de façon nuisible.

Selon les religions polythéistes et monothéistes

Pour les polythéistes, les athées étaient les monothéistes comme les Juifs et les Chrétiens. Au temps de l’Empire romain, il y a un aspect politique à ne pas ignorer : si César n’est plus un dieu, il y a une contestation de sa légitimité politique et refuser de l’honorer comme un dieu mérite donc la mort.

Pour les premiers Chrétiens étaient athées tous ceux qui ne croyaient pas au seul vrai Dieu qui s’est révélé en prenant l’humanité de Jésus par la force de l’Esprit Saint.

Dans l’Ancien testament, les athées, considérés comme des impies ou des fous, sont ceux soit qui affirment qu’il n’y a pas de pouvoir de Dieu sur la terre, soit qui sont fidèles à d’autres dieux (idolâtres) :

Deux psaumes sont explicites :

Ps 10, 4-7 :
« Dans sa suffisance, l’impie ne cherche plus :
« Il n’y a pas de Dieu. », voilà toute son astuce.
Sa réussite se confirme en tout temps,
là-haut tes sentences sont trop loin de lui ;
il crache sur tous ses adversaires. »5

Ps 14,1-3 :
« Les fous se disent : « Il n’y a pas de Dieu ! »
Corrompus ils ont commis des horreurs ; aucun n’agit bien.
Des cieux, le Seigneur s’est penché vers les hommes,
pour voir s’il y en avait un d’intelligent qui cherche Dieu.
Tous dévoyés, ils sont unis dans le vice ;
aucun n’agit bien pas même un seul. »6

Il y aurait bien d’autres citations à produire pour exprimer la même chose mais les deux extraits ci-dessus permettent de situer l’interrogation des hommes sur un autre plan que celui de Démocrite (le vide et le plein).
En effet, pourquoi l’homme, à travers le temps et dans ses écrits, s’interroge sur l’existence ou la non-existence de Dieu ? Répondre à cette question, c’est comprendre comment des personnes ont adopté l’athéisme ou une forme d’antithéisme, violente par les mots, sectaire s’opposant à toute croyance religieuse et pouvant conduire à la haine ordinaire : la christianophobie avérée qui se propage à grande vitesse de nos jours en témoigne.

Pourquoi s’interroger sur l’existence ou la non existence de Dieu ?

Tous les peuples ont développé une perception du Bien et du Mal. Tout homme a une idée sur ce qu’il entend sous ces deux mots7 car il a une propension naturelle à rechercher le bonheur et à refuser le malheur. « Mais pourquoi existe le Mal ? » est la question qui le taraude. Et l’interrogation qui suit naturellement : « Dieu8 a-t-il créé le Mal et donc la mort ? ». 
Toutes les religions se posent ces questions et les athées s’interrogent de même, tout en niant l’existence de Dieu. Pour quelques-uns, l’existence du mal les conduit à démontrer que Dieu n’existe pas  : pensez à Camus. Pour lui, si le mal existe et que Dieu n’intervient pas, cela signifie que Dieu est inacceptable ou qu’il n’existe pas… Un Dieu parfait ne pourrait pas tolérer le mal dans un monde créé par Lui…

Les religions ont donné différentes réponses qu’il est impossible d’énumérer ici. De façon générale, pour les hommes, elles répondent à leur besoin d’une rétribution sur terre qui, pour le dire simplement, récompense le bien et punit le mal : à défaut d’une justice humaine, ils veulent une justice divine. Par exemple, en Inde ou en Égypte, il y a une certitude quant à des incarnations en d’autres vies, pouvant être animales, qui varieront en mieux ou en pire, selon la vie présente menée sur terre.

LAncien testament apporte ses réponses principalement dans deux livres qui intéressent directement notre sujet : Job et l’Ecclésiaste (appelé aussi le Qohéleth). Ils traitent du doute, allant jusqu’au désarroi, et de la foi, qui est victorieuse quand elle bien ancrée en l’homme. Il y a un mélange d’espérance et de désillusion. Nous y trouvons de nombreux paradoxes qui symbolisent les complexités de la vie9. Il est possible de faire des liens avec la pensée égyptienne et mésopotamienne (exprimée dans deux œuvres respectivement : Dialogue du désespéré avec son âme et Théodicée babylonienne).

Le Coran affirme que Dieu récompense les croyants, si ce n’est pas en ce monde, c’est dans l’autre : celui de la vie après la vie. Pour les musulmans, les non-croyants sont les idolâtres que sont soit les hétérodoxes, dont les Chrétiens avec Dieu trinitaire, soit les athées. L’incroyance mène au libertinage.

La littérature médiévale aborde longuement le problème du mal et, si vous le souhaitez, je pourrais vous parler une fois des Goliards qui en ont fait un de leurs thèmes favoris. La foi n’est pas uniquement celle du charbonnier : des grands auteurs chrétiens, dont les Pères de l’Église qu’Onfray dénigre systématiquement, ont apporté de magnifiques réponses faisant appel à l’intelligence et à la raison. D’Augustin à Thomas d’Aquin, il a été démontré que foi et intelligence, foi et raison pouvaient parfaitement se concilier. La foi chrétienne est une acceptation du mystère de Dieu qui n’a nullement empêché des prêtres, encore jusqu’à nos jours, à effectuer d’importantes découvertes scientifiques10 ou historiques.

Le christianisme a été un « platonisme à l’usage du peuple ». Il se caractérise par un refus de cet orgueil intellectuel qui veut nier l’acceptation des limites de l’intelligence humaine. Il y a une mise en évidence que chaque être humain est complexe : chaque corps est un univers en soi. Notre intelligence n’est pas le fruit d’une réaction chimique : notre intelligence dépend d’une volonté qui ne dépend pas du corps mais de l’esprit. L’esprit se perçoit par l’intelligence et non au moyen d’un microscope. C’est la curiosité de l’homme pour l’extérieur qui lui a permis de découvrir le monde : ainsi sont nées les grandes découvertes, les grandes avancées scientifiques. Un exemple : D’abord l’homme a regardé le ciel et les découvertes en astronomie ont précédé celles de l’anatomie.

D’un athéisme individuel à un athéisme collectif

Depuis Louis XIV et plus spécialement en lisant Bossuet, nous découvrons que les personnes se déclarant athées sont souvent des libertins : pour pratiquer d’autres mœurs non admis par tous, ils voulaient s’affranchir des principes de l’Eglise. Les décennies s’écoulant, ceci se confirmera de plus en plus et le sommet sera atteint avec Donatien Alphonse François de Sade11 (1740 - 1814), au XVIIIe s., le siècle de référence pour Michel Onfray. Notez bien que nous sommes à ce moment-là uniquement face à un athéisme individuel, librement choisi.

Au XIXe s., Auguste Blanqui (1805-1881), le concepteur du communisme utopique, met en valeur un athéisme social et son slogan fameux, qui résonne encore dans nos rues, est : « Ni Dieu, ni maître ». Et cette formule s’épanouira en deux révolutions majeures du XXe s., au nom du communisme12 : la révolution russe en 1917 et la révolution chinoise en 1949. Chacun sait combien la liberté individuelle et même de conscience ont été sacrifiées, au pire, par des condamnations à mort, pour le souverain bien du peuple et, au mieux, par des emprisonnements, en vue d’une rééducation nécessaire13.

L’athéisme officiel, imposé à tous de façon dictatoriale, supplante l’athéisme individuel et devient une religion d’État et de l’État (une forme moderne d’idolâtrie14 : l’État devient l’être suprême). Une religion autre que celle-ci est dénoncée dès lors comme étant une superstition à éliminer.

La Révolution de 1789, en France, a servi de modèle. Les religieux ont été considérés comme des oisifs, des immoraux et des asociaux : ils sont donc des ennemis des masses laborieuses15. Il convient donc soit de les éliminer, soit de les rééduquer. Cette solution finale, née en septembre 1789, qui a reçu une caution légale16 le 17 août 1792, a été la Terreur où des religieux et des croyants aussi bien paysans, ouvriers ou nobles, aussi bien femmes qu’enfants, ont été guillotinés après des procès expéditifs.
En Vendée, il y a eu de véritables massacres au nom de la République mais il ne faut pas en parler car ceci nuirait aux « valeurs républicaines ». Oui, sur cette page écrite dans le sang, il y a un travail de mémoire qui reste encore à s’accomplir ! Il règne encore un racisme qu’il convient de dénoncer : le racisme victimaire. Il y a des victimes qui ont droit à la mémoire et des victimes dont les souffrances sont couvertes d’une chape de plomb soigneusement entretenue par les idéologies dominantes.

