samedi 7 juillet 2018

Poésie sacrée (partie 2)



Poésie sacrée II

Antoine Schülé
La Tourette, mars 2018



Pour la deuxième fois, prenons un temps de découverte ou de redécouverte de poésies sacrées. Tout est en bon français mais, au moyen de diverses traductions du chinois, de l’hindi, du provençal, du latin et de l’allemand : nous irons aussi vers la poésie sacrée d’autres pays, d’autres civilisations.

Ayant lu des sages du Tibet, de la Chine (cultivant essentiellement une sagesse), de l’Inde ou du Moyen Orient (une sagesses qui s’élève à une mystique) comme de la Grèce (conduisant à une union de la foi et de la raison), j’ai trouvé qu’au cœur de cette poésie, il y avait un souffle commun, une spiritualité : celui de l’humanisme mais, attention, pas de n’importe quel humanisme, comme cet humanisme matérialiste qui réduit l’homme à être non une personne mais un objet. Il y a véritablement un humanisme religieux proche, très proche parfois, de notre humanisme chrétien qui a deux mille ans d’histoire et qui, pourtant, a été manipulé comme déformé de mille et une façons par quelques-uns, très souvent pour le pire. C’est pourquoi je crois que le souffle de Dieu s’est fait entendre dans tout l’univers selon l’entendement des hommes qui L’ont écouté. Prenons connaissance de ces différentes écoutes de Dieu par l’homme qui Lui répond !

Mon intérêt quant aux autres religions est né, en 1988, à la lecture d’un livre que je vous recommande : Henri de La Bastide : Les quatre chemins 1 au cœur des civilisations. Différentes façons de vivre et d’exprimer une spiritualité y sont bien décrites. L’Occident est la civilisation de la Personne. Chez les arabes islamisés, nous avons la civilisation de la Parole. En Inde, nous avons la civilisation du Geste. En Asie, la civilisation du Signe et en Afrique, la civilisation du Rythme.

Avant de commencer, j’exprime mon regret de voir des Européens rechercher dans d’autres pays, une spiritualité avec des guides du Katmandou, des moines tibétains… alors qu’ils pourraient trouver tout ce qu’il recherche dans le christianisme. L’Église a le devoir de faire connaître sa tradition spirituelle si riche et pourtant si ignorée des fidèles.

Ma démarche s’inscrit dans un dialogue interreligieux bien précis : il s’agit de connaître d’autres religions sans vouloir effacer les différences, tout relativiser, bricoler une religion nouvelle constituée comme un patchwork, ainsi que cela se pratique trop souvent, sous couvert d’un œcuménisme mal compris. Les religions parlent de Dieu ou d’un dieu (le mot mot chinois di signifie Dieu) mais prêtons attention que ce nom ne recouvre pas la même divinité entendue par les Chrétiens. Pour un Chrétien Jésus est le Messie, le Sauveur, mais pour les Musulmans Jésus est un prophète ; la lecture de l’Ancien et Nouveau Testament est différente chez un Chrétien, un Juif ou chez un Musulman.
A la lecture des textes sacrés, il apparaît très clairement des différences de vocabulaire : les mots ne recouvrent pas les mêmes notions. L’hindouisme a un vocabulaire sacré qui nous échappe et je dois me fier à des traductions et divers dictionnaires qui explicitent des notions inconnues à la première lecture. Méfions-nous des fausses ressemblances ou de lectures faussées par des gens pleins de bonne volonté, probablement de bonne foi mais bien souvent dans l’erreur !
Par contre ne négligeons pas les points communs en se braquant uniquement sur les différences. Trouvons le juste milieu comme dirait Confucius !
Des points communs : dominer ses désirs, rechercher une connaissance pure, trouver l’apaisement du corps comme de l’âme, adresser des prières, méditer et penser sur la place de l’homme dans la création, un vide intérieur pour entendre Dieu, Dieu qui se révèle à l’homme (Juifs, Chrétiens, Musulmans), chercher des réponses à des questions existentielles, mêlé le temporel et le spirituel…

Des différences : l’existence de plusieurs dieux, des dieux anthropomorphes, la négation de l’immortalité de l’âme, Dieu extérieur à l’homme, un vide intérieur négatif, l’homme qui découvre un divin (par la sagesse dans le bouddhisme par exemple), accepter que des questions restent sans réponse, séparer le temporel et le spirituel...

