jeudi 14 juillet 2016

Moyen Age et notion de guerre juste : rapide synthèse.

La notion de guerre juste au Moyen Age.

Antoine Schülé

«Tout homme cherche la paix même en faisant la guerre
et nul ne cherche la guerre en faisant la paix.»[1]
Saint Augustin

Cette synthèse rapide tente de souligner les origines d’une théorisation chrétienne de la guerre dite «juste». Son élaboration s’inscrit dans la longue durée : il faut remonter à saint Augustin (354-430) et attendre finalement saint Thomas d’Aquin (1225-1274) pour en découvrir une forme aboutie qui, non seulement, perdurera dans les orientations spirituelles de l’Eglise (voire des Eglises mais avec des nuances diverses) jusqu’à aujourd’hui mais qui, en plus, influencera de grands courants de pensée du Moyen Age au XXIe s. comme je l’esquisserai  brièvement.

L’Eglise naissante ne se préoccupait pas particulièrement de la guerre puisqu’elle s’intéressait à cette paix qui doit se construire chaque jour, d’abord avec soi-même et, à partir de là seulement, avec les autres, voire même avec ses ennemis. Par contre il convient de souligner deux regards forts différents sur la guerre avec l’Ancien testament et le Nouveau testament. Dans l’ancienne alliance, la guerre traduit des confrontations de forces où Dieu est le seul vrai Dieu des armées : Il récompense par la victoire, Il punit par la défaite. Cette notion se retrouve au Moyen Age dans le duel judiciaire. Cependant, avec la nouvelle alliance révélée par Jésus Christ, il y a une révolution totale : le Dieu tout puissant des armées devient le Dieu tout puissant par l’Amour qu’Il porte à toutes les nations et pas uniquement à un peuple. Ce message est essentiel mais reste souvent oublié de nos jours, même par ceux qui étudient cette évolution de la pensée sur la guerre !

Avec l’Ancien testament, il est possible d’établir un livre de tactique et de stratégie militaires, illustré par l’exemple[2] : il nous en apprend autant que les meilleurs ouvrages traitant de l’art de la guerre.  Au Moyen Age, l’homme de foi avait une meilleure connaissance de l’AT[3] qu’un croyant actuel. Lors des guerres dites[4] de religion du XVIe s., cette lecture a façonné plus d’un chef de guerre et c’est ainsi que s’est forgée une pensée militaire protestante.  
Avec le NT, la première lutte à mener est contre les forces du mal qui se trouvent au cœur de la personne ! La lutte est d’abord spirituelle comme les épîtres de Paul le disent et redisent à foison. Pour l’Eglise, la seule vraie révolution est celle du cœur : celle de la société humaine en découlera, voilà l’espérance.
En gardant à l’esprit ces quelques aspects théologiques, la généalogie de la pensée chrétienne sur la guerre se dévoile plus facilement.

Comment les questions sur la guerre se sont posées aux premiers Chrétiens ? En deux circonstances précises : lorsqu’ils devaient soit prêter serment à l’empereur, soit offrir des sacrifices aux dieux, la victoire étant acquise. Or les questions que nous nous posons de nos jours sont d’un autre ordre : un Chrétien avait-il le droit de s’engager dans une armée ? Un soldat converti pouvait-il rester dans l’armée ? La réponse nous est connue : le martyre est privilégié par les soldats[5] qui refusent de sacrifier aux dieux. Toutefois, la fonction de soldat n’est pas contestée par les premiers Chrétiens : elle est admise. De nombreux militaires, dans le Nouveau testament, se convertissent et le Christ ne leur a pas demandé de renoncer à leur fonction. Il leur est demandé de ne pas exercer de violence inutile[6]. De nombreux saints militaires[7] sont restés des modèles.