Il est nécessaire de se souvenir de ces faits historiques, passés sous silence
  • par ceux qui veulent accuser les religions d’être des causes de massacres alors qu’en fait des religions ont été instrumentalisées parfois par des politiques : ce qui n’est pas la même chose !
  • par ceux qui prétendent que l’athéisme, toujours plus dominant depuis la fin du XIXe s., est la panacée universelle pour éviter les guerres : le XXe siècle est éloquent en la matière !

Regardez dans nos actualités récentes où les valeurs chrétiennes sont mises de côté depuis les années 60, toutes ces guerres, y compris celles d’ingérences17, faites et justifiées aux noms de la démocratie et de la liberté, servant, utilement et ce n’est pas un hasard, les intérêts des États-Unis qui décrètent ce qui est bon et mal pour tous les peuples de l’univers !  Oui, la mentalité vétérotestamentaire prédomine : il y a une manipulation d’un fond religieux ayant été rendu manichéen, au profit du pouvoir économique. Or c’est la quête du profit qui commande et non la quête de Dieu. Même l’Europe, aussi sa partie s’affirmant laïque, s’incline face à la puissance nucléaire et économique que représente cet état qui mène sa guerre commerciale à outrance, depuis les années 1950, comme peut le constater celui qui veut bien ouvrir les yeux. Le dieu matérialiste qu’est le dollar n’a rien à voir avec le Dieu des Chrétiens.

Les nuances d’athéisme actuel

Alors, sommes-nous véritablement face à un athéisme nouveau ? Non, l’athéisme prédominant de nos jours a des couleurs plus nuancées car il est le résultat d’un mélange assez curieux : vous avez des athées à teinture chrétienne, sous couvert d’une morale laïque, et des chrétiens incrédules, de plus en plus nombreux, qui révèlent dans leurs vies comme dans leurs propos une méconnaissance totale de leur foi18 quand ce n’est pas tout simplement un pur abandon de la foi et des valeurs qui s’y attachent. Ils vivent un athéisme sans en prendre conscience ! Je ne traite pas, en plus, des chrétiens hypocrites dont les lèvres sont trahies par les actes19 : il y a trop de cas patents en ce triste temps mais ils ne doivent pas occulter tout le bien vécu et rayonné par une majorité de Chrétiens sincères et engagés pour faire connaître la vérité du message de Dieu dans les Évangiles !

Le libertinage du XVIIIe s. a été remplacé par l’hédonisme20 dont l’apologie est faite par Michel Onfray. Pour d’autres que lui, il n’y a pas toujours un refus immédiat du divin mais il se constate des pertes de repères soit qui favorisent la renaissance de sectes, encadrant et enfermant leurs adhérents, soit qui poussent les hommes à un individualisme forcené21 (le « moi » domine, le « moi » envahit tout, le « moi » ignore l’autre, le culte du « moi »22).

B) Arguments de Michel Onfray

Socle philosophique

Mais revenons à Michel Onfray et à son traité où il mentionne très clairement ses sources d’inspiration. Lorsqu’il affirme que la religion est une aliénation religieuse, il reprend l’idée de Ludwig Feuerbach (1804-1872) développée dans un livre intitulé « L’essence du christianisme ». Pour ce dernier, la religion est un faux idéal, complètement éloigné du réel. Sa pensée sommairement résumée est la suivante : l’homme projette en Dieu les perfections ou qualités qu’il désire mais qu’il ne dispose pas en plénitude23. Il conclut qu’il appartient à l’homme de découvrir en lui ses qualités et de ne pas les attribuer à Dieu car ce serait une aliénation. Feuerbach s’est intéressé à la théologie car il a lu saint Augustin et Luther et se considère comme un disciple de Hegel.
Sa pensée conduira plusieurs de ses disciples à un humanisme athée, ce premier palier qui a conduit ensuite d’autres suiveurs, au nihilisme, avec par exemple Nietzsche24 (1844-1900) qui proclamera la mort de Dieu, alors que d’autres, plus tard, annonceront la mort de l’homme.

En France et quant à cette idée majeure de Feuerbach, la référence initiale au XIXe s. reste Auguste Comte : son Cours de philosophie positive25 (1830-1842), développe l’idée26 que l’humanité connaît trois stades ou évolutions : le stade théologique est le stade de l’enfance27, le stade métaphysique est celui de l’adolescence, le stade scientifique qu’il dénomme positiviste, est celui de l’adulte.
Ainsi est née cette conviction d’un progrès pouvant résoudre tous les problèmes de l’homme du XXIe s. Celui-ci est-il plus heureux ? Lorsque je voyage et observe les passants, lorsque j’écoute les uns et les autres, j’en doute fortement ! Il règne plutôt une forme de désespérance inquiétante.

Karl Marx, dans sa « Critique de la philosophie du droit de Hegel » (1844) avait déjà repris cette idée de Feuerbach avec d’autres nuances. L’espérance religieuse est la suprême consolation, le bonheur illusoire du peuple qu’il exprime en cet extrait dont la dernière phrase est connue : « La religion est le soupir de la créature accablée, le cœur d’un monde sans cœur comme elle est l’esprit d’une existence sans esprit. Elle est l’opium du peuple. ». Retenons que Marx n’est pas entièrement négatif face à la religion car la spiritualité qui en découle peut éloigner du Dieu-Argent. La religion est considérée par lui tout au plus comme un antidépresseur utile pour certaines personnes. Sa philosophie le conduit à une lutte politique contre une société qu’il considère comme injuste : l’exploitation de l’homme par l’homme. La disparition de l’homme exploité verrait en même temps la disparition de toute forme de religion.
Ses disciples ont réussi l’exploitation de l’homme par l’État divinisé. Mais il y a encore de nos jours des personnes qui ne jurent que par lui ! Les expériences soviétiques et chinoises ne leur sont pas assez concluantes. En 1963, Moscou a disposé de la première chaire d’athéisme scientifique dont Onfray aurait pu être un des grands prêtres.

Freud prolonge la réflexion de Feuerbach en soulignant le caractère infantile et aliénant de l’attitude religieuse. Trois ouvrages développent sa critique radicale des religions : Totem et tabou (1913), L’Avenir d’une illusion (1927) et Moïse et le monothéisme (1939). Il formule ainsi son appréciation : l’attitude religieuse est une projection du psychisme humain sur des forces supérieures. La psychanalyse a pour but de libérer l’homme de l’aliénation psychique. Pourquoi ? La religion a une face névrotique et psychotique. La face névrotique est due au complexe paternel, à l’idéalisation et la mort du père et à la culpabilité qui en découle qui se traduit par la peur de la castration. La face psychotique est l’invention par l’homme d’un Dieu bon dans le but de conjurer ses angoisses existentielles.

Les protestants pour commencer28 et ensuite Voltaire et Kant ont voulu libérer l’homme des institutions religieuses : ce qui n’empêchait pas la personne d’être un homme religieux individualiste29. Retenons que cette première étape, de ce qui allait conduire à une déchristianisation progressive, a permis la seconde : avec Feuerbach, Comte, Marx et Freud, l’homme libre est un homme sans religion, un homme libéré de la foi en Dieu.

Or cet athéisme final a affaibli le christianisme mais, de nos jours, naissent aussi bien une prolifération des sectes de diverses natures30, isolant la personne dans une bulle, et, ce qui est plus étrange, des formes diverses de religiosité, chacune produite à la demande, c’est-à-dire bricolée de façon individuelle, en mêlant des sélections de pratiques et croyances religieuses hétéroclites31 (un espèce de cocktail religieux, mis dans un shaker et modifiable à la demande, selon les circonstances et les besoins du moment).

Antithéisme ou antidéisme

Par contre, l’Europe connaît différentes formes d’antidéisme, s’exprimant de façons plus ou moins fortes : vous avez les anticléricaux purs et durs, les matérialistes, les rationalistes, les existentialistes32, les libres-penseurs, les humanistes33 et les laïques. Pour les moins fanatiques, ils gardent pourtant dans leur formation culturelle un fond de morale chrétienne34. Leurs idées dominent dans les media subventionnés, les arts cinématographiques35, les spectacles théâtraux, la musique, la chanson et les comiques, ayant droit à la sponsorisation médiatique. Ainsi s’installe un athéisme militant diffus dans les esprits les moins avertis.

Une petite minorité, se voulant intellectuelle ou désireuse de justifier leur refus de Dieu, attendait un pape de l’antidéisme ou de l’antithéisme : ils l’ont trouvé et reconnu en Michel Onfray alors qu’il a eu deux précurseurs notables, aux propos plus nuancés : Régis Debray qui affirme qu’il a cru en Dieu comme on croit au Père Noël, qui rejette la religion par détestation de l’obscurantisme, du fanatisme et de la superstition et qui pense que « de savoir si Dieu existe » est une question sans intérêt ; André Comte-Sponville. qui considère comme une opinion, une conviction mais aucunement un savoir, son athéisme, qu’il revendique en affirmant que Dieu n’existe pas.

