jeudi 20 juin 2019

La pensée de Thomas d'Aquin : foi et raison.


Introduction

à la pensée de Thomas d’Aquin


Antoine Schülé, La Tourette, le 13 juin 2019


« Il est plus beau d’éclairer que de briller seulement ;
de même est-il plus beau de transmettre aux autres
ce qu’on a contemplé que de contempler seulement.1 »
Thomas d’Aquin2 



La période médiévale est encore mal connue du grand public et mon but est de porter un regard sur ce début du XIIIe s. qu’illustre parfaitement Thomas d’Aquin, un moine doublé d’un docteur. En soixante minutes, je vous brosserai de sa pensée un tableau sommaire et en termes simples, pour vous permettre de mieux apprécier son œuvre ou vous inviter à la découvrir.

Il faut commencer par situer le contexte de cette époque. Deux personnalités dominent ce temps : l’empereur Frédéric II (1215-1250), qui conteste l’autorité papale de Grégoire IX sur des territoires italiens, et le roi saint Louis (1226-1270), qui veut défendre l’accès des Lieux Saints aux Chrétiens. La pensée chrétienne vivante jusqu’au XIIe s. s’est construite à la lecture de saint Augustin. Toutefois cette pensée augustinienne a connu plusieurs déviances qui font qu’au final, les réalités terrestres sont moins prises en considération par le clergé.
A la redécouverte des écrits d’Aristote, les enseignants des Universités, qui connaissent un prodigieux essor, établissent une distinction nette entre le savoir physique et le savoir métaphysique3 : ce qui ne signifie pas qu’il y ait une séparation entre les deux car il peut y avoir des liens comme nous le verrons. Retenons que, sur cette base, à la fin du XIIe s. et au début du XIIIe s. , naît une nouvelle forme d’étude et de culture dans un contexte européen particulier.

L’Europe connaît une grande croissance économique : le négoce se développe tout spécialement dans les cités portuaires; une liberté réelle existe (naissance des communes ; les franchises) : de nombreux progrès techniques naissent en ce moment. Au sein de l’Église, un grave problème se pose : de nombreux prêtres ne sont pas instruits, ne prêchent plus et ne donnent même pas un exemple de vie chrétienne. Il y a une réelle désaffection du peuple chrétien à l’égard des prêtres et de la hiérarchie de l’Église. Les laïcs se substituent aux évêques et aux prêtres dans l’évangélisation des fidèles. Comme les premiers apôtres, ils parcourent l’Europe deux par deux : ils sont appelés les « itinérants ». Par réaction en l’absence d’un enseignement fiable de la part de l’Eglise, des hérésies naissent  au milieu de petits groupes de laïcs, ayant tous en commun une soif d’une spiritualité vivante et vécue mais pouvant cultiver des interprétations erronées de la Bible4 : les cathares sont les plus connus alors que leur doctrine est ignorée par le grand public.
Le Pape Innocent III5 réalise la gravité de la situation spirituelle. Une de ses bulles est éloquente et se résume en deux constats : les défenseurs en titre de l’Eglise ne défendent pas l’Église et ils ne s ‘occupent pas du peuple de Dieu. Il préconise un programme et une méthode double : « la saint prédication, par la parole et par l’exemple. ».
Un ordre religieux, les Prémontrés, contribuent utilement au renouveau de l’Église : ils cultivent la pauvreté évangélique et sont des prédicateurs efficaces. Innocent III encourage la création de deux ordres mendiants : l’ordre de Saint François et l’ordre des Frères Prêcheurs ( novembre 1216) dont la figure la plus connue est saint Dominique6.

Saint Dominique

Il a fondé à Toulouse une maison de prédicateurs7 pour convertir les hérétiques et instruire comme parfaire les Chrétiens dans leur connaissance de la foi. Son ordre enseignant veut mener une vie austère et cultiver une parole efficace, savante et féconde : prêcher dans les églises pour instruire les fidèles des vérités de la foi et enseigner en prêchant afin de préparer aussi d’autres prêtres à diffuser la Parole du Christ. Cet ordre est présent dans les universités de Naples, Bologne (droit) et Paris (théologie). C’est ici que nous arrivons à la vie de Thomas d’Aquin et nous le retrouvons d’abord au Mont Cassin, abbaye8 fondée par saint Benoît en 529 et devenu le centre spirituel de la chrétienté au XIe s.

Frédéric II en 1240 expulse les moines bénédictins du Mont Cassin et Thomas se rend à Naples où les Dominicains se trouvent aussi bien parmi les étudiants que les professeurs. Après 5 ou 6 ans de cours où il étudie la grammaire et la logique avec Me Martin et les sciences naturelles avec Me Pierre d’Irlande, il fait profession de foi dans leur couvent de Naples en 1245. Il étudie encore pendant 3 ans en suivant notamment Albert le Grand à Cologne. Devenu moine pour être docteur et docteur pour être moine, Thomas d’Aquin enseignera de 1252 à 1272.

Redécouverte d’Aristote

Les Universités sont ouvertes aux œuvres philosophiques et scientifiques qui sont traduites du grec et de l’arabe. Là, une précision s’impose pour éviter des confusions suscités par les idéologies dominantes de notre temps : les œuvres arabes sont en fait des traductions du grec en arabe alors que la version d’origine grecque a été partiellement ou totalement soit perdue, soit oubliée en Europe.
Paris est connu pour sa faculté de Théologie. Les esprits sont très agités car la pensée d’Aristote est opposée, de façon excessive à mon avis, à celle de saint Augustin (dont un aperçu vous a été donné dans une de mes précédentes communications). A la question faut-il opposer raison et foi, Thomas conclut qu’il faut les harmoniser d’une façon plus précise et plus intense par rapport à Saint Augustin.

