Humour, littérature et gastronomie
par Antoine Schülé
« Je me suis emparé d’une heureuse matière :
je chante l’Homme à table, et dirai la manière
d’embellir un repas ; je dirai le secret
d’augmenter les plaisirs d’un aimable banquet,
d’y fixer l’amitié, de s’y plaire sans cesse…
et d’y déraisonner dans une douce ivresse. »1
Berchoux
En hommage, le 8 mars 2022,
à André Paul Perret (1919-2018) et Jacques Bonnaud (1929-2022)
André Paul Perret (Plan fixe) |
Jacques Bonnaud (Naste, juillet 2021) |
Introduction
De l’Antiquité à nos jours, les gens de plume ont décrit, soit un art de consommer, de la boisson à de la nourriture, soit les façons d’apprêter ce qu’offre la nature pour la santé du corps et les satisfactions du goût. Si Dieu a cru bon de donner à l’homme des papilles gustatives et une grande diversité d’aliments, nous aurions tort de mépriser ses dons. Brillat-Savarin argumente cette prise de position d’une façon irrécusable : « Le Créateur, en obligeant l’homme à manger pour vivre, l’y invite par l’appétit et l’en récompense par le plaisir. »
Il n’y a un abus que dans les excès de table qui nuisent aux joies de la conversation ou aux sensations d’un palais où la langue doit gouverner avec sagesse, aussi bien les propos que la dégustation.
Un repas, même le plus simple, réjouit les participants quand il est harmonie dans la succession des saveurs. Lors d’une randonnée, quel bonheur de tailler un saucisson ou un fromage, en débouchant un flacon de vin, après s’être désaltéré d’une bonne eau, de source de préférence ! Quel délice qu’un repas somptueux dans un décor raffiné où la beauté de la table s’allie à la qualité des mets, servis avec cette gradation qui reste en soi un spectacle !
La gastronomie est un sujet littéraire où l’abondance d’encre est à l’esprit, ce que le suc gastrique est à la digestion.
À la suite d’une anthologie que j’ai établie en 1993, pour accompagner les caricatures d’André Paul Perret, publiées dans « Humour gourmand », livre traduit en allemand et en anglais2, j’ai conservé ce goût pour cette thématique littéraire. Aussi, l’espace d’un instant, je souhaite vous entraîner sur d’amusants propos gastronomiques, en ce pays du Gard rhodanien où le partage d’un bon repas est une tradition toujours vivante. Jean Racine3, quittant Uzès pour Paris, a rédigé un distique qui soulignait déjà cette appétence des Uzétiens pour la gastronomie :
Adieu, ville d’Uzès ! ville de bonne chère
Où vivaient vingt traiteurs, où mourrait un libraire.
Partager un repas simplement pour satisfaire la faim ne suffit pas à l’homme. L’acte de manger ensemble est un acte d’amour (au sens noble du terme) ou d’amitié. La nourriture préparée avec dévouement ne contente pas seulement un tube digestif : cette marque d’affection, qui a exigé les compétences du cœur et d’un savoir-faire, nourrit aussi l’esprit. Les ingrédients sont multiples : la beauté d’une table, la qualité d’une conversation, le temps d’une écoute respectueuse de l’autre, aussi bien dans la différence que la communion de pensée, un vin qui titille la joie de bons mots, des mets qui charment l’œil comme le palais, la douce sensation d’être un instant hors du temps. Oui, il y a de ces temps de partage qui ne devraient jamais finir. Notez que les Évangiles mettent en valeur toute la symbolique du repas : si une bonne table préfigure modestement la table du Seigneur, il y a de quoi se réjouir de la partager avec le Seigneur, dans une joie parfaite.
Il est évident qu’en tant qu’invité, il s’agit de répondre aux attentions de son hôte. À ceci se mesure le degré de courtoisie et d’affection vraie.
Ainsi vous comprenez la raison pour laquelle les poètes ou les romanciers se sont emparés de ce sujet. Les écrivains - dont les écrits ne sont pourtant pas vains - ont souvent eu le ventre creux. À défaut de pouvoir nourrir leur corps4, ils ont nourri de bons mots qui nous offrent d’agréables moments, ne serait-ce qu'à se les remémorer. La difficulté est d’établir une sélection : il y en a tellement ! Quelques noms méritent votre attention : Joseph Berchoux, Raoul Ponchon, Charles Monselet, Georges Fourest. En tant que passionné de questions militaires, à cette liste bien modeste, je ne saurai omettre Vauban, qui fut non seulement un homme de guerre, mais encore un gastronome éclairé.
Ces premiers repas !
Cet exposé commence par une question qui s’adresse à chacun d’entre vous : avez-vous le souvenir de votre premier repas qui a conditionné tous ceux qui ont suivi ?
Dans le lexique de Gastronomie joviale de Robert-Robert et de Gaston Derys, l’explication se trouve sous le mot sein dont ils donnent la définition suivante : « Ne figure point seulement ici à titre d’élément décoratif d’un bon dîner — chacun sait que le décolleté d’une jolie voisine ajoute aux joies de la dégustation — mais aussi au point de vue strictement gastronomique. C’est au sein, tout d’abord, que le futur gastronome prend goût au bien manger. Il pourra, plus tard tout au long de sa vie, accumuler les expériences : boira-t-il, mangera-t-il jamais de si grand appétit qu’aux jours où goulûment il écrasait sa bouche contre la rose épanouie du sein maternel ? »
Et je ne résiste pas à l’ajout de cet éloge de cet auteur inconnu de nos jours Auguste-Hilarion Kératry, publié en 1817, dans « Introductions morales et physiologiques ». Je suis certain que votre inconscient réveillera ce doux souvenir du sein maternel : « Pourquoi le sein arrondi, pourquoi le bouton brille sur son éminence, pourquoi son double hémisphère a été placé près de la tête ? Un convive est attendu et la table du banquet a été dressée dans le voisinage de deux bras dont il veut la douce étreinte et d’une bouche qui doit le couvrir de baisers. »
Banquets philosophiques
De l’Antiquité à nos jours, le mot « banquet » a été le titre de nombreux ouvrages, demeurés célèbres pour la plupart. Philosophies et religions lui ont donné une valeur et une saveur bien particulières. Pour mémoire, souvenez-vous :
Le Banquet de Xénophon (426 - 354 av. J.-C.) où le philosophe et historien met en scène Socrate, dont il a été un jeune disciple. N’oublions pas que Xénophon ne doit pas être réduit à un homme d’écriture, derrière un bureau : c’est un homme d’action, sachant rédiger des éloges, aussi bien pour lui-même que pour les personnalités qu’il admire ou dont il souhaite le soutien. Sa vie ne manque pas d’originalité : soldat, agriculteur, écrivain, politicien, chasseur, exilé, éducateur… De la vie militaire, il adopte un ascétisme exigeant, il prône le goût de l’effort et cultive l’art de la maîtrise de soi en toute circonstance.
Le Banquet de Platon (427 - 347 av. J.-C.) est, bien entendu, l’ouvrage le plus connu. Il traite d’un sujet grave : l’amour. Une nouvelle conception de l’amour se dessine dans un dialogue, ayant lieu en la demeure d’Agathon. Une distinction est établie entre l’amour vulgaire qui concerne le corps et l’amour céleste qui exige la beauté morale. Aristophane parle même de l’amour entre personnes du même sexe (ais il ne traite pas de la question du genre, on ne saurait être parfait!). L’amour apporte la félicité aux hommes. Platon fait dire à Socrate qu’amour n’est pas bonté et beauté, mais seulement désir de bonté et désir de beauté.
