mercredi 20 juillet 2016

La guerre en quelques citations.

Pensée militaire européenne :
florilège commenté.

Antoine Schülé

Vous trouverez dans cet exposé des citations commentées de : Edmond Privat, Carl von Clausewitz, Samuel Gonard, Nicolas Machiavel, Henri Guisan, René Quinton, Erich Ludendorff, les 27 maximes de Machiavel et Sun Tsu.  

Depuis que l’homme existe, malheureusement, le phénomène « guerre » est une réalité : son visage est protéiforme. Nombreux sont les écrivains, les philosophes, les politiques et les militaires, ayant réfléchi sur les moyens de l’empêcher, de la maîtriser ou, en ultime recours, de vaincre. Depuis la chute du Mur de Berlin, un pacifisme béat et une ignorance de la nature humaine comme des peuples ont fait croire à plus d’un dirigeant politique et à de nombreuses personnes, certaines  de bonne foi et d’autres manipulées, qu’une ère de paix commençait : en 2016, il est évident qu’il n’en est rien. Le XXe siècle a porté les fruits d’une politique mondiale du XIXe siècle, avec des horreurs commises aussi bien par des pays totalitaires que des démocraties (soit par faiblesse, soit par cynisme de leur politique étrangère).

Pour comprendre la guerre, ce qui ne signifie pas l’approuver lorsqu’elle n’est plus purement défensive, il convient de redécouvrir des auteurs ayant pensé et livré leurs réflexions sur la défense et la sécurité des peuples.

LE CHOC DES PATRIOTISMES’ D’EDMOND PRIVAT

«  Si le monde était composé d’anges et de brigands, tout serait beaucoup plus simple. Mais ni vous, ni moi ne sommes ni l’un, ni l’autre. Ce qui complique la situation, c’est moins le criminel qui vous fait du mal tout seul que les braves gens qui vous causent du tort en masse et qui croient bien agir par-dessus le marché. » (p. 7)
      Professeur à l’université de Genève, ancien commandant du bataillon fusiliers 10, Edmond Privat apporte un regard riche d’enseignements sur des sujets permanents que certains considèrent, bien à tort, comme des nouveautés de notre temps. Il a travaillé avec le général Henri Guisan sur le rôle éducatif de l’armée (voir note 2). L’auteur est un historien reconnu des insurrections polonaises, un spécialiste des nationalités slaves d’Autriche-Hongrie. Il a été observateur pour la Suisse à la Société des nations. D’un style agréable à lire, il situe bien le débat sur cette question délicate qu’est le patriotisme. Ses considérations méritent notre attention en raison de l’actualité de ses réflexions.
      Comme sous-titre de son ouvrage ‘’Le choc des patriotismes’’, il a choisi un titre secondaire significatif : Les sentiments collectifs et la morale entre les nations. Pour Edmond Privat, un patriotisme est comme une religion : il est capable de nobles passions comme des pires des crimes ; tout dépend de ce qu’en font l’individu et la collectivité.
      Actuellement, il n’est pas facile de prononcer le mot ‘patriotisme’ : n’est-il pas surprenant de constater que d’en parler, cela choque des jeunes ? Il est vrai que par la volonté de quelques-uns, cette notion a pris parfois, dans l’histoire, des formes hideuses : il y a  eu, il faut bien le reconnaître, confusion ou absence de valeurs. Un patriote est respectable dans la mesure où il ne se laisse pas aveugler par la passion de son pays dans le but de préserver l’illusion qu’il a de celui-ci, en ignorant les autres pays. Un patriote doit savoir garder ouvert son œil intérieur pour observer cette frontière délicate et à ne pas franchir qui le mènerait au pays de l’intolérance.
      Le patriotisme ne doit pas devenir une religion aveugle de l’Etat où «le sol natal devient un temple et la langue maternelle une communion, le drapeau du pays un sacrement, l’hymne national une prière et la guerre un holocauste. » (p. 2). Ce livre, publié en 1931, pourrait être un remède contre le fanatisme qu’engendre un patriotisme mal compris qu’il soit de type religieux ou laïque. Malheureusement, trop d’exemples en cette fin de siècle, ce siècle pourtant du progrès, révèlent ces tumeurs mortifères du patriotisme qui se traduisent par des guerres sanguinaires. La pensée de notre auteur se résume dans cette phrase qu’il convient de garder en mémoire :
      « La grande erreur des moralistes et des clergés officiels est d’avoir confondu pluriel et singulier. Il n’y a pas la patrie, une patrie, ma patrie ; il y a les patries, des patries, nos patries, de même qu’à l’intérieur des frontières, il n’y a pas moi, mais nous. » (p. 165)
      En soumettant à notre réflexion les quelques citations qui suivent, il nous est possible d’écouter les patriotismes d’une autre oreille et d’éviter cet écueil de la paix qui a pour nom : le chauvinisme.

SEPARATISME ET FEDERATION
« Tous les siècles ont leurs contrastes.
Le XX° siècle aura vu deux grands efforts en sens contraire : séparatisme et fédération. Les deux sont naturels.
… Sur le chemin de l’autonomie, l’obstacle est clair : un oppresseur qui sert de cible unique. Tous les phares sont allumés contre elle.
Sur le chemin de la fédération, les obstacles sont beaucoup moins nets. Ils surgissent de tous côtés dans l’ombre, et le pire est la peur. On n’est pas sûr d’avoir même envie d’avancer. » (p. 5-6)

LE MAL ET LA PATRIE
« Un individu peut faire du mal et le reconnaître. Une patrie ne connaît aucun mal, si ce n’est celui qu’on lui fait. Elle ne saurait avoir tort, ni d’ailleurs être vaincue. Il n’y a qu’à lire son histoire dans les manuels. C’est à peine si elle n’a jamais été battue sur un champ de bataille, sauf quand un criminel l’a trahie. » (p. 8)

UN PEUPLE OPPRIME DEVENANT OPPRESSEUR
« Reprenez le cas d’un peuple opprimé devenu indépendant et opprimant à son tour. Un sentiment de justice vous a fait plaider sa cause quand il souffrait. Le même sentiment vous pousse à défendre ceux qu’il moleste. Jamais ses patriotes ne pourront vous comprendre. Hier vous étiez ami, aujourd’hui ennemi, voilà tout et ils se creuseront la tête pour savoir pourquoi. » (p. 8)

VANITE NATIONALE
« La plupart des peuples ont une haute opinion d’eux-mêmes. Les esquimaux s’appellent ’les hommes réussis’ et nomment les blancs des ‘ratés’. Les Chippewas disent ‘bêtes comme des blancs’. Les Hottentots s’intitulent ‘les hommes des hommes’, les Indiens de la baie d’Hudson ‘les vrais hommes rouges’. Tel peuple est ‘fils du soleil’, tel autre ‘l’élu de Dieu’. Les Mayas de l’Amérique du Sud se croient ‘la nation la plus noble du monde, la plus généreuse et la plus exacte à tenir sa parole avec loyauté et la plus vaillante’.
Ils ont des émules en Europe.
On ferait une anthologie vraiment joyeuse avec les coupures de journaux et des extraits de discours illustrant la vanité nationale. Il n’y a pas que le shah de Perse qui prenne le titre de ‘centre du monde’. Paris est ‘ville de lumière’. Genève ‘capitale des nations’. » (p. 13)

VERITE DE GROUPE
« Dans les rivalités de groupe, la grande victime, c’est la vérité. Chacun raconte à sa manière le moindre événement. Mieux que cela, chacun choisit parmi les faits et retient ceux qu’il aime à croire. Ensuite il les exagère et traite en mensonge ceux qu’il néglige. » (p.19)

ILLUSION VOLONTAIRE
« L’enfant rêve et ment de bonne foi. Un peuple aime ou déteste. Il se ment à lui-même en pleine sincérité. On rit des lessiveuses aux fontaines des villages. Elles médisent, elles bavardent. Elles louent leur progéniture. Elles calomnient la voisine. Tous les peuples en sont là. » (p. 20)

A PROPOS DE LA PRESSE
« La vérité par amour ou par haine est intransigeante comme celle d’une église. Sur tout le territoire d’une grande langue, elle exerce une autorité sans appel. Atrocités, persécutions, pays opprimés, défaites mêmes sont exclus des choses possibles dans le camp favorisé. Un journal qui en parle, a ses bureaux criblés de pierre. Les choses négatives ne peuvent se passer que dans le camp opposé.
…La presse répand les erreurs, les préjugés, les citations tronquées, les suppressions, les suspicions, les racontars, les calomnies qui sont conformes à l’humeur collective. Les pires défauts individuels se projettent à millions d’exemplaires. Comme elle travaille en sens contraire des deux côtés d’une frontière, on voit le danger des vérités particulières. » (p. 23)

LA GUERRE : OBLIGATION DE VERSER LE SANG DE L’AUTRE
« Il en résulte un déséquilibre intérieur qui peut devenir grave. Imaginez un dessinateur subitement employé dans une boucherie ou un instituteur obligé de remplacer le bourreau de la ville. Vous n’aurez qu’une faible idée du conflit d’habitudes qui déchire un père de famille, armé d’un lance-flammes et chargé de massacrer un groupe d’hommes, terrés dans une tranchée. » (p. 30)

UNE DEMOCRATIE A PERFECTIONNER
« Au XIX° siècle, suffrage universel et parlement symbolisent partout la démocratie sur le modèle anglo-saxon. Elle reste politique. C’est une soupape essentielle qui permet les plaintes. Ce n’est pas un remède suffisant contre les maux. Celui qui ne possède rien n’est ni égal, ni libre et celui qui possède n’est guère plus fraternel à cause d’un parlement. Limitée à la politique, la démocratie reste incomplète et vocale.
La liberté économique sans l’égalité coopérative y tue la fraternité. » (p. 74)

DEUX TYPES DE REVOLUTION
« La révolution russe attire l’attention par son expérience technique, la révolution de l’Inde par son expérience morale. En fait, il y a nouveauté technique dans l’une et l’autre. Ce qui est neuf en URSS, c’est le but. En Inde, c’est le moyen. » (p. 85)

L’EXPERIENCE DE GANDHI
«  Il s’agit de préparer une victoire sans préparer une revanche ; mener la bataille sans verser le sang de l’adversaire. Enflammer un peuple énorme sans lui créer des habitudes violentes ; telle est l’idée subjective du chef. Ce n’est pas seulement une conviction religieuse qui le pousse, mais une conclusion tirée d’expériences vécues. » (p. 86)

GANDHI OU LA REVOLUTION, EVOLUTION INTERNE DES PATRIOTES
«  Pour beaucoup d’entre eux, le bien suprême est l’indépendance de la patrie. Pour un Gandhi, c’est la conduite de la patrie. Il veut pour son pays ce que Vinet voulait pour l’homme : qu’il soit maître de lui-même pour savoir être libre ! Il ne consent à détruire la loi imposée du dehors que dans la mesure où le peuple accepte une discipline intérieure plus solide que cette loi. » (p. 87)

LA ‘’RESISTANCE’’ DE GANDHI
«  Gandhi n’organisa point la ’’non-résistance’’ comme on l’a dit, mais au contraire la ‘’résistance’’, sous la forme de la désobéissance civile sans armes et sans violence. C’est le principe de la grève, du boycott, du refus de l’impôt. » (p. 88)

DANGERS DES PEUPLES SE CROYANT MESSIANIQUES
«  Un grand peuple a toujours une mission sacrée à une époque ou à une autre. Elle consiste en général à forcer les plus faibles à subir son autorité, dans leur propre intérêt, bien entendu.
Ils ne savent pas faire. Ils ne savent pas s’en tirer. Ils n’ont pas la paix intérieure. Ils se fourvoient. Il n’y a que le plus fort qui sache tout ; lui seul a le droit de vous l’apprendre et il fronce un sourcil énorme si vous avez l’audace de lui répondre à la Gandhi : ‘’C’est de notre plein droit de nous mal gouverner à notre guise.’’.
Paix britannique en Inde, paix russe en Asie, pangermanisme en Europe centrale, civilisation française en Afrique, grandeur espagnole dans les Amériques, protection américaine aux républiques centrales, croisades, révolution mondiale, expansion fasciste, voilà des religions magnifiques pour les nations qui les prêchèrent, mais aux autres peuples elles sont apparues souvent comme des fléaux terribles à cause de la flotte ou de l’armée qu’ils voyaient derrière elles. » (p. 114-115)
NATION DES SOCIETES DES NATIONS
«  A Genève, deux morales s’affrontent. Le but est international. Les instructions sont nationales. Pour neuf états sur dix, c’est d’abord l’intérêt particulier. Le délégué doit travailler pour sa patrie, même s’il parle pour toutes. Si l’on admet quelque intérêt commun, il faut prendre un grand soin de la vanité nationale. Un bien général ? Soit, mais par la conception de notre pays, pas d’un autre. Tel un club d’écoliers bouffis. » (p. 124)

TRIBUNAL INTERNATIONAL
«  Deux plaignants arrivent, on essaie de les réconcilier. Quelle attitude avoir ? demande à son gouvernement l’ambassadeur d’un petit pays. Le télégraphe le sait par cœur : ‘’Soutenez tant que vous pourrez le droit du faible, qui est le nôtre, mais sans nous brouiller avec le fort, dont nous avons besoin pour un traité de commerce. » (p. 125)

CONCLUSIONS
«  Le jour où nous aurons compris toute chose comme elle se voit elle-même, l’univers n’aura plus rien à nous apprendre et nous aurons le même sens que lui.
            Nous pourrons mesurer l’illusion de tous les égoïsmes, humains ou nationaux. Une saine division du travail exige que chacun fasse en ce monde sa tâche individuelle et collective. Mais il faut savoir laquelle. L’accomplir aux dépens d’autrui sans compter ses réactions et vouloir faire de cet oubli sa religion principale, c’est appeler la guerre et la sanctifier d’avance. » (p. 174)
… « Les groupes humains tendront à la justice intérieure et à la fédération extérieure pour atteindre un tout harmonieux. Il n’est pas dit qu’ils s’arrêtent là. Leur morale se développera. » (p. 174)

Notes
1)     Edmond Privat : Le choc des patriotismes. Les sentiments collectifs et la morale entre les nations. Ed. Alcan. Paris. 1931. 179 p.
2)     Henri Guisan (collectif Grize, Privat, Vodoz) : L’éducation militaire. Cahiers du CHPM. 1995. Pully. 40 p.