Saint Augustin

La doctrine selon Augustin, en ayant subi parfois bien des déformations successives, a prédominé jusqu’au XIIIe s.. Il est nécessaire de procéder à un retour en arrière au IVe et Ve s. Oui, Augustin est arrivé à découvrir la grâce de la foi par la raison : il a connu d’abord les passions et ensuite le manichéisme (que des politiques adoptent volontiers de nos jours pour servir leurs intérêts). La lecture de saint Paul a été l’élément déclencheur de sa conversion : Augustin a discerné ainsi  une « lumière calme et sereine dans son cœur » et qui a dissipé « toutes les ténèbres de ses doutes ».
Son livre « Les Confessions » nous révèle comment est né son besoin de connaître qui repose sur deux bases : autorité et raison. Pour lui, il n’y a qu’une seule autorité : Jésus Christ s’adressant à tous les hommes et à toutes les nations dans le Nouveau Testament (la véritable nouvelle alliance). Ceci étant admis, il convient d’examiner toute chose avec la raison afin de croire la vérité : il faut donc avoir le désir de la comprendre. C’est pourquoi il traite de l’intellectus fidei, de l’intelligence de la foi qui n’est pas seulement une connaissance mais qui se concrétise en une foi agissante par la charité : un Dieu à aimer. En croyant et en obéissant au mouvement de la foi9, l’homme peut se perfectionner en son intelligence comme dans sa pratique de vie. L’intelligence de la foi repose sur la foi qui, elle, repose sur les Évangiles : c’est une science qui s’appelle théologie. Les études profanes ne sont pas rejetées car la foi peut user de tous les instruments naturels de la connaissance. Il peut y avoir une connaissance communicable (poésie, prière, réflexion) et celle qui provient de la contemplation (les mystiques), l’une ne nuisant pas à l’autre.
Augustin a étudié Platon qu’il précise et corrige10 : la philosophie est bel et bien une œuvre de la raison mais reste une sagesse humaine, donc faible, limitée et exposée à l’erreur. Cette philosophie peut cependant servir à la contemplation des choses divines en se mettant au service de la sagesse chrétienne : c’est la théologie. Augustin a démontré que la raison est utile à la foi11.

Thomas d’Aquin, à la suite d’Albert le Grand, démontre, quant à lui, qu’il y a une science de la foi12 : ainsi est née la théologie scientifique.
Son influence a été grande car il a permis que se constitue l’esprit encyclopédique du Moyen Age. Oui, cette soif des savoirs est née bien avant ce siècle dit des ‘’Lumières’’ qui correspondra en fait plus à un crépuscule des lumières de Dieu dans le monde. Le grand public de nos jours ignore trop ce qu’il doit à ce lumineux « Moyen Age » (étiquette sans grand sens recouvrant près de mille ans) : les connaissances du latin, du grec et de l’arabe, les développements de la dialectique (déjà), les passions pour l’éloquence (poésie sacrée merveilleuse13), la science des nombres, l’astronomie, l’histoire et le droit… sur lesquels se bâtira ce XVIe s., pas toujours pour le meilleur, hélas !

Avec la redécouverte d’Aristote en Europe, la dialectique connaît un prodigieux développement au début du XIIIe s. et influence la façon de concevoir la théologie qui se traite dès lors plus au moyen d’un raisonnement logique. Cependant, il ne faut pas considérer Thomas d’Aquin comme un sec doctrinaire car il mène une vie contemplative et mystique, ce qui se sait moins.

Albert le Grand

Grand connaisseur d’Aristote et de ses disciples syriens14, juifs et arabes, Albert le Grand15 exerce une influence décisive sur Thomas d’Aquin. Il est un spécialiste de l’arithmétique, de la géométrie, des mathématiques, de l’astrologie, de la chimie, de la médecine , de la géographie16 et de l’histoire naturelle. Les historiens des sciences du XXe s. s’accordent à dire que les conceptions d’Albert le Grand sont plus justes en ce XIIIe s. que dans les deux siècles qui suivent.

Son mérite essentiel est d’établir des distinctions claires entre science et philosophie, philosophie et théologie. Il prône un développement autonome des sciences17 que sont la théologie, la philosophie et les sciences particulières (énumérées précédemment). Une citation exprime sa méthode : « Lorsque je traite des choses de la nature, je ne traite pas des miracles. ». Il distingue ainsi ce qui relève de la physique et de la métaphysique, l’une ne niant pas l’autre ou l’une n’excluant pas l’autre ! L’expérience personnelle est une méthode qu’il encourage : son étude des minéraux en est un exemple. Sa curiosité scientifique est illimitée. Ceci ne l’empêche pas procéder à l’étude des âmes : il anticipe donc très tôt ce qui sera l’objet de la psychologie, selon une dénomination qui apparaîtra au XIXe s. . Seul son vocabulaire diffère : en effet la complexion, la physionomie, les passions et les tempéraments sont les termes qu’il utilise et il faudra attendre six siècles pour les retrouver sous d’autres noms…

Albert le Grand souhaite une philosophie rationnelle qui diffère des sciences expérimentales : pour ce faire, il privilégie Aristote. Selon lui, il est possible de trouver ce lien entre philosophie et théologie qui aboutit à une science théologique avec ses principes et ses méthodes propres. L’histoire du monde et l’histoire de l’homme sont nécessaires pour se penser, pour un savoir et pour une science : il façonne une gerbe des savoir. Thomas d’Aquin retient lui aussi Aristote mais en lui donnant un rôle différent.

Pour Bonaventure, qui est pour l’augustinisme18 et conteste l’emploi d’Aristote19, la théologie reste une sagesse qui est l’aboutissement d’une expérience d’un peuple et de l’homme : cette tendance a manqué parfois de réalisme. Albert le Grand a des paroles dures contre les opposants irréductibles d’Aristote au nom de l’augustinisme. Ecoutons-le  : « les ignorants qui veulent de toutes manières combattre l’usage de la philosophie, surtout les Prêcheurs ; comme des animaux sans raison, ils blasphèment ce qu’ils ignorent. ».

Pour Thomas d’Aquin, la théologie doit être une science20 qui établit une connaissance objective et démonstrative des conditions générales du salut des hommes et qui se transmet par l’enseignement. Si la philosophie repose normalement sur la raison, la théologie repose sur Dieu qui se révèle dans l’Ancien et le Nouveau testament (ce que disait déjà saint Augustin). Si la théologie recherche des principes dans la foi, la philosophie les recherche dans la raison. Toutefois la théologie n’empêche pas des accords entre les deux.
La foi prédomine car les vérités du monde souffrent de notre myopie intellectuelle. Une conclusion scientifique ne se confond donc pas avec une affirmation de l’Écriture qui, Elle, a des mystères et de l’indémontrable, à respecter, comme il s’y trouve de l’intelligible et du démontrable, à ne pas ignorer.

Aristote et Thomas d’Aquin

Une citation d’Aristote est explicite quant à la démarche intellectuelle de Thomas d’Aquin :
« Savoir en effet, c’est connaître la cause par laquelle une chose est ce qu’elle est et ne saurait être autrement qu’elle est. ».
C’est la base même de la réalité scientifique : la science passe d’une évidence ou une certitude de principes connus à des conclusions à connaître, se dévoilant par démonstration. A partir du connu, il est donc possible par le raisonnement de reculer les limites de l’inconnu. Il existe cependant l’intuition intellectuelle qui surgit à l’esprit sans ce raisonnement : seule une réflexion sur l’intuition conduit à un raisonnement pouvant faire avancer les sciences.

Un exemple, anachronique car pris au XIXe s., illustre bien ce rôle de l’intuition  : en 1865, le chimiste Frédéric Kekulé von Stradonitz21 a découvert le cycle du benzène en rêvant d’un serpent qui se mordait la queue ; il a eu cette intuition dans son rêve qui fut fructueux car il ne l’a pas écarté mais il a réfléchi sur celui-ci. Ainsi, il a trouvé cette symbolique graphique qui a révolutionné la chimie structurale et sans qu’il en perçoive d’ailleurs toutes les conséquences. Mais revenons à Thomas.

