Géographie militaire suisse
par Antoine Schülé
La Tourette, 27 mars 2009
Introduction
Avant de commencer cette brève communication sur un sujet qui pourrait nous retenir toute une semaine sans l’épuiser totalement, je dois dire que j’ai deux raisons d’être heureux de prendre la parole devant vous.
La première raison est que j’ai commencé en 1980 ma vie militaire à Colombier, car je suis un fantassin comme la plupart d’entre vous et que ma joie est de vous voir, vous les jeunes, prêts à vous engager pour cette Armée qui mérite vos efforts, vos connaissances et votre passion. Officier de milice et d’infanterie, j’ai pu apprendre à connaître la nature humaine grâce à l’armée. Vous vivez une expérience humaine qu’aucune autre institution peut vous donner. De plus, j’ai pu découvrir ce pays dans toute sa diversité, puisque, ayant débuté dans la plaine, je me suis retrouvé en montagne, avec les troupes de forteresse où ma spécialité était la défense extérieure de forts au moyen d’armes lourdes : mitrailleuses et canons antichar, aussi bien mobiles que fixes.
La deuxième raison est que nous inaugurons aujourd’hui les conférences de l’ECRI qui s’adressent à vous, les militaires aussi bien professionnels que de la milice, comme à vous le public qui souhaitez mieux comprendre et donc mieux penser tout ce qui a trait à la défense, aussi bien en Suisse qu’à l’étranger. Car l’ECRI veut s’ouvrir sur le monde et considérer avec une attention particulière les liens qui unissent la Suisse au monde : cela est important pour comprendre certains choix politiques.
Rien ne vaut mieux qu’un exemple pour illustrer cela. Durant la Deuxième guerre mondiale, les ports de Gênes et de Sète ont été essentiels pour notre survie, aussi bien celle des populations que de notre vie économique. Ces deux sites ont pesé sur les décisions à prendre, alors qu’il en est rarement fait mention, même encore de nos jours !
Le sort de la Suisse n’a pas dépendu et ne dépend pas uniquement de ce qui se vit sur son territoire, à l’intérieur de ses frontières. Non, nous vivons dans le monde et avec le monde proche et lointain qui nous entoure.
La présence du professeur Philippe Boulanger qui nous fait l’amitié de quitter Abou Dhabi où il enseigne pour nous rejoindre ici est une grande joie comme un grand honneur. Surtout, sa présence démontre notre volonté d’ouvrir notre champ de connaissances au-delà de nos frontières et, pour marquer cette volonté, il ne pouvait pas y avoir mieux que lui, professeur de géographie militaire dont les ouvrages sont remarquables et méritent non seulement votre lecture, mais encore votre étude.
Le plan que je vous propose pour ces quelques instants que nous partageons est simple. Je vous invite à un voyage géohistorique. Il s’agit d’une approche originale qui vous donnera peut-être l’envie de mieux associer deux sciences complémentaires : histoire et géographie.
Quelques définitions
Pour éviter toute confusion, quelques définitions doivent être données dès le début :
La géographie militaire réunit les données qui caractérisent le milieu dans lequel les troupes sont amenées à intervenir. C’est la formule la plus simple mais il y en d’autres comme nous le verrons.
La géopolitique étudie les finalités politiques des décisions d’Etats, d’organismes internationaux ou encore d’organisations non gouvernementales, où la géographie reste un paramètre incontournable avec toute la complexité des motivations, des logiques pouvant animer les uns et les autres.
La géostratégie, finalement, est la variante plus spécifiquement militaire de la géopolitique qui analyse comment les objectifs stratégiques, fixés par les politiques, peuvent être atteints.
La géographie militaire s’est affirmée comme une science à part entière, à la fin du XIXe siècle, et elle a pour but de mettre en relation les activités politiques et militaires avec les données physiques et humaines. Voici la définition qui me paraît la plus judicieuse. Toutefois, si cette science reconnue en tant que telle est récente dans les sciences, elle a été pratiquée, selon des critères plus souples et sans recourir à son vocabulaire spécifique, bien avant par les historiens, les politiques et les chefs de guerre. Faisons un peu d’histoire, remontons dans le temps pour mieux comprendre.
Lorsque des peuples ont dû migrer en Europe pour des raisons climatiques, ils ont obéi à des nécessités de survie ; lorsque des peuples luttent pour disposer d’une alimentation en eau potable, vous avez un autre facteur géographique déclencheur possible de conflit ou de guerre; lorsque des tribus nomades se déplacent à la recherche de pâturages, ils sont tôt ou tard confrontés à des tribus sédentaires, vivant de l’agriculture, et il y a risque de conflits ; quant un pays cherche une ouverture sur la mer pour sa survie économique, vous avez là encore un autre motif de guerre ; à la naissance de la Confédération suisse, lorsque les cantons campagnes ont eu besoin des marchés des cantons villes, il y a eu des alliances qui se sont faites : les uns vivaient du transport des marchandises et avaient donc besoin de voies de communication sécurisées et les autres avaient besoin de commercer dans des villes sécurisées…etc. Les exemples ne manquent pas qui vous font percevoir le rôle comme le poids de la géographie et les explications qu’elle nous apporte dans l’histoire des civilisations.