Au IVe siècle, la masse des populations chrétiennes s’accroit. Le problème de la défense armée se pose avec acuité : suite à l’effondrement de l’empire romain, des tribus germaniques effectuent leur « conquête de l’Ouest » et même du Sud car nous les retrouvons jusque dans le Nord de l’Afrique. La marque fut profonde et se retrouve dans notre vocabulaire actuel : le mot latin « bellum » a disparu au profit d’un mot germanique « wera » qui est devenu le mot « guerre » en français. Au XXe s., la racine grecque « polemos », avec Gaston Bouthoul[8], a donné de nouveaux fruits…
La nécessité de se défendre au IVe s. passe avant tout. Aux hommes d’armes, les pratiques païennes ne sont plus imposées. Le service armé est considéré comme un service concret à ses frères humains. Les Pères de l’Eglise n’hésitent plus à faire l’éloge du soldat. Les évêques réclament la punition des déserteurs.

Au début du Ve s., saint Augustin, avec la «Cité de Dieu»[9], développe une réflexion profonde sur le problème de la guerre et de la paix. La difficulté pour le lecteur contemporain est qu’il ne rédige pas un traité spécifique sur ce sujet. Il est nécessaire de lire attentivement l’ensemble de son livre pour trouver des éléments de réponse, dispersés en plusieurs chapitres. Avec saint Thomas, d’Aquin, s’inspirant des œuvres de saint Augustin[10], une synthèse de la pensée augustinienne sera enfin disponible.
Une première remarque : saint Augustin traite de la question de la paix et de la guerre et ne dissocie jamais ces deux mots. Le contexte historique l’explique : à la date de la rédaction de la «Cité de Dieu», Alaric avait saccagé Rome. Des païens conservateurs accusaient le christianisme d’être responsable de tous ces malheurs ! Sa réponse est claire : il s’élève avec force contre les guerres entreprises par cupidité ou par soif de domination. En termes contemporains, nous disons des guerres pour des raisons économiques ou par volonté hégémonique de puissance. L’actualité de ces propos n’échappe à personne en ce temps où nous vivons de véritables guerres économiques dans une paix, en fait, relative et même inconnue dans plus d’un pays. Notre auteur poursuit, et c’est essentiel pour le comprendre, en argumentant que la participation à la défense (il accepte le mot guerre dans ce sens restrictif) peut s’imposer dans certaines circonstances : « Notre devoir, c’est de vouloir la paix et de ne faire la guerre que par nécessité, afin que Dieu nous délivre de cette nécessité et nous conserve dans la paix. ».
Il souligne avec force et à plusieurs reprises que la violence injuste ne peut être arrêtée que par la contre-violence. Celui qui est injustement attaqué doit être défendu : c’est un devoir de charité. Empêcher l’injustice est un devoir chrétien. Ainsi, sans employer l’expression «devoir d’ingérence» qui a connu un si vif succès depuis les années 1980, il insiste sur la nécessité de prendre parti en faveur des victimes de la violence injuste : « C’est l’injustice de l’adversaire qui contraint le sage à des guerres justifiées. ». A partir de cette affirmation, la notion de « guerre juste »  a pris naissance.
Une précision s’impose : saint Augustin lui-même ne parle pas de « guerre juste » car la guerre est le fruit du mal. Considérant que la non-violence n’est pas une réponse à certaines situations[11], il préconise une «résistance collective contre l’agression» et cette formule, à mon avis, reflète au mieux sa pensée. Nuance non négligeable car elle autorise le tyrannicide et le devoir de résistance : des mouvements religieux en ont fait usage en certaines circonstances[12].
L’héroïsme chrétien est dans sa perspective, la charité la plus totale : celle du martyre «par lequel le disciple est rendu semblable au Maître[13] qui librement accepta la mort pour le salut du monde, et s’est rendu conforme à Lui dans l’effusion du sang.». « Le mal [qu’est la guerre] est réemployé au service du bien. ».[14]
En quelques mots, j’ai tenté de résumer la pensée augustinienne : la guerre est défensive, se pratique et par charité et par nécessité : cette nécessité qui sera appelée, plus tard, «devoir de justice».  