Rendons-nous vers la Chine avec une religion qui est aussi une philosophie très pragmatique. L’homme spirituel est aussi bien l’homme de pouvoir que l’homme le plus indigent d’un point de vue financier. Écoutons :

Confucius  ( 552-479 av. J.-C.) : La Grande Étude (Ta Hio)

Lorsqu’il parle des princes, il parle de l’autorité exerçant un pouvoir politique et religieux. J’ai retenu cet extrait qui me paraît être une bonne illustration de sa sagesse et je remarque qu’il y a de nombreuses similitudes entre les livres sapientiaux de l’Ancien testament et les quatre livres de, ou attribués à, Confucius. Observez les gradations successives pour que le gouvernant puissent réussir à faire briller tous les cœurs de ses administrés.

« En toute chose, il faut distinguer le principal et l’accessoire, et dans les affaires, la fin et le commencement. Celui qui sait mettre chaque chose en son rang , n’est pas loin de la voie de la Grande Étude ou de la perfection.
Les anciens princes, pour faire briller les vertus naturelles dans le cœur de tous les hommes, s’appliquaient auparavant à bien gouverner chacun sa principauté. Pour bien gouverner leurs principautés, ils mettaient auparavant le bon ordre dans leurs familles. Pour mettre le bon ordre dans leurs familles, ils travaillaient auparavant à se perfectionner eux-mêmes. Pour se perfectionner eux-mêmes, ils réglaient auparavant les mouvements de leurs cœurs. Pour régler les mouvements de leurs cœurs, ils rendaient auparavant leur volonté parfaite (ils s’appliquaient à vouloir sincèrement et à faire le bien, à haïr et éviter de le mal). Pour rendre leur volonté parfaite, ils développaient leurs connaissances le plus possible. On développe ses connaissances en scrutant la nature des choses. »2

Sur la conduite du sage dans la vie, Confucius s’exprime ainsi et cette citation me renvoie au Livre de Job :
« Le sage règle sa conduite d’après la condition dans laquelle il se trouve ; il ne désire rien en-dehors de sa condition. Dans les richesses et les honneurs, il agit comme il convient à un homme riche et honoré. Dans la pauvreté et l’abjection, il agit comme un homme pauvre et méprisé. Au milieu des barbares de l’occident ou du septentrion, il agit comme il convient au milieu de ces barbares. Dans le malheur ou la souffrance, il agit comme il convient dans le malheur et la souffrance. Partout et toujours le sage a ce qui lui suffit, à savoir la vertu. » mais qu’est-ce que la vertu ?

La vertu consiste à éviter de faire du mal en action ou en parole, à tenir ses promesses et faire en sorte que ses paroles répondent à ses actions et ses actions à ses paroles. Le livre des Proverbes ou de la Sagesse dans l’Ancien Testament ne dit pas autre chose. Partager cette sagesse fondamentale de l’humanité, en les appliquant dans la vie active, est un pont possible avec cette spiritualité qui s’adresse à tout homme et qui est développée aussi par l’humanisme chrétien.

Dans le Livre d’entretiens avec Confucius, nous apprenons que son acquisition de la sagesse est l’affaire de toute une vie :
Le Maître dit : « A quinze ans, je m’appliquais à l’étude de la sagesse ; à trente ans, je marchais d’un pas ferme dans le chemin de la vertu ; à quarante, j’avais l’intelligence parfaitement éclairée ; à cinquante ans, je connaissais les lois de la Providence ; à soixante ans, je comprenais sans avoir à réfléchir, tout ce que mon oreille entendait ; à soixante-dix ans, en suivant les désirs de mon cœur, je ne transgressais aucune règle. »

Plus loin, Confucius donne un art de vivre avec les autres  :
« Le Maître dit : «  Le sage est accommodant avec tout le monde, mais il n’a pas de complaisance coupable. L’homme vulgaire est complaisant pour le mal, et n’est pas accommodant avec tous. »

Ou encore : Qu’est-ce qu’un bon prince au sens de chef d’État ? Ce n’est pas en raison de l’actualité de cette semaine que je soulève la question :
« Mon maître parle quand il est temps de parler, et ses paroles ne fatiguent personne Il rit, quand il est temps de se réjouir, et son rire ne déplaît à personne . Il accepte quand la justice le permet et personne ne trouve à redire. »

