Poésie
sacrée (III)
Antoine Schülé
La Tourette, mai 2018
Pour
ce troisième volet de poésie sacrée, nous ne ferons pas un voyage
dans le temps comme les deux fois précédentes. Nous resterons
aujourd’hui dans le XXe siècle chrétien.
La
poésie est l’expression d’une passion. Lorsque cette passion
s’élève vers le divin, nous avons de la poésie sacrée
qui peut être chrétienne ou d’un autre religion, voire d’un
autre courant mystique, comme j’en ai donné divers exemples. Une
prière, une louange, une oraison du cœur s’adressant aux dieux
ou, mieux encore, à Dieu est de la poésie sacrée, c’est-à-dire
un cri du cœur, pas obligatoirement en vers mais aussi en prose.
M’adressant
à un public francophone, je ne vous ai pas transmis les textes dans
leur langue d’origine mais toujours en français. Il s’agit d’une
petite sélection parmi la multitude d’auteurs qui auraient pu être
retenus. Je ne propose pas que de grands noms : il y a des
poètes oubliés qui ne méritent pas l’oubli !
Pour
commencer aujourd’hui, nous écouterons Rainer Maria Rilke qui a
écrit aussi bien français qu’en allemand et en russe.
Rainer
Maria Rilke (1875
- 29 12 1926)
ou l’histoire d’une âme
La nature révèle Dieu et les
images qu’elle lui donne à observer et à contempler nourrissent
sa poésie. Qu’est- ce une vie d’artiste selon lui ?
« Être
artiste, c’est croître comme l’arbre qui ne presse pas sa sève,
qui résiste, confiant,
aux grands vents du printemps,
sans craindre que l’été
ne puisse pas venir. »
Toutefois
avant de lui donner la parole, il est utile pour le comprendre de
garder à l’esprit quelques aspects de sa vie intérieure. Sa mère,
Phia Rilke, d’origine alsacienne, lui donne naissance à Prague.
Catholique, elle privilégie des dévotions très démonstratives
mais, en fait, sa spiritualité est superficielle : à un tel
point, que son fils en a eu un certain dégoût.
Depuis
l’âge de 10 ans, il a rêvé d’une carrière dans l’armée,
comme son père. De 1886 à 1891, il suivra une formation militaire,
en Autriche dans deux écoles de Cadets (Sankt Pölten et
Weisskirchen). Toutefois, la vie de caserne heurte son âme de poète
: il sent étouffer en lui ce qui constitue sa personnalité.
Cependant, en 1921, alors qu’il s’était déjà souvent plaint de
ces années de cette instruction à la dure, il leur reconnaît
cependant un mérite : il a commencé là une conversion, par un
retour vers l’intérieur et jusqu’au centre le plus intime de
lui-même.
Pour
des raisons de santé, il change d’ambition professionnelle et
rentre dans une école de commerce à Prague. Là, il aime briller en
société. Pour reprendre l’étude d’avoué de son oncle, il
entreprend des études juridiques. Il écrit des œuvres qu’il
distribue gratuitement. Il mène une vie mondaine dont il perçoit
très vite le vide : celui du monde du paraître et non de
l’être.
Finalement,
pour s’évader de ce milieu, il choisit le nomadisme en
pratiquant divers voyages : l’Italie où les œuvres d’art le
marqueront profondément ; la France où il traduira des sonnets
de Louise Labé, cette femme poète du XVIe s., en
allemand et où il fera la connaissance de Rodin (au contact duquel
Rilke prend conscience de sa volonté de peindre et de sculpter avec
des mots) ; en Allemagne il séjournera à Munich et à Berlin ;
la Russie où il y rencontrera Tolstoï et, apprenant le russe, il rédigera quelques poèmes en cette langue ; il choisit la
Suisse, le canton du Valais à la fin de sa vie (après avoir
rencontré Paul Valéry dont il a traduit des œuvres en allemand).
Pour
se marier en 1901, il a abjuré le catholicisme. Cependant, il a une
grande soif de spiritualité et c’est bien entendu cet aspect qui
nous intéresse.
Au
tournant du XIXe au XXe siècle, il a vécu
dans un monde commençant à ignorer Dieu, tout en cultivant des
pratiques sans en percevoir les sens profonds. Finalement, il a souffert d’une absence d’éducation
religieuse véritable et d’une spiritualité vivante dans un milieu
s’affirmant pourtant catholique. De la vie religieuse de sa mère,
voici sa description au 15 avril 1904 : « J’ai le
frisson quand je pense à sa piété distraite, à sa foi étroite, à
toute cette défroque caricaturale et méconnaissable dont elle
s’affublait, vide elle-même comme une robe ; fantomatique,
effrayante. ». De son père, militaire, il est choqué de
son catholicisme très formel, sans cœur. Ceci souligne toute
l’importance d’une foi vécue par des parents qui peuvent ainsi
évangéliser leur enfant par l’exemple qu’ils donnent. Notre
Rainer a des représentations religieuses liées à l’effroi et à
des sensations de contraintes. Alors comment va-t-il retrouver une
spiritualité vivante ?
Tout
commence par la beauté de l’art religieux. Rilke a un besoin de
visualiser une scène, comme la Nativité. Ses amis peintres
et les œuvres d’art l’y aideront. Son voyage en Italie lui ouvre
le cœur devant des tableaux qui ont pour noms : Assomption
de Marie, Annonce aux bergers, Mort de Marie. Oui,
c’est par Marie qu’il redécouvre une forme de foi qui grandira
avec le temps, avec des particularités qui lui sont très
personnelles. La rencontre décisive avec Dieu se produit finalement
lors de son voyage en Russie. Retenons que Boris Pasternak, l’auteur
du Docteur Jivago connaissait de Rilke des poésies par cœur. Cette
foi vivante de tout un peuple l’impressionne vivement. Son
interrogation reste de savoir comment reconnaître la Présence de
Dieu dans sa vie. Par contre, il ne s’intéresse pas à savoir qui
est Dieu.
