vendredi 22 juillet 2016

Résiliences des peuples, selon Arnold Toynbee, Alfred Weber et Daniel Reichel.

« Histoire et résiliences »

selon Arnold Toynbee, Alfred Weber et Daniel Reichel.

par Antoine Schülé

En hommage à Daniel Reichel
Introduction

Trois auteurs Reichel, A. Weber et Toynbee ont identifié des facteurs importants de résilience au sein des grandes civilisations ayant existé ou existantes. L’ennui est qu’ils n’utilisent pas le terme de résilience[1] : toutefois ils offrent de nombreux exemples pratiques.

Ma motivation est double en proposant les réflexions qui suivent.
Premièrement, elle repose sur des discussions et des recherches menées par Daniel Reichel[2], historien et penseur militaire suisse[3]. Depuis la fin des années 1970, il s’interrogeait souvent sur ce qu’était la substance d’un peuple[4] qui persistait, non sans certaines métamorphoses, à travers le temps : pourquoi et comment des peuples ont survécu alors que d’autres ont disparu, certains complètement (les Incas), mais d’autres ont des éléments particuliers qui leur ont subsisté et qui se sont mêlés à des peuples vainqueurs (la culture grecque et le droit romain qui ont façonné nos sociétés actuelles) ? Il aimait débattre à ce sujet et deux auteurs ont alimenté sa recherche : l’historien anglais Arnold Toynbee[5] avec sa volumineuse étude «L’histoire, un essai d’interprétation.»[6] et le sociologue allemand Alfred Weber[7] avec sa riche analyse titrée : «Kulturgeschichte als Kultursoziologie »[8].
Avant de nous quitter en 1991, il a partiellement finalisé sa recherche lors de deux colloques dont les actes ont été publiés : «Quelques influences ayant marqué la pensée militaire  de la Renaissance à nos jours»[9] avec des tableaux très précieux afin que des chercheurs ultérieurs puissent poursuivre sa démarche intellectuelle[10]. Il s’est attaché à démontrer l’importance de déceler les filiations de pensée à travers les siècles : il y a, en matière de pensées, des héritages acceptés ou refusés, se dissociant ou s’associant dans des mélanges complexes, quelquefois bénéfiques mais aussi parfois maléfiques comme les différentes formes de totalitarisme l’ont amplement démontré et le démontrent encore au XXIe siècle. Pour nos auteurs, autant le dire tout de suite, c’est dans la pensée qu’est la source de toute résilience qu’elle soit positive, neutre ou négative selon les critères de valeur que l’on adopte pour la considérer.

Deuxièmement, en réfléchissant sur les discussions eues avec Daniel Reichel, je me suis interrogé sur la résilience de plus de sept siècles d’une petite Confédération d’Etats souverains au cœur de l’Europe et entourée de grandes puissances : cette Helvétie devenue la Suisse. En effet comment cette union progressive de 27 Etats souverains a pu résister et se constituer à travers le temps ? Il a fallu attendre le XIXe siècle pour que cette Suisse connaisse enfin ses limites actuelles alors que cette naissance a commencé au XIIIe s. Ce phénomène est étonnant car ces Etats souverains que sont les Cantons, avec cependant des statuts inégaux, avaient tout pour être hostiles les uns envers les autres : cantons souverains, cantons sujets, cantons alliés ; cantons ville et cantons campagne ; les protestants et les catholiques ; les cantons favorables au service étranger, les autres contre; trois cultures devant vivre ensemble : allemande, française et italienne ; alliances avec des puissances voisines à la Confédération souvent hostiles entre elles (Espagne-France ; Angleterre-France ; Etats allemands-France ; etc.) ; richesses économiques inégalement réparties entre eux ; des systèmes scolaires[11], juridiques[12] et monétaires qui ont eu ou ont encore beaucoup de peine à s’harmoniser… Cette liste pourrait s’allonger ! Il suffit de demander à un Suisse sa nationalité, il vous répondra qu’il est de tel ou tel canton et seulement après qu’il est Suisse, ce label donné par les étrangers à ces pays confédérés !

Dans le cadre de cette présentation, il ne m’est pas possible d’exposer de façon complète nos trois auteurs. Je tenterai tout au plus de souligner quelques traits saillants, retenus par Daniel Reichel, chez chacun d’eux en fournissant quelques exemples et ainsi offrir des pistes de réflexion au lecteur pour l’étude de la résilience. Reichel a lu Toynbee et Weber de façon critique pour dégager une pensée originale : il a rejeté certains éléments et, au contraire, en a développé ou affiné d’autres. Parfois, je n’ai pas résisté à prolonger leurs pensées en prenant des exemples depuis 1es années 1990 ou des illustrations de l’histoire suisse.

1. Alfred Weber
Pour Weber, l’histoire n’est pas seulement une recherche de causes et d’effets, c’est surtout repérer un faisceau d’influences. Le principe wébérien de base est de confronter le temps présent à l’histoire et l’histoire au temps présent. Ainsi que Toynbee, cependant dans une moindre mesure, il analyse les grandes civilisations connues depuis l’apparition de l’homme sur la terre : Egypte, Babylone, Chine et Inde, pour finir avec les Perses, les Juifs, les Grecs païens, Rome, l’Antiquité chrétienne. Avec « La Cité de Dieu » de Saint Augustin, il identifie une nouvelle philosophie de l’histoire : la recherche d’un plan divin dans l’histoire de l’humanité. Une révolution en fait qui est trop ignorée car non sanglante.
La résilience de la civilisation dite occidentale, chrétienne, même si ce qualificatif gêne actuellement quelques esprits se voulant nouveaux, a son origine dans quatre foyers de culture : égyptien, sumérien, chinois et hindou. Il est trop restrictif de la réduire aux seules racines juives comme il est d’usage de le proclamer, en ignorant ainsi les racines plus profondes. Une perte possible de notre résilience serait dans l’oubli de nos origines culturelles. Pour connaître nos racines et les sols qu’elles traversent, il convient d’identifier ces différentes strates sédimentaires qui tantôt se couvrent l’une l’autre, tantôt se mêlent de façon inextricable.
Weber se dissocie de Toynbee en ce sens que si Weber reconnaît certaines analogies entre ces corps historiques se développant dans la longue durée, il souligne l’originalité de chacun d’eux : chaque civilisation a des caractères qui lui sont propres que ne peuvent cacher des points communs.

1.1 Du 1er au 3ème homme
L’humanité a ses racines dans l’humus d’un monde primitif qui a produit, en trois phases de durée inégale, une culture primitive, puis une demi-culture et ensuite une haute culture[13]. Selon Weber, de nos jours, nous portons consciemment ou inconsciemment ces fondamentaux primitifs. L’homme de la première phase, d’il y a 400 000 ans, a marqué l’homme de la troisième phase de 3500 ans, cet homme du XXe s[14]. La première résilience de l’humanité : pendant des millénaires, l’homme a subi la nature, pour avoir, par la suite et après un temps très long, des influences sur elle[15].
Weber crée une grille de lecture simple mais qui permet des constructions plus complexes pour l’étude de la résilience humaine. Ainsi que des plantes[16] ayant résisté pendant des millénaires aux mutations climatiques extrêmes, il y a eu des adaptations de l’homme depuis son apparition sur la terre.
L’homme de la 1ère phase, d’il y a 400 000 - 120 000 ans, a subi la nature ; l’homme de la 2ème phase, 120 000 à 10 000 ans, a lutté pour la survie durant les glaciations[17] ; l’homme de la 3ème phase a dominé petit à petit la nature.