Le Banquet des Lapithes de Lucien Samosate (125-180 apr. J.-C.) offre un dialogue satirique. Une dispute surgit entre les Lapithes et les Centaures suite à une beuverie et une orgie. Ils sont amenés à pratiquer les vices les plus bas comme les plus vulgaires. La morale est intéressante : les philosophes sont incapables de suivre eux-mêmes les règles qu’ils enseignaient.
Le Banquet de Méthode, évêque martyrisé en 311 sous Maximin Darius, loue les dix vierges sages. Son texte est conçu sur le modèle du Banquet de Platon.
Le Banquet de Dante, écrit entre 1304 et 1307, communique son expérience d’une vie intérieure vécue qui est une invitation à aimer la sagesse et à maintenir en soi une intégrité morale. La sagesse, à considérer comme une soif de l’âme, se conquiert par la connaissance de la vérité. Le désir de sagesse se reconnaît dans le besoin de s’instruire qui devrait être une impulsion naturelle à l’homme. La finalité est de demeurer en capacité à répondre aux exigences du réel.
Giordano Bruno (1548-1600) a rédigé un dialogue métaphysique, non dépourvu d’un rire satirique, sous le titre Le banquet des cendres (La Cena de le ceneri). Pour hérésie et par incompréhension de ses propos, il fut brûlé le lendemain du mercredi des Cendres. Il manie volontiers le burlesque dans ses conversations. Il se veut être un philosophe avant que d’être un homme de foi.
Le banquet de la vie d’Adolphe Dygasinski, publié en 1901, décrit la vie de la forêt et porte des considérations sur la lutte pour la vie.
Dictons populaires
Revenons à la sagesse populaire qui s’exprime si bien dans les dictons d’autrefois et que l’on a bien tort de ne plus écouter. Une parole de sagesse est déjà sage dans sa formulation : sa concision, sa pertinence, sa qualité d’observation et sa morale.
Né en Savoie, je ne résiste pas à citer ses proverbes locaux qui se retrouvent d’ailleurs dans d’autres régions de France.
Pour se contenter de son sort, l’appétit même modestement satisfait rappelle ce dicton : « Je n’ai pas mangé aussi bien que roi, mais je suis aussi rassasié que lui. »
Un gastronome qui se respecte est d’accord avec ce principe religieux : « Il faut servir Dieu avant la panse. ». Certains bigots, qui ne traduisent pas en actes les paroles du Christ, et il y a eu et il y a toujours des Tartuffe, sont esquissés en quelques traits expressifs : « Mange Dieu, chie diable. ». Parfois, c'est ô combien vrai, malheureusement !
L'effet d’un vin généreux pour l’esprit est de grande notoriété : « Le bon vin fait parler latin. ». Personne ne contestera que : « Le pain et le vin sont le commencement du festin. »
En notre ère de matérialisme outrancier, ce constat est regrettable : « C’est la panse qui mène la danse. »
Rappelons-nous que : « La faim est un bon cuisinier. ». Comment reconnaître un gourmet ? « C’est au milieu de la tomme et à l’entame du pain qu’on reconnaît le gourmand. » En effet, il consomme le milieu du fromage, le plus savoureux, pour le prendre sur la croûte du pain , le plus goûteux.
En Provence, d’un ivrogne, il est dit : « Il voyait des poules à deux têtes » ou encore : « Il va tout seul à l’abreuvoir. » ; « En fait d’eau, il aime le jus de sarment. ». D’un jeune trop amateur de vin, la sagesse populaire affirme que :
« Enfant nourri de vin,
fait rarement bonne fin. »
Les disputes verbales de gens alcoolisés conduisent à des propos outranciers et chacun devrait conclure que : « Injure de vin, aisément s’oublie. ». Car n’oublions pas que :
« Au jeu et au vin,
l’homme devient coquin. »
Et je terminerai par une sentence que j’ai souvent entendue en vallée de Cèze et dont je reconnais toute la pertinence : « Il faut manger une mine de sel avec les gens avant de dire qu’on les connaît. » ou « Tant qu’on n’a pas partagé la soupe ensemble, on ne se connaît pas. »
Les mots pour le dire
Nos ancêtres les Gaulois ont marié avec bonheur deux mots latins palatium et palatum : le premier désigne le palais de l’empereur et le deuxième le goût et la partie supérieure de la bouche. Parlons un peu plus de ce palais à double sens, qui d’impérial est devenu le bien de chacun d’entre nous. Le palatium est le nom d’une des sept collines de Rome, le Mont Palatin, où l’empereur Auguste, qui trône au théâtre romain d’Orange, avait élevé sa demeure. Par la suite, dans les langues romanes, ce mot a servi pour désigner les demeures royales. Pour nos Gaulois, le mot palatum est confondu avec palatium et le goût se développe ainsi dans le palais. Il serait donc presque un pléonasme que de dire le palais du goût.
La langue française foisonne d’expressions imagées pour traiter de la gastronomie et des diverses façons de manger. Il n’est pas possible dans le cadre de cet exposé d’en donner une liste exhaustive. Toutefois, je souhaite attirer votre attention sur quelques-unes qui amusent en raison de leurs traits moqueurs ou tellement véridiques. Le langage populaire cultive un franc parler qui choque les hypocrites, et Dieu sait combien il y en a, même parmi ses brebis, mais, comme le dit l’Évangile, Dieu saura séparer les brebis des boucs. Voici une cueillette de mots et excusez-moi de ne pas vous offrir ceux qui, peut-être, vous tarauderaient l’esprit en m’écoutant !
Un hôte se faisant attendre pour débuter un repas convivial, ce qui est un crime contre la cuisson potentielle d’un mets qui ne saurait attendre sa venue, sera nommé « un tard à la soupe ». Le convive qui ne résiste pas à se servir de la viande qui lui cligne de l’œil dans un plat causera plaisir à la cuisinière qui le regarde « pêcher au plat ». L’expression « faire bonne chère » s’adresse à soi comme à ses hôtes : bien manger et bien recevoir ses invités.
Tout un chacun connaît l’expression « entre la poire et le fromage ». Son origine remonte au XIIIe siècle. L’ordre des plats était de servir la poire avant le fromage : c'était la marque de bon goût pour clore le repas. Cette expression est demeurée pour désigner cet instant particulier où les langues se délient plus facilement : les vins aidant une heureuse digestion, les esprits s'ouvrent, parfois les sujets de conversation sont traités sans hypocrisie, ce qui n’est pas donné à tous !
Il arrive qu’un repas soit servi sans que le vin accompagne les mets et il est appelé un « dîner de brebis ».
Lorsque le sel manque aux plats, il y a une certaine dureté dans le propos : le souper de sorciers ou le banquet des diables. Le sel et le pain partagés étaient un signe fraternité. Les Hébreux sacrifiaient leurs victimes en les enduisant de sel. Le sel symbolise l’incorruptibilité. Pour chasser les mauvais esprits, des sachets de sel étaient disposés dans les coins de la pièce ou du domicile à protéger.
Au XIXes., les invités aimaient « connaître le journal », non pour lire les nouvelles du jour, mais tout simplement pour connaître le menu qui sera servi, afin de ménager son appétit pour tous les plats qui seront présentés.
« Faire la trempette » à table n’a rien de déshonnête et se dit de celui qui déjeune d’un morceau de pain trempé dans du vin. Il n’était pas rare au Moyen Âge de souper en trempant le pain dans le vin : la soupe de perroquet.
Quant au fromage, bien mûr et qui s’étale généreusement sur un plateau en diffusant ses arômes, il est dit qu’il « marche tout seul », quand « il ne court pas ». J’ai même entendu dire qu’« il chasse ».
Le morceau de sucre qui fond au fond de la tasse de café est « un chien noyé ». Lorsque le sucre est juste trempé dans un alcool pour être mis à fondre délicatement dans la bouche : c’est un « canard ».