Avec Michel Onfray, nous avons un militant acharné et c’est pourquoi, maintenant que le contexte intellectuel, ayant donné naissance à ses prises de position, a été brièvement brossé, il faut s’intéresser à ses arguments.

L’antithéisme de Michel Onfray

L’existence de Jésus est sa cible principale et première. Que veut démontrer Onfray ? Jésus n’a pas inventé le christianisme, c’est le christianisme qui a inventé Jésus.

Pourquoi cette volonté de nier Jésus, le premier Chrétien ? Onfray puise, pour l’essentiel, son inspiration dans l’Ecce homo de Nietzsche afin de justifier son combat :
  • la notion de Dieu est l’antithèse de la vie ;
  • la notion d’au-delà déprécie le monde ;
  • la notion d’âme méprise le corps ;
  • la notion de sacré fait renoncer aux nécessités du monde ;
  • pour la salut de l’âme, l’homme renonce à la santé36 ;
  • la notion de péché est un instrument de torture ;
  • la notion de libre-arbitre brouille les instincts.

Quant à la non-existence de Dieu, sa démonstration est plus simple que celle de Jésus :
« … Dieu n’est ni mort ni mourant – contrairement à ce que pensent Nietzsche et Heine. Ni mort, ni mourant parce que non mortel. Une fiction ne meurt pas, une illusion ne trépasse jamais, un conte pour enfants ne se réfute pas. »37
Et tout est dit !

Ses analyses :
  • Les croyants préfèrent les fictions apaisantes des enfants aux certitudes cruelles des adultes.
  • L’homme religieux est un aliéné.
  • La religion révèle une psychose, une névrose.
Sa grandeur d’âme :
  • Compatissons pour l’abusé qu’est cet homme religieux, la victime.
  • Vitupérons contre ceux qui trompent cet homme religieux, les bourreaux.
Ses deux conclusions :
  • « L’obscurantisme, cet humus des religions, se combat avec la tradition rationaliste occidentale. »38.
  • Nécessité d’établir une ontologie matérialiste grâce à cette « nouvelle » discipline qu’est l’athéologie.

Voici la raison d’être de 300 pages de son « Traité d’athéologie » voulant convaincre son lecteur.

Pour ma part39, il est évident que chacun est libre de croire en ce qu’il veut comme de ne pas croire en certaines vérités : la liberté de conscience est sacrée. La discussion ou la pesée des arguments est un instrument philosophique : aussi analysons ensemble sa construction intellectuelle.

Questions de méthode

L’homme a besoin de certitude mais l’incertitude domine même dans les sciences : des théories, considérées comme solides, sont remises en cause par de nouvelles découvertes. Plus la recherche scientifique avance, plus nous découvrons un infiniment grand comme un infiniment petit et nous percevons qu’il y a encore des mystères dans la nature et dans l’univers.
Voici de beaux défis pour l’esprit que des chrétiens et des religieux ont relevé dans le passé déjà avec succès :
les Bénédictins ont transmis un savoir considérable au Moyen Age ; les Jésuites ont créé des écoles réputées pour leur enseignement et dont sont issues des personnalités éminentes des sciences, des arts, de la politique et de la philosophie ; des monastères ont fondé les hôpitaux car donner des soins au corps était un service à l’homme pour qu’il puisse ne pas souffrir dans sa chair40 ; l’art chrétien a permis des prodiges architecturaux et picturaux qui font, à juste titre, encore notre admiration ; la morale chrétienne a créé un consensus universel ayant eu des résultats positifs car un examen de conscience est une invitation à s’améliorer, car un esprit de charité a rayonné pour le plus grand profit des démunis, des déshérités…
La liste pourrait se poursuivre et seul un Onfray ignore volontairement les apports des Chrétiens sur ces différents plans. Cette méthode lui enlève tout crédit intellectuel, même et surtout quand il s’affirme philosophe.

En tout homme, il y a un vrai et naturel philosophe lorsqu’il se pose les questions fondamentales suivantes :
Que puis-je croire et que puis-je savoir ? Comment croire au-delà de ce que je sais ? Pour quelles raisons j’affirme ou rejette telle ou telle croyance ? Quand suis-je sûr, certain de mes choix et pourquoi ?
Tout homme pour vivre doit avoir quelques certitudes (fausses ou vraies, ceci n’est pas sa question prioritaire), partagées avec d’autres (ce qui n’est pas toujours un gage de vérité). Ce constat établi, il appartient à chacun de s’interroger, de se laisser interpeller, même par des affirmations les plus contraires à ce qui est cru en son âme et conscience : la seule vraie zone de liberté.

Comment Onfray justifie son antithéisme ? Ma présentation de ses sources vous a donné les éléments essentiels constituant le socle sur lequel il a construit sa logique. Mon goût pour l’histoire des idées fait que je n’ai rien appris en ce sujet avec lui. Par contre sa méthode m’a surpris. En voici quelques aperçus à travers diverses citations extraites de son « Traité d’athéologie » et qui suffiront à vous éclairer.

Pourquoi l’homme est-il religieux ? Parce qu’il a peur. Je le cite : « Le dernier dieu disparaîtra avec le dernier des hommes. Et avec lui, la crainte, la peur, l’angoisse, ces machines à créer des divinités. »41

Pourquoi Onfray exprime son admiration pour un prêtre, l’abbé Meslier42 ? N’allez pas croire à une ouverture spirituelle de notre auteur. Écoutez plutôt la raison lumineuse qu’il nous donne :
« […] l’abbé Meslier, saint, héros et martyr de la cause athée enfin repérable ! Curé d’Etrépigny dans les Ardennes, discret pendant toute la durée de son ministère, sauf avec une altercation avec le seigneur du village, Jean Meslier (1664-1729) écrit un volumineux Testament dans lequel il conchie43 l’Église, la religion, Jésus, Dieu, mais aussi l’aristocratie, la monarchie, l’Ancien Régime, il dénonce avec une violence sans nom l’injustice sociale, la pensée idéaliste, la morale chrétienne doloriste et professe en même temps un communalisme anarchiste, une authentique et inaugurale philosophie matérialiste et un athéisme hédoniste d’une étonnante modernité44. »

Quel est le chantier antithéiste mais dit athéiste par Onfray, à mener ? Son programme se résume en ces quelques lignes qui peuvent vous dispenser de souffrir ses logorrhées :
« […] un chantier nouveau et supérieur pour l’athéisme : Meslier a nié toute divinité, d’Holbach a démonté le christianisme, Feuerbach a déconstruit Dieu, Nietzsche révèle la transvaluation : l’athéisme ne doit pas fonctionner comme une fin seulement. Supprimer Dieu certes, mais pour quoi faire ? Une autre morale, une nouvelle éthique, des valeurs inédites, impensées car impensables, voilà ce que permettent la réalisation et le dépassement de l’athéisme. Une tâche redoutable et à venir. »45 .

Cette tâche ne peut s’accomplir qu’à travers trois missions :
déconstruire les trois monothéismes,
démythifier le judéo-christianisme et
démonter la théocratie.

Au final, la morale post-chrétienne, pour reprendre son qualificatif, sera le fruit d’une nouvelle éthique où « le corps cesse d’être une punition, la terre une vallée de larmes, la vie une catastrophe, le plaisir un péché, les femmes une malédiction, l’intelligence une présomption, la volupté une damnation. »46

Pour Onfray, la loi mosaïque, les dits de Jésus et la parole du prophète ont un seul fond commun : la haine. La haine de tout : de l’intelligence, de la vie, de l’ici-bas, du corps, des femmes du sexe libre et libéré.

Quels sont les principes de ces trois religions monothéistes selon Onfray ? La falsification, l’hystérie collective, le mensonge, la fiction et les mythes.

Antichristianisme

Arrivons maintenant à son antichristianisme viscéral. Si les Juifs et les Musulmans ont de longs catalogues d’interdits, il reconnaît que les Évangiles en ont moins. 2000 ans de christianisme se concluent selon lui de la façon suivante : « La religion catholique entrave la marche de la civilisation. »47.

Sa première cible est Paul de Tarse, « le treizième apôtre hystérique »48 avec ses « innombrables imprécations misogynes »49 et ensuite Jésus.