Sa
spiritualité reprend vie avec des lectures régulières de la
Bible ; il s’ouvre à la Présence de Dieu intérieur
en lisant les Confessions de saint Augustin ; il
lit L’imitation de la vie de Jésus-Christ
et découvre la vie de saint François d’Assise écrite par
Sabatier.
Mon
but n’est pas de vous présenter
tous les thèmes de son œuvre mais de vous inviter à découvrir
trois de ses livres poétiques
et spirituels : Le
livre de la vie monastique,
écrit en 1899 ; Le livre du pèlerinage,
de 1901 ; Le livre de la pauvreté et de la mort,
de 1903. Vous pouvez trouver l’édition de ces trois titres en seul
volume intitulé :
Le livre d’heures 1,
avec le texte d’origine
en allemand accompagné d’une
traduction littéraire.
Rilke
dispose d’un œil
de peintre, amoureux de la terre, de la vie et de la nature. Il
aimait la simplicité de vie pour mieux entendre en lui cette voix
qui lui fit prononcer de si beaux chants.
Il a écrit en français ces
vers qui décrivent cet état d’esprit où le poète suit cette
voix intérieure qu’il est dans l’obligation d’exprimer, qu’il
ne peut pas garder pour lui seul :
« Ce soir mon cœur fait
chanter
des anges qui se souviennent…
Une voix presque mienne,
par trop de silence tentée,
monte et se décide
à ne plus revenir ;
tendre et intrépide,
à quoi va-t-elle s’unir ? »
Pour lui, Dieu ne se voit pas,
Sa présence se révèle dans un souffle intérieur qui réchauffe :
« Pour trouver Dieu il
faut être heureux
car ceux qui par détresse
l’inventent
vont trop vite et cherchent
trop peu
l’intimité de son absence
ardente. »
Mais
revenons au Livre d’heures.
En quelques mots, je souhaite vous inciter à découvrir la quête de
cette âme. Les
questions
qu’il faudrait se poser sont
les
suivantes :
n’y a-t-il pas dans le mystère de l’âme, le mystère même du
monde ? La connaissance du monde ne passe-t-elle pas par la
connaissance de soi ? Rilke
nous intéresse en raison de sa description des étapes de
cheminement de son âme. Je
vous donne ici la version française car le texte de Rilke est rédigé
en allemand. Le texte est dense et mérite d’être lu et relu pour
en percevoir toute la richesse spirituelle.
Le
poète s’adresse à Dieu et souligne la nécessité du silence pour
L’entendre et Lui parler :
« Qu’une
seule fois naisse un silence total.
Que
le fortuit, que l’approximation
et
le rire d’autrui se taisent,
que
le bruissement de mes sens
ne
m’empêche plus de veiller ;
Dans
une pensée multiforme,
je
pourrais Te penser jusqu’à Tes bords2
et
Te posséder (rien que le temps d’un sourire)
et
T’offrir à toute existence
comme
un remerciement. »3
Notre
poète veut aller au-devant de Dieu comme un enfant qui répond à un
appel du cœur et voici une sorte de profession de foi :
« Je
crois à tout l’inexprimé.
Je
veux libérer ma ferveur.
Ce
que personne n’a risqué
me
deviendra involontaire. »
Ce
qu’exprime le poète n’est plus de sa volonté mais du souffle de
l’Esprit
qui
le libère et lui permet d’approcher l’indicible qu’est Dieu.
Cruelle
question pour un poète : comment trouver des mots
pour
approcher l’indicible ?
« Pardonne-moi, mon
Dieu, si je suis téméraire.
Mais toutefois je veux Te
dire :
Ma force la meilleure sera
comme un instinct,
sans colère et sans crainte ;
ainsi les enfants t’aiment. »
La
quête de Dieu vécue par Rilke n’est pas le fruit
d’une
colère contre le monde ni d’une crainte de Dieu
mais
un acte d’amour confiant
comme celui de l’enfant
vis-à-vis de parents aimants.
« Avec le flux et cette
bouche
dans l’ample bras au cœur
de l’océan ouvert,
et le retour du flot
multiplié,
je veux Te reconnaître et
veux Te publier
comme personne ne le fit. »
Pour
Rilke, Dieu n’est pas seulement une source d’eau vive,
Il
est un océan qui ne le noie pas
mais
qui, en mouvements continus de flux et reflux,
le
baigne.
Rilke
retrouve le baptême de l’Esprit !
« Si c’est orgueil,
laisse-moi donc être orgueilleux
pour ma prière.
La voici grave et solitaire
devant Ton front que les
nuages ceignent. »4
Rilke
reprend librement le texte de Jérémie (9, 22-23)
et
l’épître 1 de Paul aux Corinthiens (1, 30-31)
que
je cite:
« C’est
par Lui que vous êtes dans le Christ Jésus,
qui
est devenu pour nous sagesse venant de Dieu,
justice
sanctification et délivrance
afin
, comme dit l’Écriture que
celui qui s’enorgueillit,
s’enorgueillisse dans le
Seigneur. »
Pour
Marie, il a des vers que lui inspire une peinture de Michel-Ange5 :
« Alors
vint celle qui s’éveillait pour son fruit,
la
timide et belle dans sa crainte,
la
Vierge visitée, la bien -aimée,
la
fleurie, l’inexplorée,
en
qui vont cent chemins.