En cette période électorale où bien des mensonges sortent des bouches de certains candidats, il vous sera agréable de savoir qu’il existe sur nos tables « une langue qui n’a jamais menti » et ne cherchez pas autour de la table pour identifier le phénomène méritant votre admiration, mais regardez dans le fumant récipient une langue soit de bœuf, soit de veau, soit encore de mouton. Oui, un animal, dont la langue a été tournée sept fois dans son jus, ne trompe jamais.
Le mot manger se décline de mille et une façons : becqueter, avaler, dévorer, grignoter, se nourrir, et aussi d’une façon moins agréable à mes oreilles : bouffer, croûter et boulotter. Vous avez en plus : faire un gueuleton, casser la croûte, torcher un plat, se mettre quelque chose dans le cornet. Faire bonne chère se dit aussi : faire Gaudeamus. Il existe aussi « se donner quelque chose à travers le corps », « s’en mettre derrière la cravate » et le nettement moins délicat : « s’en foutre plein la lampe ».
À propos d'un petit mangeur, une formule bien jolie le décrit : il fait comme les grives, il mange d’air. « Un habile à la soupe » est celui qui a le souci de bien manger. « Manger en loup » s’adresse à la personne qui mange seule. Je ne résiste pas à un propos de Rabelais : Dieu a fait les planètes, nous faisons les plats nets. Je vous y ajoute un de mon cru : L’amour est plat tonique par excellence.
À celui qui cause trop pendant un repas, le sage dit de lui : Brebis (ou chèvre) qui bêle perd sa goulée. Manger rapidement a produit différents traits : manger comme un lance-pierre, manger sur le pouce, aller vite en besogne. Lorsque l’appétit est satisfait : les premiers morceaux nuisent aux derniers; en avoir sa claque; le ventre lui rit.
Le glouton, qui a « un joli coup de fourchette », a aussi ses verbes : bâfrer, s’empiffrer, se gaver, se goinfrer. Le goinfre a des synonymes : glouton, vorace, grand-gueule, bouffetripe. Des formes imagées l’illustrent : faire sa fosse avec ses dents; il a plus grands yeux que grande panse; avoir un estomac d’autruche; manger comme un ogre; il en mangerait autant qu’un évêque peut en bénir.
Évidemment, nous sommes bien loin du gourmand qui se doit d’être un bon vivant. Celui-ci sera aussi appelé un galaffre5, un tire-lardon ou un friand (du verbe latin pour frire ; la forme friandise est connue). Celui que mange seul en gourmand « mange son pain en son sac ».
Il n’y a pas de confusion avec l’orgie, la ripaille, la bombance, la noce ou le gueuleton. Des mets en abondance : une table d’abbé. Le repas pour couronner un bon succès : faire tuer le veau gras. En ce cas-là, chacun se réjouit de « jouer de l’épée à deux mains », c’est-à-dire, manger d’une main et boire de l’autre. Tout convive se doit d’être un bon frère, un bon compagnon de table, en « payant bien son écot », car se montrant divertissant pour les autres.
Lors de fêtes de village, l’agape était suivie de danses et plus si entente : après la panse, vient la danse. Après avoir chanté Bacchus, quelques-uns souhaitaient honorer Vénus.
À propos du boire, le cracher blanc comme dit Rabelais, vous avez : se désaltérer, pomper, écluser, siffler, picoler, siroter, souffler et lamper.
Il est dit d’un homme fort altéré : Il a des grenouilles dans le ventre. Avoir soif : avoir la pépie. Mourir de soif : « faire mourir de la mort Roland ». Abattre la rosée : s’éclaircir la vue en buvant. Se rincer le gosier ou le cornet. Boire un canon. S’arroser la dalle.
« Hausser le cul », non pas péter plus haut que son cul, c’est hausser le cul du verre pour le soulager de son contenu. Nous disons aussi : hausser le coude, le godet. Le coup de l’étrier est la petite goutte qui clôt un repas.
Boire en suisse, c’est boire seul. Deux explications : la militaire, qui en est à l’origine, le soldat suisse, au service de la France, parlant l’allemand ne comprenait pas le français, il buvait seul dans l’auberge où personne ne le comprenait ; la civile, se dit d’un concierge qui, solitaire dans sa loge, boit pour passer le temps.
Pour un verre qui est trop petit : ce verre n’est pas catholique. Pour quelqu’un qui boit à tout moment : Il est comme les canes, toujours le bec dans l’eau. Son contraire animalier : sobre comme un chameau.
Une façon courtoise de demander un second verre ou une seconde bouteille : Il convient de ne pas s’en aller sur une jambe. Faire fondre une chandelle, c’est boire une bouteille de vin.
« Trousser un verre » se dit quand il est bu très vite. Se raboter le sifflet convient pour la consommation d’une eau-de-vie ou d’un alcool fort, car il convient d’« étrangler la douleur ». Fesser le champagne ou sabler le champagne, on dit aussi sabler un verre de vin. Pourquoi ce terme provenant de la métallurgie « sabler » ? Le fondeur opère un mouvement vif et rapide pour verser le métal en fusion dans un moule : c'est "le jeter en sable". Laisser fondre les bulles de champagne dans le palais est un travail plus agréable.
Conversations
En lisant les « Mélanges » de Paul Valéry6, nous découvrons un éloge de cet instant hors du temps, donc quasi divin, que procurent des conversations avec des hôtes ayant de l’esprit à partager autour d’une bonne table : « […] un repas excellent, tant animé de mots et d’idées, nous fait semblables à des dieux (et peut-être supérieurs à eux). »
Oui, les conversations lors d’un repas donnent l’occasion d’apprécier les raisonnements des convives et, parfois, les plaisirs d’un échange vivant où chaque interlocuteur apporte sa contribution. Certains propos sortent parfois complètement du réel, à l’aide de syllogismes qui prêtent à sourire. Le syllogisme est un argument en trois propositions : la majeure, la mineure et la conclusive qui est déduite de la majeure à l’aide de la mineure. L’exemple donné par Aristote sera sans doute plus éclairant :
Les hommes sont mortels. (majeure)
Or, Socrate est un homme : (mineure)
donc, Socrate est mortel. (conclusion)
Toutefois, cette démonstration n’a rien de scientifique quand elle contredit la logique qui ne peut ignorer la réflexion. Eugène Ionesco7 le souligne ainsi :
Tous les chats sont mortels.
Or, Socrate est mortel :
donc, Socrate est un chat.
Il poursuit d’ailleurs :
— Et il a quatre pattes. C’est vrai, j’ai un chat qui s’appelle Socrate.
Buvons la coupe jusqu’à la lie : il ne reste qu’à espérer qu’il ne soit pas mort empoisonné ! Le chat ou lui ?
Un autre exemple à couleur gastronomique nous est donné et vous pourrez l’utiliser lors du service du fromage. Au préalable, un Suisse souhaite que le Gruyère ne soit pas confondu avec l’Emmental. Le premier de Fribourg n'a pas de trous et le second de Berne en a à profusion. Le gruyère français comporte quelques trous, des bulles de fermentation : il faudrait lui trouver un autre nom et ne prenez pas cette réflexion comme une cause de guerre franco-suisse. Écoutez ce syllogisme :
Plus il y a d’Emmental, plus il y a de trous.
Plus il y a de trous, moins il y a d’Emmental.
Donc, plus il y a d’Emmental, moins il y a d’Emmental.
Comme nous parlons fromage, je ne résiste pas à une comparaison de Brillat-Savarin qui a donné son nom à un fromage à ne jamais consommer pasteurisé. En un vigoureux clin d’œil, Brillat-Savarin s’intéresse à la beauté conclusive d’un repas en établissant une comparaison audacieuse : « Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil. »
Aux amis de l’ordre de la boisson, Montaigne fournit un autre exemple :
Le jambon fait boire.
