« Les blessures
psychiques de guerre dans l’histoire :
de l’Antiquité à nos jours. »
A la lecture de l’Enéide
Antoine
Schülé
« Disce, puer,
virtutem ex me verumque laborem,
Fortunam ex aliis. Nunc te mea dextera bello
Defensum dabit et magna inter praemia ducet. »[1]
« Apprends de moi, mon enfant, la
vertu et le véritable effort ;
D’autres t’enseigneront le bonheur.
Aujourd’hui mon bras, à la guerre,
Assurera ta défense et te conduira à de
grandes récompenses.»
Introduction
L’œuvre ultime, d’ailleurs
inachevée, de Virgile[2]
est « L’Enéide » : l’empereur Auguste[3] a
sauvé ce texte que Virgile souhaitait voir détruit[4].
Les douze dernières années de l’auteur ont été consacrées à la rédaction de ce
qui est resté un monument non seulement de la littérature, puisqu’il a servi de
modèles, plus ou moins fidèles, à de nombreux écrivains postérieurs, mais il a encore
inspiré les Arts : peintres, sculpteurs, musiciens ont créé des œuvres
jusqu’au XVIIe siècle à partir des scènes dont Virgile a saisi les traits
et les intensités, avec des mots qui résonnent encore à nos oreilles et qui
peuplent notre imaginaire[5]. Dans
le cadre de ce colloque, il m’a paru nécessaire de relire complètement les 9
686 vers répartis en douze livres ou douze chants[6].
Initialement, Virgile a voulu
rédiger une épopée à la gloire de Rome et de l’Empire et un mémorial à tous les
grands noms qui les ont illustrés[7].
Son inspiration a deux
sources : la mythologie et l’histoire, sauf que ce que nous lisons comme
étant de la mythologie actuellement, était une croyance en son temps et sauf
que Virgile pratique l’histoire comme bien des historiens, de la plus haute
antiquité à nos jours et dont je ne citerai pas de noms[8],
ont mythifié le passé de leurs pays[9]. Toutefois,
Virgile offre des scènes de pratiques religieuses, les funérailles plus
particulièrement, en véritable historien : il a effectué des recherches et
consulté les meilleures sources de son époque. Par contre, il plie les mythes à
ses besoins, ce qui était une pratique courante aussi bien chez les Grecs que
chez les Romains[10].
Auguste qui avait entendu des
lectures des chants de Virgile a réalisé l’emploi idéologique et politique de
cette œuvre et c’est la raison pour laquelle les flammes n’ont pas dévoré les
manuscrits existants. Néanmoins, il n’est pas possible de réduire ce récit à
une simple propagande : il possède d’autres richesses qui expliquent sa
longue postérité.
Le plus fascinant est sans
aucun doute que le récit d’Enée offre plusieurs lectures possibles et peut répondre
aux désirs profonds et variés de ses lecteurs. Au début du Moyen Age, il était
considéré comme une prophétie au même titre que celles de l’Ancien Testament :
à l’Hébraïque Ancien Testament a succédé l’Italique Ancien Testament[11] !
Du IXe s. au XVIe s., il est sans aucun doute le plus lu
par les hommes devant faire ou conduire la guerre car ils y trouvaient des
modèles dans tous les cas de figure que présente la guerre. Il a suffi de
remplacer les dieux par un Dieu, tout puissant[12] et
auquel était due la même obéissance qu’aux diverses divinités, aussi bien par
le soldat que par le moine. De nos jours, si l’Enéide pouvait être lue par un
migrant[13]
de Calais dans sa langue, je suis certain qu’il serait très sensible à la
lecture des tribulations de l’émigré constituant les chants I à VI et de la
difficile intégration de l’immigré des chants VII à XII[14].
La force d’un texte mythique
est d’être transposable dans tous les temps alors que, probablement, notre
auteur n’en était pas conscient : en effet, les lecteurs peuvent y
découvrir des présages et des prédictions même dans des sociétés ou des
civilisations différentes. Virgile cultive le propre du mythe qui est de dépasser
les limites de l’anecdote, de l’histoire pour atteindre une sorte d’universel.
Le Virgile historien est aussi un Virgile mythologue qui transmet une sagesse
éternelle prônant la force de l’effort, la force de l’endurance. L’Enéide
transmet un mythe ayant un pouvoir transcendant qui se révèle dans l’intuition et ce mot est important. L’intuition
offre un panel réduit de choix de décisions. L’intuition ne suffit pas car il
faut encore la raison, pour discerner le choix le plus judicieux afin de
satisfaire ce destin qui doit s’accomplir, et surtout la volonté de suivre son
destin jusqu’au bout et quoi qu’il arrive. Nous avons là un Virgile psychologue[15].
Deux raisons majeures m’ont
décidé à vous proposer une lecture de l’Enéide
dans la cadre de ce colloque. La première raison est que Virgile, ayant connu
la guerre civile, n’ignore pas les cruautés de la guerre pour les combattants
et pour les peuples. De plus, il cherche à comprendre et faire comprendre le
phénomène guerre à travers le long
apprentissage d’Enée pour devenir un héros. Les douze chants de Virgile nous
peignent les évolutions progressives d’un homme qui, au départ, est sans grand
mérite guerrier (car répondant plus à des instincts) pour aboutir à un guerrier
accompli et un chef reconnu par tous (dont la mission prédomine sur les
sentiments). L’originalité de Virgile est de nous dépeindre avec des accents de
vérité les sentiments, le mécanisme intérieur, d’Enée, avec ses doutes, ses
convictions, ses excès parfois et sa tempérance d’autres fois. Les voyages d’Enée sont en fait une double quête
initiatique : la quête matérielle est la recherche de la terre
promise ; la quête spirituelle est la découverte de ses forces intérieures
qui lui permettront de surmonter toutes les adversités, et ces dernières ne
manqueront pas.
La seconde raison est que ce
récit d’initiation a servi de référence au Moyen Age (L’Enéas a connu de nombreuses variantes[16])
et à la Renaissance[17],
avec un glissement de lecture intéressant : les amours de Didon et Enée
ont supplanté les récits de combats ! Au XVIIe et XVIIIe
s., par contre, les parodies ironiques de l’Enéas
n’ont pas manqué, avec par exemple « L’Enéide travesti » qui a pour but de ridiculiser les valeurs
chevaleresques.
Virgile a dans cette œuvre
deux qualités : il n’offre pas de longs discours sur des évènements mais
il donne des images de synthèse que seuls les poètes, maîtres de leur art,
peuvent accomplir ; pour sa rédaction, il a consulté tous les documents
disponibles en son temps des auteurs grecs et latins[18]
(Lucrèce, Théocrite, Homère et Catulle, de toute évidence). Virgile est ainsi
un véritable témoin de son époque : son regard d’historien, son expression
d’un vécu, ses connaissances religieuses.
Voyons donc quel est l’apport
de Virgile à notre colloque. Quelles sont les grandes questions abordées par ce
récit ?
·
Quelles sont les tribulations d’un
migrant pour cause de guerre ?
·
Pourquoi la guerre doit-elle être menée ?
·
Quels rôles faut-il accorder au destin, à la
foi et à la volonté des hommes
comme des dieux ?
·
Comment maîtriser la peur, les angoisses
collectives ou individuelles ?
·
Quelle est la puissance de la parole du chef
pour motiver ses troupes et son peuple ?
·
Quelles sont les puissances maléfiques et
bénéfiques des passions ?
·
Quelles influences de la femme sur l’esprit du
guerrier ?
·
Quelle est la différence entre ruse et trahison ?
·
Quelle attention faut-il donner aux songes, aux
oracles et aux signes ? et surtout comment éviter les erreurs
d’interprétation ?
·
Quels sont les devoirs à rendre au combattant
mort ?
·
Comment se familiariser avec la mort
possible ?
·
Comment s’intégrer dans un nouveau
territoire ?
·
Quand faut-il effectuer des alliances ?
·
Que faire en cas de rupture d’un engagement,
d’un serment, de plus prêté devant les dieux ?
Cette liste n’est pas
exhaustive mais souligne les éléments pouvant alimenter notre réflexion.
1.
Divers profils
Enée
Fils du mortel Anchise et de
la déesse Vénus, Enée est un héros mi-humain et mi-divin : cet aspect
n’est pas anecdotique car Virgile démontre que chez certains hommes, il y a une
part de divin[19]
qui s’exprime à travers eux. Le Chrétien du Moyen Age n’était pas insensible à
ce paramètre qu’exploreront à l’envi les mystiques cultivant cette recherche du
Dieu intérieur au cœur de chaque homme[20].
Il est aussi un homme pieux et
juste[21].
Obéir à son devoir et à sa mission est sa règle. Il sacrifie son amour pour
Didon pour retrouver la terre d’origine de son peuple. Cet amour est d’ailleurs
plus à sens unique : Enée a goûté à Didon physiquement mais ne partage pas
la passion dévorante que Didon lui porte. Nous dirions de nos jours qu’elle l’a
dans le sang !
Enée, pour accomplir son
destin[22],
n’aurait rien réussi sans les prédictions, les oracles, les songes, les signes
qui sont d’ailleurs parfois mal interprétés[23].
Il peut ainsi déjouer les dieux[24],
comme Junon, qui veulent s’opposer à l’accomplissement de sa destinée.
Enée reste très humain dans
ses doutes, ses lamentations[25],
ses remords, par exemple, à la suite du suicide de Didon[26].