DE LA GUERRE’ DE CARL VON CLAUSEWITZ.

«  Celui qui, obéissant à une injonction intérieure, entreprendra cette œuvre (d’enseigner l’art de la guerre au moyen d’exemples historiques), devra se préparer à sa pieuse entreprise comme à un long pèlerinage. Il ne reculera devant aucun sacrifice de temps, devant aucun effort, il ne craindra nul pouvoir, nulle autorité temporelle et saura surmonter toute vanité personnelle et fausse pudeur pour dire, selon le code français, ‘la vérité, toute la vérité’. »  (p. 177)

Il reste à savoir si la vérité en notre monde peut être une seule fois atteinte, sa quête ressemble tant à un chemin dont on ne voit jamais le bout mais dont on ne parcourt que quelques étapes… et si la vérité n’était qu’une grande sphère à multiples facettes qu’il serait impossible d’embrasser d’un seul regard ! Partant de ce principe, nous aurions l’avantage d’être préservé de tout absolu qui peut se montrer si dangereux que, de bonne foi, certains deviendraient des fanatiques sans même s'en apercevoir.
Carl Clausewitz est né en 1780 et, sans avoir pu achever son œuvre, il est mort en 1831. Son épouse publiera son livre sous le titre ‘De la guerre’ en 1832 et 1834.
Clausewitz n’impose pas de plan préétabli, valable pour toute situation. Il souligne la complexité des faits de guerre par leur interdépendance et détermine de multiples règles d’action qui permettraient, dans une situation donnée, le plus grand effet possible. Lire Clausewitz ne suffit pas, il faut encore le comprendre. De ses multiples principes, il s’agit de mettre en application le bon au moment opportun : cela nécessite de bonnes connaissances, soumises à une réflexion qui ne s’improvise pas, à moins d’être un charlatan. Il est l’auteur sans doute le plus souvent cité mais aussi le plus mal connu. A le lire, j’ai acquis la conviction que la guerre se compare à un jeu d’échecs : il y a une infinité de combinaisons possibles mais il n’y a pas de ‘recettes’ pour gagner à coup sûr.
En son temps, et encore de nos jours, quelques-uns se demandent si Clausewitz peut être considéré comme un stratège. Il n’a jamais commandé en chef des troupes au combat, il n’a jamais assumé des responsabilités décisives dans un état-major. Voilà ce que disent ceux qui veulent lui contester une certaine autorité. Encore de nos jours, il est de bon ton pour déconsidérer une personnalité militaire de déclarer qu’il n’est pas un stratège : cet argument - qui n’en est pas un - laisse supposer que celui qui l’avance est un stratège mais cela n’est, bien souvent, qu’une vaniteuse croyance. Ce débat est assez vain quand on pense que Clausewitz a inspiré de grands stratèges et a influencé les engagements de nombreuses troupes…
Il a mis en évidence que l’absolu de la guerre conduit au développement des extrêmes dans toutes leurs puissances, et ceci jusqu’à l’anéantissement. La guerre reste une affaire humaine, uniquement humaine, où l’homme seul en est l’occasion et le but, la fin et le moyen. Sa perception de la guerre se situe bien dans cet extrait :
      «  La guerre n’appartient pas au domaine des arts et des sciences, mais à celui de l’existence sociale. Elle est un conflit de grands intérêts réglés par le sang, et c’est seulement en cela qu’elle diffère des autres conflits. Il vaudrait mieux la comparer, plutôt qu’à un art quelconque, au commerce qui est aussi un conflit d’intérêts et d’activités humaines. » (p. 145)
Clausewitz possède une forte culture mathématique et cultive la logique. Il a ainsi l’art de poser un problème et de le résoudre avec une systématique rigoureuse. En plus, nous trouvons chez lui une dialectique propre à Machiavel, une influence certaine de Montesquieu et une approche intellectuelle à la façon de Hegel (il ne faut pas oublier que Hegel doit beaucoup à Machiavel). La contribution majeure de Clausewitz a été de démontrer que tactique et stratégie possèdent des règles qui dépendent de la structure de la société, de ses ressources, de ses capacités de production, de son génie technique (pensez à la production d’armements, à la logistique qui n’ont pas cessé de prendre toujours plus d’importance).
La guerre n’est pas en fait subordonnée à la politique comme le militaire au civil. Elle en est la forme la plus haute, l’achèvement momentané. Elle est comme l’insurrection, le moment décisif de la révolution sans être pour cela toute la révolution.
      Jomini a vivement contesté Clausewitz. Il lui reproche d’avoir détruit toute théorie. Il le présente quasiment comme un philosophe proposant une combinaison incertaine de lois grandioses. Pour Jomini, il est inutile d’élaborer une ‘philosophie’ de la guerre, il suffit d’en expliquer l’art selon les meilleurs maîtres. Ainsi, Jomini se contente d’exemples et de règles. Clausewitz recherche une totalité des conditions possibles de la guerre en liant l’acte de guerre à la politique.
Clausewitz met en évidence deux genres de guerre : le premier cherche à abattre l’adversaire soit en l’anéantissant politiquement, soit en le désarmant pour le forcer à accepter des conditions de ‘paix’ ; le deuxième a pour finalité des conquêtes territoriales ou frontalières soit pour les conserver, soit pour les utiliser comme ‘monnaie d’échange’ dans une négociation dite de ‘paix’. L’histoire a trop fréquemment démontré que la ‘paix’ de l’un peut devenir le motif de la prochaine guerre de l’autre…
Pourquoi lire encore Clausewitz ? Sa connaissance est essentielle pour comprendre la Prusse militaire du XIX° siècle, Engels, Marx, Jaurès, Lénine, Hitler, Mao (et je ne citerai pas tous ceux qui revendiquent actuellement une filiation de pensée avec ceux-ci) sans oublier les nombreux théoriciens de l’emploi de l’arme nucléaire (il est signaler que c’est une démocratie qui a pratiqué son premier emploi, non une dictature…). Avec la Révolution française, il met en valeur le changement de la nature de la guerre : elle devient une guerre nationale, du peuple tout entier. Avec Napoléon, il met en évidence l’ascension des extrêmes, laquelle bouleverse la manière et la forme de la guerre. Il révèle la supériorité des guerres défensives et populaires avec les exemples de l’Espagne et de la Russie contre Napoléon. A l’aide de ses réflexions, il porte des éclairages sur les guerres qui seront celles du XIX° et du XX° siècle : populaires, révolutionnaires et prolongées. Bien ou mal compris, il a constitué le point de départ de réflexions fondamentales quant à l’engagement des forces armées. Prenez le temps de le lire et vous vous amuserez à constater que des auteurs militaires, se basant toujours sur le même Clausewitz, arrivent à défendre la thèse et l’antithèse : cela est le danger de toute théorie.
      Au travers de quelques-uns unes de ses réflexions, redécouvrons des éléments forts de sa pensée :

DE LA GUERRE
«  La guerre est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté. » (p. 51)
«  Le conflit entre les hommes dépend en réalité de deux éléments différents : le sentiment d’hostilité et l’intention hostile. » (p. 52)
«  … la guerre est un acte de violence et il n’y a pas de limite à la manifestation de cette violence. Chacun des adversaires fait la loi de l’autre, d’où résulte une action réciproque qui, en tant que concept, doit aller aux extrêmes. » (p. 53)
«  … la guerre… est toujours la collision de deux forces vives… Tant que je n’ai pas abattu l’adversaire, je peux craindre qu’il m’abatte. Je ne suis pas mon propre maître, car il me dicte sa loi comme je lui dicte la mienne. » (p. 54)
«  … la décision finale de toute une guerre ne doit pas toujours être considérée comme un absolu ; souvent l’état vaincu voit plutôt dans sa défaite un mal transitoire, auquel les circonstances ultérieures pourront fournir un remède. » (p. 58)
Et je ne peux éviter cette réflexion qui a si souvent été mal comprise et parfois mal citée car incomplète :
«  … la guerre n’est pas seulement un acte politique, mais un véritable instrument politique, une poursuite des relations politiques, une réalisation de celles-ci par d’autres moyens. » (p. 67)
      Suite à cette phrase si connue, je voudrais vous faire préférer celle-ci qui exprime le mieux, à mon avis, la pensée de Clausewitz :
« La guerre n’est donc pas seulement un véritable caméléon qui modifie quelque peu sa nature dans chaque cas concret, mais elle est aussi, comme phénomène d’ensemble et par rapport aux tendances qui y prédominent, une étonnante trinité où l’on retrouve d’abord la violence originelle de son élément, la haine et l’animosité, qu’il faut considérer comme une impulsion naturelle aveugle puis le jeu des probabilités et du hasard qui font d’elle une libre activité de l’âme, et sa nature subordonnée d’instrument à la politique, par laquelle elle appartient à l’entendement pur. » (p. 69)

LA RESISTANCE
«  … la résistance est une activité destinée à détruire une somme de force ennemie telle que celui-ci devra renoncer à son dessein. » (p. 75)
«  … la concentration de toutes les ressources en vue d’une pure résistance, confère la supériorité dans le combat, et si celle-ci est assez grande pour contrebalancer la prépondérance éventuelle de l’ennemi, alors la simple durée du combat suffira peu à peu à amener la dépense de force de l’ennemi jusqu’au point où son objectif politique ne sera plus un équivalent adéquat. » (p  75)

LE MORAL ET LE PHYSIQUE
«  Lorsqu’on jette un regard d’ensemble sur les quatre composantes qui constituent l’atmosphère de la guerre, à savoir : le danger, l’effort physique, l’incertitude et le hasard, on comprend sans peine qu’il faut une grande force morale et physique pour avancer avec quelque garantie de sécurité et de succès dans cet élément déconcertant. » (p. 89)

UNE AME FORTE ET DU CARACTERE
«  … l’âme forte n’appartient pas à celui qui ne connaît que de fortes émotions, mais à celui qui sait rester maître de lui sous le coup des pires émotions, de sorte qu’en dépit de la tempête qui fait rage dans son cœur, sa capacité de jugement et ses convictions conservent leur subtilité entière, comme l’aiguille d’un compas sur le navire en détresse. » (p. 94)

LA FORCE DES SENTIMENTS
« Par elle-même, la vérité est pour l’homme un mobile extrêmement faible ; d’où la grande différence qui existe entre la connaissance et la volonté, entre savoir et pouvoir. Les mobiles qui l’incitent le plus à l’action, l’homme les reçoit toujours par le canal des sentiments, et les plus solides renforts, si l’on peut dire, lui viennent de cette fusion de l’âme et de l’esprit que nous connaissons sous les noms de résolution, fermeté, persévérance et force de caractère. » (p. 102)

HOMMES DE GUERRE IDEAUX
«  … c’est aux esprits scrutateurs plutôt que créateurs, aux intelligences étendues plutôt que douées pour une seule spécialité, aux cerveaux pondérés plutôt qu’ardents, que l’on préférera confier le salut de nos frères et de nos enfants, ainsi que l’honneur et la sécurité de la patrie. » (p. 102)

LA VOLONTE
«  Dans la guerre, tout est très simple, mais la chose la plus simple est difficile. Les difficultés s’accumulent et entraînent une friction que personne ne se représente correctement s’il n’a pas vu la guerre.
… en guerre tout baisse de niveau par suite d’innombrables contingences secondaires qui ne peuvent jamais être examinées d’assez près sur le papier, de sorte que l’on reste loin en deçà du but. Une volonté puissante, une volonté de fer surmonte cette friction, elle broie les obstacles, mais la machine y passe aussi. » (p. 109)

TACTIQUE, STRATEGIE
«...la tactique est … la théorie relative à l’usage des forces armées dans l’engagement. La stratégie est la théorie relative à l’usage des engagements au service de la guerre. » (p. 118)

DE LA THEORIE
«  Malheur à la théorie qui s’oppose à l’esprit ! Elle aura beau s’humilier pour remédier à cette contradiction, plus elle s’humiliera, plus l’ironie et le mépris la chasseront de la vie réelle. » (p. 129)
«  La théorie existe pour que chacun n’ait pas chaque fois à mettre de l’ordre et à se frayer une voie, mais trouve les choses ordonnées et éclaircies. Elle est destinée à éduquer l’esprit du futur chef de guerre, disons plutôt à guider son auto-éducation et non à l’accompagner sur le champ de bataille, tout comme un pédagogue avisé oriente et facilite le développement spirituel du jeune homme sans pour autant le tenir en laisse tout au long de sa vie. » (p. 135)

UNE VERITE HISTORIQUE
«  Malheur au Ministère qui affronte avec une politique de demi-mesures et un système périmé un adversaire qui tel un ouragan déchaîné ne connaît d’autre loi que celle de sa force intrinsèque ! Le moindre défaut d’activité ou d’effort fait alors pencher la balance en faveur de l’ennemi. » (p. 231)
Note :
1)     Carl von Clausewitz : De la guerre. Préface de Camille Rougeron. Introduction de Pierre Camille. Traduction de Denise Camille ; Ed. de Minuit. Paris. 1955. 755 p.