Alexandre le Grand, César, Hannibal, Tamerlan, Gengis Kahn, Saladin, Charlemagne, Frédéric Barberousse, Eugène de Savoie, Frédéric II et Napoléon, entre de multiples autres, pratiquaient la géopolitique, même si ce mot n’existait pas encore pour définir ce que l’on appelait tout simplement leur sens politique. Cependant Napoléon s’est fait piéger par la géographie comme l’illustre son échec de la campagne de Russie ! Le boiteux et manchot Tamerlan s’est vu dépasser par ses conquêtes, si grandes qu’il ne pouvait plus en assurer la maîtrise ! Le vœu de Charlemagne d’une grande Europe se concrétise maintenant, son empire n’a pas duré pour des raisons successorales qui ont créé les grands Etats européens actuels !
Pour 2010, l’ECRI vous propose 8 conférences dont 4 porteront sur la géopolitique et 4 sur la géostratégie. Avec la géopolitique, nous pourrons, je l’espère, porter un regard plus aigu sur la situation politique mondiale actuelle, fruit des histoires de peuples et de civilisations, pour mieux analyser les rapports de puissances ainsi que les évolutions des équilibres de celles-ci dans le monde.
Avec la géostratégie, notre attention se portera sur les rapports de force entre puissances et continents et le rôle déterminant de la maîtrise de certaines matières premières, leur production comme leur transport. L’originalité sera de s’ouvrir aux regards chinois, russes ou indiens sur des questions trop souvent appréciées avec un regard occidental.
Ces sciences offrent des méthodes d’analyse qui permettent d’établir la relation complexe qui existe entre puissance et espace et cela vaut pour tous les pays, quelles que soient leurs dimensions ou leurs puissances fortes ou relatives.
Revenons à la géographie militaire, reconnue depuis le XIXe siècle, et en Suisse plus précisément. Elle est liée à deux grands noms : Antoine Henri Jomini et Guillaume Henri Dufour.
Dans son « Précis de l’Art de la guerre », Jomini souligne en 1837, l’importance de la géographie :
« [La géographie] consiste dans la description topographique et stratégique du théâtre de la guerre, avec tous les obstacles que l’art et la nature peuvent offrir aux entreprises, l’examen des points décisifs permanents que présente une frontière ou même toute l’étendue d’un pays. » et il complète cette mise en perspective avec la statistique - qui en est encore à ses débuts - mais dont il perçoit toute l’utilité pour la prise de décision d’un commandant. Il en parle ainsi :
« [La statistique est] la connaissance aussi parfaite que possible de tous les éléments de puissance et de tous les moyens de guerre de l’ennemi que l’on est appelé à combattre. ».
Vous pourriez dire, vous les futurs chefs de groupe ou de section, que cela ne vous concerne pas. Vous auriez tort. Pour apprécier la situation avant la prise de décision, il est nécessaire de recourir à l’analyse géographique de la zone d’engagement : l’équipement du soldat ne sera pas le même en été ou en hiver ; dans des zones comme le Jura où l’eau manque vite en été, cela aura une incidence sur le ravitaillement dont vous serez responsable ; les couverts pour les armes ne seront pas les mêmes en montagne, dans le Jura ou dans une ville aux multiples collines ou une autre ville en terrain plat : par exemple, les types de toiture pourront même intéresser le militaire, un toit plat diffère d’un toit à plusieurs pans quant aux usages à en faire ! Ne serait-ce que pour le choix des camouflages, il faut s’adapter à des données de terrain. Dans nos forêts, les feuillus offrent une bonne protection en été mais, en hiver, seuls les forêts de sapin offrent un couvert utilisable.
Des cas historiques -qui vous sont peut-être connus- vous illustrent cette nécessité de posséder des connaissances géographiques :
En 1813, Napoléon comme ses généraux se faisaient une idée fausse sur la Bohême : ils la voyaient comme un pays coupé de montagnes, alors que la ceinture de montagnes secondaires qui l’entourent se franchit en une journée de marche pour se trouver finalement en pays plat !
Les Allemands à Stalingrad sont vaincus par le froid, ils n’avaient plus de vêtements ou de chaussures adaptés à l’hiver.
Lors du conflit anglo-argentin aux Malouines, l’équipement des troupes anglaises étaient complètement inadapté, cela ne les a pas empêchés d’avoir la victoire, mais derrière le succès, il est important pour vous d’identifier ce qui aurait pu être la raison d’un échec.
Jomini revient encore plus loin dans son écrit sur ce sujet et avec une insistance qu’il faut souligner, je le cite encore :
« On doit ne rien négliger pour avoir la géographie et la statistique militaires des Etats voisins, afin de connaître leurs moyens matériels et moraux d’attaque et de défense ainsi que les chances stratégiques des deux partis. On doit employer à ces travaux scientifiques les officiers distingués et les récompenser quand ils s’en acquittent d’une manière marquante. ».
Il souhaite un développement de la cartographie. Par l’étude de la carte, Jomini veut que l’on puisse réfléchir sur les lignes d’opération qui dépendent des lignes de communication :
« Le grand art de bien diriger ses lignes d’opérations consiste à combiner ses marches de manière à s’emparer des communications de l’ennemi sans perdre les siennes. ».
Jomini est un auteur passionnant car à le lire, vous pouvez voyager avec lui sur tous les grands terrains militaires qu’il décrit avec une minutie de géographe. Nous pourrions développer sur ce thème de nombreux propos de Jomini qui sont peu connus et pourtant plein d’intérêts en cette matière.
