Introduction
à
la pensée de Thomas d’Aquin
Antoine
Schülé, La Tourette, le 13 juin 2019
« Il
est plus beau d’éclairer que de briller seulement ;
de
même est-il plus beau de transmettre aux autres
ce
qu’on a contemplé que de contempler seulement.1 »
Thomas
d’Aquin2
La
période médiévale est encore mal connue du grand public et mon but
est de porter un regard sur ce début du XIIIe s.
qu’illustre parfaitement Thomas d’Aquin, un moine doublé d’un
docteur. En soixante minutes, je vous brosserai de sa pensée un
tableau sommaire et en termes simples, pour vous permettre de mieux
apprécier son œuvre ou vous inviter à la découvrir.
Il
faut commencer par situer le contexte de cette époque. Deux
personnalités dominent ce temps : l’empereur Frédéric
II (1215-1250), qui
conteste l’autorité papale de
Grégoire IX sur des
territoires italiens, et le
roi saint Louis
(1226-1270), qui
veut défendre l’accès des Lieux Saints aux Chrétiens.
La pensée chrétienne vivante jusqu’au XIIe s.
s’est construite à la lecture
de saint Augustin. Toutefois cette
pensée augustinienne a
connu plusieurs déviances qui font qu’au
final,
les réalités
terrestres sont moins
prises en considération par
le clergé.
A
la redécouverte des écrits d’Aristote, les enseignants des
Universités, qui connaissent un prodigieux essor, établissent une
distinction nette entre
le savoir physique
et le savoir
métaphysique3 :
ce qui ne
signifie pas qu’il y ait
une séparation entre les deux car il peut y avoir des liens
comme nous le verrons.
Retenons que, sur cette
base, à la fin du XIIe
s. et au début du XIIIe
s. , naît une nouvelle forme d’étude et de culture dans
un contexte européen particulier.
L’Europe
connaît une grande
croissance économique : le négoce se développe tout
spécialement dans les cités portuaires;
une liberté réelle existe (naissance
des communes ; les
franchises) : de
nombreux progrès techniques
naissent en ce moment.
Au sein de l’Église, un
grave problème se pose : de nombreux prêtres ne sont pas
instruits, ne prêchent plus et ne donnent même pas un exemple de
vie chrétienne. Il y a une réelle
désaffection du peuple
chrétien à l’égard des prêtres et de la hiérarchie de
l’Église. Les laïcs se
substituent aux évêques et aux prêtres dans l’évangélisation
des fidèles. Comme les premiers apôtres, ils parcourent l’Europe
deux par deux : ils sont appelés les « itinérants ».
Par réaction en
l’absence d’un enseignement fiable
de la part de l’Eglise,
des hérésies naissent au
milieu de
petits groupes de laïcs,
ayant tous en commun une soif d’une spiritualité vivante et vécue
mais pouvant cultiver des
interprétations erronées de la Bible4
: les cathares sont les
plus connus alors que leur
doctrine est ignorée par le grand public.
Le
Pape Innocent III5
réalise la gravité de la situation spirituelle.
Une de ses bulles
est éloquente et se
résume en deux constats :
les défenseurs en titre de l’Eglise ne défendent pas l’Église
et ils ne s ‘occupent pas
du peuple de Dieu.
Il préconise un programme et une méthode double
: « la
saint prédication, par la parole et par l’exemple. ».
Un
ordre religieux, les Prémontrés, contribuent utilement au renouveau
de l’Église : ils cultivent la pauvreté évangélique et
sont des prédicateurs efficaces. Innocent
III encourage la création de deux ordres mendiants : l’ordre
de Saint François et
l’ordre des Frères
Prêcheurs (
novembre 1216) dont la
figure la plus connue est saint Dominique6.
Saint
Dominique
Il
a fondé à Toulouse
une maison de prédicateurs7
pour convertir les hérétiques et instruire comme parfaire les
Chrétiens dans leur
connaissance de la foi.
Son ordre enseignant veut mener une vie austère et cultiver une
parole efficace, savante et féconde : prêcher dans les églises
pour instruire les fidèles des vérités de la foi et enseigner en
prêchant afin de préparer aussi d’autres prêtres à diffuser
la Parole du Christ. Cet
ordre est présent
dans les universités de Naples,
Bologne
(droit) et Paris
(théologie). C’est ici
que nous arrivons à la vie de Thomas d’Aquin et
nous le retrouvons d’abord
au Mont
Cassin,
abbaye8
fondée par saint Benoît en 529 et devenu le centre spirituel de la
chrétienté au XIe
s.
Frédéric
II en 1240 expulse les moines bénédictins
du Mont Cassin et Thomas
se rend à Naples où les Dominicains se trouvent aussi bien parmi
les étudiants que les professeurs. Après
5 ou 6 ans de cours où il étudie la grammaire et la logique avec Me
Martin et les sciences
naturelles avec Me
Pierre d’Irlande, il
fait profession de foi dans leur couvent de Naples en 1245. Il étudie
encore pendant 3 ans en suivant notamment Albert
le Grand à Cologne.
Devenu moine pour être docteur et docteur pour être moine, Thomas
d’Aquin enseignera de 1252 à 1272.
Redécouverte
d’Aristote
Les
Universités sont ouvertes aux œuvres
philosophiques et scientifiques
qui sont traduites du
grec et de l’arabe. Là,
une précision s’impose pour éviter des confusions suscités par
les idéologies dominantes de notre temps : les œuvres arabes
sont en fait des traductions du grec en arabe alors
que la version d’origine
grecque
a été partiellement ou totalement soit
perdue, soit
oubliée en Europe.
Paris
est connu pour sa faculté de Théologie. Les esprits sont très
agités car la pensée d’Aristote
est opposée, de
façon excessive à mon avis,
à celle de saint Augustin
(dont un aperçu vous
a été donné dans une de mes précédentes communications). A
la question faut-il opposer raison
et foi,
Thomas conclut qu’il faut les harmoniser d’une
façon plus précise et
plus intense par rapport à
Saint Augustin.
Saint
Augustin
La
doctrine selon Augustin, en ayant subi parfois bien des déformations
successives, a prédominé jusqu’au XIIIe
s.. Il est nécessaire de
procéder à un retour en arrière au IVe
et Ve
s. Oui, Augustin est arrivé à découvrir la grâce de la foi par la
raison : il a connu d’abord les passions et ensuite le
manichéisme (que des politiques adoptent volontiers de nos jours
pour servir leurs intérêts). La lecture de saint Paul a été
l’élément déclencheur de
sa conversion :
Augustin a discerné ainsi une « lumière
calme et sereine
dans son cœur »
et qui a
dissipé
« toutes les
ténèbres de ses doutes ».
Son
livre « Les
Confessions »
nous révèle comment est né son besoin de connaître qui repose sur
deux bases : autorité et raison. Pour lui, il n’y a qu’une
seule autorité : Jésus
Christ s’adressant à
tous les hommes et à toutes les
nations dans le Nouveau
Testament (la
véritable nouvelle alliance). Ceci
étant admis, il convient d’examiner toute
chose avec la raison
afin de croire la
vérité : il
faut donc avoir le désir de la comprendre.