Qu’est-ce que la vertu parfaite ? 
« Celui-là est parfait qui est capable de pratiquer cinq choses partout et toujours. » […] «  Ce sont la gravité du maintien , la grandeur d’âme, la sincérité, la diligence et la bienfaisance. La gravité du maintien inspire le respect ; la grandeur d’âme gagne les cœurs ; la sincérité obtient la confiance ; la diligence exécute les œuvres utiles ; la bienfaisance rend facile la direction des hommes. »

Dans les Œuvres de Meng tzeu, le commentateur de Confucius, nous avons cette belle page sur une question de choix préalable de vie que toute femme ou tout homme peut accomplir par l’exercice de la volonté  :
« Koung tou tzeu, interrogeant Meng tzeu, dit : « Tous les hommes sont également hommes. Comment se fait-il que les uns deviennent de grands hommes, et des autres des hommes vulgaires ? ». Meng Tzeu répondit : «  Ceux qui suivent la direction de la plus noble partie de leur être, deviennent de grands hommes ; ceux qui suivent les penchants de la moins noble, deviennent des hommes méprisables. »
A la façon de Socrate, il y un jeu de questions et réponses, toute réponse suscitant une nouvelle question :
« Puisqu’ils sont tous également hommes, reprit Koung tou tzeu , pourquoi suivent-ils les uns la direction la plus noble de leur être, les autres, les penchants de la moins noble ? » « Les oreilles et les yeux, répondit Meng tzeu, n’ont pas pour office de penser, et sont trompés par les choses extérieures. Les choses extérieures sont en relation avec des choses dépourvues d’intelligence, à savoir, avec nos sens, et ne font que les attirer. L’esprit a le devoir de penser. S’il réfléchit, il arrive à la connaissance de la vérité ; sinon il n’y parvient pas. Tout ce qui est en nous, nous a été donné par le Ciel3. Lorsqu’un homme suit fermement la direction de la plus noble partie de lui-même, la partie inférieure ne peut usurper ce pouvoir. Il devient un homme vraiment grand. ».

Meng tzeu dit : «  Il y a des dignités conférées par le Ciel, et les dignités conférées par les hommes. La bienveillance, la justice, la sincérité, la bonne foi, une ardeur infatigable pour faire le bien sont des dignités conférées par le Ciel. Celles de prince, de ministre d’État, de grand préfet sont des dignités conférées par des hommes. »

Les Chrétiens considèrent la vie intérieure comme élément de base de son humanisme. Confucius a pratiqué de même et sur cette base s’est construite une éthique. Mao a récupéré le confucianisme en se mettant à la place de Dieu… Henri VIII d’Angleterre, Napoléon couronné empereur se sont mis à place du Pape...

Après la Chine, portons-nous vers l’Inde :

Le bouddhisme
Pour les Occidentaux, l’approche de cette religion est plus difficile. Il n’y a pas une doctrine, un message, une parole à étudier. Il s’agit de la transmission d’une expérience spirituelle dont la racine est l’hindouisme (le védisme4 que l’on trouve en Iran avec le mazdéisme). Il n’y a pas de prescription morale sur la mort, la naissance ou le mariage. Par contre, nous sommes ici avec un foisonnement de dieux, de déesses et d’esprits.
Le Prince Siddhartha devient Bouddha selon le récit bien connu. A la fin du VIIIe s., le Tibet l’adoptera. Ne proposant pas un type de société, cette religion s’est adaptée à de nombreux systèmes politiques différents.

En résumé, le désir est la cause de la souffrance. Le bonheur peut être une souffrance car nous savons qu’il ne durera pas, si ce n’est pas l’Éveil. Le désir ne peut mener qu’à l’insatisfaction. Pour échapper à la souffrance, le seul moyen est de la cessation totale du désir.
Voir les faits et en soi-même de façon juste est une nécessité de vérité. En se libérant de la sensualité et de la malveillance et en nous orientant vers la compassion, nous pouvons avoir une conception juste.
La parole juste nécessite le refus du mensonge, de la calomnie, de la médisance, de l’injure et du bavardage. L’action juste évite la violence, le vol et les relations sexuelles illicites, selon les lois communément admises (il n’y a pas une morale : polyandrie ou polygamie ou autre pratique sexuelle sont admises si la la loi l’autorise ; force de la coutume pas remise en cause).
Le moyen d’existence juste consiste à ne faire tort à personne. Pour surmonter les états d’esprit négatifs, il s’agit de méditer pour cultiver un climat de paix. Cultiver une attention juste afin de rester vigilant sur tous les phénomènes vécus. Se concentrer sur un objet de méditation conduit à un état d’extase qui mène au nirvana : cet état où l’on éprouve ni passion, ni angoisse, ni douleur, une sorte d’état d’apesanteur, un détachement de soi et du monde. Lucidité et vérité sont les gages de réussite.

