samedi 29 février 2020

Jean de la Croix : poète mystique pour un chemin spirituel


Jean de la Croix
(1542 - 1591)

"Cherchez en lisant et vous trouverez en méditant;
appelez en priant et l'on vous ouvrira dans la contemplation."
                                                                                   Jean de la Croix1.

"La poésie est le réel vraiment absolu."
Novalis. Fragments.



Tout homme de foi effectue un parcours spirituel qui n'a rien de statique mais qui répond à une dynamique, insufflée par l'Esprit Saint chez les Chrétiens. Cette dynamique étant de nature spirituelle ou surnaturelle, une confusion est née chez certains qui concluent qu'il existe une séparation totale entre l'esprit et le corps. Or cette idée est fausse : l'esprit a besoin du corps; l'esprit en est la respiration vitale qui porte un nom : l'âme. Oui, l'homme est digne de respect car il est plus qu'un corps, il est une âme qui demande à rayonner par son corps. Bien entendu, certains ignorent malheureusement qu'ils ont une âme qu'ils étouffent par une soif de possession ou par les satisfactions uniquement de leurs sens ou de leur seul entendement, en se mettant à la seule écoute de leur ego.

Plusieurs religions offrent des expériences spirituelles qui répondent à des interrogations qui élèvent l'homme au-dessus de sa condition humaine. Il est curieux que des Européens négligent la spiritualité chrétienne pour rechercher au Tibet, en Inde ou ailleurs, au fin fond d'un désert ou au sommet d'une montagne, ce qui est l'âme de la culture chrétienne.
Pour celle-ci, Dieu est partout et il est inutile de Le chercher ailleurs. Encore mieux, Dieu est en nous : depuis Saint Augustin, il est impossible de l'ignorer. Écoutons-le pour disposer de la clef qui ouvre le chemin mystique qui nous conduit à la découverte de la beauté de Dieu :

"Tard je vous ai aimée,
Beauté si ancienne et si nouvelle, tard je vous ai aimée.
C'est que vous étiez au-dedans de moi,
et, moi, j'étais en dehors de moi !
Et c'est là que je vous cherchais;
ma laideur se jetait sur tout ce que vous avez fait de beau.

Vous étiez avec moi et je n'étais pas avec vous.
Ce qui loin me retenait,
c'étaient ces choses qui ne seraient pas, si elles n'étaient en vous.

Vous m'avez appelé, vous avez crié,
et vous êtes venu à bout de ma surdité;

vous avez étincelé,
et votre splendeur a mis en fuite ma cécité;
vous avez répandu votre parfum, je l'ai respiré
et je soupire après vous;

je vous ai goûtée
et j'ai faim et soif de vous;

vous m'avez touché
et je brûle du désir de votre paix."2

Or cette magnifique profession de foi d'Augustin trouve sa source dans l'Evangile de Jean :
"Personne n'a jamais vu Dieu;
si nous nous aimons les uns les autres,
Dieu demeure en nous et son amour parfait est en nous.
Nous connaissons que nous demeurons en Lui et qu'Il demeure en nous,
en ce qu'Il nous a donné son Esprit.
Et, nous nous avons vu et nous attestons
que le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde.
Celui qui confessera que
Jésus est le Fils de Dieu,
Dieu demeure en lui, et lui en Dieu.
Et, nous, nous avons connu l'amour que Dieu a pour nous,
et nous n'y avons pas cru.
Dieu est amour;
et celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu,
et Dieu demeure en lui."3

Avec ces deux citations, vous disposez de deux clefs pour comprendre les œuvres de Jean de la Croix comme de Thérèse d'Avila4.

Dans le commentaire du Cantique spirituel (A), Jean de la Croix reprend, une nouvelle fois et sous une autre forme, cette pensée de Saint Augustin, exprimée dans Soliloque et que redira très souvent au XXe s. Maurice Zundel dans ses homélies : "Je ne Te trouvais pas, Seigneur; parce que je Te cherchais mal : je Te cherchais au-dehors et tu étais au-dedans."5.

Il suffit de retrouver Dieu dans chacune de nos vies. La vie est faite de différents "passages", des Pâques : le bébé que nous étions est mort d'une certaine façon pour donner naissance à un enfant qui lui-même s'est effacé pour devenir un adolescent qui ensuite devient un adulte pour normalement devenir un senior avant d'affronter le dernier passage, à une autre vie que nous avons à choisir durant notre vie terrestre : cet instant du suprême dépouillement est la mort dont le Christ ne cesse de nous faire comprendre tout le sens. Mais L'écoutons-nous vraiment ?

La Foi reçue au baptême est une grâce de Dieu et pour que cette grâce reçue porte du fruit, une vie chrétienne devrait être un passage progressif vers une communion toujours plus intime avec Dieu. Malheureusement trop de personnes s'arrêtent en chemin ou sont détournées de cette rencontre de Dieu au plus intime de nous-même !
Heureuses sont les personnes qui ont mené une vie chrétienne en bénéficiant de guides spirituels qui ne sont pas des gourous6 mais des compagnons de route sur ce long parcours de la foi qui exige de nombreux renoncements. Les bons guides partagent leurs expériences, juste le temps qu'il faut et surtout pas plus, soit pour nous relever, soit pour que nous poursuivions d'un pas plus assuré, soit encore pour montrer la voie à suivre et qu'ils ne peuvent pas accomplir à notre place.