C’est pourquoi il traite de l’intellectus
fidei, de
l’intelligence
de la foi qui
n’est pas seulement une connaissance mais qui
se
concrétise en une foi agissante par la charité : un Dieu à
aimer. En croyant et en obéissant au mouvement de la foi9,
l’homme peut se perfectionner en son intelligence comme dans sa
pratique de vie. L’intelligence de la foi repose sur la
foi qui, elle,
repose sur les Évangiles :
c’est une science qui s’appelle théologie.
Les
études profanes ne sont pas rejetées car la foi peut user de tous
les instruments naturels de la connaissance. Il peut y avoir une
connaissance communicable (poésie, prière, réflexion) et celle
qui provient de la contemplation (les mystiques), l’une ne nuisant
pas à l’autre.
Augustin
a étudié Platon
qu’il précise et corrige10 :
la philosophie
est bel et bien une œuvre de la raison mais reste une sagesse
humaine,
donc faible, limitée et exposée à l’erreur. Cette philosophie
peut cependant servir à la contemplation des choses divines en se
mettant au service de la sagesse
chrétienne :
c’est la théologie.
Augustin
a démontré que la
raison est utile à la foi11.
Thomas
d’Aquin, à la suite d’Albert
le Grand,
démontre, quant à lui, qu’il y a une
science de la foi12 :
ainsi est née la théologie scientifique.
Son
influence a été grande car il a permis que se constitue l’esprit
encyclopédique du Moyen Age. Oui, cette soif des savoirs est
née
bien avant ce siècle dit des ‘’Lumières’’
qui correspondra
en
fait plus
à
un
crépuscule des lumières de Dieu dans
le monde.
Le grand public de nos jours ignore trop ce
qu’il doit à ce lumineux « Moyen
Age »
(étiquette sans grand sens recouvrant près de mille ans) : les
connaissances du latin, du grec et de l’arabe, les développements
de
la dialectique
(déjà), les passions pour l’éloquence (poésie
sacrée merveilleuse13),
la science des nombres, l’astronomie,
l’histoire
et le droit… sur
lesquels se
bâtira
ce
XVIe
s., pas toujours pour le meilleur, hélas !
Avec
la redécouverte d’Aristote en Europe, la dialectique connaît un
prodigieux développement au début du XIIIe
s.
et influence la façon de concevoir la théologie qui se traite
dès
lors plus au moyen d’un
raisonnement
logique.
Cependant,
il ne faut pas considérer Thomas d’Aquin comme un sec doctrinaire
car il mène une vie contemplative et mystique, ce
qui se sait moins.
Albert
le Grand
Grand
connaisseur d’Aristote et de ses disciples syriens14,
juifs et arabes, Albert le Grand15
exerce une influence décisive sur Thomas d’Aquin. Il est un
spécialiste de l’arithmétique, de
la
géométrie, des
mathématiques, de
l’astrologie,
de
la
chimie, de
la
médecine , de
la
géographie16
et de
l’histoire
naturelle. Les historiens des sciences du XXe
s. s’accordent à
dire que les conceptions d’Albert le Grand sont plus justes en ce
XIIIe
s. que dans les deux siècles qui suivent.
Son
mérite essentiel est d’établir des distinctions claires entre
science et philosophie, philosophie et théologie. Il
prône un développement autonome des sciences17
que sont la théologie, la philosophie et les sciences particulières
(énumérées
précédemment).
Une citation exprime sa méthode : « Lorsque
je traite des choses de la nature, je ne traite pas des miracles. ».
Il distingue ainsi
ce
qui relève de la physique et de la métaphysique, l’une ne niant
pas l’autre ou
l’une n’excluant pas l’autre !
L’expérience personnelle est une méthode qu’il encourage :
son étude des minéraux en est un exemple. Sa curiosité
scientifique est illimitée. Ceci ne l’empêche pas procéder à
l’étude
des âmes :
il anticipe donc très tôt ce qui sera l’objet de la psychologie,
selon
une dénomination qui apparaîtra au XIXe
s. .
Seul
son
vocabulaire diffère : en
effet la
complexion,
la physionomie,
les passions
et les tempéraments
sont les termes qu’il utilise et il faudra attendre six
siècles
pour les retrouver sous d’autres noms…
Albert
le Grand
souhaite
une philosophie
rationnelle
qui
diffère des sciences expérimentales : pour
ce faire,
il privilégie Aristote.
Selon
lui, il est possible de trouver ce lien entre philosophie et
théologie qui aboutit à une science
théologique
avec ses principes et ses méthodes propres. L’histoire du monde et
l’histoire de l’homme sont nécessaires pour se penser, pour un
savoir et pour une science : il
façonne une
gerbe des savoir. Thomas d’Aquin retient lui aussi Aristote mais en
lui donnant un rôle différent.
Pour
Bonaventure,
qui est pour l’augustinisme18
et conteste l’emploi d’Aristote19,
la théologie reste une sagesse qui est l’aboutissement d’une
expérience d’un peuple et de l’homme : cette
tendance
a manqué parfois de réalisme.
Albert
le Grand
a des paroles dures contre les opposants irréductibles d’Aristote
au nom de l’augustinisme. Ecoutons-le
:
« les
ignorants qui veulent de toutes manières combattre l’usage de la
philosophie,
surtout
les Prêcheurs ; comme des animaux sans raison,
ils blasphèment ce qu’ils ignorent. ».
Pour
Thomas d’Aquin, la théologie doit être une science20
qui établit une connaissance objective et démonstrative des
conditions générales du salut des hommes et qui
se
transmet par l’enseignement. Si
la
philosophie repose normalement sur la raison,
la théologie
repose sur Dieu qui se révèle dans l’Ancien et le Nouveau
testament
(ce
que disait déjà saint Augustin).
Si la théologie recherche des principes dans la foi, la philosophie
les recherche dans la raison. Toutefois la théologie n’empêche
pas des accords entre les deux.
La
foi prédomine car les vérités du monde souffrent de notre myopie
intellectuelle.
Une conclusion
scientifique ne se confond donc pas avec une affirmation de
l’Écriture
qui, Elle, a des mystères et
de l’indémontrable, à
respecter,
comme il s’y trouve de l’intelligible et du démontrable, à
ne pas ignorer.
Aristote
et Thomas d’Aquin
Une
citation d’Aristote est explicite quant à la démarche
intellectuelle de Thomas d’Aquin :
« Savoir
en effet, c’est connaître la cause par laquelle une chose est ce
qu’elle est et ne saurait être autrement qu’elle est. ».
C’est
la base même de la réalité scientifique :
la science passe
d’une évidence
ou une certitude de
principes connus à des conclusions
à connaître,
se dévoilant par démonstration.
A partir du connu, il est donc possible par le raisonnement
de reculer les limites de l’inconnu. Il existe cependant
l’intuition
intellectuelle
qui surgit à l’esprit sans ce raisonnement : seule une
réflexion
sur l’intuition conduit à un raisonnement pouvant faire avancer
les sciences.
