Etablissement
d’une frontière : le val des Dappes, un cas d’école.
Antoine Schülé
« Il est
de certaines questions,
d’une importance relativement
secondaire,
qui, suivant les faits qui lui ont donné
naissance
et les principes qui s’y rattachent,
acquièrent parfois une importance
prépondérante. »
Conseil fédéral suisse, le 19 mars 1863
Généralement, les frontières européennes sont nées dans la longue durée :
fruits non de la sagesse des hommes mais du sang des militaires et des civils,
dans le terrain, et de la sueur comme de la salive de diplomates, politiques et
experts en tout genre en salons.
Toutes leurs actions sont conduites aux noms de la
défense du territoire, de la quête de la frontière dite naturelle, des intérêts
nationaux, de la souveraineté de l’Etat, de la puissance économique, d’une paix
profitant au détenteur de la force, d’une justice internationale (qui se
décrète mais ne s’applique pas pour tous ou s’impose avec toute la raideur
d’une justice implacable, selon le pouvoir d’influence de l’un ou l’autre des
Etats concernés). L’Histoire offre de nombreux cas de figure à la réflexion du « curieux »
(au sens noble du terme) de géopolitique et de géostratégie.
Un conflit frontalier franco-suisse du XIXe siècle, trouvant
ses origines au Moyen Age, constitue un cas d’école intéressant aussi bien pour
le politique que le militaire ou le diplomate. Cette petite synthèse retrace un
dossier méconnu ayant pesé sur les relations entre la France et la
Confédération Helvétique alors que divers régimes politiques se sont succédé : en
France, il y a eu le Directoire, le Consulat, le Premier Empire, la Restauration,
la Monarchie de Juillet, puis le Second Empire; en Suisse, il y a eu la République
helvétique, le Directoire, l’Acte de Médiation, le Pacte fédéral des XXII Cantons,
la Constitution de 1848. Un traité mettant fin à ce conflit s’est réalisé
uniquement lorsqu’il y a eu des convergences d’intérêts et de personnes.
Situation géographique
Le val des Dappes, relève de
l'actuel département du Jura en France et confine au canton de Vaud en Suisse.
D'une largeur de deux mille mètres, il s'étire sur environ quatre kilomètres,
reliant Morez et les Rousses à Gex (trois localités françaises).
A la hauteur de la Cure, au
nord du val et en face des Rousses, le col de la Givrine, unit la France à la
Suisse pour se rendre à Saint-Cergue et constitue l'un des vingt-deux passages
entre les deux pays. Légèrement plus au sud, se trouve le col de la Faucille. A
l'est, la montagne de la Dôle se situe sur territoire Suisse et, à l'Ouest, le
Mont des Tuffes - dénommé aussi parfois Monteysel - est français. Un fort
militaire, projet conçu dès 1816, fut mis à exécution par Louis-Philippe :
il surplombe les Rousses[1].
Ce dispositif a été complété par la fortification du Risoux, au dessus du lac
des Rousses.
Des prés, quelques troupeaux
de vache, des sapins clairsemés, des rochers saillants ça et là, de
florissantes gentianes et de rares maisons dispersées sont les éléments
classiques d’un paysage jurassien. Une route de 12 km serpente cet espace. Les
habitants, d'origine française et vivant dans des chalets et des granges, exploitent
5 grands alpages et 10 pâturages. Une trentaine de propriétaires fonciers (essentiellement
suisses) possède la vallée. Le hameau principal est celui des Cressonnières,
regroupant une dizaine d'habitations. La Cure a été un poste de douane. 300 à 500
têtes de bétail fournissent la matière première aux productions de lait, beurre
et fromage. A ces activités reconnues s’ajoutent l'exploitation des bois et, en
compléments bienvenus de revenus, la contrebande.
Du temps où la laïcité n’était
pas imposée aux esprits, le député français Édouard Dalloz a comparé la forme de
ce val des Dappes à une mitre d'évêque[2].
Comment ce paysage d’apparence si paisible est
devenu une pomme de discorde entre la France et les Suisses alors que
des liens les unissent depuis 1515 et alors que plus d’une possession du
territoire français a été acquise au prix du sang versé par des Suisses[3]
?