La Bhagavad-Gîtâ, œuvre de 18 000 versets, est un des livres qui a inspiré et enseigné Gandhi dans sa vie. Sri Krishna parle avec son disciple Arjuna. Il s’agit d’un enseignement. Entendons quelques extraits qui illustrent ce qui précède :

Versets 20-215 :
Qui ne se réjouit des joies ni ne s’afflige des peines, celui dont l’intelligence est fixée sur l’âme , qui ne connaît pas l’égarement et possède la science de Dieu, celui-là a déjà transcendé la matière. L’être libéré n’est pas soumis à l’attrait des plaisirs matériels du monde extérieur, car il connaît l’extase intérieure. Se vouant à l’Être suprême , il goûte une félicité sans bornes.

Versets 22
L’homme d’intelligence ne s’adonne jamais aux plaisirs des sens : il ne s’y complaît point, ô fils de Kunti, car ils ont un début et une fin et n’apportent que la souffrance.

Qu’est-ce qu’un yogi ? Et je ne résiste pas à vous établir une étymologie qui est signifiante. Le mot yogi, se retrouve dans le mot joug qui vient du latin jugum (prononcé yougoume). Il s’agit d’un attelage vu comme une union. Le Yogi a un lien avec Dieu, une union. Le mot initial ne considère pas ceci comme un fardeau mais comme un lien. Le mot latin jugum a pour sens aussi servitude mais signifie encore cime, crête...

Verset 1
Il est le sannyasi, le vrai yogi, celui qui s’acquitte de ses devoirs sans attachement aucun pour les fruits de ses actes, et non celui qui n’allume pas le feu, qui se retranche de l’action.

Les actes dans ce monde sont donc bel et bien nécessaires. Un organe du corps n’agit pas uniquement pour lui-même mais pour le bien du corps entier. De même, tout homme agit pour le bien de la communauté.

Le fruit de cette sagesse est l’acquisition d’une sérénité en toute circonstance et ce verset le dit en peu de mots :
Verset 8
On appelle yogi, âme réalisée, l’être à qui la connaissance spirituelle et la réalisation de cette connaissance donnent la plénitude. Il a atteint le niveau spirituel et possède la maîtrise de soi. D’un œil égal il voit l’or, le caillou et la motte de terre.

Quittons la Chine et l’Inde pour revenir dans le Sud de la France avec de la

Poésie religieuse occitane
qui nous met en lien avec la Provence, le Langue d’Oc et le nord de l’Espagne.
Il est d'usage pour parler de la foi de faire référence à de grands auteurs qui n'étaient lus ou connus que d'une élite religieuse et intellectuelle. Or le peuple avait une foi simple s'exprimant non seulement par des pratiques religieuses mais aussi par de courtes poésies, très souvent chantées, offrant des synthèses de foi chrétienne.
Ces poésies s'attachent à dire l'essentiel et nous permettent de percevoir l'expression d'une piété populaire. Aujourd'hui, je veux vous entraîner avec des auteurs du Midi, à en découvrir quelques-unes.

Nous commençons par un auteur anonyme du XIIe s. probablement. Le point de départ de sa poésie chantée est la couronne d’épines du Christ :

Anonyme
Nos péchés forment une couronne d’épines sur nos corps appelés pourtant à être corps du Christ. Cet auteur anonyme se reconnaît pécheur et formule avec élégance son option pour les joies éternelles, les joies terrestres n’ayant qu’un temps court. Ce chant a pour titre :

Une épine cruelle
Une épine cruelle
reste au-dedans de mon cœur
plus amère que fiel;
j'en défaille nuit et jour,
elle me fait languir
et perdre le sens.

Le dard qui me fait languir
c'est le jugement,
où je dois comparaître
sans nulle défaillance,
j'en soupire beaucoup
et j'en souffre.