Un
exemple, anachronique
car pris
au XIXe
s., illustre bien
ce
rôle de l’intuition
:
en
1865, le chimiste
Frédéric
Kekulé
von Stradonitz21
a découvert le cycle du benzène en rêvant d’un serpent qui se
mordait la queue ; il
a eu cette intuition dans
son rêve qui
fut fructueux car il ne l’a pas écarté mais il a réfléchi sur
celui-ci. Ainsi,
il a trouvé cette
symbolique
graphique qui
a révolutionné la chimie structurale
et
sans qu’il en perçoive d’ailleurs toutes les conséquences. Mais
revenons à Thomas.
Une
philosophie de l’être
Thomas
d’Aquin, à la lecture d’Aristote, a construit une philosophie de
l’être à partir d’une intuition : « Toute chose a
une raison d’être ce qui nous conduit à l’Être,
à Dieu. ».
L’intuition
intellectuelle est une intelligence en vue de connaître la vérité.
Cette vérité ne s’approche que par le jugement de la
raison. Ainsi nous avons une intelligence de la réalité
concrète. L’intuition22
reste le début de subtiles analyses23.
Il pourrait s’établir cette équation : intuition + réflexion
= savoir. Toutefois, il y a une réserve quand l’homme pense à
Dieu : il doit être conscient qu’il ne peut Le penser qu’au
moyen des limites humaines de sa raison. La meilleure approche est
celle de l’analogie de l’être : il établit cette
théorie qui témoigne d’une psychologie fondée sur une
métaphysique de l’être.
Intuition :
une voix de l’Esprit Saint.
Son
intuition ne naît pas de rien : elle naît de la méditation
de la Parole de Dieu qui lui permettra d’abord une méditation
accompagnée d’une réflexion et ensuite une prédication. Pour
bien le comprendre, mettons-nous à l’écoute de Thomas lorsqu’il
commente le deuxième article du Credo où il énumère cinq
attitudes relatives à la Parole de Dieu :
- Connaître la Parole de Dieu « Un des signes que nous aimons Dieu est d’écouter volontiers sa Parole. » ;
- Croire en la Parole « car c’est ainsi que la Parole de Dieu, c’est-à-dire le Christ, habite en nous. » ;
- La méditer continuellement : « car il ne suffit pas d’y croire, il faut encore la ruminer, autrement elle ne serait d’aucune utilité ; mais si on le fait , cette méditation est très utile contre le péché. » ;
- La transmettre aux autres : « par l’exhortation, la prédication et l’exemple. » ;
- La vivre pour être en vérité comme le dit saint Jacques « des réalisateurs de la Parole et non ses auditeurs oublieux ».
Le
meilleur exemple de mise en application de ces cinq attitudes nous
est donné par la Vierge Marie qui a engendré le Verbe de Dieu
: « Elle l’a d’abord écouté.… puis elle y a adhéré
par la foi… elle l’a gardé et porté en son sein… ensuite elle
l’a mis au monde , et finalement elle l’a nourri et allaité. »24.
Dialectique
de Thomas d’Aquin
Elle
s’est forgée par une pratique universitaire25
communément exercée depuis
le XIIe
s., appelée la
disputatio26,
la dispute. Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’une lutte verbale
avec des invectives, des
injures ou des harcèlements27 :
ceci n’interdisant pas
le sain échange de points de vue, parfois
à la limite de la vive
polémique.
Le
maître donnait un thème, la quaestio,
qui était traité ensuite par des objections et des réponses, soit
par lui seul, soit lui et une personne soutenant un autre point de
vue, soit encore par ses élèves et où alors il intervenait en tant
qu’arbitre. Nous parlerions aujourd’hui d’une pédagogie
active, appelée ici
dialectique :
une idée, un choix, un raisonnement se défendent avec des
arguments.
Le maître y jouait parfois sa fonction devant des étudiants
attentifs ou en présence de ses confrères : il devait produire
des arguments de raison et d’autorité28.
Cet
exercice, où Thomas est devenu un maître, explique la qualité de
ses raisonnements suivant
une logique rigoureuse. Sa
méthode de rédaction est
celle qu’on emploie volontiers encore en histoire :
l’établissement de fiches préalables sur
tous les points à prendre en considération lors de l’argumentation.
Ainsi avant d’écrire, il a soumis à des interrogations
incessantes (de lui, de ses étudiants et de ses collègues ou de
ses opposants) la question
qu’il traitait ! De
l’oral exercé,
il est
passé à l’écriture mûrement
réfléchie : il
n’est que trop vrai que l’enseignant
s’enseigne en enseignant.
Appliquons,
certes de façon très
sommaire, sa méthode pour
démontrer l’existence de Dieu. Pour les personnes qui souhaitent
approfondir sa démonstration, je les renvoie à sa Somme
théologique.
Ici,
je vous communique juste quelques éléments de sa pensée qui vous
permettront de mieux la comprendre ou d’éveiller votre désir de
la lire.
Dieu
A
la lecture d’Aristote, Thomas d’Aquin s’attache à découvrir
l’essence
ou la nature première des choses et leurs rapports avec l’existence,
la réalité perceptible
par les sens et les expériences.
A titre
de rappel, Platon déjà affirmait que l’essence précède
l’existence (à
la différence des
existentialistes
du XXe
s. qui
partent du principe que
l’existence précède l’essence).
Écoutons sa
démonstration en trois points
:
- Partant du connu (le visible, le sensible), de ce qui existe et donc de ce qui est réel, Thomas d’Aquin s’élève vers l’inconnu (l’invisible), l’essence des choses qui conduit à Dieu.
- Il établit ce constat : certaines choses qui n’existaient pas existent. La question est donc : pourquoi existent-elles ? Il y avait bien pour elles une possibilité d’exister mais cette possibilité n’a pas suffi pour qu’elles existent. Arrivées à un stade de réalité concrète, elles deviennent intelligibles pour l’être humain et dans les limites de sa raison humaine.
- Que nous dit alors la raison ? Il existe inévitablement une cause suprême de tous les êtres qui existent : c’est l’Être nécessaire cause de tout qui s’appelle Dieu.
Dans
l’univers, il y a un mouvement, une dynamique que les sciences
révèlent abondamment. La physique dit que dès qu’il y a une
chose mue, il y a un principe moteur. Le premier
moteur
fixe et immuable, c’est Dieu.
Créatures
Pourquoi
un être existe ?
La première cause est la volonté de Dieu : le Créateur.
Il y a une grande diversité parmi les êtres car
ils
n’ont pas tous la même unité, la même vérité, la même bonté
ou
la même beauté. Dieu
crée des êtres purement spirituels comme les anges, des êtres dont
la spiritualité est jointe à une matière comme les hommes, des
êtres purement matériels comme les animaux, les plantes et les
minéraux.
Thomas
d’Aquin considère la place que l’homme occupe dans l’univers,
ce qu’est l’homme
en son corps et en son âme. C’est ainsi comprendre ce que nous
sommes. Dieu nous a dotés d’une intelligence
qui est une lumière permettant de voir
dans
toute réalité ce qui intelligible à partir du sensible.
Chaque
être humain possède une intelligence qui lui
est particulière. L’être humain dispose d’un corps, de sens et
d’une volonté qui lui offrent de nombreuses possibilités
d’actions mais toutes ces facultés sont régies par une âme,
la cause
première au sein de l’individu qui
vit pour
être
une personne.