Un constat est aussi regrettable que consternant : de prétendus Chrétiens et parfois même quelques prêtres7 réussissent à détourner de Dieu des croyants qui ne demandaient qu'à vivre leur foi ! Oui, cette situation tragique est possible quand le religieux n'est plus le reflet vivant du Christ mais uniquement un être contemplant avec une satisfaction bouffie son ego, camouflé sous des habits sacerdotaux8.
Un théologien mystique Maurice Zundel réagissait vivement face au cléricalisme outrancier de quelques prêtres, certes minoritaires mais qui causent tant de dommages à l'Eglise. Le plus simple est de lui donner la parole quand il nous parle d'un de ses confrères, se prenant pour un satrape9 religieux :
"Il se peut que des hommes d’Église se comportent parfois comme des satrapes et s'attribuent un pouvoir usurpé, comme l'âne de la fable s'attribuait la vénération qui s'adressait aux reliques dont il était chargé. La foi tranquillement continuera à vénérer les reliques, en renvoyant in petto l'âne à son râtelier."10 Oui, un prêtre qui ainsi perd son âme, âne devient et le reste tant qu'il ne vit pas la conversion vers Dieu11 : Dieu est patient mais l'homme peut être têtu !
Les mauvais guides spirituels sont vivement critiqués et voici ce que Jean de la Croix dit dans Vive flamme d'Amour (commentaire B) : "Bien des maîtres spirituels font beaucoup de mal à de nombreuses âmes [car] ils n'entendent rien aux voies et aux propriétés de l'esprit."12

A l'écoute de la Parole

Pour nourrir l'âme, qui, comme le corps, a besoin de nourriture, l'écoute de la Parole de Dieu est essentielle. Tout a commencé au moment de notre deuxième naissance, lors de notre baptême. Au baptême, nous avons été, à nouveau, engendrés non pas d'une semence corruptible mais d'une semence incorruptible. Cette semence est dans notre cœur de baptisé : un cœur de qualité13, "kaloskagathos" en grec, permet la renaissance de l'âme de Dieu dans l'âme de l'homme : là est notre cœur à cœur avec Dieu. Dès que vous vivez ce moment extraordinaire, auquel chacun de nous est appelé, vous vivez votre conversion à Dieu, vous vivez en mystique chrétien. Évidemment, pour se laisser remplir de la Présence de Dieu en soi, il est nécessaire d'effacer son moi, les déterminismes qui nous enchaînent et même nos connaissances qui peuvent nous induire en erreur... Dans ce dépouillement intérieur, la nuit de Jean de la Croix devient une aurore, la lumière de la foi commence à nous éclairer. L'Esprit accomplit alors son œuvre et spiritualise la chair : saint Paul dans ses Épîtres ne cesse pas de nous le dire et le redire.

Tout prend sa source à la "lectio divina" : cette lecture du Nouveau testament, tout spécialement, nous relie à Dieu, nous découvre ce Dieu qui nous attend dans notre cœur et qui s'entend seulement dans le silence14. L'humilité de l'homme consiste à Lui faire confiance, à s'en remettre à Lui totalement et à refuser le désespoir, fruit de notre orgueil qui ignore la miséricorde de Dieu et qui croit que tout dépend de notre seule volonté, sans l'aide de Dieu.

La lecture de Jean de la Croix permet de découvrir ou redécouvrir les fondamentaux d'une spiritualité chrétienne. Pour quelle raison cette quête est utile ? Dans sa vie, tout homme s'interroge, une fois ou l'autre, sur le sens de son existence et, le plus souvent, cette réflexion le conduit à une quête de Dieu qui se démontre de différentes façons.
Certains se disent athées mais leurs actes disent Dieu (ils L'ont trouvé mais pas reconnu). Les vrais Chrétiens placent leurs actions sous le regard de Dieu et la recherche de la vérité les guide : parmi eux, ceci suscite d'ailleurs parfois plus de haine que de reconnaissance mais le Christ en a subi bien plus avant que d'être crucifié. Quelques autres se disent Chrétiens mais leurs actes nient Dieu (ils L'ont connu mais L'ont nié). Les propos ne suffisent pas ! Leurs actes trahissent leur fausseté, à une personne encore capable de discernement15. Jean de la Croix disait :
"Il y a des âmes qui se roulent dans la boue comme les animaux immondes, et d'autres qui prennent leur vol comme les oiseaux et deviennent dans les airs nettes et pures."16

Jean de la Croix est un homme spirituel du XVIe siècle espagnol et il a été publié et donc lu surtout au XVIIe s. Il est fêté le 14 décembre. Il nous partage son expérience vécue avec Dieu et ainsi nous aide à approfondir notre foi, dans le secret de notre chambre et de notre cœur. La relation avec Dieu se construit jour après jour au moyen d'oraisons fréquentes et de contemplation. La vie terrestre du croyant laïc ou consacré devient une union avec Dieu qui se purifie, s'intensifie pour se laisser embraser par la flamme d'amour, la charité de l'Esprit Saint.

Brève biographie

Issu d'une famille pauvre, Juan de Yepes est né en 1542 à Fontiveros (Vieille Castille). Il ne reçoit pas une formation scolaire durant son enfance. Très jeune, il travaille manuellement : menuiserie, confection, ciselure, peinture. Dans un couvent, il devient aide-soignant.
En 1559, soit seulement à l'âge de 17 ans, dans une école de Jésuites, il apprend à écrire et reçoit les premiers rudiments de la philosophie. En 1563, sa dévotion à la Vierge Marie le décide de se mettre dans les pas du Christ, chez les Frères Carmes de Medina. A sa prise d'habit, il reçoit le nom de Frère Jean de Saint-Mathias.

Ouvrons une brève parenthèse quant à l'origine de l'ordre des Carmes : au XIIe s., une douzaine de moines, à l'imitation du prophète Elie, vivent en des grottes creusées dans les parois du Mont Carmel. Leur vie s’accomplit dans la prière, la solitude et la contemplation silencieuse, au service du Christ et de Marie : Marie étant la plénitude cachée de la vie rayonnante en Dieu à partir du moment où elle a prononcé ces mots : "Que Ta volonté soit faite, Seigneur." Parole que redira le Christ sur la Croix.