Du Ve s. au XIIIe s., les Pères de l’Eglise s’expriment à de nombreuses reprises sur la guerre. Des hommes d’église s’engagent militairement. L’armée d’Otton III est commandée par l’évêque Bernard. Plusieurs prêtres sont de véritables chefs d’état-major, sans en porter le titre : ils rédigent les ordres et conseillent l’autorité de leur savoir et de leurs connaissances vétérotestamentaires. En 1053, le Pape Léon IX remporte une victoire sur le Normands dans les Pouilles. Les premières croisades sont défensives mais l’esprit de cupidité prendra vite le dessus : Venise en profitera[15]

Un aspect à prendre en considération du Ve au IXe siècle : les us et coutumes germaniques en matière de guerre se romanisent très lentement. De tradition germanique sont la « faide », la vengeance, l’esprit de clan et de famille, le rôle prépondérant des alliances (la parole donnée a plus de poids qu’un traité[16] ; création de liens de parenté, parfois fictifs ou par simple adoption, pour justifier une alliance qui devient un lien du sang[17])…. Le sang versé justifie de verser un autre sang pour régler un différend lorsque le versement d’une somme d’argent ne suffit pas. Dans ce laps de temps, nous assistons à un véritable choc des cultures, la latine et la germanique. Il en est découlé de nombreuses incompréhensions culturelles[18] qui existent encore chez des historiens qui ne veulent lire l’histoire médiévale qu’avec les lunettes déformantes de la romanité  ou des valeurs intellectuellement correctes à l’aune de notre temps !

Au Moyen âge, des auteurs innombrables traitent de la guerre et il faudrait un épais volume pour étudier leurs apports respectifs. Quatre noms prédominent : Dhuoda, Raymond Lulle, Honoré Bovet et Christine de Pizan. Deux femmes et deux hommes. Les trois derniers ont bénéficié des écrits de saint Thomas d’Aquin.

Dhuoda[19] est une aristocrate carolingienne, auteur du livre ayant pour titre « Manuel pour mon fils », écrit entre 841 et 843. Elle gouverne en l’absence de son mari, la seigneurie d’Uzès[20], pays de Gothie. Son livre est un testament spirituel où elle donne des conseils à son jeune fils[21], loin d’elle et appelé à exercer un pouvoir. Il s’agit d’un manuel[22] de savoir-vivre pour un aristocrate se devant d’être brave et pieux : elle adopte un genre littéraire, connu depuis la plus haute antiquité[23], le miroir. N’y voyez aucun narcissisme de la part de cette femme écrivain ! Son objectif est que son lecteur, son fils en la circonstance, puisse corriger ce qui n’est pas en ordre, ce qui ne va pas en lui par la lecture de son livre. Sur deux plans différents, il s’agit de s’observer soi-même : dans le monde, c’est-à-dire la vie en société et en son âme soumise au regard de Dieu. Sur le point de mourir, elle nous offre  sa conception de l’éducation morale, sportive et littéraire : source importante pour découvrir une spiritualité laïque[24] médiévale en Gaule franque. Son ouvrage décrit comment lutter contre les vices, comment pratiquer les vertus, et les différentes obéissances qui sont dues selon un ordre très précis : d’abord aux parents, au roi mais seulement en deuxième position, ensuite au seigneur et en dernier au prêtre. La justice est donnée par les commandements de Dieu et l’honneur nécessite d’accomplir son devoir au sacrifice de sa vie[25].

Dans cet esprit, l’ordre de chevalerie se crée dans la longue durée et non pas du jour au lendemain. La Foi l’anime. A défaut d’une autorité spirituelle qui dit le droit, il s’agit d’exercer la justice, en se plaçant sous le regard de Dieu et pas obligatoirement, suivant la seule décision du suzerain... Selon une tradition germanique, la noblesse n’était pas héréditaire, le roi était élu par ses pairs[26] et pouvait être démis de ses fonctions, un chevalier était adoubé par un autre chevalier en raison de sa valeur et non de son hérédité… Les successions, difficiles et ayant conduit à des guerres fratricides, ont favorisé la mise en place d’un droit héréditaire, variant d’un pays à l’autre[27], assez efficace généralement à l’intérieur d’un pays avec des accommodements fréquents mais, plus rarement décisif il faut bien le reconnaître, lors des mariages unissant les grandes familles régnantes européennes…