LE COMMANDEMENT SELON SAMUEL GONARD

      Originaire de Neuchâtel, Samuel Gonard est une véritable personnalité de la défense armée de la Suisse. Bras droit du général Guisan, il a mené une carrière passionnante, dans la discrétion et dans la fidélité à une mission comme à sa parole engagée. Il n’a laissé que trop peu d’écrits mais ce qui existe ne mérite pas l’ignorance dans laquelle il se trouve, même parmi les bien-pensants de notre temps.
      Homme d’analyse, sachant voir loin, s’adaptant aux situations nouvelles avec rapidité, il n’existe pas une parole inutile dans ce qu’il nous écrit. Il mérite autre chose qu’une vague lecture rapide. Il convient véritablement de le lire et le relire aussi souvent que nécessaire. Proche collaborateur de Guisan, il a appliqué avec succès la mise en pratique d’une pensée.
      Il est né le 8 juin 1896. Après des études de droit à l’université de Neuchâtel, il est lieutenant d’artillerie en 1919, officier d’Etat-Major Général en 1931. Il effectue un stage à l’Ecole supérieure de Guerre à Paris de 1934 à 1936 (la documentation de ce cours, ses notes ainsi que divers travaux pratiques se trouvent au Centre d’Histoire et de Prospective Militaires à CH-1'009 Pully). En tant que lieutenant-colonel, il forme et dirige l’état-major particulier du général Guisan. En 1951, il devient commandant de corps d’armée (il prend d’abord le 3° CA et ensuite le 1°CA). Professeur à l’institut universitaire des Hautes Etudes Internationales, il œuvre aussi au sein du Comité International de la Croix-Rouge à Genève (il en assure la présidence dès 1964).
      Au travers de quelques citations, il est bon de tirer profit de sa perception du commandement :

DONNEE D’ORDRE
«  Or, j’ai constaté bien souvent que dans la donnée d’ordres, nous sommes maladivement consciencieux. Cette vertu nationale remarquable doit s’adapter aux conditions actuelles. Il faut faire tout ce que l’on peut dans le temps utile disponible, c’est-à-dire être consciencieux dans la limite du temps à disposition. Tout ce qui vient après et plus tard, aussi parfait et ingénieux que cela soit, est non seulement inutile, mais nuisible, car en retardant nos opérations par souci de perfection des ordres, nous donnons à notre adversaire l’inestimable avantage du temps qu’il saura exploiter à son bénéfice contre nous. » (voir note 1)

NATURE DU COMMANDEMENT
«  Je crois honnête de vous avertir d’emblée que je considère le commandement comme une activité essentiellement personnelle et subjective, affectée de ce fait virtuellement de tous les défauts et qualités humains qui, les uns et les autres, relèvent de la personnalité. »  ( voir note 2 pour l’ensemble des textes suivants)

LE CHEF : UN ARTISTE OU UN SCIENTIFIQUE ?
«  … le comportement humain est conditionné par de nombreux facteurs irrationnels. Plutôt que d’obéir à des lois de nature scientifique clairement établies, pour une large part le chef se fondera sur son intuition, sur les données spontanées de son imagination et son aptitude originale d’invention, toutes qualités rattachées davantage à la création artistique qu’à la découverte scientifique. »
Dans le rapport du général Guisan, cette analyse est reprise en bonne place ; cependant, ce constat n’empêche pas qu’une pratique scientifique soit nécessaire :
«  … le chef ne peut se satisfaire des seuls dons de l’imagination, mais doit avoir en outre un sens précis des données matérielles et des conditions réelles de l’entreprise qu’il prépare en la ‘raisonnant’. »

REUSSIR
«  … ce que veut et recherche le chef, c’est réussir ; réussir une action dans un délai utile. Or on n’enseigne pas à réussir. Réussir est un art et nécessite des dons. »

DU BON EMPLOI DE LA THEORIE
«  Dans un style inimitable et si incisif, Napoléon a écrit à ce sujet qu’ ‘’en guerre la théorie est bonne pour donner des idées générales, mais la stricte exécution de ces règles sera toujours dangereuse : ce sont les axes qui doivent servir à tracer la courbe.’’ »
«  Si l’on met tout en formules, on perd l’habitude de penser. »

DE L’AUTORITE
«  L’exercice de l’autorité sera d’autant plus efficace qu’elle est plus naturelle à celui qui en est investi. Elle est véritable don et comme tel fait apparaître une nouvelle fois la part artistique que peut comporter l’aptitude à commander.
Il n’y a pas davantage de règles à suivre pour avoir de l’autorité, sinon écouter son cœur, suivre les prémonitions de l’intelligence. Car, Saint-Exupéry l’a dit : ‘’Le chef, c’est celui qui vous attire.’’ »

L’INCERTITUDE
«  La guerre à laquelle le chef militaire doit se préparer - s’il ne l’a fait déjà - est le domaine de l’incertitude qu’accentue encore le hasard, de sorte que le chef se trouve toujours en face de réalités différentes de celles qu’il attendait, car la guerre est un jeu - cruel- dans lequel il faut se décider, alors que certaines données sont encore inconnues. »

DU CARACTERE
«  Descartes recommande de la fermeté dans la décision, c’est-à-dire la volonté inébranlable de s’en tenir, quoiqu’il arrive, à l’idée arrêtée. C’est une vertu de caractère que de ne pas se laisser griser par les succès ou abattre par l’adversité ; Frédéric le Grand écrivait ceci pour ses généraux : ‘’ Soyez fermes dans vos décisions, pesez le pour et le contre avant de les prendre, mais lorsque vous avez donné votre volonté, ne changez rien pour tout l’or du monde, sans quoi chacun doutera de votre autorité et vous serez considérés comme un homme sur lequel on ne peut compter.’’ »

SAVOIR SAISIR L’OCCASION
«  Napoléon fait ainsi allusion, sur le mode paradoxal qu’il affectionne, aux moments critiques où se révèlent les chefs : ‘’Il n’y a que deux espèces de plan de campagne, les bons et les mauvais. Les bons échouent presque toujours par les circonstances imprévues qui font souvent réussir les mauvais.’’
Voici donc l’occasion imprévue à saisir pour forcer le sort. Le tout est de la discerner à temps. »

SUSCITER LE DEPASSEMENT DE SOI
«  Il s’agit de faire rendre subordonnés et troupes ; c’est une recherche de l’efficacité maximum, mais appliquée à des hommes et non pas à des machines. Il faut leur donner conscience de leurs propres possibilités. L’un des moyens d’y parvenir est d’exiger avec doigté au-delà des limites apparentes du possible, afin qu’ils constatent eux-mêmes pouvoir davantage qu’ils le pensaient. Lorsque cette épreuve est engagée, il s’agit de ne jamais diminuer les exigences initiales. »

DU BON EMPLOI DES HOMMES
«  Il faut encourager avec vigueur l’esprit d’initiative mais savoir alors s’accommoder de certaines interprétations des subordonnés, car chaque homme est différent et rendra davantage s’il est traité en fonction de son propre tempérament. Le chef doit sentir les différences d’aptitudes pour utiliser chacun en fonction des siennes propres. »

ACTUELLES DIFFICULTES DE COMMANDEMENT
«  Les problèmes de tout genre qu’il doit résoudre sont techniquement plus compliqués qu’ils ne l’ont jamais été. Et pourtant, il dispose de moins de temps que jamais pour méditer et réfléchir alors qu’il lui en faudrait davantage. De sorte que chaque jour lui sont arrachées des décisions qui risquent de n’être qu’opportunes au lieu d’avoir été pensées. »

NOTES
1)     Revue militaire Suisse. 1961. Pp. 286-287
2)     Réflexions sur la nature et l’exercice du commandement militaire. Décembre 1959. 32 p. Exemplaire dactylographié du CHPM ou Revue militaire Suisse. 1960. pp. 165-177 et 209-225
3)     Deux ouvrages majeurs de Samuel Gonard sont à être connus : La recherche opérationnelle et la décision (1958) et contribution à l’étude du fonctionnement de l’Alliance Atlantique (1965).

L’ART DE LA GUERRE’ DE NICOLAS MACHIAVEL

      «  Les hommes qui méditent quelque entreprise doivent d’abord s’y disposer par tous les moyens pour être en état d’agir à la première occasion. » (p. 43)

      «  Je n’ignore pas qu’il est téméraire d’écrire sur un métier que l’on n’a jamais exercé ; je ne crois pas cependant que l’on puisse me faire de grands reproches d’oser occuper, sur le papier seulement, un poste de général, dont beaucoup d’autres se sont chargés en réalité avec une bien plus forte présomption encore. Les erreurs où je puis tomber en écrivant peuvent être rectifiées, et n’auront nui à personne ; mais les fautes de ceux-là ne se sont aperçues que par la ruine des empires. » (p. 42)

«  … tous les établissements créés pour l’avantage commun de la société, toutes les institutions formées pour inspirer la crainte des dieux et des lois seraient vaines si une force publique n’était destinée à les faire respecter. Et lorsque celle-ci est bien organisée, elle supplée aux vices mêmes de la constitution. Sans ce secours, l’Etat le mieux constitué finit par se dissoudre : semblable à ces palais magnifiques qui, brillants dans l’intérieur d’or et de pierreries, manquent d’un toit qui les défende des injures du temps. » (p. 31)

      Machiavel s’est formé à la meilleure école de son siècle : celle de la lecture des anciens en même temps qu’il développait sa réflexion sur les événements qui lui étaient contemporains pour réunir des solutions concrètes en faveur du bien de la communauté qu’elle soit république ou monarchique (à la française). Pour mettre par écrit sa pensée, il ne s’est pas préoccupé d’avoir un titre ou une fonction, quoiqu’il les ait souhaités – cela était légitime -, mais ce sont les dures nécessités du contexte politique de son pays qui l’ont impressionné et motivé : cela est l’essentiel, il a répondu à son appel intérieur.
      Son ‘’Art de la guerre’’ se divise en sept livres et traite de sept questions primordiales en matière de défense à son époque :
1.      les avantages du système de la milice pour l’état et le souverain ;
2.      l’infanterie est la force principale d’une armée : l’artillerie s’utilise avant le combat, la cavalerie est une force d’appui ;
3.      l’engagement d’une armée se fait lorsqu’elle est prête et au combat et à vaincre ;
4.      les précautions à prendre avant le combat et le comportement à adopter en cas d’imprévu durant le combat ;
5.      la marche d’une armée dans un pays ennemi ou suspect, il s’agit de la défense tous azimuts ;
6.      la logistique et le cantonnement de la troupe ;
7.      l’attaque et la défense des places fortes ;
La technique de travail de Machiavel consiste à étudier un sujet sous quatre aspects :
A.    la situation à ce jour : constats réalistes ; objectifs à atteindre ;
B.    la recherche de situations similaires dans le passé grec ou romain : l’histoire permettant de distinguer les constances des singularités, l’analyse des solutions adoptées ou rejetées dans le passé offre des prémices de solutions viables à l’avenir et facilitant l’atteinte des objectifs ;
C.    la mise en évidence d’une solution réaliste sur le moment avec les moyens à adopter pour la concrétiser ;
D.   la formulation d’une prospective en cas soit d’inaction, soit d’adoption de la solution, soit d’une autre variante : cette réflexion se faisant toujours par rapport à ses propres forces comme à celles de l’adversaire
Il est à signaler que Jomini procédera de la même façon, toutefois sans rechercher des exemples dans le monde antique, mais en étudiant scrupuleusement les actions de Frédéric le Grand et de Napoléon.
Nombreux sont les lecteurs potentiels à hésiter à lire Machiavel car ils sont persuadés qu’il faut une bonne connaissance du contexte historique complexe et confus (guère plus que celui de notre temps) de son pays au XV° siècle. Que ceux-ci se rassurent, tout d’abord cette méconnaissance peut facilement s’éliminer par la consultation préalable d’un bon manuel d’histoire mais la lecture de ‘’L’art de la guerre’’ de Machiavel est possible sans ce savoir livresque, cela peut même constituer un avantage pour favoriser une lecture vous obligeant à mieux la confronter avec notre présent. Pour compléter celle-ci, il est utile et profitable de lire son ‘’Discours sur la première décade de Tite-Live’’, surtout le troisième livre. Lire ‘’Le Prince’’ n’est pas, dans une perspective strictement militaire, absolument nécessaire. Cependant la politique conditionne l’action du soldat, il est par conséquent très utile de posséder une grille possible de lecture du politique, tout en se disant qu’il ne faut point voir du machiavélisme partout, ce serait peut-être faux… Ce dernier ouvrage est très court, mais cependant très dense, pour découvrir le monde de la politique et de la dispute des intérêts étatiques : ceci suffit pour en justifier la connaissance.
            Que ce petit choix de citations vous incite à la redécouverte ou la découverte de Machiavel est mon souhait ! Chaque fois que je le relis, je m’offre des réflexions sur les similitudes du temps présent ; faites la même démarche, vous vous méfierez avec le sourire de toute ‘’nouveauté’’.