Ce qu’il importe de retenir est qu’une puissance insulaire (pensez à l’Angleterre) ne voit pas la guerre comme une puissance continentale (pensez à l’Autriche avant 14-18) ; une puissance forte à la fois sur terre et sur mer (pensez à aux Pays-Bas autrefois ou aux Etats-Unis actuellement) raisonne de façon différente d’une puissance qui ne possède qu’une armée de terre ou sur mer. Un pays disposant d’un vaste territoire (prenez la Russie) conçoit la défense de ses frontières autrement qu’un petit pays comme la Suisse, entourée de grandes puissances s’exerçant sur de grands territoires ! Pourtant, dans tous ces cas de figures, l’essentiel est de déterminer quel est le point stratégique territorial ou géographique : avec le recul historique, il faut préciser que ce point stratégique subit des évolutions et, dans la longue durée et suivant les cultures, il ne sera pas toujours le même (pour l’un ce sera, une ville, une capitale, des ressources du sous-sol ou des zones agricoles vitales ; pour d’autre, un lieu sacré ou symbolique) ! La géographie physique ne doit pas faire oublier la géographie humaine qui ne peut pas faire abstraction de l’histoire tout simplement !
Guerre en montagne
Comme nous sommes en Suisse, pays montagneux, il vaut la peine de s’intéresser brièvement à ce que Jomini nous dit sur la guerre en montagne en parlant des opérations stratégiques. En Europe, il dresse une liste des pays montagneux, et je vous rappelle que les frontières des Etats qu’il cite ne sont pas ceux de ce jour : les frontières européennes sont de création récente lorsqu’on considère leur histoire sur la longue durée. Pour lui, sont des pays montagneux : le Tyrol ; les provinces noriques c’est-à-dire la Carinthie, la Styrie, la Carniole, l’Illyrie ; s’y trouvent encore quelques provinces de la Turquie et de la Hongrie, la Catalogne et, finalement, le Portugal. Les autres contrées de l’Europe n’ont, selon son analyse, que des ceintures montagneuses.
Les principes de la guerre en pays montagneux ne sont pas identiques à ceux employés en pays ouverts : il serait bon de s’en souvenir car, de nos jours encore, il est fait des comparaisons complètement erronées par quelques historiens. Le meilleur exemple en est la défense de la Suisse en 39-45 : vous trouverez plus d’une comparaison de nos troupes avec les troupes allemandes ou américaines qui ne tiennent pas, car les moyens déployés sur de vastes plaines n’ont pas la même efficacité sur le territoire suisse qui a une configuration particulière et il y a encore des auteurs qui veulent croire que nous aurions dû avoir des armes similaires à l’adversaire, quelle erreur ! Heureusement lors de la Guerre froide, des militaires ont réalisé qu’il valait mieux avoir des armes antichars qu’un nombre inadapté de chars par rapport à la surface de leur zone d’engagement possible en Suisse.
J’ai encore bien des soucis lorsque je lis des études se voulant sérieuses mais ne reconnaissant pas la spécificité de notre terrain. Les manœuvres sont limitées dans nos plaines ayant des caractéristiques, leurs axes par exemple, pas favorables à l’ennemi. Les forces sont vite fractionnées dans les vallées. Il y a des passages obligés qui encolonnent les troupes de façon défavorable. Les terrains-clefs sont les jonctions entre vallées et rivières : ce qui simplifie la tâche de la défense. L’agresseur est réduit à mener systématiquement des attaques directes et à recommencer autant de fois que cela sera nécessaire, ce qui ne peut que ralentir ses marches comme sa concentration des forces. Un terrain compartimenté comme le nôtre entraîne un fractionnement des forces, ce qui est plus favorable à la défense qu’à l’attaque !
L’importance de notre territoire réside, hier comme aujourd’hui et demain, dans les nœuds de communication routière ou ferroviaire. N’oublions pas que les blocages de quelques défilés peuvent paralyser toute une armée. La défense d’un territoire comme la Suisse relevait véritablement d’un jeu d’échec où chaque compartiment de terrain constituait un pion à jouer, à perdre ou à risquer pour gagner. La multiplicité de nos vallées nuit à la concentration des troupes : l’histoire nous a appris que cela pouvait être généralement en notre faveur, car ce fut très rarement en notre défaveur. La défense de la Suisse n’a pas été et n’est pas statique du tout. En tant que fantassin, je me souviens des déplacements parfois forts longs, en plaine, en montagne que nous pouvions accomplir. Ceci même hier, avec le développement des forteresses qui avaient été pour l’adversaire des obstacles sérieux qui venaient en complément d’une infanterie mobile et agissant sur d’autres points. La manœuvre de l’infanterie se fait toujours dans ce terrain mixte, la lisière des forêts et les bordures des lieux habités, si avantageux pour ses engagements : le fantassin a, durant tout son histoire qui remonte au Celtes jusqu’à nos jours, cultivé la manœuvre, les déplacements rapides pour bénéficier de la surprise et attaquer de façon favorable. Le principe est fondamental, seuls les moyens ont évolué, plus ou moins vite, les Anciens de l’infanterie motorisée peuvent en témoigner.