Jésus

Commençons par Jésus. Une citation suffira à vous démontrer le niveau de mauvaise foi intellectuelle qu’il est possible de mesurer chez notre auteur :
« L’existence de Jésus n’est aucunement avérée scientifiquement. Aucun document contemporain de l’évènement, aucune preuve archéologique, rien de certain ne permet de conclure à la vérité d’une présence effective à la charnière de deux mondes abolissant l’un, nommant l’autre. »50

Depuis le XIXe s. et jusqu’à nos jours, les archéologues, les historiens, les biblistes, des chercheurs non-croyants ont effectué d’innombrables recherches et études qui prouvent l’existence de Jésus, un personnage incontestable. Même l’historien le plus athée qui soit le reconnaît comme personnage historique.

Alors, vous désirez certainement enfin savoir qui a créé Jésus, selon Onfray !
Marc a créé Jésus et notre « philosophe » le considère avec son Évangile comme le « premier auteur du récit des aventures merveilleuses du nommé Jésus. »51. Notre « détenteur du nouveau savoir » souligne, magistralement et de toute son autorité, que ce « texte relève du registre clair de la propagande. »52. Dès lors, il vous suffira de lire les Évangiles, qui « méprisent l’histoire »53, comme on lit la prose romanesque antique ou les poèmes homériques. Ils ont favorisé la construction d’un mythe, avec des contradictions et des invraisemblances. L’argument final et rédhibitoire : « le genre évangélique est performatif », c’est-à-dire que seule son énonciation crée la vérité.

Paul de Tarse

Un chapitre du traité a pour titre « La contamination paulinienne » et pour être certain de ne pas vous égarer avec Paul , Onfray y apporte un sous-titre explicite délires d’une hystérie : selon Onfray, il s’agit en effet d’une hystérie de conversion54.

Sa démonstration est simple : « Comment vire avec sa névrose ? En en faisant le modèle du monde, en névrosant le monde… Paul crée le monde à son image. ». CQFD. Appréciez la concision de l’analyse !

Onfray nie l’existence de Jésus mais affirme l’existence de Paul en le dépeignant sous les traits les plus sinistres physiquement55 d’abord et cliniquement ensuite : notre « philosophe » serait-il aussi un clinicien comme son assurance verbale veut le faire croire ?

Il faut reconnaître qu’en lisant Onfray, nous découvrons ce que produit sa haine du christianisme qu’il projette sur Paul de Tarse. Qui est Paul de Tarse ? Écoutez-le :
« Haine de soi, haine du monde, haine des femmes, haine de la liberté, Paul de Tarse ajoute à ce désolant tableau, la haine de l’intelligence. »56.

Notre antithéiste est-il un démocrate, un républicain, un champion de l’égalité et de la fraternité, un ami de tous les hommes et du genre humain ? Il est permis d’en douter sérieusement quand il écrit toujours à propos des personnes qui écoutent et suivent Paul : « […] l’inculte ne parle pas aux philosophes, mais à ses semblables. Son public, partout dans ses pérégrinations du bassin méditerranéen, n’est jamais constitué d’intellectuels, de philosophes, de gens de lettres, mais de petites gens – les foulons, teinturiers, artisans, charpentiers listés par Celse dans son Contre les chrétiens. Pas besoin dès lors de culture, la démagogie suffit et avec elle sa perpétuelle alliée : la haine de l’intelligence. ». 

Cette affirmation, qui conclut le chapitre consacré à Paul, enthousiasme ses suiveurs qui peuvent se croire ainsi appartenir à cette race sacrée des « Intellectuels », l’ambition suprême de toute personne qui se pique de culture devant les caméras ! La personne qui n’adhère pas à sa théorie a, vous l’avez compris, une haine de l’intelligence : elle reste et restera une personne inculte dont il faut combattre non les idées mais les névroses… La christianophobie peut s’assumer au nom de l’intelligence. Il n’y a donc qu’à l’accepter et à la propager… Et ça marche !

Nier Jésus, dénigrer Paul ne lui suffisent pas. Sa corrida, si bien commencée en agitant la muleta, doit être la mise à mort du christianisme. Pour ce faire, le « philosophe », quitte son habit de psychiatre et de fabulologue57 pour devenir historien et sociologue : ce qu’il ne pratique guère mieux, je tiens à vous rassurer tout de suite. Musique : « Nous vivons sur l’héritage funeste de Constantin. »58.

An 312 et la naissance de l’état totalitaire chrétien

Faites silence ! Maintenant nous abordons les 2 000 ans de christianisme qui ont pris naissance dans l’empire chrétien de Constantin. Sa couleur s’impose, tremblez, vous allez découvrir une « vision d’horreur »59.

Les conclusions péremptoires de notre « philosophe » sont issues de deux principes de base :
1. les écrits des trois religions monothéistes ne sont nullement les paroles de Dieu mais des travaux de scribes et d’intermédiaires ;
2. Tous ces écrits sont remplis d’incohérences, de contradictions et sont d’une grande hétérogénéité.

Onfray extrait tous ce qui peut justifier la guerre dans l’Ancien testament . Et , là, je pourrais lui donner raison car, ayant étudié à plusieurs reprises la notion de guerre juste, j’ai lu l’Ancien Testament et le Coran. Oui, il est possible de faire un traité de l’art de la guerre60 avec le premier titre : les huguenots l’ont utilisé d’ailleurs avec succès pour se former à leur lutte armée. Toutefois, il s’agit de ne pas oublier que tous les peuples, sans aucun exception, ont survécu au moyen de la guerre : le prétexte religieux a été utilisé. La religion devient entre les mains de certains une arme psychologique qui ne doit pas occulter la lutte pour le pouvoir politique, la cause réelle des guerres. Confondre le moyen et la cause est une erreur grossière pour un philosophe...

Il est essentiel de distinguer la guerre juste, visant le règne de la paix avec la justice, de l’autre guerre, celle de conquête du pouvoir, d’asservissement ou de spoliation de territoire (de femmes ou d’esclaves), de matière première ou de métaux précieux61. Entre ces deux guerres, vous avez cette zone grise, cette guerre pour la survie : les migrations ont occasionné de grandes guerres complètement oubliées de nos jours.
L’histoire du peuple hébreux symbolise ainsi la vie de tous les peuples du monde. Certains peuvent regretter et d’autres se féliciter que la Turquie n’ait pas envahi l’Europe, que les Musulmans n’aient pas dépassé le sud de la France et aient été repoussés : l’histoire est ce qu’elle a été et nous pouvons seulement dans notre présent faire en sorte que le futur change.

Lorsque je vois les Évangélistes, spécialement aux États-Unis, au pouvoir, lisant l’Ancien Testament à la lettre, j’ai de grandes inquiétudes : l’état62 d’Israël est riche d’enseignements pour un observateur attentif. Lorsque je vois une religion manipulée pour satisfaire des ambitions économiques et politiques, j’ai des soucis pour l’avenir. J’en ai de même quand je vois les résultats des guerres menées contre les religions : la Terreur en France ; les camps de la mort et les goulags dans l’ancienne URSS ; les Cristeros au Mexique ; les Chrétiens d’Orient ou de Chine... Toutes ces victimes n’ont pas droit à la mémoire internationale63, au nom de ce racisme victimaire qui retient les unes et pas les autres ! Revenons à Michel Onfray.

Avec le Nouveau testament, je me disais que notre pamphlétaire aurait quelque peine à justifier la violence chrétienne. Je vous rassure tout de suite : en effet, Jésus a chassé les marchands du temple. Maintenant, il s’agit de bien suivre sa démonstration. Hitler dans Mein Kampf mentionne cet acte mémorable de Jésus et qu’est-ce que cela a produit au XXe s. ? Le massacre des Juifs, les chambres à gaz. Il est évident que Jésus est donc responsable de cette abomination. Fin de la démonstration. Tout historien qui se permettrait de tels raccourcis serait discrédité mais les media encensent Onfray pour ce qui n’est qu’une de ses trouvailles parmi d’autres et remarquable, o combien !

Suite à cela, le lecteur crédule ne peut qu’enfin comprendre que l’Église n’a pu être que le soutien de massacres et de dictatures. En raison de l’antisémitisme chrétien, « Les chambres à gaz peuvent donc s’allumer au feu64 de saint Jean. »65. Onfray ne s’embarrasse pas de nuances et, pourtant,savoir nuancer devrait être le propre d’un philosophe. Il polémique et toutes les armes lui sont bonnes, mêmes les moins recommandables. Il veut susciter la haine contre les Chrétiens en affirmant des mensonges qu’il habille de son autorité : ceci ne suffit pas pour autant à les rendre vrais et donc crédibles. Il pratique cette méthode de distorsion des faits et de l’histoire en toute impunité.

Imaginez maintenant qu’un auteur se permette de parler comme il le fait, du judaïsme, de l’État d’Israël66 : cet auteur serait poursuivi en justice, serait ruiné d’une façon ou d’une autre, interdit de parole dans les media67. Apprenez avec Onfray que sa haine sécrète son racisme antithéiste, acceptable pour ses partisans et condamnable pour les autres !