Ils
la laissaient aller et planer
et
pousser avec la jeune année ;
Marie
servait : sa vie
en
devenait royale et merveilleuse.
Et
comme avec splendeur le carillon des fêtes
cette
vérité-là traversait les maisons ;
il
est venu un jour où se vit incarné
son
virginal abandon.
Elle,
emplie de l’Unique !
Et
comblée pour les multitudes !
Tout
semblait l’éclairer
comme
une vigne fructueuse. »6
Rilke
a redécouvert Marie
grâce
aux peintres.
Si Marie est ainsi la vigne,
pour Rilke Dieu est un arbre. Je vous livre ce dernier extrait qui
exprime la multiplicité des approches de Dieu qui est Unique7 :
« Avec une branche à
nulle autre pareille,
Dieu devient l’arbre qui
annonce l’été
par le frémissement de sa
maturité,
dans un pays où les hommes
aux aguets
partagent comme moi la même
solitude.
Découvrir
Dieu demande une attention
qu'il est impossible d'acquérir dans les bruits du monde.
La
présence de Dieu se révèle dans la solitude
de
celui qui Le cherche.
« Aux solitaires seuls,
Il est manifesté
et, à maints solitaires du
même genre, il est
davantage donné qu’à un
seul dans son exiguïté.
Car à chacun un Dieu
différent se révèle
jusqu’à ce que , au bord
des larmes, ils reconnaissent
à travers des avis éloignés
de cent lieues,
à travers leur savoir et leur
négation,
que,
dans cent existences révélé différent
un
seul Dieu comme une vague
va. »
Les
diverses perceptions de Dieu dans nos vies
se
rapportent au Dieu unique.
Voilà
une strophe vraiment œcuménique.
« Voici la prière
suprême
qu’alors se disent les
voyants :
Dieu, la racine, a porté
fruit,
allez au loin briser les
cloches ;
nous arrivons aux jours
tranquilles
où mûre enfin se lève
l’heure.
Dieu, la racine, a porté
fruit.
Soyez graves et voyez. »
L’heure
où Dieu se révèle se fait sans bruit
et
la prière ouvre la contemplation du Dieu qui se révèle.
Son œuvre est une réponse à
l’immense vide spirituel de son temps : malheureusement, ce
vide spirituel est toujours d’actualité. C’est pourquoi l’œuvre
de Rilke peut être lue avec profit pour nourrir des âmes en quête
de vérités. Chacun doit bâtir Dieu en lui. Et je conclus par un
extrait de son poème écrit avant le Livre d’heures, A moi pour
me fêter (Mir zu feier) :
« Tu ne dois pas
attendre que Dieu vienne à toi,
en disant : « Je
suis. »,
un Dieu qui avoue sa force.
Tu dois savoir que Dieu te
traverse de Son Souffle
depuis les origines,
et quand ton cœur brûle sans
rien trahir
c’est qu’Il est à
l’œuvre. »
Le souffle de l’Esprit Saint
a redonné vie et sens au poète qui poursuit sa quête de Dieu. Il a
connu la nuit mais il y a découvert Dieu...
Henriette
Meyrat
Avec
cette femme poète, nous revenons dans le Jura franco-suisse.
D’origine protestante, elle a publié en 1942, un recueil ayant
pour titre : « L’espoir triomphant ».
Elle a puisé son inspiration dans les textes bibliques : les
Psaumes, le Cantique des cantiques ou encore des pages de l’Evangile.
Pour
se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu alors que le monde est
en guerre, son poème nous y invite de la façon suivante :
Une
voix s’élève
Une voix domine, éclatante et
grave,
la sourde rumeur d’un monde
pervers,
du monde semblable à la
pauvre épave,
vaisseau qu’a frappé le
courroux des mers.
Une voix appelle. Ah !
Faisons silence…
Saisissons l’instant dans
l’éternité,
pour rencontrer Dieu, Sa seule
présence,
car Il nous conduit au port
désiré.
Une voix s’élève, apaisant
nos craintes ;
le cœur agité trouve son
repos…
Quel chant triomphal remplace
les plaintes,
quel accord soudain en brise
l’écho ?
Cette voix s’emplit de force
divine ;
elle monte encor : les
cieux sont ouverts.
Nous suivons sa trace et tout
s’illumine,
d’un bras protecteur nous
sommes couverts.
Dans nos cœurs, voici la voix
chante et vibre ;
Ne sommes-nous pas tous à
l’unisson
pour louer ce Dieu qui nous
créa libres,
accepter de Lui paix et
guérison ?…
Pour offrir au monde, en cette
heure brève,
l’amour conquérant, les
espoirs certains,
tandis que Satan sourdement
achève
son œuvre de mort parmi les
humains !
Dieu offre Sa pleine sécurité
et elle trouve ces mots pour nous le faire savoir :
Sécurité
« Sous les Bras
éternels, il est une retraite. »
Deutéronome, 33, 27
Sous les Bras éternels il est
une retraite,
un refuge assuré où le cœur
trouve enfin
le repos dans la paix, loin du
bruit de tempête
qui fait trembler le monde et
trouble les humains.
Asile protecteur où l’âme
se retire
pour rencontrer son Dieu et
recevoir de Lui
la clarté qui fait vivre et
le divin sourire…
Pour fuir aussi les coups
cruels de l’ennemi.