D’où
nous pouvons retenir cette belle affirmation de Thomas d’Aquin sur
la personne humaine :
« Chaque
personne humaine n’a qu’une âme et cette âme lui permet d’être
un être corporel doué de la vie végétative, un être sensible
doué des richesses d’une sensibilité et un être intelligent,
capable de penser et d’aimer. ».
Dans
le sein maternel, Thomas affirme même que
la
formation de l’enfant vit une succession de trois âmes : une
âme végétative, une âme sensible et une âme intellective. Les
études biologique récentes
confirment cette évolution du fœtus dès sa conception : tout
commence par une division cellulaire jusqu’ à se finaliser avec la
formation du cerveau. La vie qui anime l’embryon et celle du fœtus
sont ordonnées
à
la vie de l’intelligence
et de la volonté
ou
, si vous préférez un propos plus simple, ont comme
finalité la vie de l’intelligence pour l’exercice de la volonté.
Dès
la Genèse,
Dieu se révèle à l’homme en se nommant de façon précise :
« Je
suis celui qui suis. »29.
Il est l’Acte
essentiel.
Dieu est infini, n’a rien à acquérir, rien à recevoir. Dieu peut
tout donner sans muter, sans se mouvoir. Il est le Créateur de toute
chose. Thomas d’Aquin démontre que Dieu,
cause première de toutes choses, est une cause créatrice sans
laquelle rien
de ce qui est, quoiqu’il soit, n’existerait.
Quelle
est la finalité de la création ? Tout ce que Dieu crée,
Il l’ordonne à Lui, à sa bonté. Il ordonne à Lui d’une façon
immédiate les êtres intelligents comme les hommes et les anges et
d’une manière immédiate les autres êtres non
intelligents. C’est pourquoi la finalité de l’homme réside
dans ce désir naturel d’être uni à son principe qui est Dieu.
Tout aboutit à Lui et au plus grand Bien.
Le
mal
Que
dire alors sur le mal qui se perçoit
dans le monde ? Le mal n’est jamais une nature en soi, ayant
une existence déterminée et une essence propre : en effet, le
mal est toujours une privation par rapport au bien, comme la
cécité est une privation de la vue.
Il
y a deux sortes de privation :
- la privation soit d’une forme ou d’une propriété (un aveugle est privé de vue) ;
- la privation d’une fin qui n’est pas atteinte (une action non couronnée de succès) ou qui est contraire à la fin qui était ordonnée.
Qu’est-ce
que le mal moral ? C’est quand l’homme n’atteint
pas une fin à laquelle il était ordonné ou « appelé »
si vous préférez. Le péché concerne essentiellement le
mal dans la volonté, la faute mesure le degré de
responsabilité d’une volonté mauvaise et la peine concerne
les conséquences qui résultent des œuvres faites par une mauvaise
volonté : c’est la conséquence d’une responsabilité
personnelle. Le libre arbitre nous est donné par Dieu :
tout homme a le gouvernement de son corps par son intelligence, cette
lumière humaine qui est un don de Dieu, et par sa volonté, la force
de l’esprit issu de l’Esprit Saint. Notre XXIe s. démontre qu’il
existe, à des degrés divers, des intelligences sans lumière et des
absences de volonté en se soumettant à des déterminismes
extérieurs : ce sont les fruits d’une faute humaine et non
d’une faute divine.
La
résurrection
La
résurrection est la naissance à un corps incorruptible, à
un mode d’existence entièrement soumis à la vie spirituelle, pour
partager la gloire de Dieu. Les damnés, car il y en a et en
aura pour celles et ceux qui ont refusé, refusent et refuseront la
miséricorde de Dieu, ressusciteront, non pour partager cette gloire
mais pour subir la peine éternelle à laquelle ils se sont eux-mêmes
soumis : leur privation volontaire de partager la gloire
de Dieu qui est symbolisée par une vallée de larmes.
Présence
de Dieu
Thomas
d’Aquin nous invite à comprendre que nous pouvons parler de Dieu
en contrant l’agnosticisme qui prétend que Dieu est
inconnaissable comme en contrant cet anthropomorphisme, qui
résulte parfois d’une mauvaise lecture de l’Ancien testament,
et qui rabaisse Dieu à une nature humaine, Le rendant ainsi
méconnaissable30.
Avec le Nouveau testament, nous retrouvons un Dieu revêtu
d’humanité mais qui reste Dieu. En effet Dieu possède à sa
manière des perfections que nous percevons de façon limitée.
Ainsi
si nous ne pouvons pas définir Dieu, nous pouvons par contre
connaître intimement Sa Présence31.
Nous n’entretenons avec Lui que des relations de créatures face au
Créateur : Dieu a fait l’homme à son image, un homme
parfait32
à l’origine mais qui a été dégradé par la faute originelle qui
a produit d’un côté des Caïn et des Judas qui discréditent Dieu
mais aussi d’un autre côté la foule des saints connus et
inconnus qui, par leur intelligence et leur volonté à travers des
actes, rendent Dieu intelligible aux humains.
Thomas
enseigne la présence de Dieu en toutes choses :
« Il
y est par sa puissance parce que tout lui est soumis ; il y est
par sa présence, parce que tout est à découvert et comme à nu
devant ses yeux ; il y est enfin par son essence, parce qu’il
est présent à tout comme cause universelle de l’être. 33»
Sa
Présence (dénommée la cause efficiente) est un aspect
statique du Créateur qui n’efface pas son aspect dynamique qui est
la Providence (cause finale selon l‘ordre des choses) : la
Providence est ce lien dans la création entre le Créateur et ses
créatures. La Providence est tout ce qui nous ramène vers le
Souverain Bien qu’est Dieu et auquel nous sommes tous appelés.
Tout
ce qui est créé l’a été selon l’intelligence divine que notre
intelligence humaine ne peut pas saisir : acceptons le
mystère de Dieu, ce qui ne nous empêche pas de découvrir la
Présence de Dieu dans nos vies, nos recherches, nos sentiments et
l’amour que nous Lui portons. Il n’y a pour Dieu ni de passé, ni
d’avenir ; tout est présent à sa pensée éternellement, et
ce qui est pour nous passé et avenir, est présent pour Dieu :
« Je suis celui qui suis ».
La
liberté
Avec
la Providence, s’ouvre le grand débat : tout est-il déterminé
par avance ? Ainsi le hasard ou les contingences de la vie
n’existeraient pas. Quelle est la place de la liberté humaine
face à la volonté divine ? Il s’agit de ne pas
assimiler la volonté divine à la nôtre : cette erreur serait
de cet anthropomorphisme que la seule lecture de l’Ancien
testament peut malheureusement favoriser.
Il
y a bien une volonté divine qui se fait entendre dans le cœur de
l’homme pour nous conduire à Lui mais cet homme reste libre
d’écouter et de suivre la voix de Dieu. Il appartient
librement à l’homme de mettre sa volonté humaine en accord avec
la volonté divine : et la Providence joue alors son rôle comme
nous le voyons dans les vies de nombreuses saintes et de multiples
saints.