Or le boire désaltère.
Donc le jambon désaltère.
Concluons cette discussion de philosophes, avec une version morale qui a cours en Bavière :
Si tu bois du vin, tu dormiras bien.
Si tu dors, tu ne pécheras pas.
Si tu ne pèches pas, tu seras sauvé.
Donc boire du vin, c’est le salut.
Autour de la table, de graves sujets peuvent être traités. Jules Sandeau a dû suer sang et eau pour oser endosser ce propos sur le mariage : « Le mariage est un dîner qui commence par le dessert. » Ce propos suscita une réflexion de mon ami Gustave qui a de nouveau mis les pieds dans le plat et je vous en laisse juge : « Il reste à espérer qu’il n’a pas manqué la mise en bouche ! »
Un grand expérimentateur du mariage, j’ai nommé Sacha Guitry, se montre parfois bien cruel : « Le mariage est comme le restaurant : à peine est-on servi qu’on regarde ce qu’il y a dans l’assiette du voisin. »
Goncourt
Une Académie littéraire, fondée par les frères Goncourt8, a rendu un hommage aux vertus de mots partagés autour de mets. Un cénacle d’amis, des écrivains cultivant une liberté de pensée comme d’écriture, se réunissait à l’origine chez Champeau, place de la Bourse à Paris, et ensuite au Café de Paris, avenue de l’Opéra. Ce cercle littéraire reçut rapidement des surnoms éloquents, où l’envie se mêle à l’humour : « L’Académie de la nappe » ou « l’Académiette ». Marcel Aymé9 ne montra guère plus de tendresse à l’égard de ce prix de littérature :
« C’est sans doute parce qu’ils sont décernés dans des restaurants que la plupart des prix littéraires ont des relents de cuisine. »
De quelques pointes
Alphonse Allais10, rédacteur du Chat-Noir11, se disait membre des hydropathes, c’est-à-dire de ceux à qui l’eau fait mal. Il revendique une péremptoire affirmation d’un Philippe Ségur l’Aîné12, à couleur biblique pour justifier ce choix :
Tous les méchants sont buveurs d’eau
C’est bien prouvé par le déluge.
En un pays qui avait voulu élever un culte à la déesse Raison, il se rit par l’absurde de la raison. En témoigne sa reconnaissance à Dieu qu’il formule ainsi : « Dieu a agi sainement en plaçant la naissance avant la mort ; sans cela, que saurait-on de la vie ? »
Il réserve quelques sentences de table qui méritent d’être dites et entendues avec toute la gravité sénatoriale qui convient : « Les pommes de terre cuites sont plus faciles à digérer que les pommes en terre cuite. » ou encore en fin de repas : « Le café est un breuvage qui fait dormir quand on n’en prend pas. »
Les restaurateurs, ayant déçu leurs hôtes, sont victimes de graffitis expressifs. J’espère que le service d’une bonne bouillabaisse ne vous donnera jamais l’occasion de lire celui-ci : « Ils racontent que c’est de la soupe de poisson, mais le cuistot n’a fait que changer l’eau de l’aquarium. »
Victor Hugo voyageait souvent. À Laon, il a logé à « L’Auberge de la Hure ». Utilisant le mur de sa chambre comme un « Livre d’or », il a osé écrire :
Hôtelier chez qui se fricasse
L’ordure avec la saleté,
Gargotier chez qui l’on ramasse
Soupe maigre et vaisselle grasse
Et tous les poux de la cité,
Ton auberge, comme ta face
Est « hure » pour la bonne grâce
Et groin pour la propreté.
Pierre Daninos, dans « Les carnets du major Thompson », distingue ce qui différencie les Anglais des Français en matière de gastronomie : « […] les Anglais ont appris au monde la façon de se tenir correctement à table. Mais ce sont les Français qui mangent. »
Victor Hugo a décrit « La fête chez Thérèse », une duchesse qui savait recevoir dans ses jardins par un jour d’avril, met dans la bouche d’un bouffon, ces paroles qui méritent votre attention : «
[Il ] criait par instants : “Seigneur, l’homme est divin.
Dieu n’avait fait que l’eau, mais l’homme a fait le vin !
Charles Baudelaire13, dans « Les Fleurs du mal », avec ses poèmes qui décrivent successivement comment l’absence de Dieu conduit à vivre l’Enfer sur terre, déclare dans « Le vin des chiffonniers » :
Pour noyer la rancœur et bercer l’indolence
De tous ces vieux maudits qui meurent en silence,
Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil ;
L’Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil !
Évidemment, savourons avec lui « L’âme du vin » :
Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles :
Homme, vers toi je pousse, ô, cher déshérité
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !
‘Je sais combien il faut, sur la colline en flamme
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme ;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,
Car j’éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.
“Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifies et tu seras content ;
“J’allumerai les yeux de ta femme ravie ;
À ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.
« En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Gain précieux jeté par l’éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! »
Romains
Ils honoraient de nombreux dieux. Après une victoire guerrière, le repas, quasi religieux, était pris sur de lits face à une table basse, derrière laquelle une statue du dieu était déposée sur un coussin. Des libations, avec le meilleur vin, se succédaient allègrement.
Maintenant il faut boire, maintenant il faut d’un pied libéré,
frapper la terre, maintenant pour un banquet digne des saliens,
il était temps, camarades,
de disposer les coussins des dieux. 14
Le pulvina était un lit de parade sur lequel se déposaient les effigies des dieux, lors des lectisternes : ces festins offerts aux divinités lors de cérémonies officielles ou en signe de remerciements. Le repas s’accompagnait souvent de danses : d’où l’expression, frapper le sol des pieds.
Les épigrammes de Martial ne manquent pas de scènes cocasses. Cet auteur dénonce les divers vices de la table : le glouton, le goinfre et le pique-assiette sont dépeints avec le fameux Caecilianus.
Carmina burana
Les chants goliardiques réservent une bonne place aux plaisirs que procurent le vin, une bonne table et de joyeux convives. Un auteur anonyme, sûrement un étudiant qui désirait goûter un instant lui permettant d’échapper aux contraintes de ses études laborieuses, sérieuses et astreignantes, souligne les divers effets du vin, bien contradictoires selon le buveur.
Bachus, tu rends l’homme disert ou silencieux,
riche ou pauvre, triste ou joyeux.
Tu fais la paix, tu romps les trêves,
les ignorants tu changes en savants,
tu forces la cassette verrouillée de l’avare,
tu prêches la générosité ou tu l’interdis,
tu donnes la vue à l’aveugle, au boiteux jambes alertes.
On te dirait un dieu, à voir touts tes exploits.
Buvons pour ne pas avoir soif15 et remplissons le pot,
que nul ne songe à ses ancêtres ou à ses héritiers,
dans la mort à venir plus de propriétés !
Qu’on nous apporte du vin et des dés,
malheur à qui se soucie de demain !
Bachus était lié de fortes chaînes ;
Le dieu ne voulut pas être captif,
dans sa chambre moelleuse il a rompu ses liens,
il a brisé la porte et paraît sur le seuil16.
Dans l’Épître de Paul aux Philippiens (3,19), l’apôtre les incite à marcher sur les pas du Christ et à ne pas prendre leur ventre pour un dieu :
‘"Beaucoup […] se conduisent en ennemis de la croix du Christ. Leur fin sera leur perdition ; leur dieu, c’est leur ventre, et leur gloire, ils la mettent dans leur honte, eux qui n’ont à cœur que les choses de la terre.’"