De toutes mes actions
j’aurai à rendre compte,
lors de ce jugement
que je sois roi ou comte,
au Roi très grand,
Dieu souverain.

Tout homme pécheur
doit avoir grande peur
de ce jour de tristesse
et il doit avec soin
purifier sa conscience
et prier Dieu.

David grand pécheur
donne l’exemple
lorsque il demande
grâce à Dieu avec tant de pleurs,
prononçant les sept psaumes
dévotement :

Jésus, par ton amour souverain,
tu as fait comme le pélican,
percer ton cœur précieux
pour notre bien.

Jésus parce que j’ai failli,
voici que mon temps est accompli,
mes jours passent légèrement
comme les ombres et les vents.

Jésus, fais moi vivre comme un juste
et tenir tes commandements
pendant mes petits jours temporels
pour arriver aux éternels.

Pierre Cardenal (vers 1180 – v. 1272)6

Il est l’auteur de chants d’une grande spiritualité et s’est montré très critique vis-à-vis des écarts de certains membres du clergé (les protestants ou anticléricaux ne veulent retenir bien entendu que cette partie précise de son œuvre mais, là, s’est abusé le lecteur en profitant de sa méconnaissance ! Pratique fréquente !).
Pour donner sens au signe de la croix, le troubadour Peire Cardenal a établi un texte rempli de fraîcheur et que tout auditeur pouvait facilement retenir, surtout sous sa forme chantée.
Au Moyen Age, le chant était une pratique joyeuse où la poésie religieuse se mêlait à la poésie profane. Je signale qu’il y avait moins de pudibonderie dans ces chants profanes que ce que l’on pourrait croire.

La Croix
Des quatre têtes de la Croix,
l’une est tournée vers le firmament,
l’autre en-dessous vers l’abîme,
et l’autre vers l’orient,
et l’autre vers l’occident,
et ainsi elle nous apprend
que le Christ a tout en son pouvoir.

La Croix est le droit étendard
du Roi dont dépend toute chose,
qu’on doit suivre en toute saison,
en accomplissant Ses volontés :
qui plus en fait, plus en prend,
et tout homme qui s’en signe
est sûr d’avoir bonne place.

Christ en croix est mort pour nous,
détruisit en mourant notre mort,
et vainquit en croix l’orgueilleux,
sur le bois il vainquait les hommes.
En Croix Il œuvra le salut.
Et en Croix, Il régna et Il règne,
en Croix, il a voulu nous racheter.

Ce fait est merveilleux:
le bois où Mort prit naissance
voit naître la vie et le pardon.
Tout homme qui daigne l’y chercher
en Croix peut trouver vraiment
le fruit de l’arbre de la connaissance.

Ce fruit nous est offert à tous,
cueillons-le amoureusement,
car ce fruit est si beau, si bon
pour qui le cueille gentiment,
est pour toujours une vie précieuse.
Qu’il ne le dédaigne donc de le faire
tant qu’il en a le lieu et le loisir.

Et, comme nous sommes proche de la Semaine sainte 2018, je fais une parenthèse géographique pour vous transmettre un autre auteur italien qui a écrit des chants sur la croix qui sont , selon moi, d’une très grande beauté, je veux parler de

Saint Bonaventure ou Jean de Firenza (1221-1274)

qui a prêché avec succès dans le Midi de la France et il vaudrait la peine de lui consacrer une communication.
Il est aussi l’auteur d’une louange à la Sainte Croix en latin. Écoutez quelques extraits :

Str. 1
Souviens-toi de la sainte croix
qui mène à la vie parfaite ,
jouis-en sans cesse.
De la sainte croix souviens-toi
et médite sur elle
Insatiablement.

Tu seras sur la croix sous la conduite du Christ
tant que tu vivras en cette lumière
loin de toute peine.
Ne te repose pas, ne t’attiédis pas,
par elle grandis et réchauffe-toi
dans le désir de ton cœur.

Aime la croix, lumière du monde
et tu auras le Christ pour guide
dans les siècles éternels ;
ceins ton corps de la croix,
étreins-la, décris-la de ta main
en en notant tous les détails.
...
Str. 11
Sois tout entier dans la croix du Christ
avec zèle et l’esprit prêt
à jubiler de douceur ;
la Croix défend le serviteur de Dieu,
elle prend et montre
la route de droiture.