Tout
homme cherche une activité conforme à la raison et qui, à
l’origine, est une recherche du bien. Or le bien suprême est
Dieu : le moyen est d’y parvenir aussi par la raison. Ainsi à
travers l’homme et son activité, Dieu peut se faire entendre à
d’autres hommes.
La
perfection ou l’imperfection des actes, fruits d’une volonté
humaine, dépendent de la perfection ou de l’imperfection de la
connaissance humaine : ce jugement qui nous incline à agir de
telle ou telle façon. Si l’ange34
agit par intuition pure, l’homme a besoin en plus de la raison. Un
acte humain est dit volontaire quand l’homme en a la maîtrise.
Si la volonté peut être parfaite spirituellement ou
intellectuellement, l’acte n’a cependant pas toujours la
perfection attendue. L’homme a besoin de connaître ce qu’est le
bien, de vouloir35
l’accomplir en adoptant des moyens pour y parvenir et il agit avec
un moteur spirituel, extérieur à la volonté humaine, qui est
Dieu36.
Ainsi ce n’est pas Dieu qui veut, mais nous , les hommes, qui
voulons sous la motion de Dieu : vous êtes là au cœur de
ce que révèle Thomas d’Aquin quant à la liberté humaine qui
consiste à mettre librement cette volonté humaine en conformité
avec la volonté divine.
En
cette brève esquisse, vous avez, je le crois, l’essentiel de la
pensée de Thomas d’Aquin pour le lire, le relire ou le découvrir.
Fausse
opposition saint Augustin et saint Thomas
Augustin
s’adresse plus au
cœur37
et Thomas plus à
la raison38,
dans leurs écrits.
Pour ma part, ils sont complémentaires : tous deux exigent de
se mettre à l’écoute de la Parole du Nouveau
testament pour bien
comprendre l’Ancien
testament39.
Pour un jeune désireux d’approfondir cette foi qu’il faut
nourrir sous peine de la voir dépérir, je lui recommande de
commencer par la lecture d’Augustin et
ensuite de Thomas
pour réfléchir à toutes les questions que nous pouvons avoir de
nos jours40
et écouter leurs
réponses à la lumière de la Parole.
Pour
Augustin, l’autorité de la foi est souveraine.
Cette foi doit être vivante et aimante et requiert l’usage de la
raison, et de toutes les ressources des sens et de l’esprit. La
différence avec Thomas est que pour
Augustin la foi n’a pas besoin d’être démontrée
scientifiquement.
Thomas,
à la lecture d’Aristote, veut privilégier la
logique qui
conduit du connu à l’inconnu plutôt
que la métaphysique, la morale ou la psychologie, fruits
de la contemplation, que
nous trouvons chez saint Augustin. Dieu
est la fin ultime et le rôle de la foi consiste à aimer Dieu, ce
qui exige de mieux comprendre
cette richesse de la foi.
Pour
Thomas, Dieu peut être aussi considéré comme l’objet
d’une science
spéculative41
qui sera avec lui, une théologie
spéculative. Il
introduit la raison dans le sanctuaire de la foi : les
divines réalités peuvent être contemplées par des recherches
rationnelles.
Ce
qui n’empêche pas Thomas de nous dire, et il s’agit de ne pas
l’oublier, qu’il avait plus appris au pied de son crucifix que
dans les livres. Le rôle de la contemplation
est donc bien présent chez lui. Les
trois dons d’intelligence, de science et de sagesse sont les
principes de la contemplation.
La contemplation est une connaissance qui a son principe et son terme
dans l’amour. N’étudier
que pour la savoir, c’est de la philosophie ; étudier pour
goûter la dilection divine, c’est-à-dire
aimer Dieu vraiment42,
c’est la vraie
contemplation dont les
fruits sont indescriptibles : il faut souhaiter que chacun
d’entre nous puisse
connaître les moments
d’extase (c’est tout
simple et à la portée de chacun : être
hors de soi pour être en
Dieu) afin
de ressentir la Présence
de Dieu, dans un parfait silence et
dans une totale plénitude.
Les
sources de Thomas
Chacun
a bien compris que la Bible est la source première de Thomas. Il a
développé la logique selon sa lecture d’Aristote. Et cependant,
il se réfère très souvent aux Pères de l’Église, sources de la
théologie :
- Origène (185 – 253) qui a consacré sa vie à l’enseignement et à la prédication et dont les commentaires de la Bible ont été pertinents pour trancher de nombreuses questions théologiques ;
- Athanase d’Alexandrie (295 – 373) qui a défendu le dogme trinitaire ;
- Hilaire (env 315 – env 367) qui a traduit Origène et fait connaître son commentaire des Psaumes, très utile dans sa perception de la lecture grecque et latine de la Bible ;
- Ambroise de Milan (339 – 397) connu pour ses sermons et ses traités théologiques, surtout pour son interprétation du Cantique des cantiques où l’Église est l’épouse tant désirée (le mariage mystique ente l’âme et le Verbe), il a œuvré pour la suprématie de l’Église sur les souverainetés;
- saint Jérôme (env 347 - 419) qui s’est attaché à une meilleure traduction de la Bible et qui a déployé un talent extraordinaire de polémiste contre les contestataires de la foi ;
- saint Jean Chrysostome (env 354 – 407) qui a prôné la recherche d’une communion avec Dieu par la contemplation et par l’ascèse ;
- Cyrille (380 – 444), auteur de nombreux ouvrages d’érudition biblique et théologique qui a contré de nombreuses hérésies ;
- le Pseudo-Denys (Ve et VIe s.) qui a développé une doctrine mystique ;
- Jean Damascène (env 640 – env 750, arabe appelé aussi Mansour) dont le livre Source de la connaissance a nourri la pensée byzantine du Moyen Age et a contribué à faire redécouvrir Aristote en Europe ;
- Bède le vénérable (672 – 735), grand commentateur de la Bible, il est aussi considéré comme le premier historien de l’Angleterre (Dieu continuant à se révéler à travers les peuples comme Dieu s’est révélé au peuple d’Israël).
Thomas
d’Aquin a trouvé chez ces auteurs de quoi alimenter sa foi qui
était pourtant déjà grande. Je me pose diverses questions :
pourquoi de nos jours, la majorité des Catholiques ignorent les
Pères de l’Église ? Pourquoi ceux-ci sont-ils passés sous
silence dans les homélies en paroisses ? Pourquoi négliger
ces trésors de la foi qui dorment sur des rayons de bibliothèque et
qui attendent, désespérément, nos consultations ?
Vous
pouvez y remédier en lisant de Thomas d’Aquin les Catena
aurea, ses commentaires des Évangiles, justement avec les
citations de ces Pères de l’Église : je vous assure que, si
une homélie n’a pas réussi à vous convaincre, vous goûterez à
la plus belle façon de lire les Évangiles.
Oui,
découvrez ainsi le moyen le plus utile d’allumer le feu de
l’Esprit Saint en vos cœurs.
Avant
de conclure, abordons rapidement trois thèmes majeurs : la
morale, la charité et l’éducation.