De 1564 à 1568, il suit des cours à l'université de Salamanque, très réputée pour la qualité de son enseignement. A 25 ans, durant l'été 1567, il célèbre sa première messe.
Toutefois, la vie religieuse chez les Carmes ne lui donne pas satisfaction et il envisage de quitter cet ordre pour rejoindre les Chartreux. Sa rencontre avec Thérèse d'Avila17, son aînée car née en 1515, le décide à rester car elle lui propose une réforme de l'ordre des Carmes dans un nouveau monastère masculin à l'identique de ce qu'elle a accompli chez ses religieuses. En 1568, il accompagne Thérèse à Valladolid. Par elle, nous savons que Jean de La Croix était de petite taille, ce que sa tombe confirme.

Le 28 novembre 1568, un nouveau couvent est inauguré à Duruelo (Avila). La vie conventuelle, de ceux qui seront appelés les Carmes déchaussés, se partage dans le silence entre la méditation de l’Écriture Sainte, des veilles dans la prière contemplative, le vécu de la charité fraternelle, le travail et le service d’Église. En 1570, sa communauté est transférée à Mancera (Salamanque). Surgissent alors des oppositions vives à cette réforme voulue et initiée par Thérèse d'Avila. Jean est séquestré à Medina del Campo.
Il est même incarcéré à Tolède dans un cachot pendant 8 mois et demi en 1578. Son temps de prison, où il subit des flagellations quotidiennes, lui permet de rédiger le début du "Cantique spirituel". Il réussit à s'enfuir et doit se cacher. Il est recteur d'un nouveau couvent. En 1584, il achève la rédaction du "Cantique spirituel".

En 1585, le Père Nicolas de Jésus Marie Doria est élu supérieur de l'ordre du Carmel. Très autoritaire, il se montre d'une grande dureté à l'égard de ceux qui ne partagent pas son point de vue. Vous savez ainsi pourquoi Jean de la Croix est critique contre cette déviance tyrannique d'un détenteur de pouvoir qui en abuse, phénomène qu'il a toujours dénoncé avec vigueur.

En 1591, Jean de la Croix est marginalisé18 complètement par ses confrères de la Réforme dont il a été pourtant l'initiateur et l'ardent défenseur. Il refusait la centralisation de l'ordre des Carmes car il souhaitait, comme Thérèse d'Avila, des carmels indépendants. Il est calomnié19, épuisé par leurs comportements mais, la grâce reçue au baptême est plus forte, il reste fidèle à Dieu et confiant en Lui. Le corps couvert d'ulcères mais resplendissant intérieurement de l'amour de Dieu, il meurt dans la nuit du 13 au 14 décembre 1591.

Il sera béatifié le 25 janvier 1675, canonisé le 27 décembre 1726 et proclamé docteur de l'Eglise le 24 août 1926.

Son œuvre écrite

Elle se divise en trois genres différents : les poèmes qui lui ont donné sa notoriété comptent moins de mille vers; des écrits spirituels remarquables par leur élan mystique et des lettres qui ont échappé à la destruction et nous permettent de mieux le comprendre. Les titres les plus connus sont : Cantique spirituel, Montée du Carmel, Nuit obscure et Vive flamme. Bien entendu, si la mystique chrétienne ne vous est pas inconnue, vous pouvez les lire sans aucun difficulté. Toutefois, si ce sujet reste pour vous un "mystère", quelques conseils de lecture sont utiles.

Jean de la Croix, à la demande des religieuses du Carmel, a rédigé des commentaires de ses poèmes. Je ne vous cache pas que, pour ma part et ne connaissant pas l'espagnol, j'ai eu un plus grand bénéfice à lire ces commentaires : ceux-ci m'ont permis de goûter la profondeur des poèmes avec lucidité et de comprendre enfin Le Cantique des Cantiques de l'Ancien testament qu'il est utile d'avoir lu au préalable.
Pour un débutant qui ignore tout du sujet - et c'est normal d'aborder un sujet que est inconnu, car c'est ainsi que l'on commence à apprendre -, je conseille deux écrits, courts et magnifiques pour saisir en plénitude la pensée de Jean de la Croix : Paroles de lumière et d'amour et Degrés de perfection.
Pour les personnes consacrées et les personnes qui sont au service de l'Eglise - et non de leur personne20 -, la lecture initiale à privilégier est d'une vingtaine de pages vivifiantes et qui aident grandement au discernement : Les précautions, Les quatre avis à un religieux, Les degrés de perfection et Censure et jugements donnés sur les voies spirituelles tenues par une carmélite.

Contexte du XVIe siècle

Pour différentes raisons, l'Eglise de ce temps connaît de grands troubles : ils sont plus politiques que religieux. La religion a été le prétexte soigneusement instrumenté pour motiver des foules naïves dont la sincérité ne peut pas être mise en doute, alors que l'esprit de calcul des manipulateurs est évident. De ce mal, en est sorti un bien : une renaissance de la spiritualité chrétiennes, dans la tradition des Pères de l'Eglise grecs et latins et de ces grands maîtres spirituels du Moyen Age que la plupart des Catholiques de nos jours ignorent : Eckart, Tauler par exemples pour prendre les plus récents par rapport à Jean de la Croix. Reconnaissons que cette méconnaissance n'est pas de leur fait : la faute en incombe à ceux qui ont voulu et veulent délibérément ignorer la Tradition vivante21 de l'Eglise, en passant sous silence des chefs-d’œuvre de la Foi.

En quelques mots, Jean de la Croix affirme qu'il ne s'agit pas seulement d'imiter le Christ mais de se configurer au Christ. Comment y parvenir ? Créer un vide intérieur pour accueillir en plénitude la présence de Dieu en soi où Dieu se trouve déjà et ne demande qu'à se faire entendre. Ce vide intérieur se produit en effaçant les réalités passagères et créées pour ne plus vivre qu'en présence de Dieu. Ces réalités passagères à rejeter sont multiples : nos idées, nos préjugés, nos connaissances, nos affections humaines, nos désirs, notre soif de reconnaissance... La démarche est plus facile pour un berger sans instruction car il entend mieux ce qui est dit dans le secret de son cœur. Pensez à tous les bergers de l'Ancien testament qui entendent suivent la Parole de Dieu !
L'orgueil scientifique de nos jours nuit parfois à la vie spirituelle : tout doit s'expliquer; le monde invisible n'existe plus car seul ce qui est observable jouit d'une existence; ce qui échappe à la seule raison n'a aucune valeur. Cet orgueil scientifique conduit à l'ignorance scientifique ! Pourtant, les plus grands génies reconnaissent que les limites extrêmes de leurs découvertes, dans l’infiniment grand comme dans l'infiniment petit, leur révèlent qu'il y a encore quelque chose de plus grand à découvrir et qui, pour l'instant, ne s'explique pas. Il en va de même pour ce qu'il faut bien appeler le mystère de le foi.