Lorsque tu es tenté et affligé,
abandonné, presque vaincu
dans l’angoisse,
ne reste pas inerte ni lent,
mais sans relâche et avec attention
fortifie ton front par la croix.

Quand tu te reposes et quand tu travailles,
quand tu ris, quand tu pleures,
quand tu souffres, quand tu te réjouis,
quand tu vas, quand tu viens,
dans les plaisirs, dans les peines,
tiens la croix dans ton cœur.

La croix, dans toutes les tribulations,
dans l’adversité et dans la douleur,
est le remède sûr.
La croix, dans les chagrins et les tourments,
est pour l’âme pieuse une douceur
et le vrai refuge.
...
Str. 16
La croix est le salut des âmes,
la lumière véritable et très illustre
et la douceur des cœurs.
La croix est la vie des bienheureux
le trésor des parfaits,
et la beauté et la joie.

Et je m’arrête sur ce dernier extrait car pour réciter les textes complets de chants sur la croix par saint Bonaventure, une heure ne suffirait pas ! Je me permets de dire que celle ou celui qui ne comprend pas l’importance de la croix après l’avoir lu ne comprendra jamais toute la puissance de ce signe et je compatis sur eux !

Revenons à un enfant du terroir avec :

Clément IV, le Pape troubadour (XIIIe s.)

Le mot troubadour a une origine arabe : touroub-el-diour qui se traduit par « hôte chantant la joie en musique ».

Guy Foulques est né à Saint-Gilles pour mourir à Viterbe (Italie) en tant que pape. Avant d’entrer dans les ordres, il a eu une vie de famille : une femme et des enfants. Il existe des descendants de ce pape de façon tout-à-fait normale. Juriste réputé, veuf, il a très vite exercé des fonctions ecclésiastiques importantes. Il a été le conseiller de St. Louis. Pape, il a dévolu le royaume de Sicile à Charles d’Anjou, frère de Louis IX. Durant les deux dernières années de sa vie, il a connu saint Thomas d’Aquin.

A ma plus grande surprise, j’ai entendu un prêtre déclaré qu’il fallait, je cite : «  avoir le cœur bien dur pour ne pas pardonner alors que Dieu pardonne tout d’avance sans qu’on ait besoin de le Lui demander. ». J’ignore où cet homme a fait sa théologie mais j’ai des doutes sérieux quant à sa formation. Il n’est point besoin d’être un fin théologien pour comprendre toutes les conséquences d’un pareil propos adressé à un public ayant déjà une foi bien incertaine  !

Observez comment Clément IV plaide sa cause pour obtenir la pardon de Dieu par l’intermédiaire de Marie. Ne cherchez plus les mots pour formuler cette prière : ils ont déjà été trouvés et prononcés. Écoutez-le  :

Prière à la Vierge Marie
A toi, vierge sainte Marie,
je me recommande nuit et jour,
et te prie de prier pour moi,
car sans toi ma prière ne vaut rien.

Mes péchés m’ont mené si loin
de ton Fils que j’ai offensé
en parlant, en pensant ou consentant,
et si grands sont mes manquements
que je ne pense pas trouver pardon
si tu ne prends pas ma raison.

J’ai dit raison ? Il est donc raisonnable
que de Lui me vienne le pardon ?
Oui, c’est raison car Il a promis
que Sa grâce ne manquerait jamais
à ceux qui voudraient la demander,
quels qu’aient été leurs forfaits.
C’est bien ainsi qu'Il a prêché,
et c’est ce qu’Il laissa par écrit,
nous en avons un signe certain
dans son pardon au publicain,
et aussi à Madeleine
qui était remplie de péchés.

Il donna le paradis au larron
qui Lui demanda le pardon,
et Il pardonna à saint Pierre
qui l’avait renié trois fois.

Je sais donc bien qu’il doit pardonner
à qui sait Lui demander grâce,
et je pense qu’il y ait encore plus tenu
depuis qu’Il est venu en ton corps,
car si avant Il était notre Créateur,
Il est désormais notre Frère.

Te dire non, Il ne le peut,
car , s' Il est Dieu, Il est aussi ton fils.
Et s’ Il a fait cette loi d’honorer Sa mère,
Il ne peut l’enfreindre à ton propos.

Un fidèle de ce temps-là avec cette simple prière, diffusée dans l’Occident chrétien, en savait plus que certains ecclésiastiques de nous jours ! Cela laisse songeur !