La
morale
Pour
Thomas d’Aquin, il ne s’agit pas seulement de connaître Dieu
mais encore de L’aimer et
donc de Le servir : d’où l’établissement d’une théologie
morale. La
foi impose des règles et des motifs à la conscience du chrétien
qui doivent se concrétiser dans des motifs
et des règles de
vie au quotidien. Oui, n’oublions pas que les actes pèsent plus
que les paroles !
Dans
ce terrain de l’action, une vie morale s’impose. De nos jours,
nous voyons les « succès »
de la morale laïque, qui ne repose
sur rien43
ou sur des valeurs floues, malléables au gré des individus ou d’un
pouvoir politique44
et je pense
qu’il est utile de revenir
à la morale rationnelle
et scientifique,
quoique théologique,
de Thomas d’Aquin.
Dieu
est au plus intime de nous-mêmes, donc nos actes doivent refléter
Dieu : ceci exige le courage de lutter contre les forces du mal.
Je constate souvent qu’il y a, là, moins de combattants et
beaucoup plus de lâches. Ceci n’est pas une raison pour ne pas
poursuivre la lutte pour faire éclater la vérité car il n’y a
pas de justice sans vérité. Lutter contre un mensonge, et il
importe peu de connaître la fonction45
de celui qui en est la source, est une nécessité. Prenez l’exemple
des prêtres pédophiles, il y a aussi
des coupable au sein des
paroisses46
et pas seulement au sein de la hiérarchie quand elle était
informée : les personnes qui savaient et qui ont préféré se
taire. Leur silence47
les rend coresponsables des crimes commis.
Pour
partager la Gloire de Dieu48,
ce qui est la
fin ou la béatitude que souhaite tout Chrétien, il s’agit de
mettre notre volonté
humaine au service de
cette fin, de régler nos besoins humains dans cette perspective qui
est tout simplement de
pouvoir partager pleinement la
parfaite connaissance de Dieu, dans cette vie d’après la vie
terrestre. La grâce que Dieu accorde à tout homme est d’être
présent au
plus intime de celui-ci.
Encore faut-il que cet
homme reconnaisse
Dieu dans sa vie. Ceci ne suffit pas : le Dieu de la foi est le
Dieu de la raison et le Dieu qui doit se révéler à travers nos
actes volontaires. Son action créatrice se révèle dans notre
activité morale qui a pour nom la charité.
L’âme peut dès lors
agir avec la quasi certitude de ne pas se tromper. Cette certitude
provient de Dieu par Son don de l’Esprit, le don de la sagesse
divine. Pour arriver à ce stade, qui demande du temps et
de la réflexion, il s’agit de purifier son cœur comme son
esprit : le temps d’une vie terrestre en offre d’innombrables
possibilités en diverses
circonstances et qu’il
faut savoir saisir.
La
charité
La
justice sociale a pour raison d’être de sauvegarder les
relations des personnes au sein de la société : une vertu
humaine nécessaire. La charité est une vertu surnaturelle.
Pourquoi ? La charité consiste :
- à aimer Dieu pour Lui-même et par dessus toutes choses
- et le prochain comme soi-même pour Dieu.
Ceci
signifie qu’en charité, je suis obligé d’aimer mon prochain
sans qu’il y ait droit et qu’en justice, je satisfais le droit
d’autrui, sans aucune obligation de l’aimer personnellement. En
charité, le prochain est un autre moi-même ; en justice il est
un
autre
que moi.
En charité, je m’intéresse à autrui pour son âme à orienter
vers Dieu. En justice, son âme ne m’intéresse pas. La charité ne
méprise pas la justice mais elle ne se place pas au même niveau.
Quelques
précisions : la justice
particulière
règle les rapports d’individu à individu, la justice
sociale
règle les rapports dans une société donnée. Il y a des
imperfections possibles. A tous les préjugés et égoïsmes
individuels qui proviennent de notre nature animale et du péché
originel peuvent s’ajouter les préjugés et les égoïsmes qui
naissent de la vie en commun. Prenez un exemple dans nos villages :
cet esprit de clan qui peut aveugler totalement les uns et les autres
dans une commune !
Des
lois justes
sont
celles qui ont en vue le
bien commun qui
est de rendre à la société ce qui lui est dû quand
elle assume son rôle :
le respect de la dignité de chacun qui consiste à ne mépriser ni
la personne, ni son travail. N’oublions pas que la loi ne peut ni
tout prescrire, ni
tout
commander ! Thomas
d’Aquin n’est pas contre le tyrannicide.
Nous
pouvons être fiers d’être Chrétiens, tout ce qui s’est fait de
juste dans le monde depuis vingt siècles, et tout ce qui s’y
réalise de nos jours, est dû à la charité
chrétienne
et
les personnes qui nient Dieu seraient bien en peine de prouver le
contraire : je pense à M. Michel Onfray qui d’ailleurs
regrette cette empreinte du christianisme49 !
Les erreurs, les bavures de l’histoire du christianisme n’enlèvent
rien à ce simple constat50.
Oui, la charité chrétienne s’est acclimatée dans l’humanité :
la
charité a été laïcisée
sous les nom de solidarité,
de philanthropie
et
parfois
de pitié
ou
de bonté.
Or, à la base, la charité chrétienne nous conduit à aimer Dieu
pour lui-même parce qu’il est infiniment bon et à
aimer notre
prochain comme nous-mêmes pour
Dieu51.
Rappelons-nous
que les injustices sociales du XIXe
s. ont éloigné de Dieu leurs victimes qui n’ont plus pu croire en
la charité chrétienne qui leur semblait ne rien faire contre ces
injustices qu’ils subissaient. Le devoir du Chrétien est de
balayer toute injustice qu’il constate : autant
dire qu’il
y a du travail pour
chacun là où il se trouve52
!
L’éducation
Nous
pourrions croire que Thomas d’Aquin prône l’enseignement seul
des sciences en matière d’éducation. Ce serait une erreur. La
science se contente de nous dire ce qui est et non ce
qui doit être. La morale nous enseigne ce qui doit être
selon la raison et la sagesse divine. La méthode pédagogique
consiste à trouver un juste équilibre entre raison et science :
il faut éviter de trop demander à la science au détriment de la
raison comme de trop demander à la raison au détriment de la
science. Thomas prône une sage utilisation des faits scientifiques.
Pour approfondir cette question, la lecture de la seconde partie de
la Somme qui traite des Actes humains et des habitudes
et des vertus nous communique son expérience psychologique.
Retenons
l’essentiel : en même temps que l’éducation de
l’intelligence, il doit y avoir une éducation de la volonté.
La culture du sentiment religieux, cet appel intérieur de
Dieu, doit s’accompagner d’une instruction religieuse,
pour Le connaître.
Pourquoi
une éducation de la volonté ? Elle consiste à harmoniser les
passions de la sensibilité, qui ont une si grande force, avec
les sentiments de la volonté, sous la maîtrise de la raison.
Cette volonté est la maîtresse de nos actes libres.
Soumises à la volonté de l’homme, les passions, en soi ni bonnes,
ni mauvaises, peuvent devenir des instruments de vertu ou de vice.