Elément trop souvent négligé,
Enée regrette de devoir faire la guerre[27]
et veut la paix : ses tentatives d’alliances le démontrent : « Quelle fortune indigne de vous, Latins, vous a donc engagés dans une telle guerre et
fait repousser notre amitié ? Vous me demandez la paix pour les morts,
pour ceux qu’a frappés le hasard de la guerre : moi, je voudrais
l’accorder aussi aux vivants. Je ne serai pas venu en ces lieux, si les destins
n’y avaient fixé ma demeure. Je ne fais point la guerre à votre nation :
c’est votre roi qui a rompu nos liens d’hospitalité et a préféré se confier aux
armes de Turnus…»
Enée se doit d’illustrer
toutes les valeurs romaines :
·
« fides » : la fidélité, le
respect de la parole données aux vivants comme aux morts, exigence de loyauté
qu’elle implique ;
·
« pietas » : la piété s’illustre
dans la dévotion, le patriotisme[28]
et le devoir ;
·
« majestas » : leur vraie
grandeur est dans leur conviction d’appartenir à un peuple élu des dieux ;
·
« virtus » : ce courage, cette
force qui se concrétise dans des actes et qui s’éveille par la force de la
parole ;
·
« gravitas » : dignité à
conserver dans les cérémonies, dans les combats, le respect des rites,
l’autorité face aux découragés.
Enée est ce héros civilisateur
dont Rome avait besoin pour regrouper ce que nous appellerions de nos jours
« les forces vives de la Nation »[29].
Didon
Pour peindre cette héroïne,
Virgile s’est inspiré de Parthénios, de Nicée, poète grec, auteur ayant traité
« Les souffrances de l’amour ».
C’est le personnage tragique, la femme abandonnée d’Enée, de l’homme qu’elle
aime. Le chant IV a connu un succès tel que Purcell en a fait un opéra en 1689,
« Didon et Enée » : l’expression
musicale d’une double souffrance : Didon de ne pas être aimée et Enée de
ne pas aimer !
Virgile cherche à démontrer
qu’un amour passionnel est source de désordre, de chaos et donc de mort alors
que l’amour spirituel d’Enée a pour fruit l’ordre, la sagesse et la maîtrise de
soi.
Vénus révèle à Enée le passé
de Didon dont « [la] longue
infortune demanderait un long récit : mais je suivrai les éléments les
plus importants.»[30] :
en raison d’une passion pour l’or, son frère Pygmalion[31] a
tué son mari Sychée. Cette vérité lui a été donnée dans un songe, révélateur de
secret cette fois-ci. Autour d’elle se sont réunies les personnes qui refusent
la tyrannie de Pygmalion[32].
D’où sa fuite à Carthage, en Lybie. Enée découvre en Didon, une femme de
pouvoir : « Elle était en train
de rendre la justice, d’édicter des lois, de distribuer équitablement l’œuvre à
faire ou de la tirer au sort.»[33].
Haine familiale et fratricide
: l’homme médiéval y voit la réplique romanisée de Caïn et Abel… Deux facteurs
de guerre : la lutte des dieux, la lutte dans les familles ; la
discorde cause de la guerre dont la jalousie est à la base. Cette jalousie
cause de tant de maux. Les hommes reflètent ce que vivent les dieux : ce
qui est en haut, image de ce qui est en bas et réciproquement. Est-ce un besoin
de Virgile d’excuser les hommes ? Mais est-ce la bonne lecture et quelle
lecture faisait le Romain du temps de Virgile ? Plus d’une fois je me suis
posé la question. Cependant, à notre époque, il y a encore une interprétation
contemporaine possible du texte de l’Enéide : ce texte peut donc franchir
les temps et conserver de l’intérêt pour le lecteur de demain.
Pour notre sujet, il est
intéressant de considérer que, chez Virgile, les passions de la vie humaine
sont traitées exactement comme les passions des guerriers. Il n’y a pas de
dichotomie entre ces deux états.
Turnus
Il est un guerrier valeureux
et pieux lui aussi, avec la protection de Mars[34] !
Il est connu pour de nombreux exploits. Il faut le décoder en gardant à
l’esprit Enée.
Sa sœur Juturne est prête à
accomplir n’importe quoi pour le protéger et le sauver : son affection
sera plus destructrice que constructive, au final. A trop en faire, elle lui
faire perdre sa dignité. Dans le respect de la tradition romaine, il a fait sa
déclaration de guerre[35]
mais son amour pour la fille de Latinus, Lavinia, lui fait perdre la maîtrise
de lui.
Face à la mort à donner ou à
recevoir, Turnus et Enée n’ont pas les mêmes comportements : au moment de
tuer Pallas, Turnus fait preuve d’une grande cruauté alors qu’Enée hésite et a
pitié quand il tue le jeune Lausus[36].
Avant le combat, la sérénité d’Enée se perçoit ; par contre la frénésie de
Turnus atteint des paroxysmes. Turnus est un impulsif avec des mouvements
terribles de rage et de colère. Finalement, Turnus sera abandonné de dieux et
c’est un aspect important pour les Romains. Créüse, la première épouse d’Enée et
morte dans Troie en feu, a une fonction bénéfique sur Enée car, au-delà du
chagrin de la séparation physique, elle lui donne confiance et sérénité dans
son avenir. Enée, malgré l’hostilité de la déesse Junon, bénéficie de la
protection de Vénus et la bienveillante neutralité de Jupiter.
2.
Rôle de la croyance
Chez tout combattant, la
croyance tient un rôle décisif dans sa motivation et son engagement. Il y puise
les forces nécessaires pour lutter contre l’adversité, pour surmonter les
obstacles. Si, lors de la chute de Troie, des guerriers se sont jetés dans les
flammes, pour ne pas survivre à la disparition de la ville qui était leur
raison de vivre, d’autres, dont Enée, à l’écoute des voix des dieux et des
ancêtres (Hector notamment) quittent cette terre où désormais tout est perdu.
Dans l’action même, Vénus la
déesse intervient afin qu’Enée ne tue pas Hélène[37] ,
à l’origine des malheurs de Troie : l’acte aurait été peu glorieux s’il avait
été exécuté.
La haine qui divise les hommes
s’explique par la jalousie qui règne entre les dieux : c’est simple et
peut satisfaire un croyant mais Virgile pousse plus loin les questions et
l’analyse comme une lecture plus attentive le démontre. Par exemple, il fait
dire à Junon :
« Ast ego,
quae divum incedo regina, Jovisque
Et soror et
conjux, una cum gente tot annos
Bella gero ?
Et quisque numen Junonis adorat
Praeterea, aut
supplex aris imponet honorem ? »[38]
« Et, moi, la reine des dieux qui m’avance à leur tête, moi la sœur et la
femme de Jupiter, je fais la guerre, depuis tant d’années à un seul
peuple ! Qui donc voudra désormais adorer la puissance divine de Junon et
porter, suppliant, des vœux à ses autels ? ». Junon craint donc
un désamour des hommes à son égard, au vu de son action. Faut-il y voir une
remise en cause de la vénération due aux dieux ? Il n’y a pas que
l’orgueil d’une déesse, vice très humain, qui y est dénoncé et cet orgueil se
retrouvera chez certains guerriers.
Il est capital que le héros
dispose d’armes offertes ou façonnées par les dieux : Enée de Vénus ;
Turnus de Mars. Dans plus d’une religion, les soldats demandent que leurs armes
soient bénies avant les combats ; la guerre achevée, les armes sont
purifiées.
Les dieux de Virgile ont des
rôles ambigus : ils sont trop humains avec leurs discordes, leurs luttes.
Cela reste une explication plausible pour le Romain quant à la mésentente entre
les hommes : voir des dieux derrière les forces qui animent ou écrasent
les uns et les autres, c’est déjà une prise de distance psychologique ou du
moins de recul par rapport à la détermination à prendre dans une situation
conflictuelle. Virgile innove dans sa présentation car il y a un véritable
passage de la pure croyance religieuse, avec une mythologie classique, à
l’étude des mouvements de l’âme humaine, l’analyse des sentiments, des
motivations. Pour guérir une fureur ou une colère, il faut en connaître
l’origine : Virgile scrute les passions qui animent le combattant.
Dans le doute ou lorsqu’il se
sent abattu, Enée prie, lorsqu’il est saisi par la peur :
« Extemplo Aeneae
solvuntur frigore membra ;
Ingemit, et
duplices tendens ad sidera palmas
Talia voce
refert : « O terque quaterque beati
Quis ante ora
patrum, Trojae sub moenibus altis,
Contigit
oppetere ! o Danaum fortissime gentis
Tydide ! mene
Iliacis occumbere campis
Non potuisse,
tuaque animam hanc effundere dextra,
Saevus ubi
Aeacidae telo jacet Hector, ubi ingens
Sarpedon, ubi tot
Simois correpta sub undis
Scuta virum
galeasque et fortia corpora volvit ! »[39]
« Tout à coup Enée sent ses
membres se glacer : il gémit
sourdement, et levant ses deux paumes vers les astres, il prononce les paroles suivantes : « O trois et quatre fois heureux ceux qui ont
eu la chance de mourir sous les yeux de leurs parents, au pied des hautes
murailles de Troie ! O toi, le plus brave des Grecs, fils de Tydée[40],
que n’ai-je pu succomber dans les
plaines Iliaques et expirer sous tes
coups, aux lieux où gît le farouche
Hector percé du fer de l’Eacide[41],
où est couché le grand Sarpedon[42],
où le Simoïs[43]
a englouti et roule dans ses ondes tant de boucliers et de casques et de corps
de héros !». Cette prière traduit ce regret du combattant à ne pas
être mort comme ses frères d’armes, d’une façon très sincère et tout en
décrivant par les personnages invoqués (familiers aux Romains du temps de
Virgile et qu’il nous faut décrypter) ce cycle implacable de la vengeance.