Une philosophie de l’être

Thomas d’Aquin, à la lecture d’Aristote, a construit une philosophie de l’être à partir d’une intuition : « Toute chose a une raison d’être ce qui nous conduit à l’Être, à Dieu. ».
L’intuition intellectuelle est une intelligence en vue de connaître la vérité. Cette vérité ne s’approche que par le jugement de la raison. Ainsi nous avons une intelligence de la réalité concrète. L’intuition22 reste le début de subtiles analyses23. Il pourrait s’établir cette équation : intuition + réflexion = savoir. Toutefois, il y a une réserve quand l’homme pense à Dieu : il doit être conscient qu’il ne peut Le penser qu’au moyen des limites humaines de sa raison. La meilleure approche est celle de l’analogie de l’être : il établit cette théorie qui témoigne d’une psychologie fondée sur une métaphysique de l’être.
Intuition : une voix de l’Esprit Saint.

Son intuition ne naît pas de rien : elle naît de la méditation de la Parole de Dieu qui lui permettra d’abord une méditation accompagnée d’une réflexion et ensuite une prédication. Pour bien le comprendre, mettons-nous à l’écoute de Thomas lorsqu’il commente le deuxième article du Credo où il énumère cinq attitudes relatives à la Parole de Dieu :

  1. Connaître la Parole de Dieu « Un des signes que nous aimons Dieu est d’écouter volontiers sa Parole. » ;
  2. Croire en la Parole « car c’est ainsi que la Parole de Dieu, c’est-à-dire le Christ, habite en nous. » ;
  3. La méditer continuellement : « car il ne suffit pas d’y croire, il faut encore la ruminer, autrement elle ne serait d’aucune utilité ; mais si on le fait , cette méditation est très utile contre le péché. » ;
  4. La transmettre aux autres : « par l’exhortation, la prédication et l’exemple. » ;
  5. La vivre pour être en vérité comme le dit saint Jacques « des réalisateurs de la Parole et non ses auditeurs oublieux ».
Le meilleur exemple de mise en application de ces cinq attitudes nous est donné par la Vierge Marie qui a engendré le Verbe de Dieu : « Elle l’a d’abord écouté.… puis elle y a adhéré par la foi… elle l’a gardé et porté en son sein… ensuite elle l’a mis au monde , et finalement elle l’a nourri et allaité. »24.

Dialectique de Thomas d’Aquin

Elle s’est forgée par une pratique universitaire25 communément exercée depuis le XIIe s., appelée la disputatio26, la dispute. Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’une lutte verbale avec des invectives, des injures ou des harcèlements27 : ceci n’interdisant pas le sain échange de points de vue, parfois à la limite de la vive polémique.

Le maître donnait un thème, la quaestio, qui était traité ensuite par des objections et des réponses, soit par lui seul, soit lui et une personne soutenant un autre point de vue, soit encore par ses élèves et où alors il intervenait en tant qu’arbitre. Nous parlerions aujourd’hui d’une pédagogie active, appelée ici dialectique : une idée, un choix, un raisonnement se défendent avec des arguments. Le maître y jouait parfois sa fonction devant des étudiants attentifs ou en présence de ses confrères : il devait produire des arguments de raison et d’autorité28.

Cet exercice, où Thomas est devenu un maître, explique la qualité de ses raisonnements suivant une logique rigoureuse. Sa méthode de rédaction est celle qu’on emploie volontiers encore en histoire : l’établissement de fiches préalables sur tous les points à prendre en considération lors de l’argumentation. Ainsi avant d’écrire, il a soumis à des interrogations incessantes (de lui, de ses étudiants et de ses collègues ou de ses opposants) la question qu’il traitait ! De l’oral exercé, il est passé à l’écriture mûrement réfléchie : il n’est que trop vrai que l’enseignant s’enseigne en enseignant.

Appliquons, certes de façon très sommaire, sa méthode pour démontrer l’existence de Dieu. Pour les personnes qui souhaitent approfondir sa démonstration, je les renvoie à sa Somme théologique.
Ici, je vous communique juste quelques éléments de sa pensée qui vous permettront de mieux la comprendre ou d’éveiller votre désir de la lire.

Dieu

A la lecture d’Aristote, Thomas d’Aquin s’attache à découvrir l’essence ou la nature première des choses et leurs rapports avec l’existence, la réalité perceptible par les sens et les expériences. A titre de rappel, Platon déjà affirmait que l’essence précède l’existence (à la différence des existentialistes du XXe s. qui partent du principe que l’existence précède l’essence). Écoutons sa démonstration en trois points :

  1. Partant du connu (le visible, le sensible), de ce qui existe et donc de ce qui est réel, Thomas d’Aquin s’élève vers l’inconnu (l’invisible), l’essence des choses qui conduit à Dieu.
  2. Il établit ce constat : certaines choses qui n’existaient pas existent. La question est donc : pourquoi existent-elles ? Il y avait bien pour elles une possibilité d’exister mais cette possibilité n’a pas suffi pour qu’elles existent. Arrivées à un stade de réalité concrète, elles deviennent intelligibles pour l’être humain et dans les limites de sa raison humaine.
  3. Que nous dit alors la raison ? Il existe inévitablement une cause suprême de tous les êtres qui existent : c’est l’Être nécessaire cause de tout qui s’appelle Dieu.

Dans l’univers, il y a un mouvement, une dynamique que les sciences révèlent abondamment. La physique dit que dès qu’il y a une chose mue, il y a un principe moteur. Le premier moteur fixe et immuable, c’est Dieu

Créatures

Pourquoi un être existe ? La première cause est la volonté de Dieu : le Créateur. Il y a une grande diversité parmi les êtres car ils n’ont pas tous la même unité, la même vérité, la même bonté ou la même beauté. Dieu crée des êtres purement spirituels comme les anges, des êtres dont la spiritualité est jointe à une matière comme les hommes, des êtres purement matériels comme les animaux, les plantes et les minéraux.

Thomas d’Aquin considère la place que l’homme occupe dans l’univers, ce qu’est l’homme en son corps et en son âme. C’est ainsi comprendre ce que nous sommes. Dieu nous a dotés d’une intelligence qui est une lumière permettant de voir dans toute réalité ce qui intelligible à partir du sensible. Chaque être humain possède une intelligence qui lui est particulière. L’être humain dispose d’un corps, de sens et d’une volonté qui lui offrent de nombreuses possibilités d’actions mais toutes ces facultés sont régies par une âme, la cause première au sein de l’individu qui vit pour être une personne.
D’où nous pouvons retenir cette belle affirmation de Thomas d’Aquin sur la personne humaine :
« Chaque personne humaine n’a qu’une âme et cette âme lui permet d’être un être corporel doué de la vie végétative, un être sensible doué des richesses d’une sensibilité et un être intelligent, capable de penser et d’aimer. ».