Ce Dieu qui nous attend dans nos cœurs révèle son Amour qui nous fait aimer le Christ et notre âme n'a dès lors plus qu'un souhait : s'unir au Christ, Dieu qui s'est fait homme. Par cette union que l'Esprit Saint construit lors de notre véritable conversion22, nous sommes transfigurés. Cet Amour du Christ nous transfigure. Notre poète mystique emploie la symbolique nuptiale (avec Dieu) et filiale (avec le Christ) pour nous démontrer que l'homme peut épouser la Sagesse de Dieu quand nous laissons Dieu épouser notre âme, car nous sommes libres de Le refuser ou de Le recevoir. Il y a une acceptation mutuelle en sachant que l'acceptation de Dieu nous est toujours acquise pour autant que nous la refusions pas ! Dans le silence et l'humilité, nous pouvons rendre possible l’œuvre de Dieu dans l'âme.

Donnons la parole à Jean de la Croix :
"Tu sais maintenant, chère âme, ce que tu as à faire pour retrouver l’Époux dans la retraite de ton cœur. Si cependant tu désires quelque chose de plus, écoute une parole substantielle, une vérité inaccessible à l'entendement humain. Cherche ton Époux dans la foi et l'amour, sans prendre en rien ta jouissance, sans rien goûter, sans rien entendre au-delà de ce que tu dois savoir. La foi et l'amour sont les deux conducteurs d'aveugle qui te mèneront, par des chemins inconnus de toi, jusqu'aux secrets abîmes de Dieu. La foi, ce secret dont nous avons parlé, joue le rôle des pieds qui portent l'âme vers Dieu; l'amour est le guide qui lui montre la route. Lorsqu'elle contemplera, qu'elle approfondira les mystères et les secrets de la foi, elle méritera que l'amour lui découvre ce que renferme la foi, je veux dire l’Époux qu'elle appelle de ses vœux."23

Jean de la Croix a médité le Cantique des Cantiques et les fruits de sa méditation ont nourri ses deux œuvres majeures : Le Cantique spirituel et La vive Flamme d'Amour. Pour se faire comprendre, il compare l'Amour avec Dieu et l'amour qui unit deux êtres. Il s'agit d'un amour est oblatif24 : chacun se donne à l'autre. Ce qui est contraire à l'amour possessif où l'un étouffe l'autre qui s'étiole et, au final, se réduit à n'être qu'un objet dont le pire destin est soit de terminer en objet jetable, soit de devenir interchangeable selon les besoins. L'amour humain, pour autant qu'il soit vrai donc oblatif, n'est qu'une ébauche de l'Amour divin, le point commun est que tous deux donnent la vie, une vie humaine avec un potentiel spirituel ou une vie spirituelle immédiate. Nous passons tous, nous hommes, par un double enfantement. Cette compréhension n'est pas de l'ordre du cerveau mais du cœur : être à l'écoute de son cœur n'a jamais interdit l'emploi du cerveau qui est bel et bien nécessaire pour comprendre le cœur (pensez à Pascal : "C'est le coeur qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce que c'est que la foi : Dieu sensible au coeur et non à la raison."25 Encore faut-il que notre intelligence en ait conscience !).

Dans La vive Flamme d'Amour qu'est l'Esprit Saint, voici l'extrait, un peu long mais que je vous donne complètement où Jean de la Croix met dans la bouche de l’Époux, Dieu, qui parle à l'épouse qu'est votre âme, ses propos qui m'ont décidé à le lire complètement et à vous en parler en ce jour :
"Une personne qui en aime une autre et qui lui fait du bien l'aime et lui fait bien selon ses qualités, selon ses propriétés personnelles.
Ainsi ton Époux résidant en toi en tant que tout-puissant, il t'aime et te fait bien selon sa toute-puissance.

Infiniment sage, il t'aime et te fait du bien selon l'étendue de sa sagesse.
Infiniment bon, il t'aime et te fait du bien selon l'étendue de sa bonté.
Infiniment saint, il t'aime et te fait du bien selon l'étendue de sa sainteté.
Infiniment juste, il t'aime et t'accorde ses grâces selon l'étendue de sa justice.
Infiniment miséricordieux, clément et compatissant, il te fait éprouver sa clémence et sa compassion.
Fort, exquis, sublime en son être, il t'aime d'une manière forte, exquise et sublime.
Infiniment pur, il t'aime selon selon l'étendue de sa pureté.
Souverainement vrai, il t'aime selon l'étendue de sa vérité.

Infiniment libéral, il t'aime et te comble de grâces selon l'étendue de sa libéralité, sans aucun intérêt propre et dans la seule vue de te faire du bien.
Souverainement humble, il t'aime avec une souveraine humilité et fait de toi une souveraine estime.

Il t'élève jusqu'à lui, il se découvre à toi joyeusement et avec un visage plein de grâce dans cette voie de sa connaissance.
Et tu l'entends te dire : "Je suis à toi et pour toi; je me réjouis d'être ce que je suis, afin de me donner à toi et d'être tien à jamais.""26

L'essentiel de la pensée de Jean de la Croix réside dans cette citation.