Dans sa « Somme théologique », Thomas d’Aquin traite de la charité : le problème de la guerre y est analysé dans l’esprit de saint Augustin. La question première est : « Est-ce toujours un péché de faire la guerre ?». Ainsi, par rapport à la guerre, il y a présomption de péché. Face à chaque situation particulière[28], il s’agit d’analyser s’il y a droit de participer à la guerre en conscience. Avant d’accepter la guerre, se convaincre que la guerre menée n’est pas un péché est la phase décisive de cette décision à prendre. Pour saint Thomas, se résoudre à la guerre ne devient possible que si la charité, dans sa composante de justice, nous l’impose. Dans un langage clair, sans l’obscurcir avec de vaines considérations et de façon pragmatique, il nous dicte les trois principes, simultanés et non pris séparément[29], qui permettent de qualifier la guerre de juste :
« Pour qu’une guerre soit juste, il faut trois conditions :
-        L’autorité du prince, sur l’ordre de qui la guerre doit se faire…
-        Une cause juste : c’est-à-dire qu’il est requis que ceux qui sont attaqués méritent de l’être en raison de quelques fautes…
-        Une intention droite chez ceux qui font la guerre : c’est-à-dire qu’on doit se proposer de promouvoir le bien et d’éviter le mal. »

Dans le cas où deux princes considèrent leurs causes comme justes et se sentent dans l’obligation de se faire la guerre pour conserver leurs droits, il est prévu que le Pape puisse trancher le différend : autorité spirituelle de dernier recours mais une décision défavorable de celle-ci n’a pas empêché celui qui voulait trancher le différend par la guerre de la faire tout de même[30].
De nos jours, nous ne disons guère mieux avec une avalanche de mots sur «le discernement éthique». Nous pourrions croire que tout cela est le propos d’un docteur de l’Eglise, sans grande portée pour le chevalier lambda. Ce serait une erreur. Ces principes ont conditionné les codes de conduite du chevalier dès ce XIIIe s. Prenons les trois auteurs annoncés précédemment et non encore présentés.

Raymond Lulle est un Catalan, né à Palma de Majorque vers 1232-3. Il est mort en 1316[31]. De famille noble, il a reçu une éducation soignée. Marié, il a deux enfants mais, à 30 ans, il décide de changer de vie. Après avoir pourvu aux besoins de sa famille, il devient ermite. Il étudie le latin et l’arabe. Son projet est de convertir les Infidèles : pour ce faire, il est nécessaire de connaître leurs langues, de s’instruire et de créer des écoles pour les recevoir et former d’autres missionnaires[32]. Il parcourt l’Europe : Perpignan, Bologne, Rome, Paris, Montpellier et il a rédigé de nombreux ouvrages.  
Son « Livre de l’ordre de la chevalerie » est le manuel chrétien de chevalerie. Les quatre fonctions du chevalier sont énoncées dans un ordre précis : 1. Maintenir et défendre la sainte Foi ; 2. Maintenir la justice ; 3. Défendre les veuves, les orphelins et les impotents ; 3. Avoir château et cheval pour garder les chemins et défendre les paysans. Nous sommes bien loin, là, de nobles courtisans, éloignés de leurs peuples et se faisant valoir au sein d’une cour royale à la Louis XIV[33]. Avec simplicité et en quelques pages, il livre le résumé de ce que nous appellerions, en termes militaires actuels, la règle d’engagement du soldat. Sans être cité nommément, il a été repris, traduit, pour ne pas dire recopié, par de nombreux auteurs alors que son nom est tombé dans l’oubli[34].

Honoré Bovet, né près de Sisteron en 1345, a fait ses études à Avignon. Devenu prêtre à Lyon, il a joué un rôle de conciliateur entre les familles dominantes formant la France actuelle. Proche du pape, il est informé de tous les grands problèmes de son temps. Entre 1386 et 1389, il rédige son « Arbre des batailles ». Il s’agit d’un traité didactique qui a connu un succès de diffusion ainsi que plusieurs traductions du français en provençal, en catalan, en espagnol et en anglais en témoignent. La première partie porte un regard acéré sur les difficultés de l’Eglise qui connaît le schisme ; la deuxième est un compendium d’histoire universelle tel que cela se concevait en ce temps-là ; les deux dernières parties nous intéressent plus spécialement car il y traite des batailles et du droit des gens : duels en champ clos, légitime défense, vengeance… Il anime son texte en recourant au dialogue et avec des exemples de son temps. Sa source d’inspiration est l’ouvrage du juriste bolonais Jean de Legnano  « De bello, de represaliis et de duello », la référence incontournable du moment. Nous avons de lui deux éditions, la première de 1387 et la plus complète de 1389, dédiée à Charles VI.

