Poésie
sacrée II
Antoine Schülé
La Tourette, mars 2018
Pour la deuxième fois, prenons un temps de découverte ou de redécouverte de poésies
sacrées. Tout est en bon français mais, au moyen de diverses
traductions du chinois, de l’hindi, du provençal, du latin et de
l’allemand : nous irons aussi vers la poésie sacrée d’autres
pays, d’autres civilisations.
Ayant lu des sages du Tibet,
de la Chine (cultivant essentiellement une sagesse), de l’Inde ou
du Moyen Orient (une sagesses qui s’élève à une mystique) comme
de la Grèce (conduisant à une union de la foi et de la raison),
j’ai trouvé qu’au cœur de cette poésie, il y avait un souffle
commun, une spiritualité : celui de l’humanisme mais,
attention, pas de n’importe quel humanisme, comme cet humanisme
matérialiste qui réduit l’homme à être non une personne mais un
objet. Il y a véritablement un humanisme religieux proche, très
proche parfois, de notre humanisme chrétien qui a deux mille ans
d’histoire et qui, pourtant, a été manipulé comme déformé de
mille et une façons par quelques-uns, très souvent pour le pire.
C’est pourquoi je crois que le souffle de Dieu s’est fait
entendre dans tout l’univers selon l’entendement des hommes qui
L’ont écouté. Prenons connaissance de ces différentes écoutes
de Dieu par l’homme qui Lui répond !
Mon intérêt quant aux autres
religions est né, en 1988, à la lecture d’un livre que je vous
recommande : Henri de La Bastide : Les quatre chemins 1
au cœur des civilisations. Différentes façons de vivre et
d’exprimer une spiritualité y sont bien décrites. L’Occident
est la civilisation de la Personne. Chez les arabes islamisés, nous
avons la civilisation de la Parole. En Inde, nous avons la
civilisation du Geste. En Asie, la civilisation du Signe et en
Afrique, la civilisation du Rythme.
Avant de commencer, j’exprime
mon regret de voir des Européens rechercher dans d’autres pays,
une spiritualité avec des guides du Katmandou, des moines tibétains…
alors qu’ils pourraient trouver tout ce qu’il recherche dans le
christianisme. L’Église a le devoir de faire connaître sa
tradition spirituelle si riche et pourtant si ignorée des fidèles.
Ma démarche s’inscrit dans
un dialogue interreligieux bien précis : il s’agit de
connaître d’autres religions sans vouloir effacer les différences,
tout relativiser, bricoler une religion nouvelle constituée comme un
patchwork, ainsi que cela se pratique trop souvent, sous couvert d’un
œcuménisme mal compris. Les religions parlent de Dieu ou d’un
dieu (le mot mot chinois di signifie Dieu) mais prêtons
attention que ce nom ne recouvre pas la même divinité entendue par
les Chrétiens. Pour un Chrétien Jésus est le Messie, le Sauveur,
mais pour les Musulmans Jésus est un prophète ; la lecture de
l’Ancien et Nouveau Testament est différente chez un Chrétien, un
Juif ou chez un Musulman.
A la lecture des textes
sacrés, il apparaît très clairement des différences de
vocabulaire : les mots ne recouvrent pas les mêmes notions.
L’hindouisme a un vocabulaire sacré qui nous échappe et je dois
me fier à des traductions et divers dictionnaires qui explicitent
des notions inconnues à la première lecture. Méfions-nous des
fausses ressemblances ou de lectures faussées par des gens
pleins de bonne volonté, probablement de bonne foi mais bien souvent
dans l’erreur !
Par contre ne négligeons pas les
points communs en se braquant uniquement sur les différences.
Trouvons le juste milieu comme dirait Confucius !
Des points communs :
dominer ses désirs, rechercher une connaissance pure, trouver
l’apaisement du corps comme de l’âme, adresser des prières,
méditer et penser sur la place de l’homme dans la création, un
vide intérieur pour entendre Dieu, Dieu qui se révèle à l’homme
(Juifs, Chrétiens, Musulmans), chercher des réponses à des
questions existentielles, mêlé le temporel et le spirituel…
Des différences :
l’existence de plusieurs dieux, des dieux anthropomorphes, la
négation de l’immortalité de l’âme, Dieu extérieur à
l’homme, un vide intérieur négatif, l’homme qui découvre un
divin (par la sagesse dans le bouddhisme par exemple), accepter que
des questions restent sans réponse, séparer le temporel et le
spirituel...