Ces passions soit sont soumises à la raison, soit soumettent
l’homme. Et je laisse la parole au Père Gillet car il n’est pas
possible de mieux exprimer la façon de discipliner les passions :
« Amour,
désir, joie, haine, aversion, tristesse, crainte, espoir, désespoir,
colère, telle est ce qu’on peut appeler la gamme des passions. Or
de même qu’avec les notes de la gamme musicale, on peut faire de
la bonne ou mauvaise musique, pareillement avec les passions, au
point de vue moral, on peut faire de bonne ou mauvaise besogne. Il
s’agit de bien connaître le mécanisme des passions, et la méthode
à employer, non pour les détruire certes, mais les discipliner et
mettre leurs ressources au service de la morale. Or, à qui veut bien
y prendre garde, nous trouvons dans la volonté une gamme de
sentiments qui correspond à celle des passions. La volonté aussi
aime, désire, jouit ; elle hait, se détourne et souffre ;
elle espère ou désespère ; elle est craintive ou audacieuse ;
calme ou irritable. » .
Il
convient de ne pas se livrer aveuglément à ses passions mais de les
contrôler avec la volonté, à la lumière et sous le contrôle de
la raison. Et du Père Gillet, je reprends cette belle comparaison :
« En somme notre âme, sous ce rapport, ressemble à un
orgue à deux claviers : l’un des passions sensibles, l’autre
des sentiments volontaires. ». Il convient de les accorder
pour entendre et vivre l’harmonie.
La
liturgie joue un rôle dans l’éducation. Elle doit favoriser la
contemplation et l’action, la vie intérieure et la vie extérieure.
Est-ce que nous percevons ce rôle de la liturgie dans toutes les
paroisses ? Je vous laisse la réponse qui variera selon vos
expériences. Pour ma part, en ayant connu plusieurs, je dis avec
certains prêtres : oui et je rends grâce à Dieu, alors
qu’avec d’autres : aucunement et ceci m’attriste.
Conclusion
Comment
conclure ? En quelques minutes, j’ai tenté de vous brosser
une esquisse de la pensée de Thomas d’Aquin et j’espère que ce
travail aide l’un ou l’autre d’entre vous à lire, à découvrir
ou redécouvrir ce docteur de l’Eglise.
Thomas
d’Aquin n’est pas enfermé dans une sorte de bulle philosophique
inatteignable. Il est très concret et réaliste dans ses écrits et
c’est pourquoi il reste lisible encore de nos jours.
Il
y a peu de temps encore, je croyais que tous ses écrits avait été
traduits alors que ce n’est pas le cas. Il faut dire que son œuvre
est abondante malgré les incessants voyages53
que nécessitait son enseignement (Naples, Paris Cologne, Rome,
Paris, Orvieto, Paris et Naples). Son avis était sollicité sur de
nombreuses questions et il n’a pas pu achever certaines œuvres.
Sa
lecture est productive encore au XXIe s. car il nous livre
une méthode de réflexion et d’analyse pour répondre aux
questions actuelles. Il ne s’agit pas de reprendre tous ses
arguments du XIIIe s., nés dans un contexte historique
précis. Par contre, il a des arguments qui sont propres à tous le
siècles.
Pour
conclure, et là je pense à Maurice Zundel, il faut distinguer la
doctrine de saint Thomas du thomisme. D’une part, l’Europe,
dès le XVIe s., a vu qu’il a suffi d’enlever la
notion de Dieu pour ne cultiver que la raison : cette raison du
XVIIIe s. a eu des effets que chacun peut apprécier en ce
XXIe s.. D’autre part, il y a eu des emplois sélectifs
de la doctrine de Thomas pour bricoler une nouvelle doctrine qui
porte son nom mais ne nous laissons pas tromper par l’étiquette du
contenant qui ne désigne nullement le contenu : l’emploi de
paralogismes en est le signe le plus flagrant… Ceci est un
autre sujet !
Je
signale que l’Église a corrigé les affirmations de Thomas d’Aquin
du XIIIe s., sur certains points, comme le statut des
enfants morts sans baptême par exemple.
Il
reste un maître spirituel et sa lecture nous aide à se mettre sur
le chemin ardu de la sainteté qui passe par une éducation
incessante et de l’intelligence et, surtout, de la volonté qui
doivent se vivre dans des actes courageux et non dans une passivité
indolente et timorée.
Conseils
de lecture :
Pour
commencer :
Il
est préférable, pour celui qui n’ a jamais lu Thomas d’Aquin,
de commencer par ses commentaires sur des thèmes que tout Chrétien
connaît :
Saint
Thomas d’Aquin (trad. par un moine de Fontgombault) :
Le Pater et l’Ave . NEL.
Paris. 1967. 188 p.
Saint
Thomas d’Aquin (trad. par un moine de Fontgombault) : Le
Credo. NEL.
Paris. 1969.
236 p.
Saint
Thomas d’Aquin (trad. par un moine de Fontgombault) : Les
commandements.
NEL. Paris. 1970.
240 p.
Ces
trois volumes, d’un format pratique, disposent de très bonnes
introductions et, ce qui plaira à tout latiniste, vous avez le texte
latin en vis-à-vis de la traduction.
Pour
approfondir
Avant
d’aborder la Somme théologique
de Thomas, il est judicieux de se préparer spirituellement avec un
petit manuel pratique :
Saint
Thomas (textes choisis et traduits par Joseph Rassam) : L’être
et l’esprit. PUF. Paris. 1971.
188 p.
Ce
manuel de format de poche vous permettra de sélectionner la
thématique que vous désirez approfondir avec Thomas d’Aquin. Son
précieux lexique du vocabulaire thomiste (pp. 171-181) est très
utile.
Saint
Thomas d’Aquin (trad. du Père Kreit): Bref résumé de la
foi chrétienne. Compendium theologiae. Nouvelles Éditions
Latines (NEL). 1985. 612 p.
Cette
édition plaira aux latinistes car vous avez en bas de page, le texte
latin. Excellent moyen de s’initier au latin de Thomas d’Aquin.
Consultez
ensuite le livre du Père Torell ci-dessous pour continuer vos
découvertes.
Saint
Thomas d’Aquin : de
nombreux sites Internet vous offrent
- des traductions de ses œuvres :
www.
JésusMarie.com ;
Ne
manquez pas le Catena
aurea
(La
chaîne d’or) qui réunit ses commentaires
des Évangiles à
l’aide de citations des Pères de l’Église : si vous voulez lire
qu’une seule œuvre de lui, c’est ce qu’il vous faut. Vous êtes
là
face
à un feu d’artifice spirituel.
- ou des commentaires :
http://docteurangelique.free.fr/accueil/InstitutDocteurAngelique.htm
Pour
s’initier :
St
M. Gillet o.p. : Thomas d’Aquin. Les constructeurs.
Dunod. Paris. 1949. 284 p.
Cet
ouvrage se lit agréablement et je le recommande à toute personne
qui ignore tout de Thomas d’Aquin. Il vous facilitera toute lecture
thomiste ultérieure.
Pour
le voyage spirituel :
Jean-Pierre
Torrell o.p ; Initiation à Saint Thomas
d’Aquin. Sa personne et son œuvre. Université de
Fribourg et Cerf. Paris. 1993. 596 p.