Christine de Pizan[35], avec «Livre des faits d’armes et de chevalerie» en 1410, offre un traité d’art et de droit militaires. Plusieurs classiques ont inspiré cet ouvrage : Végèce, Frontin, Honoré Bovet. Ce livre fut imprimé en 1488 par Antoine Vérard avec le titre modifié « L’art de la chevalerie selon Végèce » pour connaître une nouvelle édition, en 1527 par Philippe Le Noir : « L’arbre des batailles et fleur de chevalerie».  Une traduction en anglais fut faite en 1490 par William Caxton. Christine de Pizan, car originaire de Pizzano, près de Bologne est arrivée en France vers 1368[36]. Elle a rédigé de nombreux ouvrages et ne cache pas les emprunts qu’elle fait à d’autres auteurs : cela était pratique courante au Moyen Age et n’enlève rien à la beauté de son écriture, de ses poésies notamment. Elle nous permet de connaître l’esprit de son temps et à travers les yeux d’une femme qui savait observer et écouter.

 Achever cette esquisse de la naissance de la notion de la guerre juste sans mentionner la filiation de pensées qui en a résulté serait une lacune. A la fin du XVe s. et au début du XVIe s., deux canonistes espagnols, Vitoria et Suarez, donneront deux grandes écoles de pensée : l’une hollandaise et l’autre allemande que les Protestants développeront plus particulièrement. Bartolomé de Las Casas, Erasme transmettront avec vigueur cette notion médiévale qui a ainsi éclairé cette Renaissance. Mais ce rayonnement ne se limite pas à ces derniers puisque c’est Grotius qui en donnera la formulation la plus aboutie avec son ouvrage «Le Droit de la guerre et de la paix » en 1625. Dans le même esprit mais dans une vision laïque, nous retrouvons cette pensée chez les Encyclopédistes, Jean-Jacques Rousseau et même les doctrinaires de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
   
Avant de conclure, écoutons le dominicain Francisco de Vitoria[37] : « Une guerre est injuste pour la seule raison que, malgré son utilité pour telle province, elle causerait un dommage à l’univers et à la chrétienté. ». Il préconise de ne pas appliquer des différences de traitement s’il s’agit d’une guerre entre Européens, contre les Musulmans ou les Indiens d’Amérique[38]. Il affirme que la différence de religion ne justifie pas la guerre. Il proclame que l’extension de l’empire n’est pas une cause suffisante pour faire la guerre. La recherche de la gloire ou de quelques autres avantages personnels (n’oublions que les colonies commencent à se créer) du prince n’est pas un motif de guerre : il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre et les sourds volontaires n’ont pas manqué ! N’est-elle pas encore d’actualité en 2013, cette déclaration de Vitoria ? « Avant de mener une guerre, il faut que l’on ait épuisé toutes les procédures pacifiques possibles de solution du conflit. Il faut que dans la guerre, il y ait proportion entre la gravité de l’injustice et celle des dommages qui résulteront inévitablement de la lutte. ». Que peut-on dire de plus et surtout pourquoi n’a-t-il pas été mieux compris ? Le mal et l’esprit de cupidité que dénonce saint Augustin sont des forces puissantes mais d’un mal peut surgir un bien : l’exemple de Saul, le pharisien, sur le chemin de Damas qui est devenu saint Paul en est le meilleur exemple. L’Eglise veut être optimiste et, ne voulant pas rester dans une expectative béate, elle préconise un agir éclairé par la Foi : c’est l’espérance en ce Royaume de Paix à venir.

Conclusion

Il appartient au lecteur de tirer la conclusion qu’il veut. Mes lectures des diverses religions monothéistes s’exprimant sur la guerre m’ont donné un regard particulier sur ce sujet et en quelques mots, le voici.