Rendons-nous vers la Chine
avec une religion qui est aussi une philosophie très
pragmatique. L’homme spirituel est aussi bien l’homme de pouvoir
que l’homme le plus indigent d’un point de vue financier.
Écoutons :
Confucius (
552-479 av. J.-C.) : La Grande Étude (Ta Hio)
Lorsqu’il parle des princes,
il parle de l’autorité exerçant un pouvoir politique et
religieux. J’ai retenu cet extrait qui me paraît être une bonne
illustration de sa sagesse et je remarque qu’il y a de nombreuses
similitudes entre les livres sapientiaux de l’Ancien testament et
les quatre livres de, ou attribués à, Confucius. Observez les
gradations successives pour que le gouvernant puissent réussir à
faire briller tous les cœurs de ses administrés.
« En toute chose, il
faut distinguer le principal et l’accessoire, et dans les affaires,
la fin et le commencement. Celui qui sait mettre chaque chose en son
rang , n’est pas loin de la voie de la Grande Étude
ou de la perfection.
Les anciens princes, pour
faire briller les vertus naturelles dans le cœur de tous les hommes,
s’appliquaient auparavant à bien gouverner
chacun sa principauté. Pour bien gouverner leurs
principautés, ils mettaient auparavant le bon ordre dans leurs
familles. Pour mettre le bon ordre dans leurs familles, ils
travaillaient auparavant à se perfectionner eux-mêmes. Pour se
perfectionner eux-mêmes, ils réglaient auparavant les mouvements de
leurs cœurs. Pour régler les mouvements de leurs cœurs, ils
rendaient auparavant leur volonté parfaite (ils s’appliquaient à
vouloir sincèrement et à faire le bien, à haïr et éviter de le
mal). Pour rendre leur volonté parfaite, ils développaient leurs
connaissances le plus possible. On développe ses connaissances en
scrutant la nature des choses. »2
Sur la conduite du sage dans
la vie, Confucius s’exprime ainsi et cette citation me renvoie
au Livre de Job :
« Le sage règle sa
conduite d’après la condition dans laquelle il se trouve ; il
ne désire rien en-dehors de sa condition. Dans les richesses et les
honneurs, il agit comme il convient à un homme riche
et honoré. Dans la pauvreté et l’abjection, il agit comme un
homme pauvre et méprisé. Au milieu des barbares de
l’occident ou du septentrion, il agit comme il convient au milieu
de ces barbares. Dans le malheur ou la souffrance, il agit
comme il convient dans le malheur et la souffrance. Partout et
toujours le sage a ce qui lui suffit, à savoir la vertu. »
mais qu’est-ce que la vertu ?
La vertu consiste à éviter
de faire du mal en action ou en parole, à tenir ses promesses et
faire en sorte que ses paroles répondent à ses actions et ses
actions à ses paroles. Le livre des Proverbes ou de la Sagesse dans
l’Ancien Testament ne dit pas autre chose. Partager cette sagesse
fondamentale de l’humanité, en les appliquant dans la vie active,
est un pont possible avec cette spiritualité qui s’adresse à tout
homme et qui est développée aussi par l’humanisme chrétien.
Dans le Livre d’entretiens
avec Confucius, nous apprenons que son acquisition de la sagesse est
l’affaire de toute une vie :
Le Maître dit : « A
quinze ans, je m’appliquais à l’étude de la sagesse ; à
trente ans, je marchais d’un pas ferme dans le chemin de la vertu ;
à quarante, j’avais l’intelligence parfaitement éclairée ;
à cinquante ans, je connaissais les lois de la Providence ; à
soixante ans, je comprenais sans avoir à réfléchir, tout ce que
mon oreille entendait ; à soixante-dix ans, en suivant les
désirs de mon cœur, je ne transgressais aucune règle. »
Plus loin, Confucius donne un
art de vivre avec les autres :
« Le Maître dit :
« Le sage est accommodant avec tout le monde, mais il n’a
pas de complaisance coupable. L’homme vulgaire est
complaisant pour le mal, et n’est pas accommodant avec tous. »
Ou encore : Qu’est-ce
qu’un bon prince au sens de chef d’État ? Ce n’est
pas en raison de l’actualité de cette semaine que je soulève la
question :
« Mon maître parle
quand il est temps de parler, et ses paroles ne fatiguent personne Il
rit, quand il est temps de se réjouir, et son rire ne déplaît à
personne . Il accepte quand la justice le permet et personne ne
trouve à redire. »
Qu’est-ce que la vertu
parfaite ?