UNE ARMEE DE MILICE
«  Un Etat bien constitué doit donc ordonner aux citoyens l’art de la guerre comme un exercice, un objet d’étude pendant la paix ; et, pendant la guerre, comme un objet de nécessité et une occasion d’acquérir de la gloire ; mais c’est au gouvernement seul, ainsi que le pratiqua celui de Rome, à l’exercer comme métier. Tout particulier qui a un autre but dans l’exercice de la guerre est un mauvais citoyen ; tout Etat qui se gouverne par d’autres principes est un Etat mal constitué. » (p.48)

L’INFANTERIE
«  … la force d’une armée est dans l’infanterie. … L’infanterie la plus dangereuse est celle qui n’a d’autre métier que la guerre ; car un roi qui s’en est une fois servi est forcé ou de faire toujours la guerre, ou de la payer toujours, ou de courir le risque de se voir dépouillé de ses Etats ; faire toujours la guerre est impossible ; la payer toujours ne l’est pas moins ; il ne reste que le danger de perdre ses Etats. » (p. 48)

A PROPOS D’UNE ARMEE DE METIER
«  Je répète donc que si aujourd’hui cette partie des troupes vit du métier des armes, ce n’est que par la corruption des nos institutions militaires. » (p. 51)

DISCIPLINE
«  … avec une bonne discipline, on fait de bons soldats dans tout pays ; elle supplée les défauts de la nature et elle est plus forte que ses lois. » (p. 53)

A CHACUN SA FONCTION
«  Quant à moi, je ne serais guère porté à juger, d’après son métier, de l’utilité d’un homme ; je me bornerais à examiner les services qu’il peut rendre personnellement. » (p. 58)


EXERCICES
«  Quels que soient le choix et les armes d’un soldat, ces exercices doivent être le principal objet de vos soins, sinon vous n’en tirerez aucun parti utile. Il faut les considérer sous trois rapports. Il faut :
1.      endurcir le soldat à la fatigue, l’habituer à supporter tous les maux, lui donner de l’agilité et de l’adresse ;
2.      lui apprendre à manier ses armes.
3.      L’instruire à conserver ses rangs à l’armée, soit dans la route, soit au camp, soit en combattant. Voilà les trois opérations principales d’une armée. » (p. 79)

L’ARTILLERIE
«  Pour se préserver de l’effet de l’artillerie, il n’y a d’autre moyen que de se mettre hors de sa portée, ou bien de s’enfermer dans des murailles ou des retranchements, et encore il faut qu’ils soient d’une grande résistance. Un général qui se détermine au combat ne peut s’enfermer dans des murailles ou des retranchements, ni se mettre hors de portée de l’artillerie ; il faut donc, puisqu’il ne peut s’en garantir, qu’il tâche d’en souffrir le moins possible, et il n’y a pas d’autre moyen que de l’attaquer. »
« Pour rendre inutile l’artillerie ennemie, il n’y a pas d’autre moyen que celui de l’attaquer. » (p. 119)

UNE MESURE DE PROTECTION
«  … il faut toujours laisser passer ce qu’on ne peut arrêter, ainsi que faisaient les anciens à l’égard des éléphants et des chars armés de faux. » (p. 123)

DE L’ORDRE DE BATAILLE
«  J’en changerais selon la nature du terrain et l’espèce et le nombre des ennemis. … Ne jamais ordonner une armée de façon que les premiers rangs ne puissent être secourus par les derniers, car une telle faute rend inutile la plus grande partie de votre armée et met dans l’impossibilité de vaincre, si vous rencontrez quelque résistance. » (p. 125)
DU POINT FORT ET FAIBLE DE L’ADVERSAIRE
«  … les plus grands généraux de l’antiquité, après avoir reconnu le côté fort de l’armée ennemie, lui ont presque toujours opposé leur côté le plus faible, ainsi leur côté le plus fort au côté le plus faible de l’ennemi ; et … en engageant l’action, ils recommandaient à leur côté le plus fort de soutenir seulement le choc de l’ennemi sans le repousser, et à leur plus faible de lâcher pied et de se retirer dans la dernière ligne ; il résultait de là deux effets très fâcheux pour l’ennemi : d’abord c’est que son côté le plus fort se trouvait enveloppé ; ensuite que se croyant sûr de la victoire, il arrivait bien rarement que le désordre ne se mît dans ses rangs, ce qui précipitait sa ruine. » (p. 135)

ENVELOPPEMENT
«  Un général qui, avec des forces supérieures à l’ennemi, veut l’envelopper sans qu’il s’en doute, donnera à son armée le même front qu’à l’armée ennemie, et, lorsque l’action sera engagée, il fera peu à peu reculer son centre et étendre ses flancs, et l’ennemi se trouvera nécessairement enveloppé sans s’en apercevoir. » (p. 136)

SURPRISE
«  Si vous voulez pendant le combat jeter le trouble dans l’armée ennemie, il faut alors faire naître quelque événement propre à l’effrayer, ou annoncer l’arrivée de nouveaux renforts, ou imaginer quelque artifice qui lui en offre l’apparence, de sorte que, trompé par cette fausse démonstration, il s’épouvante et cède plus aisément la victoire. »
« Si les attaques simultanées sont très utiles au milieu d’un combat, on peut tirer un plus grand parti encore des attaques véritables, surtout lorsque, à l’improviste, on tombe sur les arrières ou sur les flancs de l’ennemi. » (p. 138)

DES SUITES DU COMBAT
«  On bat ou on est battu : dans le premier cas, il faut poursuivre la victoire avec la plus grande rapidité … ; dans le second cas, un général doit examiner s’il ne peut pas tirer quelque parti de sa défaite, surtout quand il lui reste une partie de son armée. On peut profiter alors de la négligence de l’ennemi qui, très souvent après la victoire, tombe dans une confiance aveugle qui donne moyen de l’attaquer avec succès. » (p. 142)

L’ETAT-MAJOR
«  Ce qu’il y a de plus utile et de plus important pour un général, c’est d’avoir toujours auprès de lui quelques hommes sûrs, éclairés et d’une grande expérience, qui lui servent de conseil et l’entretiennent sans cesse de son armée et de celle de l’ennemi.
Ils examineront ensemble avec soin de quel côté est la supériorité du nombre, des armes, de la cavalerie et de la discipline ; quelles sont les troupes les plus endurcies aux travaux, lesquelles méritent le plus de confiance, de la cavalerie ou de l’infanterie ; quelle est la nature du terrain qu’ils occupent ; s’il est plus ou moins favorable à l’ennemi ; laquelle des deux armées tire ses vivres avec le plus de facilité ; s’il est avantageux de différer ou d’engager le combat ; ce qu’on peut espérer ou craindre en traînant la guerre en longueur : car souvent les soldats se découragent et désertent, fatigués de travaux et d’ennuis. Ce qu’il importe surtout de connaître, c’est le général ennemi et ses alentours, s’il est téméraire ou réservé, timide ou entreprenant, et quelle confiance on peut mettre dans les auxiliaires.
Mais ce qu’il faut observer avec le plus grand soin, c’est de ne jamais mener une armée au combat, lorsqu’elle doute le moins du monde de la victoire. On n’est jamais plus sûrement vaincu que lorsqu’on craint de ne pas vaincre. » (p. 143)

MOTIVATIONS DES HOMMES
«  Par des paroles, le général chasse la crainte, enflamme le courage, accroît l’acharnement, découvre les ruses de l’ennemi, offre des récompenses, montre les dangers et les moyens de les fuir, réprimande, prie, menace, sème l’espérance, la louange ou le blâme, et emploie enfin tous les moyens qui poussent ou retiennent les passions des hommes. »
«  Il est utile d’inspirer à vos soldats le mépris de l’ennemi … »
«  D’autres généraux ont imposé à leurs soldats la nécessité de combattre, en ne leur laissant d’espérance de salut que dans la victoire. »
« On peut avoir plusieurs raisons de combattre avec acharnement, mais la plus forte, c’est celle qui vous oblige de vaincre ou de mourir. » (p. 146-147)

AU MILIEU DE L’ENNEMI
«  Songez bien que, lorsque vous marchez dans le pays ennemi, vous courez plus de dangers que dans un jour de bataille. Un général doit donc alors redoubler de précautions. Il faut d’abord qu’il ait des cartes de tout le pays qu’il traverse, qui lui fassent bien connaître les lieux, leur nombre, leurs distances, les chemins, les montagnes, les fleuves, les marais et leur nature. » (p. 163)

DESENCERCLEMENT EN FORCE
«  Souvent un général, assailli par une grande multitude d’ennemis, a resserré ses forces, s’est laissé envelopper et, après avoir remarqué le côté le plus faible de l’ennemi, l’a de ce côté attaqué avec fureur, et a sauvé son armée en ouvrant violemment un passage. (p. 167)

DES VIVRES
«  Il ne suffit pas, pour prévenir la faim, d’empêcher l’ennemi de vous couper les vivres, il faut faire en votre camp d’abondantes provisions et empêcher le gaspillage. Ayez toujours à la suite de votre armée des vivres pour un mois…car avec le temps on peut triompher de tout à la guerre, mais la faim seule avec le temps triomphe de vous. » (p. 185)

DU BON EMPLOI DES TRAITRES
«  Quand vous soupçonnez qu’il y a dans votre armée un traître qui avertit l’ennemi de vos projets, il faut tirer parti de sa perfidie, lui communiquer quelque entreprise à laquelle vous êtes loin de penser, et lui cacher celle que vous méditez » (p. 187)

PRINCIPE FONDAMENTAL
«  Un général doit chercher par-dessus tout à diviser les forces qu’il a à combattre… »  (p. 189)

MAITRISE D’UNE REBELLION
«  (Il s’agit pour un général) de savoir habilement étouffer un tumulte ou une sédition qui se seraient élevés parmi ses troupes …, de châtier les chefs des coupables, mais avec une telle promptitude que le châtiment soit tombé sur leur tête avant qu’ils aient eu le temps de s’en douter. » (p. 190)

NE PAS POUSSER L’ENNEMI AU DESESPOIR
«  Il ne faut jamais pousser son ennemi au désespoir, c’est une règle que pratiqua César dans une bataille contre les Germains : s’apercevant que la nécessité de vaincre leur donnait de nouvelles forces, il leur ouvrit un passage et aima mieux avoir la peine de les poursuivre que de les vaincre avec danger sur le champ de bataille. » (p. 193)
Lire plus bas les 27 maximes de Nicolas Machiavel.
Notes
1)     Mes renvois se rapportent à : Nicolas Machiavel, L’art de la guerre. Bibliothèque Berger-Levrault. Collection ‘Stratégies’. Paris. 1980. 227 p.. Je vous conseille cette édition pour une lecture de travail (c’est-à-dire avec annotations). Je vous signale que la bibliothèque ‘La Pléiade’ a publié les œuvres complètes de Nicolas Machiavel (Gallimard, 1952, 1'639 p.)

HENRI GUISAN

      Ses écrits d’avant-guerre sont peu connus, ceux du temps de la guerre et de l’après-guerre ne sont que partiellement publiés ou trop dispersés pour être appréciés ainsi qu’ils devraient l’être. Il privilégie un ton simple, ne recherche aucune fioriture : son écriture caractérise l’homme. Exposant ses plans, ses idées qu’il a forgés en les confrontant avec ses proches, il nous permet de revivre, au travers de son regard sur les événements, ce passé si récent mais qui est de moins en moins connu des personnes en dessous de quarante ans. Ayant eu à faire face aux soucis matériels de l’armée d’avant-guerre 39-45 et dont la raison politique nous laisse songeurs, cet homme a comblé partiellement un manque de moyens en privilégiant les forces spirituelles et morales. Il a eu, et cela ses détracteurs l’oublient trop facilement, le courage de reconnaître qu’il a commis parfois des erreurs : cela n’est pas une raison pour le discréditer avec mauvaise foi comme il est de bon ton de le faire dans ces milieux qui, de nos jours, s’autoproclament être les détenteurs du ‘’tout’’ savoir.
      En 1998, vous ne trouverez pas une seule édition complète des textes rédigés par Guisan. Ce phénomène est étrange. Dans les bibliothèques suisses, vous trouverez plus facilement les écrits militaires complets de Trotsky que ceux du commandant en chef de l’armée suisse durant le deuxième conflit mondial. Il y a là sans aucun doute une profonde sagesse de nos universitaires qui m’échappe complètement … La lecture de Guisan est pourtant une approche originale et de valeur des grands problèmes qu’a connus notre armée lors de pages difficiles de l’histoire de notre pays. Les sources de sa pensée sont identifiables. Il est le résultat d’une synthèse d’expériences des confédérés ayant servi autrefois à l’étranger comme dans nos cantons. Les textes de Guisan sont pétris de traditions avec le levain des réflexions des hommes de son temps et des expériences directes de la guerre vécue à nos frontières. De multiples influences ont formé Guisan : vous y trouverez du Clausewitz, du Gustave Le Bon avec du Zimmermann, le tout confronté à des esprits dynamiques comme Gonard, Barbey sans oublier les marques de style d’un Gonzague de Reynold, d’un Ramuz ou d’un de Vallière.
      Henri Guisan ne s’est jamais considéré comme un stratège infaillible, tel un Jupiter commandant le tonnerre. Il y a des images qu’il faut laisser à ceux qui cultivent le culte napoléonien sans oser se l’avouer … Son mérite est d’avoir su travailler avec des forces nouvelles sur des bases solides qu’offre une tradition militaire bien établie. Sa synthèse passionne car elle a des visées pratiques : une théorie selon lui se doit de répondre au critère essentiel de simplicité et de rechercher avant tout le pragmatisme. Une théorie, digne de ce nom, conduit au concret et non à l’abstraction.
      La personnalité de Guisan souffre encore actuellement de nombreux clichés mais je ne m’inquiète pas, il sortira bientôt de cette période de purgatoire que lui imposent quelques politiques ou enseignants de nos jours. Il est  heureux qu’un film sur Guisan (production CHPM), s’adressant tout particulièrement aux jeunes, ait réveillé l’intérêt légitime qu’il faut avoir pour cette personnalité d’exception. Henri Guisan était constamment à la recherche d’une certaine perfection, tout en restant modeste car il savait que la perfection reste un but à atteindre mais qu’il serait vaniteux de croire l’avoir atteinte.
      Ecoutons-le au travers de quelques citations, oui j’ai bien écrit ‘écouter,’ car un texte de Guisan a cette particularité d’être une parole qui s’entend :

ESPRIT DE DEFENSE
«  Si les Suisses croient toujours que l’indépendance politique est inconcevable sans la préparation à la guerre et la volonté de défense, c’est qu’une longue et fière histoire leur a appris la puissance de la force morale qui compense la faiblesse du nombre. Les inventions les plus perfectionnées de la technique moderne ne suffisent pas à donner la victoire, quand le combattant ne possède pas les qualités morales et physiques qui, seules, assurent la supériorité. Ce n’est pas le fusil, le canon, la mitrailleuse, l’avion ou le char d’assaut qui se battent, machines sans âme, mais l’homme qui manie l’arme et lutte de toute son énergie, avec son cœur, son intelligence, ses réflexes et sa foi pour le salut de son pays. » (p. 11, note 1)

VOLONTE DE DEFENSE
«  La formation du soldat, comme elle est comprise aujourd’hui chez nous, doit être pour le jeune homme un épanouissement de toutes ses facultés, par le développement de l’intelligence, du caractère et de la volonté. L’officier et le sous-officier apprennent à connaître leurs hommes, à les aimer, à être un exemple pour eux. La joie de servir donne un sens précis à la discipline. La défense nationale représente pour nous une force du passé, une certitude pour l’avenir, elle se confond avec la défense du foyer, de la famille, elle est donc acceptable pour toutes les consciences. Le cœur du soldat n’a pas changé, ni les principes, ni la doctrine, ni la tradition du dévouement à la communauté. » (p. 31)