Et terminons notre voyage littéraire et religieux en terre du Sud avec :

Jean de Valès (XVIIe s.)
Il nous reste deux œuvres de lui : une œuvre profane divertissante intitulée « Virgile déguisé », aussi appelé « Enéide burlesque » car il s’agit bel et bien d’une parodie burlesque de Virgile ; une poésie religieuse remarquable avec ce recueil ayant pour titre « Sept psaumes pénitentiels de David », paru en 1652.
Il déclare sa confiance au pardon de Dieu en précisant, lui aussi, qu'un cœur repentant et contrit est nécessaire pour l'obtenir. Tout chrétien qui omet cette précision signifie qu'il n'a pas lu le Nouveau Testament !

De profundis
Du plus profond du cœur, ô Dieu des merveilles,
plongés dans l'affliction, j'en appelle à vous.
Écoutez seulement la voix de mon humble prière
et pour l'entendre mieux faites-vous tout oreilles.

Seigneur, si vous avez un regard sur nos péchés,
qui pourra se tenir assez sûr devant vous !
Mais vous faites fort bien, grand Dieu, de nous punir
car qui vous aimerait, s'il n'y avait lieu de craindre7 ?

La grâce suit partout votre divine essence
et j'ai toujours compté obtenir votre pardon,
sachant que votre loi promet au pécheur
contrit et repentant rémission de l'offense.

Mon âme a patienté en cette confiance
puisque votre parole vaut plus qu'argent comptant.
Et pourvu que mon cœur parle en vrai pénitent,
d'être un jour pardonné, il doit avoir l'espoir.

Je vous avais promis un voyage dans le temps et l’espace. Aussi rendons-nous en d’autres lieux avec Angelus Silesius (de son vrai nom Johannes Scheffler) au XVIIe s..

Angelus Silesius

Saint Augustin et Jan van Ruysbroeck ont influencé cet auteur exactement comme Thomas More dont nous avons abordé l’œuvre récemment. Je l’ai découvert grâce Maurice Zundel qui le cite volontiers.

Comme son pseudonyme le révèle, il est né en Silésie, territoire allemand à cette époque. Il est né le 25 décembre 1624 à Breslau ou Wroclaw (Pologne actuelle). Il a étudié à Strasbourg la médecine, l’histoire et la politique. Il a séjourné à Leyde (Hollande) et fini ses études à Padoue (Italie du Nord) pour obtenir le titre de docteur en médecine et philosophie.
Au contact de Jésuites, il abandonna le luthéranisme pour se convertir au catholicisme le 12 juin 1653 dans l’église Saint Mathieu de Breslau. Il devint un parfait soldat de la catholicité. Il est l’auteur de plusieurs écrits mais son œuvre majeure a pour titre Le pèlerin chérubi(ni)que.

Il a voulu montrer le chemin de la vérité en éclairant les Chrétiens sur la signification vivante du christianisme et sur les mystères de la foi. Son livre n’est ni un traité, ni une doctrine, ni un manuel mais un livre faisant écho à ses nombreuses lectures dont celles de St. Augustin.
Il écrit en mystique : il révèle sa vie illuminée par Dieu et nous invite à le suivre sur ce chemin d’élévation. Il compose des sentences, pour la plupart, en deux vers (distique), en allemand dont je vous donne uniquement la traduction française.

Caractéristiques : un appel constant au dépouillement de soi et à une condamnation de l’égoïsme et du culte de l’ego ; une confiance en la grâce de Dieu.

Il faut retrouver la quiétude ou le repos comme la paix en Dieu. Toutefois, ce quiétisme n’est ni passivité, ni indifférence. Il y a une lutte à livrer avec la volonté. Pas n’importe quelle volonté ? Il s’agit non de faire sa volonté mais la volonté de Dieu, à la façon de Marie qui a dit à l’ange du Seigneur : « Que cela soit fait selon ta volonté ! », ainsi Dieu a pu s’incarner en sa chair. Il s’agit de dissoudre sa volonté propre en celle de Dieu pour pouvoir dès lors agir en toute liberté, c’est-à-dire avec une parfaite égalité d’âme. Cet abandon à Dieu n’est pas un laissez-aller spirituel mais un nouvel effort de volonté et de lutte contre soi-même pour répondre à la vie exemplaire du Christ.

Cet auteur peut se lire au hasard des pages et je vous assure que, dès que l’on commence sa lecture, il est difficile de renoncer à en prendre connaissance dans sa totalité !