Son objectif : une laïcité post-chrétienne

Poursuivons son raisonnement jusqu’au bout. Le christianisme a produit le « fascisme du renard » qu’est le capitalisme de l’Occident judéo-chrétien où règne le cynisme, employant des armes inédites. Le monde musulman a produit le « fascisme du lion » où règne l’esprit barbare, employant l’hyperterrorisme. Ce fascisme a pu être brun ou rouge (vous constaterez que le communisme n’est jamais clairement désigné dans son traité : un intellectuel ne peut pas cracher dans sa soupe intellectuelle d’origine, souvenir scolaire ou d’enfance probablement).

Par contre, il affirme qu’il y a une similitude entre l’islamisme et le marxisme : dans leur volonté de créer une histoire qui nie l’histoire : il faut entendre cette histoire conçue par Onfray qui lui-même nie l’histoire si méthodiquement ! Un historien quelque peu sérieux qui le lit ne peut qu’éclater de rire ou abandonner son livre s’il n’a pas à cœur de le réfuter.

La laïcité de la République française ne lui suffit plus pour atteindre son objectif car les combats de nos laïcs du XXe s. ont été contaminés68 par l’adversaire. Deux citations pour vous convaincre : « La laïcité militante s’appuie sur l’éthique judéo-chrétienne qu’elle se contente bien souvent de démarquer. »69 et nous vivons actuellement selon « deux mille ans de formatage de monothéisme biblique. »70

Que faire ? Il a trouvé la solution : éduquer les consciences et la raison. Que c’est original ! Les programmes scolaires francophones ou germanophones depuis 50 ans ne cessent de proclamer qu’ils ont été conçus dans cette perspective. Les résultats actuels vous autorisent à les apprécier : notre société occidentale et plus spécifiquement française se porte-t-elle mieux ? Répondre à cette question est un autre sujet et chacun d’entre vous a certainement une réponse à donner.

La méthode préconisée : « avancer de manière dialectique »71. La dialectique consiste à opposer la thèse et l’antithèse pour aboutir à la synthèse. Les Grecs la pratiquaient sous forme de dialogue (il y avait déjà des divergences entre Platon et Aristote) ; le Moyen Age a connu la pratique de la disputatio. Toutefois ce qui est une technique de réflexion peut servir n’importe quelle cause et même les mauvaises. Les marchands de mots, les rhéteurs et les avocats en savent quelque chose.
Kant en décrit l’usage négatif qui peut en être fait et ce qu’il en dit s’applique pleinement à Onfray : la dialectique peut être un « art sophistique de donner à son ignorance, et même aussi à ses illusions préméditées, l'apparence de la vérité, en imitant la méthode de profondeur que prescrit la logique en général, et en se servant de la topique pour colorer les plus vaines allégations.»72. Ainsi, Onfray ne délivre pas un message philosophique mais défend aveuglément un parti pris. Il perd ainsi le droit de se dire philosophe et il perd aussi sa légitimité pour contester ce que des sociologues, des historiens, des archéologues, des scientifiques ont démontré contre ses affirmations performatives, et, là pour le cas, ce qualificatif est parfaitement applicable, en de multiples études qu’il ignore ou, pire, qu’il a choisi d’ignorer.  

Que reproche-t-il à la laïcité actuelle ? « En mettant à égalité toutes les religions et leur négation, comme l’y invite la laïcité qui triomphe aujourd’hui, on avalise le relativisme. »73 Je lui donne raison sur le constat du relativisme qui prédomine de nos jours, même chez les Chrétiens (qui cultivent bien souvent une relativisme religieux qui devrait inquiéter nos évêques). Mais Onfray prêche pour sa doctrine : « Ce relativisme est dommageable. Désormais sous prétexte de laïcité, tous les discours se valent : l’erreur et la vérité, le faux et le vrai, le fantasque et le sérieux. »74.
Inutile de vous dire que sa façon de concevoir le vrai n’est pas la mienne ! Mais le danger de son propos est de justifier une police de la pensée qui existe déjà soit dans une forme d’autocensure que s’appliquent trop de chercheurs et d’écrivains, soit dans des lois édictées par des États qui décrètent ce qui est vrai ou faux historiquement, en plus de l’histoire officielle mise au service de l’État qui aime portant prononcer le mot « Liberté »… Le mot ne suffit pas !

La laïcité post-chrétienne appartiendra aux positivistes75 qui s’opposeront ainsi aux philosophies théologiques et métaphysiques. Onfray oublie cependant que le positivisme d’Auguste Comte révèle une possible limite de la raison, sur une sociologie de la science et sur le fait religieux.

Le rôle positif des libre-penseurs a contribué à l’avènement de la modernité : « déconstruction des fables chrétiennes, déculpabilisation des consciences, laïcisation du serment juridique, de l’éducation, de la santé et de l’armée, lutte contre la théocratie au profit de la démocratie, plus particulièrement sous sa forme républicaine, séparation de l’Église et de l’État, pour la plus célèbre victoire. »76.

Aussi sa conclusion est éloquente même s’il affiche un pessimisme qui m’est de bon augure. Je vous cite les dernières lignes de son ouvrage :

« A l’heure où se profile un ultime combat - déjà perdu... - pour défendre les valeurs des Lumières contre les propositions magiques, il faut promouvoir une laïcité post-chrétienne, à savoir athée, militante et radicalement opposée à tout choix de société entre le judéo-christianisme occidental et l’islam qui le combat. Ni la Bible, ni le Coran. Aux rabbins, aux prêtres, aux imams, ayatollahs et autres mollahs, je persiste à préférer le philosophe. A toutes théologies abracadabrantesques, je préfère en appeler aux pensées alternatives à l’historiographie philosophique dominante : les rieurs77, les matérialistes, les radicaux78, les cyniques79, les hédonistes80, les athées, les sensualistes81, les voluptueux82. Ceux-là savent qu’il n’existe qu’un monde et que toute promotion d’un arrière-monde83 nous fait perdre l’usage et le bénéfice du seul qui soit. Péché réellement mortel... »84

Si Onfray voit plus loin que le bout de son nez qui est sans flair historique, il ne voit cependant pas plus loin que le bout de la matérialité de son sexe, à l’aide de sa plume se voulant éloge à la sensualité…

Les revirements

Il ne ne faut pas désespérer de Michel Onfray. Il peut encore changer d’avis en matière de religion car il a connu deux revirements notables qu’il vous faut connaître avec Sade et Freud. Il ne m’est pas possible en cette communication de développer complètement ce sujet car cela allongerait mon propos et sortirait du thème imparti. Toutefois, voici rapidement quelques éléments livrés à votre attention.

Dans son livre L’art de jouir85, paru en 1991, Onfray présente le marquis de Sade comme un modèle d’artiste et l’innocente des diverses accusations qui pesaient sur son œuvre écrite comme sa vie. Il en fait l’apologie. Selon lui, l’œuvre de Sade, comme Les 120 journées de Sodome, ne doit pas être considérée comme un simple objet pornographique de lecture pour curieux du sexe. Il est digne d’intérêt selon lui car il a construit un éloge de la pratique assumée des désirs et il prône à l’homme comme à la femme une réappropriation du corps. Et en plus, il critique la religion, Sade a donc tout pour plaire à l’hédoniste Onfray.
Mais en 2007, Sade est rejeté et considéré comme un affreux misogyne dans sa Contre-histoire de la philosophie où il déclare, cette fois-ci, que Les 120 journées de Sodome sont un ramassis d’ordures, démontrant que Sade était un malade. Onfray est donc bel et bien un homme multiface.

Dans son livre, de nouveau L’art de jouir, Onfray cautionne et valide ses théories hédonistes et les modèles qu’il offre à son lecteur, avec l’autorité de Freud qu’il place à côte de ses deux maîtres à penser : Marx et Nietzsche. En 2006, ses écrits sont encore profreudiens mais ceci ne durera pas. Je vous signale que dans La puissance d’exister, Onfray traite de l’ignominie du mariage et de l’enfantement, des avatars du Christianisme, ennemi de l’Homme (il faut oser mais est-ce parce que son père ne s’est pas retenu à sa conception ?). Freud lui avait fait découvrir la sexualité et la décomplexion acquise en face de diverses pratiques sexuelles. Il souligne d’ailleurs que Freud est conseillé par l’Éducation nationale de la République française.
Mais en 2010, machine arrière : il publie Le Crépuscule d’une idole, l’affabulation freudienne. Il brûle son idole du passé et dénonce la psychanalyse freudienne et ses déviances !

Attendons ses prochaines conversions même si le chemin est encore long !