Dans le sein maternel, Thomas affirme même que la formation de l’enfant vit une succession de trois âmes : une âme végétative, une âme sensible et une âme intellective. Les études biologique récentes confirment cette évolution du fœtus dès sa conception : tout commence par une division cellulaire jusqu’ à se finaliser avec la formation du cerveau. La vie qui anime l’embryon et celle du fœtus sont ordonnées à la vie de l’intelligence et de la volonté ou , si vous préférez un propos plus simple, ont comme finalité la vie de l’intelligence pour l’exercice de la volonté.

Dès la Genèse, Dieu se révèle à l’homme en se nommant de façon précise : « Je suis celui qui suis. »29. Il est l’Acte essentiel. Dieu est infini, n’a rien à acquérir, rien à recevoir. Dieu peut tout donner sans muter, sans se mouvoir. Il est le Créateur de toute chose. Thomas d’Aquin démontre que Dieu, cause première de toutes choses, est une cause créatrice sans laquelle rien de ce qui est, quoiqu’il soit, n’existerait.

Quelle est la finalité de la création ? Tout ce que Dieu crée, Il l’ordonne à Lui, à sa bonté. Il ordonne à Lui d’une façon immédiate les êtres intelligents comme les hommes et les anges et d’une manière immédiate les autres êtres non intelligents. C’est pourquoi la finalité de l’homme réside dans ce désir naturel d’être uni à son principe qui est Dieu. Tout aboutit à Lui et au plus grand Bien.

Le mal

Que dire alors sur le mal  qui se perçoit dans le monde ? Le mal n’est jamais une nature en soi, ayant une existence déterminée et une essence propre : en effet, le mal est toujours une privation par rapport au bien, comme la cécité est une privation de la vue.
Il y a deux sortes de privation :
  • la privation soit d’une forme ou d’une propriété (un aveugle est privé de vue) ;
  • la privation d’une fin qui n’est pas atteinte (une action non couronnée de succès) ou qui est contraire à la fin qui était ordonnée.

Qu’est-ce que le mal moral ? C’est quand l’homme n’atteint pas une fin à laquelle il était ordonné ou « appelé » si vous préférez. Le péché concerne essentiellement le mal dans la volonté, la faute mesure le degré de responsabilité d’une volonté mauvaise et la peine concerne les conséquences qui résultent des œuvres faites par une mauvaise volonté : c’est la conséquence d’une responsabilité personnelle. Le libre arbitre nous est donné par Dieu : tout homme a le gouvernement de son corps par son intelligence, cette lumière humaine qui est un don de Dieu, et par sa volonté, la force de l’esprit issu de l’Esprit Saint. Notre XXIe s. démontre qu’il existe, à des degrés divers, des intelligences sans lumière et des absences de volonté en se soumettant à des déterminismes extérieurs : ce sont les fruits d’une faute humaine et non d’une faute divine.

La résurrection

La résurrection est la naissance à un corps incorruptible, à un mode d’existence entièrement soumis à la vie spirituelle, pour partager la gloire de Dieu. Les damnés, car il y en a et en aura pour celles et ceux qui ont refusé, refusent et refuseront la miséricorde de Dieu, ressusciteront, non pour partager cette gloire mais pour subir la peine éternelle à laquelle ils se sont eux-mêmes soumis : leur privation volontaire de partager la gloire de Dieu qui est symbolisée par une vallée de larmes.

Présence de Dieu

Thomas d’Aquin nous invite à comprendre que nous pouvons parler de Dieu en contrant l’agnosticisme qui prétend que Dieu est inconnaissable comme en contrant cet anthropomorphisme, qui résulte parfois d’une mauvaise lecture de l’Ancien testament, et qui rabaisse Dieu à une nature humaine, Le rendant ainsi méconnaissable30. Avec le Nouveau testament, nous retrouvons un Dieu revêtu d’humanité mais qui reste Dieu. En effet Dieu possède à sa manière des perfections que nous percevons de façon limitée.
Ainsi si nous ne pouvons pas définir Dieu, nous pouvons par contre connaître intimement Sa Présence31. Nous n’entretenons avec Lui que des relations de créatures face au Créateur : Dieu a fait l’homme à son image, un homme parfait32 à l’origine mais qui a été dégradé par la faute originelle qui a produit d’un côté des Caïn et des Judas qui discréditent Dieu mais aussi d’un autre côté la foule des saints connus et inconnus qui, par leur intelligence et leur volonté à travers des actes, rendent Dieu intelligible aux humains.

Thomas enseigne la présence de Dieu en toutes choses :
« Il y est par sa puissance parce que tout lui est soumis ; il y est par sa présence, parce que tout est à découvert et comme à nu devant ses yeux ; il y est enfin par son essence, parce qu’il est présent à tout comme cause universelle de l’être. 33»

Sa Présence (dénommée la cause efficiente) est un aspect statique du Créateur qui n’efface pas son aspect dynamique qui est la Providence (cause finale selon l‘ordre des choses) : la Providence est ce lien dans la création entre le Créateur et ses créatures. La Providence est tout ce qui nous ramène vers le Souverain Bien qu’est Dieu et auquel nous sommes tous appelés.

Tout ce qui est créé l’a été selon l’intelligence divine que notre intelligence humaine ne peut pas saisir : acceptons le mystère de Dieu, ce qui ne nous empêche pas de découvrir la Présence de Dieu dans nos vies, nos recherches, nos sentiments et l’amour que nous Lui portons. Il n’y a pour Dieu ni de passé, ni d’avenir ; tout est présent à sa pensée éternellement, et ce qui est pour nous passé et avenir, est présent pour Dieu : « Je suis celui qui suis ».