Pour le décideur militaire, la carte est un instrument essentiel à la décision. Qui d’entre vous n’a pas dû fouiller les moindres renseignements donnés par une carte pour choisir un parcours, pour étudier les possibilités ennemies, pour conduire de jour comme de nuit ses hommes sur des chemins inconnus jusqu’alors ? Et il faut encore se pencher sur la carte pour visualiser le terrain où l’action doit se mener. La cartographie est un des moyens d’aide à la décision qui reste essentiel. Brièvement, abordons quelques données sur la cartographie suisse. Il est un nom que vous devez retenir absolument :
Dufour a réalisé de 1832 à 1864 la carte de la Suisse avec des triangulations. Avant cette carte Dufour, nous avions des cartes très locales ne couvrant pas systématiquement tout le territoire. Les cartes ont toujours été très précieuses car elles faisaient partie des trésors d’une ville. Sans vouloir faire un développement trop long sur la cartographie en Suisse, ce sujet mériterait une conférence à lui tout seul, je signale juste que la topographie a fait de très grands progrès à la fin du XVIIIe siècle. En France, Vauban avait créé un corps d’ingénieurs - géographes en 1691 déjà. De nombreux pays européens ont établi des projets nationaux de triangulations. En 1766, le Danemark donne l’exemple ; la Saxe en 1780 ; l’Angleterre en 1784 ; la Prusse en 1796 et la Russie en 1797.
En Suisse, en 1667, le peintre sur verre Gyger dresse une carte remarquable polychrome du canton de Zürich. La carte Scheuchzer est l’une des premières à utiliser la trigonométrie et le baromètre pour déterminer la position des localités et les altitudes. Les cartes Keller de Zürich ont eu un grand succès dans les écoles.
L’idée d’un relevé général de la Suisse a été lancée, en 1753, par Micheli du Crest, un Genevois. Il a voulu créer un bureau topographique à Genève pour organiser la triangulation du pays.
Au niveau fédéral, il faudra attendre 1809 pour les premières triangulations systématiques et coordonnées du territoire. Ce travail est relativement aisé sur le Plateau suisse mais les Alpes offrent de nombreuses complications. Il fallait relier les opérations suisses de mesure avec les états voisins ; face à l’inconnu, le plus difficile était de trouver un point de vue visible par trois autres à la fois. La foudre a tué un chargé de la triangulation. D’autres ont dû affronter les avalanches de pierre, des rochers friables, l’incompréhension des montagnards qui détruisaient les signaux en bois péniblement construits etc. Ce projet faillit être abandonné face aux nombreuses difficultés.
Dufour, avec ses compétences de mathématicien, de géomètre et en même temps de dessinateur, reprend en 1832 le projet dont plus personne ne voulait assurer la charge. Au service de la France, il avait déjà établi une carte au 5 000e de Corfou, publiée en 1828. Il se battra pour obtenir des crédits, pour payer des hommes qui prennent des risques pour établir les mesures. Sans imiter les pays voisins mais, connaissant les forces et les faiblesses des choix adoptés pour établir leurs cartes, il a su trouver des solutions pour faire au mieux avec les caractéristiques de notre pays de montagne. Par exemple, il a choisi un ombrage correspondant mieux à nos besoins cartographiques. En 1865, quatre feuilles au 250 000e sont prêtes et elles seront publiées en 1873. Il a fallu trente-deux ans pour mener ce travail à terme. A titre de reconnaissance, Dufour méritait bien un pic à son nom.
Suisse, vue aérienne |
La Suisse actuelle ne se comprend pas si nous ignorons la géographie et l’histoire. Maintenant, je vous propose cette confrontation entre ces deux approches si complémentaires.
Pour la Suisse actuelle, centre stratégique de l’Europe depuis les temps les plus reculés de son histoire connue, les axes de passage (d’émigrations, de commerce, d’armées, etc.) entre les quatre point cardinaux de l’Europe ont fait qu’elle intéressait toute puissance voulant être européenne ou appartenant à l’Europe.
Pour cet ensemble d’Etats souverains, connus sous le nom d’Helvétie, qui a mis plusieurs siècles pour se constituer en une Confédération, il y a eu des menaces militaires permanentes en raison de cette position centrale et des passages obligés que les cantons possèdent sur ce long arc alpin qui s’étend sur 1 200 Km, de Savonna près de Gênes, jusqu’à Vienne, avec un versant Sud plus abrupt que le versant Nord : cette simple notion de déclivité différente a donné un avantage à celui qui dominait les passages, du moins surtout quand les technologies n’avaient pas connu les progrès du XIXe siècle et ceux développés depuis lors.
Les Alpes sont bornées par trois plaines : à l’Ouest par le Rhône, au Sud par le Pô et à l’Est par le Danube. Au Nord des Alpes, il y a trois plateaux de Genève à Linz : les plateaux suisse, souabe et bavarois. De façon globale, on distingue les Alpes glaronnaises, grisonnes, valaisannes et bernoises.
Pour comprendre l’évolution de l’armée suisse sur la longue durée, il est nécessaire de recourir à la géographie : notre terrain a forgé l’armée et a favorisé des types d’armement ainsi que certaines tactiques plutôt que d’autres. Oublier les contraintes géographiques du territoire qui s’appelle la Suisse, c’est oublier que nous n’avons pas de vastes plaines comme les pays voisins, d’une taille et d’une superficie qui l’obligent à raisonner militairement de façon totalement différente.