Conclusion

Onfray critique le christianisme avec force et cultive l’hédonisme avec la foi du charbonnier.

Il ne craint pas de se contredire alors qu’il prétend que la philosophie est l’arme des forts car elle est la science de la raison. La croyance est à combattre mais, en fait, il nous livre sa croyance qui est la moins bien étayée parmi d’autres ! Où dit-il sa vérité ? Avec ou contre Sade, avec ou contre Freud ?

Onfray pratique ce dont il accuse saint Paul : la performation, c’est-à-dire que son propos est vrai parce qu’il le prononce. Pour saint Paul, vous n’avez pas une vérité évolutive, c’est déjà çà, mais, avec Onfray, sa vérité d’hier peut être fausse demain : choisissez qui vous voulez croire !

Bien entendu, il est libre en tant que philosophe de penser ce qu’il veut comme je suis libre d’en parler comme je le pense en cet instant. Par contre en passionné aussi bien par l’histoire de la pensée que des hommes, je suis obligé de réagir. En tant qu’historien, c’est sous cet aspect que je conclus.

Aucun discernement entre Ancien et Nouveau Testament

Dans les anciennes religions de la plus haute antiquité, nous avons des dieux inhumains.

Dans l’Ancien testament, la séparation systématique entre les élus et les damnés a été la source d’un manichéisme (que nous retrouvons chez les Évangélistes américains de nos jours). Mis à part quelques extraits, retenus par l’Église car soulignant les indices de la miséricorde de Dieu réservé aux élus et faisant parfois oublier l’aspect qui précède, il y a eu chez les Juifs une religion de la terreur (qui est utilisée en partie par l’actuelle politique israélienne, même en se disant laïque). Pour trop d’entre eux, Dieu est présent comme un monarque oriental, un despote : c’est un Dieu qui s’impose et qui est statique dans son nuage.

Dans le Nouveau testament, Jésus révèle un Dieu d’amour et de liberté. Nous avons un Dieu qui s’offre à l’homme, dans le respect de sa liberté. Le simple fait de la perception d’un Dieu trinitaire enlève cette image fausse du Dieu monarque. L’esprit Saint nous permet de découvrir un Dieu dynamique qui souffle où Il veut dans le monde, pour toutes les nations, pour toutes les races, pour les hommes comme pour les femmes86, croyants ou non croyants.
Il y a une acceptation par les Chrétiens d’un Dieu plus grand que l’homme et qui se révèle partiellement aux humains mais qui reste un mystère, qui ne se dévoilera entièrement que dans l’après-vie : cette nouvelle naissance définitive qui est la résurrection. Seuls les mystiques, perçoivent la grandeur de Dieu mieux que les autres : cette grandeur se perçoit et reste cependant ineffable.


Le pari de Pascal à revisiter

Nier l’existence de Dieu apporte quoi à l’homme ? Onfray prétend que cela supprimerait les interdits imposés par la religion. Il vaudrait mieux s’interroger sur la validité de ces interdits. Sans une vie après la vie, l’homme a la sensation d’être confronté avec l’abîme du néant. Il y a là une cause d’angoisse et de terreur bien plus grande.

Des gradations se remarquent dans les expression de la négation de Dieu : dire que l’homme et le monde sont abandonnés par Dieu ou dire que Dieu est abandonné par le monde et les hommes, c’est encore reconnaître l’existence de Dieu.

Dans l’Église, Dieu ne gouverne pas avec la peur : Il invite l’homme à la conversion du cœur, la raison devant mouvoir sa volonté. Par contre, l’histoire des civilisations démontrent que la peur a été utilisée par les hommes pour gouverner le monde : le pouvoir politique se sert de la crainte de l’emploi de la force contre ce qui serait considéré comme un refus de son pouvoir. C’est le propre de l’homme et non de Dieu. Cette peur favorise et engendre le mensonge et la ruse qui deviennent une forme de résistance contre un système autoritaire ou excessif.
La crainte régnant dans la vie sociale témoigne du manque de confiance de l’homme en l’homme et non de l’homme en Dieu. Cet homme vit dans la peur de la vie et de la mort lorsqu’il ne croit ni en une justice humaine, ni en une justice divine.
Il y a une angoisse de l’homme qui pense et observe la vie : les religions ont donné plusieurs réponses parfois semblables, parfois très différentes à ses questions légitimes et existentielles. Il ne s’agit pas ici de vouloir refaire l’histoire des religions, thème passionnant mais de vous rendre attentif à cet aspect.

Le christianisme aide à accepter la vérité comme la mort. L’homme redoute la vérité à un tel point que sa conscience peut en être déformée, Onfray en est un exemple. La peur d’Onfray face à la vie l’empêche de reconnaître la vérité et le pousse à construire son propre mythe qui, pour exister, doit traiter en mythe une vérité autre que la sienne. Nietzsche exprime sa peur, sa lutte contre la souffrance : au final, il n’a rien trouver de mieux que de décréter la mort de Dieu.
Il existe une forme de désespoir de l’homme sans religion qui ne dispose plus que de deux solutions pour accepter son sort mortel : le stoïcisme pour une acceptation courageuses des évènements qui lui surviennent ; le relativisme sceptique qui d’ailleurs est considéré comme de la prudence par certains.

Pourquoi ne pas préférer le caricatural pari de Pascal ? Si Dieu existe, le pari est gagné ; Si Dieu n’existe pas, il n’y aurait rien de perdu !

Le sens de la souffrance

Aristote déjà et, à sa suite, Thomas d’Aquin démontrent que l’homme recherche le bonheur87, le bien et l’harmonie. Le Nouveau testament, contrairement à l’Ancien change la perception de la souffrance, qui n’est plus vécue comme un châtiment divin, ainsi que la vie de Jésus le démontre. La mort du Christ est due à la méchanceté de l’homme et non de Dieu. Il y a là de quoi réfléchir quand on n’est pas aveuglé par des clichés antichrétiens. La souffrance d’une mort acceptée ne conduit même pas au néant mais devient un chemin de salut : après la souffrance et la mort, il y a la joie et le bonheur de connaître la justice divine qui récompense le bien et punit le mal : aussi bien celui qui est connu de tous que celui qui se cache parfois dans le secret des cœurs.

Le christianisme est libérateur à partir du moment où il libère l’homme de ses cauchemars. L’histoire démontre que les hommes détenant un pouvoir soit politique (un chef d’état88), soit matériel (un patron d’entreprise89), soit économique (un banquier90), soit familial (un parent tyrannique91), soit encore religieux (prêtre ou grand prélat92) peuvent faire preuve d’une cruauté en donnant à celle-ci une fausse justification idéologique ou religieuse. Dans le clergé, nous trouvons aussi bien des prêtres voulant vivre saintement ou le plus saintement possible mais il y a malheureusement celui qui joue la comédie de la sainteté : il est rare mais il existe93.

La voie chrétienne ouvre un chemin pour supprimer le Mal et pour vaincre la souffrance. Rien qu’à ce titre elle est précieuse pour celle et celui qui s’y engagent. La condition première est simple : redécouvrir le divin dans l’humain. Tout ce qui est bien, beau et harmonie dans l’homme est signe de Dieu. Lorsqu’il y a rupture avec le divin en l’homme, ce dernier découvre le non-être,la souffrance intolérable d’une vie qui est un non-sens, absurde.

Reconnaître Dieu dans sa vie est un moyen de transfigurer sa vie, mettre sa volonté au service d’une liberté intérieure qui régénère, qui ressuscite ce qui a de mieux en l’homme et qui révèle Dieu. Là, vous êtes face aux saints. Être un homme nouveau qui efface le vieil homme : voici l’alliance de l’homme avec Dieu qui prend dès lors tout son sens.

Supprimer Dieu c’est laisser l’homme libre de se prendre pour un dieu. Nous en voyons les résultats avec tous les dangers de l’individualisme outrancier de nos jours, de l’égocentrisme forcené. Le culte de soi, le culte de son corps quand ce n’est l’adoration de son chat, de son chien ou de son canari ! L’homme peut inventer contre Dieu son plaisir qui devient sa seule règle, son seul but : il peut y avoir ainsi la justification du pire comme le sado-masochisme, entre autres cruautés.

L’avantage de lire le traité d’athéologie.

L’antithéisme d’Onfray ne reposant sur rien, il est à espérer qu’au final, le lecteur attentif s’intéresse à l’existence de Dieu. Il est à espérer que les Chrétiens, ceux qui le sont vraiment et ceux qui prétendent l’être, redécouvrent les racines de leur foi pour sortir de leur tiédeur, de leur indifférence, de la médiocrité d’une foi à courte vue !