Anciennes contestations et
affirmations de possession
Au Xe s., le
monastère de Saint Claude revendiquait ce territoire à l’encontre de l’abbaye
du lac de Joux, en vertu de son droit de premier occupant. Par la suite, à
l’est de la frontière actuelle, avec les ducs de Savoie puis le Canton de Berne[4]
et, à l’ouest, avec l’Espagne[5]
puis la France[6],
ce petit territoire réapparaît de façon régulière dans les négociations. Rien
que sous cet angle, cette bucolique portion de terre jurassienne prend une
signification qui mérite l’étude des historiens.
A la lecture des traités, tout
paraît simple d’exécution dans le terrain ! Ce n’est pas le cas. Les
titres de propriété des uns et des autres sont au mieux imprécis, soit confus,
soit falsifiés et le voile des siècles ne rend pas ces témoignages écrits plus
clairs. Les commissaires pour la démarcation et les ingénieurs topographes,
chargé de l’abornement de la frontière franco-vaudoise,
de 1816 à 1825 et de 1862 à 1863 auront encore, ainsi que leurs prédécesseurs[7],
toutes les peines du monde à statuer !
Intentions commerciales et
naissance d’un différend de frontière.
Depuis 1766, à l’instigation de Choiseul encouragé par Voltaire et dans
l’intention de porter atteinte à l’économie genevoise[8], la France a le projet d'exécuter la construction d'une nouvelle ville et d'un port
à Versoix[9] :
cette commune est une enclave française entre les cantons de Vaud et Genève. La
France souhaite disposer d’un entrepôt indépendant[10]
sur le lac Léman[11],
en lien direct avec Gex. Les divers passages du Jura et du Valais ayant été
reconnus, cette voie commerciale a paru la plus favorable pour relier la France[12],
par le Valais, à Milan. Le val des Dappes, restant le chemin le plus court :
l’affaire du val des Dappes est née et ne cessera pas d’alimenter les échanges
diplomatiques en rapports et lettres.
En 1797, le Directoire français demanda aux autorités bernoises la
cession d'une portion de territoire près des Rousses, pour la construction
d'une route sur Versoix. La réponse de
Berne fut évasive. Le 14 mai 1797, Bonaparte, général en chef de l'armée
d'Italie, déclara dans une lettre que la situation politique de la Lombardie
avec la France exigeait que l'on songeât sans délai, à obtenir le droit de passage
par le Valais, afin de pouvoir arriver à Versoix par la vallée du Rhône et le
lac Léman. L'invasion[13]
française coupa court à toute délibération des États confédérés : en avril
1798, Genève est réuni à la France, la Savoie ayant subi le même sort en 1792.
Ainsi, la France se trouve en possession de la rive méridionale du lac Léman et
de la rive septentrionale[14]
de Genève à Versoix.
Napoléon, ayant démontré que
la géographie est utile à la guerre, a pesé l’importance de ce petit territoire.
Pour communiquer avec ces nouvelles possessions, la traversée du territoire
suisse était nécessaire sur une longueur de six à sept lieues. Ouvrir une route
au commerce entre la ville de Genève et l'intérieur de la France prenait une
importance prioritaire : raccourcir le trajet de 4 heures de marche et libérer
des taxes des douanes étaient les deux objectifs premiers. Mais en plus militairement,
la route de Paris à Milan par le Simplon devait servir continuellement au
passage des troupes et des convois, sans devoir traverser un territoire
étranger quoique soumis.
Obtenir de la Suisse la
cession du rentrant vaudois formé par le Mont des Tuffes et la vallée des
Dappes à la France présentait un impératif à la fois économique et militaire. (carte1 ci-dessous)
Une transaction
territoriale partiellement non aboutie
La Suisse possède un nouveau
gouvernement, dévolu à Napoléon. La demande de la cession du val des Dappes est
accordée aux prix de laborieuses discussions car la France[15]
ne comprend pas la prépondérance des autorités cantonales sur une autorité
helvétique qui normalement n’existe que pour les relations extérieures et reste
sans droit supérieur sur les affaires intérieures des cantons.
Dans ce contexte, par décret
du 11 août 1802, le Sénat de la République helvétique cède le val de Dappes à
la France à la condition que cette cession soit compensée au canton de Vaud.
Cette compensation coûte peu à la France puisqu’elle lui cède la commune
genevoise de Céligny, une enclave en terre vaudoise. Toutefois, suite à des
négociations entre le canton de Berne et la France, cette compensation ne se réalisera
pas. Nous sommes à l’origine, la plus récente, de ce différend.