Voici donc le seul moyen de s'unir à Dieu : ainsi, au XVIe s., vous ont été décrits le commencement, le milieu et la fin de ce parcours spirituel qui nous transfigure selon les grâces reçues qui ne dépendent pas des seules onctions sacerdotales ou de la seule vie conventuelle, rassurez-vous.
Tout acte de vie, dans la mesure où vous le confiez à Dieu, peut devenir un acte de prière et de contemplation : les parents devant le sourire de l'enfant; une mère s'activant au ménage ou préparant le repas qui sera pris en commun; le soignant qui soulage son patient; l'enseignant qui ouvre l'esprit de son élève; la conscience accordée à son activité professionnelle; une action bénévole en faveur d'autrui; un temps de prière pour autrui (les défunts comme les vivants); la contemplation de la beauté de la création divine (un panorama, une fleur, une cellule vivante sous le microscope; une galaxie dans le télescope); une page spirituelle qui vous élève vers Dieu; un charisme donné à l'un ou à l'autre; un instant de joie; un élan de confiance; un repas partagé; un esprit consolé; prier lors d'une souffrance particulière ou d' une guérison bienvenue; etc..

Maurice Zundel établit le même constat :
"... Pourquoi Dieu est-il absent de la rue, absent de la vie courante et absent de la plupart des existences? Pourquoi ? C'est parce qu'Il n'a pas de témoins, parce que Dieu est un pur dedans et ne peut resplendir qu'à travers un visage qui se transfigure.
Si notre vie n'est pas transfigurée, si nous n'apportons pas la joie, si nous n'ajoutons pas à toute réalité une dimension d'amour, si la vie n'est pas plus belle à cause de nous, si les autres ne sont pas plus libres et plus heureux à cause de nous, comment voulez-vous qu'ils sachent que Dieu est là ?"27.

La lecture de Jean de la Croix répond pleinement à notre besoin religieux qu'est cette soif d'absolu. Il nous convainc par le raisonnement sous le souffle de l'Esprit et par la proposition d'une saine morale que les effets de cette hygiène spirituelle sont de l’ordre de la psychologie. Oui, guérir l'âme permet de guérir le corps : il y a des liens évidents et une réciproque. En effet, ceux qui font souffrir l'âme, font aussi souffrir le corps : la haine d'une personne peut détruire une autre28 qui ne serait pas assez blindée pour subir les chocs. Un prêtre de mes amis disait fort justement à une personne endurant bien ds épreuves : "Si Dieu vous a permis de supporter de tels actes exercés contre vous, c'est qu'il savait qu'Il vous avait donné assez de force pour les supporter. Le Christ, Lui, a souffert bien plus et porté Sa Croix pour donner Sa vie afin de nous sauver. Marie, sa mère, a souffert plus que ce que le cœur d'une mère peut souffrir."29. Et que chacun, qui subit le mépris de son travail, voire même de sa personne - car le simple fait d'exister importune parfois celui qu'il faut bien considérer comme un ennemi -, n'oublie pas qu'il est important de surmonter cette épreuve de Satan qui se niche, là où parfois on s'attend le moins à le trouver30. Le socle de l'espérance chrétienne repose sur une confiance totale en Dieu même dans un océan déchaîné.

La Nuit

Qu'est ce que cette nuit de Jean de la Croix ? En général, cette expression nuit à la bonne compréhension de sa pensée. Aussi, apportons un éclairage sur cette idée lumineuse. Le point de départ de la vie mystique est d'accueillir la nuit pour espérer l'aurore et pour trouver la lumière de Dieu dont la lampe se nomme la foi. Cette approche de la lumière est progressive car la lumière de Dieu est aveuglante. Dans cette nuit, par laquelle le fidèle passe, il y a un guide : la foi qui permet de croire au-delà de ce qu'on voit. La prière qui devient un dialogue d'amitié avec Dieu exprime toute la confiance accordée par le priant qui se sait aimé de Dieu et qui ainsi s'ouvre à l'amour de Dieu : c'est la seule volonté du priant qui est demandée, afin que la volonté de Dieu s'accomplisse, en raison de cette totale confiance que nous Lui accordons.

Le premier témoin et la première messagère de la résurrection du Christ n'est ni un prêtre, ni un théologien, ni un chef d’État, ni un apôtre, ni un homme de sexe masculin et ni un savant mais Marie-Madeleine, une pécheresse complètement convertie par l'Amour de Dieu. Elle avait effacé totalement son moi pour laisser la vérité l'interpeller de façon radicale.
Évidemment, le mot "amour" chez Jean de la Croix s'entend comme il l'était au XVIe s. Réduire ce mot à une relation uniquement sexuelle, comme c'est le cas de nos jours malheureusement, serait une erreur. Toutefois, il y a un plaisir religieux, nommé plus justement joie spirituelle qui ne se confond pas avec le plaisir érotique : la communion spirituelle se situe à un autre niveau que la communion charnelle et cette joie intérieure est indicible, rend fort et serein dans l'adversité.
Cette union de l'âme avec Dieu est enseignée dans les Évangiles et les écrits des Pères de l'Eglise. Elle consiste à réaliser l'expérience de Dieu dans sa vie qui est la vocation de l'homme : d'individu qu'il était, il devient une personne, non dans le carcan de la foi mais dans la liberté de la foi.

Les sources

De l'Ancien testament, comme pour tous les Carmes, le prophète Elie est une figure centrale qui se trouve dans le Ier Livre des Rois (XVII, 1-24 ; XXI, 17-28) et dans le Deuxième (I, 2-II, 12). Les Carmes se réfèrent à son sacrifice au mont Carmel (I Rois, XVIII, 20-40) et aux expériences de l'Horeb (Sinaï). Ses miracles annoncent les miracles de Jésus.

Il y a évidemment le Cantique des Cantiques. Ce livre a eu de nombreuses interprétations : pour les Juifs, ce texte dont l'auteur serait Salomon, est lu le 8eme jour après Pâques et exprime l'amour de Dieu et de la nation israélite; la lecture areligieuse en a fait un récit érotique; les Protestants le considèrent comme un récit historique de la vie de Salomon; Origène en fait un récit symbolique avec une lecture chrétienne : la jeune fille est l'Eglise et le bien-aimé est Jésus Christ; les Pères de l'Eglise y lisent l'union de l'âme avec Dieu. Cette dernière lecture a inspiré aussi bien Thérèse d'Avila31 que Jean de la Croix. Bernard de Clairvaux, chantre de la mystique nuptiale, fait référence à la communion de l’époux et de l'épouse : cette symbolique est moins comprise depuis le XVIIIe s. .

Du Nouveau testament, les Évangiles et tout spécialement celui de Jean avec les Épîtres de Saint Paul.
L'influence d'Augustin (354-430) est prédominante avec des restrictions quant à la fiabilité des sens pour connaître Dieu. Le Dominicain Tauler (1300-1361), prédicateur renommé32, a déjà traité du rôle de l'effort et du temps pour vivre l'expérience spirituelle où l'âme découvre Dieu : l'idée de la nuit de la foi que nous trouvons chez Jean de la Croix provient de son sermon 46.

Abordons les quatre livres ont marqué la spiritualité chrétienne.

Le Cantique spirituel

La rédaction du poème a commencé lorsqu'il était incarcéré dans un cachot de Tolède, de la mi-décembre 1577 au 16 août 1578. A peine nourri, malade, maltraité par ses frères en religion et hostiles à sa réforme, il survit car, dans ce dépouillement absolu, la vie spirituelle seule lui permet de tout endurer. Après son évasion, en 1579, il complétera son poème en chantant la Beauté de Dieu. Il existe deux versions de commentaires rédigés par Jean de la Croix.
A la première lecture, celui qui n'entend pas sa poésie a l'avantage de pouvoir lire ses commentaires, strophe par strophe (il y en a 39) : il en restera comme ébloui. Je suis certain qu'après cette initiation, celui-ci relira le poème avec profit. Il procédera de même pour La Nuit obscure.

Comment exprimer à autrui l'indicible expérience de Dieu ? Telle est la question. En effet, les mots sont insuffisants pour communiquer cet état si particulier d'une personne à l'autre. Le symbolisme est le seul moyen de partager cette expérience de l'attrait de l'âme pour le Verbe, c'est-à-dire le Christ, cet Époux de l'âme. Le chemin de la vie est une découverte de Dieu.

Tout commence par une ardente recherche de Dieu qui n'est pas facile. Il y a des temps où Il semble absent et cette absence occasionne diverses souffrances qui ne découragent pas l'âme : il y a l'espérance après les interrogations et les attentes. De la vie naturelle, une vie surnaturelle peut commencer avec la contemplation, véritable école de la Foi. L'amour de l'âme pour Dieu commence par la prise de conscience de l'amour de Dieu pour l'âme. Ainsi ces fiançailles conduisent dans le temps long au mariage spirituel, avec un amour et une joie qui ne cessent pas de croître pour arriver à l'extase : au sens étymologique du terme être hors de soi ou se dresser hors de soi. L'âme devient Dieu par participation pleine et entière. Elle est pacifiée. Elle perçoit toute la signification du Dieu-homme qu'est le Christ. L’œuvre de l'Esprit Saint est achevée. La flamme d'Amour de Dieu réchauffe le cœur et devient source d'eau vive étanchant toute soif pour l'éternité.

La Montée du (mont) Carmel

La montagne est le lieu de la Théophanie et de la Transfiguration. Rédigé en trois livres, il trouve son prolongement dans La Nuit obscure. L'intention de notre auteur est de nous donner les moyens de purifier l'esprit de façon active. Chacun se transfigure progressivement et dans la mesure de sa purification, qui ne sera donc pas la même pour tous. La montée du Carmel évoque déjà la nuit. Ce titre s'adresse aux commençants ou débutants dans la vie spirituelle.
Dans le Prologue, notre auteur donne clairement son intention : "Arriver à la divine lumière de l'union parfaite avec Dieu par amour autant qu'elle est possible en cette vie."33. L'homme, masculin, épouse la Sagesse de Dieu, le féminin34. La Montée du Carmel est un guide pour atteindre le sommet lumineux qui passe par le non-savoir, le non-goûter, le non-avoir, le non-être : toutes choses qui éloignent l'homme de son ego possessif. Il s'agit de vider cœur et esprit trop humains pour les laisser se remplir par la Présence de Dieu.
La mystique n'est ni une introspection, ni une introversion mais une intériorisation qui de la connaissance de soi conduit vers l'universel, la connaissance de Dieu qui met notre cœur en cohérence avec l'Evangile.
Le Christ est un exemple de vie pour chacun. Pour débuter le chemin, la contemplation de la vie du Christ se fait comme la contemplation d'une icône.
Jean nous décrit l'éducation de la volonté, du désir et de l'intention pour nous diriger vers tout ce qui contribue à la gloire de Dieu et à accomplir Sa volonté.
Le commençant cultive une sagesse qui consiste à se méfier des désordres de la raison. La raison conduit à première vue, à des progrès qui sont des régressions au final comme la société post-industrielle l'a démontré : prenez l'exemple de l'homme devenu une machine à rentabiliser, donc ayant encore moins de valeur qu'un individu, au lieu d'être une personne.
Les connaissances humaines35 ne doivent pas entraver notre marche vers la connaissance de Dieu. La Foi nous permet de prendre conscience de cette nuit de la connaissance de Dieu en raison des ténèbres de nos connaissances humaines.
Ainsi, Jean de la Croix offre une analyse entre les connaissances naturelles et surnaturelles. La foi permet de passer de la méditation à la contemplation. La foi exige notre discernement : or, à notre époque, ce qui le plus difficile chez les Catholiques, est de faire preuve de discernement. Ils sont tellement habitués à entendre cette tragique ritournelle : "Il ne faut pas juger" qu'au final, ils sont dans l'incapacité totale de discerner le bien du mal. Ainsi ils acceptent tout en parfaits aveugles et sourds qu'ils sont devenus, tout en étant persuadés d'avoir fait le bon choix qui est de ne jamais choisir... Ne nous étonnons pas que l'Eglise aille à la dérive quand ceci survient même chez certains de ceux qui La dirigent !
La Montée du Carmel offre une hygiène mentale pour découvrir les connaissances spirituelles.