« Celui-là est
parfait qui est capable de pratiquer cinq choses partout et
toujours. » […] « Ce sont la gravité du maintien , la
grandeur d’âme, la sincérité, la diligence et la bienfaisance.
La gravité du maintien inspire le respect ; la grandeur d’âme
gagne les cœurs ; la sincérité obtient la confiance ; la
diligence exécute les œuvres utiles ; la bienfaisance rend
facile la direction des hommes. »
Dans les Œuvres de Meng
tzeu, le commentateur de Confucius, nous avons cette belle page
sur une question de choix préalable de vie que toute femme ou tout
homme peut accomplir par l’exercice de la volonté :
« Koung
tou tzeu, interrogeant Meng tzeu, dit : « Tous les hommes
sont également hommes. Comment se fait-il que les uns deviennent de
grands hommes, et des autres des hommes vulgaires ? ».
Meng Tzeu répondit : « Ceux qui suivent la direction de
la plus noble partie de leur être, deviennent de grands hommes ;
ceux qui suivent les penchants de la moins noble, deviennent des
hommes méprisables. »
A la façon de Socrate, il y
un jeu de questions et réponses, toute réponse suscitant une
nouvelle question :
« Puisqu’ils
sont tous également hommes, reprit Koung tou tzeu , pourquoi
suivent-ils les uns la direction la plus noble de leur être, les
autres, les penchants de la moins noble ? » « Les
oreilles et les yeux, répondit Meng tzeu, n’ont pas pour office de
penser, et sont trompés par les choses extérieures. Les choses
extérieures sont en relation avec des choses dépourvues
d’intelligence, à savoir, avec nos sens, et ne font que les
attirer. L’esprit a le devoir de penser. S’il réfléchit, il
arrive à la connaissance de la vérité ; sinon il n’y
parvient pas. Tout ce qui est en nous, nous a été donné par le
Ciel3.
Lorsqu’un homme suit fermement la direction de la plus noble partie
de lui-même, la partie inférieure ne peut usurper ce pouvoir. Il
devient un homme vraiment grand. ».
Meng
tzeu dit : « Il y a des dignités conférées par le
Ciel, et les dignités conférées par les hommes. La bienveillance,
la justice, la sincérité, la bonne
foi, une ardeur infatigable pour faire le
bien sont des dignités conférées par le Ciel. Celles
de prince, de ministre d’État, de grand préfet sont
des dignités conférées par des hommes. »
Les Chrétiens considèrent la
vie intérieure comme élément de base de son humanisme. Confucius a
pratiqué de même et sur cette base s’est construite une éthique.
Mao a récupéré le confucianisme en se mettant à la place de Dieu…
Henri VIII d’Angleterre, Napoléon couronné empereur se sont mis à
place du Pape...
Après
la Chine, portons-nous vers l’Inde :
Le
bouddhisme
Pour les Occidentaux,
l’approche de cette religion est plus difficile. Il n’y a pas une
doctrine, un message, une parole à étudier. Il s’agit de la
transmission d’une expérience spirituelle dont la racine est
l’hindouisme (le védisme4
que l’on trouve en Iran avec le mazdéisme). Il n’y a pas de
prescription morale sur la mort, la naissance ou le mariage. Par
contre, nous sommes ici avec un foisonnement de dieux, de déesses et
d’esprits.
Le Prince Siddhartha devient
Bouddha selon le récit bien connu. A la fin du VIIIe s.,
le Tibet l’adoptera. Ne proposant pas un type de société, cette
religion s’est adaptée à de nombreux systèmes politiques
différents.
En résumé, le désir est la
cause de la souffrance. Le bonheur peut être une souffrance car nous
savons qu’il ne durera pas, si ce n’est pas l’Éveil. Le désir
ne peut mener qu’à l’insatisfaction. Pour échapper à la
souffrance, le seul moyen est de la cessation totale du désir.
Voir les faits et en soi-même
de façon juste est une nécessité de vérité. En se libérant de
la sensualité et de la malveillance et en nous orientant vers la
compassion, nous pouvons avoir une conception juste.
La parole juste nécessite le
refus du mensonge, de la calomnie, de la médisance, de l’injure et
du bavardage. L’action juste évite la violence, le vol et les
relations sexuelles illicites, selon les lois communément admises
(il n’y a pas une morale : polyandrie ou polygamie ou autre
pratique sexuelle sont admises si la la loi l’autorise ; force
de la coutume pas remise en cause).
