mercredi 13 juillet 2016

Education et instruction selon Rabelais et Montaigne : une mise en contexte.

Education et instruction selon Rabelais et Montaigne :

de l’utopie à l’expérience.

Antoine Schülé, historien

A la mémoire d’Adrien Schülé,
enseignant passionné de pédagogie.
Introduction

Dès le commencement des premiers témoignages philosophiques, connus de nos jours, les philosophes ont disserté sur deux grands thèmes : l’art de gouverner les peuples et l’art d’élever la jeunesse qui, plus tard, est devenu la spécialité des pédagogues. N’est pas pédagogue qui veut : en effet, la pédagogie est plus un art ou un don car le seul savoir ne suffit pas.
La façon de concevoir l’enseignement est lié à une philosophie, c’est-à-dire à une sagesse communément admise, soit imposée, soit voulue par choix ou par la coutume. Elle reste propre à chaque peuple et forme ainsi au final une identité : c’est pourquoi ce sujet a préoccupé tout homme qui, depuis les débuts de l’humanité, est désireux de transmettre une pensée comme un savoir à la postérité. Elle dépend d’une psychologie collective comme particulière et d’une morale dominante, dite religieuse généralement, qui est devenue laïque et qui, dès lors, s’appelle non plus une morale mais une «éthique », fruit d’une idéologie, pouvant être acceptable ou inacceptable selon les valeurs admises.

Hier comme aujourd’hui, tous les gouvernements s’attachent à maîtriser d’une façon ou d’un autre la formation de la jeunesse : l’avenir d’une société en dépend et l’histoire nous l’apprend pour le meilleur et pour le pire, selon les valeurs que cette société a cultivé ou cultive. Rabelais et Montaigne alimentent la réflexion de leurs considérations et méritent sous cet angle précis, de l’éducation et de l’instruction, toute notre attention.

Nos deux auteurs ont formulé leurs visions et leurs expériences sur l’éducation, liée plus à la famille, et l’instruction, délivrée individuellement à un élève ou à un nombre réduit d’élèves. Rabelais, extraverti, a été souvent opposé à Montaigne, introverti, mais tous les deux délivrent leur intelligence des faits avec une sensibilité qui leur est particulière. Avec une comparaison de leurs considérations sur l’éducation et l’instruction, je tenterai brièvement de discerner la nature de leur originalité par rapport à leurs prédécesseurs et la trace qu’ils ont laissée à la postérité.

Pour éviter toute confusion, une précision sémantique s’impose au préalable :
·       L’éducation inscrit l’enfant[1] dans la famille et la société où il est né ; elle lui apprend un jugement prudent, reflétant les normes et conventions communément admises par son entourage.
·       L’instruction forme le raisonnement mais n’oublions pas que la raison ou la logique peuvent produire parfois aussi des conclusions fausses, comme de brillants «experts»[2] nous en ont fait ou font trop souvent la démonstration ! Soyons positifs : la Vérité existe sous différentes facettes et chacun, selon son degré de connaissances, peut en maîtriser une ou quelques-unes mais jamais toutes malheureusement, à moins d’être dévoré d’orgueil (cela existe, il ne s’en rencontre que trop). Reconnaître sa part d’ignorance au sein de ces vastes mondes du connu et de l’inconnu, est la seule façon d’ouvrir sa quête de vérités et de prospecter de nouveaux chemins de savoir avec celles et ceux qui possèdent d’autres sciences, d’où l’utilité de voyager, de discuter et d’observer comme les héros de Rabelais ou un Montaigne.
Rabelais observe la société et les hommes. Montaigne observe l’homme dans la société. Sans aucune indulgence, ils nous offrent deux regards particuliers, l’un au début et l’autre à la fin du XVIe siècle. Trop souvent, ces deux auteurs ont été opposés l’un à l’autre car leurs styles diffèrent mais leur objectif est identique : répondre à la devise de Socrate «Connais-toi toi-même.».
Contexte général
L’Antiquité grecque a permis la floraison de méthodes attrayantes que la Renaissance redécouvrira. Aristote a construit une théorie de l’éducation progressive. Au Moyen Age, l’école du peuple, recevant une instruction de base, est au service de la théologie. La Réforme[3] a aussi poursuivi dans ce sens et de manière encore plus forte que l’Eglise. Les Jésuites en ont si bien pris conscience qu’ils sont vite devenus des spécialistes de l’enseignement pour plusieurs siècles. L’instruction donnée garantit une fidélité à une doctrine, qu’elle soit catholique ou protestante.
A Nîmes, Claude Baduel (1491-1561) est une figure calviniste très représentative. Humaniste méridional, il mériterait d’être mieux connu. Ses 111 pages, écrites en latin, sur l’éducation[4] reflètent très concrètement pour des enseignants les idées que Rabelais et Montaigne nous proposent.

Délivrer des connaissances pour l’étude de la religion était l’objectif premier. La connaissance devient un acte d’admiration de la Création voulue par Dieu. Aussi bien chez les Réformés que chez les autres Chrétiens, la pensée dominante est de se préoccuper du salut, de la préparation de l’âme à la vie future[5].
Par contre, les méthodes d’enseignement ne cesseront pas d’évoluer ou de régresser, selon divers tendances venues de l’Antiquité, chacune prenant ou rejetant des caractéristiques : à ce jour, tout a été essayé, avec des résultats très contrastés !

La Renaissance a privilégié les leçons de l’observation, selon les principes d’Aristote : Montaigne en est le meilleur exemple. L’enseignement par les choses est une idée que reprendra et développera Rousseau. Durant la Renaissance, les principes fondamentaux de la pédagogie moderne sont retrouvés et rétablis. Il ne s’agit pas d’une nouveauté pédagogique mais d’un nouvel élan : n’oublions pas que rien ne se crée de rien. Il y a un avant et un après en toute chose.

Au XVIIe s., avec Port-Royal notamment, la justesse parfaite d’esprit et la droiture du cœur, éléments essentiels valorisés au siècle précédent,  reprennent toute leur importance : ce fut mal considéré, jugé comme dangereux et leur expérience reçut un point final. Les Jésuites, entre autres[6], les supplanteront en cultivant, à leur début, un savoir rigide plutôt qu’une quête de savoir[7], ce qui changera au XIXe s.. Retenons que c’est à partir de Comenius[8] (1592-1670) que les principes de l’éducation moderne se sont diffusés dans le monde de la Réforme.

Avec 1792, les idées sociales pèsent de tout leur poids : l’homme est considéré comme un animal politique. De ce principe, il suffit de connaître, aimer, servir la Constitution donc la Nation. Le jugement, les qualités morales, la religion deviennent des notions secondaires. Il est intéressant de constater que cette vision poussée à outrance à favoriser ce culte de l’Etat qui existait déjà au temps de l’Empire romain, entre autres, et que nous retrouverons dans les Etats communistes (URSS dans son ensemble et la Chine, encore de nos jours) comme dans l’Allemagne nazie ou l’Etat fasciste, avec des variantes très diverses quant à la forme mais de même nature quant au fond : seuls les idéaux faisant les réelles différences.

Aux origines connues de l’instruction en Occident
Pour les esprits curieux, il est utile de relever quelques traits essentiels qui proviennent de l’Orient, c’est-à-dire du Tibet, de la Chine et du Japon, sans oublier les Indes. Il y a une filiation de pensée en matière d’éducation et d’instruction exigeant une vision globale, selon les connaissances possédées en notre temps. Le lecteur pressé peut tout de suite lire plus bas l’éducation en Grèce car la Renaissance y a trouvé ses racines.  

La pédagogie est liée à la conception du monde, de l’homme et de sa destination. En Orient, le poids de la religion sur l’éducation est total : les prêtres sont à la fois les conducteurs du peuple et les premiers instituteurs. Leur tâche est de transmettre la tradition qui communique des dogmes intangibles et simples : être conforme à la nature, c’est être conforme à la tradition. Il n’y a pas à vrai dire de méthode pédagogique, ni une éducation.

Cependant, il y a eu deux timides réformateurs : Lao Tseu et Confucius.
·       Lao Tseu a voulu lutter contre la routine mais ce fut un échec.
·       Confucius a cultivé une morale utilitaire (qui, pour une part seulement, plaît encore, tout spécialement de nos jours : une des facettes de la laïcité) : un respect ferme des institutions existantes, autorité de l’Etat et de la Famille. Ne pas observer la coutume reste, selon lui, une faute ; de même, l’innovation est une folie. La stabilité est gage de sécurité sociale. L’éducation est réservée aux garçons, pas aux filles. Une formation plus particulière est donnée à ceux devant exercer l’autorité de l’Etat.
L’éducation reste extérieure : la technique du «paraître» est prédominante alors que Confucius demandait aux serviteurs de l’Etat de cultiver le raisonnement, comme un Socrate le prêchera aussi plus tard, mais au seul service de l’Etat. Pour les emplois publics, de nombreux examens sont exigés, les mandarins sont les Enarques de ce temps.

Au Japon, le système est le même avec une différence notable : l’éducation est donnée aussi aux femmes.

En Indes, l’école se pratique sous un arbre ou sur une place publique. La pédagogie cultive une originalité (qui se retrouvera en Europe, au XIXe s. voire jusqu’aux années 1930, avec une classe à plusieurs niveaux) : la pratique de l’instruction mutuelle. Le maître dispose d’un adjoint et les élèves les plus âgés enseignent à leurs cadets, sous le contrôle du maître. Le statut de l’instituteur est au-dessus du père biologique, il est un père spirituel. La punition corporelle consiste à jeter de l’eau froide sur l’enfant coupable. Le maître est payé en nature, en cadeaux.

En Egypte, les écoles de Thèbes, de Memphis, d’Héliopolis et de Saïs sont réservées à la caste des prêtres. Les sciences et les arts sont enseignés : écriture, lecture, histoire, philosophie, physique, médecine, mathématiques, astronomie, architecture, arts plastiques. L’éducation donnée en Perse nous est connue par la Cyropédie[9] de Xénophon.

En Judée, le but de l’éducation est que tout enfant devienne un serviteur fidèle et obéissant de Celui[10] dont le nom ne se prononce pas. Cela consiste à observer les dix commandements et les multiples commentaires de la Loi ainsi que de respecter les prescriptions religieuses à la lettre, si ce n’est dans l’esprit. De nombreux principes d’éducation, que reprendront les Réformés, se trouvent dans l’Ancien Testament : les Proverbes, l’Ecclésiaste.
Pour les premiers Chrétiens, le modèle d’éducateur est Jésus Christ. Il offre une éducation plus humaine  et plus divine tout à la fois. Il se caractérise par la profondeur de la pensée. Il emploie une méthode à caractère populaire et intuitif. Surtout, il donne l’exemple[11]. Il utilise des paraboles se référant à la vie quotidienne de chacun. Le réalisme de sa pédagogie est simple : partir du concret pour s’élever à l’abstrait.

Grèce :
L’éducation s’adresse à une minorité et se met au service de l’Etat. Aucun jeune écolier ne doit oublier que le mot école vient du grec skolè, signifiant jeu : l’école vue comme un loisir, n’est-ce pas réjouissant ? Elle prépare l’enfant à être un homme robuste de corps et délicat d’esprit. L’homme idéal est beau et bon (comme les sculptures en témoignent). Deux écoles, bien différenciées se profilent : Athènes et Sparte. L’Europe connaîtra ultérieurement dans l’espace temps des combinaisons infinies de ces deux modèles, comme nous le verrons brièvement par la suite.   