De ce 2ème homme, nous est resté un élément important que Weber nomme le substrat magique, c’est-à-dire, l’irrationnel : dans un premier temps, la prédominance du chasseur avec la bête a favorisé le culte de l’homme, du mâle ; dans un deuxième temps, celle de l’agriculteur, celui de la fécondité avec le culte de la femme. Le rôle du sorcier  cultive un savoir  particulier où il peut associer le passé et le présent comme l’avenir : c’est ainsi qu’il fait œuvre de visionnaire ou de magisme. La résilience de ce 2ème homme dépend d’un savoir : il a su vaincre sa peur intérieure et celle de ses proches et il a su vaincre le destin, cette force extérieure qu’imposait la nature. L’irrationnel et le savoir qui dépend de la mémoire, sont deux facteurs de résilience à prendre en considération. L’irrationnel fait partie de notre inconscient, de ce vieil homme qui est au fond de chacun d’entre nous ; le savoir a précédé la raison : pour raisonner, il faut comprendre. Trop de savoir tue l’irrationnel et trop d’irrationnel tue le savoir : l’homme doit trouver le juste équilibre.
 
Du 1er homme, nous avons hérité du monde des instincts alors que le 3ème homme tente de domestiquer ces instincts par sa volonté et son énergie. Les forces obscures[18] sont maintenant[19] moins dans la nature mais plus dans l’homme lui-même[20] ! Le magisme, qui a traversé les trois couches, a de l’importance : il ne nous en reste que des vestiges de nos jours mais ces vestiges peuvent encore être sources de résilience pour l’avenir !

Chaque phase a produit un ensemble de croyances constituant un tout sur lequel l’homme pouvait se construire et évoluer : la remise en question de l’une de ces croyances provoque une ou des réactions en chaîne, une révolution ou un effondrement. L’écrit a été une révolution : la mémoire orale a perdu son importance ; l’imprimerie a permis la diffusion de la connaissance. Le savoir initialement détenu par les brahmanes, les mandarins tient à une lecture, à un déchiffrage mettant en relation les forces cachées et l’existence de l’homme présent : leur sagesse est dans cet équilibre entre le mystère et le savoir[21].
En prolongeant cette réflexion au XXIes., une mémoire individuelle peut bénéficier d’une puissante et prodigieuse mémoire collective avec Internet mais les sources de résilience se multiplient et deviennent incontrôlables : quelles mémoires sortiront victorieuses de cette tour de Babel des connaissances ?

Le 3ème homme devient toujours plus rationnel en observant tout ce qui l’entoure mais il se protège tout de même au moyen d’une part plus ou moins grande d’irrationnel,  lui permettant ainsi d’évoluer. Divers systèmes irrationnels se succèdent : Akhenaton renverse le panthéon des anciens dieux pour le culte d’Aton. La Chine et l’Inde donnent une explication différente du monde et cela joue un rôle dans la résilience ou parfois son absence.

Prenons l’exemple de l’Inde : avec ses tabous, il y a eu des castes, une notion de pureté à préserver, le karma… Soulignons les conséquences pour l’être humain d’une croyance en un destin prédestiné sur lequel l’homme n’a pas d’influence. Sur cette base, il subit son destin et ne résiste pas au profit de castes dominantes : ce culte du destin devant être accepté est une forme de ce fatalisme que nous trouverons, sous des façons différentes, chez les Orthodoxes (pouvant conduire jusqu’à un refus de l’action) et les Musulmans et chez des Chrétiens convaincus de la prédestination… Le point commun est cette conviction que la révolte contre le malheur coupe la relation existant entre l’homme et le ciel.

La Chine a développé un sens aigu de la chronologie pour la gestion de l’Etat et pour vivre aux rythmes de la nature. N’oublions que le rythme de la nature a donné le calendrier, le calcul du temps : des cycles naturels ont été identifiés. La répétition de ces observations sur la longue durée a créé une base de données identifiables et repérables. L’irruption de la culture occidentale en Chine a détruit en partie cette forme de culture sans la remplacer par quelque chose ayant une force équivalente !

L’esprit grec a libéré l’homme des entraves de la nature[22] mais la philosophie hindoue l’avait anticipée avec plus de force encore. Le substrat irrationnel est beaucoup plus fort chez les Latins que les Grecs. Les Slaves ont cultivé une foi du charbonnier contrairement à Byzance dont l’excès d’intellectualisme a tué toute forme de spontanéité. Les Slaves ont cultivé la poésie lyrique qui est un des facteurs de résilience. La littérature russe a joué un rôle aussi important que la religion pour permettre à des peuples de survivre au régime communiste : l’âme russe existe toujours mais au service de quel idéal servira-t-elle ?   

L’antiquité chrétienne s’est construite sur un fondement culturel perse et juif avec des influences grecques (altruisme), germaniques (solidarité), slaves (poésie) et arabes (connaissances des auteurs grecs par leur intermédiaire). Pour ma part, en prendre conscience serait peut-être une des meilleures formes de résilience de nos jours pour éviter l’implosion que nous risquons de connaître en 2014. L’Eglise d’Occident s’est développée en pratiquant un augustinisme vivant alors que l’Eglise d’Orient s’est figée : toute la différence entre une tradition vivante et une tradition figée.
La naissance des nationalismes a son origine dans la genèse des littératures : le rôle de l’écrit se développe en Occident. Chaque littérature nationale est une sorte de récipient de pensées pouvant engendrer les pires tensions, c’est le revers de la médaille, mais aussi une extraordinaire richesse d’invention, c'est sa face lumineuse.

1.2 La Réforme et la responsabilité de l’individu
La lecture de la Réforme par un Allemand protestant a son intérêt : Weber considère que la Réforme vient d’un pays qui ne connaît pas l’antiquité, un pays socialement neuf ayant vécu une croissance trop rapide et qui a coupé ses racines que plonge l’Eglise romaine dans la culture antique. La Réforme allemande a suscité un bouleversement de vie, une révolution universelle, inachevée à cause de son morcellement en plusieurs grandes villes : Strasbourg, Bâle, Zurich, Nuremberg. Le communisme a pris naissance dans la paysannerie protestante avec Thomas Münzer[23]. La révolution est d’essence religieuse : que ce soit les cultes des dieux, de Dieu ou de l’Homme-Dieu.
Calvin diffère de Luther en ce sens qu’il n’a pas coupé les racines de l’antiquité. Le luthérianisme a développé une religion du travail, la métaphysique du travail, favorisant ainsi une forme de capitalisme[24].
La Réforme a eu un effet commun pour l’Occident : le développement de la responsabilité de l’individu. L’Allemagne a été emportée par son dynamisme et a pris la fuite en avant : elle en a oublié la vie contemplative et pourtant elle avait eu Maître Eckart. Il y a eu des regrets et la chute dans un nouveau paganisme à la fin du XIXe s., favorisé par un courant romantique qui a été une recherche pour retrouver ce temps perdu et éviter de sombrer dans le nihilisme : le résultat nous est connu.

Depuis le XVIe siècle, l’expansion de l’Occident ne cesse de progresser. Il y a une européanisation de la planète. Mais un rideau de fer tombera sur cette expansion avec le calvinisme et le jansénisme que Weber place sur le même pied. La culture européenne a atteint l’universalité pour imposer sa culture développée et sa technicité. Le XVIIe s. est une mise en ordre de l’espace par les Européens et le XVIIIe s. sera celui de la libéralisation. Le capitalisme naît en Italie, en Flandres, Angleterre et les villes allemandes. Il y a une sorte de cristallisation qui se révèlera dans l’idée nationale.