Notre relief, nos climats fort variés d’un coin à l’autre du territoire, nos populations reflétant les principales cultures européennes, nos vallées compartimentées, ont favorisé une armée avec une prédominance d’infanterie et nos mœurs où une tradition des armes reste forte -et j’espère que cette affirmation ne sera mise au passé, si nous supprimons la détention d’une arme chez le citoyen soldat. L’actuel développement des milieux urbains et la concentration des populations s’accentuant en zones urbaines ont des conséquences directes en matière de protection et de sécurité des populations. Prendre conscience de cela, c’est mieux percevoir encore pour demain les incidences que les mutations géographiques auront sur notre armée. Les villes s’agrandissent, se rejoignent presque. Le plateau est une vaste zone urbanisée et il est traversé par les axes européens ayant un long passé historique et promis encore à un bel avenir.
L’engagement du fantassin actuel dépend de ces facteurs géographiques. L’analyse du terrain est la première mission du chef d’infanterie : lire la carte et en interpréter les conséquences pour sa mission, reconnaître les lieux quand cela est possible, apprécier les points forts et faibles d’un zone d’engagement sont des automatismes; le couvert favorable au lance-mine, les positons de tir du fusilier, du mitrailleur, d’une arme antichar, les positions de rechange, les passages obligés de l’adversaire ; dans une ville, les carrefours sont spécifiques et la maîtrise de quelques carrefours judicieusement choisis dans une ville permet de la contrôler totalement. Dans une ville, il y a des lieux symboliques qui jouent un rôle médiatique que l’intervenant au moyen de la force doit prendre en compte pour l’engagement.
Considérations générales
Au vu de la carte aérienne de la Suisse, il est facile de remarquer que Schaffhouse, Bâle et Genève forment des saillants et, dans le cadre d’une guerre conventionnelle, ces cantons sont des zones difficiles à défendre.
Pour comprendre ce pays qu’est la Suisse, il faut recourir à l’histoire. Notre histoire s’est développée au cœur de l’Europe et finalement, en son sein, s’est opérée une synthèse originale parfois complexe, aussi complexe qu’un mécanisme d’horlogerie, mais qui, en raison de sa lente maturation, est demeuré un organisme toujours vivant et viable.
La Suisse avec le Pont du Diable, les Schöllenen, est devenu le carrefour des routes européennes : les Gaulois qui ont édifié les premières cités de notre pays en témoignent ; les Romains, quant à eux, ont développé un dense réseau militaire avec des habitats et des places fortes dont les fondements de nos châteaux, je pense à ce château de Colombier, révèlent parfois les traces.
L’Europe est divisée à ses origines historiques en quatre grandes parties : la germanique, l’italique, la gauloise et la danubienne.
Par simplification, on parle des Alpes (en fait ce terme désigne les alpages c’est-à-dire les pâturages au pied des montagnes et non les sommets qui étaient perçus soit comme des entités vivantes et dangereuses, soit comme la demeure des dieux), du Jura et du Plateau (dénomination trompeuse car le Plateau offre plus d’un piège que, par comparaison, vous ne trouverez point dans les vastes plaines françaises actuelles). La chaîne des Alpes unit le cœur de l’Europe à la Méditerranée. Le Jura relie les Alpes au Rhin, pour aller au cœur de l’Allemagne. Le plateau est le prolongement sud du grand plateau bavarois : les militaires l’ont toujours vu sous cet angle. Les Romains ont déjà perçu cette valeur stratégique pour contrôler ce Nord où se trouvait des plus barbares que les barbares des Grecs (le barbare désignait un peuple étranger et on est toujours l’étranger d’un autre, donc un barbare !).
Le plateau a un goulot d’étranglement, en ce point de rencontre entre les Préalpes et le Jura : le Vully entre le lac de Neuchâtel et le lac de Morat. Et le plateau s’arrête sur le canton de Genève, face au belvédère du Mont Vuache qui, sur territoire français, est un véritable poste d’observation et d’artillerie pour toute action offensive venant du sud.
Notre territoire ressemble à grande étoffe plissée avec des compartiments : une terre à compartiments, c’est véritablement ce qui explique que notre pays soit devenu une confédération. Des compartiments de terrain ont les mêmes besoins de protection, de défense qui justifient des alliances militaires à la base, politiques ensuite pour répondre à des nécessités économiques vitales. L’histoire de cette défense a permis la création d’une structure où chacun a voulu préserver son indépendance, dans une logique de jeu d’alliances successives qui ont permis à la Confédération suisse de devenir ce que nous appelons la Suisse : un « faux tout », car en fait c’est « plusieurs touts » qui forment un ensemble sur lequel personne n’aurait parié à l’origine, en raison de ses diversités !
Regardons la Suisse de haut, observons ce massif du Saint-Gothard qui est d’une surface de 520 Km² où nous avons quatre grandes vallées. Les quatre sources de la Reuss et du Tessin, du Rhin et du Rhône sont là voisines. Leurs eaux se séparent et divergent pour descendre à travers l’Europe jusqu’à la Mer du nord et à l’Océan, jusqu’à la Méditerranée et à la mer Noire (avec l’Inn qui alimente le Danube, je le précise). N’est-ce pas fascinant de voir ces liens avec l’Europe partant d’une même terre ?
Notre pays et, en fait, il devrait se dire nos pays, ils sont tellement compartimentés que leur occupation s’est faite lentement, par petits groupes qui ont essaimé et se sont affirmés. Ce compartimentage du terrain a permis que des hommes appartenant à des races différentes et parfois hostiles quand il s’agissait de défendre sa terre nourricière : n’oublions pas que l’autarcie alimentaire était, dans ces temps reculés, la base de la survie. Dans le massif du Gothard, trois langues se rencontrent : l’allemand, le retoromanche et l’italien. Le français quant à lui a remonté la vallée du Rhône mais à la hauteur de Sierre, le bois de Finges, l’allemand ne lui a pas permis de monter plus haut.