Séjour réparateur offrant
aux meurtrissures
du pèlerin lassé, parfaite
guérison.
Lieu d’abondante grâce où
notre cœur s’assure
dans le Seigneur de gloire et
sa protection.
….
Nous choisissons ici notre
éternel destin.
Tout passe, tout finit dans le
monde où nous sommes,
ce qu’apporte aujourd’hui,
l’avenir le consomme
et l’appel de Dieu même
aura son lendemain.
« Sous mes Bras
éternels, il est une retraite »
a murmuré la voix de notre
Dieu Sauveur…
Des siècles ont passé et la
foule inquiète
demande : « D’où
viendra le grand Libérateur ? »
- Il est venu, son Bras couvre
la terre et l’onde,
son amour protecteur nous
visite en tous lieux.
Pourquoi chercher ailleurs la
seule paix profonde
et le remède au mal et son
règne odieux ?…
Voyageurs anxieux, regardez au
Calvaire,
car pour vous accueillir il
est resté debout.
Faites un pas… encore un pas
dans la lumière,
Jésus-Christ est vivant, Sa
Parole est pour vous.
Les Bras du Rédempteur, jadis
dans l’agonie,
se sont ouverts à tous.
Laissez-vous attirer.
O vous qui viendrez boire aux
sources de la vie,
en Lui vous trouverez pleine
sécurité.
Le symbole de la Camargue est
une croix (foi), un cœur (charité) et une ancre (espérance). Aussi
je ne pouvais pas manquer ces vers où notre poète trouve des
accents sincères pour exprimer son espérance en Dieu :
« Tu
m’as donné l’espérance »
Ps 119, 49
« Cette espérance, nous
la possédons comme une ancre de l’âme. »
Hébreux 6, 19
Tu m’as donné l’espérance,
bien précieux pour mon cœur,
lumière dans la souffrance,
messagère au front vainqueur.
Tu m’as donné l’espérance
qui jamais ne confondra.
Oh ! Sublime
connaissance :
ton amour ne finit pas.
Sur l’océan de la vie,
quand le flot est menaçant,
que notre espoir le défie
au nom du Seigneur puissant.
L’ancre de notre espérance
en pénétrant au Saint Lieu,
se fixe avec confiance
dans le cœur même de Dieu…
Tu m’as donné l’espérance,
repos et sécurité.
O Dieu fort, mon assurance,
c’est Toi pour l’éternité.
Il est des moments où je suis
sidéré par les atteintes portées à la vérité par les media, les
« bien-pensants » officiels, les politiques et parfois
même par des membres du clergé . J’avoue que je souffre
souvent d’en voir les ravages, dans l’indifférence ou, pire la
lâcheté de la majorité des gens. Aussi, ce poème me donne la
force de lutter contre les erreurs et les arrogances de leurs
diffuseurs :
Un
sûr abri
Lorsque tout tremble et tout
s’agite,
Seigneur, tu donnes le repos.
C’est Toi le Rocher qui
m’abrite
contre la tempête et ses
flots.
Si la terre est bouleversée,
plein de cris et de clameurs,
c’est Toi la retraite
assurée
où fuir le péril et la peur.
Le monde et sa trompeuse joie
m’environnent de toute
part ;
Satan convoite en moi sa
proie…
Mais Toi, Tu demeures ma part.
Quand l’erreur en son
arrogance
combat la Sainte Vérité,
Tu m’accordes force et
vaillance,
Seigneur, pour vaincre à Tes
côtés !
Oui, je proclame ton
triomphe !…
Ton règne de justice et de
paix
bientôt chassera le mensonge.
Toi, Tu régneras à jamais.
Nous avons célébré, il y a
peu de temps, l’Ascension. C’est l’occasion pour notre poète
d’offrir une profession de foi qui mérite l’écoute :
Il
reviendra
Ascension
Triomphant,
couronné de splendeur et de
gloire,
à la droite de Dieu
Jésus-Christ est monté.
Pour l’Homme de douleur,
c’est la pleine victoire :
Il a vaincu la mort par
l’immortalité.
Un jour Il reviendra. La
promesse est certaine :
Ceux qui L’ont outragé
verront Sa majesté,
et tous éprouveront Sa force
souveraine.
Lui-même conduira Son peuple
racheté.
Encore un peu de temps,
Jésus-Christ va paraître
irradié d’éclat, revêtu
de beauté,
Celui que la Parole un jour
nous fit connaître,
dont le règne s’étend
jusqu’en éternité.
D’un ciel à l’autre, sur
la terre et sur l’onde,
et dans les lieux cachés que
nul œil ne sonda,
Sa présence sera la lumière
féconde,
et Sa voix irritée aux
moqueurs répondra.
Gardant dans notre cœur
l’espérance bénie,
ne nous attardons pas à
regarder au ciel.
Le monde nous attend, le monde
en agonie ;
quelque âme appelle en vain
dans son danger mortel.
Portons-lui sans délai
l’espoir, la délivrance
par le nom de Jésus notre
puissant Sauveur…
Le ciel est attentif à toutes
les souffrances,
le
ciel d’où reviendra
le grand Libérateur.
Pour cette simple prière,
notre poète a droit notre estime :
Prière
Ceux qui souffrent, ceux qui
prient,
Dieu puissant, protège-les,
accorde Ta paix, Ta vie,
Ta réponse aux cœurs
troublés.
Les combattants dans l’arène
du monde, au nom de la foi,
par Ta grâce souveraine,
viens les couvrir de Tes
droits.