Un auteur anonyme, s’inspirant d’auteurs latins, reprend ce thème paulinien pour l’illustrer17, ce qui ne signifie pas louer le ventre. L’auteur décrivant un vice ne fait pas l’apologie du vice.
Épicure s’écrie à voix haute :
« Un ventre plein est bien serein
et le ventre sera mon dieu. »
C’est le dieu qui réclame la gueule,
il a pour temple la cuisine
qu’embaument les effluves de sa divinité.
Voici le dieu favorable
qui n’est jamais à jeun.
Devant un petit déjeuner,
ivre, il éructe son vin.
Sa table et sa cruche
sont sa vraie béatitude.
Sa peau est toujours pleine
comme une outre ou une bouteille ;
il passe du petit déjeuner au souper,
aussi a-t-il joue grasse et rouge.
Ce service divin
dans le ventre fait tapage,
le ventre se débat et crie famine,
le vin affronte l’hydromel.
Quelle vie de paresse
pour qui se préoccupe de son ventre !
Le ventre dit : « Je ne me soucie
que de moi. Je me dorlote
afin qu’en paix,
me cajolant,
après boire et manger,
je puisse dormir et reposer. »
De quelques poètes
En monorimes, le poète Panard prête ces mots à un patient dont le médecin lui prescrivait l’abstinence de tout vin et, en grand remplacement, l’eau :
" Médecin mal instruit
qui voudrait aujourd’hui
de mon corps faire un puits,
Va-t’en vite et t’enfuis.
Ton breuvage m’a toujours nui.
Si j’avais eu recours à lui,
je serais aujourd’hui
cloué dans étui.
Vive, vive celui
qui sort du muid.
Dans mon réduit,
C’est mon plus ferme appui :
C’est par lui
que je suis jour et nuit
sans ennui."
Léon de Fos, dans son « Gastronomiana » ne se fie pas trop à la beauté alléchante d’une nouvelle étiquette sur une bouteille et pose la seule vraie question :
Ce vin est-il franc ? est-il bon ?
C’est tout ce que je lui demande.
Eh ! que m’importe à moi son nom
qui souvent est de contrebande ,
Bouteille qu’en mes doigts je tiens
et que je caresse avec joie
Je ne sais d’où tu me viens…
mais je sais bien où je t’envoie.
Un convive dédaigneux des plaisirs de la table suscite ces vers justifiés :
Je ne sais rien de détestable
comme un convive froid, dédaigneux et hautain,
qui vient s’asseoir à notre table
sans goûts, sans désirs et sans faim,
qui voit passer les mets sans qu’à peine il y touche,
épluche tout morceau, mange du bout des doigts,
et tremble d’approcher son verre de sa bouche.
Cet homme, quand je l’aperçois,
sur tous mes sens exerce un indicible empire.
Il me fait l’effet de Satan,
et je suis tenté de lui dire :
« Ô, Méphistophélès, mange ou bois… ou va-t’en. »
Joseph Berchoux
L’art de recevoir des amis est une préoccupation première de Berchoux. Manger en bonne compagnie n’est pas une affaire anodine :
S’il est un rôle noble et bien digne d’envie,
Un agréable emploi au cours de la vie,
C’est celui d’un mortel qui fait en sa maison
Les honneurs de sa table en digne amphitryon. 18
Chaque hôte doit être servi à l’égal des autres, aucune discrimination :
Faites que vos amis, pleinement satisfaits,
En sortant de chez vous ne se plaignent jamais.
…
Ne favorisez point, par orgueil ou caprice,
Tel homme plus puissant ou plus considéré
qui voudrait jouir seul d’un morceau préféré.
Ah ! Si l’égalité doit régner dans le monde,
C’est autour d’une table abondante et féconde.19
L’usage veut une gradation dans le service du vin, il s’agit du bon d’aller vers le meilleur, en fonction du contenu de l’assiette et de conversations :
Buvez, il en est temps, mais à dose légère,
Et ne remplissez pas constamment votre verre.
Mettez un intervalle égal et mesuré
entre tous vos plaisirs ; arrivez par degré
à l’état d’abandon, de joie et de délire
à l’oubli de tous maux que le vin doit produire.20
Que les propos tenus à table soient divertissants, amusants, même sous la rigueur des temps :
D’un dessert prolongé, savourez le plaisir.
Qu’à toute sa gaîté votre esprit s’abandonne ;
Sachez rire de tout sans offenser personne.
N’allez pas discourir, par l’exemple emporté,
sur les grands intérêts de la société ;
faire au moment de boire un cours de politique ;
lier les droits du peuple à la métaphysique ;
des rois de l’univers, scruter les cabinets,
qui ne vous ont jamais confié leurs secrets.21
Même le café a une vertu non négligeable :
Le café vous présente une heureuse liqueur
qui du vin trop fumeux chassera la vapeur :
vous obtiendrez par elle, en désertant la table,
un esprit plus ouvert, un sang-froid plus aimable.22
Raoul Ponchon23
Le grand public doit le redécouvrir. Il a une plume qui nous met en joie. Il est d’ailleurs possible d’imaginer que Caribert Mouret, un habitué du domaine de Naste, ait pu le connaître : j’y trouve la même verve et ce même goût de gazetier littéraire.
Cet observateur poète qu’est Ponchon24 a rédigé des chroniques versifiées pour différents journaux, pendant près de quarante ans. Il vivait modestement. Habitué du Quartier latin et de Montmartre, il fréquentait des brasseries où il prenait ses repas. Amateur de fleurs et de jardins, il aimait aussi les joies de la gastronomie et de l’esprit.
Sa peinture des mœurs de son époque a choqué certains bien-pensants qui n’appréciaient pas que leurs vices soient dépeints avec cette cruauté de la vérité : le courage de dire le vrai l’a conduit inévitablement devant des tribunaux. Oui, dénoncer avec art les tares d’une société ou d’un individu est considéré comme un acte de rébellion. Il y a des rebelles qui me plaisent.
Son inspiration doit beaucoup au jus de la treille :
Ô vin, suave et salutaire,
C’est toi qui fleuris mes chansons,
Délicate fleur de la terre,
O vin, ô rose des buissons !
Développons les plats versifiés qu’il offre à nos esprits attentifs. Votre appétit sera satisfait. Et, soyez attentifs, c’est tout un menu qui vous est servi en cet instant.
La soupe était une exigence à l’entrée d’un repas. Goûtez cet extrait de la soupe à l’oignon qui s’annonce par son chant et son parfum particuliers.
La soupe à l’oignon
Quel est ce bruit appétissant
Qui va sans cesse bruissant ?
On dirait le gazouillis grêle
D’une source dans les roseaux,
Ou l’interminable querelle
D’un congrès de petits oiseaux.
Mais cela n’est pas. Que je meure
Sous des gnons et sous des trognons,
si ce ne sont pas des oignons
Qui se trémoussent dans du beurre !
Hein ! qu’est-ce que Bibi disait ?
Et ce bruit sent bon — qui plus est.
C’est à vous donner la fringale.
Traitez-moi de syndic des fous,
Je n’en connais pas qui l’égale.
« Et pourquoi faire — direz-vous —
Met-on ces oignons dans le beurre ? »
Pour quoi faire ? … triples couyons ;
J’espère… une soupe à l’oignon.
Vous allez voir ça tout à l’heure !
Je m’invite, n’en doutez pas.
Et j’en veux manger, de ce pas,
À pleine louche, à pleine écuelle…
Ne me regardez pas ainsi,
C’est ma façon habituelle.
La soupe à l’oignon, Dieu merci !
Ne m’a jamais porté dommage.
Ainsi, la mère, encore un coup,
Insistez, faites-en beaucoup,
Et n’épargnez pas le fromage.
Elle est prête ?... Alors on s’y met.
Ô simple et délicat fumet !