En 1807, le val des Dappes est
estimé à 300 000 FCH de l’époque. Les propriétaires de ce val, essentiellement
suisses, demandent des garanties pour une libre sortie de leurs bois, fromages
et autres récoltes de France vers la Suisse. La route est construite en 1809
par le département du Jura alors que la compensation territoriale au canton de
Vaud n’est pas réalisée. Une démarcation de la frontière est établie le 19
octobre 1809 avec des représentants de la France, du canton de Vaud[16].
(carte 2 ci-dessous)
Cette route est souvent
enneigée. Le canton de Vaud demeure dans l’attente de cette compensation
stipulée dans l’accord mais ses réclamations restent lettres mortes à Paris. En
1818, le coût de l’entretien pour l’ouverture permanente de la route est de
15 000 à 20 000 FCH par hiver. En 1815 survient alors le Congrès de
Vienne.
Rétrocession de val des
Dappes au Canton de Vaud
Au Congrès de Vienne, deux
Suisses, Laharpe et Reugger, représentent les intérêts de la Confédération et
demandent la restitution du val des Dappes au canton de Vaud, la clause de
compensation n’ayant pas été respectée.
Ainsi, par la Première paix de Paris du 30 mai 1814 et
le Traité de Vienne du 20 mars 1815,
le val des Dappes est restitué au canton de Vaud. Le Second traité de Paris du 20 novembre 1815 confirme cette
disposition. Trois traités internationaux, tous entérinés par les grandes
puissances, la formulent en ces termes : « Le Valais, le territoire de
Genève, la principauté de Neuchâtel sont réunis à la Suisse. La vallée des
Dappes, ayant fait partie du canton de
Vaud, lui est rendue. ».
Un grain de sable : la
note diplomatique
Mais le 19 novembre 1815, soit
à la veille de la ratification de l'instrument final, les plénipotentiaires des
quatre grandes puissances remirent une note au Ministre français des Affaires
étrangères qui avait protesté contre cette rétrocession considérée comme abusive.
La teneur de ce document, pour l'essentiel, est la suivante :
« Les soussignés, ministres de leurs Majestés l'Empereur d'Autriche, le
Roi de la Grande-Bretagne, le Roi de Prusse et l'Empereur de toutes les
Russies, ont l'honneur de déclarer à S.E. le duc de Richelieu, ministre de SMTC
:
Qu'ils reconnaissent la justice de la demande faite par la France,
tendant à ce que la vallée des Dappes, séparée de la France par le traité du 30
mai 1814 et donnée au canton de Vaud par la déclaration du Congrès en date du
20 mars 1815, soit restituée à la France en considération des cessions beaucoup
plus importantes, consenties par celles-ci en faveur de la Confédération
suisse.
Que néanmoins ils ne peuvent pas stipuler la restitution à la France de
la vallée des Dappes, parce que le plénipotentiaire suisse ne se trouve point
autorisé à y consentir et qu'une telle stipulation, si elle était faite sans le
consentement de la Suisse, serait une atteinte à son indépendance.
Mais que leurs gouvernements s'engagent à intervenir de la manière la
plus efficace auprès de la Confédération helvétique par leurs ministres à la
Diète pour que cette affaire soit arrangée à l'entière satisfaction de la
France et de la manière dont elle l’a demandé. » .
Aspect juridique
Une question de droit international
s’impose : quelles sont la valeur et la capacité contraignantes de cette
note aussi bien pour ceux qui l'émettent que pour ceux à qui elle s'applique ?
Chacune des parties a le choix d’une lecture différente : une interprétation soit
objective (mais faut-il la fonder sur le texte du traité ou sur celui de la
note ?), soit subjective (basée sur les intentions des parties : mais elles sont
contradictoires) ou soit encore une interprétation téléologique, dite
fonctionnelle, attachée au but et aux objectifs de l'acte.
Était-il de leur compétence de
statuer sur la justice de la demande de la France et la valeur des
compensations ? Et cela étant, pourquoi restreindre par une note la portée
de la rétrocession plutôt que d'annuler purement et simplement celle-ci ?
Quelle crédibilité accorder aux instruments de paix ainsi réservés ? Quant
aux termes «donnée» (au canton de Vaud) et «restituée» (à la
France), préjugeant des droits réciproques, le plénipotentiaire suisse n’aurait
certainement pas été autorisé à en consentir l’usage.
Quelle que soit sa valeur
juridique, contestable ou non, cette note pouvait être considérée par la France
comme un «engagement moral» des puissances[17],
pouvant l’autoriser à - ou lui servir de prétexte pour - refuser d'inscrire
dans les faits tout règlement du litige !