Athènes : L’école n’est pas assurée par l’Etat mais la famille. Le père enseigne le jeune, qui - à son bas âge - était éduqué par la mère,  à devenir un homme accompli.  Plus tard, l’enfant était parfois confié à un « pédagogue » qui pouvait être un esclave : le surveiller, le conseiller et le conduire à l’école privée - élémentaire -  pour y étudier la lecture (essentiellement avec les œuvres d’Homère), l’écriture, le chant et un instrument (lyre ou cithare). Seules, les écoles supérieures délivraient les sciences exactes et la philosophie.
Une originalité : la mise en valeur de l’éducation physique (palestre, gymnase) qui comprend : saut, course, jet de disque, jet de javelot, lutte. Apprendre à nager est important. La phrase usuelle à Athènes pour désigner un homme ignorant : « Il ne sait ni lire, ni nager. »
Elément à souligner : le développement harmonieux du corps et de l’esprit. S’il n’y a pas une éducation morale au sens où nous l’entendons aujourd’hui, une culture des sentiments esthétiques par contre ne cesse de croître.

Sparte : l’éducation spartiate est dure, austère, positive, peu idéaliste, amie de la règle et de l’ordre. Lycurgue est un adversaire de la liberté individuelle (contrairement à l’Athénien Solon qui en était un chaud partisan). L’individu est au service de l’Etat. L’esprit est facilement sacrifié au sport. Faire du jeune homme un athlète, pour être un combattant, prime.
Le Conseil des Anciens décide si l’enfant né doit vivre ou mourir : les faibles et les estropiés sont éliminés[12]. A l’âge de 7 ans, l’enfant est à l’école aux frais de l’Etat. Les cheveux sont coupés ras ; il marche nu-pieds ; il couche à la dure. Les marches forcées développent l’endurance. La gymnastique et la musique sont privilégiées. Par contre, le théâtre et la rhétorique sont défendus. L’éducation des filles se résume à en faire des mères accomplies.

Contexte du XVIe siècle
Plusieurs écueils doivent être évités lorsqu’il s’agit de traiter de l’éducation au XVIe s. Nous ne sommes pas face à des cultures nationales mais en une présence vivante d’une culture européenne. Des Etats allemands en passant par les Etats confédérés (la Suisse), les Pays-Bas actuels, les villes italiennes, espagnoles et l’Angleterre, il y a quelques différences mais surtout de nombreux points communs.
Les historiens de l’éducation, dès le XIXe s., ont tendance à limiter leurs études à leurs frontières nationales : cela a prédisposé à donner des visions fausses et parfois ridicules. Rabelais comme Montaigne doivent leurs idées à des auteurs de l’antiquité grecque (Socrate, Platon, Aristote)  et latine (Quintilien, Sénèque, Xénophon) mais aussi et surtout à des Erasme, des Pays-Bas et Bâle, à Thomas More[13] d’Angleterre, à Luis Vives d’Espagne…
Au XVIe s., différentes formes d’enseignement coexistent : les ecclésiastiques donnent des cours réservés au futurs prêtres et à quelques élèves externes. Toutefois, la noblesse d’armes privilégie une formation solide où dominent les exercices physiques. Les familles bourgeoises donnent une éducation se limitant aux besoins de leurs vocations professionnelles : lire, écrire et compter. Les Universités sont des lieux de parole où se pratiquent toutes les méthodes possibles et imaginables. Les étudiants proviennent de diverses classes sociales : un chevrier, un fils de noble, un riche bourgeois, un paysan instruit par des prêtres d’une petite commune, etc.
Il est tout simplement impossible de réduire l’enseignement scolaire et universitaire à ce que nous écrit Rabelais. Ce serait une vision fausse, une caricature. Par contre, Rabelais a souligné des travers qui pesaient chez certains enseignants possédant une renommée surfaite, afin de mettre en valeur les principes d’éducation et d’instruction qu’il estimait justes.

De façon générale, l’éducation commençait à l’âge de trois ans, dans le milieu familial ; vers 6 ou 7 ans commençait l’instruction qui s’achevait entre 14 et 16 ans. A 14 ans, il n’y avait plus d’enfant mais un jeune adulte, un adolescent, dénominations qu’il conservait jusque vers les 35 ans. Les « universitaires », une minorité, prolongeaient leurs études jusque vers les 20-22 ans. L’instruction professionnelle, intéressant pourtant une majorité de jeunes, se faisait au sein des corporations : ni Rabelais ni Montaigne n’en font mention.

***

Les cinq livres de Rabelais constituent un roman fleuve où il s’oublierait parfois trop facilement que l’intention  de Rabelais est d’instruire en riant : il a des plaisanteries lourdes pour satisfaire l’homme de chair qui y trouve ainsi son compte ; il peut aussi satisfaire l’homme qui - conscient de son corps - n’oublie pas qu’il possède aussi une âme. Par le rire, par la soif de connaissance satisfaite, il décrit une quête de vérités. Boire délie l’esprit et fait dire tout et n’importe quoi : seul l’homme au jugement sûr a la capacité de faire la part de ce qui est expression de l’ignorance, de la volupté seule ou de la fine compréhension des faits. Il use d’une méthode appliquée parfois à l’excès : ne pas craindre les paradoxes pour mieux éclairer la connaissance la plus sûre, toujours à vue humaine. 

Pourquoi lire et apprendre ? Rabelais invite son lecteur à rechercher la substantifique moelle. Montaigne, quant à lui, dira rechercher  le suc et la substance. Vous avez là ce point commun qui permet de comparer utilement nos deux auteurs.
Rabelais ne craint pas une dialectique délirante pour singer les sophistes et ainsi atteindre son but. Montaigne préfère le soliloque, à vrai dire un permanent dialogue avec lui-même, sans fard, sans illusion, sans prétention, pour chercher la voie la plus sûre d’approcher les vérités. Deux recherches, par des moyens différents, pour atteindre le même but. Tous deux nous instruisent que la vie ne cesse pas de nous instruire et qu’il ne faut point se fier aux apparences. Chacun peut avoir sa créance, sa croyance, pourvu qu’il soit en quête de vérités et ne soit pas enchaîné avec de fausses certitudes : d’où l’utilité du doute (mais provisoire et non permanent !), de la discussion pour aboutir à un jugement sain afin d’établir une opinion fondée et, non, pour tomber dans le nihilisme, dans le relativisme ou un syncrétisme absurde[14].

Rabelais

Pour rapidement découvrir l’éducation idéale selon Rabelais, il convient de lire tout spécialement les chapitres XXI à XXIV de Gargantua. Contrairement à Montaigne qui nous fait part de son expérience et de ce qu’il estime, en son âme et conscience, être une éducation et une instruction idéales, Rabelais quant à lui nous développe une utopie, dans l’ensemble de son œuvre écrite. Toutefois, il faudrait être aveugle pour ne pas observer que son utopie ouvre une parenthèse très pragmatique, là où il traite d’éducation et d’instruction.

En Gargantua, au chap. XIV, Rabelais critique une forme d’enseignement qui s’est dévoyée au XIVe s. La scène est la suivante : Grandgousier, ayant le jugement formé selon la pensée d’Aristote, analyse les prédispositions de son fils Gargantua. Grandgousier est ainsi un sage très positif dans ce livre. Nuance importante quant à la critique par Rabelais des aristotéliciens, du moins de ceux qui revendiquent ce titre à la Sorbonne et qui n’en sont que des caricatures. A propos de son fils Gargantua, Grandgousier déclare : « … je connais que son entendement participe à de quelque divinité, tant je le vois aigu, subtil, profond et serein, et parviendra à degré souverain de sapience, s’il est bien institué (= éduqué, = instruit)[15].  

Rabelais critique les excès commis au nom d’Aristote : malheureusement, une mode est née et a propagé l’erreur que tout ce qui est d’Aristote est à rejeter. Notre auteur lui-même doit beaucoup à Aristote et je tenterai de vous le démontrer. Pour cela, il faut remonter aux sources qui alimentent aussi bien Rabelais que Montaigne. La pensée grecque commençait à être redécouverte au XVIe s. dans des œuvres intégrales. Précédemment, elle n’était connue que par des extraits et des sentences réunis dans des recueils. De grandes pages sur l’éducation, rédigées ou pensées par Xénophon, Pythagore, Socrate, Platon sont ainsi analysées et commentées.

Ce qui est dû à Socrate
Rabelais et Montaigne doivent beaucoup à Socrate pour la méthode : au « Je ne sais qu’une seule chose que je ne sais rien. » de Socrate, Montaigne dira « Que sais-je ?»[16]. La méthode socratique est la maïeutique, l’art d’accoucher les esprits par des questions. Socrate n’impose pas un message : il privilégie un questionnement perpétuel, permettant d’approcher d’un vrai, de toute façon jamais atteignable mais ayant le mérite d’éliminer les « erreurs  de jugement», comme le dira Montaigne. Rabelais ne cesse pas cette pratique dans des dialogues étourdissants, avec une volubilité verbale déconcertante parfois ; de même, Montaigne avec son art de tourner et retourner une question dans tous les sens et à plusieurs reprises !
L’élève, mais aussi le lecteur de Rabelais ou de Montaigne, devient ainsi l’artisan de son propre savoir en confrontant ses opinions à d’autres opinions. La méthode de ce dialogue, qui réveille l’esprit, sera reprise bien plus tard par Pestalozzi qui influencera de nombreux pédagogues du XXe s. Au XIXe s. déjà, la « méthode active »  en est un des fruits : un refus de la passivité dans laquelle l’enfant était trop souvent maintenu. Une conversation, un art du dialogue avec les élèves est un art difficile et demande une grande souplesse intellectuelle de l’enseignant[17]

Quand Socrate voulait combattre l’erreur, réfuter les opinions fausses, il avait recours à l’ironie socratique : retenons que primitivement le mot grec qui a donné naissance en français au mot ironie signifie interrogation. La priorité de Rabelais et Montaigne est bel et bien d’écarter les idées fausses. Ne venez pas me dire que cela n’est pas un sujet d’actualité. Bien entendu, comment déterminer qu’une idée est fausse, est la première question à se poser : la réponse est d’ailleurs dangereuse quand elle ne correspond pas à ce qui est communément admis !

Socrate n’a pas laissé d’écrits : il y a là une ressemblance avec le Christ et les druides qui se refusaient à l’écrit. Peut-être n’avaient-ils pas tort lorsqu’on voit comment les textes peuvent être interprétés, parfois dans un sens contraire à leurs intentions initiales. Ses idées ont été transmises par ses disciples dont Platon que, d’ailleurs, Xénophon accusait de trahir la pensée de Socrate !

Platon propose un idéal et développe une utopie pédagogique et sociale. L’éducation est la tâche la plus importante de l’Etat : l’efficacité de l’éducation est telle qu’elle suffit à maintenir l’homme dans la vertu et rend ainsi les lois pénales inutiles. L’éducation rend l’homme parfait[18]… Dans son ouvrage « Les lois », Platon se montre plus réaliste : des prescriptions et des peines sont prévues pour frapper tout homme non retenu par le devoir enseigné. Deux citations de Platon inspirent Rabelais et Montaigne : «Les commencements sont tout dans une nature jeune et tendre dont toutes les parties gardent l’empreinte qu’on leur donne.» ; «La bonne éducation est celle qui donne au corps et à l’âme toute la beauté, toute la perfection dont ils sont susceptibles.».

Aristote apporte la concrétisation des idées socratiques et platoniciennes en formulant une théorie complète de l’éducation. Son expérience est réelle car il a été le précepteur d’Alexandre le Grand. Aristote a fondé le Lycée à Athènes. Il enseignait en marchant et donnait deux leçons par jour. Dans son livre « La politique », les livres IV et V sont consacrés à l’éducation. Aristote distingue trois degrés dans le développement l’homme : la vie physique, l’instinct, la raison. Il s’agit donc de graduer l’enseignement selon ces trois échelons de la personne. Aristote a imprégné tout le Moyen Age en matière d’éducation, comme pour la philosophie, jusqu’à Bacon : il privilégie déjà l’observation directe, la libre recherche. Deux principes que des sachants, et non des savants, ont oublié, préférant être des perroquets du savoir : réciter sans comprendre[19]. Il y en a encore de nos jours, sans avoir lu une seule ligne d’Aristote mais se gargarisant de phrases, bien conformes à la pensée dominante et déclarées cependant innovantes[20], et pourtant bien éculées !