La prière d’Enée pour obtenir
des réponses aux questions qu’il se pose et qui l’agitent est une
traditionnelle prière de supplications, se retrouvant dans toutes les religions
: « O dieu de Thymbra[44],
donne-moi une demeure assurée ;
donne-nous, après tant de fatigues, des murs, une postérité, une ville
durable ; protège le second Pergame troyen, les restes des massacres
des Grecs et du farouche Achille. Quel
sera notre guide ? Où veux-tu que nous allions ? Où nous
ordonnes-tu de nous fixer ? Père,
donne-nous un signe de ta volonté et descends dans nos âmes. »[45].
Enée reçoit une réponse du dieu Phébus qui d’ailleurs se fait entendre à
tous : « Durs descendants de
Dardanus, la terre qui, la première vous a portés dès l’origine de vos ancêtres,
vous attend et vous recevra dans son heureuse fécondité : cherchez cette mère antique[46].
La maison d’Enée y dominera sur tous les
pays, et les fils de ses fils et ceux qui naîtront d’eux. »[47].
Ces paroles causent une agitation d’où naît une immense joie et Anchise, à ces
paroles, se souvient :
« C’est au milieu des mers dans l’île du grand Jupiter, dans la Crète où
s’élève le mont Ida, que se trouve le berceau de notre race. » Mais en
désignant la Crète, Anchise se trompe !
Virgile livre une quête pour
comprendre le présent toutefois, il reste toujours confronté à ce mystère qui
échappe à la raison humaine. Oui, Enée obéit à une voix intérieure qui lui est
dictée par les dieux et les ancêtres mais Virgile s’interroge aussi sur les
volontés des dieux : dans son récit, il y a un balancement continuel entre
volontés humaines et volontés divines.
3.
Rôles des songes, des oracles et des signes
Enée connaît à plusieurs
reprises des moments de doute et d’hésitation quant aux résolutions prendre. L’originalité de Virgile est de
régulièrement mettre en valeur la fonction bénéfique du sommeil[48].
Les songes, où interviennent soit une divinité, soit un ancêtre, soit un
compagnon défunt, lui indiquent la voie à suivre, lui redonnent la confiance
perdue un instant, lui permettent une prise de décision, ce qui est le devoir
naturel du chef. Les morts et les dieux parlent aux hommes et seul le silence
permet de les entendre. La fonction de la parole, même onirique, est déjà
clairement démontrée.
Par la faute des dieux ou l’aveuglement
des hommes, il y a parfois une fausse interprétation des signes. Le meilleur
exemple : deux serpents, sur l’ordre de Junon, enlacent et dévorent les
deux enfants de Laocoon ; venant à leur secours, Laocoon est aussi
saisi dans leurs nœuds et « il jette
des cris épouvantables vers les cieux. ». Il avait compris la ruse que
constitue le cheval de Troie et sur lequel il avait lancé un javelot (personne
n’avait entendu le bruit qui s’en échappa) :
« Tum vero
tremefacta novus per pectora cunctis
Insinuat pavor, et
scelus expendisse merentem
Laocoonta ferunt,
sacrum qui cuspide robur
Laeserit et tergo
sceleratam interserit hastam.
Ducendum ad sedes
simulacrum orandaque divae
Numinae conclamant… »[49]
« Alors une frayeur nouvelle
saisit tous les cœurs : on dit que Laocoon a été justement puni de son
sacrilège, lui qui, d’un fer acéré, a profané
ce bois consacré à la déesse et qui a brandi contre ses flancs un javelot criminel.
On crie qu’il faut introduire le cheval dans le temple de Minerve et supplier la puissante divinité. » Et de même, Cassandre qui voit elle aussi le
danger ne sera pas entendue, car les dieux l’ont voulu ainsi !
L’oracle annonce à Latinus que
sa fille épousera un étranger.
Enée reçoit des armes portant
des signes de sa mère Vénus.
A propos des songes, Virgile
s’inspire d’Homère et donne deux précisions non négligeables : à l’entrée
des Enfers[50],
il décrit un arbre particulier : « Au milieu s’élève un vieil orme dont les branches touffues déploient au
loin leur feuillage : c’est là, dit-on, qu’habitent les vains Songes[51],
attachés sous toutes les feuilles de l’arbre.»[52].
Un détail curieux se trouve à
la fin du chant VI : « Il y a
deux portes du Sommeil[53] :
l’une de corne, par où sortent les ombres réelles ; l’autre d’un ivoire
blanc et poli, artistement travaillé par où les Dieux des Enfers[54]
envoient sur la terre[55]
les apparitions trompeuses.».
Les dieux accordent aussi le
pouvoir de retenir une vision ou de l’oublier : toutefois même l’oubli a
une vertu thérapeutique, l’instant oublié a été un palier de décompression, de
prise d’énergie et l’effet obtenu, le souvenir ne sert plus de rien. Une façon
d’appréhender la mémoire et l’oubli qui
aurait intéressé Paul Ricœur.
4.
Les
ancêtres morts parlent à leurs survivants
En plusieurs songes, car le
sommeil pour les Anciens était proche de la mort, Hector, Créüse et Anchise
visitent Enée.
Un extrait, relatif à
l’apparition d’Hector dans le songe d’Enée pas encore conscient des dangers que
court Troie, caractérise cet aspect :
« Tempus erat
quo prima quies mortalibus aegris
Incipit et dono
divum gratissima serpit ;
In somnis ecce
ante oculos maestissimus Hector
Visus adesse mihi,
largos effundere fletus,
Raptatus bigis, ut
quondam, aterque cruento
Pulvere, perque
pedes trajectus lora tumentes. »[56]
« C’était le moment où le premier sommeil commence pour les mortels
rongés de soucis, et par un bienfait divin, insinue en eux son extrême douceur.
Voilà qu’en songe, je crus voir Hector m’apparaître, accablé de tristesse et
versant des pleurs en abondance, tel qu’il était naguère, quand son bige le traînait noir dans la sanglante
poussière et les pieds tout gonflés et liés par des courroies.». Le réalisme
de cette scène : Hector le guerrier pleure dans le songe d’Enée qui
revoit, par contre concrètement, l’humiliation donnée au corps de Hector
(défigurer le corps de l’ennemi abattu est une injure suprême). Virgile nous
rend ainsi attentif aux images traumatisantes qui peuvent resurgir dans le
sommeil des combattants.
Dans ce même songe, Hector
révèle que le salut est dans la fuite, ce qui évidemment pour un guerrier
valeureux n’est pas la première évidence et ce conseil ne sera pas tout de
suite suivi par Enée :
« Heu !
fuge, nate dea, teque his, ait, eripe flammis.
Hostis habet
muros ; ruit alta a culmine Troja.
Sat patriae
Priamoque datum. Si Pergama dextra
Defendi posssent,
etiam hac defensa fuissent.
Sacra suosque tibi
commendat Troja Penates :
Hos cape fatorum
comites, his moenia quaere,
Magna pererrato
statues quae denique ponto. »[57]
« Hélas ! Fuis, me dit-il, fils d’une déesse, sauve-toi de cet
incendie. L’ennemi tient nos murs ; Troie s’écroule de toute sa hauteur. On a fait assez pour la patrie et pour
Priam. Si un bras pouvait défendre Pergame, certes le mien l’eut défendu.
Troie te confie les objets de son culte et ses Pénates[58].
Fais-en les compagnons de tes destins, et cherche-leur
des remparts, de puissants remparts, que tu fonderas enfin après avoir couru
les mers.» Hector suggère ainsi
la décision réservée, pour employer l’expression militaire, dans le cas où
tout serait perdu pour la ville. Un lecteur autre peut y voir une intuition. Le
sommeil d’un guerrier n’est pas sans conséquence !
Les morts de proches
constituent des étapes morales et physiques : avec la mort d’Anchise, Enée
devient le patriarche ; à la mort de sa nourrice, il coupe le lien avec sa
mère biologique ; pour compenser ce manque, il y aura une présence plus
forte de Vénus, sa mère divine[59].
La mort de Didon suscite des remords. La vie est une série d’épreuves. D’une
mort naît une nouvelle fonction : psychologiquement, donner un sens à la
mort par le survivant est un aspect qui mérite notre attention.
Au chant VI, Anchise parle
d’outre-tombe à son fils Enée. Enée doit effectuer tout un pèlerinage avant de
pouvoir l’entendre et découvrir l’avenir de sa race.
5.
Rôle de la parole
Toute personne chargée de
communication se doit de lire l’Enéide :
la parole des dieux humains et la parole des chefs ont des effets décisifs sur
l’accomplissement de la mission reçue.
Virgile fait une allusion
claire à Cicéron et Octave dans ces vers :
Ac veluti magno in
populo cum saepe coorta est
Seditio saevitque
animis ignobile vulgus,
Jamque faces et
saxa volant, furor arma ministrat ;
Tum, pietate
gravem ac meritis si forte virum quem
Conspexere, silent
arrectisque auribus adstant ;
Ille regit dictis
animos, et pectora mulcet. »[60]
« Ainsi quand éclate une sédition populaire au sein d’une vaste cité et
qu’une aveugle colère transporte l’ignoble populace, soudain volent dans les
airs les pierres et les brandons enflammés : tout est une arme pour la
fureur des combattants ; mais qu’alors apparaisse un homme considéré pour
sa piété et ses mérites, les furieux s’arrêtent, se taisent, dressent
l’oreille ! Sa parole maîtrise les esprits et adoucit les cœurs. »
Les propos d’Enée à son peuple
en différentes circonstances sont de véritables modèles de brièveté, de simplicité
et d’efficacité.