Le moyen d’existence juste
consiste à ne faire tort à personne. Pour surmonter les états
d’esprit négatifs, il s’agit de méditer pour cultiver un climat
de paix. Cultiver une attention juste afin de rester vigilant sur
tous les phénomènes vécus. Se concentrer sur un objet de
méditation conduit à un état d’extase qui mène au nirvana :
cet état où l’on éprouve ni passion, ni angoisse, ni douleur,
une sorte d’état d’apesanteur, un détachement de soi et du
monde. Lucidité et vérité sont les gages de réussite.
La Bhagavad-Gîtâ,
œuvre de 18 000 versets, est un des livres qui a inspiré et enseigné
Gandhi dans sa vie. Sri Krishna parle avec son disciple Arjuna. Il
s’agit d’un enseignement. Entendons quelques extraits qui
illustrent ce qui précède :
Versets
20-215 :
Qui ne se réjouit des
joies ni ne s’afflige des peines, celui dont l’intelligence est
fixée sur l’âme , qui ne connaît pas l’égarement et possède
la science de Dieu, celui-là a déjà transcendé la matière.
L’être libéré n’est pas soumis à l’attrait des plaisirs
matériels du monde extérieur, car il connaît l’extase
intérieure. Se vouant à l’Être suprême , il goûte une félicité
sans bornes.
Versets
22
L’homme
d’intelligence ne s’adonne jamais aux plaisirs des sens : il
ne s’y complaît point, ô fils de Kunti, car ils ont un début et
une fin et n’apportent que la souffrance.
Qu’est-ce qu’un yogi ?
Et je ne résiste pas à vous établir une étymologie qui est
signifiante. Le mot yogi, se retrouve dans le mot joug
qui vient du latin jugum (prononcé yougoume). Il
s’agit d’un attelage vu comme une union. Le Yogi a un lien avec
Dieu, une union. Le mot initial ne considère pas ceci comme un
fardeau mais comme un lien. Le mot latin jugum a
pour sens aussi servitude
mais signifie encore cime, crête...
Verset
1
Il est le sannyasi, le vrai
yogi, celui qui s’acquitte de ses devoirs sans attachement aucun
pour les fruits de ses actes, et non celui qui n’allume pas le feu,
qui se retranche de l’action.
Les actes dans ce monde sont
donc bel et bien nécessaires. Un organe du corps n’agit pas
uniquement pour lui-même mais pour le bien du corps entier. De même,
tout homme agit pour le bien de la communauté.
Le
fruit de cette sagesse est l’acquisition d’une sérénité en
toute circonstance et ce verset le dit en peu de mots :
Verset
8
On appelle yogi, âme
réalisée, l’être à qui la connaissance spirituelle et la
réalisation de cette connaissance donnent la plénitude. Il a
atteint le niveau spirituel et possède la maîtrise de soi. D’un
œil égal il voit l’or, le caillou et la motte de terre.
Quittons
la Chine et l’Inde pour revenir dans le Sud de la France avec de la
Poésie
religieuse occitane
qui
nous met en lien avec la Provence, le Langue d’Oc et le nord de
l’Espagne.
Il
est d'usage pour parler de la foi de faire référence à de grands
auteurs qui n'étaient lus ou connus que d'une élite religieuse et
intellectuelle. Or le peuple avait une foi simple s'exprimant non
seulement par des pratiques religieuses mais aussi par de courtes
poésies, très souvent chantées, offrant des synthèses de foi
chrétienne.
Ces
poésies s'attachent à dire l'essentiel et nous permettent de
percevoir l'expression d'une piété populaire. Aujourd'hui, je veux
vous entraîner avec des auteurs du Midi, à en découvrir
quelques-unes.
Nous
commençons par un auteur anonyme du XIIe s. probablement.
Le point de départ de sa poésie chantée est la couronne d’épines
du Christ :
Anonyme
Nos
péchés forment une couronne d’épines sur nos corps appelés
pourtant à être corps du Christ. Cet auteur anonyme se reconnaît
pécheur et formule avec élégance son option pour les joies
éternelles, les joies terrestres n’ayant qu’un temps court. Ce
chant a pour titre :
Une
épine cruelle
Une
épine cruelle
reste
au-dedans de mon cœur
plus
amère que fiel;
j'en
défaille nuit et jour,
elle
me fait languir
et
perdre le sens.
Le
dard qui me fait languir
c'est
le jugement,
où
je dois comparaître
sans
nulle défaillance,
j'en
soupire beaucoup
et
j'en souffre.
De
toutes mes actions
j’aurai
à rendre compte,
lors
de ce jugement
que
je sois roi ou comte,
au
Roi très grand,
Dieu
souverain.
Tout
homme pécheur
doit
avoir grande peur
de
ce jour de tristesse
et
il doit avec soin
purifier
sa conscience
et
prier Dieu.
David
grand pécheur
donne
l’exemple
lorsque
il demande
grâce
à Dieu avec tant de pleurs,
prononçant
les sept psaumes
dévotement :
Jésus,
par ton amour souverain,
tu
as fait comme le pélican,
percer
ton cœur précieux
pour
notre bien.
Jésus
parce que j’ai failli,
voici
que mon temps est accompli,
mes
jours passent légèrement
comme
les ombres et les vents.
Jésus,
fais moi vivre comme un juste
et
tenir tes commandements
pendant
mes petits jours temporels
pour
arriver aux éternels.
Pierre
Cardenal (vers 1180 – v.
1272)6
Il est l’auteur de chants
d’une grande spiritualité et s’est montré très critique
vis-à-vis des écarts de certains membres du clergé (les
protestants ou anticléricaux ne veulent retenir bien entendu que
cette partie précise de son œuvre mais, là, s’est abusé le
lecteur en profitant de sa méconnaissance ! Pratique fréquente !).
Pour donner sens au signe de
la croix, le troubadour Peire Cardenal a établi un texte rempli de
fraîcheur et que tout auditeur pouvait facilement retenir, surtout
sous sa forme chantée.
Au Moyen Age, le chant était
une pratique joyeuse où la poésie religieuse se mêlait à la
poésie profane. Je signale qu’il y avait moins de pudibonderie
dans ces chants profanes que ce que l’on pourrait croire.
La
Croix
Des quatre têtes de la Croix,
l’une est tournée vers le
firmament,
l’autre en-dessous vers
l’abîme,
et l’autre vers l’orient,
et l’autre vers l’occident,
et ainsi elle nous apprend
que le Christ a tout en son
pouvoir.
La Croix est le droit étendard
du Roi dont dépend toute
chose,
qu’on doit suivre en toute
saison,
en accomplissant Ses
volontés :
qui plus en fait, plus en
prend,
et tout homme qui s’en signe
est sûr d’avoir bonne
place.
Christ en croix est mort pour
nous,
détruisit en mourant notre
mort,
et vainquit en croix
l’orgueilleux,
sur le bois il vainquait les
hommes.
En Croix Il œuvra le salut.
Et en Croix, Il régna et Il
règne,
en Croix, il a voulu nous
racheter.
Ce fait est merveilleux:
le bois où Mort prit
naissance
voit naître la vie et le
pardon.
Tout homme qui daigne l’y
chercher
en Croix peut trouver vraiment
le fruit de l’arbre de la
connaissance.
Ce fruit nous est offert à
tous,
cueillons-le amoureusement,
car ce fruit est si beau, si
bon
pour qui le cueille gentiment,
est pour toujours une vie
précieuse.
Qu’il ne le dédaigne donc
de le faire
tant qu’il en a le lieu et
le loisir.
Et, comme nous sommes proche
de la Semaine sainte 2018, je fais une parenthèse géographique pour
vous transmettre un autre auteur italien qui a écrit des chants sur
la croix qui sont , selon moi, d’une très grande beauté, je veux
parler de
Saint Bonaventure ou
Jean de Firenza (1221-1274)
qui a prêché avec succès
dans le Midi de la France et il vaudrait la peine de lui consacrer
une communication.
Il est aussi l’auteur d’une
louange à la Sainte Croix en latin. Écoutez quelques extraits :
Str. 1
Souviens-toi de la sainte
croix
qui mène à la vie parfaite ,
jouis-en sans cesse.
De la sainte croix
souviens-toi
et médite sur elle
Insatiablement.
Tu seras sur la croix sous la
conduite du Christ
tant que tu vivras en cette
lumière
loin de toute peine.
Ne te repose pas, ne
t’attiédis pas,
par elle grandis et
réchauffe-toi
dans le désir de ton cœur.
Aime la croix, lumière du
monde
et tu auras le Christ pour
guide
dans les siècles éternels ;
ceins ton corps de la croix,
étreins-la, décris-la de ta
main
en en notant tous les détails.
...
Str. 11
Sois tout entier dans la croix
du Christ
avec zèle et l’esprit prêt
à jubiler de douceur ;
la Croix défend le serviteur
de Dieu,
elle prend et montre
la route de droiture.
Lorsque tu es tenté et
affligé,
abandonné, presque vaincu
dans l’angoisse,
ne reste pas inerte ni lent,
mais sans relâche et avec
attention
fortifie ton front par la
croix.
Quand tu te reposes et quand
tu travailles,
quand tu ris, quand tu
pleures,
quand tu souffres, quand tu te
réjouis,
quand tu vas, quand tu viens,
dans les plaisirs, dans les
peines,
tiens la croix dans ton cœur.
La croix, dans toutes les
tribulations,
dans l’adversité et dans la
douleur,
est le remède sûr.
La croix, dans les chagrins et
les tourments,
est pour l’âme pieuse une
douceur
et le vrai refuge.
...
Str. 16
La croix est le salut des
âmes,
la lumière véritable et très
illustre
et la douceur des cœurs.
La croix est la vie des
bienheureux
le trésor des parfaits,
et la beauté et la joie.
Et je m’arrête sur ce
dernier extrait car pour réciter les textes complets de chants sur
la croix par saint Bonaventure, une heure ne suffirait pas ! Je
me permets de dire que celle ou celui qui ne comprend pas
l’importance de la croix après l’avoir lu ne comprendra jamais
toute la puissance de ce signe et je compatis sur eux !
Revenons à un enfant du
terroir avec :
Clément
IV, le Pape troubadour
(XIIIe
s.)
Le mot troubadour a une
origine arabe : touroub-el-diour qui se traduit par
« hôte chantant la joie en musique ».
Guy
Foulques est né à Saint-Gilles pour mourir à Viterbe (Italie)
en tant que pape. Avant
d’entrer dans les ordres, il a eu une vie de famille : une
femme et des enfants. Il existe des descendants de ce pape de façon
tout-à-fait normale. Juriste réputé, veuf, il a très vite exercé
des fonctions ecclésiastiques importantes. Il a été le conseiller
de St. Louis. Pape, il a dévolu le royaume de Sicile à Charles
d’Anjou, frère de Louis IX. Durant les deux dernières années de
sa vie, il a connu saint Thomas d’Aquin.
A
ma plus grande surprise, j’ai entendu un prêtre déclaré qu’il
fallait, je cite : «
avoir le cœur bien dur pour ne pas pardonner alors que Dieu pardonne
tout d’avance sans qu’on ait besoin de le Lui
demander. ».
J’ignore où cet homme a fait sa théologie mais j’ai des doutes
sérieux quant à sa formation. Il n’est point besoin d’être un
fin théologien pour comprendre toutes les conséquences d’un
pareil propos adressé
à un public ayant déjà une foi bien incertaine !
Observez comment Clément IV
plaide sa cause pour obtenir la pardon de Dieu par l’intermédiaire
de Marie. Ne cherchez plus les mots pour formuler cette prière :
ils ont déjà été trouvés et prononcés. Écoutez-le :
Prière
à la Vierge Marie
A toi, vierge sainte Marie,
je me recommande nuit et jour,
et te prie de prier pour moi,
car sans toi ma prière ne
vaut rien.
Mes péchés m’ont mené si
loin
de ton Fils que j’ai offensé
en parlant, en pensant ou
consentant,
et si grands sont mes
manquements
que je ne pense pas trouver
pardon
si tu ne prends pas ma raison.
J’ai dit raison ? Il
est donc raisonnable
que de Lui me vienne le
pardon ?
Oui, c’est raison car Il a
promis
que Sa grâce ne manquerait
jamais
à ceux qui voudraient la
demander,
quels qu’aient été leurs
forfaits.
C’est bien ainsi qu'Il a
prêché,
et c’est ce qu’Il laissa
par écrit,
nous en avons un signe certain
dans son pardon au publicain,
et aussi à Madeleine
qui était remplie de péchés.
Il donna le paradis au larron
qui Lui demanda le pardon,
et Il pardonna à saint Pierre
qui l’avait renié trois
fois.
Je sais donc bien qu’il doit
pardonner
à qui sait Lui demander
grâce,
et je pense qu’il y ait
encore plus tenu
depuis qu’Il est venu en ton
corps,
car si avant Il était notre
Créateur,
Il est désormais notre Frère.
Te dire non, Il ne le peut,
car , s' Il est Dieu, Il est
aussi ton fils.
Et s’ Il a fait cette loi
d’honorer Sa mère,
Il ne peut l’enfreindre à
ton propos.
Un fidèle de ce temps-là
avec cette simple prière, diffusée dans l’Occident chrétien, en
savait plus que certains ecclésiastiques de nous jours ! Cela
laisse songeur !
Et terminons notre voyage
littéraire et religieux en terre du Sud avec :
Jean
de Valès (XVIIe
s.)
Il
nous reste deux œuvres de lui : une œuvre profane
divertissante intitulée « Virgile
déguisé », aussi
appelé « Enéide
burlesque » car il
s’agit bel et bien d’une parodie burlesque de Virgile ; une
poésie religieuse remarquable avec ce recueil ayant pour titre
« Sept psaumes
pénitentiels de David »,
paru en 1652.
Il
déclare sa confiance au pardon de Dieu en précisant, lui aussi,
qu'un cœur repentant et contrit est nécessaire pour l'obtenir. Tout
chrétien qui omet cette précision signifie qu'il n'a pas lu le
Nouveau Testament !
De
profundis
Du
plus profond du cœur, ô Dieu des merveilles,
plongés
dans l'affliction, j'en appelle à vous.
Écoutez
seulement la voix de mon humble prière
et
pour l'entendre mieux faites-vous tout oreilles.
Seigneur,
si vous avez un regard sur nos péchés,
qui
pourra se tenir assez sûr devant vous !
Mais
vous faites fort bien, grand Dieu, de nous punir
car
qui vous aimerait, s'il n'y avait lieu de craindre7
?
La
grâce suit partout votre divine essence
et
j'ai toujours compté obtenir votre pardon,
sachant
que votre loi promet au pécheur
contrit
et repentant rémission de l'offense.
Mon
âme a patienté en cette confiance
puisque
votre parole vaut plus qu'argent comptant.
Et
pourvu que mon cœur parle en vrai pénitent,
d'être un jour pardonné, il
doit avoir l'espoir.
Je
vous avais promis un voyage dans le temps et l’espace.
Aussi rendons-nous en
d’autres lieux avec Angelus Silesius (de son vrai nom Johannes
Scheffler) au XVIIe
s..
Angelus Silesius
Saint Augustin et Jan van
Ruysbroeck ont influencé cet auteur exactement comme Thomas More
dont nous avons abordé l’œuvre récemment. Je l’ai découvert
grâce Maurice Zundel qui le cite volontiers.
Comme
son pseudonyme le révèle, il est né en Silésie, territoire
allemand à cette époque.
Il est né le 25 décembre 1624 à Breslau ou
Wroclaw (Pologne actuelle).
Il a étudié à Strasbourg la médecine, l’histoire et la
politique. Il a séjourné
à Leyde (Hollande) et fini ses études à Padoue (Italie du Nord)
pour obtenir le titre de docteur en médecine et philosophie.
Au
contact de Jésuites, il abandonna le luthéranisme
pour se convertir au catholicisme le 12 juin 1653 dans
l’église Saint Mathieu de Breslau. Il devint un parfait soldat de
la catholicité. Il
est l’auteur de plusieurs écrits mais son œuvre majeure a pour
titre Le pèlerin
chérubi(ni)que.
Il
a voulu montrer
le chemin de la vérité en éclairant les Chrétiens sur la
signification vivante
du christianisme
et sur les
mystères de la foi. Son livre n’est ni
un traité, ni une doctrine, ni un manuel mais un livre faisant écho
à ses nombreuses lectures dont celles de St. Augustin.
Il
écrit en mystique : il révèle sa vie illuminée par Dieu et
nous invite à le suivre sur ce chemin d’élévation. Il compose
des
sentences, pour la
plupart, en deux vers
(distique),
en allemand dont je vous donne uniquement
la traduction française.
Caractéristiques :
un appel constant au dépouillement de soi et à une condamnation de
l’égoïsme et du culte de l’ego ; une confiance en la grâce
de Dieu.
Il
faut retrouver la quiétude ou le repos comme la paix en Dieu.
Toutefois, ce quiétisme n’est ni passivité, ni indifférence. Il
y a une lutte à livrer avec la volonté. Pas n’importe quelle
volonté ? Il s’agit non de faire sa volonté mais la volonté
de Dieu, à la façon de Marie qui a dit à l’ange du Seigneur :
« Que cela soit fait selon ta volonté ! »,
ainsi Dieu a pu s’incarner en sa chair. Il s’agit de dissoudre sa
volonté propre en celle de Dieu pour pouvoir dès lors agir en toute
liberté, c’est-à-dire avec une parfaite égalité d’âme. Cet
abandon à Dieu n’est pas un laissez-aller spirituel mais un nouvel
effort de volonté et de lutte contre soi-même pour répondre à la
vie exemplaire du Christ.