Critique d’une forme d’enseignement
Revenons à Grandgousier, ce père conscient des bonnes dispositions naturelles de l’enfant à recevoir une instruction. Il engage un précepteur privé, un grand docteur sophiste, c’est-à-dire un théologien : Maître Thubal Holoferne qui mourra de la vérole en 1420[21], soit 33 ans plus tard, la caricature d’un enseignant des années 1380.
Son programme : un temps long consacré à ne connaître que l’alphabet ; lire les lettres, sans comprendre les mots[22], est le brillant résultat ! Il apprend aussi l’écriture mais elle est gothique[23], donc allemande. Les lectures ne sont pas les grands auteurs classiques mais des extraits[24], choisis par des grammairiens, de recueils de conseils moraux que l’élève apprenait par cœur.

Le successeur de Thubal Holoferne est un vieux tousseux, Maître Jobelin Bridé. Rabelais offre une longue liste d’ouvrages en usage dans les écoles : certains ayant existé et d’autres sont de pures inventions et dont les titres sont d’amusantes fantaisies.
Cependant, Grandgousier constate au final que Gargantua n’acquiert pas l’essentiel : la sagesse[25]. Nous sommes au chapitre XV : « Alors son père aperçut que vraiment il étudiait très bien et y mettait tout son temps, toutefois qu’en rien ne profitait et qui, pis est, en devenait fou, niais, tout rêveux et rassoté (= radoteur).»[26]. De la discussion avec un proche, Grandgousier apprend  pour Gargantua : « que mieux lui vaudrait ne rien apprendre que de tels livres sous de tels précepteurs apprendre, car leur savoir n’était que bêterie[27] et leur sapience n’était que niaiseries, abâtardissant les bons et nobles esprits et corrompant toute fleur de jeunesse.»[28]

Un jeune étudiant, âgé de 12 ans et ayant fait deux ans d’études, est proposé à Grandgousier afin de comparer son aisance oratoire face à Gargantua, accumulant trois décennies d’études derrière lui : Eudemon (mot grec = heureux, fortuné[29]). Il s’agit d’un orateur, éloquent pour tourner des compliments et Gargantua reste confondu : il en pleure et, quant à lui, ne peut dire un mot ! Jobelin est congédié. Ponocrates (mot grec = résistant, dur à la fatigue, résistant[30]), le pédagogue d’Eudemon, le remplace.

Au chapitre XIX, la harangue de Maître Janotus de Bragmardo[31]  caricature le discours imbécile et pontifiant que nous retrouvons parfois à la radio ou à la télévision, quand ce n’est pas dans les débats politiques ou certains colloques, avec des paroles d’experts, de consultants[32] ! Au chapitre XX, Ponocrates et Eudemon éclatent de rires devant cet âne jouant au savant : cela serait très mal vu de nos jours !

Le chapitre XXI s’attaque avec vigueur à l’éducation selon les sophistes. Pour commencer, Ponocrates laisse Gargantua dans ses habitudes pour l’observer : une qualité du vrai pédagogue est d’observer son élève pour adapter l’enseignement à ses forces comme à ses besoins. C’est l’occasion pour Rabelais de dépeindre de façon caricaturale l’éducation professée par les sorbonagres[33] !
Une mise au point est nécessaire : certains commentateurs ont voulu faire de ce texte une critique de l’éducation médiévale, le fameux manuel scolaire des Lagarde et Michard notamment. C’est quasiment la doctrine enseignée. Or, il n’est rien de plus faux. Rabelais critique certains enseignants : il use de la satire, de la caricature. Critiquer les défaillances du système scolaire, ce n’est pas critiquer l’école de son temps, c’est la défendre ; de même chez Rabelais, critiquer les défaillances de l’Eglise, ce n’est pas contester l’Eglise (ainsi que certains Réformés ou laïcistes ont voulu le prétendre) mais c’est défendre une Eglise digne des Evangiles[34]. Ces deux aspects apparaissent clairement pour celle ou celui qui veut lire Rabelais, sans se mettre les œillères imposées par les interprètes, postérieurs à Rabelais et l’instrumentalisant selon leurs desseins[35] !

Critiques principales d’une forme dévoyée de l’enseignement :
Le manque d’hygiène de vie est un aspect qui intéresse le Rabelais médecin; le manque d’exercice physique est nuisible à un développement harmonieux du corps et de l’esprit; Mener une vie végétative et manger animalement sont vigoureusement critiqués. Gargantua ne mange pas, il se bâfre.
Le paraître est cultivé lorsque le poids du livre équivaut au poids d’une culture aux yeux de profanes. Des prières longues, non pensées et ânonnées, au lieu d’être brèves et pensées et dites avec cœur, sont dénoncées.

L’éducation seule de la mémoire au détriment du jugement est une critique qui pourrait encore se formuler de nos jours[36]. Mémoriser des données, non utilisables dans la vie et non pour l’action, sera aussi regretté par Montaigne.
L’habillage de l’ignorance, sous une fine couche de savoir, se pratique avec des commentaires inutiles, des raisonnements mécaniques[37] : un emploi dévoyé des principes d’Aristote est illustré.

Après l’analyse d’un programme journalier, très peu de temps est accordé finalement à l’étude vraie : une petite demi-heure et encore, pendant ce temps-là, l’âme était déjà à la cuisine !

Chap. XXII, les jeux de Gargantua
Rabelais donne une liste des jeux auxquels se livrait Gargantua. Les jeux étaient le fléau que devaient combattre les enseignants : les punitions corporelles étaient prévues pour les jeux de dés, de cartes, d’échecs. Or le jeu, nous le verrons plus bas, est aussi un moyen d’instruction. Des auberges, accueillant la jeunesse fortunée, proposaient des filles qui avaient des préoccupations autres que la culture : à une tête bien faite, elles préféraient les bourses garnies...

Uniquement boire et dormir était un programme de vie que Rabelais ne donne pas en exemple mais qu’il réprouve : cela ne l’empêche pas de défendre le bien manger et le bien boire qui forment ensemble un art.

Chap. XXIII : l’éducation et l’instruction idéales.
Une méthode pédagogique est proposée par Rabelais : s’adapter aux connaissances de l’élève pour le faire évoluer selon ses forces. Ponocrates observe son élève et effectue des mutations progressives afin de l’instruire de façon correcte : « Quand Ponocrates connut la vicieuses manière de vivre de Gargantua, délibéra autrement l’instituer en lettres, mais pour les premiers jours le toléra, considérant que Nature n’endure mutations soudaines sans grande violence[38] .

Caustiquement Rabelais détermine l’ « enseignement » reçu par Gargantua : à la demande de Ponocrates, le médecin Théodore, dont le nom signifie « don de Dieu[39]», prescrit au fils de Grandgousier une purgation selon les règles et «par ce médicament lui nettoya toute l’altération  et perverse habitude du cerveau»[40].

Rabelais se complaît à de longs descriptifs et, pour notre sujet, il n’est pas avare. Il fournit des principes généraux et prévoit des horaires d’été  et d’hiver.

1.    Fréquenter des personnes possédant un savoir est un moyen d’enrichir ses connaissances : vivre « en compagnies des gens savants, qui là étaient, à l’émulation desquels lui crût l’esprit et le désir d’étudier autrement et à se faire valoir.».

Matinée
2.    L’objectif de l’instruction : étudier les lettres et posséder un « honnête savoir ». Pour cela, il faut se lever tôt et avec de bonnes lectures.
Anagnostes (lecteur en grec) lit à Gargantua les pages de l’Ecriture : Rabelais ne fait que reprendre ce qui était souvent pratiqué dans les collèges tenus par les moines. Il n’y a pas là une nouveauté mais le rappel d’un principe qu’il estime bon car il y a beaucoup à apprendre de la Bible, il est possible de faire une histoire de l’humanité, avec ses horreurs et ses beautés.

3.    Une vie religieuse[41] est pratiquée : il faut « révérer, adorer, supplier le bon Dieu, duquel la lecture montrait la majesté et jugements merveilleux[42].

4.    Après s’être cultivé l’esprit, il s’agit de ne pas oublier le corps. La satisfaction de ses besoins naturels est nécessaire.

5.    Explications des points les plus obscurs et difficiles des lectures faites au lever ou à l’étude. Retrouver les commentaires[43] et en discuter pour mieux comprendre et donc apprendre : apprendre sans comprendre arrive encore à des élèves qui ne cultivent que la mémoire et non le jugement qui exige une confrontation d’idées… La discussion entre un maître et un élève est facilitée dans les leçons individuelles. Un élève n’est pas condamné à écouter mais s’initie à débattre.

6.    Observer le ciel et les constellations. L’astronomie n’est pas confondue avec l’astrologie.

7.    Soins donnés au corps tout en répétant les leçons reçues la veille : il y a une mémorisation, mais pas de n’importe quelle façon : Gargantua « lui-même les disait par cœur » mais en les reliant « à des cas pratiques et concernant l’état humain»[44]. Un savoir pour le savoir est vain mais un savoir pour comprendre, appréhender l’homme dans toute la complexité de sa nature, est une nécessité. Montaigne dira la même chose.

8.    Un temps de loisirs doit être prévu : les jeux corporels dans le but d’exercer « les corps comme les âmes[45] »[46]. Le trop de sueur ou/et le trop de fatigue mettent fin aux exercices physiques. Hygiène à respecter et le médecin qu’est Rabelais en a un grand souci : soin à donner au corps après les exercices physiques, avec un changement de vêtement, tout en récitant[47] des sentences étudiées ce même jour.

Midi
9.     L’Appétit, et non la goinfrerie, les invite à se mettre à table : dans on roman fleuve, Rabelais décrit les excès non pour les louer mais pour mettre en valeur une table où se partage la joie des propos ou de lectures plaisantes. Tous les mets servis sont commentés sur leurs vertus, leurs origines et leurs apprêts.  Les livres traitant des ces sujets sont amenés à table pour y être lus et commentés[48].

10.Un jeu clôt le repas de midi : les jeux de cartes ou de dés[49] sont pratiqués non  pour gagner de l’argent mais pour étudier les mathématiques : faut-il sous-entendre une préfiguration du calcul des probabilités qui n’arrivera que bien plus tard dans le champ des connaissances humaines ?

Après-midi
11. Pendant une heure, chanter et de faire de la musique sont accomplis dans la joie, élément que notre auteur précise. Une étude de la voix et des instruments complète cette instruction.

12. Pour la deuxième fois dans la journée, Rabelais insiste sur la satisfaction des besoins naturels.

13. Trois heures d’études sont planifiées : la nécessité des «répétitions» est soulignée ; effectuer des lectures ; tracer et former des lettres mais romaines, cette fois-ci, et non gothiques comme avant.

Sport
14. L’art équestre se pratique sur divers types de chevaux. La voltige équestre s’apprend aussi. Il est prévu le maniement des armes : la lance, la hache, la pique, les diverses épées.

15. Quelques journées sont consacrées à la chasse : tout à la fois un sport et un moyen de connaissance.

16. La natation et la navigation et les activités de montagne (escalade, varappe) sont aussi au programme.

17. En plus du chant déjà vu, l’originalité consiste à exercer la voix, considérée comme un muscle à entraîner : avoir une voix puissante est une nécessité à la chasse ou au combat, dans le fracas des armes et les cris des combattants. Importance de développer le thorax et le souffle pour être un orateur.

18. Le maniement de poids et barres forge le corps en lui donnant une bonne musculation[50].
Soir
19.L’étude des vertus des plantes figure dans les connaissances à posséder : une médecine utile pour l’homme cultivé comme pour le combattant, caractéristique fréquente de ce programme rabelaisien d’études et qui nous permet de repérer les sources utilisées pour le construire, ainsi que nous le verrons ci-dessous.

20. Au dîner sobre et frugal, succède un souper copieux et large[51] : il n’est pas certain que les diététiciens de nos jours offrent ce conseil.