La liberté

Avec la Providence, s’ouvre le grand débat : tout est-il déterminé par avance ? Ainsi le hasard ou les contingences de la vie n’existeraient pas. Quelle est la place de la liberté humaine face à la volonté divine ? Il s’agit de ne pas assimiler la volonté divine à la nôtre : cette erreur serait de cet anthropomorphisme que la seule lecture de l’Ancien testament peut malheureusement favoriser.
Il y a bien une volonté divine qui se fait entendre dans le cœur de l’homme pour nous conduire à Lui mais cet homme reste libre d’écouter et de suivre la voix de Dieu. Il appartient librement à l’homme de mettre sa volonté humaine en accord avec la volonté divine : et la Providence joue alors son rôle comme nous le voyons dans les vies de nombreuses saintes et de multiples saints.
Tout homme cherche une activité conforme à la raison et qui, à l’origine, est une recherche du bien. Or le bien suprême est Dieu : le moyen est d’y parvenir aussi par la raison. Ainsi à travers l’homme et son activité, Dieu peut se faire entendre à d’autres hommes.
La perfection ou l’imperfection des actes, fruits d’une volonté humaine, dépendent de la perfection ou de l’imperfection de la connaissance humaine : ce jugement qui nous incline à agir de telle ou telle façon. Si l’ange34 agit par intuition pure, l’homme a besoin en plus de la raison. Un acte humain est dit volontaire quand l’homme en a la maîtrise. Si la volonté peut être parfaite spirituellement ou intellectuellement, l’acte n’a cependant pas toujours la perfection attendue. L’homme a besoin de connaître ce qu’est le bien, de vouloir35 l’accomplir en adoptant des moyens pour y parvenir et il agit avec un moteur spirituel, extérieur à la volonté humaine, qui est Dieu36. Ainsi ce n’est pas Dieu qui veut, mais nous , les hommes, qui voulons sous la motion de Dieu : vous êtes là au cœur de ce que révèle Thomas d’Aquin quant à la liberté humaine qui consiste à mettre librement cette volonté humaine en conformité avec la volonté divine.

En cette brève esquisse, vous avez, je le crois, l’essentiel de la pensée de Thomas d’Aquin pour le lire, le relire ou le découvrir.

Fausse opposition saint Augustin et saint Thomas

Augustin s’adresse plus au cœur37 et Thomas plus à la raison38, dans leurs écrits. Pour ma part, ils sont complémentaires : tous deux exigent de se mettre à l’écoute de la Parole du Nouveau testament pour bien comprendre l’Ancien testament39. Pour un jeune désireux d’approfondir cette foi qu’il faut nourrir sous peine de la voir dépérir, je lui recommande de commencer par la lecture d’Augustin et ensuite de Thomas pour réfléchir à toutes les questions que nous pouvons avoir de nos jours40 et écouter leurs réponses à la lumière de la Parole.
Pour Augustin, l’autorité de la foi est souveraine. Cette foi doit être vivante et aimante et requiert l’usage de la raison, et de toutes les ressources des sens et de l’esprit. La différence avec Thomas est que pour Augustin la foi n’a pas besoin d’être démontrée scientifiquement.
Thomas, à la lecture d’Aristote, veut privilégier la logique qui conduit du connu à l’inconnu plutôt que la métaphysique, la morale ou la psychologie, fruits de la contemplation, que nous trouvons chez saint Augustin. Dieu est la fin ultime et le rôle de la foi consiste à aimer Dieu, ce qui exige de mieux comprendre cette richesse de la foi.
Pour Thomas, Dieu peut être aussi considéré comme l’objet d’une science spéculative41 qui sera avec lui, une théologie spéculative. Il introduit la raison dans le sanctuaire de la foi : les divines réalités peuvent être contemplées par des recherches rationnelles.
Ce qui n’empêche pas Thomas de nous dire, et il s’agit de ne pas l’oublier, qu’il avait plus appris au pied de son crucifix que dans les livres. Le rôle de la contemplation est donc bien présent chez lui. Les trois dons d’intelligence, de science et de sagesse sont les principes de la contemplation. La contemplation est une connaissance qui a son principe et son terme dans l’amour. N’étudier que pour la savoir, c’est de la philosophie ; étudier pour goûter la dilection divine, c’est-à-dire aimer Dieu vraiment42, c’est la vraie contemplation dont les fruits sont indescriptibles : il faut souhaiter que chacun d’entre nous puisse connaître les moments d’extase (c’est tout simple et à la portée de chacun : être hors de soi pour être en Dieu) afin de ressentir la Présence de Dieu, dans un parfait silence et dans une totale plénitude.

Les sources de Thomas

Chacun a bien compris que la Bible est la source première de Thomas. Il a développé la logique selon sa lecture d’Aristote. Et cependant, il se réfère très souvent aux Pères de l’Église, sources de la théologie :

  • Origène (185 – 253) qui a consacré sa vie à l’enseignement et à la prédication et dont les commentaires de la Bible ont été pertinents pour trancher de nombreuses questions théologiques ;
  • Athanase d’Alexandrie (295 – 373) qui a défendu le dogme trinitaire ;
  • Hilaire (env 315 – env 367) qui a traduit Origène et fait connaître son commentaire des Psaumes, très utile dans sa perception de la lecture grecque et latine de la Bible ;
  • Ambroise de Milan (339 – 397) connu pour ses sermons et ses traités théologiques, surtout pour son interprétation du Cantique des cantiques où l’Église est l’épouse tant désirée (le mariage mystique ente l’âme et le Verbe), il a œuvré pour la suprématie de l’Église sur les souverainetés;
  • saint Jérôme (env 347 - 419) qui s’est attaché à une meilleure traduction de la Bible et qui a déployé un talent extraordinaire de polémiste contre les contestataires de la foi ;
  • saint Jean Chrysostome (env 354 – 407) qui a prôné la recherche d’une communion avec Dieu par la contemplation et par l’ascèse ;
  • Cyrille (380 – 444), auteur de nombreux ouvrages d’érudition biblique et théologique qui a contré de nombreuses hérésies ;
  • le Pseudo-Denys (Ve et VIe s.) qui a développé une doctrine mystique ;
  • Jean Damascène (env 640 – env 750, arabe appelé aussi Mansour) dont le livre Source de la connaissance a nourri la pensée byzantine du Moyen Age et a contribué à faire redécouvrir Aristote en Europe ;
  • Bède le vénérable (672 – 735), grand commentateur de la Bible, il est aussi considéré comme le premier historien de l’Angleterre (Dieu continuant à se révéler à travers les peuples comme Dieu s’est révélé au peuple d’Israël).

Thomas d’Aquin a trouvé chez ces auteurs de quoi alimenter sa foi qui était pourtant déjà grande. Je me pose diverses questions : pourquoi de nos jours, la majorité des Catholiques ignorent les Pères de l’Église ? Pourquoi ceux-ci sont-ils passés sous silence dans les homélies en paroisses ? Pourquoi négliger ces trésors de la foi qui dorment sur des rayons de bibliothèque et qui attendent, désespérément, nos consultations ?

Vous pouvez y remédier en lisant de Thomas d’Aquin les Catena aurea, ses commentaires des Évangiles, justement avec les citations de ces Pères de l’Église : je vous assure que, si une homélie n’a pas réussi à vous convaincre, vous goûterez à la plus belle façon de lire les Évangiles.
Oui, découvrez ainsi le moyen le plus utile d’allumer le feu de l’Esprit Saint en vos cœurs.

Avant de conclure, abordons rapidement trois thèmes majeurs : la morale, la charité et l’éducation.