Remémorons-nous les liens qui existent entre la géographie et l’histoire et donc de la terre et des hommes qui l’habitent. Ces groupes humains n’étaient pas là pour s’entendre immédiatement. Chacun s’est affirmé ; ils se sont battus. Mais le voisinage de ces compartiments de terrain les a obligés à s’entendre. Chacun avait un point commun : conserver son indépendance mais aussi devoir vivre avec l’autre. Ce qui a fait la Suisse, c’est cette volonté de ne pas se faire prendre dans le vaste ensemble linguistique d’origine : l’indépendance, être maître chez soi caractérisent notre histoire. Pour une défense commune, des langues différentes, des cultures différentes se sont unies généralement pour répondre à une même nécessité et agir avec une même volonté. Les divisions ont été toujours dommageables à la Suisse naissante.
La Suisse s’est ainsi constituée sur plusieurs siècles avec des hauts et des bas, des actes héroïque et d’autres qui le sont moins, mais un passé est fait de multiples expériences, les bonnes comme les mauvaises (et chacun jugera bon et mauvais selon ses critères qui ne seront pas obligatoirement celui de l’autre…).
Remontons très haut dans le temps, quelques millénaires avant Jésus-Christ. L’intérêt des premiers hommes venant en Suisse ne s’est pas porté sur nos montagnes mais sur nos lacs, cela bien avant que les Celtes soient présents : les lacs ont formé les lieux de vie par excellence pour ces premières populations que nous appelons les lacustres. Nos racines les plus anciennes sont autour des lacs qui étaient des réserve alimentaire, des lieux d’échanges entre plusieurs territoires donc des voies de commerce, des facilités d’accès aux forêts, la surface navigable est aussi une voie de communication.
Une mutation des climats, cause d’inondations, a fait abandonner les lacs pour conquérir les hauteurs. Entre les constructions sur pilotis des rives du lac, du néolithique et des maisons en montagne sur pilotis pour être au-dessus de la neige en hiver, il y a des similitudes fascinantes et troublantes. Les premiers lacustres sont les ancêtres des Valaisans.
Avançons dans le temps, quelques siècles avant l’apparition du christianisme. Notre pays allait devenir le choc entre deux cultures, chacune ayant deux spécificités bien marquées : l’Antique, avec Rome et la Grèce et la Nordique, avec les Celtes et les Germains.
La Grèce, pour des raisons commerciales, cherche à monter vers le nord, via Marseille ; le monde nordique cherche à descendre vers le Midi. La Grèce est la conquête, pas toujours pacifique d’ailleurs, des commerçants (ils veulent des marchés) et Rome est la conquête plus belliciste des conquérants (ils veulent dominer des territoires). La Tène, tout près d’ici, cette zone de la Thièle (entre Epargnier et Préfargier) est le point de contact : vous trouvez les mêmes vestiges archéologiques à Marseille que sur les rives du lac de Neuchâtel. L’étain et l’ambre, produits du nord, intéressaient les Grecs; les Celtes sont des gens vivant de l’agriculture et défrichant la forêt pour cela. Les Germains sont les Alémannes, les Burgondes et les Francs qui vivent dans les forêts et sur lesquels je reviendrai rapidement. Retenons que les trois lacs de Neuchâtel, Morat et Bienne ont été un centre essentiel de navigation pour établir des échanges entre les tribus qui se retrouvent en cette zone.
La géographie de l’Helvétie et j’emploie le nom Helvétie car c’est un terme qui recouvre un territoire ayant souvent changé sur la longue durée : le mot « Suisse » est un terme récent. Il faut attendre 1805 pour qu’il désigne un aboutissement, cette confédération de cantons que nous formons actuellement. L’Helvétie est cette longue période qui a précédé et dont aucun des peuples qui occupaient ce territoire n’aurait pu prédire ce pays que nous formons actuellement.
Lac des quatre cantons |
Trois grandes migrations celtiques ont existé depuis leur point de base entre la Marne, la Moselle et le Main : lors de la première migration, les Celtes se portent jusque dans les Iles britanniques et en Irlande. Lors de la deuxième dans les Gaules et jusqu’en Italie (Rome fut prise par surprise). La troisième conduit les Celtes en Grèce et jusqu’en Asie (pensez aux Galates). Il paraît très probable que les Helvètes soient issus de cette troisième migration. Leur concentration est forte entre les trois lacs de Morat, de Neuchâtel et de Bienne. Leur centre sacré est Avenches. Du lac de Bienne au lac de Zurich, ils sont clairsemés. Des tribus préceltiques, les descendants des premiers lacustres ayant occupé notre territoire actuel, occupent les Alpes, le Valais notamment.
Ces Helvètes doivent faire face à la poussée des Germains. Les Tigurins, une des tribus celtes, rejoignent les Teutons, qui sont aussi des Celtes, et les Cimbres qui sont des Germains. C’est du temps des Helvètes que les guerriers deviennent des agriculteurs en temps de paix. Les chefs sont pratiquement de grands propriétaires terriens. Les tribus gauloises ne forment pas un tout cohérent : les dissensions sont nombreuses et leur expansion rapide.