21. Cultiver les plaisirs de la conversation est un art qui s’apprend en même temps que se partagent les plaisirs de la table.

22. Rendre grâce à Dieu clôt le repas du soir. Ensuite, diverses possibilités se présentent : soit faire un peu de chant ou de musique ; soit quelques jeux divertissants ; soit fréquentation  de gens lettrés ou des gens ayant vu des pays étrangers[52].  

23.La journée se termine religieusement : « Puis ils priaient Dieu le créateur, en l’adorant et ratifiant leur foi envers lui, et le glorifiant de sa bonté immense, et lui rendant grâce de tout le temps passé, se recommandaient à sa divine clémence pour tout l’avenir. Ce fait, ils entraient en leur repos. »[53].

Au chapitre XXIV, Rabelais donne en plus les activités à exercer lorsque les conditions atmosphériques sont trop rigoureuses à l’extérieur (pluie ou grand froid).

Les leçons se font auprès du feu et celles du matin restent les mêmes.

Après-midi
·       Au lieu des exercices en plein air et prévus par beau temps : fendre et scier  le bois assurent un bon échauffement ; la peinture ou la sculpture sont des activités recommandées. Jeu d’échecs et de dames pour se divertir et raisonner[54].

·       Des visites chez le forgerons, les lapidaires, les monnayeurs, les métiers techniques (horlogers, tisserands, etc.) annoncent l’esprit encyclopédique.

·       Ecoute des conférences publiques, des plaidoyers d’avocats, de prêcheurs.
Une dispute : sur un thème donné par le maître, chacun des écoliers s’efforçait de briller par ses réparties, le tout prononcé en latin. Ces discussions publiques sont une grande tradition médiévale que Rabelais met à l’honneur : c’est d’ailleurs ce que ne cesse de faire Rabelais dans ses cinq livres mais en français !

·       Au lieu d’herboriser (comme Rousseau le fera), des visites chez les apothicaires apprennent la fabrication et l’emploi de diverses médecines.

·       Des amusements sont aussi honorés : les bateleurs, les jongleurs et encore les « magiciens » afin de deviner leurs ruses.

·       Une fois par mois, un plantureux repas, chaque fois en divers lieux et hors du domicile : banqueter joyeusement en se remémorant des auteurs plaisants. Une belle façon de cultiver la joie de vivre et la diversité des mets régionaux.

« Ainsi fut gouverné Gargantua, et continuant ce progrès de jour en jour, profitant comme entendez que peu faire un  jeune homme, selon son âge, doué de bon sens, en tel exercice ainsi continué, lequel combien que semblât pour le commencement difficile, en la continuation tant doux fut, léger et délectable, que mieux ressemblait un passe-temps de roi que l’étude d’un écolier[55].

Ce programme idéal journalier est bel et bien celui d’un croyant : le plus frappant est que Rabelais ne développe pas, pour une  fois avec ce programme, une utopie mais une pratique ayant existé et qu’il considère comme bonne : il est possible d’en déterminer les sources et il est bon de s’y intéresser.

Pourquoi cette éducation dans l’esprit de Rabelais ? Aboutir à une société idéale en est la finalité : l’abbaye de Thélème dont la devise est « Fais ce que tu voudras.». Toutefois cela ne concerne qu’une élite de jeunes qui sont bons par nature[56] et Rabelais énumère une longue liste des qualités nécessaires pour y être admis afin de cultiver la Beauté et l’Harmonie. Rabelais décrit volontairement la laideur avec crudité : c’est une erreur comme une horreur de la lire avec complaisance. Chacun se doit d’orienter ses désirs uniquement vers le bien et de cultiver une sage modération en tout.

En fait, Rabelais est plus pragmatique sur la finalité de l’éducation dans l’éloge du Pantagruelion. Il le démontre dans le Tiers-livre aux chapitres IL-LII, avec l’éloge du chanvre, symbolisant concrètement l’ingéniosité de l’homme à utiliser ce que donne la nature, pour une amélioration utile à la vie de tous. L’intelligence permet le progrès de la science pour le plus grand bénéfice de l’homme alors que Rabelais en a souligné le mauvais usage dans ses critiques sociétales. Son éloge du chanvre est paradoxal : Rabelais use des arguments à la fois de bonimenteurs et de philosophes. Le tout est progressivement amené afin de toucher le public, des plus crédules aux plus instruits. Son emploi de plusieurs niveaux d’expression en témoigne régulièrement en bien d’autres matières : à chacun de retenir le discours qui lui convient. Cela ne nous empêche pas de goûter le talent de l’auteur à évoluer aussi bien dans l’un et l’autre genre de plaidoyer.

Vivre dans la concorde est essentiel pour les Thélémites : une exigence pour toute association. Là où règnent le mépris, la jalousie, il vaut mieux se fixer la règle de partir, de tout quitter, c’est une vexation pour l’esprit ! La concorde empêche l’anarchie. Les thélémites sont des humanistes parlant les langues, menant vie d’aristocrates comme cela était d’usage depuis le XIe siècle. Qualités intellectuelles, sportives et une place de choix réservée aux femmes en sont les caractéristiques essentielles. Mener une vie épanouie, sans privations excessives et sans excès, est une règle.

Je ne peux pas souscrire à l’affirmation de Pierre Jourda, dans son livre « Le Gargantua de Rabelais» : « le programme éducatif de Rabelais est nouveau ». C’est une fâcheuse tendance des seiziémistes inconditionnels, refusant de voir ce qui a été pratiqué avant les années 1500 ou ignorant tout simplement ce qui antérieur à leur période de prédilection. En effet, en Rabelais, le seul fait nouveau est de ressortir des éléments anciens de traités sur l’éducation, écrits par des auteurs grecs et latins, ainsi que des expériences médiévales pratiquées depuis le XIIIe siècle déjà. Admirer les œuvres de Rabelais, ce n’est pas vouloir le considérer comme le Père de toutes choses et cela le ferait rire !

Avant Rabelais, les traités sur l’éducation n’ont pas manqué et afin d’apprécier les propos de Rabelais comme de Montaigne ensuite, il convient de connaître l’éducation et l’instruction telles qu’elles se sont développées de l’ère chrétienne jusqu’à la Renaissance. Nos deux auteurs y ont là leurs racines, trop méconnues de nos jours et sur lesquelles il convient de jeter quelque lumière.

  
Premiers siècles de l’ère chrétienne
En quelques siècles, le christianisme a modifié des comportements sociétaux, avec de nombreux aléas [57] mais ne considérez que ces derniers serait de la mauvaise foi (assez ordinaire d’ailleurs) : avant, «Ce qui est utile est permis.» ; après : «Ce qui est juste doit être fait.».

La famille reprend un rôle essentiel en matière d’éducation. L’épouse n’a pas rang d’esclave : les mises en valeur de ses qualités, de cœur et d’esprit, parsèment les traités sur l’éducation. Dhuoda[58] d’Uzès en est dans notre région le plus bel exemple médiéval.

L’Eglise s’occupe des âmes : faire des fidèles, accomplis dans des actes[59], est sa tâche prioritaire. Après les persécutions contre les Chrétiens, l’Eglise veut des écoles pour initier les fidèles aux vérités de la Foi : Ephèse, Smyrne, Edesse, Antioche, Jérusalem, Alexandrie sont des noms qui ont marqué les premières diffusions de l’instruction religieuse chrétienne, s’adressant à toutes les générations. Alexandrie reste la plus connue : enseignement de la religion et des sciences[60] expérimentées à cette époque (astronomie et mathématiques). Origène[61] est le maître le plus réputé et sera une référence, plus ou moins bien suivie mais ceci est un autre sujet.

Les lettres de St. Paul aux Ephésiens[62] ou à Timothée ou encore à Tite comportent nombreux passages relatifs à l’éducation non seulement des enfants mais encore des adultes.

Lorsque le Christianisme est devenu religion d’Etat, les écoles ont subi un premier déclin et c’est le commencement d’un enseignement de nature exclusivement religieuse qui sera appelée à connaître des hauts et des bas, selon l’intelligence des précepteurs.

Du IIe au Ve siècle : les Pères de l’Eglise sont les maîtres de l’éducation chrétienne. Quelques noms doivent être cités car, jusqu’à la Renaissance, ils seront des références, malgré la diversité des interprétations. Tertullien encourage la culture littéraire « indispensable aux rapports avec les hommes et sans laquelle les études sacrées sont impossibles. ». Grégoire de Naziance : ami des lettres grecques, il déteste l’ignorance. Saint Basile : auteur d’une « Homélie aux jeunes gens sur l’utilité qu’ils peuvent retirer de la lecture d’auteurs profanes. ».

Saint Jérôme dans sa « Lettre à Laeta sur l’éducation de sa fille Paula » énonce, entre autres, les principes suivants :
·       Préférer le contenu au contenant aux dehors dorés ;
·       Résister aux tentations du monde ;
·       Pour maîtriser le corps : manger mais en sorte d’avoir toujours faim (une forme d’ascétisme mesuré) ;
·       Ne jamais entendre des instruments de musique (celle-ci favorisant la sensualité) ;
·       Saines occupations : alterner les lectures de la Bible et les travaux de ménage avec de réguliers temps de prière (vie monastique).

Jean Chrysostome ne cesse pas d’écrire l’éloge de l’instruction. Selon lui, les monastères doivent avoir des écoles. Il parle ainsi de l’enseignant : « On estime un grand sculpteur, un grand peintre mais qu’est-ce que leur art, à côté de celui qui travaille non sur le marbre ou sur la toile, mais sur les esprits. »[63]. Avec Saint Augustin, il y a un changement important : il rejette les auteurs grecs et latins car il considère leur lecture comme du temps perdu. Il les avait lus et connaissait de nombreux auteurs, fort éloignés de la morale chrétienne[64]. Privilégier les auteurs chrétiens et les Pères de l’Eglise est la lecture indispensable pour former les esprits car, selon lui, la littérature religieuse est propre à former l’intelligence, sans compromettre la foi et les mœurs.

Au IVe s., l’Eglise crée des séminaires pour préparer des maîtres et des prêtres.
C’est ainsi que naissent les écoles épiscopales (Suisse, Espagne) ou écoles des cathédrales (France) ou écoles du Dôme (Allemagne). Au Concile de Vaison (529), il est recommandé aux prêtres d’ouvrir des classes rurales dans le presbytère. Deux objectifs sont voulus : préparer des successeurs dans le cadre du clergé; former des lecteurs.

Les premières écoles claustrales ou monacales sont fondées par les Bénédictins[65]. L’ordre de Saint Benoît (529) est consacré à l’enseignement. Leur première école est celle du Mont-Cassin près de Naples :
·       Religion, lecture, écriture, latin (langue de conversation et langue savante)
Obligation d’enseigner et d’étudier les lettres, de copier les textes anciens et sacrés
·       Le travail du copiste est lent, continu et soutenu par la Foi « car on  frappe le diable d’autant de coups qu’on trace des lettres sur le parchemin.».
En Europe, il existe au Moyen Age 15 000 couvents bénédictins : St. Gall est le plus connu (avec Notker[66], Ekkehard) et sa bibliothèque que j’ai visitée est une merveille mais il y en a d’autres : Reichnau ou encore Fulda, dirigé par Rabon Maur.  Les principes les caractérisant sont :
·       Une bibliothèque et deux écoles : interne pour les moines ; externe pour les laïcs ;
·       Le savoir : des livres sont appris par cœur ;
·       Observation directe et recherche personnelle ne sont pas prisées : le savoir appartient aux seuls maîtres reconnus (tendance qui sera accentuée dans certaines écoles et que Rabelais et Montaigne critiqueront);
·       Punitions : pour les moines, jeûne et châtiment corporel sont prévus ;
·       Pas d’éducation physique ;
·       Eviter de parler du corps, considéré comme un ennemi de l’âme ;
·       Préparer l’homme à une vie d’ascète.
Autres ordres, comme les Dominicains et les Franciscains créent des écoles mais elles ne sont pas immédiatement reconnues parmi les meilleures. Les Pays-Bas doivent retenir notre attention : les Frères Jéromites, sur les bords du Rhin, auront, à la fin du Moyen Age, la meilleure réputation en matière d’enseignement. Erasme de Rotterdam, Jean Sturm (recteur de l’école de Strasbourg) en sont issus. Pour sa vision du monde, Rabelais doit beaucoup à Erasme.