Pour susciter l’ardeur au
combat alors que l’ennemi a pris possession de la ville, Enée s’adresse ainsi à
ses compagnons : « Jeunes gens,
cœurs vainement héroïques, si vous avez le ferme désir de me suivre, moi qui
suis décidé à tout, vous voyez l’état où la fortune nous réduit. Nos temples et
nos autels sont désertés par tous les dieux qui maintiennent cet empire debout.
Vous venez au secours d’une ville embrasée. Mourons ! Jetons-nous au milieu des armes. L’unique salut des vaincus est de n’espérer
aucun salut. »[61].
Ces propos ont beaucoup d’intérêt pour notre colloque : ils expriment la
croyance d’Enée au fait que les dieux ont abandonné Troie[62],
qu’à défaut de pouvoir vaincre, il vaut mieux mourir par les armes[63],
qu’il ne faut pas croire pouvoir survivre afin de s’engager totalement dans une
lutte dont le final sera sa propre mort.
Pour les communicants en
situation de crise, voici un modèle pour tout responsable militaire et
politique après des défaites :
« …et dictis
maerentia pectora mulcet :
« O socii
(neque enim ignari sumus ante malorum),
O passi graviora,
dabit deus his quoque finem.
Vos et Scyllaeam
rabiem penitusque sonantes
Accestis
scopulos ; vos et Cyclopia saxa
Experti :
revocate animos maestumque timorem
Mittite ; forsan
et haec olim meminisse juvabit.
Per varios casus,
per tot discrimina rerum,
Tendimus in
Latium, sedes ubi fata quietas
Ostendunt ;
illic fas regna resurgere Trojae.
Durate et vosmet
rebus servate secundis. »
Talia voce refert,
curisque ingentibus aeger
Spem vultu
simulat, premit altum corde dolorem.[64]
« O compagnons, nous n’avons
pas oublié nos anciens malheurs, et nous en avons souffert de plus
grands : un dieu mettra aussi un terme à ces misères. Vous avez vu de près la rage de Scylla et ses rochers aux cavernes
retentissantes : vous avez affronté les rocs des Cyclopes. Reprenez courage, et bannissez la crainte
qui vous attriste. Peut-être même quelque jour vous plaira-t-il d’évoquer
ces souvenirs. A travers des hasards variés, à travers tant de périls, nous
marchons vers le Latium, où les destins
nous montrent de paisibles demeures : c’est là que les dieux nous
permettent de relever le royaume de Troie. Soyez
patients et réservez-vous pour des jours favorables. »
Tels sont les mots que prononce Enée ; au milieu des cruels soucis qui le dévorent, son visage feint l’espoir.» Enée
n’est donc pas certain de ce qu’il avance : sa conviction n’est donc pas
forte mais sa fonction l’oblige à faire face. Dans l’exercice du commandement
en tant de crise, cela est une des obligations du chef. Les doutes qui peuvent
l’assaillir doivent se cacher !
La parole du chef est aussi
sacrée que celle des dieux. Il y a la force de la parole reçue et
proclamée : elle exige une fidélité absolue[65]. Jupiter
déclare qu’une ère de paix adviendra après les dures épreuves :
Aspera tum positis
mitescent saecula bellis.
Cana fides et
Vesta, Remo cum fratres Quirinus
Jura dabunt :
dirae ferro et compagibus arctis
Claudentur Belli
portae : Furor impius intus
Saeva sedens super
arma et centum vinctus ahenis
Post tergum nodis,
fremet horridus ore cruento.[66]
«Alors les peuples déposeront les armes, adouciront leurs mœurs
farouches. Alors l’antique Probité, Vesta, Quirinus et son frère Remus donneront
des lois (au monde). Les portes du redoutable temple de la guerre seront
étroitement fermées par des barrières de fer. Au-dedans, la Discorde (la
Fureur) inhumaine, assise sur un amas d’armes cruelles, les mains liées
derrière le dos par cent nœuds d’airain, l’air hideux et la bouche sanglante,
frémira d’une impuissante rage. ». La finalité de toutes ces guerres,
de tous ces morts, de toutes ces souffrances, de toutes ces vies : assurer
une ère de paix. Cette promesse étant faite aussi bien par les tyrans que les
bienfaiteurs de l’humanité, il convient d’analyser les motivations :
conquête pour le pouvoir ou pour la paix, ou quel pouvoir et, d’ailleurs, quelle
paix ? Celle qui me donne raison ou celle qui répond au vœu profond d’une
humanité pacifiée ? Toutes les questions peuvent se poser même si
plusieurs siècles nous séparent de cet écrit de Virgile !
Les paroles se mettent aussi
au service de la ruse et de la trahison[67] :
le traître Sinon qui fera entrer le cheval, dont l’intérieur est rempli de soldats
grecs, dans la ville de Troie, en est le parfait exemple. « A ces larmes, nous lui donnons la vie, nous
lui donnons même de la pitié.»[68],
Sinon joue encore la fausse piété : « A ces mots, le jeune homme tout de ruse et d’artifice grecs, leva vers
le ciel le spumes de ses mains dont on avait enlevé les chaînes.»[69]
et la parole trompeuse déploie alors tous ses effets :
« Talibus
insidiis perjurisque arte Sinonis
Credita res, captisque
dolis lacrimisque coactis,
Quos neque
Tydides, nec Larissaeus Achilles,
Non anni domuere
decem, non mille carinae. »[70]
« Ces paroles insidieuses, cet art de se parjurer nous firent
croire ce que disait Sinon ; et ainsi se laissèrent prendre à des ruses et
à des larmes feintes ceux que n’avaient pu dompter ni le fils de Tydée, ni
Achille de Larissa, ni dix ans de guerre, ni mille vaisseaux.»
6.
De la colère et de la fureur
L’analyse du combattant par
Virgile comporte souvent deux mots dont la traduction en français ne rend pas
toujours le véritable sens latin qui varie suivant les contextes dans lesquels
ils sont employés : colère et fureur. Nos esprits
contemporains y voient des défauts majeurs. Or chez Virgile, les lectures
varient.
Colère et fureur chez Junon ne
sont pas identiques à celles de Vénus. De même celles de Didon diffèrent de
celles de Créüse. Idem d’Enée et de Turnus. Il serait fastidieux d’allonger
cette liste. Très souvent, un Ancien ou le chef a pour mission de canaliser ce
débordement d’énergie à l’aide de la raison.
Le mot colère vient du mot cholera,
du grec kole, la bile. La fureur fait
référence aux Erynnies, aux furies. Le premier mot a une origine physique,
interne à la personne, alors que le deuxième a une origine plutôt cérébrale,
externe à la personne[71].
La conjonction des deux est un mélange explosif, capable du meilleur comme du
pire.
De la colère et de la fureur
peut naître soit une force vertueuse, canalisée en vue du bien de tous, sa
descendance, l’Empire à venir (Enée), soit une force maléfique, canalisée
seulement au profit de son ego (Turnus oublieux de ses engagements, de sa
parole avec son amour possessif pour Lavinia ; Didon avec son amour
possessif pour Enée).
Enée et Créüse ont connu un
amour passion. Une question demeure sans réponse : qu’en sera-t-il de
l’union d’Enée-Lavinia ? Autre chose qu’un mariage de raison et
d’alliance comme en ont connu tant de monarchies[72] ?
La réponse ne nous est pas donnée par Virgile[73] :
pour le lecteur romain l’essentiel est de savoir qu’une descendance qui donnera
des héros à l’Empire suffit !
Le cœur de Turnus est
exalté par la colère et la parole de Latinus ne pourra pas l’étouffer : « Turnus,
voyant que les Latins, dont les revers
ont brisé les efforts, commencent à lâcher prise, qu’on le somme de tenir
ses promesses[74]
et qu’il est le point de mire de tous les yeux, n’en est que plus ardent, plus implacable ; et
son cœur s’en exalte davantage. Dans la plaine carthaginoise le lion[75],
lorsque les chasseurs ont atteint sa poitrine d’une rude blessure, alors met en
jeu toutes ses armes, se plaît à secouer sa crinière sur son cou musculeux,
rompt sans effroi le trait dont l’homme embusqué l’a percé et rugit d’une
gueule sanglante : ainsi la
violence grandit dans l’âme enflammée de Turnus. Il s’adresse au roi et
commence bouillonnant de colère :
« Turnus n’hésite pas ; les lâches compagnons d’Enée n’ont aucune raison de se rétracter et de se refuser à tenir
leur engagement. Je cours au combat ; prépare le sacrifice, père, et
prononce la formule du traité. Ou cette main fera descendre au Tartare le
Dardanéen, ce déserteur de l’Asie, -
que les Latins restent assis et regardent- et seul, à la force de l’épée, je
nous laverai de notre commune honte ; ou alors que cet homme nous ait en
son pouvoir, et que Lavinia soit son épouse. »[76].
A cette déclaration de Turnus, Latinus fait appel à la sagesse, en vain : « Magnanime
jeune homme, plus tu l’emportes par ton fier
courage, plus il est juste que je réfléchisse et que, dans la crainte que
j’éprouve, je pèse tous les hasards….
Laisse-moi t’exposer sans réticence des choses pénibles à dire et
retiens mes paroles. Il m’était interdit de marier ma fille à aucun de ses
anciens prétendants : c’était l’ordre
des dieux et des devins. Je cédai à
l’affection que j’avais pour toi ; je cédai à la communauté du sang, aux
larmes et à la douleur de ma femme ; j’ai
rompu tous les liens ; j’ai repris ma fille à mon gendre malgré ma
promesse. …
De ce jour que de malheurs,
que de guerres me poursuivent ;
…
Pourquoi ne pas arrêter ces combats pendant que tu es encore
vivant ?