Deux grands opposants ne tardent pas à se confronter : le roi Arioviste avec les Suèves et César avec les Romains. La Gaule devient une proie pour chacun d’eux. Rome se devait de posséder la Gaule car, si Arioviste gagnait, la ville de Rome aurait été menacée de disparition. César ramène les Helvètes, qu’il apprécie pour leurs valeurs guerrières, entre le lac de Constance et Bâle pour défendre la ligne du Rhin contre les Germains.
Les Alpes décrivent un arc de cercle. Cet arc se développe de la Méditerranée occidentale à l’Adriatique : au milieu, vous avez le massif du Gothard. Pour Rome, cet arc ne doit pas être une menace mais une protection. Avant l’intervention de César, cet arc était une menace. Seule sa conquête des Alpes en a fait une protection. Avec la Gaule l’empire a eu pour frontière la ligne du Rhin. Ce long fleuve, après le départ des Celtes, marquait une limite pour les Germains qui constituaient une menace pour Rome. Deux raisons à cela : leur forte démographie et leur valeur guerrière éprouvée.
De la mer du Nord jusqu’au coude du Rhin, la défense du Rhin était facile pour les Romains car il y avait derrière au sud du Rhin toute l’étendue d’une Gaule conquise et romanisée. Mais de ce coude au lac de Constance, la défense était plus difficile : les Romains avaient, devant eux, la Forêt Noire et, derrière, immédiatement, encore de la forêt et les Alpes. Or les maîtres de la forêt étaient les Germains et les maîtres des Alpes, les Rhètes. Qui sont les Rhètes pour les Romains ? Les tribus qui occupent les Alpes de la vallée du Rhône à la vallée de l’Adige. La plaine du Pô était un lieu favori d’excursions pour leurs pillages contre les villes ou les grandes propriétés romaines. Horace, le grand poète latin, les traitait d’hommes terrifiants. César, en plaçant les Helvètes sur le plateau suisse cherche à faire en sorte que la jonction entre les Germains et les Rhètes ne puissent pas se faire : cela est de la géopolitique.
En 43 avant Jésus-Christ, Tibère, jeune légat de vingt-six ans, dirige l’armée du Rhin contre les Rhètes. Son frère Drusus, âgé de vingt-deux ans (en paraphrasant une vers célèbre, il est possible de dire que la valeur guerrière n’attend pas le nombre des années), franchit le Brenner avec la seconde armée romaine dans le même but. La rencontre décisive eut lieu dans le Vorarlberg et il y eut une bataille navale sur le lac de Constance. Les Rhètes avec le soutien d’une tribu celte, les Vindélices, livrèrent une lutte acharnée. Dans la région de Bregenz, selon l’historien Florus, les Vindélices jettent leurs enfants sur les pointes des glaives romains, afin que leurs descendants ne deviennent pas des esclaves !
Cette victoire romaine est marquée de façon tangible par la création d’une colonie militaire : Augusta rauracum, Augst, au confluent de l’Ergold et du Rhin. C’est à partir de cette date que ce territoire rhéno-rhodanien forme un ensemble indépendant des grands ensembles voisins.
Ce territoire deviendra la Suisse et il est le carrefour de l’empire occidental romain, avec six grandes artères fluviales de l’Occident européen : Rhône, Rhin, Danube, Inn, Adige et Pô.
Val de Münster, lien avec l'Adige, l'Autriche, Ofenpass |
1. secteur rhénan : avec Augst et Windisch ; défense de Rome contre les Germains ;
2. la Rhétique : le quartier général en est Coire, (Chur en allemand et ce nom est plus proche du nom latin : Curia). C’est un terrain clef pour Rome : au nord avec le Rhin, le Danube, avec à l’est, l’Inn et l’Adige, au sud avec les cols : Splügen, Julier, Albula et Brenner, cols décisifs pour se rendre en Italie, vers Rome ;
3. le Pennin : c’est le Valais qui communique avec l’Italie par le Grand-Saint-Bernard et le Simplon ;
Grand Saint Bernard, col avec le lac de Toules |
5. Aventicum qui forme le centre du pays : le territoire des Helvètes avec le Plateau et la bordure jurassienne.
Les architectes de la Suisse sont les Romains : développements des villes, des axes routiers sont leurs oeuvres. Aventicum sera l’illustration la plus remarquable du degré de civilisation de cette époque : les Celtes, contrairement à une idée répandue qui ferait croire que ce sont des brutes se soûlant à la bière, ont développé des arts que les Romains ont adopté par après.
Des Alémanes, la tribu principale est celle des Semnons. Ils déploient une tactique de combat alliant mobilité et surprise en combinant cavalerie et infanterie. Le cavalier prenait en croupe un fantassin et tous deux disposaient d’armes légères : le fantassin sautait à terre avec la protection du cavalier et la bataille s’engageait. En cas de retraite nécessaire, ils s’évanouissaient dans la forêt et se retranchaient dans la montagne. A partir de l’an 259-260 ap. J.-C., ils détruisirent Augst et en 354, Aventicum est ravagée. Le nom latin sera remplacé par un nom alémanique : Avenches devient Wibili (probablement le nom du chef alémane qui a conquis la ville) et ensuite Wiflisbourg. Les Alémanes ont résisté à la culture romaine et se sont christianisés très lentement. Entre le Rhin et les Alpes, ils se sont enracinés sur un sol peu fertile. Défricheurs, ils ont prospéré. Paysans libres et montagnards, ils sont attachés au sol, aux traditions. C’est pourquoi nous devons parler de suisse alémanique et non de suisse allemande.