La morale

Pour Thomas d’Aquin, il ne s’agit pas seulement de connaître Dieu mais encore de L’aimer et donc de Le servir : d’où l’établissement d’une théologie morale. La foi impose des règles et des motifs à la conscience du chrétien qui doivent se concrétiser dans des motifs et des règles de vie au quotidien. Oui, n’oublions pas que les actes pèsent plus que les paroles !

Dans ce terrain de l’action, une vie morale s’impose. De nos jours, nous voyons les « succès » de la morale laïque, qui ne repose sur rien43 ou sur des valeurs floues, malléables au gré des individus ou d’un pouvoir politique44 et je pense qu’il est utile de revenir à la morale rationnelle et scientifique, quoique théologique, de Thomas d’Aquin.

Dieu est au plus intime de nous-mêmes, donc nos actes doivent refléter Dieu : ceci exige le courage de lutter contre les forces du mal. Je constate souvent qu’il y a, là, moins de combattants et beaucoup plus de lâches. Ceci n’est pas une raison pour ne pas poursuivre la lutte pour faire éclater la vérité car il n’y a pas de justice sans vérité. Lutter contre un mensonge, et il importe peu de connaître la fonction45 de celui qui en est la source, est une nécessité. Prenez l’exemple des prêtres pédophiles, il y a aussi des coupable au sein des paroisses46 et pas seulement au sein de la hiérarchie quand elle était informée : les personnes qui savaient et qui ont préféré se taire. Leur silence47 les rend coresponsables des crimes commis.

Pour partager la Gloire de Dieu48, ce qui est la fin ou la béatitude que souhaite tout Chrétien, il s’agit de mettre notre volonté humaine au service de cette fin, de régler nos besoins humains dans cette perspective qui est tout simplement de pouvoir partager pleinement la parfaite connaissance de Dieu, dans cette vie d’après la vie terrestre. La grâce que Dieu accorde à tout homme est d’être présent au plus intime de celui-ci. Encore faut-il que cet homme reconnaisse Dieu dans sa vie. Ceci ne suffit pas : le Dieu de la foi est le Dieu de la raison et le Dieu qui doit se révéler à travers nos actes volontaires. Son action créatrice se révèle dans notre activité morale qui a pour nom la charité. L’âme peut dès lors agir avec la quasi certitude de ne pas se tromper. Cette certitude provient de Dieu par Son don de l’Esprit, le don de la sagesse divine. Pour arriver à ce stade, qui demande du temps et de la réflexion, il s’agit de purifier son cœur comme son esprit : le temps d’une vie terrestre en offre d’innombrables possibilités en diverses circonstances et qu’il faut savoir saisir.

La charité

La justice sociale a pour raison d’être de sauvegarder les relations des personnes au sein de la société : une vertu humaine nécessaire. La charité est une vertu surnaturelle. Pourquoi ? La charité consiste :
  • à aimer Dieu pour Lui-même et par dessus toutes choses
  • et le prochain comme soi-même pour Dieu.
Ceci signifie qu’en charité, je suis obligé d’aimer mon prochain sans qu’il y ait droit et qu’en justice, je satisfais le droit d’autrui, sans aucune obligation de l’aimer personnellement. En charité, le prochain est un autre moi-même ; en justice il est un autre que moi. En charité, je m’intéresse à autrui pour son âme à orienter vers Dieu. En justice, son âme ne m’intéresse pas. La charité ne méprise pas la justice mais elle ne se place pas au même niveau.
Quelques précisions : la justice particulière règle les rapports d’individu à individu, la justice sociale règle les rapports dans une société donnée. Il y a des imperfections possibles. A tous les préjugés et égoïsmes individuels qui proviennent de notre nature animale et du péché originel peuvent s’ajouter les préjugés et les égoïsmes qui naissent de la vie en commun. Prenez un exemple dans nos villages : cet esprit de clan qui peut aveugler totalement les uns et les autres dans une commune !
Des lois justes sont celles qui ont en vue le bien commun qui est de rendre à la société ce qui lui est dû quand elle assume son rôle : le respect de la dignité de chacun qui consiste à ne mépriser ni la personne, ni son travail. N’oublions pas que la loi ne peut ni tout prescrire, ni tout commander ! Thomas d’Aquin n’est pas contre le tyrannicide.

Nous pouvons être fiers d’être Chrétiens, tout ce qui s’est fait de juste dans le monde depuis vingt siècles, et tout ce qui s’y réalise de nos jours, est dû à la charité chrétienne et les personnes qui nient Dieu seraient bien en peine de prouver le contraire : je pense à M. Michel Onfray qui d’ailleurs regrette cette empreinte du christianisme49 ! Les erreurs, les bavures de l’histoire du christianisme n’enlèvent rien à ce simple constat50. Oui, la charité chrétienne s’est acclimatée dans l’humanité : la charité a été laïcisée sous les nom de solidarité, de philanthropie et parfois de pitié ou de bonté. Or, à la base, la charité chrétienne nous conduit à aimer Dieu pour lui-même parce qu’il est infiniment bon et à aimer notre prochain comme nous-mêmes pour Dieu51. Rappelons-nous que les injustices sociales du XIXe s. ont éloigné de Dieu leurs victimes qui n’ont plus pu croire en la charité chrétienne qui leur semblait ne rien faire contre ces injustices qu’ils subissaient. Le devoir du Chrétien est de balayer toute injustice qu’il constate : autant dire qu’il y a du travail pour chacun là où il se trouve52 !

L’éducation

Nous pourrions croire que Thomas d’Aquin prône l’enseignement seul des sciences en matière d’éducation. Ce serait une erreur. La science se contente de nous dire ce qui est et non ce qui doit être. La morale nous enseigne ce qui doit être selon la raison et la sagesse divine. La méthode pédagogique consiste à trouver un juste équilibre entre raison et science : il faut éviter de trop demander à la science au détriment de la raison comme de trop demander à la raison au détriment de la science. Thomas prône une sage utilisation des faits scientifiques. Pour approfondir cette question, la lecture de la seconde partie de la Somme qui traite des Actes humains et des habitudes et des vertus nous communique son expérience psychologique.
Retenons l’essentiel : en même temps que l’éducation de l’intelligence, il doit y avoir une éducation de la volonté. La culture du sentiment religieux, cet appel intérieur de Dieu, doit s’accompagner d’une instruction religieuse, pour Le connaître.