Rends forts ceux qui sont en
butte
aux durs assauts des
moqueurs ;
qu’ils triomphent dans la
lutte,
comme un peuple de vainqueurs.
Ceux qui travaillent dans
l’ombre,
courbés sous un dur labeur
- Toi seul en connaît le
nombre -
interviens pour eux, Seigneur.
Ceux qui bravent la tempête
pour accomplir un devoir,
que Ta main forte leur prête
le secours de son pouvoir.
Ceux qui gouvernent les
peuples
et qui seront devant Toi,
tous jugés selon leurs
œuvres,
parle-leur en Roi des rois.
Que partout sur cette terre
Ta voix domine le bruit.
Ta parole salutaire,
fais-la régner aujourd’hui !
Oui, il y a des mots, soufflés
par l’Esprit, qui donnent des forces à l’âme !
L. Mercier
Est-ce
un homme ou une femme ? Je
crois que c’est une femme selon plusieurs indices apparaissant dans
ses poèmes. Est-ce une
personne chrétienne ou déçue par le christianisme vécu autour
d’elle ? Je
ne le sais pas, c’est
probable. Par contre, son
recueil de poèmes intitulé « Les
chemins de l’espace »
est intéressant à plus d’un titre.
Je
vous avais signalé dans notre première rencontre les relations
textuelles qu’il y avait entre les Psaumes
et certaines prières égyptiennes. Notre poète communique
ce souffle de la tradition
égyptienne d’une façon originale :
est-ce peut-être une lecture chrétienne de cette spiritualité ?
Il importe assez peu d’en savoir plus et prêtons attention à ses
mots :
Réponse
La vie, c’est l’éternelle
flamme.
Rien n’est changé hormis
ton cœur.
Que la frayeur quitte ton âme.
Du tombeau, le Ciel est
vainqueur.
Ne crains point la nuit et les
ombres.
L’Invisible veille sur toi.
La mort n’est qu’un
passage sombre.
Tout continue dans l’Au-delà.
Qu’en toi vienne
l’apaisement.
Regarde le Ciel qui se dore.
La mort n’est pas
l’achèvement,
mais bien une nouvelle aurore.
Nous vivons dans ce couloir
franco-suisse rhodanien. Et notre auteur fait parler le Rhône dont
les flots murmurent bien des vérités qu’il est bon d’entendre.
Ouvrez vos oreilles :
Les échos du Rhône
Tandis que bruissaient les
roseaux,
j’ai demandé, penchée sur
l’eau :
Où vont les chemins de
l’espace ?
Le fleuve m’a répondu :
passe.
Regardant les reflets
changeants
des flots berceurs moirés
d’argent :
Est-ce qu’ici-bas tout
s’achève ?
Le beau fleuve a murmuré :
rêve.
Des questions m’obsèdent
pourtant ;
Qui peut durer plus que le
temps
en éclairant comme une
flamme ?
Et le Rhône a proclamé :
l’âme.
Interrogeant de nouveau
l’onde :
de tous les fléaux de ce
monde
quel est le pire ? Dis
encor
mais le fleuve a soupiré :
l’or.
Alors j’ai imploré plus
bas :
si dans la vie et ses combats
le courage nous abandonne ?
La voix du fleuve a repris :
donne.
Dans le silence et la clarté
plein d’émoi j’ai
demandé :
Dis-moi quelle est la loi
suprême ?
Le Rhône a chanté joyeux :
aime.
Cependant si l’effroi
m’oppresse,
quel seul recours dans la
détresse
au jour du solennel adieu ?
Le grand fleuve a répondu :
Dieu.
J’avoue qu’à la lecture
de ce poème, je voudrais être un musicien pour le faire chanter
haut et fort !
Alphonse Mex
Mon père, très impliqué en
faveur de la défense de la poésie en Suisse romande, a souvent
correspondu avec cet auteur qui s’interrogeait sur son temps avec
une lucidité qui transparaît dans ce poème et qui justifie la
nécessité de retrouver une vie spirituelle dans un monde
devenu purement technique, où l’homme se robotise au lieu de
s’humaniser :
Primum vivere 8
Pourquoi le désespoir ou le
regret stérile,
la peur de l’avenir, le
remord inutile
qui sont comme des vers
et rongent les vivants
cadavres que nous sommes,
toujours insatisfaits de
n’être que des hommes
perdu dans l’univers ?
Puisque en vertu de la
satanique promesse
nous sommes devenus,- primauté
de l’espèce, -
semblables à des dieux,
que nous avons conquis et
l’espace et l’atome,
ne possédons-nus les clés de
ce royaume,
« Le royaume des
Cieux ? »
Un fils de l’homme est né :
le corps électronique ;
c’est l’esclave parfait,
le double, l’identique,
l’enfant du siècle d’or :
une âme de robot dans un cœur
de ferraille,
un être aveugle et sourd mais
un cerveau sans faille
et du meilleur rapport.
Ah ! Certes, le temps
n’est plus à la fantaisie ;
partout le rendement exclut la
poésie,
il faut vivre d’abord.
L’individu fait place à
l’homme de série
car il faut aller vite, adieu
la rêverie,
la vie est un record.
Un record, cette vie, en
victoire et défaite ;
à l’image du jour, il
semble qu’elle est faite :
victoire sur la nuit
lorsque la prime aurore est
couleur d’espérance ;
mais quand l’ombre descend
au pays du silence
la défaite la suit.
Le royaume des cieux, réalité
tangible,
jette une ombre de plus sur le
monde invisible
que nous avons rêvé ;
peut-être eût-il fallu
redescendre en nous-mêmes
afin de l’y chercher en
dehors des systèmes
et nous l’aurions trouvé !