Son refus de la complexité de la vie humaine

Les erreurs d’Onfray proviennent de son refus de la complexité de l’homme et de son histoire. La vie humaine est une aventure où chaque homme a des choix à faire94 et dont il subira les conséquences : il ne peut les imputer à Dieu qui l’a laissé libre de choisir car Il n’est pas un dictateur, un Lénine qui décrète ce qu’est et sera le bien du peuple. Si l’homme voit sa part de liberté réduite par les contingences du milieu où il est né et donc où il vit (pays, langue, religion, le statut social, le savoir, la richesse ou la pauvreté, le système politique communément admis…), il a toujours un espace de liberté pour vivre ce qu’il est en vérité : son âme qui possède une conscience.
Là où la force spirituelle est absente, une de ces deux forces la remplacent : soit la force des armes, soit la force de l’argent : la deuxième sachant fort bien utiliser la première.

Refus de considérer les effets positifs du christianisme

Notre auteur a pris le parti de ne retenir que les échecs du christianisme : c’est son choix et il s’y tient. Nous n’avons plus un observateur impartial mais un homme qui plaide pour son idéologie et se fait Grand Accusateur.

Oui, il y a eu des trahisons de Chrétiens, de prêtres, de hauts dignitaires de l’Église en 2000 ans. Mais il y a eu toutes les œuvres caritatives, éducatives, hospitalières qui ont aidé des millions d’hommes et de femmes dans le monde. Il y a eu une doctrine chrétienne construite sur les Évangiles qui ont produit notre civilisation chrétienne dont il est parfois fait un mauvais usage de nos jours. L’Église a produit plusieurs millions de bons Samaritains, au nom de l’amour vécu par un dénommé Jésus. Un Sartre, niant aussi bien Dieu que le Diable, n’a pas réussi cela, même s’il a tenté de remplacer la charité chrétienne par la solidarité humaine95 ; le rire de Voltaire a corrodé les âmes mais n’a pas supprimé la traite des noirs dont il en tirait de juteux revenus et ses propos racistes qui seraient condamnés de nos jours ! Évidemment, chez les Chrétiens, il y a eu des défaillances (par goût du gain notamment), des démissions (par lâcheté) et, le pire, des hypocrisies (en effet, l’hypocrisie de quelques Chrétiens a causé plus de dommages à l’Église que le traité d’Onfray pourrait en faire).

Et je donnerai les mots de la fin à Jean-Marie Salamito96 dans son envoi à Michel Onfray, à propos de son livre Décadence qui reprend ses thèmes antichrétiens selon la ritournelle onfrayienne :

« C’est ainsi que vous avez forgé une mythologie. Il y a dans Décadence le mythe de l’inexistence de Jésus, le mythe de l’impuissance de l’apôtre Paul, celui de l’antisémitisme du même personnage, celui d’un christianisme foncièrement obscurantiste, castrateur, violent oppressif. On reconnaît vos mythes à ce que, d’une part, ils défient les consensus scientifiques les plus solides et à ce que, d’autre part, ils évitent opiniâtrement le quart de la moitié de commencement d’une nuance. ».