Revenons en arrière dans le temps. Du VIe au VIIe s., il y a eu un déclin des écoles de façon générale et surtout en France. Guerres, mœurs rudes, ignorance et cruauté, désorganisation sociale et misère règnent. Charlemagne[67] favorise les écoles monacales et épiscopales : il aime et veut faire aimer l’instruction. A 32 ans, il apprit à lire avec Pierre de Pise, ensuite la grammaire et le latin, et avec Alcuin, l’astronomie et la rhétorique. Il favorise la création des bibliothèques. A la direction des écoles, nous avons l’Europe intellectuelle : un Anglais, Alcuin, un Allemand, Eginhard, et un  Italien, Pierre de Pise. L’instruction est donnée aussi bien aux clercs qu’aux laïcs. Il ouvre une école au Palais : l’Académie palatine, école ambulante qui suit la cour dans ses déplacements ; l’instruction y est même accordée aux serfs ainsi qu’aux nobles : une première forme d’enseignement obligatoire. Les successeurs de Charlemagne n’arriveront pas à maintenir les acquis : les troubles politiques provoquent le déclin des écoles, des arts comme des sciences. Après 50 ans d’existence, ce que Charlemagne avait réussi à initier est dissout.

Seule la théologie résiste à la débâcle avec Jean le Scott ou Jean Erigène (Erin est l’ancien nom pour l’Irlande). Au IXe s, à la cour de Charles le Chauve il est directeur de l’Ecole du Palais. Avec lui, un renouveau : la méthode d’observation est retrouvée. Il ne s’appuie pas seulement sur les Pères de l’Eglise, il a recours à la méthode inductive et expérimentale : aller du particulier au général ; partir des faits observables et constatés pour accéder à des vérités générales. En deux citations, vous avez la synthèse de sa pensée : « La vraie marche du raisonnement peut aller de l’étude naturelle des choses visibles à la contemplation pure des choses spirituelles.».Du concret découvrir l’abstrait : « La connaissance des choses sensibles est grandement utile à l’intelligence des choses insensibles. De même que par les sens, on parvient à l’intelligence, de même par la créature, on retourne à Dieu.». Des mystiques du XXe siècle ne diront pas autre chose : Maurice Zundel[68] notamment.

***
Après voir porté un rapide regard sur les originalités chrétiennes de l’éducation et de l’instruction, il convient, pour comprendre les propos de Rabelais et Montaigne, de s’arrêter aux différentes formes de celles-là, à la fin du Moyen Age. Nous sommes face à une instruction que nous pouvons qualifier de laïque, sans renier toutefois une croyance chrétienne. Elle diffère de celle qui se donne dans les cloîtres. Trois distinctions sont à faire : celle donnée aux chevaliers, aux bourgeois et aux étudiants :

Enfants des chevaliers[69] :
·       Deux phases à la fois d’éducation et d’instruction, «apprentissage» et «compagnonnage», si possible dans des châteaux, étrangers au lieu de naissance, avant d’être admis comme chevaliers ;
·       Voyages, connaissances d’autres cultures (comme les étudiants, les « vagantes » ou vagants ci-dessous) : un  homme de guerre devait être prêt à sillonner l’Europe ;
·       Deux objectifs sont visés : cultiver la valeur dans le combat (maîtrise de soi et des armes) et la conduite chevaleresque (une éthique dans la guerre qui vaut bien le jus ad bellum[70] et le jus in bello[71] qui donneront les Conventions internationales au XIXe et XXe siècle) ;
·       Le savoir en tant que tel est secondaire, voire dédaigné[72] : les auteurs traitant de la guerre, et ils sont nombreux[73], sont cependant très prisés ;
·       Education physique prédomine : équitation, natation, jet de flèches, escrime, chasse, jeu d’échecs ;
·       La versification est cultivée tout spécialement par les plus cultivés. Ils se feront entendre pour leurs poésies et chants : parmi les troubadours et trouvères ou encore les Minnesänger en Allemagne, les hommes d’armes aimant les Muses ne manquent pas.

Bourgeois :
·       Le commerce met les enfants comme les parents au contact d’autres cultures (les Lombards, les Lyonnais, la Ligue hanséatique[74], Bâle, etc.) : nécessité d’adaptation à ces nouveaux besoins ;
·       Le désir fort de posséder des connaissances autres que religieuses prédomine : le change des monnaies exige des connaissances mathématiques ; les langues doivent s’apprendre ; les droits fort divers d’une région à l’autre et d’un pays à l’autre demandent une certaine culture juridique (le latin) ;
·       Le savoir vise une vie pratique pour le commerce ou l’industrie. Les techniques de production et de transport en font aussi partie ;
·       Les écoles urbaines ou écoles latines connaîtront leur apothéose au XVe s. ;
·       Lecture, écriture, religion, chant d’église, latin forment la culture de base.
·       La méthode pédagogique est passive : la mémorisation, un savoir par cœur suffisent ;
·       Une dure discipline règne et il n’y a pas d’éducation physique ;
·       Fin du XVe s.,  quelques écoles s’ouvrent aux filles.

Etudiants
·       Les Universités sont nées au Moyen Age ;
·       Les étudiants voyagent, c’est pourquoi ils sont nommés dans les textes anciens les errants ou « vagants » ou encore « goliards » ;
·       Ils bénéficient d’un statut spécial. Ils reconnaissent une seule autorité : le recteur de la cité, choisi par la ville. Ils se réunissant par pays d’origine ;
·       Les Souverains accordent aux étudiants des privilèges qui seront toujours vivement défendus : exemption d’impôts, de la juridiction des tribunaux ordinaires.
·       Pour les premières années d’étude, le Maître est payé en partie en argent, en partie en nature. Souvent, il exerce un emploi subalterne à l’église locale, comme directeur de chant.
·       Les maîtres, plus spécialisés, voyageaient d’une université à l’autre, parfois avec leurs étudiants.
·       Les étudiants plus âgés enseignaient aux plus jeunes, appelés les béjaunes[75] qui voyageaient aussi.
·       Aux XVe et XVIe s., un grand nombre d’étudiants est traité  de vagants : leur vie irrégulière éveille la méfiance des populations ; leur jeunesse débordante favorise des excès, des désordres bachiques et sexuels; l’Eglise se méfie de ces jeunes échappant aux contrôles…
    
     Les Goliards : les vagants, les errants :
·       Ils voyagent à pied de ville en ville et se considèrent comme affranchis de bien des règles ;
·       Désireux de voir et vivre d’autres mondes, ils sont curieux de tout ;
·       S’instruire dans la vie et par la vie est un aussi un enseignement[76] (plus riche que par les livres ; un futur médecin visite les champs de bataille, pour exercer une forme de médecine en tant que barbier p.ex.) ;
·       Ils aiment versifier avec talent bien souvent et les Carmina Burana[77] témoignent de leur verve, de leur liberté entière d’expression face aux pouvoirs de l’Eglise et du Roi ou des Princes;
·       Plusieurs d’entre eux, plus âgés ou études achevées, occuperont des fonctions importantes aussi bien dans le clergé (en développant une spiritualité remarquable de profondeur) que dans la vie politique (ceux issus de la noblesse comme du peuple) : un esprit critique n’est pas obligatoirement un esprit anarchique…

Exemple suisse, dont le nom n’est pas inconnu dans le sud de la France, en raison des récits de voyage de ses fils (Felix et Thomas 2) : Thomas Platter (1499-1582 ; le père).
Chevrier dans les montagnes du Valais, il est étudiant à l’âge de 10 ans (un « béjaune ») et il voyage pour ses études, de Constance, à Augsbourg, puis à Ratisbonne, à Prague, à Breslau, à Dresde, etc. Pour subvenir à sa vie d’étudiant, il est cordier. Il apprend le latin, le grec, l’hébreu, l’allemand. Finalement, il revient à Bâle où il exercera en même temps les fonctions de professeur, de directeur d’école et d’imprimeur. Ce cas n’est pas exceptionnel et devrait faire tomber bien de faux clichés historiques, cultivés par des idéologies pour lesquelles tout ce qui est du Moyen Age ne peut être qu’horreur et Ténèbres…

Rabelais offre dans son œuvre une synthèse de ces trois programmes.

La scolastique
Ainsi est dénommé ce couple inséparable au Moyen Age que forment la théologie et la philosophie. Aristote est le maître incontesté. Rabelais la traite durement mais utilise ses méthodes : il y a là un certain paradoxe qui mérite notre attention.
Au départ, nous avons l’étude du raisonnement déductif. Une pratique abusive du syllogisme peut conduire à l’absurdité du discours[78]. Cette méthode, menée à l’excès, a eu pour effet, chez certains maîtres (non chez tous !), un renoncement à l’étude des faits : les vérités de la conscience et de la foi découlent uniquement dès lors d’une dialectique formelle et vaine[79]. Les discussions fécondes (la fameuse « disputatio » du Moyen Age) disparaissent. La prépondérance des «autorités» incontestables est un peu comme de nos jours celle de quelques «Intellectuels», labélisés par les media, donnant le «la» et la musique que répètent, en chœur et en transe, des moutons bêlants (joyeux béats et extatiques admirateurs), non des moutons pédagogiques mais intellectuels : le pire est que la mer ne les engloutit pas comme ceux de Panurge !

Du XIe au XVIe s., ces défauts s’accentuent et, en certaines écoles, et il convient de ne pas généraliser, deviennent si criants que le XVIe s. réagit vivement contre eux. Cependant la méthode scolastique, dans ce qu’elle a de moins bon, a eu des adeptes jusqu’au XXe s[80] et encore de nos jours…

Aux origines, les matières enseignées sont les 7 arts libéraux :
·       Le Trivium : art d’écrire, la grammaire ; art d’ordonner sa pensée, la logique ; l’art d’exprimer la pensée, la rhétorique.
·       Le Quadrivium : musique, arithmétique, géométrie, astronomie.

Les études initiales sont très théoriques : pas de pratique, peu d’expérience ou d’observation. Le latin et la musique sont les objets principaux d’étude en raison de leur utilité pour le service religieux. La recherche aurait été figée à tout jamais s’il n’y avait pas eu d’autres maîtres, développant l’observation et l’expérimentation, comme Rabelais et Montaigne le défendent. Initiatives, progrès, découvertes ne sont pas appréciés par les maîtres lisant leurs cours et n’instaurant aucun dialogue avec leurs élèves ou disciples.

Des châtiments corporels divers sont appliqués : le jeûne, le cachot, la verge[81], le bâton, le martinet[82], le fouet (celui du XVe s. est deux fois plus long que celui du XIVe s.). Avant le XIe s., les châtiments étaient les frappes sur la bouche, le nez, les oreilles ou le dos. Après le XIe s., les frappes se pratiquent sur le corps nu, fessée, parfois des coups de poing : les écoles anglo-saxonnes conserveront longtemps la pratique de la punition par le fondement, vigoureusement frappé par un bois plat ou une verge souple. Toutefois, certains ecclésiastiques préféraient corriger par la douceur et la bienveillance.