Tous les parfums de l’Arabie
Et que l’orient distilla,
Ne valent pas une roupie
De singe, auprès de celui-là.
Et puis ! … quel fromage énergique !
File-t-il, cré non ! File-t-il
Si l’on ne lui coupe le fil,
Il va filer jusqu’en Belgique !
Pour éveiller vos papilles, je vous livre ces vers, dédiés à Jean Richepin, en l’honneur du gigot.
Le gigot
Quand le gigot paraît au milieu de la table,
Fleurant l’ail, et couché sur un lit respectable
De joyeux haricots,
L’on se sent beaucoup mieux, un charme vous pénètre,
Tout un chacun voyant son appétit renaître,
Aiguise ses chicots.
On avait bien mangé mille riens d’œuvre et autre
Mais… quel sera le rôt ? songeait le bon apôtre
De convive anxieux.
Bravo ! c’est un gigot ! Une servante brave
Vient d’entrer, dans ses bras, portant auguste et grave,
Ce fardeau précieux.
Alors, l’amphitryon, le père de famille
Se demande, tandis que son œil le fusille :
Sera-t-il cuit à point ?
Il l’est — n’en doutez pas, et chacun le proclame,
Dès qu’il a vu plonger une invincible lame
Dans son doré pourpoint.
Son sang de tous côtés ruisselle en filets roses.
Sa chair est admirable, et ferait honte aux roses.
Le plus indifférent
Des convives, muet tout à l’heure et morose,
S’épanouit, du coup, débite mainte prose,
Devient même encombrant.
Il ne faut souvent qu’une soupe ratée,
Pour que, dès le début, soit la verve arrêtée
Chez les plus beaux esprits ;
Le gigot vient, voici que la gaîté s’échappe.
On rit, on cause… l’un demande l’ « œil du pape »
Et l’autre, la « souris ».
L’un voudrait du « saignant », l’autre du « cuit », problème
Qu’il n’est pas difficile à résoudre. Un troisième
Hésite entre les deux…
Le propre d’un gigot, cuit selon le principe,
Étant de satisfaire au goût de chaque type,
Serait-il hasardeux.
Quelquefois on cause Art, Science, politique.
La conversation prend un tour emphatique,
Qui n’est pas sans danger…
Arrive le gigot… adieu les grandes phrases !
Chacun à son voisin dit : assez… tu me rases !
Parlons donc de manger.
*
Vous êtes, ô gigot ! le plat de résistance,
Le morceau de haut goût, la viande d’importance,
Sur quoi rien ne prévaut.
Une côte de bœuf n’est pas pour me déplaire,
Tout de même c’est encor vous que je préfère,
et je le dis bien haut.
Votre chair est savante. En la verte prairie,
Vous ne deviez brouter que des fleurs, je parie,
Dédaigneux des chiendents ;
Vous êtes tendres plus qu’une épousée,
Gigots d’agneau ! argile idéale, et rosée
Qui fondez sous nos dents.
...
Aussi, vous mange-t-on par pure gourmandise,
Et machinalement, comme une friandise,
Sans mesure, sans fin,
Car, ainsi que l’a dit un docteur en Sorbonne :
Vit-on jamais gigot faire mal à personne ?
Il se mange sans faim.
Comme chacun sait, il n’y a point de bon repas sans fromage et Ponchon traite de cette question avec un savoir éblouissant. Voici un plateau de fromages :
La question du fromage
Aujourd’hui, mon jour de ramage ;
J’ai décidé de m’employer
À rimer d’un certain fromage
Qu’un ami vient de m’envoyer
Du fond perdu de sa province :
Il n’est pour moi sujet si mince
Où j’ai matière à hâbler.
J’en rimerai donc, et j’ajoute
Que si ce sujet vous dégoûte
Vous n’aurez qu’à vous en aller.
On va me dire que ça pue,
Le fromage ! Allons donc ! Vraiment ?...
Tout ça dépend du point de vue,
De l’occasion… du moment…
Moi, j’en mange et point m’en cache.
Je serais un vrai veau de vache
Privé de tout discernement,
Si je n’aimais jusqu’au délire
Le fromage que sur sa lyre
Chanta le bon gros Saint-Amant.
....
Les Anciens le considérèrent
Comme un présent des dieux.
Et les bons lyreurs l’honorèrent
En des poèmes radieux :
…
De nos jours, c’est la même chose,
Bien qu’en aient des esprits pervers.
Sa gloire n’est plus en cause :
Multiple, ondoyant et divers,
Il est répandu par le monde.
On retrouve ce « gueux immonde »
À l’est, à l’ouest, au sud, au nord,
Et je crois qu’en cette occurrence
C’est le noble pays de France
Qui tient le fromageux record.
O Fromages de ma patrie
Et vous de l’étranger aussi,
accourez ça, la coterie…
....
Ne bougez plus que l’on vous goûte.
Allons, experts, on vous écoute :
Découvrons quel est le meilleur.
Oui, mais voilà : chacun en pince
Pour le fromage familier
Qui se fabrique en sa province
Et qu’il prise sur un millier.
…
Les dénombrer, quelle chimère !
Quand j’aurais la lyre d’Homère
Je n’en verrais jamais la fin ;
Disons que le meilleur fromage,
Tout en rendant à tous hommage,
C’est celui qu’on a sur son pain.
Vous connaissez tous l’éloge de la Dive bouteille de Rabelais à la gloire du mot Trink qui veut dire boire : Jacques Bonnaud, en disciple de Rabelais, aimait aussi le louer. Ponchon a médité sur ce mot.
Éloge du mot « Boire »
Le joli mot que voilà :
Boire ! Qu’en pensez-vous ? Boire !
Moi je suis toujours prêt à croire
Qu’aucun ne vaut celui-là !
Ivrognes, ô bons apôtres,
Que je porte dans mon cœur,
N’est-ce pas qu’à la rigueur
On peut se passer des autres ?
Boire ! Et bien cela dit tout ;
Que voulez-vous autre chose ?
Tel un sourire de rose,
Cela se comprend partout.
C’est le seul mot du langage
Qui, par sa fraîche couleur,
A pour quelque valeur
Quelque évidence en partage.
Vous avez mille façons
De le prononcer, madame,
Ce mot délicieux, âme
de nos sublimes chansons.
Dites-le, pour moi, de grâce,
Gentiment, bien comme il faut ;
Ah ! pour l’amour de ce mot,
Souffrez que je vous embrasse.
...
C’est un os rempli de moelle,
Et, quand je le dis, parbleu !
Je crois manger du ciel bleu
Ou bien croquer une étoile !
...
C’est un rubis sur la langue,
Tout imprégné de soleil :
Auprès de ce mot vermeil
Toute fleur paraît exsangue.
On dirait, sur le printemps
De votre bouche mutine,
Une abeille qui butine
Le sucre blanc de vos dents.
...
Dites-le tout haut, tout bas ;
N’importe comment, je l’aime.
Il me semble inouï même
Lorsque je ne l’entends pas.
Le soleil, en quelque sorte
Le crie à l’immensité ;
La lune l’a répété
Tant de fois qu’elle en est morte.
C’est l’unique mot des dieux,
Le mot le plus vénérable.
Je me donne bien au diable,
Si ce n’est pas le plus vieux.
C’est le verbe d’excellence
Qui doit dissiper la nuit.
C’est tout ce que dit le bruit
Et que pense le silence !
Moi, je le dis constamment ;
La musique en est si tendre,
Que je veux toujours l’entendre,
Que je le rêve en dormant.
.....
Ponchon chante le vin en de nombreux poèmes. Je ne résiste pas à vous citer un autre qui ne manque pas de souffle.