Songe aux hasards de la guerre.»[77]. Ces
paroles ne fléchissent pas la violence
de Turnus ; elles ne font que l’exaspérer et, loin de le calmer,
irritent sa blessure et laisse éclater sa fureur.
Virgile décrit Turnus en
l’opposant à Enée. Turnus s’arme pour le combat et profère des vœux dans un
état d’agitation extrême : « Ainsi
les furies l’agitent ; tout son
ardent visage jette des étincelles ; le feu brille dans ses yeux durs.
Ainsi un taureau, lorsque, pour la première fois, il va combattre, pousse
d’effroyables mugissements, s’exaspère, éprouve ses cornes contre le tronc d’un
arbre, fatigue l’air de ses coups et prélude au combat en piétinant l’arène. »[78].
Tandis qu’Enée, fidèle à la volonté des dieux, confiant aux oracles, ne s’agite
pas mais se prépare sereinement au combat : « Non moins farouche cependant sous les armes maternelles, Enée sent Mars
s’éveiller en lui et sa colère
grandir ; il est heureux qu’on lui propose ce combat singulier pour
terminer la guerre. Il rassure ses
compagnons ; il calme les craintes d’Iule ; il leur rappelle les
oracles. Ses envoyés, des guerriers, porte à Latinus sa réponse décisive et
lui font connaître les conditions de la paix.»[79].
7.
La familiarisation avec les blessures et la
mort au combat
Le guerrier de tous les temps
est sensible à ces multiples descriptions de la mort à donner ou pouvant être
reçue. Virgile est très précis dans les blessures de guerre : les coups mortels
sont explicités clairement. Les acharnements sur les corps des victimes pour
humilier l’adversaire ne nous sont point épargnés.
Lors de la chute de Troie, Enée
veut lutter jusqu’à la mort mais la mort ne veut pas de lui : « Cendres d’Illion, bûcher funèbre des miens,
je vous prends à témoin que, dans vos ruines, ni de loin, ni de près, je
n’évitai les chances du combat et que, si les destins l’avaient permis, j’en
avais assez fait pour périr de la main des Grecs. »[80].
L’exécution du vieux Priam (venant
de voir son fils mourir devant lui) par Pyrrhus est une vision précise d’une
cruauté où on ne sait pas ce qui prédomine : soif avide de vengeance,
ivresse furieuse de cruauté, la guerre tout simplement dans son horreur
banale : « Il traîne devant l’autel
le vieillard tremblant dont les pieds glissaient dans le sang de son fils, et,
de la main gauche, le saisissant aux cheveux, il tire de sa main droite son
épée flamboyante qu’il lui enfonce dans le côté jusqu’à la garde. Ainsi finit
Priam : ce fut ainsi que, sous la volonté des destins, il sortit de la
vie, les yeux remplis des flammes de Troie et des ruines de Pergame, lui dont
naguère ses peuples et ses terres innombrables faisaient le superbe dominateur
de l’Asie. Il gît sur le rivage, tronc énorme, la tête arrachée des épaules,
cadavre sans nom.» Réalisme d’une scène qu’un soldat actuel et même un
civil, au cœur de l’Afrique ou au Moyen Orient, peut encore voir… Nihil novi
sub sole[81].
Dans le palais de Priam, la
panique et le carnage règnent : « L’intérieur
n’est que gémissements, tumulte et
douleur. Toutes les cours hurlent du cri lamentable des femmes : la clameur va frapper les étoiles d’or.
Les mères épouvantées errent çà et là
dans les immenses galeries ; elles embrassent, elles étreignent les portes,
elles y collent leurs lèvres. Pyrrhus, aussi fougueux que son père, presse
l’attaque : ni barres de fer, ni gardiens ne peuvent soutenir l’assaut.
Les coups redoublés du bélier font éclater les portes et sauter les montants de
leurs gonds. La violence se fraie la
voie. Le torrent des Grecs force
les entrées ; ils massacrent les
premiers qu’ils rencontrent ; et les vastes demeures se remplissent de
soldats. Quand, ses digues rompues, un
fleuve écumant est sorti de son lit, et a surmonté de ses remous profonds
les masses qui lui faisaient obstacle, c’est avec moins de fureur qu’il déverse
sur les champs ses eaux amoncelées et qu’il entraîne par toute la campagne les
grands troupeaux et leurs étables. J’ai vu de mes yeux, ivre de carnage, Néoptolème et sur les seuils les deux Atrides… »[82].
Dans le feu de l’action et à
la vue des horreurs de la lutte acharnée qui décharne les combattants comme les
civils, Enée pense aux siens, à ceux qui lui permettront d’ailleurs de survivre
et de suivre une nouvelle voie, en cette fuite qu’Hector avait déjà préconisée.
Cet extrait se place juste après la mort de Priam vue précédemment et
possède la richesse des sentiments assaillant l’esprit d’Enée :
At me tum primum
saevus circumstetit horror.
Obstupui ;
subiit cari genitoris imago,
Ut regem aequaevum
crudeli vulnere vidi
Vitam
exhalantem ; subiit deserta Creüsa,
Et direpta domus,
et parvi causa Iuli.
Respicio, et,
quaesit me circum copia, lustro.
Deseruere omnes
defessi, et corpora saltu
Ad terram misere,
aut ignibus aegra dedere. »[83]
« Mais alors pour la première fois, je me sentis enveloppé d’une
sauvage horreur. J’étais atterré. La chère image de mon père s’offrit à ma
pensée lorsque je vis le vieux roi, qui avait son âge, expirer sous l’horrible
blessure, et aussi l’image de Créüse abandonnée, ma maison ouverte au pillage,
et les dangers de mon petit Iule. Je me retourne ; je cherche des yeux ce
qui me reste de mes compagnons. Tous m’ont quitté à bout de forces : ils se
sont tombés à terre leurs corps abattus
ou se sont jetés dans les flammes.». Virgile dépeint les actes de
désespoir des guerriers qui, sous le coup de la fatigue de la guerre, alors
qu’ils sont au cœur même de la bataille, préfèrent se suicider plutôt que
survivre.
8.
La thanatologie
Virgile qui a étudié les
vieilles croyances est une source précieuse pour ce qui concerne les cérémonies
religieuses et tout particulièrement les funérailles du combattant, nécessaires
aussi bien au mort qu’aux survivants. Virgile était un croyant et un curieux de
religion : il ne ménage aucun détail quant aux pratiques funéraires[84]. Les rituels de funérailles de Misène[85],
avant la descente d’Enée aux Enfers, ou d’anniversaire de décès[86],
pour son père Anchise, sont des pages riches en informations : tout
responsable de service funèbre y trouverait un traité achevé sur cette
pratique.
Pour Misène : Pleurs ; bûcher funèbre décoré ; eau
chaude préparée pour laver le corps ; corps parfumé (avec de l’amome[87], de
la casse[88]
et de la myrrhe) sur un lit funèbre; des pleureuses gémissaient ; le
corps est revêtu des vêtements familiers ; transport sur une civière au
bûcher ; offrandes d’encens, de chars d’animaux sacrifiés entassés autour
du corps, huile et vin dans des cratères ; flammes brûlent tout ; les
restes sont lavés dans le vin et les résidus d’os sont enfermés dans une
urne ; le maître des cérémonies aspergent les participants avec de
l’eau pour les purifier ; toute
l’assemblée salue encore les restes qui seront placés dans un tombeau.
Pour Anchise :
Sacrifices, jeux funèbres ; joute
nautique ; luttes ; course à pied ; tir à l’arc ;
déploiement équestre.
Les survivants puisent une
force dans les rites : les funérailles militaires y sont déjà justifiées.
Déshonorer un cadavre[89] a
des effets sur les survivants.
9.
Le rôle des femmes
Notre intérêt est aussi
éveillé par le rôle éminent des femmes dans l’Enéide, chez les déesses et les Amazones ou encore une Didon[90]
ou une Camille, la femme guerrière ou les femmes, butins de guerre (esclaves du
vainqueur). N’oublions pas que Junon, cause des malheurs d’Enée en raison du
jugement de Pâris, est la déesse mère des guerriers, l’épouse de Jupiter dont
les hanches généreuses doivent révéler la puissance fécondante et qui
symbolise, pour cette part, la paix aussi. Vénus est pour Enée la déesse mère
protectrice : par des signes, elle le guide très souvent. L’amour de Didon
ne devant pas arracher le guerrier à sa mission est le message retenu au Moyen
Age. Les femmes ont une influence bénéfique ou maléfique sur les
combattants : Créüse (femme fidèle d’Enée), Juturne (sœur hyper
protectrice de Turnus), Amata (épouse de Latinus et mère de Lavinia voulant
pour gendre Turnus), Lavinia (fille tiraillée entre son amour pour Turnus et le
devoir d’obéissance à son père Latinus qui veut la marier à Enée), Camille (la
femme guerrière par excellence, fidèles jusqu’à la mort à son engagement).
L’amour de Lavinia motive
l’ardeur guerrière de Turnus :
Illum turbat amor
figitque in virgine vultus ;
Ardet in arma
magis…[91]
« Troublé d’amour, Turnus attache ses yeux sur elle ; son
ardeur guerrière croît encore… ».
Camille est la femme, chef de
guerre qui reçoit l’admiration de Turnus :
« Obvia cui
Volscorum acie comitante Camilla
Occurit portisque
ab equo regina sub ipsis
Desiluit, quam
tota cohors imitata relictis
Ad terram defluxit
equis. Tum talia fatur :
« Turne, sui
merito si qua est fiducia forti,
Audeo et Aenadeum
promitto occurere turmae
Solaque Tyrrhenos
equites ire obvia contra.