DROITS ET DEVOIRS
«  La génération actuelle est pénétrée de ses droits. Le relâchement de l’autorité paternelle fortifie chez le jeune homme le sentiment qu’il se grandit, se virilise, en affirmant ses droits, c’est-à-dire les avantages qu’il croit lui être dus : droit de quitter le travail à telle heure, droit d’être rétribué pour tout travail supplémentaire, droit de s’amuser comme il l’entend, etc. Mais, d’autre part, la notion de devoir s’efface, l’intérêt privé se substitue à l’intérêt général, le devoir de servir son pays, de se préparer à le défendre, de lui sacrifier ses aises, son temps, jusqu’à sa vie, est en contradiction avec les idées matérialistes et utilitaires d’une époque barbare, durement éprouvée par les débordements de haine, de cruauté, de destruction, de la guerre totale et ses suites catastrophiques et démoralisantes. » (p. 17)

OBJECTIFS D’UNE FORMATION MILITAIRE
«  La loi de l’effort est une des bases de l’éducation. Elle développe le goût et l’attrait de l’obstacle à surmonter, elle éduque la volonté, elle apprend à se faire violence sans se laisser aller aux premiers signes de fatigue et de lassitude, elle endurcit le corps, prépare la résistance physique et morale qu’exige la vie militaire. L’esprit d’initiative est plus que jamais nécessaire au combattant. Le courage, l’audace, l’entraînement physique, le goût du risque manquent leur but s’ils ne s’accompagnent pas de qualités telles que la réflexion et l’esprit d’initiative. Le soldat moderne est tout le contraire d’un automate. Il y a, cependant, des moments dans lesquels un certain nombre de réflexes que l’exercice lui a fait acquérir pourront lui sauver la vie et celle de ses camarades. Ce sont des gestes et des mouvements exécutés en un temps minimum, tout en laissant l’esprit libre, dans une situation où la moindre hésitation pourrait lui être fatale : mouvement de charge, maniement rapide de l’arme, exécution du tir de vitesse qui s’apprennent par la répétition journalière des mêmes gestes. Que fait l’enfant quand il apprend à marcher, le jeune homme qui s’essaie à aller à bicyclette, à écrire à la machine, à conduire une voiture, le pilote ou le skieur à l’entraînement ? Tous cherchent à acquérir des réflexes. » (p. 18)

LE TERRAIN : CENTRE DE L’INSTRUCTION
«  Ce n’est plus de nos jours, en caserne, ni en chambrée, ni dans les couloirs, ni dans la cour, ni sur les places d’exercice, qu’on peut instruire des guerriers ; mais dans le terrain, c’est-à-dire dans un milieu qui varie sans cesse avec la saison et qui exige de l’homme un effort d’adaptation continuel. …
Dans le terrain, les recrues apprendront à lutter contre la fatigue, le sommeil, la faim, la soif, le chaud et le froid, contre les entreprises de l’ennemi ; à se servir du matériel ; à improviser des conditions de vie ; à s’entraider ; à prendre confiance dans leurs camarades et  en soi-même. » (p. 90, voir note 2)

DE L’UTILITE DES HISTORIENS
«  Mais aux postes chargés d’établir les appréciations, les études et les plans, c’est-à-dire en particulier au service de renseignements et aux opérations, nous aurions eu besoin d’officiers en plus grand nombre bénéficiant d’une culture militaire plus vaste, fondée elle-même sur la culture générale et les connaissances historiques. » (p. 154-155)

ETAT-MAJOR DE L’ARMEE : QUALITES NECESSAIRES
«  Il faut en effet se représenter l’activité intellectuelle, la curiosité d’esprit, l’entrain qu’exigeaient les grandes tâches de l’Etat-major de l’armée. Elles ne souffraient ni routine, ni lassitude, ni scepticisme. L’épreuve consistait, pour un officier vivant dans la quiétude de bourgades paisibles et de bureaux bien installés, à se tenir sans cesse prêt à entrer en opérations, à s’y préparer par la réflexion, l’étude et l’imagination et, non pas seulement, par la ‘’liquidation’’ des besognes courantes. Pour cela, l’adhésion totale du cœur et de l’esprit, la persévérance, et l’émulation des meilleures étaient nécessaires. » (p. 161)

DEVOIR DE TOUT OFFICIER
«  Consacrez à vos études militaires tout le temps que vous pourrez. Autour de vous, dans votre milieu civil, ne craignez pas de parler de votre tâche d’officier avec naturel, avec conviction. On vous respectera comme on respecte toute profession, toute vocation sincères. Ayez à cœur d’amener les jeunes à la carrière d’officier. Gardez un contact étroit entre les générations. Veillez enfin à ce que la politique ne s’introduise pas dans l’armée. » (p. 229)

Notes
1.      Henri Guisan (sous la direction de) : L’éducation militaire. Cahiers d’histoire et de pensée militaires. 1995. CHPM. Pully. 40 p.
2.      Henri Guisan : Rapport du Général Guisan à l’Assemblée fédérale sur le service actif 1939-1945. Berne

LES MAXIMES DE QUINTON

«  Comme je n’attends ni titres, ni places, ni honneurs, les critiques me sont indifférentes, et même le mépris. Je travaille en vertu d’un besoin qui m’oblige à classer les phénomènes naturels, à les comprendre. Quand j’y suis parvenu, mon instinct est satisfait, et l’opinion des tiers m’est indifférente. » (p. 202)

      Qu’il exaspère ou qu’il enthousiasme, René Quinton ne laisse pas indifférent son lecteur. Dans les deux cas de figure, une démarche intellectuelle utile est réalisée : l’adhésion ou le rejet de ses ‘’Maximes sur la guerre’’ ont provoqué sélection et réflexion sur des questions fondamentales de la guerre.
      Biologiste de formation, il a vécu de 1865 à 1925. Ce chercheur, fortement impliqué dans la Première guerre mondiale, est devenu un combattant aux mérites reconnus en raison de son courage, de son énergie et de son activité.
      Il part du principe fondamental que la guerre est une réalité même pour ceux qui disent n’en pas vouloir. La guerre est une compétition avec à la clef la mort de certains pour la survie des autres. Quinton parle de sélection pour ceux qui survivent. Le terme de ‘sélection’ ne me paraît pas judicieux : une sélection vise à une certaine amélioration ! Hélas, parfois celui qui est mort ou qui est vaincu valait plus que celui qui survit. Le meilleur n’est pas forcément le plus fort : est-ce que la nature pourrait se montrer aussi cynique que la société peut l’être ? Regardez-la attentivement et vous verrez combien d’éléments de la plus grande fragilité vivent dans des conditions difficiles ! Notre auteur pose deux questions fondamentales : la nature aime-t-elle uniquement la force ? ou a-t-elle horreur de la vertu ? Ma croyance me ferait dire : la nature aime la force de la vertu …
      Selon certains biologistes, les êtres vivants (hommes, animaux) ne luttent pas pour le bien de leur espèce (pour l’homme cela ne serait que discours politique) mais pour celui de leurs gênes. Ainsi, l’ennemi est le congénère, non l’être d’une autre espèce : « Ce n’est pas à l’agneau que le loup est terrible. C’est pour le loup d’abord que le loup est loup. » Cette affirmation ne vaut pas uniquement pour le monde des affaires ! Sous une autre forme, l’Ancien Testament l’a déjà dit : ainsi Caïn a tué Abel ! il est sûr que, là pour le monde des vivants, il n’y a pas eu sélection …
      Pour notre biologiste, il est certain que l’amour procède de la haine, comme la haine de l’amour. Voilà un argument de poids pour ceux qui disent qu’il faut aimer son ennemi … En tous les cas, cette proposition met fin à une vision simpliste, manichéenne qui veut tout départager entre les bons et les méchants (ceci n’est qu’une face, trop facilement acceptée, de l’intolérance).
      L’actuelle question d’une arme de métier est traitée par notre auteur d’une façon abrupte et sans détour :
      « On ne fait métier ni de la guerre ni de l’amour. Les armées de métier sont aux armées nationales ce que les femmes qui se vendent sont aux mères. » (p. 165)
      « Les armées de métier ne songent qu’à sauver la face. Les armées nationales songent à sauver le monde. » (p. 165)
      Le lecteur des ‘’Maximes’’ ne doit pas oublier que René Quinton n’a pas pu achever son ouvrage. Il s’agit d’une œuvre en cours d’élaboration dont les principaux matériaux nous sont donnés. Il appartient au lecteur d’équilibrer les propos et d’éviter les paradoxes. Une forme de misogynie transparaît dans les affirmations de Quinton : il convient de les relativiser dans le contexte de son temps. Une particularité de son écrit mérite une mention : vous ne trouverez jamais des paroles de haine contre l’adversaire. Il a le respect de celui-ci et de l’héroïsme qui anime un être de chair et de sang que l’âme domine. Ceci force l’admiration et pourrait modifier le comportement ridicule de ceux qui n’ont pas vécu la guerre et croient être de bon ton de mépriser les vaincus avec une morgue détestable.

LA GUERRE
«  Les historiens assignent aux guerres des causes raisonnables, d’ordre politique ou économique. C’est prêter à l’homme beaucoup de logique et limiter l’amour aux mariages de raison. » (p. 166)
«  La nature est la nature ; elle ne peut pas être contre-nature. Il faut savoir qui, de nos raisonnements ou de la nature, est irrationnel. » (p. 132)
«  Les hommes peuvent rêver qu’ils n’aiment point la guerre. La nature aime la lutte et la mort. » (p. 17)
«  La guerre n’est point un défi à la nature. Il n’est point contre nature pour le mâle de tuer son semblable ; il n’est point contre nature pour le mâle d’être tué par son semblable. La loi qui régit les rapports des mâles à l’intérieur d’une même espèce est une loi de meurtre et de risque. La guerre est un chapitre de l’amour. » (p.21)
«  Aucune espèce animale n’apporte à la mort plus de frénésie que l’homme. Aucune ne s’épure ni s’entre-tue davantage. Chez l’animal, il n’y a que des instincts qui s’affrontent ; chez l’homme, il y a les idées. Une croyance qui diffère porte en soi un ordre de mort. Tout idéal est un prétexte à tuer. » (p. 24)

LE HEROS
«  Les héros sont crucifiés d’avance ; ils marchent au risque suprême, jusqu’à la mort ; ils sont les aspirants de la mort. » (p. 36)
«  Les hommes ne jouissent de l’univers que par les sens de leur corps ; les héros, par les facultés de leur âme. Les hommes se satisfont en possédant ; les héros en donnant. »  (p. 39)
«  Les héros entendent d’autres voix que celles de leurs chefs. Même dans l’obéissance, ils se dictent leur mission. » (p. 44)
«  La plupart des braves n’ont de hardiesse que dans le combat. Ils ne savent se faire valoir que par des actes. Ce sont des sensibles et des réservés, l’inverse de l’intriguant. » (p. 49)
«  Il faut beaucoup d’efforts, et d’efforts qui réussissent, pour prendre une fierté de soi dans l’existence ordinaire. A la guerre, il suffit de souffrir pour s’estimer. » (p. 58)

NOTIONS DE BASE
«  On retrouve à la guerre le sens des mots primitifs. Il suffit de vivre en hiver sans abri et sans feu, pour comprendre ce qu’ont pu signifier, au début des âges, les termes : un toit et un foyer. » (p. 65)
«  Les justes aiment la guerre parce que le hasard y préside aux peines et non le fantôme de la justice. » (p. 66)
«  Le courage est du bon sens et de la clairvoyance réunis. » (p. 78)
«  Dans le danger, l’homme qui voit juste apprécie son risque et sait comment il risque peu. L’intelligence est un des facteurs du courage. » (p. 81)
«  Au plus fort des actions, la prudence accompagne le courage comme une ombre. »  (p. 86)
«  L’audace est fonction de l’intelligence plus que du moral. » (p. 86)
«  L’audace des chefs est faite de la joie d’obéir de la troupe. » (p. 93)
«  La bravoure du chef multiplie la valeur de la troupe. Elle assure son contrôle et répond de son emploi. » (p. 93)

EXPERIENCES
«  Un chef ne peut rien contre des ordres infortunés. » (p. 98)
«  L’observation est rarement à la guerre ce qu’elle doit être. A chaque échelon, le chef la confie à un subordonné, en sorte que les yeux de l’armée tombent au dernier rang de la hiérarchie. » (p. 100)
«  A la guerre, trop souvent, ceux qui voient ne commandent pas, et ceux qui commandent ne voient pas. » (p. 101)

PORTRAIT DU HEROS
«  Le héros est intelligent. Il voit juste. Il apprécie sainement le danger. Il calcule bien les probabilités. Son audace ordinaire est raisonnable ; il est en réalité prudent là où il paraît téméraire. Il connaît les lois de la guerre, sait comment on intimide l’adversaire et pourquoi il ne faut pas se laisser intimider. Il s’expose méthodiquement, au moment où il le faut, fréquemment, mais le moins de temps possible. Il n’est pas indifférent au danger, mais il connaît ses modes et y adapte sa conduite. Il n’est pas brutal dans la bravoure. Il est constamment brave, mais intelligemment. Il réfléchit beaucoup. Toutes ses solutions sont souples. Le héros est fier. Il n’accepte pas la volonté de l’ennemi. S’il fuit, c’est pour revenir le moment d’après. » (p. 140)

Notes
1.      René Quinton : Maximes sur la guerre, éd. Porte-Glaive. Paris. 1989
2.      Pour comprendre l’esprit dans lequel a travaillé R. Quinton, il faut se rappeler la cruauté de la Première Guerre Mondiale et il est très utile de procéder à la lecture des œuvres de Gustave Le Bon