N’est-ce pas toujours
d’actualité ?
Cet auteur est très pudique
quant à l’expression de sa foi, sauf dans un poème, paru aussi
dans son recueil « La voix du silence » et que je
livre à votre attention :
La foi
Croyez, dit l’Evangile, et
vous serez sauvés
du péché, de la mort, car la
vie éternelle
est le fruit de la foi,
certitude formelle
que vous ne serez point parmi
les réprouvés.
Mystère de toujours, songes
inachevés !
Dans l’étroite cellule où
ta raison chancelle,
n’aurais-tu pas caché cette
unique étincelle
dont le monde et toi-même
sont les dérivés ?
Croire, les yeux fermés, et
contre l’évidence,
à la survie, enfin, comme à
la renaissance,
à la durée au bord du
gouffre menaçant,
N’est-ce pas redonner une
force nouvelle,
une charge durable à ce noyau
pensant
pris dans le tourbillon de la
vague charnelle ?
Jacqueline Ebener
Mon père lui a permis d’être
éditée et de se faire connaître en Valais tout spécialement. Elle
a versifié sur les nombreux temps forts de la vie de l’Église. La
limpidité de son expression touche l’âme et le cœur. Avec
fraîcheur et simplicité, elle a exprimé sa Foi et je vous partage
quelques vers de son recueil « Les automnales » :
Pourquoi ?
Savez-vous pourquoi violette
Cache son parfum dans les
bois ?
Pourquoi la blanche
pâquerette
Joue à la sibylle
parfois ?
Savez-vous pourquoi
l’églantine
enchante l’ombre des
forêts ?
Pourquoi la rose a des
épines ?
Pourquoi le lys est
discret ?
Savez-vous pourquoi la bluette
vit si près du coquelicot ?
Et pourquoi la grise
alouette
Hante les prés où meut
l’écho ?
Savez-vous pourquoi l’épi
vide
lève, orgueilleux , sa
nullité ?
Et pourquoi mon esprit
avide
Croit que tout est
réalité ?
Savez-vous pourquoi le silence
Aime les sentiers d’infini ?
Pourquoi le poids de la
balance
seul rend nos actes
définis ?
Savez-vous pourquoi le
trouvère
accorde sa lyre à son chant ?
Pourquoi la douce
primevère
Sème son or dans
certains champs ?
Savez-vous pourquoi sur la
terre
L’amour, un jour, est
descendu ?
Pourquoi la vie est un
mystère ?
Pourquoi le ciel nous est
rendu ?
Savez-vous pourquoi la
conscience
Rythme la marche de nos
cœurs ?
Pourquoi, parmi toutes
les sciences,
Savoir Dieu livre le
bonheur ?
Elle a su partir cette
innocence de l’enfance qui, découvrant ses facultés de
raisonnement, s’interroge avec tous ses « Pourquoi ? »
pour graduellement nous amener à la question essentielle qui nous
fait adulte dans la foi.
Henri Boulad
Pour conclure, je vous fais
entendre des prières-poésies de ce prêtre jésuite 9,
né à Alexandrie. Il a la particularité d’être à la fois un
homme de prière 10
et d’action : le public cultive souvent l’idée fausse qu’un
mystique vit dans un autre monde, sans agir. Son engagement, dans
l’organisation catholique de solidarité et d’action sociale
qu’est Caritas, est une belle démonstration de cette foi qui peut
soulever des montagnes. Pour mieux le connaître, le plus simple est
de lui laisser la parole.
Auteur de nombreuses
conférences, il les conclut souvent par des méditations ayant un
grand souffle poétique qui invite le lecteur, l’auditeur à le
suivre pour prendre conscience de la présence de Dieu dans nos
vies : cette présence que percevait déjà Rainer Maria Rilke
que je vous ai présenté au début de cette communication. Je
souligne que chez ces deux auteurs, il y a des similitudes de
perception de Dieu qui pourraient être facilement démontrées mais
ceci n’est pas l’objet de cette présentation.
Tout chrétien a une
responsabilité en matière d’évangélisation et, avant de vous
lire sa méditation : Tu as mes mains, tu as mes yeux, je
tiens à vous faire connaître cet extrait :
« L’évangélisation
n’atteindra son but, que si le message annoncé touche le cœur des
gens, éclaire leur vie, leur apporte la joie véritable. Il faut
impérativement trouver un nouveau langage, qui parle à
l’homme d’aujourd’hui. C’est ce que je tente modestement
de faire à travers mes conférences et mes ouvrages : traduire
le message de Jésus dans un langage simple, accessible, vivant,
existentiel. Tel est le défi de l’Église à notre époque :
ou bien elle saura inventer un nouveau
langage, ou bien elle mourra de sa belle mort.
Si Dieu s’est fait homme,
c’est pour sanctifier le monde, la chair, la matière ; c’est
pour sacraliser la vie, l’amour, la rencontre. Le Dieu de
l’incarnation est le Dieu du pain et du vin, le Dieu du quotidien.
Les sacrements ne sont rien d’autre que
le prolongement de l’incarnation. En Jésus, Verbe fait chair, le
monde est assumé, sanctifié divinisé. Toute réalité devient
ainsi « sacrement »11. »
12
Tu as mes mains, tu as mes
yeux
Seigneur, Tu n’es plus parmi
nous-mêmes
avec Ton corps de chair et de
sang,
mais tu veux que je sois Ta
présence
pour mes frères et sœurs
d’aujourd’hui.