Me sine prima manu
tentare pericula belli ;
Tu pedes ad muros
subsite et moenia serva. »
Turnus ad haec
oculos horrenda in virgine fixus :
« O decus
Italiae virgo, quas dicere grates
Quasve referre
parem ? sed nunc, est omnia quando
Iste animus supra,
mecum partire laborem. » [92]
« Au devant de lui, suivie de la cavalerie des Volsques, Camille
s’avance ; elle a sauté de son cheval aux portes mêmes ; et tous ses
cavaliers imitant leur reine se laissent glisser de leurs montures à terre.
Alors, elle dit : « Turnus, si le courage a le droit de compter
sur lui-même, j’oserai, je te le promets, marcher contre l’escadron des
Enéades, et seule j’affronterai les cavaliers tyrrhéniens. Accorde-moi de
tenter les premiers périls de la guerre ; pour toi, reste auprès des murs
avec l’infanterie et veille sur les remparts.». Turnus, les yeux fixés sur la
vierge avec un frisson sacré, répond : «Honneur de l’Italie, ô vierge,
comment te rendre grâce et reconnaître tes services ? Mais puisque ton âme
est au-dessus de tout, partage pour l’instant les travaux de la guerre avec
moi.».
La mort de Camille, qui
diffère de suicides de Didon[93]
ou d’Amata[94],
est un tableau saisissant :
« Ergo, ubi
missa manu sonitum dedit hasta per auras,
Convertere animos
acres oculosque tulere
Cuncti ad reginam
Volsci. Nihil ipsa nec aurae
Nec sonitus memor
aut venientis ab aethere teli,
Hasta sub exsertam
donec perlata papillam
Haesit virginemque
alte bibit acta cruorem.
Concurrunt
trepidae comites dominamque ruentem.
Suscipiunt… »[95]
« Donc, lorsque le javelot parti de la main d’Arruns et sifflé par les
airs, tous les Volsques attentifs tournèrent leurs yeux vers la reine. Camille
n’a conscience de rien, ni du sifflement ans l’air, ni du trait qui vient à
travers l’espace, et déjà le javelot atteint son but et s’enfonce dans son sein découvert, y pénètre profondément, boit
son sang virginal. Ses compagnes éperdues accourent et soutiennent leur
maîtresse qui tombe. »
« Illa manu
moriens telum trahit ; ossa sed inter
Ferreus ad costas
alto stat vulnere mucro.
Labitur exsanguis,
labuntur frigida leto
Lumina ;
purpureus quondam color ora reliquit. »[96]
« Camille, mourante, essaie d’arracher le trait avec sa main ; mais
la pointe de fer demeure entre les os, enfoncée jusqu’aux côtes dans une
profonde blessure ; elle s’affaisse privée de sang ; la mort glace
ses yeux qui défaillent ; son visage si brillant d’habitude se décolore.»
Elle donne une dernière parole à Acca, en faveur de Turnus : « En même temps qu’elle disait ces mots, elle
abandonnait les rênes, glissant malgré elle jusqu’à terre. Alors, toute froide
déjà, elle s’est affranchie peu à peu des liens du corps, elle a penché son cou
languissant et sa tête dont la mort s’empare ; ses armes lui
échappent; et sa vie, avec un
gémissement, s’enfuit, indignée, chez les Ombres.»[97] Mais
« Camille abattue le combat redouble»[98].
10.Exemples
de stress dans l’Enéide
Bien entendu le mot stress
n’apparaît pas dans le récit ! Par contre, le phénomène est souvent
décrit. Enée exprime ainsi sa douleur face à l’indicible de la guerre, lors de
la chute de Troie : « Quelles
paroles pourraient dépeindre cette nuit de massacre et ces funérailles ?
Quelles larmes répondraient à nos malheurs ? »[99].
Les effets corporels de la
peur sont décrits fréquemment de la façon suivante : «Partout l’horreur est sur mon âme, et le silence même me terrifie. »[100] ou
encore : « Je demeurai
interdit ; mes cheveux se dressèrent[101],
et ma voix s’arrêta dans ma gorge.» [102].
Pour se familiariser au corps
à corps, à une lutte sans merci, Virgile offre des scènes très réalistes. Parmi
d’autres, voici un exemple de cruauté d’un allié de Turnus, Messape : « Le Tyrrhénien Auleste était roi et portait
les insignes de roi. Messape, qui avait tant désiré que le traité fût rompu
pousse contre lui son cheval et l’effraie ; Auleste recule, tombe, et
roule à la renverse, le malheureux, de la tête et des épaules, sur les autels.
Alors l’ardent Messape, vole avec sa lance, et, malgré les prières du vaincu,
du haut de son cheval il le frappe rudement de son arme énorme et
s’écrie : « Il a son compte ! Voici une victime qui sera plus
agréable aux grands dieux ! ». Les Italiens s’élancent et dépouillent
le cadavre encore chaud. Corynée arrache de l’autel un tison ardent, et comme
Ebysus s’avançait pour lui porter un coup, il le devance et lui jette le feu au
visage. La grande barbe d’Ebysus flambe et répand une âcre odeur ; Corynée
poursuit son ennemi épouvanté, saisit de la main gauche sa chevelure, le couche
à terre sous l’effort de son genou et, dans cette position, lui perce le flanc
de sa roide épée. Podalirius poursuit le pâtre Alsus qui, à traves les traits,
s’était élancé au premier rang ; il le presse, l’épée nue sur lui ;
mais Alsus se retourne et d’un coup de hache lui fend la tête du front jusqu’au
menton ; le sang coule et arrose largement les armes du guerrier. Un lourd
repos et un sommeil de fer tombent sur ses paupières ; ses yeux se ferment
pour une nuit éternelle. »[103].
Le stress physique, lié aux blessures
durant le combat, est aussi décrit. Enée blessé veut être soigné : « Il est furieux ; il s’efforce
d’arracher le trait dont le bois s’est brisé et réclame le secours le plus
prompt : qu’on ouvre sa blessure avec une large épée, qu’on fouille
profondément la chair où le dard se cache, et qu’on le renvoie au combat.»[104].
Un acte chirurgical intervient : « Le vieillard, sa robe relevée, vêtu à la manière de Péon faisait
vainement appel aux herbes puissantes de Phébus et à toute l’habileté de sa
main. Vainement il ébranle le trait et essaie de le saisir avec sa pince
tenace. La Fortune ne lui indique aucun moyen ; et son maître Apollon ne
lui est d’aucun secours.»[105].
Enée se révolte d’avoir subi cette blessure ; ses guerriers qui
l’entourent versent des larmes, Ascagne son fils, s’alarme mais Enée reste
impassible face à ces démonstrations d’inquiétudes quant à son sort, surtout
que les cavaliers ennemis approchent. Tout paraît désespéré. Finalement, Vénus
intervient en personne avec une phytothérapie : la blessure est baignée de
cette eau où a infusé le dictame avec de l’ambroisie : « et soudain comme il est naturel, toute
douleur quitte le corps d’Enée ; son sang s’arrête au fond de sa
blessure ; la flèche d’elle-même, sans effort, suit la main et
tombe ; et le héros sent en lui sa première vigueur. »[106].
Enée est aussi victime du
stress individuel : plusieurs frustrations avant de pouvoir atteindre et
vivre dans la terre promise et de nombreux manques de confiance et de doutes
forts, vite surmontés par une foi en la protection divine de Vénus.
Enée devant la destruction de
la ville de Troie est animé d’un désir de vengeance alors que quelques-uns de
ses compagnons préfèrent le suicide que connaissent les soldats vaincus comme
vainqueurs : survivre alors que des camarades sont morts leur paraît
impossible. A plusieurs reprises, des guerriers amis meurent ensemble alors que
l’un des deux aurait pu échapper à la
mort : désir de sauver et plaisir de se sacrifier avec son compagnon
d’arme[107].
Nous découvrons un stress
psychosocial dû au manque de cohésion entre certaines troupes, partagées sur
les suites à donner au combat ou saisies par la panique créée par la mort du
chef (parfois assurée, quelquefois n’étant qu’une fausse information).
Parfois, cela provient des
femmes qui préfèrent brûler les bateaux plutôt que de poursuivre cette quête
maritime qui ne semble plus finir. Enée, à un moment donné, préfère poursuivre
son chemin avec celles et ceux qui sont d’accord de le suivre et de laisser les
autres dans une île.
Quelle lecture donner à ces
visions aux moments de crise, de prise de décision ? Serait-ce une sorte
de délire, d’hallucination positive, dans la mesure où elle développe un esprit
de résistance ? Nous touchons ici à tout ce qui concerne l’inconscient.
Pour ma part, je m’interroge
sur la fonction de l’intuition chez celui qui prend une décision : avant
que la raison décide au final, il y a une sorte de présélection de l’intuition
qui privilégie des variantes parmi d’autres….
Conclusion
Virgile illustre une
transition entre l’explication des faits soit par la mythologie, soit par la
détermination d’un homme. Il s’interroge implicitement sur le degré de liberté
de l’homme, aussi bien avec Enée que Didon. Est-on esclave de son destin, de
ses déterminismes de la naissance ou de ses passions ? Peut-on refuser sa destinée ? Enée hésite
parfois à l’écoute de voix contraires mais se reprend toujours. Oui il y a un
monde des dieux mais Enée doit avoir la volonté forte pour réussir, la destinée
et/ou la seule volonté des dieux ne suffisent pas. En ce sens, Virgile apporte,
dans l’emploi des mythes, une mutation qui doit retenir notre attention.