Rabelais a stigmatisé les défauts de la scolastique. Cependant, elle a eu des effets bénéfiques dans la culture européenne et aussi dans la langue française :
·       La rectitude de la forme ;
·       La fixation du sens des termes ;
·       L’obligation de raisonner juste (même si des prémisses étaient parfois fausses, par un manque d’esprit critique, de «jugement» dira Montaigne) ;
·       L’habitude à parler.
Un exemple de réussite de la scolastique[83] reste Abélard (1079-1142), illustrant l’union de l’éloquence et de la science. Né à Nantes, très tôt, il arrive à Paris. A 24 ans, il ouvre une école : il est un maître de la parole (très important car nous sommes avant l’invention de l’imprimerie). Esprit vif et passionné, avide de recherches et de découvertes, il cultive une originalité que personne ne lui conteste : les croyances peuvent être soumises au contrôle de la science et de la raison. Ainsi, il a osé dire : « Le vice de notre temps, c’est de croire qu’on ne peut plus inventer : si on fait une découverte, il faut la mettre sous le nom d’un ancien. Qu’importe ce que les autres ont pensé ? Le texte suffit avec la raison pour guide.».

Rabelais et Montaigne ont certainement eu connaissance, soit partiellement, soit complètement, de grands écrits médiévaux sur la pédagogie, signés par : Vincent de Beauvais (fin du XIIe s.-1264), dominicain, grand écrivain pédagogique, lecteur de Saint Louis et précepteur de ses enfants, a rédigé un livre « L’éducation des enfants royaux [84]», se divisant en 51 chapitres, sur l’instruction et l’éducation des garçons et des filles ; Gerson (1363-1429) a écrit en langue vulgaire sa « Conduite des enfants au Christ. » où il recommande la douceur, la patience et la vigilance envers les élèves que le maître doit aimer comme un père.

De plus, le Moyen Age a été le temps de la naissance des universités[85] à qui Rabelais doit beaucoup.  De façon générale et à l’origine, les universités ont été créées :
Ø Par refus d’un verbiage subtil, du pédantisme de la scolastique dévoyée ;
Ø Pour une science libérée de la tutelle de l’Eglise[86] et des Sophistes ;
Ø Une liberté de dire pour les professeurs ;
Ø une liberté d’entendre pour les étudiants. [87]

Dès le IXe s., Salamanque et à Cordoue créent des écoles cultivant toutes les sciences. Ensuite, nous en trouvons  à Bologne, à Salerne en Italie. En 1200, l’université de Paris enseigne la théologie et la philosophie. En 1206, Oxford. Les premières universités aux études complètes, théologie, droit, médecine et arts, sont :
1ère : Naples, en 1224, est créée par Frédéric II de Hohenstaufen ;
1231 Cambridge, 1283 Coïmbra, Montpellier ;
1348 Prague, 1365 Vienne, 1386 Heidelberg ;
1460 Bâle.

Le XIVe siècle est le véritable retour aux auteurs classiques et il n’a pas fallu attendre le XVIe s. pour cela. Dante, Pétrarque, Boccace sont des admirateurs du classicisme grec et latin. L’Italie est à l’origine de ce mouvement avec la protection des Papes. Les manuscrits grecs, revenant par l’Orient, sont étudiés et recopiés. Grands noms parmi d’autres : Sylvius Piccolomini[88], Maffeo Veggio (Education des enfants), Thomas More (Angleterre), Jean de Wesel (Hollande), Rudolph Agricola (Ferrare et Heidelberg), Reuchlin (Tübingen), Ulrich de Hutte (Zurich), Glarean (Glaris), Erasme (Bâle)…
Parmi ceux-ci et pour ne pas prendre les plus connus, je vous propose Agricola : il refuse une philosophie qui dispute vainement; il préconise une philosophie qui apprend à penser juste et à exprimer correctement sa pensée. Ses objectifs pédagogiques se résument en trois principes : bien comprendre, bien retenir, pouvoir produire une réflexion par soi-même.

Pour Rabelais et Montaigne, j’ai retrouvé toutes leurs idées en matière d’éducation et d’instruction, chez deux auteurs, l’un médiéval et l’autre son continuateur direct, méconnus de nos jours :

Victorin de Feltre (1378-1446), des universités de Padoue et de Venise. Il préconise une reprise de l’éducation grecque pour un développement harmonieux du corps, du cœur et de l’esprit.
1.    Beaucoup d’exercices physiques : cultiver la grâce, la souplesse et la beauté, avec danse mais encore la lutte, l’équitation, l’escrime et la natation ;
2.    Une instruction avec au programme les langues, la logique et les mathématiques avec des arts, dit d’agréments : peinture et musique ;
3.    La méthode pédagogique consiste à l’adaptation du maître aux caractères et aptitudes des enfants car son but est : « Je veux apprendre à mes élèves à penser et à parler, non à radoter[89].» ;
4.    Une préparation consciencieuse des leçons par le maître s’impose : ce travail préparatoire est long car il doit s’établir selon les aptitudes de chaque élève ou de chaque groupe d’élèves. Une surveillance des travaux des enfants se pratique régulièrement. Une aide plus particulière est accordée aux élèves faibles (trop souvent négligés par le passé, afin de privilégier les plus doués);
5.    Gaité, savoir et sagesse sont les trois mots clefs d’un transmetteur de connaissances;
6.    Une bonté intelligente, unie à la fermeté, possède plus de force et plus d’efficacité que des châtiments corporels ;
7.    Ce programme et cette méthode pédagogique reçoivent l’appui du Pape Eugène IV.

Son continuateur est plus connu, il s’agit d’un contemporain de Rabelais :
Louis Vivès (1492-1540), cité par Thomas More, est un Espagnol, né à Valence.
La plus grande partie de sa vie s’est écoulée en Belgique (Louvain) et en Angleterre (Oxford), à Paris (Sorbonne) et à Bruges où il mourut en 1549.
Henri VIII lui confia l’éducation de Marie, sa fille avec Catherine d’Aragon. Il prit parti pour la reine lors du divorce : ce qui lui valut 6 semaines de prison. Ses cours publics étaient très suivis.

Ses ouvrages sur l’éducation :
Les études rationnelles des enfants ou Plan d’études ;
De la corruption des arts (décadence des arts libéraux) ;
Institution ou éducation de la femme chrétienne.

De tradendis disciplinis est son exposé très complet du système d’enseignement qu’il privilégie. Nous y trouvons des considérations sur : l’emplacement de l’école ; la qualité des maîtres et le traitement à leur assurer ; les rapports entre élèves et maîtres ; ce qui distingue l’éducation publique et privée ; la question de l’établissement d’un programme et une méthode pédagogique. Il privilégie la méthode socratique. L’éducation est faite d’un mélange de douceur et de sévérité.

Une référence qui vaut aussi pour Rabelais mais surtout pour Montaigne est l’œuvre de Sébastian Brant (1458-1521) «La nef des Fous». Ce poème satirique et didactique de ce Strasbourgeois, écrit en allemand, a très vite connu une traduction en latin et en français. Répondant à une coutume du Mardi Gras, en 112 chapitres, Brant s’attaque aux vices humains de toutes les classes sociales : avarice, mode, jalousie, etc. L’auteur est plus moraliste que Montaigne mais le style est semblable avec de nombreuses citations d’auteurs antiques et de la Bible. Brant ne s’épargne pas dans son texte : il s’accuse d’être un bibliomane accumulant des livres sur la sagesse mais sans jamais pouvoir posséder celle-ci ! Il est plus mystique en ce sens que, pour lui, cette nef des fous, l’humanité, ne pourra être sauvée que par l’Homme, Fils de Dieu, qui conduit le navire. Le succès de ce livre a été dû aux gravures qui accompagnent chacun des chapitres.

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Si pour Rabelais, il a fallu chercher les origines de ses principes chez les Grecs et dans leur maturation ainsi que leurs divers développements ou évolutions protéiformes au  Moyen Age, il est nécessaire de scruter les écrits des auteurs latins, pour retrouver les inspirateurs de Montaigne qui, d’ailleurs, les mentionne dans ses Essais. Revenons, de façon succincte, en arrière dans le temps et avant de présenter le projet éducatif proposé dan ses Essais.
Rome
Sous la République[90] et jusqu’à la conquête de la Grèce[91], l’éducation est militaire : physique et morale (c’est-à-dire religieuse). La simplicité et l’austérité des mœurs prédominent. Les objectifs sont de construire un citoyen discipliné, courageux vertueux et de développer ses qualités viriles, en forgeant des caractères trempés.
La famille préside à l’éducation, à la différence de Sparte où c’est l’Etat. La religion cultive le «par cœur» : la loi des XII Tables, le catalogue des dieux et des déesses. Une légion de dieux et de déesses président à toutes les actions du citoyen : Luscine, la naissance ; Nascio, le repas ; Livane, la légitimation ; Educa et Potina, la nourriture ; Cuba, le sommeil… Une législation forte règne : le citoyen est soumis à la force réglée, dirigée et disciplinée. Une sacralisation de la loi se remarque, un peu comme de nos jours[92], mais avec plus de simplicité chez les Romains : le peuple romain est un peuple de Droit.
Il n’y a pas un idéal humanitaire : seule la grandeur de Rome[93] compte et justifie les actes.  La culture littéraire est faible. La passion est pour les jeux[94]. Il y a un  désintérêt pour les sciences, la force suffisant.

Pas de musique et pas de chant dans ce système d’éducation : par exemple, Scipion les a condamnés parce qu’ils surexcitent la sensibilité et font rêver plutôt qu’agir.

A la fin du IIIe s. av. J.-C., l’éducation, qui était domestique, devient nationale. Le précepteur apparaît et c’est généralement un esclave qui enseigne car l’enseignement est considéré comme une tâche servile et indigne d’un citoyen romain.
L’influence grecque sur Rome ne tarde pas à se constater : le luxe est une source d’amollissement ; la rhétorique devient une mode. L’art de bien parler est vite remplacé par une éloquence d’apparat : la phraséologie tient lieu de tout.

L’Etat s’intéresse aux écoles : les professeurs sont des fonctionnaires de l’Etat. La préférence est donnée aux rhéteurs. L’apogée de la culture littéraire latine se situe sous le règne d’Auguste (césar de 27 av. J.C. -17 ap.). La discipline se pratique avec des châtiments corporels : fouet ou bâton sur corps nu. Horace fut ainsi maltraité par son professeur Orbilius (113-112) : depuis, l’orbilianisme désigne la discipline par peines corporelles. L’éducation athénienne prévaut : elle est avant tout littéraire et oratoire. Cicéron est un orateur. Sénèque, le précepteur de Néron a écrit des pages intéressantes pour notre thématique dans ses « Préceptes du mariage » et son « De la manière d’entendre les poètes » : « Non scholae, sed vitae discimus. », Nous devons apprendre non pour l’école mais pour la vie, ou encore : «Les exemples conduisent plus vite que les préceptes.».

Plutarque, d’origine grecque, arrivé à Rome sous Dioclétien, rédige une « Education des enfants » : il est favorable à une éducation par la famille ; la mère d’abord « afin que les jeunes âmes ne s’emplissent pas dès le début de sottise et de corruption » ; le précepteur ensuite  doit être un modèle de vie intime et publique pour son élève : «  ce que l’échalas est au sarment, son appui et son guide ». L’éducation morale est à commencer très tôt : former le caractère de l’enfant afin qu’il puisse dominer ses désirs : « De même que c’est dans la bonne saison qu’il faut réunir les provisions pour l’hiver, c’est par une jeunesse saine qu’on se prépare une heureuse vieillesse.» ; « L’âme n’est pas un vase qu’il faille remplir, mais un foyer qu’il faut échauffer.». Plutarque condamne le savoir de pure forme, les connaissances qui accablent les enfants sans les élever, sans avoir des effets profitables sur leur cœur et leur volonté.

Horace cultive l’indépendance d’esprit : il ne s’astreignait pas à jurer sur les seules paroles d’un maître. Juvénal est connu de tous en raison de son : « Mens sana in corpore sano », « Esprit sain dans un corps sain ». Pline le Jeune a une formule magnifique : « Multum non multa », « A fond mais pas beaucoup.».