La guerre est de l’ordre du mal. La principale arme contre la guerre est la justice[39]. Tout homme religieux désire la paix et il n’intervient à la guerre que par nécessité et charité. Il s’agit de maîtriser la violence dans le respect de l’homme qui est l’image de Dieu[40]. Il faut chaque fois que cela est possible humaniser la guerre. Aider l’opprimé et refuser la lâcheté sont des règles imprescriptibles. Le glaive appartient aux gouvernants[41] et les responsabilités de l’action sont entre les mains des chefs de guerre et des soldats.
Pour la paix et contre la guerre, il faut privilégier la non-violence mais celle-ci ne peut pas être absolue[42]. Le recours aux armes est l’ultime recours quand tout autre moyen a été épuisé. Pour aller vers le chemin de la paix, chaque homme doit travailler d’abord sur lui-même contre ses mauvais penchants. Ainsi l’Esprit pourra vaincre le mal. La seule vraie révolution est celle du cœur de l’homme.

Avec le recul historique et en 2013, il est possible d’établir divers constats. Oui, le christianisme a cherché à humaniser la guerre pour en atténuer les rigueurs.  Oui les divisions du christianisme et un prosélytisme parfois délirant ont été les causes de bien des excès. Cependant, les principes inspirés par la Foi ont été repris dans un langage laïc et même par des idéologies niant Dieu : le «au nom de Dieu» a été remplacé par un «au nom de l’Homme». Est-ce que les résultats ont été meilleurs ?  Révolution, Terreur, Empire napoléonien en France, guerres du XIXe s. dans le monde, les massacres du XXe s. qui n’ont connu aucun équivalent en nombre de morts dans le passé et ces guerres du XXIe s. qui ont la plupart du temps leurs racines dans notre XIXe s. laissent songeur.

Face l’irrationnel propre à la guerre, une religion possède en son esprit des leviers de paix utiles : la force de la foi a été instrumentalisée, manipulée par diverses autorités non-religieuses en faveur de la guerre mais il est possible d’imaginer que les religions monothéistes[43], au lieu de cultiver les différences en même temps que les haines, puissent se réconcilier sur les valeurs qui leur sont communes en faveur de cette paix qui doit se construire chaque jour, non sans luttes, par subsidiarité : chez soi pour commencer, chez ses proches, dans son pays, jusqu’au monde entier. A la haine désespérante, plus que stérile puisque mortifère, préférons l’espérance vivifiante.


Bibliographie sommaire[44] :

Sources :

Société biblique auxiliaire du Canton de Vaud : Concordance des Saintes écritures[45] d’après les versions Segond et synodale. 1954. 860 p.

Saint Augustin : La Cité de Dieu. Seuil. Coll. Points Sagesses, n° Sa 75, Sa 76 et Sa 77. Paris. 1994. 3 vol. 454 p., 372 p., 360 p.

Saint Augustin : Discours sur les Psaumes. Cerf, coll. Sagesses chrétiennes, Paris. 2007 et 2008. 2 vol. 1592 p. et 1488 p.

Dhuoda :  Manuel pour mon fils. Cerf. 1997. Paris. 400 p.

Raymond Lulle : Le livre de l’ordre de la chevalerie. Guy Trédaniel. Paris. 1990. 80 p.

Thomas d’Aquin : Somme théologique. La charité.

Ouvrages de base :
Georges Minois : L’Eglise et la guerre[46]. De la Bible à l’ère atomique. Fayard. 1994. 532 p.

Pierre Viaud (sous la dir.) : Les religions et la guerre[47]. Cerf. Paris. 1991. 584 p.

Alberic de Palmaert : Les religions face à la guerre[48]. Centurion. Coll. C’est-à-dire. Paris. 1992. 152 p.

Peter Haggenmacher[49] : Grotius et la doctrine de la Guerre juste. PUF. 1983. 684 p.

André Corvisier : Les Saints militaires. Champion. Paris. 2006. 348 p.