La mythologie est pour Virgile
un moyen de répondre à une soif d’expliquer les causes d’une situation qui
échappe à la raison humaine. Virgile impute aux dieux ce qui plus tard d’autres
auteurs, parfaits reflets de la pensée de leur temps, attribueront
progressivement à un Dieu unique, puis à la Providence, ensuite au hasard, à la
chance et à la malchance et finalement aux impondérables de la vie dont il ne
faut chercher aucune explication…
Les diverses motivations des
combattants sont analysées par touches successives tout au long du récit. Tout
lecteur peut effectuer un bouquet d’analyses selon ses intérêts.
Le rôle de la mémoire chez le
combattant est primordial. Virgile a créé un mythe des origines où le culte des
ancêtres est essentiel. Les traditions sont les véhicules de la mémoire et tout
y a du sens. Vous perdez les traditions, vous perdez la mémoire. L’Ancien
Testament est aussi un récit des origines pour le peuple juif. Le fait de partager
cette croyance est une force unificatrice, ce dont avait besoin Auguste en
ordonnant la publication de l’Enéide.
Le rôle de la mémoire produit
une motivation religieuse chez le combattant pour une collectivité et qui
s’oppose à toute passion égocentrique (Didon, Turnus).
La plus grande originalité est
la facilité de Virgile d’expliquer le présent par le passé qui peut encore même annoncer le futur. Le
succès de l’Enéide à travers les siècles trouve là son explication.
Le personnage d’Enée retient l’attention
car ce héros en devenir, dont nous suivons l’initiation, a la volonté de donner
un sens à sa vie, à travers une mission à accomplir. Le soldat qui s’engage de
nos jours donne, qu’il le veuille ou non, de façons différentes d’une personne
à l’autre, aussi un sens à sa vie en défendant des valeurs, auxquelles il est
obligé de croire pour accomplir pleinement une mission : l’Etat, la
patrie, sa communauté combattante, une religion, une idéologie, une lutte lui
paraissant indispensable….
Dans « Mythologies » de Roland Barthes[108],
nous lisons l’affirmation suivante : «… on
peut concevoir des mythes très anciens, il n’y en a pas d’éternels. ».
Or, l’Enéide, depuis sa rédaction jusqu’à nos jours, a parlé aux lecteurs sur
plusieurs siècles et, dans la mesure où ce texte ne sera pas oublié des
programmes scolaires et des personnes se proclamant Intellectuelles, je reste persuadé qu’il parlera encore
longtemps ! En 1956, ce même Roland Barthes a proclamé : « En un mot, je ne vois pas encore de
synthèses entre l’idéologie et la poésie (j’entends par poésie, d’une façon
très générale, la recherche du sens inaliénable des choses).». Or Virgile
allie dans son œuvre ultime justement idéologie qui a tant contenté Auguste et
poésie qui a satisfait l’âme romaine. Barthes a-t-il lu cette œuvre ? Non,
il n’aurait plus osé affirmer une telle chose !
L’Enéide est une succession de chants en faveur de l’optimisme. Non
un optimisme béat où il suffirait à l’homme ou la femme de se laisser conduire
par le seul destin, comme une coquille de noix sur les eaux. Mais un optimisme
confiant qui permet de surmonter les obstacles. Ce récit mythique conteste
l’affirmation de Bruno Bettelheim qui affirme que « Le mythe est pessimiste, alors que le conte de fées est optimiste. »[109] Précisons :
je ne crois pas que l’Enéide soit un conte de fées !
Plusieurs d’entre vous, sans
doute se demandaient ce que peuvent apporter une fiction, un mythe, ce qui
équivaut chez certains à un fatras de superstitions. Depuis le Siècle des
Lumières, il serait, pour des scientifiques purs, tout-à-fait vain de lire un
récit mythique. J’espère en avoir dit assez pour vous convaincre que dans le
mythe, il y a des vérités humaines et des vérités historiques qui peuvent
éclairer tous les temps.
Bibliographie :
P.
Vergili Maronis (R.A.B. Mynors) : Opera.
Oxford.1969. 452 p.
Version latine de référence et réservée
aux latinistes.
Virgile
(Maurice Rat) : L’Enéide.
Garnier. Paris. 2 vol. 1947. 440 p. et 508 p.
Version bilingue latin-français avec un
apparat critique très précieux.
Virgile
(E. Sommer et A. Desportes) : Enéide.
12 vol. Hachette. Paris.
Pour apprendre le latin, avec une
traduction littérale et littéraire. Très utile pour réviser une traduction
délicate.
Virgile
(André Bellesort) : Enéide.
Livre de poche. N° 1497/1498. 1965. 452 p.
Belle traduction française uniquement.
Ouvrages cités :
Stéphane
Mallarmé (George W. Cox ; illustration Luben Dimanov) : La mythologie. Club du Livre.
Paris.1991.196 p.
Texte d’origine de 1880 restant une
instructive introduction aux mythes grecs et latins, en un style agréable et limpide.
Robert
Graves : Les mythes grecs.
Fayard. 1967. 2 vol. 432 p. et 448 p.
Livre précieux pour toute personne
désireuse de comprendre les mythes, de comprendre l’origine de la culture
européenne tout simplement et de se mettre à l’écoute de ces vérités
ancestrales portées par la parole avant de se fixer dans les écrits.
Mircea
Eliade : Méphistophélès et
l’Androgyne. Gallimard. Paris. 1961 et 1981. 311 p.
Henry
Spitzmuller : Poésie latine
chrétienne du Moyen Age. IIIe au XVe s. Desclée de
Brouwer. 1971. 2012 p.
Pour comparer les mots de la
spiritualité virgilienne et médiévale.
Saint
Augustin (Joseph Trabucco) : Les
Confessions. Classique Garnier. 2 vol. 1960. 372 p. et 396 p.
Une comparaison utile est à établir
entre les états d’âme du combattant militaire et du combattant spirituel.
Anonyme
(Jean-Jacques Salverda de Grave) : Enéas,
roman du XIIe siècle. 2 vol. Paris. 1925 et 1929.
Glissement du combat guerrier au combat
amoureux.
Benoit
de Saint-Maure (L. Constans) : Le
roman de Troie. Société des anciens textes français. Paris. 6 vol.
1904-1912.
Fantaisie d’un romancier du Moyen Age
jouant avec les récits homériques…
Roland
Barthes : Mythologies. Coll.
Points 10. Seuil. 1957. 252 p.
Bruno
Bettelheim : Psychanalyse des contes
de fée. Laffont. Pluriel. N° 8342. 1976. 312 p.
[1]
Enéide, Virgile. L.XII, v.435-438.
Parole d’Enée à son fils Ascagne avant le combat final.
[2]
70-19 av. J.-C.
[3]
Caïus Octavius, devenu Auguste en janvier 27.
[4]
Par Varius et Plotius.
[5]
J’exprime mon regret que l’Enéide tombe dans l’oubli des programmes scolaires.
[6]
Chant est le terme à préférer car les
vers scandés dans les règles de l’art dégagent une mélopée tantôt douce, tantôt
dure.
[7]
L. I, v. 1-7 : le fameux
« Arma virumque cano… », Je
chante les combats et ce héros… Ces premiers vers ont marqué les mémoires
de tous les jeunes latinistes devant s’initier à traduire Virgile !
[8]
Cela ferait une magnifique polémique.
[9]
Aucun pays n’y a échappé mais il est de bon ton de rire du voisin plutôt que du
sien !
[10]
Robert Graves en fait une démonstration dans son ouvrage : Les mythes grecs. Lire aussi Stéphane
Mallarmé : Mythologie.
[11]
Il n’est pas anodin de souligner que le peuple juif est d’abord un peuple de
migrants à la recherche de la terre promise, Enée est à la recherche de sa
terre d’origine selon les dire des dieux.
[12]
Fausse image d’un Dieu-Pharaon : une caricature de Dieu qu’illustrent les
attentats au nom d’un Islam mal compris.
[13]
L. I, v.30-31 :
« multosque per annos errabant, acti fatis maria omnia circum », et poussés par les destins, ils erraient
autour de toutes les mers depuis de nombreuses années.
[14]
Imaginez l’exploitation du récit virgilien qui pourrait être faite aussi bien
par les opposants que les soutiens aux migrants !
[15]
Mircea Eliade, dans « Méphistophélès
et l’Androgyne », p. 30,
l’explicite ainsi : « La
psychologie des profondeurs nous a appris que le symbole délivre son message et
remplit sa fonction alors même que sa signification échappe à la conscience. ».
[16]
Généralement inférieures au modèle virgilien, il faut le reconnaître.
[17]
Dans les Essais de Montaigne, vous
avez de nombreuses références aux diverses œuvres des Virgile.
[18]
Sans pratiquer ce que nous appellerions du plagiat
de nos jours, les auteurs les plus connus pratiquaient des compilations, chacun
à leur façon : leur originalité apparaît donc plus dans la façon
d’utiliser et d’agencer des matériaux qui étaient connus de tout érudit
contemporain.
[19]
Bénéfique avec Vénus ; maléfique avec Junon (L. I, v.4 : « ob
iram memorem saeve Junonis », à cause du ressentiment de la cruelle Junon.
[20]
Saint Augustin, Les Confessions, chap. X/27 :
« Trop tard, je t’ai aimée, trop
tard je t’ai aimée, Beauté toujours ancienne et toujours nouvelle, trop tard je
t’ai aimée, et pourtant tu étais dedans, mais c’est moi qui étais dehors.»,
cette beauté étant cette présence de Dieu en l’homme.