Toutefois, la référence latine en matière d’éducation et d’instruction est Quintilien :
·       100 avant Jésus-Christ ;
·       Natif d’Espagne, venu à Rome ;
·       Vespasien, empereur, le paie richement pour enseigner ;
·       Professeur d’éloquence ;
·       Auteur de plusieurs ouvrages sur l’enseignement : Institution oratoire (12 vol.)
Quintilien prend l’enfant au berceau : dès 3 ans. L’éducation remonte ainsi aux premières impressions de l’enfant « qui sont d’autant plus profondes et plus décisives que son cœur est vierge. ». Il recommande de fortifier et de développer la mémoire dès 3 ans déjà.
Il est favorable à l’enseignement public : le cœur et le caractère se forgent au contact des condisciples. L’enfant s’enhardit et prend conscience de ses forces avec l’émulation des autres camarades. L’importance des amitiés qui se nouent est soulignée.
L’application des élèves motive l’enseignant. L’éducation est un apprentissage de la vie. Comment choisir un maître ? Il le veut austère et sans violence, ayant les sentiments d’un père « qui prêche d’exemple quand il recommande la vertu.».
Relever les fautes sans colère, ni emportement est la règle. Louer avec mesure est une exigence. Reprendre sans acrimonie est une vertu. Avertir plutôt que punir est un art. Au lieu des châtiments corporels, il est certain que la bienveillance, la patience, l’affection peuvent résoudre bien des situations.
L’apprentissage de la lecture[95] s’effectue avec des lettres en ivoire. Ecrire avec des tablettes de bois ayant en creux des modèles pour guider la main de l’enfant est une méthode efficace. L’étude de la grammaire a pour buts de parler et d’écrire correctement. Quant au style, l’application doit être libre : l’enfant doit conserver sa personnalité.
La lecture est un moyen de développement intellectuel et moral. Lire les bons auteurs dans leurs œuvres complètes, et pas seulement à travers quelques extraits, s’impose. Transcrire les passages principaux est un bon exercice. Expurger tout ce qui est contraire à la moralité est une obligation : la morale étant la science de la vertu.
La géométrie aiguise l’intelligence.
Montaigne ne cache pas tout ce qu’il doit à Quintilien dans sa réflexion sur l’éducation : celle qu’il a reçue de son père et dans son enfance, avant d’entrer au collège, en est quasiment une illustration.

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Essais de Michel de Montaigne.[96]
Dans une lettre de Montaigne à Diane de Foix, comtesse de Gurson, au sujet de l’éducation et de l’instruction de l’enfant de celle-ci, nous avons ses confidences, ses conseils qu’il complète dans d’autres parties de ses Essais.  Il s’agit pour l’essentiel du chapitre XXV, ayant pour titre : De l’institution des enfants[97].
Pour commencer, Montaigne déplore son instruction au collège, ayant manqué de solidité et qui n’a produit que « des rêveries d’homme qui n’a goûté des sciences que la croute première en son enfance et n’en a retenu qu’un général et informe visage ; un peu de chaque chose, et rien du tout, à la française »[98].

Montaigne ne cache pas qu’il s’est formé à la lecture de Plutarque et de Sénèque : « L’histoire, c’est mon gibier en matière de livres, ou la poésie que j’aime d’une particulière inclination.»[99]. La poésie, en raison de la métrique notamment, exige la synthèse aussi bien des idées que de l’expression : c’est pourquoi il apprécie tout particulièrement cet art. A la lecture des Anciens, l’auteur découvre ses faiblesses qu’il reproche aux autres comme à lui-même[100].

En écrivant ce chapitre, son intention est clairement exprimée et caractérise bien cette personnalité qui ne cesse de s’observer : « …ce sont ici mes humeurs et opinions : je les donne pour ce qui est en ma créance, non pour ce qui est à croire : je ne vise ici qu’à découvrir moi-même, qui serai par aventure autre demain, si nouvel apprentissage me change. Je n’ai point l’autorité d’être cru, ni de le désire, me sentant trop mal instruit pour instruire autrui.»[101], car son expérience lui permet d’affirmer qu’« … à la vérité je n’y entends, sinon cela, que la plus grand difficulté et importante de l’humaine science semble être en cet endroit, où il se traite de la nourriture et institution des enfants[102].

La première difficulté est de prévoir, sur leurs premières actions ce que les enfants deviendront en adultes, malgré toutes les peines données à les éduquer. Identifier les prédispositions d’un enfant pour sa vie d’adulte est une tâche délicate : «… on emploie beaucoup de temps à dresser des enfants aux choses auxquelles ils ne peuvent prendre pied.»[103].  Aux parents qui veulent à tout prix voir leurs enfants reprendre leurs professions, il est bon de leur rappeler le précepte de Platon : « Qu’il faut colloquer les enfants, non selon les facultés de leur père, mais selon les facultés de leur âme[104].

La science ou tout simplement la connaissance est d’une absolue nécessité pour toutes les circonstances de la vie, surtout chez une famille de lettrés, mais aussi et surtout pour : «construire une guerre, commander un peuple, pratiquer l’amitié d’un prince ou d’une nation étrangère, dresser un argument dialectique, plaider un appel, ordonner une masse de pilules[105]. Un enfant de bonne famille doit cultiver les lettres sans esprit de gain « car une fin si abjecte est indigne de la grâce et de la faveur des muses.»[106].

Son expérience
Le vécu de Montaigne explique les orientations pédagogiques qu’il préfère. Il a étudié les langues dès la petite enfance, ainsi le grec et le latin : « C’est un bel et grand ornement sans doute que le grec et le latin mais on l’achète trop cher. Je dirai ici une façon d’en avoir meilleur marché que de coutume qui a été essayée en moi-même.»[107]  Et il fait l’éloge de son père en ces termes car celui-ci avait pris conscience : « que cette longueur que nous mettions à apprendre les langues qui ne leur coûtaient rien, est la seule cause pourquoi nous ne pouvons arriver à la grandeur d’âme et de connaissance des anciens Grecs et Romains.»[108]. Ainsi ses parents, ses proches et un Allemand maîtrisant le latin, lui parlaient en latin avant qu’il puisse parler. Notre auteur n’entendit le français qu’à l’âge de six ans : « et sans art, sans livre, sans grammaire ou précepte, sans fouet et sans larmes, j’avais appris du latin tout aussi pur que mon maître d’école le savait[109].
Ainsi, il apprend le grec en se jouant et s’ouvre aux sciences par simple curiosité : « il avait été conseillé de me faire goûter la science et le devoir par ne volonté non forcée, et de mon propre désir ; et d’élever mon âme en toute douceur et liberté, sans rigueur et contrainte : je dis jusqu’à telle superstition, que, parce que quelques-uns tiennent que cela trouble la cervelle tendre de l’enfant de les éveiller le matin en sursaut et de les arracher du sommeil (auquel ils sont plongés beaucoup plus que nous ne sommes) tout à coup et par violence ; il me faisait éveiller par le son de quelque instrument ; et je ne fus jamais sans homme qui m’en servit. »[110].

Son père jugea bon de l’envoyer dans un collège à l’âge de 6 ans, le meilleur de France, de Guyenne : « Mon latin s’abâtardit incontinent, duquel depuis par désaccoutumance  j’ai perdu tout usage.» [111]et le résultat fut la perte des acquis au lieu de les consolider : «à treize ans je sortis du collège, j’avais achevé mon cours (qu’ils appellent), et, à la vérité, sans aucun fruit que je pusse à présent mettre en compte. »[112]. Par contre, sa passion des livres demeure : « Le premier goût que j’eus aux livres, il me vint du plaisir des fables de la Métamorphose d’Ovide : car environ l’âge de sept ou huit ans, je me dérobais de tout autre plaisir pour les lire.»[113].  Un précepteur comprend le goût de Montaigne pour les classiques latins et lui fait lire Virgile, Térence, Plaute, des comédies italiennes :
« S’il eut été si fol de rompre ce train, j’estime que je n’eusse rapporté du collège que la haine des livres, comme fait quasiment toute notre noblesse. »[114].

L’école ne doit pas abrutir les enfants : « A la vérité, nous voyons encore qu’il n’est rien de si gentil, que les petits enfants en France ; mais ordinairement ils trompent l’espérance qu’on en a conçue ; et hommes faits, on n’y voit aucune excellence : j’ai ouï tenir à gens d’entendement, que ces collèges où on les envoie, de quoi ils ont foison, les abrutissent ainsi.»[115]. Rabelais ne dit pas autre chose avec Thubal Holoferne et Jobelin Bridé. Que dirait Montaigne de nos jours lui qui portait déjà ce constat aussi sous forme interrogative : « et combien ai-je vu de mon temps d’hommes abêtis par téméraire avidité de science ? »[116] ?

Notre enfant « ne doit au pédagogisme que les premiers quinze ou seize ans de sa vie : le restant est dû à l’action. Employons un temps si court aux instructions nécessaires. »[117]. Montaigne ne veut pas fabriquer de beaux parleurs mais de bons faiseurs…

Du choix du maître
Le succès de l’éducation d’un enfant dépend du choix de son gouverneur (maître privé et particulier). La mission du gouverneur est de réussir de conduire un enfant à être plus un habile homme qu’un homme savant. Pour le réaliser, «lui choisir un conducteur qui eut plutôt la tête bien faite que bien pleine» est la première condition. Le choix s’établira selon ses mœurs et entendement, plus que sur sa science. Montaigne réagit vivement en fonction de son vécu lorsqu’il forme cette réflexion sur le maître privé: «et qu’il se conduisit en sa charge d’une nouvelle manière. On ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un entonnoir ; et notre charge, ce n’est que redire ce qu’on nous a dit : je voudrais qu’il corrigea cette partie et que de belle arrivée, selon la portée de l’âme qu’il a en main, il commença à la mettre sur la monstre, lui faisant goûter les choses, les choisir, les discerner d’elle-même : quelquefois lui ouvrant chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. Je ne veux pas qu’il invente et parle seul ; je veux qu’il écoute son disciple parler à son tour.»[118]. L’exemple de Socrate est bien présent dans son esprit. Montaigne préconise la méthode de Platon : l’enseignement doit être un dialogue afin d’obtenir une liberté de raisonnement, de ne pas rester sous la tutelle des  « autorités » : raisonner par soi-même afin de se gouverner par soi-même.

Il s’ensuit une critique des disciples fanatiques d’Aristote : lors d’un voyage à Pise, un dogmatique disait à notre essayiste : « Que la touche et la règle de toutes imaginations solides et de toute vérité, c’est la conformité à la doctrine d’Aristote ; que hors de là, ce ne sont que chimères et inanité ; qu’il a tout vu et tout dit. »[119]. Notre auteur cite Cicéron qui disait déjà : « Obest plerumque iis qui discere volunt auctoritas eorum qui docent[120], «L’autorité de ceux qui enseignent nuit souvent à ceux qui veulent apprendre.»[121]. Entre avoir des certitudes acquises en raison d’une autorité supérieure[122] et savoir douter pour raisonner, Montaigne préfère le doute : « la vérité et la raison sont communes à chacun »[123].

L’éducateur doit s’adapter au rythme de l’enfant pour le faire progresser, ni trop vite, ni trop lentement mais selon ses capacités. Seule une instruction individuelle peut se le permettre. A propos de la méthode du maître, il précise encore sa relation avec l’élève : « Je ne veux pas qu’on emprisonne ce garçon : je ne veux pas qu’on l’abandonne à la colère et humeur mélancolique d’un furieux maître d’école : je ne veux pas corrompre son esprit à la géhenne et au travail, à la mode des autres, quatorze à quinze heurs par jour, comme un portefaix[124]. Le maître doit être un modèle : « Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance ; et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie. »[125].

« Savoir par cœur n’est pas savoir ; c’est tenir ce qu’on a donné en garde à sa mémoire. Ce qu’on sait droitement, on en dispose, sans regarder au patron, sans tourner les yeux vers son livre. Fâcheuse suffisance qu’une suffisance pure livresque ! Je n’attends qu’elle serve d’ornement, non de fondement ; suivant l’avis de Platon qui dit : La fermeté, la foi, la sincérité, être la vraie philosophie ; les autres sciences, et qui visent ailleurs, n’être que fard.»[126].