En droit et les faits
Dès 1815, chacune des parties
exige la remise de ce territoire. Paris déplore que le percepteur des impôts
aux Rousses ait restitué aux autorités vaudoises le rôle des contributions. Les
représentants suisses reçoivent l’ordre de s’opposer à toute restitution et la
France refuse toute renonciation à ce sujet. La situation est assez
extraordinaire au plan du droit : la restitution de ce val est exigible
par le canton de Vaud en raison des traités internationaux et par la France en
raison d’une note approuvée par les grandes puissances. Tandis que les hommes
politiques et leurs envoyés s'agitent dans les capitales, quel est le sort
réservé aux habitants des Dappes ?
Aussi étrange que cela puisse
paraître, ils ne sont guère affectés par ce différend qui pourtant les concerne
au premier chef. Leurs activités économiques habituelles ne sont pas en
souffrance, et pour cause : l'ambiguïté de la situation - une indivision de
fait - leur est d'une certaine manière profitable.
Le cas de figure est original
: il s'agit d'un territoire (déclaré) suisse sans citoyens suisses ; ils ne
relèvent pas des communes helvétiques, n'ont aucun droit politique dans le pays
de Vaud, pas même celui de bourgeoisie de la commune qui tient leurs registres
d'état-civil ; majoritairement catholiques, les paroissiens communient aux
Rousses ou à Prémanon (c’est-à-dire en France) mais inscrivent naissances,
mariages et décès chez le pasteur de Saint-Cergue (en Suisse) ! Par contre, la
contrebande est florissante car juridiquement il y a un flou dont mêmes des non
juristes savent profiter allègrement !
Le canton de Vaud se prévaudra,
dans toutes ses négociations, des droits et devoirs qu'il exerce, sa
souveraineté de fait sur les Dappes : outre la tenue des registres d'état-civil
et des terriers[18],
les Vaudois :
avalisent
les actes notariés ; contrôlent les tutelles, le système hypothécaire, la
chasse ; exercent la justice mais elle connaît des limites suivant la
nationalité de l’auteur des délits ; appliquent les droits forestiers ;
pratiquent la levée des corps ; perçoivent les impôts[19] et
taxes ; gèrent l'instruction publique et appliquent la police sanitaire et
routière[20].
Alors pourquoi la France
tient-elle tant à cette petite portion de territoire ? Pour répondre à
cette question, il faut inscrire cette affaire des Dappes dans son contexte
européen. La France avait besoin d'une Confédération suisse militairement sûre
et surtout avec un territoire au sein duquel un conflit interne ne soit pas
prétexte à l'intervention d'une puissance tierce. Elle pense essentiellement à
une menace de l'Autriche dont la Suisse la sépare, et se préoccupe du sort de
l'Italie, qui est en train de se constituer, au demeurant pas exactement selon
ses vœux[21].
Le Fort des Rousses a été construit à 3.5 km de la frontière suisse en vue d’une
opération militaire en faveur de l’Italie et soutenir trois lignes d’opération
sur le territoire suisse contre l’Autriche.
Difficiles négociations de
1818 à 1850
Diverses solutions[22]
sont envisagées et âprement discutées entre nos deux pays mais sans aucun
résultat : achat du territoire par la France; conservation de la vallée
par la Suisse mais libre usage de la route consenti à la France ;
construction d'une autre route et partage de la vallée ; fixation de la
limite sur la route...
En Suisse, les experts
militaires sont très divisés quant à l’utilité de cette portion de terrain en
cas de conflit : les débats sont vifs ; les esprits s’échauffent[23]
et le contexte de l’affaire de Savoie envenime les discussions. La presse
internationale s’empare aussi du sujet.
Napoléon III, Dufour et les
lignes ferroviaires
Le Président de la
Confédération suisse Jacob Stämpfli, qui avait eu des prises de position très
fermes lors des affaires de Neuchâtel et de Savoie, a été un des précurseurs du
développement des chemins de fer en Suisse. Il fera en sorte de mettre un point
final à ce dossier des Dappes pour ne pas mettre en péril l'économie de son
pays.
Les arguments militaires
changent en raison même du nouveau maillage ferroviaire en France comme en Suisse.
Cette volonté politique helvétique
trouve un écho chez Napoléon III, qui doit beaucoup à la Suisse où il a résidé
lors de son exil[24].