[21]
L. I,
v.10 : « insignem pietate virum », un héros insigne par sa piété.
[22]
L. I, v.2 : « fato
profugus », poussé par le destin.
[23]
Anchise croit que la terre d’origine est la Crète alors que c’est le Latium.
[24]
L. I, v.3-4 « multum ille et
terris jactatus et alto vi superum », longtemps
il fut le jouet, et sur terre et sur
mer, de la puissance des dieux supérieurs.
[25]
Devant le temple à Carthage retraçant la chute de Priam (la sculpture au
service de la mémoire) : « Alors
Enée pousse du fond de sa poitrine un immense gémissement lorsqu’il aperçoit
les dépouilles, le char, le corps de son ami [Hector] et Priam qui tend ses
mains désarmées. », Livre I.
A propos des lamentations d’Enée, il y aurait des comparaisons utiles à établir
avec le livre de Job de l’Ancien Testament.
[26]
L. IV, v. 393-396.
[27]
L. XI, v. 106-111.
[28] Enée déclare être à la recherche de sa
patrie : l’Italie car les Latins veulent croire que Dardanus, fondateur de
la race troyenne, était originaire d’Etrurie (les Etrusques : Corythe,
Cortone). Il déclare être guidé par Vénus :
L. I, v.
382 : « Matre dea monstrante viam, data fata secutus », poursuivant
les destins (qui me sont réservés) et la déesse ma mère me montrant le chemin.
[29]
La Suisse a eu Guillaume Tell, magnifié par Schiller, mais la Suisse n’a pas
voulu fonder un Empire, juste assurer son indépendance. Pour des Empires et
plus récemment, des James Bond, des Rambo ou des Mac Gyver occupent la fonction
d’Enée dans l’esprit de certains. D’autres leur préfèrent les récits mythifiés
d’un De Gaule, d’un Churchill ou d’un Mao, d’un Trotski ou encore d’un Che
Guevara. Je vous laisse le choix et les intentions !
[30]
L. I, v. 341-342. «… Longa est
injuria, longae / Ambages : sed summa sequar fastigia rerum. ».
[31]
L. I, v. 347 : «
Pygmalion, scelere ante alios immanior omnes », Pygmalion le plus scélérat de tous les hommes.
[32]
L. I, v. 361 : « Conveniunt
quibus aut odium crudele tyranni /Aut metus acer erat ;… », autour d’elle se réunissent tous ceux que la
haine anime contre le tyran ou qui redoutent sa vengeance.
[33]
L. I, v. 505-508.
[34]
L. VIII.
[35]
L. IX.
[36]
L. X, v. 501-509.
[37]
L. I, v. 567-588.
[38]
L. I, v. 46-49.
[39]
L. I, v. 92-101
[40]
Diomède, le Grec redoutable qui aurait pu tuer Enée si Vénus n’était pas
intervenue.
[41]
Achille (fils de Jupiter et d’Europe) a vengé la mort de son ami Patrocle, en
tuant Hector, le fils aîné de Priam et le chef
troyen.
[42]
Un autre fils de Jupiter (généreux de sa semence) qui était venu quant à lui au
secours de Troie et fut tué par Patrocle : Hector, bras humain de Jupiter
avait ainsi vengé, quant à lui, Sarpedon en tuant Patrocle !
[43]
Rivière coulant du mont Ida.
[44]
Phébus-Apollon, le symbole du soleil et de la lumière civilisatrice : Rome
ne pouvait pas mériter moins que cela pour l’annonce de son destin !
[45]
L. III, v. 84-89
[46]
La terre des origines est la matrice.
[47]
L. III, v.94-98.
[48]
Visions, songes et voyages dans l’au-delà est une thématique qui est cultivée
durant tout le Moyen Age : un colloque pourrait se faire uniquement sur ce
thème. Lire : Henry Spitzmuller : Poésie
latine chrétienne du Moyen Age. IIIe -XVe siècle.
Desclée de Brouwer. 1971. 2012 p.
pp.1883-1887
[49]
L. II, v.228-233.
[50]
Il s’agit, à l’origine, du lieu où se réunissent les âmes des morts, bonnes ou
mauvaises. Le concept évolue dans le temps : plus tard, les Enfers se
divisent en deux zones ; les âmes des justes dans les champs Elysées
(j’espère que les farouches laïcistes ne sont pas choqués de l’origine
religieuse de cette appellation) et les âmes maudites dans le séjour du
Tartare.
[51]
Ces génies qui communiquent dans les rêves les volontés des dieux qui sont
compris par les prêtres : de nouveau, nous retrouvons les songes de
l’Ancien testament.
[52]
L. VI, v. 282-284.
[53]
Horace en fait aussi mention in : Odes, l. III, v.27 et v.40 : Les songes vrais sorte, par la porte de
corne après minuit ; les songes faux, par la porte d’ivoire, avant minuit.
[54]
Ou les mânes, tout simplement.
[55]
Le ciel, mentionné dans le texte
latin, est lu comme étant la terre, depuis les Enfers.
[56]
L. II, v.268-273.
[57]
L. II, v. 289-295.
[58]
Dieux protecteurs de chaque demeure et chaque cité romaines.
[59]
Dans les guerres de 1914-18 et de 1939-45, les blessés ou les mourants font
souvent appel à leurs mères (et non à leurs épouses ou enfants).
[60]
L. I, v.148-153.
[61]
L. II, v. 348-354.
[62]
Idée fréquente qu’un malheur est une punition divine.
[63]
La Légion et Camerone.
[64]
L. I, v. 198-209.
[65]
« J’avais un rêve » : si les politiques pouvaient comprendre et
pratiquer cela tel un Enée et non tel un Sinon comme nous le verrons
ci-dessous, nous aurions une vraie
Révolution !
[66]
L. I, v. 291-296.
[67]
L. II, v.65 : « Accipe nunc
Danaum, insidias, et crimne ab uno / Disce omnes… », Apprends maintenant les embûches des Danaens et, par le crime d’un
seul, connais-les tous… Le perfide grec préfigure la perfide
Albion ! Ainsi naissent les clichés récurrents dans plus d’un discours !
[68]
L. II, v. 145.
[69]
L. II, v.152-153.
[70]
L. II, v.195-198.
[71]
L’homme en fureur est « hors de lui » :
il ne se possède plus, il ne se contrôle plus, il n’est plus maître de ses
actes, il n’est plus l’origine de sa propre conduite, il est aliéné à soi-même…
La colère se maîtrise, se canalise à l’aide de la piété, de la raison, d’une
volonté supérieure, au service des dieux ou de la mission, par exemples.
[72]
Avec la traditionnelle phrase des parents : « Faut-il s’aimer pour se marier ? Ils auront toute la vie pour y
parvenir, après le mariage. »
[73]
Par contre, dans l’Enéas du XIIe s. ap. J.-C., l’auteur anonyme
normand, inspiré par la casuistique ovidienne, dans le style de l’amour
courtois, comble cette lacune : Lavinie, pendant la trêve, voit Enée et
s’en éprend éperdument ! Enée et Lavinie s’échangent de petits signes pour
déclarer leur flamme réciproque…
[74]
Le duel Turnus – Enée, le gagnant remportant la victoire, considérée come une
volonté divine, au nom de son peuple, de sa cause. Le Moyen Age a repris cette
façon de régler les conflits : un moyen de limiter les pertes humaines.
[75]
Virgile compare souvent des scènes de luttes humaines avec des réactions animales (taureau,
serpent, p.e.).
[76]
L. XII, v.10-18.
[77]
L.XII, v.19-43.
[78]
L. XII, v.100-106.
[79]
L. XII, v. 108-113.
[80]
L. II, v.431-434.
[81]
Rien de nouveau sous le soleil.
[82]
L. II, v.486-500.
[83]
L. II, v. 559-566.
[84]
Exemple : Pour s’assurer de la mort du défunt, celui-ci était appelé
plusieurs fois par son nom d’une voix forte.
[85]
L. VI, v. 213-235. Si vous passez à
l’ouest du golfe de Pouzzoles, le cap Misène existe encore dans la topographie,
pensez aux funérailles de Misène !
[86]
L. V : tout amateur de sports
lira avec passion ce chant à la gloire des jeux (la lutte entre les deux boxeurs
est saisissante) !
[87]
Graine aromatique à saveur de poivre.
[88]
Fruit du canéficier.
[89]
Hector, Priam…
[90]
Avec cette phrase, cruelle de Mercure à Enée, qui doit s’arracher aux liens de
Didon, et préférée des misogynes : L.IV,
v. 569-570 «Eia age ; rumpe moras.Varium et mutabile semper/
Femina. » « Va, pars ! Plus de délai ! La femme est
toujours chose variable et changeante. »
[91]
L. XII, v. 70-71.
[92]
L. XI, v. 498-510.
[93]
Par l’épée.
[94]
Par pendaison.
[95]
L. XI, v. 799-806.
[96]
L. XI, v. 816-819.
[97]
L. XI, v. 827-831
[98]
L. XI, v. 833 : « dejecta
crudescit pugna Camilla ».
[99]
L. II, v.361-362.
[100]
L. II, v.555.
[101]
A plusieurs reprises ce signe physique de la frayeur apparaît.
[102]
L. II, v.774.
[103]
L. XII, v. 289-310.
[104]
L. XII, v.387-390.
[105]
L. XII, v.400-407.
[106]
L. XII, v.420-424.
[107]
L. IX, Nisus et Euryale par
exemple.
[108]
Roland Barthes : Mythologies. P.
194.
[109]
Bruno Bettelheim : Psychanalyse des
contes de fées, p. 62.
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