’LA GUERRE TOTALE’’ D’ERICH LUDENDORFF

      Le lecteur qui prend connaissance de ‘’La guerre totale’’ de Ludendorff (1865-1937) ne manquera pas d’être surpris de l’actualité de ses analyses. Pour cette raison, la connaissance des principes qu’il développe est une nécessité. Vous n’aurez aucune peine à trouver des exemples les illustrant dans un période aussi courte que celle de 1980 à 1998 : l’écoute des informations sur les multiples champs de bataille en cours suffira ! Dans la mesure où des états qui, présentement, revendiquent leurs valeurs démocratiques et leur sagesse républicaine et humaniste, appliquent les principes de Ludendorff, il convient de se rappeler que même une religion laïque ne met pas un pays à l’abri des horreurs de la guerre totale, surtout dans un monde où les distances kilométriques ne jouent plus aucun rôle protecteur (ce dont le grand public n’a pas conscience ; un conflit de l’autre bout du monde peut nous revenir plus rapidement qu’un boomerang ).
      Notre auteur a été tout d’abord un chef de guerre. Ses propos se basent sur des expériences d’actions vécues dans le terrain et en confrontation non avec un bureau d’état-major mais avec la réalité du combat. Il a dirigé la prise de la forteresse de Liège. Son engagement à Tannenberg est riche d’enseignements militaires. Il a repoussé les forces russes de Prusse et a mené des opérations en Lithuanie. Il se réfère fréquemment à son expérience politique du premier conflit mondial : pour lui, une des causes de l’échec allemand à ce moment-là a été cette mésentente entre Moltke, le chef de l’Etat-major allemand, et Bethmann-Hollweg, le chancelier allemand, quant à l’appréciation de la menace anglaise. Il préconise une présence militaire plus forte au sein des autorités politiques d’un pays car pour mener une politique de la guerre, il faut des connaissances spéciales qui ne sont pas données de façon innée par la force ou le hasard d’une élection.
      Elu par le peuple député national-socialiste, il a été le conseiller de Hitler pendant un certain temps et a fini par le quitter. Son écrit ‘’La guerre totale’’, publié en 1936 pour l’édition allemande et en avril 1937 pour l’édition française, est une véritable prospective de ce qu’a été la seconde guerre mondiale : comme quoi la connaissance d’une pensée militaire permet de percevoir la guerre de demain.
      En plusieurs apartés, Ludendorff s’attaque à des forces qu’il estime nuisibles au peuple allemand : les juifs, l’Eglise romaine, les capitalistes et les francs-maçons (celui qui ne citerait qu’un seul de ceux-ci commettrait cette faute ordinaire de notre temps, une faute par omission volontaire). Les paroles les plus dures sont d’ailleurs contre l’Eglise romaine qui, selon lui, n’affermit pas les âmes mais les affaiblit. Il défend une connaissance allemande de Dieu (alors qu’Il est universel par excellence). Ces aspects ne manquent pas d’intérêt mais seuls ses propos sur la guerre seront soumis à réflexion. La motivation essentielle qu’il cultive est la suivante : tout individu peut devenir un combattant, prêt à accepter la mort pour l’immortalité de son peuple. Au travers de ces quelques citations, vous pourrez considérer les visions prospectives qu’il a eues.
LA GUERRE TOTALE
«  De par son essence même, la guerre totale ne peut être faite que si l’existence du peuple entier est menacée et s’il est décidé à en assumer la charge. Oui, le temps des guerres de cabinet est révolu, de ces guerres aux buts politiques limités, bien plutôt actes de brigandage que luttes animées d’un profond sentiment du droit, comme l’est une guerre pour la conservation de la vie d’un peuple. Aussi, les ‘’guerres coloniales’’ où l’on voit une peuplade, une tribu, ne lutter que pour leur existence et où l’adversaire peut les écraser purement et simplement, ont-elles pour cette peuplade, cette tribu, le caractère de la guerre totale et elles la mèneront pour des raisons morales. Pour le reste, ces expéditions, actes des plus immoraux, ne méritent à aucun titre la désignation noble et grave de ‘guerre’. Elles sont provoquées par l’amour du gain, non par la volonté de sauver l’existence de la communauté. » (p. 9)

PERCEPTION 1936 DE LA PROCHAINE GUERRE
«  Ces tâches (par rapport au premier conflit mondial) seront encore plus difficiles à remplir, si le peuple doit souffrir de l’action directe de la guerre, et non plus seulement du blocus, de la faim et de la propagande ennemie. La prochaine guerre exigera encore tout autre chose du peuple. Ce sera la disponibilité absolue de ses forces animiques (voir note 1), physiques et matérielles. Dans l’avenir la dépendance de l’armée par rapport au peuple et, particulièrement, par rapport à sa cohésion animique, s’affirmera dans une plus large mesure encore qu’en 1914-1918 ; les puissances ennemies, avec une très grande logique, s’efforceraient déjà de détruire cette cohésion du peuple allemand. Dans l’avenir, cela sera normalement le but même de leur propagande, à côté de la destruction des armées. » (p. 13)

DE L’ECONOMIE
«  L’Allemagne n’était préparée, ni économiquement, ni financièrement à la guerre mondiale de 1914. Les mesures n’étaient suffisamment prises que pour la mobilisation financière. » (p. 38)
… «  Sans doute faut-il de l’argent pour faire la guerre, suivant le mot du général autrichien Montecucolli, encore de l’argent, toujours de l’argent. De même le grand Frédéric, dans ses mémoires, n’a cessé d’insister sur les rapports entre la finance et la force armée ; en effet, il n’avait pu faire la guerre de Sept ans qu’avec l’assistance financière de l’Angleterre. L’importance de l’argent dans une guerre est depuis longtemps jugée indiscutable. Nos ancêtres, cependant, la faisaient sans argent : c’était l’affaire du peuple. Cela n’est plus possible aujourd’hui. » (p. 42)
… «  L’inquiétude, la ‘panique’ de la guerre, peuvent être enrayées par certaines mesures comme de fermer à temps les banques et les caisses d’épargne, si l’Etat ne se décide pas à employer un autre système monétaire. Les ‘sacrifices’, cependant, ne se laissent pas exécuter par décret, à moins qu’aux sacrifices ne se substitue la contrainte pure et simple, et à la souscription libre l’emprunt forcé, ce qui toutefois laisse irrésolue la question de savoir où les victimes prendront ce qu’elles ont à payer. De toute façon, il est clair que les mesures financières qu’entraînent inéluctablement la préparation comme l’exécution de la guerre totale, touchent profondément le peuple et le touche d’autant plus qu’on lui enseigne que le sacrifice de la vie individuelle pour la sécurité de la communauté populaire est chose normale qui ne se discute même pas, et que la cession de l’argent, acte pénible, le sera d’autant moins que le peuple se sentira réellement constituer une communauté de destin et se trouvera dans la situation de pouvoir s’éprouver comme tel. » (p. 43-44)

DES TECHNIQUES ET DES HOMMES
«  Depuis les temps les plus reculés, l’homme et la technique luttent côte à côte dans la guerre. Epée, bouclier, flèche, arc, char d’assaut, fronde, remparts de pierre, sont déjà des ‘moyens auxiliaires techniques’. Cela n’a pas changé et les moyens, soit d’attaque, soit de protection, se sont perfectionnés de plus en plus, ainsi que l’emploi pour le déplacement des troupes et de leurs armes, des chemins de fer, des autos, des navires de guerre et des avions ; On ne conçoit plus une armée et son action sans ces moyens auxiliaires techniques auxquels viennent s’en ajouter d’autres. » (p. 62)
… «  Mais en fin de compte, c’était toujours l’homme qui devait servir les moyens auxiliaires techniques. Réunis, l’homme et la technique représentent la force de l’armée. Mais l’homme gardera toujours la première place. Lui qui est transporté par le matériel inerte, apporte ce matériel inerte devant l’ennemi et lui communique la force de détruire l’ennemi. » (p. 63)

UN COMBATTANT PLUS ISOLE
«  L’usage considérable de matériel, la consommation formidable de réserves de munitions, d’armes à main de toute sorte, perfectionnées, à débit rapide, de mitrailleuses, de lance-mines et de canons de tout calibre, a conduit à procéder par un dispersement des groupes se trouvant dans la première ligne à portée du feu ennemi et par suite, à isoler le combattant. (…) Aujourd’hui, en campagne, sous le feu ennemi le plus serré, c’est le combattant isolé, ne devant compter que sur lui-même qui, au péril de sa vie, doit savoir surmonter son instinct de conservation aux heures les plus angoissantes, et coûte que coûte, la grenade ou la baïonnette à la main, vaincre l’ennemi qui résiste bravement. Voilà ce que la guerre totale exige du combattant isolé. » (p. 65)

NECESSITE D’UNE AME FORTE
«  … le soldat qui fait son devoir en frappant mortellement l’adversaire au risque de sa vie, ou qui participe d’une façon quelconque à l’exécution d’une mission, dépend, devant l’ennemi, de son action individuelle et de ses propres forces morales. Il faut une âme forte pour servir sous le feu des machines de guerre souvent très compliquées, pour désenrayer avec sang-froid une mitrailleuse sous le feu exterminateur de l’ennemi. Dans un combat naval, sur un navire en flammes, atteint par les obus qui explosent, il n’est pas simple d’exécuter soigneusement chaque manœuvre nécessaire à la mise en action d’un canon. » (p. 66)

DISCIPLINE DE CHACUN
«  La discipline est aussi affermissement de l’âme et préparation à la persévérance, à l’action brave, téméraire, voire héroïque, aux efforts extraordinaires dans les tensions de la lutte que la guerre totale développe. Cette discipline doit s’appuyer sur une connaissance raciale qui s’attache intimement au sentiment de l’amour du peuple et de la patrie. Elle doit compter sur la voix de l’âme du peuple et sur le sacrifice de la vie mortelle de l’individu à la vie immortelle de la communauté populaire. » (p. 70)
… «  La discipline doit être exigée non seulement du ‘’soldat inconnu’’, mais aussi de tous ses supérieurs, jusqu’aux généraux les plus en vue, qui se trouvent directement sous les ordres du maréchal. Ils doivent montrer non moins de discipline, non moins de soumission, cela même s’ils doivent être par ailleurs capables d’action individuelle issue d’une décision volontaire. Il leur incombe, à eux aussi, de trouver le moyen terme entre la discipline dans la subordination et la discipline dans l’initiative individuelle. » (p. 70)

LA POURSUITE : UNE OBLIGATION
«  Il faut après une attaque victorieuse, terrestre, navale ou aérienne, poursuivre l’ennemi et transformer sa défaite en déroute. On ne se lassera jamais assez de le répéter. Mais l’ordre de poursuivre l’ennemi ‘’jusqu’au dernier souffle’’, si juste soit-il, est toujours resté théorique. On constate que le vaincu a toujours couru plus vite que le vainqueur. Le vaincu avait la possibilité (avec des moyens restreints) d’obliger les poursuivants à s’arrêter, ce qui donnait au reste de son armée, le temps d’organiser la retraite. Mais aujourd’hui la poursuite est plus aisée avec les avions, les troupes motorisées et les chars d’assaut qui peuvent toujours dépasser l’ennemi, l’attaquer de flanc et ouvrir une brèche. Cependant des obstacles peuvent empêcher le poursuivant de recueillir le fruit de sa victoire : l’union des forces ennemies, par exemple, l’action massive de ses forces motorisées, la levée en masse de la population ennemie. Aussi l’agresseur devra-t-il concentrer toute son énergie pour obtenir par sa poursuite une victoire définitive. » (p. 94)

L’AVIATION
«  L’action particulière de l’aviation se déroulera sur les arrières de l’ennemi. Elle aura pour tâche de couper les voies ferrées et les routes aménagées pour le transport du ravitaillement et des renforts  et, par ailleurs, elle s’attaquera aux travaux destinés à soutenir directement ou indirectement les opérations militaires, donc, du même coup, aux ouvriers travaillant sur les chantiers ainsi qu’à une partie de la population civile du pays ennemi, assurant les services auxiliaires. » (p. 95)

LE BLOCUS
«  Le blocus, comme la guerre des croiseurs, sont d’anciennes méthodes de guerre ; en raison de l’accroissement de la population des différents pays et de la dépendance étroite des armées vis-à-vis de l’industrie de guerre (qui dépend elle-même de l’importation de matières premières), le blocus peut être beaucoup plus efficace de nos jours qu’il ne l’était jadis. Le manque de vivres et de matériel de guerre jette le découragement dans l’armée, et la faim, comme je l’ai déjà démontré, provoque la désunion du peuple.
      En faisant un exposé des conditions de combat entre les armées belligérantes, j’en suis venu insensiblement à exposer la part que la population a dans la lutte, du fait qu’elle peut elle-même devenir l’un des buts de l’action militaire. Il résulte de ce qui précède que la population peut être amenée à participer méthodiquement à la lutte. Il faut donc développer une intense propagande pour décomposer la cohésion animique du peuple ennemi. » (p. 97)

LE CAS DE LA SUISSE
«  Un Etat comme la Suisse, qui ne dispose que d’une armée de terre pour défendre ses frontières, conduira la guerre dans des conditions défavorables. La conduite d’une guerre totale exige la victoire sur l’ennemi. Quant un Etat comme la Suisse se défend, il attend qu’une autre puissance prenne sur elle de battre l’ennemi. L’exemple de la Suisse ne doit donc pas nous donner le change sur ce que doit être réellement une guerre. » (p. 104)

CONDITIONS GEOGRAPHIQUES DEFAVORABLES
«  Le général en chef d’un pays dont la configuration géographique est particulièrement défavorable, pourra aussi garder à l’intérieur du pays, à proximité de voies ferrées heureusement situées, un certain nombre de troupes qu’il pourra diriger sur tel ou tel point, dès que la situation se sera éclaircie. Ce qui laisse intact le principe d’après lequel il faut, en tout cas, toutes les forces contre l’ennemi. Il est évident que le général en chef d’un pays à configuration géographique défavorable ne pourra songer à protéger son propre pays des horreurs de la guerre. » (p. 105)

MOBILISATION : PAS DE PLAN, DES TACHES
«  Le général en chef ne pourra pas donner au moment de l’établissement du plan de mobilisation, des indications précises sur la manière dont les tâches doivent être résolues. On peut seulement tenter d’exposer les tâches d’une manière claire et non équivoque. » (p. 106)

OBJECTIFS D’UNE MOBILISATION
«  On peut donner de recettes concernant la mobilisation, sinon des points très élémentaires : masser le plus grand nombre de troupes possibles sur le point où doit avoir lieu l’action décisive, et ne garder sur les autres points que les forces strictement nécessaires. Avec une volonté de fer, il faut arriver dès le commencement à obtenir que toutes les forces, sans exception, soient utilisées. Il faut une énergie inébranlable pour arriver à fermer les yeux sur de nombreuses et menaçantes éventualités que l’on a pourtant reconnues, pour laisser au hasard de la guerre le soin de décider comment on les affrontera. » (p. 106)