Pour ne pas placer l’Helvétie dans une position délicate, on lui sait gré
d'avoir quitté sa retraite d'Arenberg. Un lien personnel joue un rôle décisif :
il a reçu une formation militaire à Thoune, où il a fréquenté des officiers
supérieurs suisses dont Dufour, le futur rapporteur au Conseil des États, en
faveur de la convention qui mettra fin au conflit du val des Dappes. En 1862, l'Empereur
ayant modéré l'intransigeance de son ministre Thouvenel, un accord, mis en
discussion depuis 1858, est trouvé.
Traité du 8 décembre 1862
L'arrangement répond à la
dignité nationale : le principe d'une indemnité pécuniaire au profit de
Vaud a été écarté car il aurait donné au traité l'apparence d'un marché, d'une
vente, à deniers comptants, du territoire national et de ses habitants. Il
sauvegarde les intérêts militaires de chacune des parties. De plus, il y est
tenu un juste compte des intérêts fédéraux, cantonaux et locaux[25].
La nouvelle de la conclusion du traité, dont la dernière phase de négociation
est restée très confidentielle - tant et si bien que Vaud l'apprendra par les
journaux ! - fait sensation. Ce canton s'estime lésé et humilié, mais il
sacrifie à l'intérêt général.
Que dit le traité ? Pour
l’essentiel, il prévoit un échange de territoires : pour la France, le
Mont des Tuffes et ses versants jusques et y compris la route des Rousses à la Faucille
ainsi qu’une bande de terrain d’une largeur de 150 m. à l’est de cette route
contre, pour la Suisse, un territoire de même superficie (756.5 hectares) qui
longe le Noirmont depuis la Cure. Il est spécifié que cet échange est accepté à
la condition qu’aucun ouvrage militaire ne s’établisse sur les deux portions de
territoires échangés. (carte 3 ci-dessous)
Questions pratiques posées
par le traité
L'article III du traité - qui
prévoit que les habitants désireux d’adopter la nationalité suisse peuvent le
faire sur ces deux territoires-, est celui dont la rédaction posa le plus de
problèmes : peu entre Paris et Berne mais beaucoup plus entre Berne et
Lausanne[26],
à cause de la forte réticence des Vaudois à acquérir de nouveaux citoyens
catholiques dans un canton protestant et sans droit de bourgeoisie d'une
commune qui, en les partageant ainsi avec plus de personnes, diminuerait ces
mêmes droits[27] !
Si l'on s'en tient au
recensement du 3 novembre 1858, la question de nationalité concerne 137 âmes :
123 personnes se répartissent dans 23 ménages, auxquelles s'ajoutent 14
célibataires. 55 personnes sont à être considérées comme étrangères à la vallée
car nées dans le département du Jura. 82 personnes sont natives de cette vallée
et y ont habité. 30 sont propriétaires, les autres ne possédant pas
d'immeubles. Le canton de Vaud ne veut considérer aucune de ces personnes comme
Suisses, et refuse de prendre à sa charge les frais de naturalisation. Cette
question est l'une de celles que souleva l'exécution du traité… mais le
conflit du val des Dappes appartient dès lors au passé. Quoique ! Un site
Internat français dans les années 2000 demandait le retour du Noirmont à la
France. Gageons que cela ne sera pas une nouvelle source de conflit !
Conclusion
La persévérance, l’attente des
moments opportuns pour des intérêts communs, les liens personnels entre les
responsables politiques ont pesé plus
que la simple application du droit ou que la force militaire : il a fallu
du temps au temps pour aboutir à une solution. L’évolution du dossier a dépendu
de nombreux facteurs qui n’apparaissent pas tous dans les négociations
diplomatiques ou politiques : en ce sens, l’affaire du val de Dappes est
un cas d’école en matière de négociation territoriale devant respecter les
sensibilités fort diverses des parties impliquées dans ce conflit de frontière
franco-suisse.
Antoine Schülé
[1]
Cf. SHAT, article 4, section 1, § 4, carton 2 : frontière de Suisse ou du Jura.
[2] Discours à la séance du corps législatif du 10 mars
1862.
[3]
Un représentant du Roi de France a dit à un Commandant d’un Régiment
suisse : « Avec tout l’or que
la caisse royale vous a versé, nous pourrions paver d’or une route de Paris à
Berne ! » et il reçût la
réplique suivante : « Avec le
sang des Suisses versé pour la France, nous aurions alimenté un canal de notre sang de Berne à Paris ! ».