Tu n’as plus de mains, mais
Tu as mes mains,
pour porter secours au malade,
caresser le visage du
vieillard.
Tu n’as plus tes yeux, mais
Tu as mes yeux,
pour regarder celui que
personne ne voit,
lui faire sentir qu’il
existe.
Tu as ma bouche et mon
sourire,
pour réveiller le goût de
vivre
chez tous ceux qui l’ont
perdu.
Chacun de mes actes, Seigneur,
peut devenir un sacrement,
si c’est Ton Esprit qui
l’inspire,
si c’est Ta Présence qui
l’anime.
Donne-moi de découvrir
la dimension divine et sacrée
de ma vie, de mes rencontres,
de mes activités,
pour qu’elles acquièrent un
sens ultime,
un goût d’éternité.
Que mon action soit Ton
action,
mon engagement, Ton
engagement.
Donne-moi, par-dessus tout, la
force d’aimer,
toujours mieux, toujours
davantage.
Amen.
Ainsi tout chrétien prend
conscience qu’il peut donner soit un témoignage - ce qui est à
souhaiter pour tous -, soit un contre-témoignage - ce qui est
parfois malheureusement le cas et une cause de souffrance pour tous -
de ce Dieu, présent au cœur de chacun.
Plus loin, dans le même
ouvrage, il y a des pages extraordinaires sur ce regard de Dieu qui
façonne l’homme. Les circonstances qui ont amené le Père Boulad
à rédiger son poème méritent d’être mentionnées.
Il se trouvait dans un
monastère copte du IVe s., à Wadi Natroum, un oasis
entre le Caire et Alexandrie. Dans le sanctuaire de ce centre
monastique, il y avait abondance de veilleuses, ce qui est normal, et
d’œufs d’autruche, ce qui doit surprendre. D’où la question
du Père Boulad et sa réponse qui lui inspirera le poème qui
suit celle-ci :
« On dit que lorsque
l’autruche pond un œuf, elle le contemple longuement jusqu’à ce
qu’il éclose. Son regard d’amour posé sur l’œuf permet au
petit de jaillir dans l’existence. C’est ainsi que Dieu nous
regarde. »13
La leçon en est merveilleuse : En nous contemplant avec amour,
Dieu nous permet d’éclore. En nous regardant avec tendresse, il
fait éclater notre coquille. Son regard aimant nous révèle à
nous-mêmes, nous éveille à la vie, nous fait grandir14.
Si Tu n’existais pas
Si Tu n’existais pas,
dis-moi par qui j’existerais,
moi qui n’existe que par
Toi…
Je n’avais pas de nom,
de corps, ni de visage,
ni de place dans aucun cœur,
et je n’étais rien pour
personne.
Un jour Tu as pensé à moi
et j’ai commencé d’être,
Tu as prononcé mon nom
et j’ai jailli dans
l’existence.
Dans la nuit de Ton Éternité,
Tu as prononcé ce nom qui est
à moi,
ce nom secret, unique et
ineffable,
que nul autre moi ne possède,
que nul autre que Toi ne
connaît.
Ce nom qui est premier et qui
sera dernier,
par lequel j’ai surgi à mon
premier enfantement
par lequel je resurgirai
à ma deuxième naissance,
lorsqu’il me sera révélé
sur le tout petit caillou
blanc.
Un jour Tu as pensé à moi,
et Ta pensée a pris un corps,
et Ta pensée s’est faite
chair,
et s’est faite sang, et elle
s’est faite vie,
mon corps ma chair, mon sang,
ma vie.
Et chacun de mes membres,
et ces deux jambes, et ces
deux pieds,
pour la marche et la course et
la fête et la danse,
et ces deux bras et ces deux
mains,
pour le travail et pour
l’effort
et pour l’étreinte et pour
l’offrande.
Ce ventre et ces entrailles,
pour transformer en moi la
substance du monde.
Et l’organe secret pour
transmettre la vie
et goûter le bonheur d’aimer
et de donner.
Et la peau toute blanche,
pour la caresse et pour
l’amour.
Un jour Tu T’es penché sur
moi
qui n’étais pas encore.
Tu as plongé la main dans la
terre et la boue
et dans le limon noir et dans
la glaise rouge.
Et Tu m’as façonné et Tu
m’as inventé,
et Tu m’as fait jaillir de
la nuit de ce monde,
du ventre de la terre et de
Ton cœur de Mère.
Tu m’as longuement pensé au
long des nuits,
Tu m’as lentement pétri au
long des jours.
Tu m’as éternellement mûri
dans Ton Cœur
et enfanté au long des
siècles
avant de me faire jaillir de
la terre.
Tu as rêvé et conçu mon
visage
avant même qu’il
n’apparaisse.
Tu as rêvé mes yeux, Tu as
rêvé mes joues
et ces cheveux tout fous
dont pas un seul ne tombe
sans un ordre de Toi.
Tu as fait cette bouche
et ces dents et ces lèvres
pour le baiser et le sourire
et le repas qui refait
l’homme,
qui rassemble et qui réunit.
Ces lèvres lourdes de désir
pour boire à la source des
choses,
et ce gosier et ce palais
pour goûter combien Tu es
bon.
Tu T’es penché sur moi et
Tu m’as fait un corps.
Tu T’es penché sur moi, tu
m’as fait un visage.
Tu T’es penché sur moi au
tout premier matin,
à la première aurore, dans
le premier jardin.
Tu m’as pris dans Tes bras,
tout contre Ton visage,
et bouche contre bouche Tu
m’as donné Ta vie.