Cet
ouvrage de référence est l’utile complément au précédent pour
approfondir l’œuvre de Thomas d’Aquin. Vous y trouverez toutes
les références utiles et les plus sûres pour parcourir l’œuvre
immense de Thomas d’Aquin. Bon voyage !
Pour
une étude philosophique systématique
Abbé
Henri Collin : Manuel de philosophie thomiste. Tequi .
Paris. 1926. T. I, 588 p. ; 1927, T. II, 476 p.
Ce
livre a été conçu pour la connaissance de la philosophie, selon le
programme officiel de l’Enseignement secondaire. Logique formelle,
ontologie, psychologie, critériologie, méthodologie, morale,
théologie naturelle. Le deuxième tome est pourvu d’une table
analytique très utile pour explorer la pensée de Thomas :
bonnes découvertes !
Antoine
Schülé, La Tourette, le 13 juin 2019.
Vous
souhaitez me contacter : antoine.schule@free.fr
1 Majus est illuminare quam lucere solum ; ita majus
est contemplata aliis tradere quam solum contemplari.
2 Somme
théologique (IIa-IIae,
q. 188, a. 6)
3
Métaphysique désigne selon Aristote ce qui vient après la
physique.
4 Une
lecture littérale sans chercher l’esprit du texte ou sans tenir
compte des spécificités du Nouveau testament.
5 Pape
de 1198 à 1216, né en 1160. De la famille des comtes de Segni, il
a étudié la théologie à Paris et le droit à Bologne.
6 Castillan,
né vers 1170 et mort en 1221. Il luttera contre l’hérésie
albigeoise ou cathare. Il a mené une prédication itinérante en
Languedoc en donnant l’exemple d’une pauvreté réellement
vécue.
7 Le
22 décembre 1216, le nouveau Pape Honorius III confirme cet ordre
qui adopte la règle de Saint Augustin et l’idéal monastique.
8 Totalement
détruite en 1944 et reconstruite depuis.
9 Pour
Augustin, la foi donne l’intelligence ; pour Thomas,
l’intelligence donne la foi. C’est une formulation caricaturale
qui illustre cependant assez bien leur différence.
10 Albert
le Grand commencera à faire de même avec Aristote et Thomas
d’Aquin parachèvera cette démarche.
11 Aboutissant
à une expérience de Dieu dans sa vie qui permet ainsi de le
connaître.
12 Aboutissant
à une connaissance de Dieu pour conduire sa vie.
13 Consultez
mes trois communications consacrées à la poésie religieuse.
14 Il
s’oublie trop facilement du rôle de la Syrie dans la transmission
du savoir philosophique.
15 Né
vers 1193 et mort en 1280.
16 Sa
géographie a inspiré Christophe Colomb.
17 Au
sens ici de savoir, de
connaissance.
18 Construit
sur une lecture corrigée de Platon.
19 Qui
rompt avec Platon établissant une séparation entre le monde
intelligible et le monde sensible. Aristote distingue forme et
matière : d’où son réalisme qui fera école.
20 Il
ne l’a pas inventé car il a eu deux précurseurs qui lui ont
ouvert la voie qu’il suivra : Guillaume d’Auxerre et le
franciscain Eudes Rigaud.
21 1829-1896.
22 Cet
instinct intellectuel.
23 Un
historien est à l’écoute de l’intuition pour découvrir les
vérités du passé. Soit elle est fausse et il recherche d’autres
voies, soit elle est juste et il offre une page inédite et vraie du
passé.
24 Thomas
d’Aquin : Sur le Credo, n° 895-896.
25 Initialement,
il y avait exclusivement la lectio
était la lecture, parfois commentée, de la Bible et des Pères de
l’Église. Première fonction du maître qui
évoluera avec la disputatio,
le débat contradictoire dirions-nous
de nos jours.
26 Il
y en a de deux sortes : Disputatio privata :
à l’intérieur d’une école en présence des seuls étudiants,
échanges entre le maître et le bachelier. Disputatio publica ou
ordinaria : exercice périlleux car un maître en
exercice pouvait se mettre ainsi dans l’embarras d’un défaut
ou d’un manque d’argument ; cette dernière pratique avait
souvent lieu au Carême et à l’Avent avec les Quodlibet.
27 Les
fameux « clash » tant prisés des media.
28 La
Bible et les Pères de l’Église.
29 Notons
bien cet éternel présent de l’Eternelle Présence.
30 Maurice
Zundel ne cessera de le dire !
31 Saint
Augustin et Maurice Zundel nous aident beaucoup en ce sens.
32 Revêtu
de la divinité mais restant homme.
33 Ia
P., q. 8, a. 3.
34 Angelos
signifie messager : intuition pure, messager de Dieu.
35 Volonté
cause seconde.
36 Dieu
cause première.
37 Que
le littéraire préférera.
38 Que
le scientifique privilégiera.
39 Et
non l’inverse ! Il est malheureux de constater au sein même
de l’Église catholique cette inversion qui révèle une
incompréhension totale du message du Christ !
40 L’homme
qui s’interroge sur le sens de la vie est le même dans tous les
temps : toutes les questions qu’il se pose de nos jours ont
déjà été posées : le contexte diffère mais
fondamentalement le problème reste le même...
41 Pouvant
être l’objet d’une théorie si vous voulez.
42 En
son âme et conscience.
43 Des
besoins d’une minorité par exemple et non sur le bien commun.
44 Nous
arrivons à un droit, à une législation qui ne correspond plus à
la justice élémentaire ; une législation qui protège
parfois mieux des abus de droit que des droits réels ou naturels.
45 Derrière
leurs titres, des manipulateurs peu scrupuleux manigancent à leur
aise : ils se sentent au-dessus des lois communes à tous.
46 Parfois
mêmes les parents des victimes : ce qui est un comble. Le
prétexte invoqué : « Il ne faut pas juger. »
Et hop, tout passe sous silence. Pourquoi ? « Il ne
faut pas médire ». Est-ce que ceci signifie qu’il faut
taire la vérité au supérieur du prêtre concerné ? Ma
réponse est « non ». Lorsqu’il y a des
faits avérés, il y un devoir d’informer les personnes qui
doivent l’être et si ces personnes n’agissent pas ainsi qu’il
le faudrait, c’est alors le problème de leur conscience et de
leur coresponsabilité !
47 Qui
peut s’appeler aussi lâcheté.
48 Thomas
d’Aquin : Traité de la béatitude.
49 Lorsqu’il
la reconnaît. En général, il a adopté le choix soit de
l’ignorer, soit de la vilipender généreusement !
50 Le
christianisme est né dans le sang des martyrs mais la Révolution a
versé le sang des martyrs que chante d’ailleurs la
« Marseillaise »... « Que le sang impur de nos
ennemis abreuve nos sillons... », même s’il s’agissait, en ce temps de sa composition, du sang des Anglais, ce que les Français oublient de nos jours, ceci ne
choque personne !
51 Et
non pour une satisfaction égoïste : l’amour possessif en
est un exemple.
52 Chez
les juges et les législateurs aussi !
53 A
dos de mulet.
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