Un rôle primordial est accordé à la littérature, le véritable creuset des idées. Par exemple, Cromwell n’aurait pas pu accomplir sa révolution s’il n’y avait pas eu des courants d’idées qui lui servirent de vecteurs. Retenons que la littérature, une expression de la culture, est un facteur de résilience. L’importance de la Bible accrédite cette approche pour les Juifs comme pour les Chrétiens[25]. Le christianisme a produit l’humanisme et tout ce qu’il en est issu (où le bon côtoie le pire). L’Angleterre a été persuadée longtemps d’accomplir un rôle messianique : au XIXe s. elle a créé tous les pôles de tension[26] qui perdureront jusqu’en 2014 et qui ne sont pas prêts de s’éteindre. Un courant du puritanisme américain poursuit dans cet esprit de nos jours…

L’astrologie chinoise ou hindoue avait servi à rapprocher l’homme de Dieu mais la théorie cosmique de Newton a produit un effet inverse : l’homme s’éloigne de Dieu. Les progrès des sciences changent le regard sur la foi : la religion est supplantée par la science. De plus en plus, l’individualisme se développe : chacun croit déceler en lui-même ce qui est bien, ce qui est mal (produit par une des lectures possibles de Rousseau). Les révolutions de la connaissance ont provoqué les révolutions des hommes. Le droit naturel se construit avec Descartes, Spinoza, Hobbes et Grotius : les Pays-Bas formeront le premier pôle de liberté en Europe et au sens que nous l’entendons aujourd’hui.
A la fin du XVIIIe s., l’Allemagne cultive l’optimisme que l’on retrouve dans les œuvres de Bach, de Lessing, de Goethe sur un substrat culturel cultivé par Kant, Fichte et Hegel. Cet optimisme est un facteur de résilience. En France, selon Weber, Rousseau a favorisé une société pessimiste : ce pessimisme a conduit aussi bien à une non-résilience par un défaitisme fataliste qu’à une terreur sans limite, avec Robespierre que quelques contemporains considèrent encore comme un modèle incompris…
Du XIXe au XXe, nous assistons à la naissance de la sécularisation, le fruit naturel du rationalisme.

1.3 La sécularisation
Les masses se sécularisent : il y a une naissance de l’homme géométrique ; la seule liberté qui subsiste est une liberté intérieure[27]. La Révolution française éclate et se diffuse mais deux Etats résistent malgré cette vague déferlante : la Prusse et l’Autriche.
Avec le romantisme, un des effets de la sécularisation, l’individu retrouve ce lien qui lui faisait défaut, avec l’universel : le microcosme confirme un cosmos[28].
Le XIXe s. se caractérise selon Weber par trois phénomènes :
1.    L’ouverture au monde et à l’espace ;
2.    En 1830, il y a une inversion dans les conventions psychiques[29] ;
3.    Dès 1880, il y a une expansion, sans limites, du capitalisme avec toutes les conséquences que nous retrouverons dans le XXe siècle.

Dès 1880, l’optimisme évolutionniste meurt : les guerres impérialistes commencent avec le bombardement d’Alexandrie et l’occupation de l’Egypte par les Anglais (1882), en un temps rapide. Avec le capitalisme, nous assistons à la fin des cités, où il est pourtant né, pour une prédominance des marchés : le développement des industries s’accompagne d’une protection des sources de production et d’exportation. Les relations interétatiques seront de ce fait complètement bouleversées. La politique de l’Etat devient une politique de puissance et de domination : l’Angleterre empêchera toute grande puissance sur le continent (ce qu’elle pratiquait depuis longtemps par un soutien aux Etats plus faibles face à l’Espagne, à la France ou à l’Allemagne, selon l’évolution de ses intérêts et des alliances pouvant la menacer).

La Première guerre mondiale révèle les frictions de l’européanisation mais Weber préfère le terme plus juste de capitalisation de la planète : ne confondons pas la culture liée au premier terme et l’économie lié au deuxième. L’unité de l’Occident a été voulue par Charlemagne, Charles Quint[30] mais le chaos l’a emporté. Napoléon a effectué une nouvelle tentative  pour rompre avec l’assemblage médiéval européen. La Sainte Alliance fut une deuxième tentative et au final, il y a eu les chaos de 1870 à 1945.

Trois phénomènes concomitants perturbent cette unité selon Weber. La Russie tente de s’insérer dans le système européen. Le poids de l’Allemagne s’accroît en Occident. Les occupations coloniales de l’Angleterre[31] et de la France[32] inquiètent l’Allemagne coincée entre des grandes puissances qui ne cessent de s’agrandir car, en même temps, la Russie développe sa puissance sur les Etats qui lui sont limitrophes[33]. La puissance économique exigeant une puissance impériale, cette lutte pour la puissance impose la mise au ban de tout adversaire. Ainsi la propagande, pour créer une unité nationale au service d’une cause devenue sacrée, avait sa voie toute tracée pour accomplir son œuvre sur les esprits des masses, chez chacune des puissances[34].
En Allemagne et selon Weber, Wagner active une vision pessimiste de la vie à la façon de Schopenhauer. Nietzsche reprend le débat sur le sens de l’existence. Un certain nihilisme prend naissance et suscite un retour à une forme ancienne de paganisme, une résilience nullement prévue. Ainsi c’est allumé un nouveau feu d’une ancienne flamme, idéologisée par le nazisme. Nietzsche a créé un retour à des couches profondes et ce fut un séisme intellectuel pour retrouver le feu sacré. L’effondrement de l’Allemagne trouve là, pour Weber, ses racines. Les deux guerres mondiales provoquent la désintégration de l’Occident.
Depuis, la compréhension mutuelle est prônée mais on se comprend toujours moins : au lieu de compréhension, nous assistons à un nivellement[35], baisse de nos résiliences potentielles mais des minorités conservent des forces insoupçonnées pouvant ressurgir n’importe quand : le faible apparemment de ce jour peut devenir le fort de demain[36]. En cela, il est possible d’établir une prospective.

Weber distingue les profonds bouleversements de la façon suivants dans le monde :
·       Orient : abdication de l’individu en un tout, identification totale avec un ensemble[37] ;
·       Occident : éthique apparente, juridiction excessive et action veulent prédominer[38];
·       Islam : enkystement et cloisonnements[39] divers.

1.4 La raison et l’irrationnel
La production et le mercantilisme règnent en maîtres mais où est la culture ? La dynamisation du savoir antique par le progrès a produit un super Prométhée. La nature est domestiquée : il ne reste plus qu’à domestiquer comme force dans la nature, l’homme lui-même.

L’homme cultive cependant les anciens mythes de façon plus ou moins consciente chez les uns ou les autres. A la façon du Grec ou du Romain, il aime toujours le tragique. Que fait l’homme quand il ne connaît plus le danger ? Quel est l’engagement héroïque lorsque ce n’est plus pour lui-même mais pour son peuple ? Son engagement héroïco-guerrier peut le conduire à l’absurde[40] que le XXe s. a démontré amplement : le côté magique et mythique de l’apocalypse le fascine toujours…  
L’irrationnel est resté un élément central des religions révélées qui, alliées à la logique aristotélicienne puis au rationalisme cartésien, puis aux catégories kantiennes, ont abouti à la deuxième grande synthèse : celle de Hegel, avec le sens de l’histoire.  L’erreur commise se révèle dans la question que Weber pose en ces termes[41] : pourquoi chercher dans ces systèmes, qui peuvent toujours éclairer, un but alors qu’ils ne sont qu’un moyen de s’orienter[42], un réseau de coordonnées[43] ? 

Pour Weber, il n’existe pas un sens de l’histoire comme l’affirme Toynbee : il y a une nature immuable qui est l’homme vivant des variations sur un même socle. Maîtriser extérieurement la nature  ne signifie pas nécessairement pouvoir expliquer la nature et le monde : oui, la nature garde ses secrets ; acceptons-le et repoussons plus loin les limites de la connaissance. En Chine, l’irrationnel prédomine : le mythique a été préféré à la métaphysique. Avec l’intellectualisme en Europe, Reichel déclare que nous en sommes revenus au point où en était Socrate : Nous ne comprenons pas !
Des connaissances sont devenues des mythes modernes, des idées auxquelles l’homme s’attache pour accéder à quelque chose d’élevé mais indéfini. Les dieux et leurs mythes ont cessé d’exister selon Weber. « Il reste encore la poésie » lui répliquait Reichel : cette poésie qui avait révélé les dieux grecs. La racine grecque de poésie est poiein qui signifie faire, agir car la poésie, selon lui, entraîne à l’action !  

Dès que l’intellectualisme annihile la métaphysique, il n’y a plus de transcendance possible, plus moyen d’accéder aux portes de la transcendance et de les ouvrir : l’homme reste devant ces portes couvertes de chiffres. Nous aurions là une perte de résilience. Les philosophies ont remplacé les religions  sans offrir cette sécurité que les âmes recherchent ! Reichel, quant à lui, s’interrogeait de la façon suivante : la compréhension de l’histoire, avec touts ses lacunes, ne s’est-elle pas substituée aux spéculations métaphysiques ? La véritable intelligence du monde ne se trouve-telle pas dans la recherche historique elle-même ?

1.5 Le 4ème homme
Weber constate dans les années 1950[44] que nous sommes à la fin d’une civilisation qui a débuté en 3500 av. J. C. et qu’une civilisation se forme avec des éléments de culture primitive qu’il s’agit de repérer. Il parle de la naissance d’un 4ème homme car la technique a remplacé l’intellectualisme : le 4ème homme est le technicien ou le fonctionnaire. L’homme devient le rouage d’un système dans un monde qui se déshumanise, pas seulement dans les dictatures car la révolution managériale à l’américaine en est aussi une illustration. La responsabilité collective supplante la responsabilité individuelle. Il considère les deux religions sociales avec les mêmes notions invoquées « Droits de l’homme », « socialisme démocratique », « démocratie » mais appliquées de deux façons différentes : les Etats-Unis et l’URSS[45] marqueront durablement l’Europe et l’Occident, à l’exception de l’Islam. La force des Etats-Unis réside dans son optimisme en conservant un fonds de puritanisme qui ressurgit de temps en temps alors que l’URSS a vécu dans une fièvre technocratique mais en gardant sa marque profonde de christianisme, si bien décrit par Dostoïevski, sans toutefois l’afficher officiellement. Le parti communiste soviétique a instauré un fonctionnarisme terroriste. En France, une bureaucratie a produit le « bon fonctionnaire » et, dans le même temps, le travail de bureau a tendu lui-même à la mécanisation. En Chine, la culture préexistant à l’avènement du maoïsme est trop prégnante : sa culture cosmique reste vivante au sein des populations malgré toutes les tentatives des gouvernements pour l’extraire. La Chine exprime une forme de capitalisme en Afrique de nos jours qui n’était pas prévisible au temps de Weber.

Pour un avenir meilleur, Weber souhaite que l’homme retrouve les forces transcendantales que lui offre le christianisme. Il s’agit de retrouver ces « anticorps » comme les appelle Reichel qui affirme que « seules les religions transcendantales, momentanément éclipsées par les religions sociales, peuvent les fournir ». Elles s’exprimeront en retrouvant la nature de l’homme dans les tragédies grecques, l’art d’un Michel Ange, une tragédie de Shakespeare ou les sons d’une musique classique. C’est avec le Geist, l’esprit, que l’homme pourra survivre et sa faculté de résilience réside dans ses forces spirituelles.
Reichel  était en accord avec cette affirmation et pensait que ce temps est favorable à la naissance de nouveaux mysticismes : un renouveau du christianisme est toujours possible.
A mon avis, d’autres religions peuvent nous surprendre (pensons au bouddhisme) et c’est l’avenir qui le dira.

1.6 La culture[46]
Analysons les éléments qui ont résisté aux grands chaos du XXe siècle : des pièces ont résisté. Ce n’est pas dans le fanatisme moderniste de l’URSS avec l’emploi capitaliste des masses laborieuses que se trouve la solution : l’effondrement de l’URSS a donné raison à Weber. La Chine cultive un magisme cosmique mais l’influence américaine se consolide, ce que Weber n’a pas pu constater. Un capitalisme chinois, à la sauce américaine mais sans en accepter l’esprit, prend le pas de nos jours. Si le communisme a officiellement disparu, les idéaux communistes sont prêts à renaître. Le capitalisme a montré toutes ses limites : les crises successives le démontrent. Pour survivre, il devra trouver d’autres formes : à travers ses multiples faiblesses, sa capacité de résilience est maximale en raison de la culture dont elle est issue.

Les cultures européennes sont ce qui a le mieux résisté aux chaos : la force de l’Europe réside dans sa richesse littéraire, philosophique, artistique et scientifique. Pour Weber, dans les années 1950, l’avenir culturel est en Occident : notre résilience possède ses racines dans ces couches culturelles, accumulées depuis des millénaires, qui sont l’humus de notre identité européenne. Encore faut-il en avoir conscience et cultiver un certain savoir !

Qu’en est-il en 2014 et que pourrait-il nous dire ? Cela serait un autre débat. Pour ma part, je vois une solution idéale en un monde vivant dans le respect des traditions culturelles diverses de la planète, en refusant toute forme de fatalisme (cette abdication de l’esprit) et toute prédominance sur l’une d’entre elles (l’impérialisme culturel) : en chacune, dans tous les continents, il y a une richesse irremplaçable, un socle sur lequel peut se construire l’avenir dans une unité, non uniforme mais diverse, à l’image des cantons suisses dans une Confédération. Par contre, il pourrait y avoir des influences mutuelles bénéfiques, cela est de l’optimisme.

Exemple suisse :
La naissance de la Confédération helvétique aurait pu servir de modèle à Weber. Paul de Vallière, dans son livre « Honneur et fidélité »[47], donne dans cet extrait une illustration qui mérite notre attention sur ce terreau complexe, aussi complexe qu’un mécanisme d’horlogerie, que forment les peuples suisses qui fourniront les armées européennes du XVIe s. au XIXe s. :
« …Tous [les Suisses] avaient hérité de leurs ancêtres communs, les Celtes, ce courage qu’admirait déjà César. Ils possédaient ces vertus germaniques qui sont l’opiniâtreté, la discipline, l’endurance, la fidélité. L’appoint du sang gallo-romain leur avait transmis la hardiesse, l’esprit d’offensive et cette vivacité d’allure qu’on trouve en Suisse romande et aussi dans certaines régions  de la Suisse orientale, le canton de Zurich, le Rheintal, l’Appenzell. Les paysans libres des cantons primitifs descendaient, disait-on, des colons militaires romains chargés de la garde des passages alpestres. Ils tiraient orgueil de cette origine. Les Rhèto-Romanches des Grisons et les populations des baillages italiens se rattachaient à l’antique civilisation étrusque. Latinisés, dès le premier siècle, ils avaient à la fois les traits de plusieurs races : superbes comme les Romains, rudes comme les Germains, querelleurs comme les Celtes et braves comme les Ligures. Tous les Suisses, produits d’une sélection étendue à tout un peuple, pendant une longue suite de générations, représentaient un type de guerrier admirablement préparé au métier dont ils allaient vivre pendant plus de trois siècles.».
Derrière un certain lyrisme de notre auteur, des vérités utiles se révèlent.   

2. Arnold J. Toynbee
Arnold Toynbee est un historien anglais quelque peu oublié de nos jours car il a développé une sorte de philosophie de l’histoire mettant en valeur son pays, menant une mission messianique dans le monde[48]. Il a eu le mérite de mener une recherche historique hors du regard purement national en insérant le passé de son pays dans l’histoire internationale. Pour quelle raison Daniel Reichel se réfère à son œuvre ? Toynbee offre une histoire comparative qui souligne l’interdépendance des histoires des civilisations[49] pour en comprendre une, l’anglaise en l’occurrence.

Toynbee a écrit dans les années 1910-1930 : sa conception évolutionniste[50] de la destinée des civilisations est empreinte d’une certaine désillusion.  En ce sens, il ne peut pas être suivi quoiqu’il ne manque pas d’auteurs traitant du déclin des civilisations de nos jours. Par contre, en ce temps où le regard historique privilégie deux prismes de façon quasiment exclusive, le politique et l’économie, Toynbee souligne en plus les liens forts entre l’histoire politique et l’histoire culturelle. Reichel ne pas l’a suivi en raison de son schématisme et de sa périodisation[51] mais pour les pistes de réflexion que son histoire comparative peut ouvrir.

2.1 Rupture apparente et continuité de fonds
Derrière ce qui apparaît comme des ruptures dans l’histoire, il y a toujours une continuité : rien  ne meurt totalement. Finalement,  comme en génétique, il y a des caractères récessifs et dominants : les récessifs peuvent ressurgir quelques générations plus tard[52] en présence d’autres gènes, les surprises de l’histoire ! Percevoir les imbrications complexes exige de sortir d’analyses historiques officielles trop simplistes.
Une société, une civilisation s’efface mais la suivante en reprend des éléments en les transformant. Avec justesse ce précepte de Loa Tseu s’applique : « Quand la chenille voit sa fin  arriver, le papillon commence à naître. ».
Pour ne choquer personne, prenons des exemples de l’étymologie. Il y a des mots dans la langue française qui ont résisté dans le temps : les plus anciens sont qualifiés d’indoeuropéens ; des mots grecs et latins s’entendent encore dans notre vocabulaire ; il y a des mots celtes et germaniques que certains linguistes se refusent à reconnaître[53] par fierté nationale et rejet systématique de ce qui pourrait provenir d’une racine ayant pourtant bel et bien existé !

Des civilisations ont résisté ou résistent à l’européanisation : les Aborigènes (Australie), les Amérindiens[54], de nombreuses tribus «primitives» et parfois monarchiques en Afrique (Cameroun par exemple avec les Bamouns[55]). Leur résilience tient non seulement à une langue vivante, des chants, de la musique, des coutumes, d’autres notions du temps et de différentes formes de prise de contact avec les esprits d’un au-delà terrestre comme une relation particulière avec la mort mais encore à un refus total ou partiel[56] de tout ce qui est occidental[57].
Parfois, il y a des assimilations diverses : ne pourrait-on pas regarder l’islamisme de façon différente si on le considérait comme une version arabe de l’Ancien testament ?

2.2 David et Goliath
Toynbee s’interroge sur ce petit mammifère, cet homme qui survit au massif reptile, ayant disparu quoique pourvu d’une solide armure. Il commente cette forme de résilience avec le fameux duel opposant David à Goliath[58].
Goliath trop confiant en son armement n’a pas imaginé devoir subir au combat une autre stratégie que la sienne. David avait compris qu’il ne pouvait pas rivaliser avec le même équipement. Goliath n’a pas été surpris par le comportement de David et il fut terrassé.
A contrario, l’hoplite fut écrasé par la phalange des Myrmidons, cette multitude de guerriers, serrés épaule contre épaule et bouclier contre bouclier : victoire d’une masse disciplinée sur des champions bien armés mais luttant de façon éparpillée. L’histoire militaire offre une succession de tactiques qui évoluent : bonnes pour un temps, elles se voient supplantées par l’imagination de l’adversaire qui tantôt utilise la masse, tantôt la troupe réduite mais, chaque fois, avec une innovation qui lui permet de dominer.
Le danger qui guette la grande puissance guerrière du moment est le « repos sur ses lauriers » : le succès corrompt l’homme[59]. Tout cela ne dure qu’un temps et les Américains peuvent y penser de nos jours. Gardons en mémoire cette citation tirée des Lois de Platon : « Si quelqu’un pèche contre les lois de la mesure et impose un poids trop lourd à quiconque est trop petit pour le porter – de trop grandes voiles à un petit bateau, une trop riche nourriture à un corps faible, de trop grands pouvoirs à une âme débile – il en résultera fatalement un déséquilibre complet.»[60].
Goliath est celui qui se croit invincible ; David celui qui observe et trouve une nouvelle solution, grâce à sa force d’imagination ; David c’est la confiance en lui en raison de son sens de l’adaptation et sa foi en Dieu alors que Goliath est confiant par la force de l’habitude, en sa routine. Peut-on trouver mieux pour étudier la résilience ?

L’histoire militaire démontre qu’un vainqueur peut apprendre du vaincu[61] : les Romains, selon Polybe, abandonnèrent leur équipement traditionnel de cavalerie pour adopter celui des Grecs qu’ils étaient en train de conquérir ; les fondateurs thébains du « Nouvel Empire » d’Egypte empruntèrent le char hippomobile à leurs ennemis vaincus, les nomades Hyksos ; les Osmanlis victorieux profitèrent de l’invention occidentale des armes à feu et quand la roue de la fortune changea, le monde occidental emprunta aux Osmanlis une infanterie de métier entraînée et disciplinée. De même, François 1er a vaincu les Suisses mais il a bâti avec eux son infanterie.

2.3 Archaïsme et futurisme
Deux dangers selon Toynbee guettent une civilisation : l’archaïsme et le futurisme. L’archaïsme est un retour à un état de société considéré comme idéal, un âge d’or. C’est une défaillance du dynamisme qui rétrograde dans une condition statique primitive. Le futurisme est une dynamique généralement pacifique à son commencement mais aboutissant à une violence autodestructrice. Dans les deux cas de figure, il y a une lutte pour une utopie. Une solution médiane existe : le détachement à la façon soit des stoïciens se sentant invulnérables, soit des épicuriens se voulant imperturbables, soit encore des bouddhistes à la recherche de la sérénité parfaite[62]. L’individu choisit souvent ou la désertion[63] ou le martyre[64]. Un sentiment de fatalité règne chez ceux qui croient plus en la créature qu’au créateur : le hasard et la nécessité sont dominants, il n’y aurait donc plus rien à faire.

Il analyse les conséquences de la Révolution industrielle : les rapports sociaux changent en raison du volume et des techniques de production ; les guerres d’extermination n’ont jamais aussi bien mérité leur nom. Il permet d’identifier des traits permanents dans l’histoire car l’homme à travers le temps est toujours un homme, une pâte humaine avec des passions individuelles et collectives. Les troubles de la société révèlent les troubles de l’âme.

2.4 Les sauveurs
Le sauveur[65], actif par nature, possède cette faculté de susciter un mimétisme de la masse, passive, à sa volonté d’action. Les individus créateurs proviennent d’une minorité créatrice. Naissance de personnalités exceptionnelles qui adoptent une opposition au pouvoir établi dans les temps de désagrégation ou de déclin. Le créateur doit être un conquérant qui relève le défi pour lui apporter une conclusion victorieuse. Il est appelé un sauveur.
Il distingue quatre sauveurs possibles. Le sauveur au glaive n’a finalement jamais réussi car tôt ou tard, son œuvre a été réduit à néant (Napoléon). Le sauveur archaïque essaye de reconstituer un passé imaginaire, idéalisé. Le sauveur futuriste tente un bond dans l’avenir de ses rêves. Le philosophe se met à l’abri avec un détachement des affaires du monde. La voie la plus originale est celle de la transfiguration : le Christ, Dieu incarné en homme, en est l’exemple le plus parfait.  Les archaïstes et les futuristes n’arrivent pas à réussir et tombent dans la violence : « Pour le monde occidental  du XVIIIe siècle, l’évangile de l’archaïsme est condensé dans la maxime qui ouvre le Contrat social de Rousseau : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers ». Le plus fameux disciple de Rousseau fur Robespierre, considéré communément comme le principal artisan de la terreur de 1793-4. »[66] Autres exemples : L’idéalisation de la race nordique, primitive et païenne, a favorisé le nazisme ; les futuristes, comme Condorcet avec la « doctrine du progrès », n’ont pas mieux réussi au XXe s.
Dans les années 1930, Toynbee invite à se méfier du futur enrobé avec un vernis d’ancien par la propagande :
« Le futur, dépouillé des parures dont on veut bien le revêtir, offre toutes les angoisses de l’inconnu tandis que le passé peut être représenté come une patrie intime depuis longtemps perdue, hors de laquelle la société en désagrégation s’est égarée dans le désert du présent. »[67]. Toynbee pense au socialisme corporatif en Angleterre pendant l’entre-deux-guerres. Le roi philosophe est tôt ou tard obligé d’user de la contrainte : Frédéric II est Orphée transformé en sergent-instructeur; la force armée est nécessaire et Machiavel l’avait abondamment démontré.
L’homme se prenant pour dieu : des sauveurs au temps de Rome se sont fait passer pour des dieux. Masque utile pour asseoir un pouvoir en répondant à un besoin inconscient des peuples. Pour Toynbee, il existe un seul Sauveur, Dieu fait homme : le Christ annoncé par Isaïe et proclamé par les Evangiles. Tout défi se posant à l’homme peut être surmonté grâce à la foi. Il suffit de garder une espérance à l’heure critique. 

Le schisme de l’âme se traduit dans le monde par une uniformité de comportement, de sentiment et de mode de vie. La standardisation serait une des causes d’absence de résilience. Un exemple de résilience que Toynbee ne mentionne pas mais qui aurait illustré son propos : la Suisse a trouvé une unité respectant les diversités de chacun des cantons. Une tradition non figée permet de créer une dynamique qui ne cherche pas une renaissance de quelque chose qui a déjà vécu mais une naissance de quelque chose de neuf à partir de ce tissu du passé qui fait notre présent.
Toynbee s’interroge sur l’avenir d’une Eglise universelle et d’un Etat universel : la question est ouverte mais ne peut être étudiée dans le cadre de cette communication.

2.5 Les mémoires
Pour Toynbee, la faculté de résilience de l’homme de demain réside dans sa mémoire : les pandits en Inde, les druides chez les Celtes ont cultivé une prodigieuse mémoire orale qui a passé par un refus de l’écrit[68]. Finalement l’écrit n’a conservé que des bribes de ces cultures. Dans l’écrit, il faut aussi comprendre son origine dans le dessin, dans la sculpture, la peinture : en fait, nos premiers écrits passent par l’art. Des outils chirurgicaux de l’âge de la pierre et des analyses de crânes démontrent que des opérations complexes ont pu se pratiquer sans la possession de tout ce savoir réacquis depuis la Renaissance en matière chirurgicale. Il y a avait des techniques médicales[69] qui ont été perdues puis retrouvées. L’astrologie a donné naissance à l’astronomie...

Nous vivons dans un monde où les forces des idées, bonnes ou mauvaises, perdurent : il convient de les identifier pour constater leurs permanences, ce qui les rend durables, leurs ruptures, parfois qu’apparentes, car, comme pour l’eau, il y a des résurgences toujours possibles.
Cultiver la rationalité en acceptant cette part de mystère que l’on qualifie d’irrationnel, pour un instant seulement car l’homme ne cesse de faire reculer les limites de la connaissance, tout en constatant au final comme Pascal : « Je ne sais qu’une seule chose c’est que je ne sais rien. ».

Reichel et la substance d’un peuple[70]
Pourquoi Reichel préfère utiliser la notion de substance d’un peuple plutôt qu’une ethnie ou une nation ? C’est dans l’œuvre de Voltaire «Histoire de Charles XII» qu’il a trouvé pour la première fois cette appellation pour déterminer cette vie d’une population qui survit tant bien que mal à la famine, à la peste et aux guerres, ces catastrophes politiques. Et c’est chez Weber que cette notion est développée. Reichel considère qu’un pays est composé la plupart du temps d’ethnies différentes partageant cependant une même identité : la Suisse en est l’exemple le plus typique. Il rappelle souvent qu’au nom de la Nation, de nombreuses guerres saintes ont été livrées alors que ces guerres n’avaient rien de religieux. Il arrive à la conclusion que les hécatombes immunisent en quelque sorte les survivants en les rendant soit religieux[71] (orthodoxes ; communistes), soit fatalistes (Islam ; bouddhisme) : là il reprend une idée chère à Toynbee.
Reichel aimait à dire : «La substance d’un peuple est longtemps apparue dans l’histoire comme une source qui jaillissait malgré les décombres et dont la force vive était fruit des influences les plus diverses.». Sans employer le mot résilience, c’est ainsi qu’il a abordé notre thématique.

Pour accomplir cette étude sur la substance d’un peuple, il s’agit de comparer les documents culturels de tous les peuples connus pour tenter des interprétations. La nécessité d’une histoire comparative s’impose : analyse des matériaux laissés par le temps et sur lesquels se sont construites nos civilisations. A travers les évènements, il s’agit d’identifier les grands courants de pensée qui leur ont permis d’exister. L’étude doit être pluridisciplinaire : ethnologues, historiens, sociologues, psychologues repèrent ces forces immanentes, transcendantales qui ont toujours animé l’homme d’hier, d’aujourd’hui comme celui de demain !

Il est des déclins et des régénérescences : pour les populations, il distingue ainsi des rythmes et des cycles naturels, familiers aux biologistes et aux écologistes, tout en gardant à l’esprit que ces cycles peuvent être perturbés. Restant dans l’esprit d’Alfred Weber, Reichel a craint que l’avènement des masses ait compromis la renaissance des peuples. En suivant Toynbee, il estime que les empires ont pu percer dans l’histoire en créant un sens : que ce sens se perde et l’empire cesse d’exister. En parlant des peuples, comme le dit Weber, il faut cesser de confondre un peuple avec une surface géographique, coloriée dans les atlas politiques. La Suisse est un bon exemple : plusieurs peuples derrière un  drapeau rouge à croix blanche.

Comme métaphore, il préfère une vision géologique que nous trouvons déjà chez Weber et qu’il affine plus : les peuples se sont constitués de divers éléments, se mêlant petit à petit et sous différentes pressions comme les couches géologiques d’un sol. Dans la vie d’un peuple, il y a des phases de rupture, des évènements divers dont certains provoquent d’inévitables érosions de surface et d’autres qui perturbent les couches profondes. Il convient chez un peuple d’identifier ces couches profondes, ces matériaux historiques qui ont subi les plus fortes pressions : il y a des cristaux, des roches pourries, des sédiments et des alluvions...

C’est ainsi qu’il entend étudier la substance d’un peuple, des groupes humains, capables d’offrir une résistance, une résilience plus ou moins grande aux évènements : il s’agit surtout de repérer cette relative invulnérabilité à ce qui passe en surface. Il souligne surtout l’existence de composants hétérogènes. Si certains matériaux résistent admirablement aux plus hautes pressions, ils peuvent aussi éclater à la suite d’un choc, alors que des mesures préalables pouvaient a contrario amortir celui-ci. Ainsi une prospective peut se construire.

La substance d’un  peuple pourrait être assimilée à une organisation spécifique autour d’une masse centrale constituée d’éléments hétérogènes à identifier. Ces différentes sous-couches peuvent connaître des effondrements mais sous les ruptures apparentes constatées, il y a un phénomène de continuité. Reichel émettait comme hypothèse que la substance d’un peuple serait identique avec sa pensée, une pensée qui donnerait leur unité aux éléments hétérogènes et son énergie à la masse. Ainsi la résilience d’un peuple pourrait être appréciée avec des critères utiles à défaut d’être mesurée d’une façon quantitative. 

Dans nos cultures diverses se trouvent les forces de résilience de demain. Le rationalisme à outrance a produit le technicien. Pour ma part, j’ajoute que notre actualité apporte un élément complémentaire : l’irrationnel, de religieux est devenu émotionnel. La solution se trouve peut-être dans cet humanisme médiéval où l’homme accepte sa condition humaine en faisant le bien qu’il peut tout en conservant le respect de ce mystère que seul Dieu connaît. La religion est la solution médiane entre un trop humain ou un trop divin : cet aspect n’explique-t-il pas la longévité et l’universalisme du christianisme ? Là est peut-être le rôle de la religion pour sauver l’homme du nihilisme le plus complet : libre à vous de conclure selon vos convictions.

Reichel a voulu ainsi établir, suite à une discussion avec le Professeur Courtes de Montpellier, ce lien qui existe entre les courants philosophiques et les doctrines militaires. Cela s’est concrétisé en deux colloques dont plusieurs tableaux synoptiques[72] en donnent des synthèses qui permettent d’établir une solide base de réflexions, le sujet étant par nature inépuisable. Avec le Professeur Motte, divers colloques « Guerre et littérature » ont voulu poursuivre un des axes que Reichel avait proposé. Cette thématique offre encore de multiples pistes de recherche à explorer.

Conclusion
A l’origine de l’homme, la résilience résidait dans son instinct de survie, cet instinct de survie existe encore de nos jours au cœur de l’engagement armé du fantassin confronté directement à un adversaire. Cette résilience individuelle est à la fois physique et spirituelle, elle est animée par une conscience exacte de son rôle pour soi et pour autrui.
La résilience pour une société n’est pas de nature unique : il s’agit d’un mélange de religion, de tradition politique et de culture. La résilience d’une société dépend de sa mémoire du passé qui lui permet de vivre le présent et de construire l’avenir. Le temps renforce ou affaiblit cette faculté de résilience par des assimilations et des rejets, totaux ou partiels. La résilience est un terme qui, à l’origine, était réservé plutôt à la métallurgie : en fait, j’aurais préféré recourir à la génétique, à cette chaîne hélicoïdale complexe avec des gènes multiples dominants ou récessifs pouvant s’associer ou se dissocier.
La victoire de l’empire romain n’a pas empêché la culture grecque de prospérer. La culture juridique romaine et le droit germanique ont produit un droit coutumier. La culture perse perce à travers la culture juive. Le monde des chiffres vient de l’Inde, passe par le monde arabe pour triompher en Occident. Nos langues mêmes témoignent des brassages de peuples qui font ce que nous sommes aujourd’hui. La mémoire de ce passé ne peut que renforcer notre résilience face aux défis futurs, c’est-à-dire face à d’autres résiliences dont il ne faut pas sous-estimer les forces de résurgence : pourra-t-on créer un nouvel humus, sans détruire les couches profondes, permettant de développer toutes les racines, en favorisant ce que chacune d’entre elles a de meilleur ?
La résilience d’une société est le fruit d’un alliage d’éléments de natures différentes et dans des proportions différentes, le temps faisant son œuvre, certains élément se désagrègent ou se purifient….

L’histoire humaine s’étudie dans sa globalité sans valoriser une civilisation plutôt qu’un autre. Weber, Toynbee et Reichel sont des éveilleurs, des affuteurs de regard, des incitateurs à comprendre ces révolutions qui paraissent des ruptures mais qui sont en fait des continuités de mouvements sous-jacents, invisibles à première vue. Identifier ces lames de fonds qui pourront bouleverser demain notre quotidien permet d’établir une prospective.
                                                                                  Antoine Schülé
Contact : antoine.schule@free.fr


La Tourette, le 8 décembre 2014.

Annexes[73] :
1 Reichel : Courants de pensée du XVIe au XVIIIe s.
2 Reichel : Courants de pensée du XVIIIe au XXe s.
3 Reichel : Courants de pensée : les idées forces.