SEULE LA REALITE COMMANDE
«  Les considérations théoriques cessent ici de jouer leur rôle : c’est la guerre réelle qui commence. Ce qu’il faut alors, ce n’est pas agir d’après des plans, mais exploiter les points faibles de l’ennemi. Si ces points apparaissent là où on les pressentait, tant mieux ; mais il ne faut pas espérer que l’ennemi agira exactement comme on l’avait prévu lorsqu’on dressait les plans de mobilisation. C’est pourquoi l’Etat-major ne doit pas lier son action à des plans, même si ceux-ci prévoient une situation qui se produira très vraisemblablement chez l’ennemi ; mais le général doit se baser sur la réalité des faits dont il est informé. Ceux-ci lui dicteront quelles actions doivent être entreprises pour anéantir l’ennemi à l’endroit décisif ou pour mener à bien les tâches qui s’imposent à lui. » (p. 107)

LES PREMIERES VICTOIRES NE SUFFISENT PAS
«  … il n’est guère possible actuellement de terminer la guerre dès les premières victoires, car les armées à vaincre sont formidables, et une fois les premières troupes vaincues, elles ont encore à leur disposition d’énormes effectifs prêts à les remplacer immédiatement ; le déplacement et la concentration de ces nouveaux effectifs peuvent être réalisés très vite, si l’on pense à l’extension des voies ferrées stratégiques. La guerre continuera donc, même lorsqu’on aura remporté des  victoires, même si l’ennemi a subi une lourde défaite, et surtout si un autre adversaire doit être encore vaincu. » (p. 112)

RESISTANCE PSYCHOLOGIQUE DE LA TROUPE
«  Les troupes auront à donner le plus grand effort physique et moral au cours des marches et des batailles ; les défaites seront dures à supporter, les victoires seront exaltantes seulement passagèrement ; des morts et des blessés tomberont hors des rangs. Les troupes fraîches qui les remplaceront n’auront aucun lien de camaraderie avec les survivants. Deux mondes peuvent s’opposer en la personne des vieux combattants et des jeunes troupes, même si l’on a inculqué à celles-ci une vigueur morale suffisante. » (p. 115)

LE GENERAL EN CHEF
«  … il devra être capable, au milieu de crises angoissantes, de prendre d’un seul coup, instinctivement, pour ainsi dire, avec une sereine conscience de sa responsabilité, des décisions extrêmement graves, dont dépendront l’heureuse issue de la guerre et le salut de son peuple, et cela, parfois de longs jours à l’avance, dans l’incertitude ; incertitude que la volonté d’un ennemi, décidé à agir de son côté avec la même énergie, aura tôt fait de transformer en une très certaine réalité. Cette nécessité de vaincre un adversaire nullement disposé à se laisser abattre, mais résolu à vaincre lui-même et à tirer parti des conditions incertaines de la guerre, la nécessité de rendre la confiance à ses troupes parfois impuissantes à réagir victorieusement, tout cela exige du général en chef une suprême tension d’énergie. » (p. 130)



QUELQUES PRINCIPES
«  Il est inadmissible que, comme c’était le cas en août 1914, des subordonnés s’obstinent à retarder ou à compromettre l’exécution des volontés du haut commandement, et que celui-ci soit obligé à lutter avec ses subordonnés. » (p. 135)
… « La troupe a le droit d’exiger des ordres clairs, comme le généralissime a le droit d’exiger l’obéissance. » (p. 135)
… «  Quand le général juge inopportun de donner des ordres précis pour l’exécution des opérations, il peut naturellement n’en indiquer que les lignes générales et laisser aux chefs en question le soin de l’exécution. Mais il doit les surveiller très strictement, car, là aussi, sa responsabilité est engagée, elle l’est en fait sur tout le théâtre des opérations. » (p.  136)

Notes
1.      Erich von Ludendorff : La guerre totale. Traduction A. Pfannstiel. Flammarion. Paris. 1937. 138 p.. L’édition allemande est à préférer, si cela vous est possible
2.      Le terme ‘’animique’’ choisi par le traducteur peut se remplacer par ‘’morale’’, quoique l’expression allemande exprime quelque chose de plus fort que ce que dit le mot français.

LES 27 MAXIMES DE MACHIAVEL

      Les principes nécessaires à une réflexion sur l’engagement d’une troupe armée ne sont pas nombreux mais leur exploitation judicieuse offre des solutions à l’infini. Toute question militaire se résume pour faire de l’analyse comparative historique à mettre en évidence les similitudes et les particularités. Pour apprécier le plus objectivement possible le vainqueur comme le vaincu, il est nécessaire d’établir la part du hasard, celle de la décision du supérieur hiérarchique et celle des exécutants, la force du caractère du chef et celle de la volonté des hommes. En finalité, viennent les questions techniques. Il est vrai qu’elles ne sont pas négligeables, cependant il suffit de les avoir et d’en connaître le mode d’emploi. Par contre travailler avec des hommes, cela est tout autre chose … cela ne s’apprend pas à l’aide de théories, cela s’acquiert seulement avec l’expérience et si le don pour le faire vous est donné. Les propos de Machiavel illustrent ce qui précède et, de l’histoire du phénomène guerre, il a mis en évidence des maximes qui méritent notre attention.

L’ESPRIT D’INVENTION
«  Vous désirez peut-être aussi que je vous entretienne des qualités nécessaires à un grand général. Je puis vous satisfaire en peu de mots : je voudrais que mon général fût instruit à fond de tout ce qui a fait aujourd’hui l’objet de notre entretien, et cela ne suffirait pas s’il n’était pas en état de trouver par lui-même les règles dont il a besoin. Sans l’esprit d’invention, personne n’a jamais excellé en rien ; et si cet esprit mène à la considération dans tous les autres arts, c’est à la guerre qu’il donne le plus de gloire. » (p. 217)

LES MAXIMES
«  Quelques maximes générales dont il est utile de se bien pénétrer :
1.      Tout ce qui sert votre ennemi vous nuit ; tout ce qui lui nuit vous sert.
2.      Celui-là aura le moins de dangers à courir et sera le plus fondé à espérer la victoire, lui qui mettra le plus de soin à observer les desseins de l’ennemi et à exercer fréquemment son armée.
3.      Ne menez jamais vos soldats au combat qu’après les avoir remplis de confiance, qu’après les avoir bien exercés et vous être assurés qu’ils sont sans crainte ; enfin, n’engagez jamais une action que lorsqu’ils ont l’espérance de vaincre.
4.      Il vaut mieux triompher de son ennemi par la faim que par le fer : le succès des armes dépend bien plus souvent de la fortune que du courage.
5.      Les meilleures résolutions sont celles qu’on cache à l’ennemi jusqu’au moment de les exécuter.
6.      Un des plus grands avantages de la guerre est de connaître l’occasion et de savoir la saisir.
7.      La nature fait peu de braves : on les doit le plus souvent à l’éducation et à l’exercice.
8.      La discipline vaut mieux à la guerre que l’impétuosité.
9.      Lorsque l’ennemi perd quelques uns de ses partisans qui passent dans votre parti, c’est pour vous une grande conquête s’ils vous restent fidèles.
10.    Quand on range une armée en bataille, il vaut mieux réserver des renforts derrière la première ligne que d’éparpiller ses soldats afin d’étendre le front.
11.   Il est difficile de vaincre celui qui connaît bien ses forces et celles de l’ennemi ;
12.   A la guerre, le courage vaut mieux que la multitude ; mais ce qui vaut mieux encore, ce sont les postes avantageux.
13.   Les choses nouvelles et imprévues épouvantent une armée ; mais, avec le temps et l’habitude, elle cesse de les craindre : il faut donc, lorsqu’on a un ennemi nouveau, y accoutumer ses troupes par de légères escarmouches avant d’engager une action générale.
14.   Poursuivre en désordre un ennemi en déroute, c’est vouloir changer sa victoire en défaite.
15.   Un général qui ne fait pas de grandes provisions de vivres sera vaincu sans coup férir.
16.   Il faut choisir son champ de bataille selon qu’on a plus confiance en sa cavalerie ou en son infanterie.
17.   Voulez-vous découvrir s’il y a quelque espion dans le camp ? Ordonnez à chaque soldat de se retirer dans son quartier.
18.   Changez subitement de dispositions quand vous apercevrez que l’ennemi vous a pénétré.
19.   Interrogez beaucoup de gens sur le parti que vous avez à prendre, ne confiez qu’à très peu d’amis le parti que vous avez pris.
20.   Que pendant la paix, la crainte et le châtiment soient le mobile du soldat ; pendant la guerre, que ce soit l’espérance et les récompenses.
21.   Jamais un bon général ne risque une bataille si la nécessité ne l’y force ou si l’occasion ne l’appelle.
22.   Que l’ennemi ne sache jamais vos dispositions le jour du combat ; mais quelles qu’elles soient, que la première ligne puisse toujours rentrer dans la seconde et la troisième. (voir note 2)
23.   Pendant le combat, si vous ne voulez pas jeter le désordre dans votre armée, ne donnez jamais à un bataillon un autre emploi que celui qui lui était d’abord destiné.
24.   Contre les accidents imprévus, le remède est malaisé ; contre les accidents prévus, il est facile.
25.   Des soldats, du fer, de l’argent et du pain ; voilà le nerf de la guerre : de ces quatre objets, les deux premiers sont les plus nécessaires, puisque avec des soldats et du fer, on trouve du pain et de l’argent, tandis qu’avec de l’argent et du pain, on ne trouve ni fer, ni soldats.
26.   Le riche désarmé est la récompense du soldat pauvre.
27.   Accoutumez vos soldats à mépriser une nourriture délicate et de riches habits. » (p. 214-216)

CONCLUSION
«  … tout homme qui médite quelque dessein doit s’y préparer d’avance pour être en état de l’exécuter s’il en trouve l’occasion. » (p. 217)

Un chef seul ne suffit pas, il lui est nécessaire de disposer de plusieurs responsables qui travaillent dans son esprit. Machiavel décrit à merveille ce qu’est un bataillon et cela vaut pour toute l’armée :
«  … un bataillon. C’est un mur qui, penchant de toutes parts, a plutôt besoin d’un grand nombre de petits étais, que de quelques poutres très solides ; car toute la force d’une de ces poutres ne peut empêcher qu’à une certaine distance le mur ne tombe en ruine. Il faut donc que dans une armée, sur dix soldats, il s’en trouve un qui, ayant plus d’activité, d’audace ; ou du moins d’autorité, les contienne et les dispose au combat par son courage, ses paroles et son propre exemple. » (p. 98)
Nombreuses sont ces maximes utiles à la vie commerciale, diplomatique et politique. Un caporal comme un commandant en chef des armées, un décideur comme un responsable peuvent en tirer parti.
Notes :

1.      Nicolas Machiavel : L’art de la guerre. Bibliothèque Berger-Levrault. Il est signaler que la Pléiade offre une traduction plus fine.

2.      L’ordre de bataille en trois lignes, selon ce qu’en dit Machiavel, permet des engagements de la section renforcée à un corps d’armée ! Il appartient à chacun de tenir compte des moyens techniques dont il dispose (efficacité et portée des armes) ; gardez en mémoire son exemple de dix bataillons de son époque en trois lignes :
«  Dans votre ordre de bataille, vous placez cinq bataillons à la tête, trois au centre et deux à la queue. » (p. 125)
… «  Remarque : Par votre système, votre armée se trouve d’autant plus faible que l’ennemi pénètre en avant. »
«  Raisonnement : J’ai donné à la première ligne de l’armée de la solidité et de l’épaisseur, parce que c’est elle qui soutient le choc de l’ennemi, qu’elle n’a à recevoir personne dans ses rangs et qu’elle doit être ainsi très fournie de soldats, car des rangs faibles ou séparés lui ôteraient toute sa force.
La seconde ligne qui, avant de soutenir le choc de l’ennemi, est dans le cas de recevoir la première dans ses rangs, doit présenter de grands intervalles, et par conséquent être moins nombreuse ; car si son nombre était égal ou supérieur à la première, on serait forcé soit de n’y laisser aucun intervalle, ce qui amènerait la confusion, soit de dépasser l’alignement, ce qui ferait un ordre de bataille vicieux.
C’est d’ailleurs une erreur de croire que plus l’ennemi pénètre en avant de la brigade, plus il la trouve affaiblie ; car il ne peut jamais attaquer la seconde ligne que la première n’y soit réunie. Ainsi, le centre, loin d’être plus faible, lui oppose une plus grande force, puisqu’il a à combattre les deux premières lignes à la fois.
Il en est de même lorsqu’il arrive à la troisième ligne ; car là, ce n’est pas seulement à deux bataillons frais, mais à la brigade tout entière qu’il a affaire. Cette troisième ligne devant recevoir un plus grand nombre de soldats doit être encore moins nombreuse et présenter de plus grands intervalles. » (p. 126)
L’espace ne joue aucun rôle car «  … les flancs d’une armée ne sont pas des murailles mais des hommes ; ils peuvent s’étendre et s’écarter et laisser tout l’espace nécessaire. » (p. 127)
Cette solution permet d’engager les réserves, de renouveler les troupes au contact direct avec l’ennemi, de changer de dispositif aisément pour des attaques sur les flancs et/ou les arrières de l’adversaire. Les lignes arrières doivent relever les troupes ayant subi le premier choc ; le choix de leurs emplacements doit anticiper les mouvements de l’adversaire et permettre de choisir l’endroit où l’on peut battre l’adversaire avec le plus de succès. Les changements de ligne doivent se faire dans l’ordre et être planifiés pour éviter toute panique. Une évacuation des blessés, sans choquer les arrières, doit être prévue…