Annexe :

Ancien testament et la guerre :

Armements :
Nombres 25.7 ; Juges 4.15 ; 1 Samuel 20.20, 32.3 ; 2 Chroniques 26.14

Chars :
1 Rois 9.22, 10.26

Combats :
Exode 17.8 ; Nombres 21.24, 31.3 ; Deutéronome 3.1 ; Josué 10.9, 11.1 ; 2 Samuel 5.21

Combat antichar :
Josué 17.16 ; Juges 4.14
           
Combat de localité :
Josué 2.1, 6.1, 8.1 ; Juges 20.21, 1.22 ; 2 Samuel 5.6, 20.15 ; 2 Rois 6.25

Coups de main :
Genèse 14.4 ; Josué 8.12 ; Juges 7.1, 7.11 ; 1 Samuel 14.1

Déguisement :
1 Rois 22.33

Duel :
1 Samuel 17.18 ;        2 Samuel 2.14

Embuscade :
Nombres 21.1 ; Juges 9.32 ; 1 Samuel 15.5

Exfiltration :
2 Rois 3.26

Exploration :
Nombres 13.17-20, 13.21-33 ; Juges 7.9-15, 4.11-24

Guérilla (traité de la) :
Macchabées

Guerre psychologique :        
Deutéronome 20.10 ; 1 Samuel 11.1 ; 2 Rois 18.20

Infiltration :
Josué 8.11, 10.9, 11.7 ; Juges 1.22 ; 2 Samuel 5.7

Instruction :
2 Rois 24.12

Liaisons :
Josué 6.5 ; Juges 9.3 ; 2 Rois 9.17

Mobilisation :
Deutéronome 24.5 ; Juges 3.27 ; 1 Samuel 11.1 ; 2 Chroniques 26.14

Mouvement :
2 Samuel 5.23 ; 2 Rois 3.4

Organisation militaire :        
1 Samuel 10.19, 27.7

Sélection des combattants :
Exode 17.9 ; Juges 7.1 ; 1 Samuel 13.15

Trahison :
Juges 1.22

Voir aussi : Gédéon et il y aurait encore plus à citer : se référer au livre de Concordances de la bibliographie.