[1] Ce terme, appliqué initialement aux alliages de métaux au XIXe s., à la psychologie scolaire pour ensuite s’étendre à la biologie, à l’écologie et à de nombreux autres domaines, ne me plaisait guère. Finalement, je l’ai adopté avec moins de réticence en étudiant son étymologie. Le mot résilience provient du sanscrit, avec cette racine sal pour aller, avancer qui a donné en latin salio signifiant sauter, bondir. In : Francisco Bopp : Glossarium comparativum linguae sanscritae. Berolini. 1867. 492 p. (p. 415 a). L’étymologie révèle la résilience de certains mots à travers les temps, les civilisations.
[2] Neuchâtelois, officier de carrière de l’Armée suisse, directeur de la Bibliothèque militaire fédérale, fondateur du Centre d’histoire et de prospective militaires (CHPM), Daniel Reichel (1925-1991) a renouvelé l’histoire militaire suisse dans les années 1960, en cultivant la pluridisciplinarité et, ce qui est plus original, en y ajoutant une dimension nouvelle : la prospective.
[3] Il m’a choisi comme collaborateur scientifique et archiviste au Centre d’histoire et de prospective militaire (CHPM) où, de 1983 à 2005, j’ai réalisé, seul ou en équipe, de nombreux projets de publications, de colloques et d’expositions.
[4] Pour employer son expression.
[5] 1889-1975.
[6] Arnold Toynbee (trad. de l’anglais par Elisabeth Julia) : L’Histoire, un essai d’interprétation. Bibliothèque des Idées. NRF. Gallimard. Paris. 1961.  652 p.
Il s’agit d’un abrégé par D.C. Somervell des volumes I à VI de A study of History, validé par Toynbee qui en a établi la préface.
[7] 1868-1958 et à ne pas confondre avec Max Weber, son frère d’ailleurs souvent cité dans son ouvrage.
[8] Daniel Reichel a utilisé deux éditions : 1ère éd., Alfred Weber : Kulturgeschichte als Kultursoziologie. Sijthoff’s Uitgeversmij N.V. Hollande. Leiden.1935. 424 p.; 2ème éd., Alfred Weber : Kulturgeschichte als Kultursoziologie. Piper Verlag. München. 1951. 512 p. Ayant lu la version allemande, car je n’en connais pas de version française, je témoigne qu’il n’est pas toujours facile de traduire ces mots composés allemands qui nécessiteraient des phrases pour exprimer la même idée.
A partir de la p. 445 de la 2eme éd., A. Weber apporte des éléments complémentaires en intégrant la nouveauté de l’arme de destruction massive que peut être le nucléaire et son vécu de la Seconde guerre mondiale.
[9] CHPM Actes du Symposium 1989 «Quelques influences ayant marqué la pensée militaire de la Renaissance à 1789 ». Pully Suisse. 1990. 112 p. et 3 planches.
CHPM Actes du Symposium 1990 «Quelques influences ayant marqué la pensée militaire de 1789 à nos jours ». Pully. Suisse. 1992. 100 p. et 3 planches. 
[10] Pour le XIIe symposium du CHPM en 2002, Guerre, Armées et sociétés, j’ai fait en sorte que les documents Reichel « Courants d’influence sur la pensée militaire, de l’Antiquité à nos jours. » soient dactylographiés et réédités. Voir annexes.
[11] Les cantons romands actuellement mènent des luttes pour leurs universités respectives : de difficiles compromis voient le jour.
[12] Le droit successoral varie d’un canton à l’autre pour la fiscalité par exemple.
[13] Ce critère germanique peut choquer de nos jours : il n’y a pas de considération dépréciative chez Weber, il veut offrir une graduation entre divers stades d’évolution, sans plus.
[14] Dans la deuxième édition de son livre, Weber parle d’une quatrième phase : le fonctionnaire et le technicien.
[15] Exemples : l’irrigation (les canalisations du Nil, du Tigre et de l’Euphrate) qui a permis la naissance de la civilisation sumérienne ; l’élevage : les forêts ont régressé avec les troupeaux de moutons pour créer des prés ; du nomadisme des chasseurs, l’élevage a suscité le semi-nomadisme avant que l’agriculture favorise le sédentarisme.
[16] Ginkgo Biloba, prêle, fougères. 
[17] Les mutations climatiques sont une des premières causes d’une forme de nomadisme, dicté par la survie : vers 2000 av. J.C., les Achéens, vers la Grèce ; les Hittites en Asie mineure ; les Hyschos en Egypte. Lors de la deuxième mutation climatique, les Goths se déplacent vers le Sud, se heurtent aux Huns qui sont déviés vers l’ouest.
[18] Symbolisées par les dragons dans les peintures médiévales.
[19] Le XXe siècle a connu plus d’horreurs à l’échelle de la planète qu’au temps des barbares ou de ces périodes de l’histoire si vite qualifiées, non sans une certaine superbe, d’obscurantistes : cela jette une autre lumière sur le passé…
[20] Le lion médiéval qu’il convient de dompter : l’ennemi à vaincre non par les armes mais par la compréhension. Le lion de saint Jérôme était dangereux en raison d’un épine qu’il avait dans le pied ; st Jérôme lui l’enlève est le lion vit en paix avec les hommes ; chercher à comprendre les raisons de la violence permet d’avoir la paix... Ce lion peut être un ennemi intérieur à l’homme !
[21] Viollet-le-Duc a traduit cela en un motif à caractère médiéval à la base de la colonne centrale d’entrée du portique de Notre Dame de Paris : la Sagesse tient un livre ouvert et un livre fermé et une échelle symbolisant la force transcendantale.
[22] Avec Homère, l’héroïsme donne sens à la vie.
[23] Disciple de Luther.
[24] Différente de celui né dans les Etats italiens : un point commun, naissance dans les grandes villes.
[25] De même que le Coran ne serait en fait qu’une version arabe de l’Ancien Testament.
[26] Sans connaître cette culpabilité si bien cultivée pour d’autres pays, au nom du devoir de mémoire.
[27] Weber : 1ère éd. op cit p. 370.
[28] Il y a là un lien avec la pensée chinoise.
[29] Un sens nouveau est donné à l’histoire, au niveau de la collectivité, et à la vie, au niveau individuel : les relations sociétales ne sont plus les mêmes.
[30] Henri IV en France l’a aussi envisagé.
[31] Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Canada.
[32] Algérie, Cochinchine, Cambodge, côtes malgaches.
[33] Turkestan, Turkménistan, Samarkand 
[34] Propagande trop souvent basée sur le mépris de l’autre : aucune puissance n’y a fait exception, même s’il est une tradition bien implantée d’admirer celle de la puissance victorieuse parée de toutes les vertus alors que celle adverse et vaincue n’a que des vices dont il convient de cultiver la mémoire de façon quasi religieuse…
[35] Weber, 1ére éd., op cit, p. 382
[36] Deux pays vaincus, l’Allemagne et le Japon, se sont relevés plus vite que d’autres nations.
[37] Du maoïsme à un communisme capitaliste, aussi étrange que puisse paraître la qualification de ce nom.
[38] De la responsabilisation de l’individu, le compassionnel a pris le dessus : nous sommes à l’ère de la victimisation mais avec un racisme des victimes : celles qui ont droit à la médiatisation et celles qui ne méritent au mieux aucune attention particulière (les Masaï, les Touaregs) ou même qui sont médiatisées comme étant « un  juste retour des choses» (les migrations allemandes dues à l’URSS et la Pologne entre autres).
[39] Après avoir connu une apogée au XIIe –XIIIe s : d’un Islam éclairé, a succédé un Islam figé en apparence ; il existe de nombreux courants divers au sein de l’Islam mais trop mal identifiés par les Occidentaux.
[40] Weber écrit cela en 1931-2.
[41] Weber, 1ère éd, op cit, p. 395.
[42] Expression de Weber.
[43] Expression chère à Reichel. Voir les annexes qui le démontrent.
[44] Il faut se référer à la deuxième édition à partir de la p. 455.
[45] Weber compare le Politburo de l’URSS au collège cardinalice du Vatican !
[46] Pour ma part, j’aurais préféré dire : Les cultures.
[47] Paul de Vallière : Honneur et fidélité. Histoire des Suisses au Service étranger. 2e éd. Art suisse ancien. Lausanne. 1940. 774 p. (p. 84)
[48] A l’image du peuple d’Israël.
[49] Il en privilégie 34 dans la longue durée.
[50] Systématiquement : naissance, croissance et déclin sont disséqués.
[51] Utile pour une première approche mais dont il faut savoir se défaire lorsqu’on acquiert une meilleure connaissance de ces civilisations (ce qui peut prendre du temps pour celui qui adopte un peu plus qu’un vernis superficiel de savoir).
[52] L’actualité démontre que si l’URSS est morte, la Russie de 2014 a encore des germes actifs de la Guerre froide (froide si, comme on l’a fait jusqu’à la chute de l’URSS, on veut ignorer pendant des décennies les souffrances des peuples dominés pour préserver un sentiment de paix dans la Vieille Europe) qui risque toutefois de devenir chaude (si l’on veut vraiment que les peuples aient le droit de disposer d’eux-mêmes autrement que dans des discours onusiens ou pour nobélisables).
[53] Dans le Sud de la France, l’occitanisme conduit à ce refus volontaire d’une origine autre que locale. A chacun ses œillères !
[54] En voie de disparition, malgré ce droit des peuples à disposer d’eux-mêmes propre au discours de tout chef d’Etat américain. Le mot « liberté » a une saveur très amère pour certaines minorités qui l’entendent mais ne la vivent pas du tout, dans une indifférence occidentale habitudinaire.
[55] Avec le sultan Ibrahim Njoya.
[56] Refus de la capitalisation, acceptation d’éléments culturels (cultivés par le christianisme et ensuite par l’humanisme, sous différentes formes).
[57] Surtout quand il oublie qu’il y a un monde visible et invisible.
[58] Toynbee, op cit, p. 363
[59] Alors que celui qui surmonte les obstacles que sont ses échecs momentanés se renforcent, progressent dans la mesure où sa volonté est assez forte jusqu’à la victoire.
[60] Cela est aussi juste en politique !
[61] Toynbee, op cit, p. 500
[62] Nirvâna.
[63] Un refus d’agir.
[64] Qui est une violence non envers l’autre mais envers soi-même : la motivation seule lui donne un sens.
[65] Toynbee, op cit, p. 582
[66] Toynbee, op cit, p.588
[67] Id, p. 589
[68] L’oralité assurait un savoir ainsi aux seuls initiés.
[69] Acquises de façon empirique mais beaucoup plus évoluées que l’on a bien voulu le croire.
[70] Je me réfère à la copie d’un texte manuscrit de Daniel Reichel qu’il m’a remis suite à une discussion : «Peut-on encore défendre la substance d’un peuple ?», daté du 05.08.1978, 11 p.
[71] Avec ou sans dieux ou Dieu.
[72] Voir les annexes.
[73] Elles vous offrent une synthèse de la pensée de Reichel et vous ouvrent des pistes de recherche fondamentale : tout est ouvert, rien n’est clos. Pour les citer, voir Actes du CHPM, mentionnés à la note 9 dans le présent article.

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