Ton souffle et Ton haleine
ont passé dans mon être
et dans mes membres et dans
mes veines,
et mon corps a frémi, ma
chair a tressailli
mes yeux se sont ouverts et
j’ai vu Ton visage
et j’ai vu Ton regard, et
j’ai vu Ton sourire
et j’ai réalisé que Tu
étais ma vie,
que Tu étais mon tout,
que Tu étais mon Dieu.
Si Tu n’existais pas,
dis-moi comment j’existerais
moi qui n’existe que par
Toi,
par Ton étreinte et Ton
baiser
et par Ton souffle et par Ta
vie.
Un jour Tu as pensé à moi,
alors que je n’existais pas.
Tu m’as donné un nom,
un corps et un visage,
semblable à Toi Tu m’as
créé,
capable de comprendre, capable
d’aimer.
De Ta substance et de Ta vie,
de Ton être Tu m’as
enfanté.
Comme une mère Tu m’as
porté
et engendré et mis au monde.
Je suis de Toi, je suis par
Toi.
Si Tu n’existais pas
dis-moi comment
j’existerais ?...
Comme le fruit à l’arbre,
je suis pendu à Toi.
Au-dessus du néant, je suis
pendu à Toi.
Au-dessus de la nuit et du
vide éternelle
je suis pendu à Toi.
Comme le tout-petit rattaché
à sa mère
par le cordon de la vie sans
lequel il n’est rien,
je suis lié à Toi, suspendu
à Ta Vie
qui me traverse à chaque
instant.
Comme le tout-petit collé à
la mamelle
tête amoureusement le lait de
sa maman,
ma bouche est suspendue à Ton
Sein maternel,
Toi qui à chaque instant me
refait exister.
Comme le tout-petit blotti
contre sa mère
s’abandonne endormi au cœur
de la cohue,
de la tempête et de la nuit,
je m’abandonne à Toi, je me
blottis en Toi,
la tête contre Ton épaule.
Si Tu n’existais pas, mon
Amour, ma Vie,
dis-moi par qui j’existerais,
dis-moi comment j’existerais,
dis-moi pourquoi j’existerais,
dis-moi pour qui
j’existerais ?…
Aussi de même que nous
naissons du regard de Dieu, le regard que nous portons sur l’autre
peut faire renaître celui-ci. Le Père Boulad le précise :
« Je puis éveiller
en l’autre ce qui sommeille en lui et le faire advenir. L’amour
est créateur ! En aimant comme Dieu aime, je deviens créateur
avec Lui : je fais jaillir un être à l’existence. ».
Et, pour les mots de la fin,
il s’agit de ne pas oublier que Jésus a besoin de chacun d’entre
nous :
En attente
Jésus, Tu n’as jamais fini
de naître,
Tu n’as jamais fini de Te
révéler.
Tant que chaque être humain
ne sera pas pleinement humain,
tant que chaque homme
n’aura pas atteint sa pleine
stature d’homme,
Tu seras en gestation et en
enfantement.
Ta naissance à Bethléem
n’était qu’un début,
un aurore.
Elle se poursuit et
s’accomplit jour après jour
dans l’humanité
en attente de sa propre
révélation,
qui sera aussi la tienne.
Comme Tu as eu besoin de Marie
pour prendre chair en ce
monde,
Tu as besoin de nous
aujourd’hui
pour naître à nouveau.
Et puisque Ton Église se
reconnaît
en Celle qui T’enfanta
jadis,
donne-nous de T’enfanter
aujourd’hui
en disant oui avec Elle.
Aussi frêle et fragile que Tu
l’étais à Bethléem,
Tu Te trouves aujourd’hui
désarmé,
impuissant, seul et abandonné
face à l’injustice, à
l’oppression, à la méchanceté
d’un monde dur et corrompu.
Donne-moi d’écouter Ton cri
dans tous les hommes qui
appellent,
donne-moi de répondre à ce
cri,
de venir à Ton secours.
Merci Seigneur, d’avoir
besoin de moi !
Merci de compter sur moi !
Et c’est ainsi que
s’achèvent nos trois voyages dans le monde de la poésie sacrée.
Si vous voulez en entreprendre d’autres, faites-le moi savoir… Il
y a un univers encore à découvrir !
1Rainer
Maria Rilke (éd. bilingue, trad. De Frédéric Kiesel et de
Gaston Compère): Le livre d’heures. Le Cri. Bruxelles.
1993. 264 p.
2La
vie terrestre ne permet qu’une approche et seule la deuxième
naissance à Dieu permet de franchir ce bord, cette mince paroi
terrestre qui nous sépare encore de Lui.
3Idem,
p. 23
4Idem,
p. 29
5De
nombreux vers de Rilke sont avec les mots des reproductions pleines
de vie de peintures vues : nous pourrions illustrer Rilke avec
les plus grands noms de la peinture ou de la scupture.
6Idem,
p. 55
7Vous
retrouverez cette image de Dieu et l’arbre chez Henri Boulad que
nous entendrons à la fin de cette communication.
9Au
souffle zundélien bien souvent.
10Sur
YouTube, vous pouvez écouter ses homélies qui sont d’une belle
densité.
11Avec
des guillemets car ils sont en plus des sacrements de l’Église et
tels qu’Elle les formule.
12Henri
Boulad : Changer le monde. Expérience mystique et
engagement. Ed. Saint-Augustin. St Maurice. 2004. 248 p.. P. 28
13Idem,
p. 44
14Sortir
de notre « moi » biologique comme le dit Maurice Zundel.
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