Antoine Schülé

Contact : antoine.schule@free.fr





1 Mes lectures m’ont conduit à lire Confucius, les Védas, le Tao, le Yi King, la Bhagavad-Gita en plus des Écrits intertestamentaires ou des Apocryphes comme de nombreux mystiques, de haute élévation presque toujours et qui permettent d’identifier certains charlatans... car l’habit ne fait pas le moine !
2 Il suffit de le lire.
3 Pouvant aboutir à une forme d’ascétisme, ce qui est à souligner.
4 Si bien décrit dans le Gorgias de Platon faisant parler Calliclès à propos des Sophistes grecs : « La vérité que tu prétends chercher Socrate, la voici : la vie abondante et facile, la vie se moquant des règles, la liberté , pour peu qu’on les aide, font la vertu et le bonheur ; le reste, toutes les belles maximes qui en imposent, ne sont qu’inventions des hommes et conventions contre nature, ne sont que des niaiseries sans l’ombre d’une valeur. »
5 Tout est dit !
6 L’arbre se juge à ses fruits.
7 Le mal et le bien se définissent selon des valeurs partagées qui n’ont pas toujours été les mêmes pour toutes les civilisations et parfois au sein d’une même civilisation sur la longue durée. Une idée du bonheur prédomine cependant.
8 Les dieux pour certains : les luttes entre les dieux, image des luttes entre les hommes, trouvaient ainsi une explication.
9 Ce que refuse Michel Onfray.
10 Exemples : Gregor Johan Mendel (1822-1884), prêtre autrichien et fils de paysan pauvre, a mis en évidence la transmission du patrimoine génétique et a été un remarquable botaniste; sous Louis XIV, dom Jean Mabillon, moine bénédictin et fils de paysans champenois, a été un des fondateurs de la science historique française mais la République française ne le mentionne plus  (la chape du silence est sa spécialité pour certains, alors que d’autres ont droit à des encensements républicains réguliers); il s’oublie souvent que l’Église a été très souvent rationaliste (selon Platon et Aristote) en acceptant ce qu’elle appelle le mystère de Dieu, qui se laisse dévoiler selon le degré de nos connaissances : jusqu’au XVIIe s., les connaissances de la nature sont très liées à des préoccupations métaphysiques. Il a fallu attendre le XIXe s. pour que les rationalistes créent cette légende du fossé artificiel entre science et christianisme, creusé avec l’affaire Galilée. Ceci pourrait faire l’objet d’une autre communication !
11 Qui de nos jours est réhabilité : il a été une victime de son temps, de la pudibonderie, etc. etc. Sade a été initié très jeune pour le théâtre par les Jésuites : cette formation marque son style. Il s’est enfermé (lui qui a connu la prison) dans deux obsessions : nier l’existence de Dieu et refuser de croire en la bonté de la Nature.
12 Les gens de gauche parlent de « fascisme » : mais là ce n’est plus de l’histoire, c’est de la propagande politique !
13 Il n’y a aucune cérémonie mondiale pour commémorer les 100 millions de mort du communisme : mieux encore, les insignes et les doctrines communistes ne sont pas stigmatisés. Pour être un « intellectuel » reconnu, il faut avoir été dans sa jeunesse un communiste avec ses nuances décisives car acceptables par la bien-pensance : marxiste, trotskiste, maoïste, guevariste ou castriste.
14 Le dictateur se prend pour un dieu : après lui, il n’y a plus rien. Vous pouvez en trouver en des chefs d’État qui se disent démocrates et républicains en Europe depuis 1905… Il y a bien eu l’Union des républiques socialistes soviétiques et la République populaire de Chine…. Ces démocraties populaires où régnait ce parfum très spécifique de la liberté bien entendu : Pologne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Albanie, puis Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Allemagne de l'Est, Corée du Nord, Vietnam du Nord, Cuba… Silence, il est parfaitement incorrect d’en parler.
15 Le peuple de la Révolution française a juste changé de nom.
16 « Force est donnée à la loi. » « Nul n’est censé d’ignorer la loi. » « Dur loi mais c’est la loi. » même quand elle est ignominieuse ! « Mais non ce n’est pas une dictature puisque cette loi a été décrétée au nom du peuple souverain, représenté par ses députés... » me disait un jeune naïf qui avait été bien éduqué !
17 Les propos ayant servi à les justifier pourraient être repris par les djihadistes sans en changer une ligne !
18 Des cathos, se disant pratiquants, ne croient pas en la résurrection, à la pénitence ou encore en l’eucharistie ! Il y a là un sérieux problème qu’il ne faut pas se refuser de voir. Le courage de la foi se perd dans un monde qui se déchristianise et la lâcheté règne parmi eux : il serait temps d’agir contre les mauvais bergers de tous ces moutons de Panurge qui bêlent aveuglément au lieu de penser, de comprendre, d’étudier sérieusement… La foi chrétienne n’a jamais exigé une abdication de l’intelligence.
19 Là c’est tout simplement de la duplicité, à combattre : en respectant la personne qu’il ne faut pas mépriser car elle peut se convertir (le croyant chrétien ne veut pas réduire la personne à sa faute), il convient de lutter contre ses comportements méprisables. Ceci ne vous fera peut-être pas des amis mais votre conscience sera en paix pour avoir livré le bon combat.
20 De mot grec signifiant plaisir. La recherche du bonheur d’un Platon ou d’un Socrate passe par la sagesse, sur des réflexions d’Aristippe le Cyrénaïque (dont les écrits sont perdus), rapportées par eux ; l’hédonisme né au XIXe s. passe par les zones érogènes : inutile de vous dire que la réflexion ne se porte pas au même niveau...
21 Dont l’hédonisme actuel est un révélateur.
22 Observez votre entourage, le monde politique et parfois aussi malheureusement, le monde associatif ou certaines paroisses, et vous en trouverez en abondance !
23 « Tu crois en l’amour comme une qualité divine parce que toi-même tu aimes ; tu crois que Dieu est sage et bon, parce que tu ne connais rien de meilleur en toi que la beauté et l’entendement. » Feuerbach : L’essence....
24 Lire Le gai savoir, 1882. « N’entendons-nous rien encore du vacarme des fossoyeurs qui ensevelissent Dieu ? Ne sentons-nous rien encore de la putréfaction divine ? Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué. ».
25  Pratique que reprendra Michel Onfray avec son université populaire de Caen.
26 Déjà émise par Turgot.
27 Feuerbach disait déjà dans le livre cité ci-dessus : « ...la religion est l’essence infantile de l’humanité qui précède le temps de la maturité philosophique où l’homme se réapproprie enfin consciemment ce qu’il avait inconsciemment projeté sur cet Être imaginaire.».
28 Par réaction face aux excès de quelques membres du clergé.
29 Voltaire était un théiste ou déiste : il croyait en un Être totalement extérieur à l’univers et n’intervenant pas dans le destin des humains.
30 Avec des codes de vie quotidienne ou de pratiques très strictes, en vue d’une quête d’une connaissance, fruit d’une longue initiation, par des maîtres ou des gourous, sachant retirer de larges bénéfices pécuniaires. Le mélange à la mode : un peu de bouddhisme, un peu de christianisme, un peu de rousseauisme ou de voltairianisme (au choix, le premier si vous êtes plutôt écolo ou le second si vous êtes financier).
31 Recevant parfois vite le label d’ « œcuménisme » ou d’ « ouverture aux autres » ou de « pluriculturel »… C’est le spirituellement chic de notre temps.
32 Sartre, la vie humaine est sans but, privée de sens et donc de finalité : les choses existent sans raison, d’une manière absurde, toute gratuite, sans finalité. Il y a de quoi avoir la nausée de pouvoir penser ainsi ! Il s’inscrit à la suite du propos de Heidegger qui décrit l’angoisse de l’homme qui se trouve au monde sans l’avoir ni demandé, ni désiré.
33 Pris au sens contemporain et non celui qui était plus traditionnel d’une personne disposant des ingrédients d’une culture européenne et chrétienne, comme c’était le cas jusqu’au XVIIe s..
34 Sous une forme émotionnelle principalement, de nature éphémère : le surf émotionnel, selon la bonne vague désignée...
35 Les films primés doivent pour êtres retenus diffusés les messages politiques de la bien-pensance officielle.
36 Une folie conduisant l’homme des « convulsions de la pénitence à l’hystérie de la rédemption ».
37 Michel Onfray : Traité d’athéologie, Physique de la métaphysique. Ed. France-Loisir. 2005. 304 p.. p. 40. Abrégé aussi TA.
38 TA, p . 30.
39 En étant d’accord sur un projet précis à concrétiser, il m’est arrivé de travailler en bonne intelligence avec des personnes en totale opposition avec ce que je pense comme ce que je crois .
40 Hildegarde de Bingen en a été un bon exemple que je vous ai présenté.
41 TA, p. 42
42 Il est très important de détecter les brebis galeuses, d’hier ou d’aujourd’hui, au sein du clergé : il y a là un beau spécimen.
43 Ce terme « philosophique » exprime toute la tolérance de notre auteur avec une doctrine qui ne lui plaît pas.
44 Plusieurs siècles avant Jésus-Christ, des auteurs grecs, avec plus d’élégance intellectuelle, « inauguraient » déjà ces idées.
45 TA, p. 65
46 TA, p. 97. Admirons son lyrisme.
47 TA, p. 121. Cette affirmation révèle une ignorance historique majeure.
48 TA, p. 158.
49 TA, p. 147.
50 TA, p. 157.
51 TA, p. 164.
52 Idem.
53 TA, p. 169.
54 TA, p. 176.
55 TA, p. 177.
56 TA, p. 183.
57 Néologisme qui doit l’honorer, lui le fabuliste.
58 TA, p. 190. Retenez que qu’il y a dans des paroisses quelques chrétiens qui qualifient de « néfastes » les actions de membres de l’Eglise qui osent regarder les plaies de l’Église…. Ils ont un côté onfrayien avec lequel il n’est pas bon de frayer mais on ne s’effraie pas pour si peu !
59 TA, p. 193-194.
60 Je l’ai fait.
61 Deux cas de figure intéressants : la naissance des États-Unis et sa politique actuelle ; la création de l’Empire du Royaume Uni.
62 Et Etat.
63 Journée mondiale, films nouveaux à diffuser chaque semaine, « experts » réguliers à l’antenne...
64 Il peut parler soit des feux de la Saint Jean, soit de l’Evangile de Jean, considéré comme antisémite et que certains, même dans l’Eglise brûlent de réécrire…. L’enfer est pavé de bonnes intentions.. . Ce dossier embrasera les esprits !
65 TA, p. 241.
66 Onfray a été pris à parti par Bernard Henri Lévy : ils se détestent cordialement.
67 Onfray a pris position contre Israël et les media ne l’invitent plus aussi souvent.
68 TA, p. 274.
69 TA, p. 275.
70 TA, p. 277.
71 TA, p. 277.
72 Kant : Critique de la raison pure. Logique transcendantale, Introduction III
73 TA, p. 278.
74 TA, p. 279.
75 Auguste Comte (1798-1857) a formulé les grands principes positivistes, à la lecture de Descartes, de Bacon et de Galilée. Le positivisme est une dénomination des années 1830. La méthode scientifique (analyse des faits et les relations de l’homme avec les faits, la sociologie) remplace la théologie et la métaphysique.
76 TA, p. 274.
77 A condition que le rire soit subversif.
78 En historien, j’y vois une référence aux radicaux anglais mais Onfray n’est jamais bien clair sur le sens des mots.
79 Pour le mépris des servitudes extérieures à l’homme et de la morale communément admise. Satisfaire ses besoins, voilà tout. Cela peut conduire d’ailleurs à une ascèse !
80 Hédonisme est un terme apparu en 1890, d’un racine grecque signifiant plaisir. Ce plaisir peut être celui d’acquérir la sagesse mais aussi celui de la jouissance sexuelle que met en avant Freud comme les libertins le prônaient déjà deux siècles avant lui. A noter que les Carmina burana (du Moyen Age) chantent les joies de la vie, sans nier l’existence de Dieu mais en les considérant comme un don de Dieu !
81 Onfray joue sur un double sens par une imprécision : il ne distingue pas ici le sensationnisme (qui est une philosophie qui dit que l’homme ne peut découvrir le réel que par les sens) du sensualisme (impliquant le seul plaisir ds sens pouvant justifier bien des actes...) .
82 Les joies du sexe sont le but ultime : un art érotique supplante le culte de Dieu. Cinéma, télévision, radio, presse, théâtre et danse, de nos jours, célèbrent cet art quasiment au quotidien.
83 Onfray ignore totalement la distinction essentielle entre le monde visible et invisible : de là toutes ses erreurs.
84 TA, p. 279.
85 Titre très commercial pour exciter la curiosité du lecteur et livre publié en 1991.
86 Les femmes occupent une place magnifique dans les Evangiles et il faut être aveugle volontaire ou de mauvaise foi pour ne pas le reconnaître.
87 L’expression noble du plaisir vu par les Grecs déjà et non le plaisir conçu au XIXe s.
88 La dictature : pas seulement celle qui dit clairement son nom mais aussi celle qui se dit démocratique par son avènement et qui ne l’est pas dans les faits.
89 Celui qui pense à s’enrichir en appauvrissant ses subordonnés.
90 Qui se met au service de l’argent plutôt qu’au service de l’homme.
91 Qui use d’une autorité légitime pour satisfaire sa volonté tyrannique et non pour réaliser le bien de ses proches.
92 La cruauté la pire qui soit : faire un mauvais usage de sa fonction d’homme de Dieu. Les grands prêtres ayant condamné Jésus en sont les meilleurs exemples. Il est regrettable qu’il y en ait encore dans le clergé mais Dieu les jugera.
93 Il est important de ne pas se laisser aveugler par un titre ou une fonction : derrière l’étiquette, il s’agit de reconnaître le vrai homme.
94 Le fameux problème du choix : selon quel critère et quelle finalité ?
95 Mais la vie étant absurde, pourquoi être solidaire de vies absurdes ? Ce serait absurde !
96 Jean-Marie Salamito : Monsieur Onfray au pays des mythes. Réponses sur Jésus et le christianisme. Salvator. 2017. 156p. p. 142-3

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire