Jean
de la Croix
(1542
- 1591)
"Cherchez
en lisant et vous trouverez en méditant;
appelez
en priant et l'on vous ouvrira dans la contemplation."
Jean
de la Croix1.
"La
poésie est le réel vraiment absolu."
Novalis.
Fragments.
Tout
homme de foi effectue un
parcours spirituel
qui n'a rien de statique mais qui répond à une dynamique,
insufflée par l'Esprit
Saint chez les
Chrétiens. Cette
dynamique étant
de nature spirituelle
ou surnaturelle, une
confusion est née chez certains qui concluent
qu'il existe une séparation totale entre l'esprit et le corps. Or
cette idée est fausse : l'esprit a besoin du corps;
l'esprit en est la respiration vitale qui porte un nom : l'âme. Oui,
l'homme est digne de
respect car il est plus qu'un corps, il est une âme
qui demande à rayonner par son corps. Bien entendu, certains
ignorent malheureusement qu'ils ont une âme qu'ils étouffent par
une soif de possession ou par les
satisfactions uniquement de leurs sens
ou de leur seul entendement,
en se mettant à la seule écoute de leur ego.
Plusieurs
religions offrent des expériences
spirituelles qui
répondent à des interrogations qui élèvent l'homme au-dessus de
sa condition humaine.
Il est curieux que des Européens négligent la spiritualité
chrétienne pour rechercher au Tibet, en Inde ou ailleurs,
au fin fond d'un désert ou au sommet d'une montagne,
ce qui est l'âme de la culture chrétienne.
Pour
celle-ci, Dieu est
partout et il est inutile de Le chercher ailleurs.
Encore mieux, Dieu
est en nous :
depuis Saint
Augustin, il est
impossible de l'ignorer. Écoutons-le
pour disposer de la clef qui ouvre le chemin mystique qui
nous conduit à la
découverte de la beauté de Dieu :
"Tard
je vous ai aimée,
Beauté
si ancienne et si nouvelle, tard je vous ai aimée.
C'est
que vous étiez au-dedans de moi,
et,
moi, j'étais en dehors de moi !
Et
c'est là que je vous cherchais;
ma
laideur se jetait sur tout ce que vous avez fait de beau.
Vous
étiez avec moi et je n'étais pas avec vous.
Ce
qui loin me retenait,
c'étaient
ces choses qui ne seraient pas, si elles n'étaient en vous.
Vous
m'avez appelé, vous avez crié,
et
vous êtes venu à bout de ma surdité;
vous
avez étincelé,
et
votre splendeur a mis en fuite ma cécité;
vous
avez répandu votre parfum, je l'ai respiré
et
je soupire après vous;
je
vous ai goûtée
et
j'ai faim et soif de vous;
vous
m'avez touché
et
je brûle du désir de votre paix."2
Or
cette magnifique profession de foi d'Augustin trouve sa source dans
l'Evangile de Jean :
"Personne
n'a jamais vu Dieu;
si
nous nous aimons les uns les autres,
Dieu
demeure en nous et son amour parfait est en nous.
Nous
connaissons que nous demeurons en Lui et qu'Il demeure en nous,
en
ce qu'Il nous a donné son Esprit.
Et,
nous nous avons vu et nous attestons
que
le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde.
Celui
qui confessera que
Jésus
est le Fils de Dieu,
Dieu
demeure en lui, et lui en Dieu.
Et,
nous, nous avons connu l'amour que Dieu a pour nous,
et
nous n'y avons pas cru.
Dieu
est amour;
et
celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu,
et
Dieu demeure en lui."3
Avec
ces deux citations, vous disposez de deux clefs pour comprendre les
œuvres de Jean de la Croix comme de Thérèse d'Avila4.
Dans
le commentaire du Cantique spirituel (A), Jean de la Croix
reprend, une nouvelle fois et sous une autre forme, cette pensée de
Saint Augustin, exprimée dans Soliloque et que redira
très souvent au XXe s. Maurice Zundel dans ses homélies
: "Je ne Te trouvais pas, Seigneur; parce que je Te cherchais
mal : je Te cherchais au-dehors et tu étais au-dedans."5.
Il
suffit de retrouver Dieu dans chacune de nos vies. La vie est faite
de différents "passages", des Pâques : le
bébé que nous étions est mort d'une certaine façon pour donner
naissance à un enfant qui lui-même s'est effacé pour devenir un
adolescent qui ensuite devient un adulte pour normalement devenir un
senior avant d'affronter le dernier passage, à une autre vie que
nous avons à choisir durant notre vie terrestre : cet instant du
suprême dépouillement est la mort dont le Christ ne cesse de nous
faire comprendre tout le sens. Mais L'écoutons-nous vraiment ?
La
Foi
reçue au baptême est une
grâce de Dieu et
pour que cette grâce reçue porte du fruit, une
vie chrétienne devrait être
un passage
progressif vers une communion toujours plus intime avec Dieu.
Malheureusement trop de personnes s'arrêtent en chemin ou
sont détournées de
cette rencontre de Dieu au plus intime de nous-même
!
Heureuses
sont les personnes qui ont mené une vie chrétienne en bénéficiant
de guides spirituels qui
ne sont pas des gourous6
mais des compagnons de route sur ce
long parcours
de la foi qui exige de
nombreux renoncements.
Les
bons guides
partagent leurs expériences, juste le temps qu'il faut et
surtout pas plus, soit
pour nous
relever, soit pour que
nous poursuivions
d'un pas plus assuré, soit encore pour montrer la
voie à suivre et qu'ils ne peuvent pas accomplir à notre place.
Un
constat est aussi
regrettable que
consternant : de
prétendus Chrétiens et parfois même quelques
prêtres7
réussissent à détourner
de Dieu des croyants
qui ne demandaient qu'à vivre leur foi
! Oui, cette situation tragique est possible quand le religieux
n'est plus le reflet vivant du Christ mais uniquement un être
contemplant avec une satisfaction bouffie son ego,
camouflé sous des habits sacerdotaux8.
Un
théologien mystique Maurice
Zundel réagissait
vivement face au
cléricalisme outrancier de quelques
prêtres, certes
minoritaires mais qui causent tant
de dommages à
l'Eglise. Le
plus simple est de lui donner la parole
quand il nous parle d'un de ses confrères,
se prenant pour un satrape9
religieux :
"Il
se peut que des hommes d’Église se comportent parfois comme des
satrapes et s'attribuent un pouvoir usurpé, comme l'âne de la fable
s'attribuait la vénération qui s'adressait aux reliques dont il
était chargé. La foi tranquillement continuera à vénérer les
reliques, en renvoyant in petto l'âne à son râtelier."10
Oui, un prêtre qui ainsi perd son âme, âne devient et le reste
tant qu'il ne vit pas la conversion vers Dieu11
: Dieu est patient mais l'homme peut être têtu !
Les
mauvais guides spirituels sont vivement critiqués et voici ce que
Jean de la Croix dit dans Vive flamme d'Amour (commentaire B)
: "Bien des maîtres spirituels font beaucoup
de mal à de nombreuses âmes [car] ils
n'entendent rien aux voies et aux propriétés de l'esprit."12
A
l'écoute de la Parole
Pour
nourrir l'âme, qui, comme le corps, a besoin de nourriture, l'écoute
de la Parole de Dieu est essentielle. Tout
a commencé au moment
de notre deuxième
naissance,
lors de notre baptême. Au baptême, nous avons été, à nouveau,
engendrés non pas d'une semence corruptible mais d'une semence
incorruptible. Cette semence est dans notre cœur de baptisé : un
cœur de qualité13,
"kaloskagathos"
en grec, permet la renaissance de l'âme de Dieu dans l'âme de
l'homme : là est notre cœur à cœur avec Dieu. Dès que vous vivez
ce moment extraordinaire,
auquel chacun de nous est appelé,
vous vivez votre conversion
à Dieu, vous vivez
en mystique
chrétien.
Évidemment, pour se
laisser remplir de la Présence de Dieu en soi, il est nécessaire
d'effacer son moi, les
déterminismes qui nous
enchaînent et même nos connaissances qui peuvent nous induire en
erreur... Dans ce dépouillement intérieur, la nuit de Jean de la
Croix devient une aurore, la lumière de la foi commence
à nous éclairer.
L'Esprit accomplit
alors son œuvre et spiritualise la chair
: saint Paul
dans
ses Épîtres ne cesse pas de nous le dire et le redire.
Tout
prend sa source à
la "lectio
divina" :
cette lecture du Nouveau
testament, tout
spécialement, nous relie à Dieu, nous découvre ce Dieu qui nous
attend dans notre cœur
et qui s'entend
seulement dans
le silence14.
L'humilité de
l'homme consiste
à Lui faire confiance,
à
s'en remettre à Lui totalement et à
refuser le désespoir, fruit de notre orgueil
qui ignore
la miséricorde de Dieu et
qui croit que
tout dépend
de notre seule volonté,
sans l'aide de Dieu.
La
lecture de Jean de la Croix permet de découvrir ou redécouvrir
les fondamentaux d'une spiritualité chrétienne. Pour quelle
raison cette quête est utile ? Dans sa vie, tout homme s'interroge,
une fois ou l'autre, sur le sens de son existence et, le plus
souvent, cette réflexion le conduit à une quête de Dieu qui
se démontre de différentes façons.
Certains
se disent athées mais leurs actes disent Dieu (ils L'ont trouvé
mais pas reconnu). Les vrais Chrétiens placent leurs actions sous le
regard de Dieu et la recherche de la vérité les guide : parmi eux,
ceci suscite d'ailleurs parfois plus de haine que de reconnaissance
mais le Christ en a subi bien plus avant que d'être crucifié.
Quelques autres se disent Chrétiens mais leurs actes
nient Dieu (ils L'ont connu mais L'ont nié). Les propos ne suffisent
pas ! Leurs actes trahissent leur fausseté, à une personne encore
capable de discernement15.
Jean de la Croix disait :
"Il
y a des âmes qui se roulent dans la boue comme les animaux immondes,
et d'autres qui prennent leur vol comme les oiseaux et deviennent
dans les airs nettes et pures."16
Jean
de la Croix est un homme spirituel du XVIe
siècle espagnol et il a été publié
et donc lu surtout au
XVIIe
s. Il est fêté le 14 décembre. Il nous partage son expérience
vécue avec Dieu et ainsi nous aide à
approfondir notre foi,
dans le secret de notre chambre et de notre cœur. La
relation avec Dieu se construit jour après jour au moyen d'oraisons
fréquentes et de contemplation.
La vie terrestre du croyant laïc ou consacré devient une union avec
Dieu qui se purifie,
s'intensifie pour se
laisser embraser par la flamme d'amour,
la charité de l'Esprit Saint.
Brève
biographie
Issu
d'une famille pauvre, Juan de Yepes est né en 1542 à
Fontiveros (Vieille Castille). Il ne reçoit pas une formation
scolaire durant son enfance. Très jeune, il travaille manuellement :
menuiserie, confection, ciselure, peinture. Dans un couvent, il
devient aide-soignant.
En
1559, soit seulement à l'âge de 17 ans, dans une école de
Jésuites, il apprend à écrire et reçoit les premiers
rudiments de la philosophie. En 1563, sa dévotion à la Vierge Marie
le décide de se mettre dans les pas du Christ, chez les Frères
Carmes de Medina. A sa prise d'habit, il reçoit le nom de Frère
Jean de Saint-Mathias.
Ouvrons
une brève parenthèse quant à l'origine de l'ordre des Carmes : au
XIIe s., une douzaine de moines, à l'imitation du
prophète Elie, vivent en des grottes creusées dans les parois du
Mont Carmel. Leur vie s’accomplit dans la prière, la solitude et
la contemplation silencieuse, au service du Christ et de Marie :
Marie étant la plénitude cachée de la vie rayonnante en Dieu à
partir du moment où elle a prononcé ces mots : "Que Ta
volonté soit faite, Seigneur." Parole que redira le Christ
sur la Croix.
De
1564 à 1568, il suit des cours à l'université de Salamanque,
très réputée pour la qualité de son enseignement. A 25 ans,
durant l'été 1567, il célèbre sa première messe.
Toutefois,
la vie religieuse chez les Carmes ne lui donne pas satisfaction et il
envisage de quitter cet ordre pour rejoindre les Chartreux. Sa
rencontre avec Thérèse d'Avila17,
son aînée car née en 1515, le décide à rester car elle lui
propose une réforme de l'ordre des Carmes dans un nouveau
monastère masculin à l'identique de ce qu'elle a accompli chez ses
religieuses. En 1568, il accompagne Thérèse à Valladolid. Par
elle, nous savons que Jean de La Croix était de petite taille, ce
que sa tombe confirme.
Le
28 novembre 1568, un nouveau couvent est inauguré à Duruelo
(Avila). La vie conventuelle, de ceux qui seront appelés les Carmes
déchaussés, se partage dans le silence entre la méditation de
l’Écriture Sainte, des veilles dans la prière contemplative, le
vécu de la charité fraternelle, le travail et le service d’Église.
En 1570, sa communauté est transférée à Mancera (Salamanque).
Surgissent alors des oppositions vives à cette réforme voulue et
initiée par Thérèse d'Avila. Jean est séquestré à Medina del
Campo.
Il
est même incarcéré à Tolède dans un cachot pendant 8 mois et
demi en 1578. Son temps de prison, où il subit des flagellations
quotidiennes, lui permet de rédiger le début du "Cantique
spirituel". Il réussit à s'enfuir et doit se cacher.
Il est recteur d'un nouveau couvent. En 1584, il achève la rédaction
du "Cantique spirituel".
En
1585, le Père Nicolas de Jésus Marie Doria est élu supérieur de
l'ordre du Carmel. Très autoritaire, il se montre d'une grande
dureté à l'égard de ceux qui ne partagent pas son point de vue.
Vous savez ainsi pourquoi Jean de la Croix est critique contre cette
déviance tyrannique d'un détenteur de pouvoir qui en abuse,
phénomène qu'il a toujours dénoncé avec vigueur.
En
1591, Jean de la Croix est marginalisé18
complètement par ses confrères de la Réforme dont il a été
pourtant l'initiateur et l'ardent défenseur. Il refusait la
centralisation de l'ordre des Carmes car il souhaitait, comme Thérèse
d'Avila, des carmels indépendants. Il est calomnié19,
épuisé par leurs comportements mais, la grâce reçue au baptême
est plus forte, il reste fidèle à Dieu et confiant en Lui. Le corps
couvert d'ulcères mais resplendissant intérieurement de l'amour de
Dieu, il meurt dans la nuit du 13 au 14 décembre 1591.
Il
sera béatifié le 25 janvier 1675, canonisé le 27 décembre 1726 et
proclamé docteur de l'Eglise le 24 août 1926.
Son
œuvre écrite
Elle
se divise en trois genres
différents : les poèmes qui lui
ont donné sa notoriété comptent
moins
de mille vers;
des écrits spirituels
remarquables par leur élan mystique
et des lettres
qui ont échappé à la destruction et nous permettent de mieux le
comprendre. Les
titres les plus connus sont
: Cantique
spirituel,
Montée du
Carmel, Nuit
obscure et
Vive flamme.
Bien entendu, si la mystique chrétienne ne vous est pas inconnue,
vous pouvez les lire sans aucun difficulté. Toutefois, si ce sujet
reste
pour vous un "mystère",
quelques conseils de lecture sont utiles.
Jean
de la Croix, à la demande des religieuses du Carmel, a rédigé des
commentaires
de ses poèmes. Je ne vous
cache pas que,
pour ma part et ne
connaissant pas l'espagnol,
j'ai eu un plus
grand
bénéfice à lire ces commentaires : ceux-ci m'ont permis de goûter
la profondeur des poèmes
avec lucidité et de
comprendre enfin Le
Cantique des Cantiques
de l'Ancien testament
qu'il est
utile d'avoir lu au
préalable.
Pour
un débutant qui ignore tout du sujet
- et c'est normal
d'aborder un sujet que est
inconnu, car c'est ainsi
que l'on commence à apprendre
-, je conseille deux
écrits, courts et magnifiques pour saisir en plénitude la pensée
de Jean de la Croix : Paroles
de lumière et d'amour
et Degrés de
perfection.
Pour
les personnes consacrées
et les personnes qui sont au service de l'Eglise -
et non de leur personne20
-, la lecture initiale
à privilégier est d'une
vingtaine de pages vivifiantes et qui aident grandement au
discernement : Les
précautions,
Les quatre avis
à un religieux,
Les degrés de
perfection et
Censure et
jugements donnés sur les voies spirituelles tenues par une
carmélite.
Contexte
du XVIe siècle
Pour
différentes raisons, l'Eglise de ce temps connaît de grands
troubles : ils
sont plus politiques
que religieux. La
religion a été le prétexte soigneusement instrumenté pour motiver
des foules naïves dont la sincérité ne peut pas être mise en
doute,
alors que l'esprit de calcul des manipulateurs est évident. De ce
mal, en est sorti un bien : une
renaissance de la spiritualité chrétiennes,
dans la tradition des Pères de l'Eglise grecs et latins et de ces
grands maîtres spirituels du Moyen Age
que la plupart des Catholiques de nos jours ignorent
: Eckart, Tauler par exemples
pour prendre les plus récents par rapport à Jean de la Croix.
Reconnaissons que cette
méconnaissance n'est pas
de leur fait
: la faute en incombe à ceux qui ont voulu et
veulent délibérément
ignorer la Tradition
vivante21
de l'Eglise, en passant
sous silence des chefs-d’œuvre de la Foi.
En
quelques mots, Jean de la Croix affirme qu'il ne s'agit pas seulement
d'imiter le Christ mais de
se configurer au
Christ. Comment y
parvenir ? Créer un
vide intérieur pour accueillir en
plénitude la présence de Dieu en soi où Dieu se trouve déjà et
ne demande qu'à se faire entendre.
Ce vide intérieur se produit en effaçant les réalités passagères
et créées pour ne plus vivre qu'en présence de Dieu. Ces
réalités passagères à rejeter sont multiples : nos idées, nos
préjugés, nos connaissances, nos affections humaines, nos désirs,
notre soif de reconnaissance... La démarche est plus facile pour un
berger sans instruction car il entend mieux ce qui est dit dans le
secret de son cœur. Pensez à tous les bergers de l'Ancien testament
qui entendent suivent la
Parole de Dieu !
L'orgueil
scientifique de nos jours nuit parfois à la
vie spirituelle : tout doit s'expliquer; le monde invisible n'existe
plus car seul ce qui est observable jouit d'une existence; ce qui
échappe à la seule raison n'a aucune valeur. Cet orgueil
scientifique conduit à l'ignorance scientifique !
Pourtant, les plus grands
génies reconnaissent que les limites extrêmes de leurs découvertes,
dans l’infiniment grand comme dans l'infiniment petit, leur
révèlent
qu'il y a encore quelque chose de plus grand à découvrir et qui,
pour l'instant, ne s'explique pas. Il
en va de même pour ce qu'il faut bien appeler le
mystère de le foi.
Ce
Dieu qui nous attend dans nos cœurs révèle son Amour qui nous fait
aimer le Christ et notre âme
n'a dès lors plus qu'un
souhait : s'unir au Christ, Dieu qui s'est fait homme.
Par cette union que
l'Esprit Saint
construit lors de notre
véritable conversion22,
nous sommes transfigurés.
Cet Amour du Christ nous
transfigure. Notre poète
mystique emploie la symbolique nuptiale (avec
Dieu) et filiale (avec
le Christ) pour nous
démontrer que l'homme
peut épouser la Sagesse de Dieu quand nous laissons Dieu épouser
notre âme, car nous
sommes libres de Le refuser ou de Le recevoir. Il y a une acceptation
mutuelle en sachant que l'acceptation de Dieu nous est toujours
acquise pour autant que nous la refusions pas ! Dans le silence et
l'humilité, nous pouvons rendre possible l’œuvre de Dieu dans
l'âme.
Donnons
la parole à Jean de la Croix :
"Tu
sais maintenant, chère âme, ce que tu as à faire pour retrouver
l’Époux dans la retraite de ton cœur.
Si cependant
tu désires quelque chose de
plus, écoute une
parole substantielle, une
vérité
inaccessible à l'entendement
humain. Cherche
ton Époux dans la
foi et l'amour, sans prendre
en rien ta
jouissance, sans rien goûter, sans
rien entendre au-delà de ce que tu dois savoir. La
foi et l'amour
sont les deux
conducteurs
d'aveugle qui te mèneront, par des chemins inconnus
de toi, jusqu'aux secrets abîmes de Dieu.
La foi, ce secret dont nous avons parlé,
joue le rôle des pieds qui portent
l'âme vers Dieu; l'amour est le guide qui lui montre la route.
Lorsqu'elle contemplera, qu'elle approfondira les mystères et les
secrets de la foi, elle méritera que l'amour lui découvre ce que
renferme la foi, je veux dire l’Époux qu'elle appelle de ses
vœux."23
Jean
de la Croix a médité le Cantique
des Cantiques et les
fruits de sa méditation ont nourri ses deux œuvres majeures : Le
Cantique spirituel et
La vive Flamme d'Amour.
Pour se faire comprendre,
il compare l'Amour avec
Dieu et l'amour qui unit
deux êtres. Il s'agit
d'un amour
est oblatif24
: chacun se donne à l'autre. Ce qui est contraire à l'amour
possessif où
l'un étouffe l'autre qui s'étiole et,
au final, se réduit à
n'être qu'un objet dont le pire destin est soit
de terminer
en objet jetable, soit
de devenir interchangeable
selon les besoins.
L'amour humain, pour
autant qu'il soit vrai donc oblatif,
n'est qu'une ébauche de l'Amour divin, le point
commun
est que tous deux donnent la vie, une vie humaine
avec un potentiel spirituel
ou une vie spirituelle immédiate. Nous passons
tous, nous hommes,
par un double enfantement. Cette compréhension n'est pas de l'ordre
du cerveau mais du cœur : être à l'écoute de son cœur n'a jamais
interdit l'emploi du cerveau qui est bel et bien nécessaire pour
comprendre le cœur (pensez à Pascal : "C'est
le coeur qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce que c'est que la
foi :
Dieu sensible
au coeur et non à la raison."25
Encore faut-il que notre
intelligence en ait
conscience !).
Dans
La vive Flamme d'Amour qu'est l'Esprit Saint, voici l'extrait,
un peu long mais que je vous donne complètement où Jean de la Croix
met dans la bouche de l’Époux, Dieu, qui parle à
l'épouse qu'est votre âme, ses propos qui m'ont décidé à le
lire complètement et à vous en parler en ce jour :
"Une
personne qui en aime une
autre et qui lui fait du bien l'aime et lui fait bien selon ses
qualités, selon ses propriétés personnelles.
Ainsi
ton Époux résidant en toi en tant que tout-puissant, il t'aime et
te fait bien selon sa toute-puissance.
Infiniment
sage, il t'aime et te fait du bien selon l'étendue de sa sagesse.
Infiniment
bon, il t'aime et te fait du bien selon l'étendue de sa bonté.
Infiniment
saint, il t'aime et te fait du bien selon l'étendue de sa sainteté.
Infiniment
juste, il t'aime et t'accorde ses grâces selon l'étendue de sa
justice.
Infiniment
miséricordieux, clément et compatissant, il te fait éprouver sa
clémence et sa compassion.
Fort,
exquis, sublime en son être, il t'aime d'une manière forte, exquise
et sublime.
Infiniment
pur, il t'aime selon selon l'étendue de sa pureté.
Souverainement
vrai, il t'aime selon l'étendue de sa vérité.
Infiniment
libéral, il t'aime et te comble de grâces selon l'étendue de sa
libéralité, sans aucun intérêt propre et dans la seule vue de te
faire du bien.
Souverainement
humble, il t'aime avec une souveraine humilité et fait de toi une
souveraine estime.
Il
t'élève jusqu'à lui, il se découvre à toi joyeusement et avec un
visage plein de grâce dans cette voie de sa connaissance.
Et
tu l'entends te dire : "Je suis à toi et pour toi; je me
réjouis d'être ce que je suis, afin de me donner à toi et d'être
tien à jamais.""26
L'essentiel
de la pensée de Jean de la Croix réside dans cette citation.
Voici
donc le seul moyen de s'unir à Dieu : ainsi, au XVIe s.,
vous ont été décrits le commencement, le milieu et la fin de ce
parcours spirituel qui nous transfigure selon les grâces reçues qui
ne dépendent pas des seules onctions sacerdotales ou de la seule vie
conventuelle, rassurez-vous.
Tout
acte de vie, dans la mesure où vous le confiez à Dieu, peut devenir
un acte de prière et de contemplation : les parents devant le
sourire de l'enfant; une mère s'activant au ménage ou préparant le
repas qui sera pris en commun; le soignant qui soulage son patient;
l'enseignant qui ouvre l'esprit de son élève; la conscience
accordée à son activité professionnelle; une action bénévole en
faveur d'autrui; un temps de prière pour autrui (les défunts comme
les vivants); la contemplation de la beauté de la création divine
(un panorama, une fleur, une cellule vivante sous le microscope; une
galaxie dans le télescope); une page spirituelle qui vous élève
vers Dieu; un charisme donné à l'un ou à l'autre; un instant de
joie; un élan de confiance; un repas partagé; un esprit consolé;
prier lors d'une souffrance particulière ou d' une guérison
bienvenue; etc..
Maurice
Zundel établit le même constat :
"...
Pourquoi Dieu est-il absent de la rue, absent de la vie
courante et absent de la plupart des existences?
Pourquoi ? C'est parce qu'Il n'a pas de témoins, parce
que Dieu est un pur dedans et ne peut
resplendir qu'à travers un visage qui se transfigure.
Si
notre vie n'est pas transfigurée, si nous n'apportons
pas la joie, si nous n'ajoutons pas à toute réalité
une dimension d'amour, si la vie n'est pas plus belle à
cause de nous, si les autres ne sont pas plus libres et plus heureux
à cause de nous, comment voulez-vous qu'ils sachent que Dieu est là
?"27.
La
lecture de Jean de la Croix répond pleinement à notre besoin
religieux qu'est cette soif d'absolu. Il nous convainc par le
raisonnement sous le souffle de l'Esprit et par la proposition d'une
saine morale que les effets de cette hygiène spirituelle sont de
l’ordre de la psychologie. Oui, guérir l'âme permet de guérir le
corps : il y a des liens évidents et une réciproque. En effet, ceux
qui font souffrir l'âme, font aussi souffrir le corps : la haine
d'une personne peut détruire une autre28
qui ne serait pas assez blindée pour subir les chocs. Un prêtre de
mes amis disait fort justement à une personne endurant bien ds
épreuves : "Si Dieu vous a permis de supporter
de tels actes exercés contre vous, c'est qu'il savait
qu'Il vous avait donné assez de
force pour les supporter. Le Christ, Lui, a
souffert bien plus et porté Sa Croix pour donner Sa
vie afin de nous sauver. Marie, sa mère, a souffert plus que
ce que le cœur d'une mère peut souffrir."29.
Et que chacun, qui subit le mépris de son travail, voire même de sa
personne - car le simple fait d'exister importune parfois celui qu'il
faut bien considérer comme un ennemi -, n'oublie pas qu'il est
important de surmonter cette épreuve de Satan qui se niche, là où
parfois on s'attend le moins à le trouver30.
Le socle de l'espérance chrétienne repose sur une confiance totale
en Dieu même dans un océan déchaîné.
La
Nuit
Qu'est
ce que cette nuit de Jean de la Croix ? En général, cette
expression nuit à la bonne compréhension de sa pensée. Aussi,
apportons un éclairage sur cette idée lumineuse. Le point de
départ de la vie mystique est d'accueillir la nuit pour espérer
l'aurore et pour trouver la lumière de Dieu dont la lampe se nomme
la foi. Cette approche de la lumière est progressive car la
lumière de Dieu est aveuglante. Dans cette nuit, par laquelle le
fidèle passe, il y a un guide : la foi qui permet de croire au-delà
de ce qu'on voit. La prière qui devient un dialogue d'amitié avec
Dieu exprime toute la confiance accordée par le priant qui se sait
aimé de Dieu et qui ainsi s'ouvre à l'amour de Dieu : c'est la
seule volonté du priant qui est demandée, afin que la volonté de
Dieu s'accomplisse, en raison de cette totale confiance que nous Lui
accordons.
Le
premier témoin et la première messagère de la résurrection du
Christ n'est ni un prêtre, ni un théologien, ni un chef d’État,
ni un apôtre, ni un homme de sexe masculin et ni un savant mais
Marie-Madeleine, une pécheresse complètement convertie par l'Amour
de Dieu. Elle avait effacé totalement son moi pour laisser la vérité
l'interpeller de façon radicale.
Évidemment,
le mot "amour" chez Jean de la Croix s'entend comme il
l'était au XVIe s. Réduire ce mot à une relation
uniquement sexuelle, comme c'est le cas de nos jours malheureusement,
serait une erreur. Toutefois, il y a un plaisir religieux, nommé
plus justement joie spirituelle qui ne se confond pas avec le
plaisir érotique : la communion spirituelle se situe à un
autre niveau que la communion charnelle et cette joie intérieure
est indicible, rend fort et serein dans l'adversité.
Cette
union de l'âme avec Dieu est enseignée dans les Évangiles et les
écrits des Pères de l'Eglise. Elle consiste à réaliser
l'expérience de Dieu dans sa vie qui est la vocation de l'homme
: d'individu qu'il était, il devient une personne, non dans le
carcan de la foi mais dans la liberté de la foi.
Les
sources
De
l'Ancien testament, comme pour tous les Carmes, le prophète
Elie est une figure centrale qui se trouve dans le Ier
Livre des Rois (XVII, 1-24 ; XXI, 17-28) et dans le Deuxième
(I, 2-II, 12). Les Carmes se réfèrent à son sacrifice au mont
Carmel (I Rois, XVIII, 20-40) et aux expériences de l'Horeb (Sinaï).
Ses miracles annoncent les miracles de Jésus.
Il
y a évidemment le Cantique des Cantiques. Ce livre a eu de
nombreuses interprétations : pour les Juifs, ce texte dont
l'auteur serait Salomon, est lu le 8eme jour
après Pâques et exprime l'amour de Dieu et de la nation israélite;
la lecture areligieuse en a fait un récit érotique; les
Protestants le considèrent comme un récit historique de la
vie de Salomon; Origène en fait un récit symbolique avec une
lecture chrétienne : la jeune fille est l'Eglise et le
bien-aimé est Jésus Christ; les Pères de l'Eglise y lisent
l'union de l'âme avec Dieu. Cette dernière lecture a inspiré
aussi bien Thérèse d'Avila31
que Jean de la Croix. Bernard de Clairvaux, chantre de la
mystique nuptiale, fait référence à la communion de l’époux
et de l'épouse : cette symbolique est moins comprise depuis le
XVIIIe s. .
Du
Nouveau testament, les Évangiles et tout spécialement
celui de Jean avec les Épîtres de Saint Paul.
L'influence
d'Augustin (354-430) est prédominante avec des restrictions
quant à la fiabilité des sens pour connaître Dieu. Le Dominicain
Tauler (1300-1361), prédicateur renommé32,
a déjà traité du rôle de l'effort et du temps pour vivre
l'expérience spirituelle où l'âme découvre Dieu : l'idée de la
nuit de la foi que nous trouvons chez Jean de la Croix provient de
son sermon 46.
Abordons
les quatre livres ont marqué la spiritualité chrétienne.
Le
Cantique spirituel
La
rédaction du poème a commencé lorsqu'il était incarcéré
dans un cachot de Tolède, de la mi-décembre 1577 au 16 août 1578.
A peine nourri, malade, maltraité par ses frères en religion et
hostiles à sa réforme, il survit car, dans ce dépouillement
absolu, la vie spirituelle seule lui permet de tout
endurer. Après son évasion, en 1579, il complétera son poème
en chantant la Beauté de Dieu. Il existe deux versions de
commentaires rédigés par Jean de la Croix.
A
la première lecture, celui qui n'entend pas sa poésie a l'avantage
de pouvoir lire ses commentaires, strophe par strophe (il y en a 39)
: il en restera comme ébloui. Je suis certain qu'après cette
initiation, celui-ci relira le poème avec profit. Il procédera de
même pour La Nuit obscure.
Comment
exprimer à autrui l'indicible expérience de Dieu ? Telle est
la question. En effet, les mots sont insuffisants pour communiquer
cet état si particulier d'une personne à l'autre. Le symbolisme
est le seul moyen de partager cette expérience de l'attrait de
l'âme pour le Verbe, c'est-à-dire le Christ,
cet Époux de l'âme. Le chemin de la vie est une
découverte de Dieu.
Tout
commence par une ardente recherche de Dieu qui n'est pas facile. Il y
a des temps où Il semble absent et cette absence occasionne diverses
souffrances qui ne découragent pas l'âme : il y a l'espérance
après les interrogations et les attentes. De la vie naturelle,
une vie surnaturelle peut commencer avec la contemplation, véritable
école de la Foi. L'amour de l'âme pour Dieu commence par la
prise de conscience de l'amour de Dieu pour l'âme. Ainsi ces
fiançailles conduisent dans le temps long au mariage spirituel, avec
un amour et une joie qui ne cessent pas de croître pour arriver à
l'extase : au sens étymologique du terme être hors de soi
ou se dresser hors de soi. L'âme devient Dieu par
participation pleine et entière. Elle est pacifiée. Elle perçoit
toute la signification du Dieu-homme qu'est le Christ. L’œuvre de
l'Esprit Saint est achevée. La flamme d'Amour de Dieu réchauffe le
cœur et devient source d'eau vive étanchant toute soif pour
l'éternité.
La
Montée du (mont) Carmel
La
montagne est le lieu de la Théophanie et de la Transfiguration.
Rédigé en trois livres, il trouve son prolongement dans La Nuit
obscure. L'intention de notre auteur est de nous donner les
moyens de purifier l'esprit de façon active. Chacun se
transfigure progressivement et dans la mesure de sa purification, qui
ne sera donc pas la même pour tous. La montée du Carmel évoque
déjà la nuit. Ce titre s'adresse aux commençants ou débutants
dans la vie spirituelle.
Dans
le Prologue, notre auteur donne clairement son intention : "Arriver
à la divine lumière de l'union parfaite avec Dieu par amour autant
qu'elle est possible en cette vie."33.
L'homme, masculin, épouse la Sagesse de Dieu, le féminin34.
La Montée du Carmel est un guide pour atteindre le sommet
lumineux qui passe par le non-savoir, le non-goûter,
le non-avoir, le non-être : toutes choses qui
éloignent l'homme de son ego possessif. Il s'agit de vider cœur et
esprit trop humains pour les laisser se remplir par la Présence de
Dieu.
La
mystique n'est ni une introspection, ni une introversion mais une
intériorisation qui de la connaissance de soi conduit vers
l'universel, la connaissance de Dieu qui met notre cœur en
cohérence avec l'Evangile.
Le
Christ est un exemple de vie pour chacun. Pour débuter le chemin, la
contemplation de la vie du Christ se fait comme la contemplation
d'une icône.
Jean
nous décrit l'éducation de la volonté, du désir et de l'intention
pour nous diriger vers tout ce qui contribue à la gloire de Dieu et
à accomplir Sa volonté.
Le
commençant cultive une sagesse qui consiste à se méfier des
désordres de la raison. La raison conduit à première vue, à
des progrès qui sont des régressions au final comme la société
post-industrielle l'a démontré : prenez l'exemple de l'homme devenu
une machine à rentabiliser, donc ayant encore moins de valeur qu'un
individu, au lieu d'être une personne.
Les
connaissances humaines35
ne doivent pas entraver notre marche vers la connaissance de Dieu. La
Foi nous permet de prendre conscience de cette nuit de la
connaissance de Dieu en raison des ténèbres de nos connaissances
humaines.
Ainsi,
Jean de la Croix offre une analyse entre les connaissances naturelles
et surnaturelles. La foi permet de passer de la méditation à la
contemplation. La foi exige notre discernement : or, à notre époque,
ce qui le plus difficile chez les Catholiques, est de faire preuve de
discernement. Ils sont tellement habitués à entendre cette tragique
ritournelle : "Il ne faut pas juger" qu'au final,
ils sont dans l'incapacité totale de discerner le bien du mal. Ainsi
ils acceptent tout en parfaits aveugles et sourds qu'ils sont
devenus, tout en étant persuadés d'avoir fait le bon choix qui est
de ne jamais choisir... Ne nous étonnons pas que l'Eglise aille à
la dérive quand ceci survient même chez certains de ceux qui La
dirigent !
La
Montée du Carmel offre une hygiène mentale pour découvrir les
connaissances spirituelles.
La
Nuit obscure
La
Nuit est le temps de la Pâque et de la Résurrection, le samedi
saint. Inévitablement, nous voyons aussi la sortie du cachot de
Jean de la Croix. La purification de l'esprit s'accomplit de façon
passive. Ce livre ne s'adresse plus à un commençant qui a lu
La Montée du Carmel mais à un progressant sur le
chemin de la foi, progressant qui ne doit jamais oublier qu'il n'est
pas parfait, qu'il ne doit pas s'illusionner en tombant dans les
pièges de ce diable qui sait recouvrir mille visages pour l'éloigner
du Visage de Dieu.
Jean
de la Croix nous décrit avec précision les comportements à adopter
pour qu'au final, Dieu puisse agir en nous afin de nous purifier par
le feu de son Amour. Ce qui frappe le plus à la lecture de ce livre,
c'est la finesse psychologique de Jean de la Croix : il connaît tous
les méandres de l'âme humaine. Il n'a pas fallu attendre Freud ou
Jung pour analyser les comportements.
La
vive Flamme d'amour
C'est
le dernier ouvrage de la vie de Jean de la Croix. Il en a rédigé
aussi un commentaire (deux versions) et il s'adresse à tout laïc
qui veut vivre cette communion avec Dieu qui s'appelle aussi
expérience mystique. Cette flamme est bien entendu l'Esprit
Saint.
C'est
un magnifique chant pour Dieu et une invitation pressante à ce que
l'âme se transforme toujours davantage en l'amour de Dieu. Son
intention est de nous faire percevoir l'attrait naturel de l'homme
vers Dieu comme le feu qui purifie.
L'âme
peut se transformer en amour de Dieu comme "le bois que le
feu a transformé en soi et qui se trouve uni au feu. Plus le feu
s'active, plus il agit sur le bois et plus celui-ci s'embrase,
devient incandescent, au point qu'on lui voit jeter des étincelles
et des flammes."36
Strophe
437
"Et
combien doux et combien tendre
Tu
te réveilles dans mon sein,
Où
seul en secret tu demeures !
Par
ta douce spiration,
Pleine
de richesse et de gloire,
Combien
suavement tu m'enivres d'amour."
Les
commentaires nous décrivent les joies d'une spiration de l'âme par
Dieu : c'est œuvre de Dieu qui a pris chair en Jésus et qui agit
par l'Esprit Saint.
Autres
écrits
Un
accompagnant spirituel trouve d'utiles considérations pour ouvrir la
conscience de l'homme à la découverte de Dieu. Quelques titres ont
été mentionnés précédemment pour vous faciliter le premier
contact avec cet auteur qui se découvre aussi à travers divers
témoignages.
Le
Père Élysée des Martyrs nous donne un témoignage sur la
personnalité de Jean de la Croix en tant que maître spirituel.
Voici le premier conseil qui m'a particulièrement intéressé ces
dernières années :
"1er
Conseil. Le père Jean de la Croix blâmait les supérieurs
- surtout des ordres
réformés - qui commandaient avec empire. On
l'entendait répéter : Celui qui commande avec empire,
montre par cela seul qu'il est indigne de gouverner. Il doit, au
contraire, faire en sorte que ses inférieurs ne se retirent jamais
tristes d'auprès de lui."38
A
un directeur spirituel présomptueux, car ce dernier enchaîne au
lieu de libérer, Jean de la croix l'interpelle de cette façon :
"Admettons
que tu sois propre à conduire une âme qui peut-être n'est
pas appelée à monter bien haut, il est comme impossible
que tu aies les talents voulus pour toutes celles que tu tiens
enchaînées. Dieu mène chaque âme par un
chemin différent, tellement que les
voies spirituelles qui se ressemblent davantage ne se ressemblent pas
de moitié. Qui sera capable de se faire, comme saint Paul,
tout à tous pour les gagner tous39?
Mais, toi, tu tyrannises les âmes, tu en fais des
captives, et tu t'appropries
à tel point le monopole de la doctrine évangélique, que non
seulement tu mets tout en œuvre pour
qu'elles ne te quittent point, mais ce qui est
pire, apprends-tu que l'une d'elles a recouru
aux conseils d'un autre sur un point dont peut-être il
ne convenait point de te parler, - et peut-être est-ce
Dieu même qui l'a voulu pour lui procurer l'enseignement
que tu ne lui donnais pas, - tu lui fais,
je rougis de le dire, des scènes de jalousie comme en
pourrait faire un mari ! Tout
cela ne vient pas du zèle de la gloire de Dieu, mais de superbe et
de présomption. Que sais-tu
si cette âme n'a pas eu besoin de s'adresser à un autre?
Dieu
s'indigne grandement contre ceux qui agissent ainsi et il les menace
de châtiments." 40
Conclusion
Il
est impossible de résumer
en quelques minutes toutes les analyses très fines de l'âme qui
entend s'élever vers Dieu. J'espère que ce court exposé vous
incite à découvrir cette
œuvre d'une
grande profondeur et qui
s'adresse à tout maître spirituel, prêtre ou laïc,
désireux de libérer
l'homme par la foi.
Jean de la Croix nous
offre une autobiographie
spirituelle et c'est
en ceci qu'il mérite notre intérêt.
A
travers Dieu se produit la maternité de la personne qui est amenée
à rayonner de l'Amour de Dieu.
C'est ce que nous
dit la statue du Sacré-Coeur de Jésus : "Dieu
est un cœur, Dieu est tout cœur, Dieu n'est qu'un cœur.".
Cet Amour de Dieu ne se mesure pas avec le compas des disciples de la
raison mais se vit dans le mystère de la foi.