Les Burgondes proviennent de la Suède méridionale, via le Danemark : la Suisse a vraiment des origines européennes ! Ils quittent l’île de Bornholm, appelée aussi Burgundarholm pour se rendre dans le Brandebourg et la Silésie. Des Germains, les Gépides, les massacrent et ils se dirigent vers le Danube dans un premier temps où les Goths en massacrent autant, les survivants se dirigent vers le Rhin. Dans la région de Mayence et de Worms, ils sont sur la rive gauche du Rhin et Rome les accepte dans la mesure où ils s’opposent aux Germains. Mais en 415, ils s’emparent de la Belgique romaine ; aussitôt les Romains, avec Aetius, les châtient en 435 et 436 en leur envoyant les Huns. Vingt mille personnes y laissèrent la vie dont le roi Gundahar, le fameux Gunther de la chanson des Nibelungen.
Aetius ramène ce peuple plus en arrière, dans une région s’appelant Sapaudia (ce nom signifiant peut-être le pays des sapins). Or le centre de la Sapaudia est Genève. Sapaudia existe encore dans le nom de la Savoie ! Ils s’opposèrent aux Alémanes et se romanisèrent vite. Ces Nordiques, les Burgondes ont créé l’actuelle Bourgogne en France.
Les Francs viennent des Pays-Bas actuels. Ils ont le culte d’un ancêtre mythique dont ils seraient tous les descendants. Ils revendiquaient une grande liberté d’où leur nom de franc, signifiant leur affranchissement et pas obligatoirement un trait de caractère. Les Francs, dont les représentants les plus connus sont Clovis et Charlemagne, ont pris tout notre territoire et y compris la Rétie (enlevée aux Goths en 575). Les Francs ont uni les Burgondes et les Alémanes dans ce que nous appelons la Suisse allemande actuellement : cela fut une étape décisive de notre création et les Francs ont réussi ce que les Romains avaient réalisé quelques siècles auparavant.
En alliant histoire et géographie, nous abordons toutes les origines de la Suisse qui possède véritablement un passé pluriel dont la riche diversité est fascinante et nous ne pouvons négliger notre actuelle synthèse européenne qui nous est léguée par héritage.
Actuellement :
Pour finir, revenons à l’actualité et c’est à travers quelques images que je vous la rappelle.
Villes
Le plateau de Genève à Bâle, via Zürich se densifie et devient une zone urbaine. Cette modification du paysage, de moins en moins rural et de plus en plus urbain ou semi urbain, a des conséquences directes en matière de défense des populations. Une réflexion réaliste quant à la défense doit les prendre en compte. Ce terrain mixte, fait de forêts et de zones découvertes sur de courtes distances, ce véritable terrain d’infanterie existe encore entre Plateau et Jura comme entre Plateau et Alpes mais il se voit de plus en plus réduit : cela explique que les fantassins doivent encore garder un savoir-faire dans ces zones. Par contre, la concentration des populations en zone urbaine et les menaces pesant sur ces populations sont devenues plus risquées et ont une probabilité plus forte qui fait que le combat urbain doit aussi faire partie de la formation du fantassin.
La Suisse dispose de nombreux objectifs qui peuvent intéresser un adversaire menant aussi bien un combat symétrique, ce qui est nettement moins probable, qu’un combat asymétrique, ce qui est le plus probable. Vous avez les aéroports, les nœuds autoroutiers, les nœuds ferroviaires et tous les ouvrages d’art que la configuration de notre pays, ce carrefour européen, impose. Quelques vues aériennes illustrent suffisamment mon propos.
Aéroport de Genève |
Nœud autoroutier Brunau sud |
Olten, le nœud ferroviaire |
Olten, ouvrages d'art |
Lac Léman, de Genève à Saint-Maurice |
Genève, siège de l'ONU, cible symbolique possible |
Genève , aéroport, potentielle cible terroriste |
Saint-Maurice, axe routier, ferroviaire, énergétique et stratégique |
Conclusions :
■ L’Helvétie, devenue plus tard la Suisse :
◆ S’est construite dans la longue durée, trois mille ans ;
◆ Possède des origines européennes incontestables qui se sont unies harmonieusement, au final en une Confédération et même si cela n’a pas été sans conflits jusqu’au XIXe siècle ;
◆ A subi des contraintes géographiques qui ont pesé sur la création de ses frontières actuelles, il a fallu attendre la fin du XIXe siècle encore pour avoir les frontières que nous avons aujourd’hui ;
◆ Vit de nos jours une urbanisation croissante du plateau qui exige une forte proportion d’infanterie, c’est la constante que l’histoire nous révèle; son adaptation aux réalités du présent pour préserver son avenir, le changement a été et reste aussi une constante ; seuls les moyens techniques suscitent des mutations vraiment révolutionnaires d’emploi;
◆ Sait, par son histoire encore, que le changement doit rester fidèle à une tradition et à des besoins.
Il est temps d’achever et je n’ai pas épuisé ce sujet, mais j’espère, avec ces quelques propos, avoir éveillé vos curiosités à rechercher, plus loin dans le passé et aussi dans le présent, tout le poids de facteurs géographiques qui ont fait que vous êtes là, présents pour défendre un pays complexe qui a pour nom la Suisse.
Antoine Schülé