La Nuit obscure

La Nuit est le temps de la Pâque et de la Résurrection, le samedi saint. Inévitablement, nous voyons aussi la sortie du cachot de Jean de la Croix. La purification de l'esprit s'accomplit de façon passive. Ce livre ne s'adresse plus à un commençant qui a lu La Montée du Carmel mais à un progressant sur le chemin de la foi, progressant qui ne doit jamais oublier qu'il n'est pas parfait, qu'il ne doit pas s'illusionner en tombant dans les pièges de ce diable qui sait recouvrir mille visages pour l'éloigner du Visage de Dieu.
Jean de la Croix nous décrit avec précision les comportements à adopter pour qu'au final, Dieu puisse agir en nous afin de nous purifier par le feu de son Amour. Ce qui frappe le plus à la lecture de ce livre, c'est la finesse psychologique de Jean de la Croix : il connaît tous les méandres de l'âme humaine. Il n'a pas fallu attendre Freud ou Jung pour analyser les comportements.

La vive Flamme d'amour

C'est le dernier ouvrage de la vie de Jean de la Croix. Il en a rédigé aussi un commentaire (deux versions) et il s'adresse à tout laïc qui veut vivre cette communion avec Dieu qui s'appelle aussi expérience mystique. Cette flamme est bien entendu l'Esprit Saint.
C'est un magnifique chant pour Dieu et une invitation pressante à ce que l'âme se transforme toujours davantage en l'amour de Dieu. Son intention est de nous faire percevoir l'attrait naturel de l'homme vers Dieu comme le feu qui purifie.
L'âme peut se transformer en amour de Dieu comme "le bois que le feu a transformé en soi et qui se trouve uni au feu. Plus le feu s'active, plus il agit sur le bois et plus celui-ci s'embrase, devient incandescent, au point qu'on lui voit jeter des étincelles et des flammes."36

Strophe 437
"Et combien doux et combien tendre
Tu te réveilles dans mon sein,
Où seul en secret tu demeures !
Par ta douce spiration,
Pleine de richesse et de gloire,
Combien suavement tu m'enivres d'amour."

Les commentaires nous décrivent les joies d'une spiration de l'âme par Dieu : c'est œuvre de Dieu qui a pris chair en Jésus et qui agit par l'Esprit Saint.

Autres écrits

Un accompagnant spirituel trouve d'utiles considérations pour ouvrir la conscience de l'homme à la découverte de Dieu. Quelques titres ont été mentionnés précédemment pour vous faciliter le premier contact avec cet auteur qui se découvre aussi à travers divers témoignages.

Le Père Élysée des Martyrs nous donne un témoignage sur la personnalité de Jean de la Croix en tant que maître spirituel. Voici le premier conseil qui m'a particulièrement intéressé ces dernières années :
"1er Conseil. Le père Jean de la Croix blâmait les supérieurs - surtout des ordres réformés - qui commandaient avec empire. On l'entendait répéter : Celui qui commande avec empire, montre par cela seul qu'il est indigne de gouverner. Il doit, au contraire, faire en sorte que ses inférieurs ne se retirent jamais tristes d'auprès de lui."38

A un directeur spirituel présomptueux, car ce dernier enchaîne au lieu de libérer, Jean de la croix l'interpelle de cette façon :
"Admettons que tu sois propre à conduire une âme qui peut-être n'est pas appelée à monter bien haut, il est comme impossible que tu aies les talents voulus pour toutes celles que tu tiens enchaînées. Dieu mène chaque âme par un chemin différent, tellement que les voies spirituelles qui se ressemblent davantage ne se ressemblent pas de moitié. Qui sera capable de se faire, comme saint Paul, tout à tous pour les gagner tous39? Mais, toi, tu tyrannises les âmes, tu en fais des captives, et tu t'appropries à tel point le monopole de la doctrine évangélique, que non seulement tu mets tout en œuvre pour qu'elles ne te quittent point, mais ce qui est pire, apprends-tu que l'une d'elles a recouru aux conseils d'un autre sur un point dont peut-être il ne convenait point de te parler, - et peut-être est-ce Dieu même qui l'a voulu pour lui procurer l'enseignement que tu ne lui donnais pas, - tu lui fais, je rougis de le dire, des scènes de jalousie comme en pourrait faire un mari ! Tout cela ne vient pas du zèle de la gloire de Dieu, mais de superbe et de présomption. Que sais-tu si cette âme n'a pas eu besoin de s'adresser à un autre?
Dieu s'indigne grandement contre ceux qui agissent ainsi et il les menace de châtiments." 40

Conclusion

Il est impossible de résumer en quelques minutes toutes les analyses très fines de l'âme qui entend s'élever vers Dieu. J'espère que ce court exposé vous incite à découvrir cette œuvre d'une grande profondeur et qui s'adresse à tout maître spirituel, prêtre ou laïc, désireux de libérer l'homme par la foi. Jean de la Croix nous offre une autobiographie spirituelle et c'est en ceci qu'il mérite notre intérêt.

A travers Dieu se produit la maternité de la personne qui est amenée à rayonner de l'Amour de Dieu. C'est ce que nous dit la statue du Sacré-Coeur de Jésus : "Dieu est un cœur, Dieu est tout cœur, Dieu n'est qu'un cœur.". Cet Amour de Dieu ne se mesure pas avec le compas des disciples de la raison mais se vit dans le mystère de la foi.