Pour
découvrir la Présence
de Dieu en soi, il
s'agit d'expérimenter son intériorité. C'est l'au-delà dans
l'en-dedans de Saint Augustin.
Le bien n'est pas quelque chose à faire mais un Dieu à aimer. A
partir de là, que Sa Volonté soit faite !
Ainsi
Maurice Zundel peut dire avec joie : "
Dieu, c'est quand tu es bon, quand tu es vrai, quand tu aimes, quand
tu deviens transparent et lumineux à la vie; Il n'est que formules
en dehors de cela."41
Se
purifier consiste à vaincre les mauvais appétits pour nourrir le
seul désir de connaître Dieu, de
renaître avec Dieu. La
foi est une lumière qui nous ouvre à Dieu dans les ténèbres de
nos connaissances. La
vie mystique est de chercher à atteindre l'union avec Dieu.
Il convient de cultiver les trois vertus théologales : la foi,
l'espérance et la charité42
qui nourriront les trois puissances de l'âme : l'entendement, la
volonté, la mémoire. Le chemin est parsemé d'obstacles : le savoir
humain, l'imagination, trop de raisonnement, un mauvais maître
spirituel, l'appétit des sens, l'attachement excessif aux biens
matériels, la présomption de savoir, l'orgueil
spirituel, ...
De
cette communion de l'âme avec Dieu, se produit une nouvelles
naissance : l'homme nouveau. L'homme est transfiguré. Il
convient dès lors d'avoir l'expérience de Dieu dans sa vie plutôt
qu'une connaissance théorique de Dieu.
Si
vous voulez vivre une expérience
mystique, vous avez en Jean de la Croix un guide sûr. Et
si vous ne faites pas tout le miel de sa lecture,
je vous en recommande
deux autres : Angelus Silesius au
XVIIe
s. et Maurice Zundel
au XXe
s. que je vous présenterai
bientôt.
Antoine
Schülé
La
Tourette, 10 février 2020
1 Jean
de la Croix (trad. et éd. critique de Marie du Saint Sacrement et
Dominique Poirot) : Œuvres complètes. Cerf. Paris. 2010.
1876 p. p. 286. Parole adressée aux Carmélites déchaussées de
Béas. Ci-après : Jean de la Croix, OC.
2 Saint
Augustin : Les Confessions. Collection Garnier, t. II, livre
10, chap XXVII, p. 119
3 1
Jean, 4, 12.
5 Jean
de la Croix, OC, p. 361.
6 Le
gourou enferme alors que le Christ libère. Un prêtre qui vous
libère est le reflet du Christ. Celui qui vous enferme est un
usurpateur. Il y en a et la foi donne ce discernement qui le
confond à ceux qui n'abdiquent leurs facultés d'analyse à la
lumière de la foi.
7 Une
minorité certes mais bel et bien nocive, sans compter ceux qui
cultivent une superficialité déconcertante quand ce n'est pas une
parfaite ignorance de la foi. Il y en a et je les ai rencontrés
pour tester la réalité de ma foi mais, heureusement, j'ai eu les
grâces d'apprécier des prêtres animés de cet Amour de Dieu qui
rayonne encore en eux et ceci même après leur passage à Dieu.
8 Ils
sont indigne de revêtir les habits du Christ pour corrompre les
âmes.
9 Il
en a connu plusieurs.
10 Maurice
Zundel : La liberté de la foi. Ed. Saint-Augustin.
Saint-Maurice (Suisse). 1992. 124 p. (p. 101).
11 C'est
la raison pour laquelle il faut prier pour sa conversion.
12 Jean
de la Croix, OC, p. 1507-1508.
13 Ou
un cœur noble.
14 Un
silence intérieur aussi : le fracas du tumulte des idées s'estompe
pour entrer dans une écoute.
15 Un
don de Dieu qu'il convient de ne pas ignorer ou négliger !
16 Jean
de la Croix: OC, p. 280.
17 1515
- 1581. Elle eut aussi à souffrir de la sottise humaine. En 1970,
déclarée docteur de l'Eglise par Paul VI. Elle a fondé quinze
couvents.
18 Tactique
traditionnelle pour réduire au silence une personnalité forte,
vivant sa foi avec confiance.
19 Son
ordre a nommé un envoyé pour le convaincre d'immoralité avec les
Carmélites.
20 En
se livrant à un activisme effréné pour oublier leurs peurs ou,
pire, pour se donner une image valorisante...
21 Et
jamais fossilisée !
22 Elle
peut être subite lors d'une circonstance particulière ou
s'effectuer dans la longue durée, dans un pas-à-pas progressif,
mettant parfois notre patience à l'épreuve.
23 Jean
de la Croix : OC, p. 1223. cs B 1,11.
24 Ce
qu'il faut bien préciser.
25 Blaise
Pascal : Pensées. 278
27 Maurice
Zundel (textes choisis par Paul Debains) : Le problème que nous
sommes. La Trinité dans notre vie.Le Sarment. 2005. 384 p. p.
249-250
28 Cancer,
problème cardiaque, troubles cérébraux, ulcères.
29 Chanoine
R. D. (+) de l'ordre du Grand-Saint-Bernard.
30 Sous
les habits sacerdotaux, certains - des exceptions - atteignent le
comble de l'ignominie. Il suffit d'une pomme pourrie pour pourrir
tout le panier. D'où l'importance de ne pas mettre les œufs dans
le même panier !
31 Thérèse
d'Avila : Le château de l'âme
32 83
sermons lui sont attribués avec certitude.
33 Jean
de la Croix, OC, p. 575.
34 Dans
le Cantique des Cantiques , l'âme féminine rejoint l'époux
qu'est Dieu, masculin.
35 Jean
de la Croix:, OC, Couplets sur une extase de sublime
contemplation. p. 129.
36 Jean
de la Croix, OC, P. 1086.
37 Jean
de la Croix : p. 1537.
38 Jean
de la Croix, OC, p. 233.
39 1
Co 9,22.
40 Jean
de la Croix, OC, p. 1523. Je vous invite à lire les châtiments !
41 Maurice
Zundel : Humble présence. 97.
42 La
Croix de Camargue nous les crie.
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