Pourquoi une éducation de la volonté ? Elle consiste à harmoniser les passions de la sensibilité, qui ont une si grande force, avec les sentiments de la volonté, sous la maîtrise de la raison. Cette volonté est la maîtresse de nos actes libres. Soumises à la volonté de l’homme, les passions, en soi ni bonnes, ni mauvaises, peuvent devenir des instruments de vertu ou de vice. Ces passions soit sont soumises à la raison, soit soumettent l’homme. Et je laisse la parole au Père Gillet car il n’est pas possible de mieux exprimer la façon de discipliner les passions :

« Amour, désir, joie, haine, aversion, tristesse, crainte, espoir, désespoir, colère, telle est ce qu’on peut appeler la gamme des passions. Or de même qu’avec les notes de la gamme musicale, on peut faire de la bonne ou mauvaise musique, pareillement avec les passions, au point de vue moral, on peut faire de bonne ou mauvaise besogne. Il s’agit de bien connaître le mécanisme des passions, et la méthode à employer, non pour les détruire certes, mais les discipliner et mettre leurs ressources au service de la morale. Or, à qui veut bien y prendre garde, nous trouvons dans la volonté une gamme de sentiments qui correspond à celle des passions. La volonté aussi aime, désire, jouit ; elle hait, se détourne et souffre ; elle espère ou désespère ; elle est craintive ou audacieuse ; calme ou irritable. » .

Il convient de ne pas se livrer aveuglément à ses passions mais de les contrôler avec la volonté, à la lumière et sous le contrôle de la raison. Et du Père Gillet, je reprends cette belle comparaison : « En somme notre âme, sous ce rapport, ressemble à un orgue à deux claviers : l’un des passions sensibles, l’autre des sentiments volontaires. ». Il convient de les accorder pour entendre et vivre l’harmonie.

La liturgie joue un rôle dans l’éducation. Elle doit favoriser la contemplation et l’action, la vie intérieure et la vie extérieure. Est-ce que nous percevons ce rôle de la liturgie dans toutes les paroisses ? Je vous laisse la réponse qui variera selon vos expériences. Pour ma part, en ayant connu plusieurs, je dis avec certains prêtres : oui et je rends grâce à Dieu, alors qu’avec d’autres : aucunement et ceci m’attriste.

Conclusion

Comment conclure ? En quelques minutes, j’ai tenté de vous brosser une esquisse de la pensée de Thomas d’Aquin et j’espère que ce travail aide l’un ou l’autre d’entre vous à lire, à découvrir ou redécouvrir ce docteur de l’Eglise.
Thomas d’Aquin n’est pas enfermé dans une sorte de bulle philosophique inatteignable. Il est très concret et réaliste dans ses écrits et c’est pourquoi il reste lisible encore de nos jours.
Il y a peu de temps encore, je croyais que tous ses écrits avait été traduits alors que ce n’est pas le cas. Il faut dire que son œuvre est abondante malgré les incessants voyages53 que nécessitait son enseignement (Naples, Paris Cologne, Rome, Paris, Orvieto, Paris et Naples). Son avis était sollicité sur de nombreuses questions et il n’a pas pu achever certaines œuvres.
Sa lecture est productive encore au XXIe s. car il nous livre une méthode de réflexion et d’analyse pour répondre aux questions actuelles. Il ne s’agit pas de reprendre tous ses arguments du XIIIe s., nés dans un contexte historique précis. Par contre, il a des arguments qui sont propres à tous le siècles.
Pour conclure, et là je pense à Maurice Zundel, il faut distinguer la doctrine de saint Thomas du thomisme. D’une part, l’Europe, dès le XVIe s., a vu qu’il a suffi d’enlever la notion de Dieu pour ne cultiver que la raison : cette raison du XVIIIe s. a eu des effets que chacun peut apprécier en ce XXIe s.. D’autre part, il y a eu des emplois sélectifs de la doctrine de Thomas pour bricoler une nouvelle doctrine qui porte son nom mais ne nous laissons pas tromper par l’étiquette du contenant qui ne désigne nullement le contenu  : l’emploi de paralogismes en est le signe le plus flagrant…  Ceci est un autre sujet !
Je signale que l’Église a corrigé les affirmations de Thomas d’Aquin du XIIIe s., sur certains points, comme le statut des enfants morts sans baptême par exemple.
Il reste un maître spirituel et sa lecture nous aide à se mettre sur le chemin ardu de la sainteté qui passe par une éducation incessante et de l’intelligence et, surtout, de la volonté qui doivent se vivre dans des actes courageux et non dans une passivité indolente et timorée.

Conseils de lecture :

Pour commencer :

Il est préférable, pour celui qui n’ a jamais lu Thomas d’Aquin, de commencer par ses commentaires sur des thèmes que tout Chrétien connaît :
Saint Thomas d’Aquin  (trad. par un moine de Fontgombault) : Le Pater et l’Ave . NEL. Paris. 1967. 188 p.

Saint Thomas d’Aquin  (trad. par un moine de Fontgombault) : Le Credo. NEL. Paris. 1969. 236 p.

Saint Thomas d’Aquin  (trad. par un moine de Fontgombault) : Les commandements. NEL. Paris. 1970. 240 p.
Ces trois volumes, d’un format pratique, disposent de très bonnes introductions et, ce qui plaira à tout latiniste, vous avez le texte latin en vis-à-vis de la traduction.

Pour approfondir

Avant d’aborder la Somme théologique de Thomas, il est judicieux de se préparer spirituellement avec un petit manuel pratique :
Saint Thomas (textes choisis et traduits par Joseph Rassam) : L’être et l’esprit. PUF. Paris. 1971. 188 p.
Ce manuel de format de poche vous permettra de sélectionner la thématique que vous désirez approfondir avec Thomas d’Aquin. Son précieux lexique du vocabulaire thomiste (pp. 171-181) est très utile.

Saint Thomas d’Aquin  (trad. du Père Kreit): Bref résumé de la foi chrétienne. Compendium theologiae. Nouvelles Éditions Latines (NEL). 1985. 612 p.
Cette édition plaira aux latinistes car vous avez en bas de page, le texte latin. Excellent moyen de s’initier au latin de Thomas d’Aquin.
Consultez ensuite le livre du Père Torell ci-dessous pour continuer vos découvertes.

Saint Thomas d’Aquin : de nombreux sites Internet vous offrent
  • des traductions de ses œuvres :
www. JésusMarie.com ;
Ne manquez pas le Catena aurea (La chaîne d’or) qui réunit ses commentaires des Évangiles à l’aide de citations des Pères de l’Église : si vous voulez lire qu’une seule œuvre de lui, c’est ce qu’il vous faut. Vous êtes face à un feu d’artifice spirituel.
  • ou des commentaires :
http://docteurangelique.free.fr/accueil/InstitutDocteurAngelique.htm

Pour s’initier :

St M. Gillet o.p. : Thomas d’Aquin. Les constructeurs. Dunod. Paris. 1949. 284 p.
Cet ouvrage se lit agréablement et je le recommande à toute personne qui ignore tout de Thomas d’Aquin. Il vous facilitera toute lecture thomiste ultérieure.