Cet
auteur peut se lire au hasard des pages et je vous assure que, dès
que l’on commence sa lecture, il est difficile de renoncer à en
prendre connaissance dans sa totalité !
Munis
de cette brève introduction à sa spiritualité, vous l’entendrez
mieux, je l’espère ! Son intention apparaît dans un court
titre qu’il développe généralement en deux vers.
Pèlerin
chérubi(ni)que
Dans le plus pur esprit de
saint Augustin, il dit (L. 1, n° 167) :
Dieu est en toi dans la
mesure où tu es en lui
Autant l’âme est en Dieu,
autant, je te l’assure,
Dieu repose dans l’âme, en
même mesure.
Et
il exprime la même
chose de cette façon tout aussi explicite (L.
5, n° 66) :
Dieu est en nous-mêmes
Dieu vit tout près de toi
avec sa bonté et sa grâce ;
Il demeure essentiellement
dans le cœur et l’âme.
Il situe l’homme sur la
terre de la façon suivante (L. 1 , n° 80) :
Chaque chose à sa place
La pierre est sur le sol et
l’oiseau dans les cieux ;
La poisson vit dans l’eau,
moi dans la main de Dieu.
A l’exemple de Marie, il
nous faut enfanter Dieu dans notre vie (L.1, n° 23) :
Marie spirituelle
Je dois enfanter Dieu,
moi-même étant Marie,
Si la félicité8
me doit être impartie.
Le distique le plus souvent
cité et le plus connu et d’autres mystiques disaient la même
chose à propos du soleil (L. 1, n° 289) :
Sans pourquoi
La rose est sans pourquoi ;
elle fleurit parce qu’elle fleurit,
Elle ne prête pas d’attention
à elle-même, ne se demande pas si on la voit.
Nécessité de faire des choix
dans la vie donc besoin de discernement (L. 3, n° 139) :
On trouve ce que l’on
cherche
Le pauvre cherche Dieu, le
riche les deniers ;
Le premier trouve l’or et
l’autre du fumier.
Rien ne peut se faire sans la
volonté (L. 5, n° 57)
Quand tu le veux, tu seras
bienheureux
Dieu te laisse très
volontiers avoir accès à Lui dans les cieux ;
Il n’appartient qu’à toi
de décider à être bienheureux.
L’homme
doit refléter Dieu dans ses
actes selon le modèle qu’est Jésus (L.
5, n° 273) :
Là où le Christ n’agit
pas, Il n’est pas présent.
Ami, là où Jésus n’agit
pas , il est certain qu’Il n’est pas là,
même
si l’homme Le
chante ou en parle beaucoup.
Car
Jésus est notre modèle de sagesse (L.
6, n° 259) :
Ce qu’est la sagesse de
l’homme
La sagesse humaine pour être
bienheureux ici-bas
est
d’être comme Jésus dans les faits et les gestes. :
La
résurrection commence maintenant
(L. 6, n° 16) :
La résurrection mystique
L’ambition, l’orgueil et
la concupiscence,
Instruments de Satan, perdent
corps, âme et esprit ;
La charité, l’humilité et
la chasteté rétablissent
L’esprit, l’âme et le
corps en une Nouvelle Vie.
Nous
sommes rendus nobles par le baptême vécu dans nos actes (L.
6, n° 223) :
La noble naissance mystique
Né de Dieu, engendré dans
Son Fils en personne,
Consacré par l’Esprit,
c’est ma noble couronne.
Et je ne peux que conclure
avec le distique de fin d’ Angelus Silesius (L. 6, n° 263):
Fin
Ami, c’est assez maintenant.
Dans le cas où tu veux en lire plus,
Deviens toi-même et
l’écriture et la façon d’être.
Ce voyage en poésie sacrée fait suite à une première partie que vous pouvez trouver sur ce site et se poursuit dans une troisième suite.
Antoine Schülé
La Tourette
antoine.schule@free.fr
1
Ed. Rocher. 1985. 228 p.
2Et
Confucius poursuit sa démonstration en sens inverse pour conclure
qu’ainsi s’obtient la paix entre les hommes.
3Nom
donné à Dieu.
4Veda
signifie connaissance divine ou révélation. Commencement au XIIe
s. avant notre ère et jusqu’au Ve s. av. J.-C.
5Chap.
5, L’action dans la conscience de Krishna.
6Œuvres
complètes de ce troubadour éditées par R. Lavaud en 1957.
7Deux
craintes : la perte de l’amour ou de la miséricorde de Dieu
et crainte d’une souffrance éternelle, en raison de cette perte.
8Du
bienheureux, du saint.
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