A PROPOS DE ‘L’ART DE LA GUERRE’ DE SUN TZU

            Il importe peu de savoir si Sun Tzu a ou n’a pas existé, s’il a compilé des propos de guerre anciens ou de son temps, ou encore s’il a fait œuvre originale. Des spécialistes dissertent avec passion sur ces questions. L’essentiel est cependant ailleurs : c’est au message de ‘L’art de la guerre’ que l’on doit prêter attention. Celui-ci est fascinant car, écrit au IV° siècle avant Jésus-Christ, il est encore et toujours d’actualité. Ne parlons pas de sagesse à propos de ce texte : le fait qu’il provienne de Chine, certains le qualifient tout aussitôt de sage, cela serait un cliché sans intérêt. La pertinence de cette étude tient à son solide réalisme, sa qualité d’observation et sa profonde connaissance de l’âme humaine.
Réalisme car ce court traité met clairement en évidence que la guerre n’est pas une anomalie éphémère mais un phénomène permanent toujours prêt à surgir d’une façon ou d’une autre. Sun Tzu démontre que la guerre utilise des forces de l’irrationnel qu’il est possible, heureusement, d’analyser de façon rationnelle.
La qualité de son observation se révèle lorsque, comme facteurs décisifs à la guerre, il souligne la prépondérance des forces morales et intellectuelles. C’est là une des originalités de ce traité.
Sa connaissance de l’âme humaine lui permet de mettre à nu les motivations profondes de l’individu qui est dans l’obligation de se battre. A chacun sa motivation, à tous un même combat.
Le premier combat n’est pas d’ordre militaire, il est d’ordre politique et économique : il n’y a pas cette hypocrisie de luttes au nom de la civilisation, de valeurs essentielles. Un attentat économique est quelque chose de très propre en apparence, qui ne choquera pas les bien-pensants ; cependant ses ravages en sont terribles et les conséquences incalculables. Un simple blocus économique d’un Etat peut constituer un crime contre l’humanité : que cela soit le fait d’une démocratie ou d’une dictature ne change rien à la dénomination de l’acte. Le silence complice des autres Etats est une caution scandaleuse à une forme d’épuration dont on se cache le nom.
Par une politique que certains qualifient d’habile, il s’agit de disloquer des alliances, de créer des fossés entre les Etats comme à l’intérieur des Etats, de susciter la haine entre les éléments d’une hiérarchie ou de plusieurs hiérarchies, entre les possédants et les non-possédants de la richesse comme du savoir. Espions et agents (ils n’existent plus sous ces noms : si la fonction reste la même, par souci d’honorabilité, ils ont des titres d’observateurs, de consultants ou de conseillers techniques ou tout autre label faisant bel enseigne) sèment la discorde, incitent à la subversion. Ils ont un talent à exploiter des causes justes pour les utiliser dans un emploi dont la finalité peut être criminelle. Ceci dit, il y a des agents qui se contentent de rechercher les informations et qui possèdent une véritable culture du renseignement qui leur fait honneur, il s’agit de ne pas oublier que ce sont les politiques ou les décideurs économiques qui exploitent les renseignements : la responsabilité du donneur d’ordre est plus importante que celle de l’exécutant, les agents sont souvent les boucs émissaires des décideurs pour la plus grande satisfaction de la morale officielle …D’habitude, celui qui récolte le renseignement n’est pas le même que celui qui opère l’exploitation de celui-ci dans le terrain, sur ordre.
L’idée de progrès, le désir de vérité, la justification de l’action pour un engagement moral sont des motivations utilisables dans le cœur de chacun. La méthode est remarquable de simplicité et d’efficacité. N’importe quel système, du plus noir au plus rouge en passant par la couleur démocratique (je ne sais pas laquelle choisir, le blanc lui irait parfois si mal) peut utiliser ces vecteurs, vraiment efficaces et fiables. Mais quelle en sera la finalité ? La bonne foi d’un exécutant –il n’est jamais aussi ‘traître’ qu’on le dit puisqu’il agit au nom d’une cause qui est autre- est ce qui fait sa force. La vénalité n’est pas un élément fiable, bien au contraire. Aux groupes de pression que l’on a connus au début de ce siècle, ont succédé de multiples organisations mondiales se prévalant de ces désirs innés. Au vu des résultats, très inégaux selon les pays concernés (valeurs stratégiques ou économiques offrant de premières explications suffisantes), un ‘honnête homme’ est obligé de s’interroger afin de savoir qui sont les manipulateurs derrière ces paravents tapissés de bons principes ! derrière leurs propos pétris de bonnes intentions, quelles sont leurs intentions véritables ? pourquoi un pays se voit imposer des conditions de vie draconiennes alors qu’un autre état, au mépris des droits de l’homme les plus fondamentaux et au mépris encore des accords internationaux acceptés et signés, ne subit aucune pression mais se voit encore comblé de subsides en tout genre et se pavaner dans le monde avec la robe de la respectabilité… tout homme sincère s’interroge. Dans ce siècle finissant, nous aurons vu les paradoxes les plus extraordinaires devenir choses courantes : des pacifistes ont justifié des guerres sanglantes, des guerriers sont devenus des pacifistes bêlants, peut-on accorder quelque crédit à ces engagements modèles donnés en pâture au grand public ?
Sun Tzu a déjà démontré en son temps que sans combat, sans armée, un gouvernement peut se renverser, une conquête peut se réaliser par la passivité des victimes et des voisins des victimes. La conquête des esprits rend inutile la conquête territoriale. Ce principe est fondamental car tout le reste est donné par surcroît.

            L’emploi de la force armée ne devient alors qu’un ultime recours. Pour notre auteur, les conditions qui commandent son engagement se résument ainsi : une force armé s’engage dans un temps très court, en ménageant autant que possible les vies humaines de sa propre troupe et en infligeant à l’ennemi une défaite avec le moins de perte possible. Ces trois principes ont des raisons humaines, politiques économiques et militaires. Des nations dites civilisées et proclamées comme grandes détentrices du progrès, n’ont pas réussi à comprendre cela et ont pratiqué un mépris détestable de la vie. Si quelques dirigeants avaient cela comme fil conducteur, de nombreuses guerres inutiles (ce dernier adjectif est difficile à prononcer lorsqu’on pense son prix en vies sacrifiées) auraient pu être évitées.
Pour le reste, tout l’art de la guerre est duperie. Actuellement, vous pouvez prendre les derniers conflits en cours qui ont secoué la planète, nous sommes en 1998. Ce principe a été appliqué, tout particulièrement en ce qui concerne l’information. Les secrets des enjeux le sont restés mais le grand public peut disserter sur des informations qui ne sont pas entièrement fausses (un bon mensonge doit toujours avoir cette part de vérité qui rend le mensonge vraisemblable). Celles-ci seront partielles et partiales. Les médias, au nom de leur déontologie la plus stricte et de cette fameuse liberté de l’expression, apporteront sans sourciller leur merveilleuse et puissante contribution au faux savoir. Le journaliste qui oserait se démarquer soit sera  utilisé ou manipulé, soit pourra chercher un autre emploi : un honorable confrère sera là pour occuper son siège  Pourtant les indices de mensonge ne manquent pas. Prenez la guerre du Golfe. Ce fut une véritable bataille de l’information. Il y a eu duperie où simulation travaillait de pair avec dissimulation. Sur le film des apparences, les gens ont été égarés et abusés. Les véritables enjeux ont été occultés. Des actions médiatiques diverses, près de six mois avant le conflit officiellement ouvert, apparemment sans lien entre elles ont convergé vers un même but : forger l’opinion publique. Chacun des chefs d’orchestre a pris sa partition, ils sont restés invisibles, silencieux et terriblement puissants : le chœur et les instrumentistes ont été remarquables d’efficacité. La démonstration a été faite qu’une bataille sur les esprits peut se gagner : présentations répétitives de mêmes ‘informations’, jeux d’images sélectionnées, commentaires de ‘spécialistes’ dûment autorisés, mise en discrétion de toute autre information internationale (cela arrangeait bien certains Etats), etc. Ce modèle fera école et nulle doute que plus d’une étude analysera ce dossier.
Au sujet de la prise de décision, il précise que celle-ci dépend d’une analyse objective de la situation. La témérité n’y trouve pas de place. L’idée primordiale est que tout est en équilibre instable : dès lors, où place-t-on le coin pour déséquilibrer l’adversaire ? Pour cela, il est nécessaire de posséder la souplesse de l’eau qui s’adapte au sol. Cette image signifie qu’il faut rechercher le point de moindre résistance de son adversaire, égarer l’ennemi, avancer méthodiquement pour porter le coup fatal, rechercher constamment le renseignement permettant d’adopter la décision judicieuse au moment opportun, placer ses agents au cœur du dispositif ennemi (ainsi que les Soviétiques l’ont si remarquablement réussi auprès de l’Angleterre comme de l’Allemagne dans une période que l’on appelait pourtant la guerre froide) : à ces principes mis en œuvre avec toute l’efficacité possible alors que la majorité se croit en paix, que peut-on opposer ? En des moments où les peuples sont engourdis à un point tel qu’ils croient la guerre impossible alors que l’adversaire n’a de cesse l’alimenter, que faire ?
La réponse est simple : réveiller les esprits endormis s’impose, les sortir d’une léthargie béate est de nécessité absolue. Un monstre dévore le monde actuellement. Il a plusieurs têtes. Elles ont pour noms : habitude, indifférence, égoïsme, faux savoir, fausse assurance ; et d’une seule suave voix, elles exécutent le chant des sirènes.
La guerre est une bataille pour la vie : celui qui l’engage en est très conscient. Lorsque les nations restent sourdes à son désarroi, il ne reste à celui-ci que ce moyen pour éviter son anéantissement. De toute façon, la perte de la guerre est un anéantissement mais si la guerre apparaît comme l’unique solution, l’idée de pourvoir vaincre offre une chance qui mérite d’être jouée. Que le vainqueur apparent soit parfois le vaincu, est une bien mince consolation avec le recul dans le temps. Les Romains ont bien battu militairement les Grecs mais les Grecs les ont vaincus intellectuellement : nous ne saurions nous en plaindre. Pour des exemples plus récents, je vous laisse choisir : les exemples abondent et mon choix me ferait trop accuser de parti pris, alors que je n’en ai aucun.
            Pour la défense d’un pays, et uniquement dans ce but, appliquons les principes de ‘L’art de la guerre’ de Sun Tzu. A ses principes, posons-nous les questions qui sont valables pour notre temps ! Suivant le tempérament de chacun, des conclusions seront tirées et je ne vous imposerai pas les miennes.
J’insisterai seulement sur un aspect : Sun  Tzu affirme que le premier facteur dans une guerre est double : le moral d’un pays et l’esprit d’équipe d’une armée. Avant de s’interroger sur ce dernier, il est important de savoir quel est le moral d’un pays. Pourquoi ne formule-t-on pas cette question essentielle ? Aurions-nous trop peur de la réponse ? Pourtant les éléments d’appréciation pour juger d’un moral du pays sont peu nombreux : Un peuple vit-il en harmonie avec ses dirigeants ? Le peuple suivrait-il ses représentants élus jusqu’à se sacrifier pour eux ? Une population est-elle prête à se battre pour des valeurs qu’elle estime essentielles ? Pour estimer l’esprit d’équipe d’une armée, deux questions se posent : Y trouve-t-on l’amitié, la justice et l’équité suscitant cette merveilleuse confiance et cette puissante volonté de surmonter ensemble les difficultés ? est-ce que les capacités de chacun sont réellement utilisées ?
Le deuxième facteur de Sun Tzu est déconcertant par son pragmatisme : je le résume en quelques questions. La conduite militaire est-elle adaptée aux conditions météorologiques et aux contraintes du terrain ? Est-ce que le chef tient en compte l’endurance réelle de ses hommes, une phase d’entraînement étant différente de celle de préparation au combat ? La troupe connaît-elle véritablement son terrain ? les principes de combat nocturne et de leurres de jour comme de nuit sont-ils connus ?
Le troisième facteur tient au commandement. Ceux qui l’exercent doivent posséder :
1.      de bons renseignements pour percevoir les changements de circonstance et agir avec promptitude ;
2.      l’équité pour reconnaître mérites et défauts des hommes ; la perfection n’existe pas, il suffit que les mérites compensent les défauts chez une même personne et que la diversité des hommes engagés permette la prépondérance des mérites de tous. Pensez au film fameux de Ben-Hur, il mène à la victoire son attelage en répartissant les forces de ses chevaux selon leurs tempéraments.
3.      un humanisme en appréciant les hommes pour leur engagement, en partageant leurs sentiments et en considérant leur travail comme leur peine. Cela ne se réalise pas en un semblant de dialogue où chacun croit tenir son rang : pratiquer cela sans tomber dans la démagogie (au sens péjoratif pris actuellement) est la plus grande difficulté.
4.      le courage de décider pour emporter la victoire. Cela se traduit par des faits et non par un déluge verbal.
5.      la sévérité pour imposer une discipline juste afin de favoriser la solidarité.
Le commandement s’appuie sur deux bases : une doctrine et une discipline. La doctrine vise à l’unité d’action et la discipline à la cohésion de l’action.

CONCLUSION
Contrairement aux autres auteurs présentés dans cette promenade dans les jardins intérieurs de quelques penseurs militaires, je ne vous offrirai pas de citations de Sun Tzu. ‘L’art de la guerre’ est une prodigieuse mémoire des actions de guerre en ce qu’elles ont de plus essentiel, sans aucune fioriture et favorisant la réflexion. La profession de guerrier est celle d’un solitaire, doué d’un sens de l’observation, agissant au travers d’une équipe de son choix, sur une masse armée à l’ordre du souverain. En treize chapitres, cent quatre pages d’un livre format de poche, vous trouverez préceptes et modèles qui peuvent s’adapter aux activités militaires, économiques, diplomatiques ou encore médiatiques ! N’importe quelle négociation de nos jours n’est-elle pas une forme de bataille ?
Notes
1.      Sun Tzu : L’art de la guerre. Champs de Flammarion. N° 58. 1972. 266p. (le traité p. 91-199)
2.      Si vous en avez le temps, je vous recommande de compléter cette lecture par deux ouvrages :
a.     Traduction et commentaires de François Kircher : Les 36 stratagèmes. Lattès. 1991. 271 p.
b.     Et pour ceux qui aiment le langage symbolique ou qui sont pour une ‘mathématique poétique’, une lecture s’impose véritablement : traduction et commentaires de R. Wilhelm : Yi King : le livre des transformations. Médicis. 1973. 804 p. (il existe une version courte de 448 p.).

antoine.schule@free.fr                       Antoine Schülé
                                                          F-30'200 St. Gervais


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