[4]
1564, Traité de Lausanne entre le duc Emmanuel-Philibert de Savoie et
Berne : cette dernière restitue au premier les bailliages de Gex, de Ternier
et de Thonon. Berne garde Vaud. La frontière entre le pays de Gex et celui de
Vaud est déterminée dans l'instrument de paix (avec les procès verbaux des
bornages de 1568 et de 1574). Les trois limites de souveraineté de Vaud sous
régime bernois, du Pays de Gex savoyard et de la Franche-Comté espagnole se
rencontrent en la vallée des Dappes.
[5]
1648, Traité de Westphalie et recès de 1648 et de 1649, à la suite desquels
l’Espagne accorde le val des Dappes et le Mont des Tuffes à Berne ; le
versant oriental du Noirmont (territoire des landes) est attribué à la
Franche-Comté, ce territoire qui a attisé depuis plusieurs siècles les désirs
de conquête bernoise.
[6]
1678, Paix de Nimègue : la France annexe la Franche-Comté, conquise en
1674.
[7]
MAE, Paris, Limites, vol. 384 (avec Vaud : 1219-1775), vol. 385 (avec Vaud :
1777-1802); voir notamment les divers mémoires de Faton subdélégué de l'intendance
de Franche-Comté à Salins (par exemple celui du 15 mars 1778, annexé à la
lettre du Prince de Montbarey, vol. 385, fol. 25-47).
[8]
Genève a refusé en 1766 le plan de médiation de la France et des cantons de
Zurich et de Berne : d’où fermeture de la frontière par la France !
[9]
Le vieux bourg, aux origines romaines, est Versoix-Bourg ; sous Choiseul
débuta l’aménagement de Versoix-Ville ; les deux furent réunis à la
Révolution sous le nom de Versoix-la
–Raison (phonétiquement, c’est tout un programme !).
[10]
En 1793, ce choix seul chut à la chute de Choiseul mais le port a été créé. Par
le traité de Paris en 1815, Versoix fut attribué au canton de Genève.
[11]
Faussement appelé par des Anglais lac de
Genève.
[12]
A l’origine, l’'idée de réaliser cette route passant par Gex pour se rendre à
Genève est du sénateur Girod de l'Ain, qui pensait essentiellement au
développement commercial de sa région.
[13]
Appelée aussi libération par
certains : sujet encore polémique suivant les religions idéologiques des
historiens.
[14]
La Révolution et Napoléon n’avaient pas reconnu aux peuples le droit de
disposer d’eux-mêmes ; ceux-ci avaient déjà la Liberté !
[15]
Exemple d’un pouvoir centralisateur français qui méconnaît ce qu’est une
Confédération d’Etats souverains, formée par
les Cantons suisses, pour s’entendre avec un Sénat de la République helvétique qui a cru pouvoir
abolir des coutumes multiséculaires (à la base de que nous appelons de nos
jours la subsidiarité).
[16]
Voir carte des Archives Cantonales vaudoises.
[17]
A plusieurs reprises (surtout en en 1818), la France ne manquera pas de
rappeler cette note aux cours alliées.
[18]
C’est-à-dire le cadastre pour employer un terme plus propre à la France
[19]
Les habitants se sont acquittés auprès du receveur de Nyon assez exactement des
sommes dues jusqu'à ce que le comte de Divonne crée un précédent qu'ils vont
imiter et que la situation juridique ne permettra pas de sanctionner.
[20]
Le gouvernement fédéral ne le découvre qu'en 1856 lorsqu'à l'occasion d'un
accrochage, il ouvre une enquête auprès de Vaud, la France demandant que l'on
s'en tienne au statu quo, ce qui signifie pour elle l'abstention des
deux parties et pour le canton l'exercice par ses autorités; Cf. «Rapport du
Juge de paix du Cercle de Gingins au préfet de Nyon», daté du 29 mars 1856,
ACV, K VII b 19/26
[21]
Ce qui aura une influence capitale : en effet, la menace d'un grand royaume au
profit du Piémont amènera Napoléon III à envisager l'annexion de la Savoie à la
France.
[22]
1828, 1835, 1854 et 1857.
[23]
Le colonel Ami Girard, radical franc-maçon,
conseille une occupation militaire et la construction d’un fort Ste
Lucie pour défendre le passage de St. Cergue.
[24]
Une Suisse qui était prête à se battre plutôt que de répondre aux injonctions
de la monarchie française qui souhaitait l'éloigner plus encore de ses
frontières.
[25]
Facteur décisif apparu dans les discussions.
[26]
Capitale du Canton de Vaud.
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