Pour le voyage spirituel :

Jean-Pierre Torrell o.p ; Initiation à Saint Thomas d’Aquin. Sa personne et son œuvre. Université de Fribourg et Cerf. Paris. 1993. 596 p.
Cet ouvrage de référence est l’utile complément au précédent pour approfondir l’œuvre de Thomas d’Aquin. Vous y trouverez toutes les références utiles et les plus sûres pour parcourir l’œuvre immense de Thomas d’Aquin. Bon voyage !

Pour une étude philosophique systématique

Abbé Henri Collin : Manuel de philosophie thomiste. Tequi . Paris. 1926. T. I, 588 p. ; 1927, T. II, 476 p.
Ce livre a été conçu pour la connaissance de la philosophie, selon le programme officiel de l’Enseignement secondaire. Logique formelle, ontologie, psychologie, critériologie, méthodologie, morale, théologie naturelle. Le deuxième tome est pourvu d’une table analytique très utile pour explorer la pensée de Thomas : bonnes découvertes !

Antoine Schülé, La Tourette, le 13 juin 2019.

Vous souhaitez me contacter : antoine.schule@free.fr

1 Majus est illuminare quam lucere solum ; ita majus est contemplata aliis tradere quam solum contemplari.
2 Somme théologique (IIa-IIae, q. 188, a. 6)
3 Métaphysique désigne selon Aristote ce qui vient après la physique.
4 Une lecture littérale sans chercher l’esprit du texte ou sans tenir compte des spécificités du Nouveau testament.
5 Pape de 1198 à 1216, né en 1160. De la famille des comtes de Segni, il a étudié la théologie à Paris et le droit à Bologne.
6 Castillan, né vers 1170 et mort en 1221. Il luttera contre l’hérésie albigeoise ou cathare. Il a mené une prédication itinérante en Languedoc en donnant l’exemple d’une pauvreté réellement vécue.
7 Le 22 décembre 1216, le nouveau Pape Honorius III confirme cet ordre qui adopte la règle de Saint Augustin et l’idéal monastique.
8 Totalement détruite en 1944 et reconstruite depuis.
9 Pour Augustin, la foi donne l’intelligence ; pour Thomas, l’intelligence donne la foi. C’est une formulation caricaturale qui illustre cependant assez bien leur différence.
10 Albert le Grand commencera à faire de même avec Aristote et Thomas d’Aquin parachèvera cette démarche.
11 Aboutissant à une expérience de Dieu dans sa vie qui permet ainsi de le connaître.
12 Aboutissant à une connaissance de Dieu pour conduire sa vie.
13 Consultez mes trois communications consacrées à la poésie religieuse.
14 Il s’oublie trop facilement du rôle de la Syrie dans la transmission du savoir philosophique.
15 Né vers 1193 et mort en 1280.
16 Sa géographie a inspiré Christophe Colomb.
17 Au sens ici de savoir, de connaissance.
18 Construit sur une lecture corrigée de Platon.
19 Qui rompt avec Platon établissant une séparation entre le monde intelligible et le monde sensible. Aristote distingue forme et matière : d’où son réalisme qui fera école.
20 Il ne l’a pas inventé car il a eu deux précurseurs qui lui ont ouvert la voie qu’il suivra : Guillaume d’Auxerre et le franciscain Eudes Rigaud.
21 1829-1896.
22 Cet instinct intellectuel.
23 Un historien est à l’écoute de l’intuition pour découvrir les vérités du passé. Soit elle est fausse et il recherche d’autres voies, soit elle est juste et il offre une page inédite et vraie du passé.
24 Thomas d’Aquin : Sur le Credo, n° 895-896.
25 Initialement, il y avait exclusivement la lectio était la lecture, parfois commentée, de la Bible et des Pères de l’Église. Première fonction du maître qui évoluera avec la disputatio, le débat contradictoire dirions-nous de nos jours.
26 Il y en a de deux sortes : Disputatio privata : à l’intérieur d’une école en présence des seuls étudiants, échanges entre le maître et le bachelier. Disputatio publica ou ordinaria : exercice périlleux car un maître en exercice pouvait se mettre ainsi dans l’embarras d’un défaut ou d’un manque d’argument ; cette dernière pratique avait souvent lieu au Carême et à l’Avent avec les Quodlibet.
27 Les fameux « clash » tant prisés des media.
28 La Bible et les Pères de l’Église.
29 Notons bien cet éternel présent de l’Eternelle Présence.
30 Maurice Zundel ne cessera de le dire !
31 Saint Augustin et Maurice Zundel nous aident beaucoup en ce sens.
32 Revêtu de la divinité mais restant homme.
33 Ia P., q. 8, a. 3.
34 Angelos signifie messager : intuition pure, messager de Dieu.
35 Volonté cause seconde.
36 Dieu cause première.
37 Que le littéraire préférera.
38 Que le scientifique privilégiera.
39 Et non l’inverse ! Il est malheureux de constater au sein même de l’Église catholique cette inversion qui révèle une incompréhension totale du message du Christ !
40 L’homme qui s’interroge sur le sens de la vie est le même dans tous les temps : toutes les questions qu’il se pose de nos jours ont déjà été posées : le contexte diffère mais fondamentalement le problème reste le même...
41  Pouvant être l’objet d’une théorie si vous voulez.
42 En son âme et conscience.
43 Des besoins d’une minorité par exemple et non sur le bien commun.
44 Nous arrivons à un droit, à une législation qui ne correspond plus à la justice élémentaire ; une législation qui protège parfois mieux des abus de droit que des droits réels ou naturels.
45 Derrière leurs titres, des manipulateurs peu scrupuleux manigancent à leur aise : ils se sentent au-dessus des lois communes à tous.
46 Parfois mêmes les parents des victimes : ce qui est un comble. Le prétexte invoqué : « Il ne faut pas juger. » Et hop, tout passe sous silence. Pourquoi ? « Il ne faut pas médire ». Est-ce que ceci signifie qu’il faut taire la vérité au supérieur du prêtre concerné ? Ma réponse est « non ». Lorsqu’il y a des faits avérés, il y un devoir d’informer les personnes qui doivent l’être et si ces personnes n’agissent pas ainsi qu’il le faudrait, c’est alors le problème de leur conscience et de leur coresponsabilité !
47 Qui peut s’appeler aussi lâcheté.
48 Thomas d’Aquin : Traité de la béatitude.
49 Lorsqu’il la reconnaît. En général, il a adopté le choix soit de l’ignorer, soit de la vilipender généreusement !
50 Le christianisme est né dans le sang des martyrs mais la Révolution a versé le sang des martyrs que chante d’ailleurs la « Marseillaise »... « Que le sang impur de nos ennemis abreuve nos sillons... », même s’il s’agissait, en ce temps de sa composition, du sang des Anglais, ce que les Français oublient de nos jours, ceci ne choque personne !
51 Et non pour une satisfaction égoïste : l’amour possessif en est un exemple.
52 Chez les juges et les législateurs aussi !
53 A dos de mulet.

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