Chantons le vin
Ô vin splendide et salutaire,
Reine suave des boissons,
Délicate fleur de la terre
Fleuris toujours dans mes chansons.
Vin rieur qui ris dans les verres
Avec tes bons yeux de velours
Tu dérides les plus sévères
Et tu dégourdis les plus lourds.
Ô vin plus frais que les grenades
Et plus pimpant que le printemps
Puissant réconfort des malades
Et remède des bien portants ;
Frivole muse des poètes,
Verve suprême des vieillards,
Tu fais pépier dans leurs têtes
De petits oiseaux babillards.
Tu rends la femme moins farouche
Vin de tendresse et de gaîté,
Et tu mets au coin de sa bouche
Une lueur de volupté.
Les boissons, interdites un temps, sont l’objet de sa verve. Parlons de l’absinthe, cette boisson née dans le Jura et ne faisons pas de querelles pour savoir si elle est du Jura suisse ou français. Sans parti pris, en tant que Neuchâtelois, je la déclare originaire de Neuchâtel. Si vous ne me croyez pas, tant pis pour vous.
L’absinthe
Absinthe, je t’adore, certes !
Il me semble, quand je te bois,
Humer l’âme des jeunes bois,
Pendant la belle saison verte !
Ton frais parfum me déconcerte.
Et dans ton opale je vois
Des cieux habités autrefois,
Comme une porte ouverte.
Qu’importe, ô recours des maudits
Que tu sois un vain paradis,
Si tu contentes mon envie ;
Et si, devant que j’entre au port,
Tu me fais supporter la Vie,
En m’habituant à la Mort.
Soyons un peu sérieux, maintenant que cette interdiction, qui a si bien facilité sa diffusion sous le manteau (ah! l’amour de l’interdit), a été levée. Un M. Bordas a voulu démontrer sa toxicité mortelle en injectant dix centimètres cubes d’absinthe à un cobaye, qui lui, n’avait rien demandé.
Parenthèse : Heureusement, un candidat à la présidentielle nous annonce un nouveau ministère, ô combien important et risqué, le Ministère de la Condition animale qui pourra enfin interdire à tout jamais l'animal cobaye, ce crime contre l’humanité que je tiens à dénoncer ici avec solennité !
La prise de connaissance de ce témoignage scientifique suscite une réaction versifiée de notre poète.
L’absinthe et le cobaye
Dix centimètres ! quelle cuite !
Pourquoi pas trente, tout de suite ?
Pauvre cobaye ! dont la fin
Est de servir l’expérience
De ces messieurs de la science,
Avec son frère le lapin.
Mais, ô savant, que je respecte,
Sache bien que je m’en injecte
Relativement moins. Ainsi,
C’est donc comme si moi bélître,
Il m’en fallait en boire un litre,
Dans une séance… Merci !
Moi, ces dix centimètres cubes
D’absinthe jetés dans mon tube,
Je puis hardiment les braver,
Sans même hésiter sur ma tige,
Mais ce n’est pas un tel prodige
Qu’un cobaye en puisse crever.
En outre, que prouve la chose !
Pour ce petit cochon en cause,
Pas plus gros en tout que le poing,
L’absinthe, idiosyncrasique25
Peut être infiniment toxique,
Pour moi, ne l’être du tout point.
Chacun, comme il le peut, s’en tire.
Ne me suis-je pas laissé dire
Par exemple, que le persil,
Qui m’est à moi fort salutaire,
Était au perroquet contraire,
Tout autant qu’un coup de fusil ?
De même mon gosier se cabre,
Quand je veux avaler un sabre,
Tandis que j’ai vu, chez Barnum,
Je ne sais quelle créature
Dont c’est l’ordinaire pâture.
Que voulez-vous ? … cuique suum26.
Pour conclure, à regret, avec Ponchon, voici quelques-uns de ses « Aphorismes de table » :
Manger avec quelqu’un qui n’a pas d’appétit,
C’est comme parler art avec un abruti.
*
Quand arrive sur table un morceau d’importance,
L’élémentaire tact te prescrit le silence :
Une dinde, un pâté, voire un saucisson d’Arles27
Sont manifestement plus éloquents, tu parles !
*
Je veux la bouteille de vin
Toujours à portée de ma main ;
C’est moi seul qui dois être juge
Du rouge-bord que je m’adjuge.
*
Lorsque l’amphitryon, à la fin de l’agape,
Voit ça et là traîner des verres sur la nappe,
Encore à moitié pleins, il se dit attristé :
Il faut changer de vin, ou bien mes invités.
D’un lourd mot républicain
Un jeune et fringant président de la République s’est plu à user ce fumeux mot que les convenances propres à tout homme quelque peu civilisé empêchent d’employer28. Évidemment, pour certains, je n’ai pas dit pour « tous » — veuillez noter la nuance afin que vous ne m’accusiez pas de parti pris, car, là, vous seriez dans l’erreur -, il traduirait, en une expression vigoureuse, toute sa stratégie présidentielle. Lors d’un apéritif, mon ami Gustave, un vrai Français du terroir, me donna son avis en ses termes. Bien entendu, il assume entièrement la nature de ses propos au nom de la liberté d'expressions qui, selon lui, est en train de mourir. Ecoutez-le ;
« Jamais je ne prononcerai ce mot, porte-bonheur pour les chasseurs et attribué de façon légendaire à Cambronne. Oui, il est plus que probable que, lui, il ne l’ait jamais prononcé. Pourtant, il a été verbalisé par un chef d’État qui, lui par contre, l’a revendiqué à l’envi. Sa liberté d’expression libère la mienne et ainsi je te livre ma réflexion sur ce propos républicain.
Inévitablement à l’entendre, j’ai pensé à cette dure réalité traitée admirablement par Brillat-Savarin, à nouveau, dans sa “Physiologie du goût”. Après avoir bu et mangé, et comme tu le sais, nous sommes conduits à nous livrer en des cabinets, qui ne sont point ministériels, à une activité non évasive, car versée dans un vase élaboré pour de bienheureux effets :
Ici viennent tomber en ruines
Les chefs-d’œuvre de la cuisine.
Et il ne s’agit pas d’une prophétie de Nostradamus sur la cuisine parlementaire toujours en marche. Et oui, un politique de plus nous a trompés , car ses ruines n’ont même pas eu le mérite d’avoir été des chefs-d’œuvre !
Rassurons-nous, j’entrevois une solution définitive et dissolutive. C'est une sorte de parabole donnée par le poète romantique Alfred de Musset29 sur la bienséance en ce lieu d’aisance que peut être une urne pour se soulager enfin d’un macrofardeau30 politique :
Vous qui venez ici, dans une humble posture,
De vos flancs alourdis décharger le fardeau,
Veuillez, quand vous aurez soulagé la nature
Et déposé dans l’urne un modeste cadeau,
Épancher dans l’amphore un courant d’onde pure
Et, sur l’autel fumant, placer pour chapiteau
Le couvercle arrondi dont l’auguste jointure,
Aux parfums indiscrets, doit servir de tombeau. »
À un président, qui cultive avec fierté une prose volontariste, nauséabonde tu en conviendras, je lui réponds par les vers d’un célèbre romantique. Ceux-ci respirent de cet hygiénisme dont on a tant besoin : oui, qu’un courant d’onde pure purifie ce grand tout ! "
Ce récit lui avait donné une soif que mon Gustave a étanchée d’une bonne rasade de vin. Quittons cette actualité fumante pour des galéjades de comptoir qui agrémentent les après-repas.
Quelques anecdotes
Un athée, amateur de bons crus de nos terroirs, rencontre un prêtre qui tente, une fois de plus, de le convertir. Écoutez comme tombe à l’eau l'argument bien vain de ce pasteur à l'intention de cet athée :
— Je vous en supplie, mon ami, vous devez croire en l’au-delà !