[1] De Civitate Dei , chap. 19, para.12.
[2] Consulter l’annexe pour quelques références.
[3] Abréviation que j’adopterai pour Ancien testament comme NT pour Nouveau testament : ma lecture est référencée selon la TOB.
[4] Pour ma part, j’y vois plus des luttes pour le pouvoir que pour la Foi. 
[5] Saints Gervais, Sébastien, Maurice (saint patron de l’infanterie), etc.
[6] Saint Jean-Baptiste a déclaré à des soldats lui demandant ce qu’ils devaient accomplir pour réaliser la conversion intérieure qu’il prêchait : « Ne faites ni violence ni tort à personne et contentez-vous de votre solde. ».  Luc, 3, 14.
[7] Jeanne d’Arc est le modèle féminin. Lire Corvisier : Les Saints militaires, mentionné dans la bibliographie.
[8] Son originalité a été de vouloir désacraliser ou dédiaboliser la guerre par une approche scientifique : la démographie étant une clef de lecture, pouvant être dangereuse - comme toutes les clefs, cela dépend de l’usage qu’il en est fait - en ce début de XXIe siècle … Est-ce que la lecture scientifique de la guerre apporte des solutions ou n’établit que des constats ou des déterminismes ? Pour ma part, j’y vois naître une désespérance…
[9] Ecrit entre 415 et 427.
[10] Notamment de ses commentaires sur les Psaumes de guerre, non mentionnés généralement par les auteurs traitant de cette question.
[11] Seule une minorité des Pères de l’Eglise prêche la non violence absolue qui se retrouvera plus tard dans des sectes diverses d’origine protestante et quelques ordres religieux.
[12] Justement ou injustement : la réponse n’est pas dans les lois de l’homme mais elle est donnée  soit par l’autorité religieuse, soit par la conscience de l’homme qui se place sous le regard de Dieu et de ses commandements… Ce qui ne facilite pas une saine et objective  analyse par un non-croyant et parmi les croyants eux-mêmes divisés…
[13] Le Christ.
[14] Il use souvent d’une comparaison riche de sens : la vigne, la création ; le raisin, l’homme ; le pressoir, les tribulations terrestres (dont les maux de la guerre) ; le vin, l’âme purifiée.
[15] Sans devoir faire acte de repentance, du moins jusqu’à ce jour !
[16] Ce que les Romains ne concevaient pas.
[17] Qui a la prépondérance sur tout autre contrat.
[18] C’est encore le cas lorsque, motivé par un orgueil puissant, un opposant refuse de comprendre la logique de guerre  de son adversaire : les résultats sont catastrophiques quand les diplomates méconnaissent les mentalités autres que la leur et réduisent les choix de leur adversaire à leurs propres vues.
[19] Elle a épousé, en 824 en la chapelle d’Aix-en-Provence, Bernard, marquis de Septimanie, chef des Marches d’Espagne, victorieux des Musulmans et qui est un proche de Louis le Pieux.
[20] France dans le Gard.
[21] Qu’elle n’a pour ainsi dire pas connu car remis en otage.
[22] Ancêtre du livre de poche : son format de poche faisait qu’il pouvait être tenu en main, d’où le nom de manuel.
[23] Juive et égyptienne !
[24] Et non un laïcisme, cultivé comme une religion. Cela est remplacé par la morale ….
[25] Le mari de Dhuoda est mort ainsi décapité ; de même son fils mais elle ne l’a pas pu le savoir.
[26] Comme le Pape est élu par les cardinaux.
[27] Ce qui n’a pas empêché les guerres de succession, ayant eu des dommages humains toutefois plus limités que les guerres idéologiques du XVIIIe au XXe siècle.
[28] La grande différence avec les auteurs de droit voulant tout régler par des textes de lois qui ne répondent pas aux questions pratiques nouvelles : le droit se forge sur des faits passés et des esprits subtils trouvent toujours des arguments pour trouver cette différence qui permet d’échapper à la loi, au traité. L’Eglise pouvait s’adapter à la particularité de chaque cas en appliquant des principes simples, normalement valables pour tous, mais la partialité a été et demeure un vice aussi bien chez quelques gens de robe que d’église ; l’impartialité existe aussi, fort heureusement…
[29] Prudente précaution.
[30] A l’image récente d’un Busch qui s’est donné une autorité temporelle et spirituelle : ses « croisades » ont créé une grande confusion chez les Musulmans qui ne distinguent plus l’autorité d’un Pape de celui d’un chef d’état évangéliste, faisant une lecture très particulière de l’AT !
[31] Belle longévité pour cette époque : 84 ans.
[32] Son parcours de vie anticipe celui de saint Ignace de Loyola (1491-1556)  sur de nombreux aspects : je me demande si Ignatio n’y a pas trouvé un modèle.
[33] Fin de l’esprit de chevalerie et naissance des courtisans, et il s’en trouve encore dans les démocraties européennes.
[34] Contrairement à saint Ignace de Loyola !
[35] Souvent écrit Pisan.
[36] A l’âge de 4 ans.
[37] 1492-1546. Thomiste convaincu, il récuse l’autorité du Pape dans les conflits temporels (c’est son originalité), probablement en raison du contexte de son époque où l’Esprit saint avait quelque peine à se faire entendre. Il a étudié à Burgos et à Paris puis il a enseigné à Paris et à Salamanque. De nombreuses théories juridiques sur le droit des gens s’inspirent de son œuvre.
[38] Le moins que l’on puisse se permettre de dire est qu’il n’a pas été écouté, bien plus tard,  par les fondateurs des Etats-Unis d’Amérique, cette terre des libertés et des droits comme l’affirment certaines personnes.
[39] En distinguant clairement la justice des hommes et la justice de Dieu.
[40] Pour un croyant, c’est la meilleure limite à donner pour ne pas sombrer dans l’horreur.
[41] Sans oublier que le tyrannicide est une solution possible face à des dictateurs.
[42] Des pacifistes convaincus ont accepté de s’engager militairement face à l’inacceptable en 39-45.
[43] Pour commencer !
[44] Pour des éléments plus spécifiques, me contacter : Antoine Schülé, Pl. Marius Arsac, F-30 200 Saint-Gervais ou par courriel, antoine.schule@free.fr .
[45] A utiliser avec la TOB commentée pour bénéficier des multiples renvois utiles.
[46] Nécessaire pour englober le sujet sur un long espace temps.
[47] A lire absolument pour une étude comparative au sein des principales religions monothéistes.
[48] Ouvrage de synthèse pratique pour s’initier au sujet.
[49] Il fournit une abondante bibliographie sur les écrits avant Grotius.

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