Munis de cette brève introduction à sa spiritualité, vous l’entendrez mieux, je l’espère ! Son intention apparaît dans un court titre qu’il développe généralement en deux vers.

Pèlerin chérubi(ni)que

Dans le plus pur esprit de saint Augustin, il dit (L. 1, n° 167) :
Dieu est en toi dans la mesure où tu es en lui
Autant l’âme est en Dieu, autant, je te l’assure,
Dieu repose dans l’âme, en même mesure.

Et il exprime la même chose de cette façon tout aussi explicite (L. 5, n° 66) :
Dieu est en nous-mêmes
Dieu vit tout près de toi avec sa bonté et sa grâce ;
Il demeure essentiellement dans le cœur et l’âme.

Il situe l’homme sur la terre de la façon suivante (L. 1 , n° 80) :
Chaque chose à sa place
La pierre est sur le sol et l’oiseau dans les cieux ;
La poisson vit dans l’eau, moi dans la main de Dieu.

A l’exemple de Marie, il nous faut enfanter Dieu dans notre vie (L.1, n° 23) :
Marie spirituelle
Je dois enfanter Dieu, moi-même étant Marie,
Si la félicité8 me doit être impartie.

Le distique le plus souvent cité et le plus connu et d’autres mystiques disaient la même chose à propos du soleil (L. 1, n° 289) :
Sans pourquoi
La rose est sans pourquoi ; elle fleurit parce qu’elle fleurit,
Elle ne prête pas d’attention à elle-même, ne se demande pas si on la voit.

Nécessité de faire des choix dans la vie donc besoin de discernement (L. 3, n° 139) :
On trouve ce que l’on cherche
Le pauvre cherche Dieu, le riche les deniers ;
Le premier trouve l’or et l’autre du fumier.

Rien ne peut se faire sans la volonté (L. 5, n° 57)
Quand tu le veux, tu seras bienheureux
Dieu te laisse très volontiers avoir accès à Lui dans les cieux ;
Il n’appartient qu’à toi de décider à être bienheureux.

L’homme doit refléter Dieu dans ses actes selon le modèle qu’est Jésus (L. 5, n° 273) :
Là où le Christ n’agit pas, Il n’est pas présent.
Ami, là où Jésus n’agit pas , il est certain qu’Il n’est pas là,
même si l’homme Le chante ou en parle beaucoup.
Car Jésus est notre modèle de sagesse (L. 6, n° 259) :
Ce qu’est la sagesse de l’homme
La sagesse humaine pour être bienheureux ici-bas
est d’être comme Jésus dans les faits et les gestes. :

La résurrection commence maintenant (L. 6, n° 16) :
La résurrection mystique
L’ambition, l’orgueil et la concupiscence,
Instruments de Satan, perdent corps, âme et esprit ;
La charité, l’humilité et la chasteté rétablissent
L’esprit, l’âme et le corps en une Nouvelle Vie.

Nous sommes rendus nobles par le baptême vécu dans nos actes (L. 6, n° 223) :
La noble naissance mystique
Né de Dieu, engendré dans Son Fils en personne,
Consacré par l’Esprit, c’est ma noble couronne.

Et je ne peux que conclure avec le distique de fin d’ Angelus Silesius (L. 6, n° 263):
Fin
Ami, c’est assez maintenant. Dans le cas où tu veux en lire plus,
Deviens toi-même et l’écriture et la façon d’être.

Ce voyage en poésie sacrée fait suite à une première partie que vous pouvez trouver sur ce site et se poursuit dans une troisième suite.

Antoine Schülé
La Tourette
antoine.schule@free.fr

1 Ed. Rocher. 1985. 228 p.
2Et Confucius poursuit sa démonstration en sens inverse pour conclure qu’ainsi s’obtient la paix entre les hommes.
3Nom donné à Dieu.
4Veda signifie connaissance divine ou révélation. Commencement au XIIe s. avant notre ère et jusqu’au Ve s. av. J.-C.
5Chap. 5, L’action dans la conscience de Krishna.
6Œuvres complètes de ce troubadour éditées par R. Lavaud en 1957.
7Deux craintes : la perte de l’amour ou de la miséricorde de Dieu et crainte d’une souffrance éternelle, en raison de cette perte.
8Du bienheureux, du saint.

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