Pour découvrir la Présence de Dieu en soi, il s'agit d'expérimenter son intériorité. C'est l'au-delà dans l'en-dedans de Saint Augustin. Le bien n'est pas quelque chose à faire mais un Dieu à aimer. A partir de là, que Sa Volonté soit faite !
Ainsi Maurice Zundel peut dire avec joie : " Dieu, c'est quand tu es bon, quand tu es vrai, quand tu aimes, quand tu deviens transparent et lumineux à la vie; Il n'est que formules en dehors de cela."41

Se purifier consiste à vaincre les mauvais appétits pour nourrir le seul désir de connaître Dieu, de renaître avec Dieu. La foi est une lumière qui nous ouvre à Dieu dans les ténèbres de nos connaissances. La vie mystique est de chercher à atteindre l'union avec Dieu. Il convient de cultiver les trois vertus théologales : la foi, l'espérance et la charité42 qui nourriront les trois puissances de l'âme : l'entendement, la volonté, la mémoire. Le chemin est parsemé d'obstacles : le savoir humain, l'imagination, trop de raisonnement, un mauvais maître spirituel, l'appétit des sens, l'attachement excessif aux biens matériels, la présomption de savoir, l'orgueil spirituel, ...

De cette communion de l'âme avec Dieu, se produit une nouvelles naissance : l'homme nouveau. L'homme est transfiguré. Il convient dès lors d'avoir l'expérience de Dieu dans sa vie plutôt qu'une connaissance théorique de Dieu.

Si vous voulez vivre une expérience mystique, vous avez en Jean de la Croix un guide sûr. Et si vous ne faites pas tout le miel de sa lecture, je vous en recommande deux autres : Angelus Silesius au XVIIe s. et Maurice Zundel au XXe s. que je vous présenterai bientôt.


Antoine Schülé
La Tourette, 10 février 2020
1 Jean de la Croix (trad. et éd. critique de Marie du Saint Sacrement et Dominique Poirot) : Œuvres complètes. Cerf. Paris. 2010. 1876 p. p. 286. Parole adressée aux Carmélites déchaussées de Béas. Ci-après : Jean de la Croix, OC.
2 Saint Augustin : Les Confessions. Collection Garnier, t. II, livre 10, chap XXVII, p. 119
3 1 Jean, 4, 12.
4 Thérèse d'Avila : Le château de l'âme, appelé aussi Le livre des demeures.
5 Jean de la Croix, OC, p. 361.
6 Le gourou enferme alors que le Christ libère. Un prêtre qui vous libère est le reflet du Christ. Celui qui vous enferme est un usurpateur. Il y en a et la foi donne ce discernement qui le confond à ceux qui n'abdiquent leurs facultés d'analyse à la lumière de la foi.
7 Une minorité certes mais bel et bien nocive, sans compter ceux qui cultivent une superficialité déconcertante quand ce n'est pas une parfaite ignorance de la foi. Il y en a et je les ai rencontrés pour tester la réalité de ma foi mais, heureusement, j'ai eu les grâces d'apprécier des prêtres animés de cet Amour de Dieu qui rayonne encore en eux et ceci même après leur passage à Dieu.
8 Ils sont indigne de revêtir les habits du Christ pour corrompre les âmes.
9 Il en a connu plusieurs.
10 Maurice Zundel : La liberté de la foi. Ed. Saint-Augustin. Saint-Maurice (Suisse). 1992. 124 p. (p. 101).
11 C'est la raison pour laquelle il faut prier pour sa conversion.
12 Jean de la Croix, OC, p. 1507-1508.
13 Ou un cœur noble.
14 Un silence intérieur aussi : le fracas du tumulte des idées s'estompe pour entrer dans une écoute.
15 Un don de Dieu qu'il convient de ne pas ignorer ou négliger !
16 Jean de la Croix: OC, p. 280.
17 1515 - 1581. Elle eut aussi à souffrir de la sottise humaine. En 1970, déclarée docteur de l'Eglise par Paul VI. Elle a fondé quinze couvents.
18 Tactique traditionnelle pour réduire au silence une personnalité forte, vivant sa foi avec confiance.
19 Son ordre a nommé un envoyé pour le convaincre d'immoralité avec les Carmélites.
20 En se livrant à un activisme effréné pour oublier leurs peurs ou, pire, pour se donner une image valorisante...
21 Et jamais fossilisée !
22 Elle peut être subite lors d'une circonstance particulière ou s'effectuer dans la longue durée, dans un pas-à-pas progressif, mettant parfois notre patience à l'épreuve.
23 Jean de la Croix : OC, p. 1223. cs B 1,11.
24 Ce qu'il faut bien préciser.
25 Blaise Pascal : Pensées. 278
26 Jean de la Croix, OC, p. 1495. Vive flamme (B), 3,6.
27 Maurice Zundel (textes choisis par Paul Debains) : Le problème que nous sommes. La Trinité dans notre vie.Le Sarment. 2005. 384 p. p. 249-250
28 Cancer, problème cardiaque, troubles cérébraux, ulcères.
29 Chanoine R. D. (+) de l'ordre du Grand-Saint-Bernard.
30 Sous les habits sacerdotaux, certains - des exceptions - atteignent le comble de l'ignominie. Il suffit d'une pomme pourrie pour pourrir tout le panier. D'où l'importance de ne pas mettre les œufs dans le même panier !
31 Thérèse d'Avila : Le château de l'âme
32 83 sermons lui sont attribués avec certitude.
33 Jean de la Croix, OC, p. 575.
34 Dans le Cantique des Cantiques , l'âme féminine rejoint l'époux qu'est Dieu, masculin.
35 Jean de la Croix:, OC, Couplets sur une extase de sublime contemplation. p. 129.
36 Jean de la Croix, OC, P. 1086.
37 Jean de la Croix : p. 1537.
38 Jean de la Croix, OC, p. 233.
39 1 Co 9,22.
40 Jean de la Croix, OC, p. 1523. Je vous invite à lire les châtiments !
41 Maurice Zundel : Humble présence. 97.
42 La Croix de Camargue nous les crie.

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