— Désolé, mon père, mais je préfère croire dans le vin d’ici !
*
Un poivrot apothicaire est arrêté alors qu’il conduisait sa voiture en état d’ivresse. Devant le tribunal, l’accusé proteste :
— Monsieur le juge, je vous jure que je suis aussi sobre que vous !
— Greffier, répond le juge, notez que l’accusé plaide coupable.
*
Un maître d’hôtel, quelque peu efféminé et préoccupé de son paraître, est interpellé par un convive à la recherche de son plat préféré :
— Maître d’hôtel, s’il vous plaît ?
— Oui, monsieur ?
— Vous avez des cuisses de poulet ?
— Non, monsieur, c’est une impression, car mon pantalon a rétréci au lavage.
*
Les prix du menu ne correspondent pas toujours aux promesses alléchantes de la carte. Le serveur croit bon de demander l’avis du client :
— Comment avez-vous trouvé notre confit de canard, monsieur ?
— Alors là, tout à fait par hasard, répond le client, en fouillant bien sous les petits pois !
*
Gustave aime à dire : — Ce qu’il y a de mieux au restaurant, c’est le digestif, il aide à faire passer l’addition.
*
Napoléon, au soir de Waterloo, se réfugie avec son état-major et quelques fidèles survivants, dans une auberge. La petite troupe s’engouffre dans la pièce à la suite de l’empereur qui soupire à l’intention de l’aubergiste :
— Nous sommes vaincus !
— Désolé, sire, mais nous ne disposons que de douze chaises.
*
Nous sommes en période électorale et il existe derrière l’Assemblée, un gentil bistrot où se réunissent des parlementaires. Lors de la fin d’un repas où figuraient des élus de la Nation, buvant quelques fines, un hôte de passage a entendu ce propos d’un député centriste.
Parenthèse : Cette sectorisation politique est d’importance, car, de nos jours, il faut être centriste pour ne pas être qualifié d’extrémiste, ce qui reste le crime absolu. C’est d’ailleurs assez facile de s’apposer cette étiquette courageuse, car comment savoir où se trouve le centre ? Pour certains, le centre est leur nombril ; pour d’autres, toute force politique soit dite à leur gauche, soit dite à leur droite, par rapport à eux qui restent donc les vrais centristes… Je vous laisse débrouiller cet écheveau idéologique, car nous sommes tous des centristes par rapport à d’autres ! Pour certains élus, il suffit judicieusement de ne pas se tromper de râtelier politique, afin de ne pas être considéré comme un âne, mais comme une belle bête de concours, désirable et méritant les honneurs, cela suffit.
Mais revenons à mon hôte et à son parlementaire, qui d’habitude fait la carpe lors des séances parlementaires et, pour une fois, plus disert devant une bonne table que devant ses pairs, à l’Assemblée. La scène me fut ainsi décrite :
" Humant son cognac, inspiré soudainement par Dame Poésie, à la généreuse poitrine mise en valeur par un profond décolleté, il dit :
— Oui, le centre est un parti de grande importance, un soutien de la Démocratie. Sa véritable symbolique est le soutien-gorge. Regardez, il soutient la gauche, soutient la droite et empêche le ballottage, même si la gauche pèse plus lourd."
Il paraît que le portrait de la Marianne dominant la salle en a rougi de plaisir.
*
Heureuse confidence - qui ne s’adresse certainement pas à vous Mesdames - d'un mari qui se réjouit de se sustenter ailleurs :
— Ma femme, pour sa cuisine, c’est le chaud et le froid. Tu vois ou c’est trop cuit, ou ce n’est pas suffisamment décongelé.
Conclusion
Que je traite ce sujet a pu surprendre quelques-uns d’entre vous. Aussi, il me faut invoquer Descartes pour faire taire vos éventuelles critiques :
" Un grand seigneur, entrant à l’improviste chez le philosophe René Descartes, le trouva attablé devant une bonne table :
— Et bien, s’écria-t-il, les philosophes aiment les friandises !
— Pourquoi non ? répondit Descartes. Vous imaginez-vous que la nature n’ai fait de bonnes choses que pour les ignorants ? "
D’ailleurs saint François de Sales a dit : "Il faut soigner le corps pour que l’âme s’y plaise. » Sainte Thérèse de l’ Enfant Jésus a même écrit : « Dans un couvent le plus difficile est de trouver une bonne cuisinière parce qu’une fois l’appétit calmé, il est plus facile de s’occuper des choses de l’esprit. »
Ainsi, pour aujourd’hui, se termine cette promenade gastronomique qui m’a permis de faire comparaître devant vous de grands esprits et des propos de comptoir ou de mon cru.
J’espère que cette musardise littéraire vous aura diverti autant que j’en ai eu à la rédiger. Si ce n’est pas le cas, je vous dirais, soit tant pis pour vous, soit veuillez m’excuser de n’avoir pas su vous la partager ! Acceptez la formule de votre choix ! Dans tous les cas, une chose demeure : je me suis au moins fait plaisir.
8 mars 2022
1 Berchoux (1765 - 1838) : Gastronomie. En d’autres écrits, il critiqua Voltaire et Lamartine lui en fit le reproche.
2 Une traduction en chinois avait été prévue, mais j’ignore si elle a été produite.
3 1639-1699. Il a renouvelé l’art de la tragédie et nous intéresse tout spécialement par la finesse de ses analyses psychologiques.
4 Cyrano de Bergerac.
5 Sur un mot francique : wala, bien.
6 1871 - 1945. La Pléiade.
7 1909-1994.
8 Edmond (1822-1896, qui meurt chez les Daudet) et Jules (1830-1870) Huot de Goncourt. Auteurs de romans voulant saisir le réalisme d’un instant pour le transformer en une sorte de symbole. Ils appartiennent au courant dit naturaliste. Leurs biens sont légués en 1896 à dix écrivains amis qui instaureront le fameux prix en 1903.
9 1902-1967.
10 1855-1905. Fils de pharmacien, il passe de la photographie au journalisme. Sa gaîté cache un certain scepticisme.
11 Consulter sur mon blog mon article sur Caribert Mouret.
12 1753-1830.
13 1821 - 1867
14 Horace : Odes et épodes, livre 1, XXXVII.
15 Rabelais a repris ce propos qui est ainsi devenu chez lui un dicton.
16 Une légende raconte que Bachus se serait libéré de sa capture de fait de pirates et le poète, ici, utilise une métaphore : la prison est le tonneau et le vin jaillissant de la bonde est Bachus venant libérer les francs buveurs de la prison des soucis.
17 CB 211
18 Chant III.
19 Idem.
20 Chant IV
21 Idem
22 Idem
23 1848 - 1937 . Le poète bachique, gastronomique amoureux des fleurs. Auteur de beaux chants de Noël.
150 000 vers. Pour le connaître : Marcel Coulon : Toute la muse de Ponchon. La Tournelle. Paris. 1938. 264 p.
24 Élu à l’Académie Goncourt en 1924.
25 Ce beau mot est d’origine grecque et signifie comportement. En français, il qualifie ce qui est particulier à chaque individu. Ce petit éclairage vous est donné, car de mauvais esprits y entendent les mots idiot, saint et crasse (sic)…
26 À chacun le sien. Expression de droit romain.
27 15 % de bœuf et 85 % de porc.
28« Emmerder » pour initier les personnes qui ont la chance de ne pas suivre les actualités politiques. À cette parole qui le libère, nous avons le droit, à son exemple, de libérer la nôtre selon une loi de l’adaptation qui ne se réduit pas au mot attribué à Cambronne.
291810-1857.
30Je n’ai pas dit maquereau-fardeau à la mode Pfizer !
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