Quant aux peines corporelles, la prise de position est claire : « Au demeurant, cette institution se doit conduire par une sévère douceur, non comme il se fait : au lieu de convier les enfants aux lettres, on ne leur présente, à la vérité, que horreur et cruauté. Otez-moi la violence et la force : il n’est rien, à mon avis qui abâtardisse et étourdisse si fort une nature bien née. Si vous avez envie qu’il craigne la honte et le châtiment, ne l’y endurcissez pas : endurcissez-le à la sueur et au froid, au vent, au soleil et aux hasards qu’il lui faut mépriser : ôtez-lui toute mollesse et délicatesse au vêtir et coucher, au manger et au boire.»[127]. Montaigne se réfère à la pensée de Quintilien lorsqu’il s’exclame : « Quelle manière, pour éveiller l’appétit, envers leur leçon, à ces tendres âme et craintives, de les y guider d’une trogne effroyable, les mains armées de fouets ! Inique et pernicieuse forme !»[128]

Comment juger de l’enseignement d’un maître ? Une façon d’être et non de paraître chez son disciple : « Voici mes leçons : celui là y a mieux profité, qui les fait que qui les sait. Si vous le voyez, vous l’entendez : si vous l’entendez, vous le voyez. »[129].

Eloge de la philosophie
La finalité de l’instruction est que l’élève puisse dire en quittant le banc des écoles comme Montaigne : « Le gain de notre étude, c’est être devenu meilleur et plus sage.»[130]. La philosophie est essentielle puisqu’elle permet d’: « apprendre à se connaître et à savoir bien mourir et bien vivre »[131]. C’est pourquoi il la place avant toutes les autres sciences : « Après qu’on lui aura appris ce qui sert à faire plus sage et meilleur, on l’entretiendra ce qu’est la logique, la physique, la géométrie, la rhétorique[132].

La philosophie peut et doit s’enseigner joyeusement et un philosophe triste n’est qu’un triste philosophe.  Citant le grammairien Démétrius qui rapporte les propos de Héracleion le Mégarien : « Quant au discours de la philosophie, ils ont accoutumé d’égayer et de réjouir ceux qui les traitent, non les renfrogner et contrister. »[133], Montaigne conclut : « on a grand tort de la peindre inaccessible aux enfants et d’un visage renfrogné, sourcilleux et terrible : qui me l’a masquée de ce faux visage pâle et hideux ? Il n’est rien de plus gai, plus gaillard, plus enjoué et à peu que je ne dise folâtre ; elle ne prêche que fête et bon temps : une mine triste et transie montre que ce n’est pas là son gîte[134].

« Puisque la philosophie est celle qui nous instruit à vivre et que l’enfance y a sa leçon comme les autres âges, pourquoi ne la lui communique-t-on ?« Udum et molle lutum est ; nunc properandus, et acri / Fingendus sine fine rota. » (L’argile est encore molle et humide ; vite, hâtons-nous et sans perdre un instant, façonnons-là à la roue.[135])». On nous apprend à vivre quand la vie est passée. Cent écoliers ont pris la vérole avant que d’être arrivé à leur leçon d’Aristote.»[136].
La philosophie est un moyen d’acquérir la sérénité : « L’âme qui loge la philosophie doit par sa santé rendre sain encore le corps : elle doit faire luire jusqu’au dehors son repos et son aise. » et « La plus expresse marque de la sagesse, c’est une réjouissance constante ; son état est, comme des choses au-dessus de la lune, toujours serein. »[137]. Compagne des tous les âges, elle mérite notre confiance car «La philosophie a des discours pour la naissance des hommes comme pour la décrépitude.»[138]. Elle se vit au quotidien et à tout instant, aussi bien à table, à l’étude, au coucher au jeu, en solitude qu’en société car : « la philosophie qui, comme formatrice des jugements et des mœurs, sera sa principale leçon, a se privilège de se mêler partout[139].

A propos de la vertu
Cultiver la vertu et s’éloigner des vices est une des missions de l’enseignant. La vertu n’est pas un chemin ardu, difficile et il importe de ne pas croire qu’elle est inaccessible[140]. L’auteur des Essais revient sur ce thème dans son Livre 2, chapitre XVII[141] : « Je retourne volontiers sur ce discours de l’ineptie de notre institution : elle a eu pour sa fin de nous faire, non bons et sages, mais savants ; elle y est arrivée : elle ne nous a pas appris de suivre et embrasser la vertu et la prudence, mais elle nous a imprimé la dérivation et l’étymologie ; nous savons décliner Vertu, si nous ne savons l’aimer ; si nous savons ce qu’est prudence par effet et par expérience, nous la savons par jargon  et par cœur…»[142]. Toutefois, il est sans illusion sur la nature profonde de l’enfant puis de l’adulte avec ce constat au Livre 3, chapitre II[143] : « Les inclinations naturelles s’aident et se fortifient par institution ; mis elles ne se changent et surmontent guère : mille natures, de mon temps, ont échappé vers la vertu, ou vers le vice, au travers d’une discipline contraire :
« Sic ubi desuetae sylvis in carcere clausae
Mansuevere ferae, et vultus posuere minaces,
Atque hominem didicere pati, si torrida parvus
Venit in ora cruor, redeunt rabiesque furorque,
Admonitaeque tument gustato sanguine fauces;
Fervet, et a trepido vix abstient ira magistro. »[144] 
« Ainsi quand les bêtes féroces, dans la prison qui les enferme, oubliant les forêts, semblent s’être adoucies, lorsqu’elles ont dépouillé leur orgueil menaçant, et appris à souffrir l’empire de l’homme ; si, par hasard, un peu de sang vient à toucher leurs lèvres enflammées, leur rage se réveille ; leur gosier s’enfle, altéré du sang dont le goût vient d’exciter la soif ; elles brûlent de s’en assouvir, et leur cruauté s’abstient à peine de dévorer leur maître pâlissant[145]»
L’apprentissage de la modestie est une nécessité à tous les âges et elle s’apprend dès l’enfance pour être une preuve de savoir-vivre : « En cette école du commerce des hommes, j’ai souvent remarqué ce vice, qu’au lieu de prendre connaissance d’autrui, nous ne travaillons qu’à la donner de nous ; et sommes plus en peine de débiter notre marchandise, que d’en acquérir de nouvelle : le silence et la modestie sont qualités très commodes à la conversation. On dressera cet enfant à être épargnant et ménager de sa suffisance quand il l’aura acquise ; à ne se formaliser point des sottises et fables qui se diront en sa présence : car c’est une incivile importunité de choquer tout ce qui n’est pas de notre appétit.»[146]

Dans le cas où il doit contrer des propos, une manière d’être s’impose : « On lui apprendra de n’entrer en discours et contestation que là il verra un champion digne de sa lutte ; et là même à n’employer pas tous les tours qui peuvent servir, mais ceux-là seulement qui lui peuvent le plus servir. Qu’on le rende délicat au choix et triage de ses raisons, et aimant la pertinence, et par conséquent la brièveté. Qu’on l’instruise surtout à se rendre et à quitter les armes à la vérité, tout aussitôt qu’il l’apercevra, soit qu’elle naisse de son adversaire, soit quelle naisse en lui-même par quelque ravissement.»[147].

Ne pas faire de l’enfant un courtisan car faire son devoir public, « être très loyal serviteur de son prince »[148], ne signifie pas devenir un flatteur de cour :  « le jugement d’un homme gagé et acheté, ou il est moins entier et moins libre, ou il est taché et d’impudence et d’ingratitude. Un pur courtisan ne peut avoir ni loi ni volonté de dire…» car de la protection son prince et à son service, sa franchise est bien souvent corrompue.[149]

L’honnêteté intellectuelle d’une personne a des exigences : « Que sa conscience et sa vertu reluisent en son parler, et n’ayant que la raison pour conduite. Qu’on lui fasse entendre que de confesser la faute qu’il découvrira en son propre discours, encore qu’elle ne soit aperçue que de lui, c’est un effet de jugement et de sincérité.»[150].

Le succès de l’éducation et de l’instruction se reconnaît à traverses les actes du jeune adulte : « Il ne dira pas tant sa leçon, comme il la fera ; il la répétera en ses actions : on verra s’il y a de la prudence en ses entreprises ; s’il y a de la honte et de la justice en ses déportements ; s’il a du jugement et de la grâce en son parler, de la vigueur en ses maladies, de la modestie en ses jeux, de la tempérance en ses voluptés, de l’ordre en son économie ; de l’indifférence en son goût, soit chair, poisson, vin ou eau : ‘’qui disciplinam suam non ostentationem scientiae, sed legem vitae putet ; qui que obtemperet ipse sibi, et discretis pareat.’’[151] »[152].

De quelques principes d’éducation :
Il préfère une façon de parler semblable à celle d’écrire : « Le parler que j’aime, c’est un parler simple et naïf, tel sur le papier qu’à la bouche ; un parler succulent et nerveux, court et serré ; non tant délicat et peigné, comme véhément et brusque :‘’Haec demum sapiet dictio, quae feriet’’ ‘’Que l’expression frappe, elle plaira.’’ »[153]. Adopter un parler naturel est le vrai signe de distinction : « Comme aux accoutrements, c’est pusillanimité de se vouloir marquer par quelque façon particulière et inusitée : de même au langage, la recherche des phrases nouvelles et des mots peu connus vient d’une ambition puérile et pédantesque. »[154].

Vivre à la dure, hors du cocon familial, fait aussi partie de l’éducation. Savoir supporter la fatigue comme la douleur de certaines situations prouve une force de caractère utile pour franchir les obstacles de la vie. Pour un enfant, « ce n’est pas assez de lui raidir l’âme ; il lui faut aussi raidir les muscles[155]. Les voyages sont aussi une formation de la jeunesse[156] pour découvrir le monde tel qu’il est.

Cultiver une saine curiosité est une marque d’intelligence en vue de développer un esprit de discernement : « Qu’on lui mette en fantaisie une honnête curiosité de s’enquérir de toutes choses : tout ce qu’il y aura de singulier autour de lui.»[157]. Observer la société est une source remarquable d’enseignements : « la sottise même et faiblesse d’autrui lui sera instruction : à contrôler les grâces et façons d’un chacun, il s’engendrera envie des bonnes et mépris des mauvaises.»[158]. Fréquenter le monde, non pour paraître mais pour connaître, a du sens : « Il se tire une merveilleuse clarté pour le jugement humain, de la fréquentation du monde : nous sommes tous contraints et amoncelés en nous, et avons la vue raccourcie à notre nez.  On demandait à Socrate d’où il était : il ne répondit pas d’Athènes mais du monde ;….»[159]. Le monde qui est observé est le meilleur livre de connaissances pour un jeune : il se forge ainsi un jugement sain : connaître les mœurs fortes diverses qui régissent les pays ; acquérir ainsi un art de vivre avec les autres.

Face aux sophistes, un seul comportement est possible pour un jeune : « Voire mais, que fera-t-il si on le presse de la subtilité sophistique de quelque syllogisme ? « Le jambon fait boire ; le boire désaltère : par quoi le jambon désaltère. » Qu’il se moque : il est plus subtil de s’en moquer que d’y répondre. »[160]. La réponse de Montaigne, si tolérant d’habitude dans ses manières, est ici sans concession ! De même, il critique aussi bien les sottises émises par certains hommes du clergé que par des médecins[161] (contre lesquels il ne se montre pas tendre)  ou certains charlatans qui se trouvent malheureusement dans tous les corps de métier !

A propos des livres :
S’il y a un sujet que Montaigne aime à traiter, c’est bien les livres, si nécessaires pour une instruction permanente[162]. Dans ses Essais, il reconnaît volontiers les nombreux emprunts qu’il leur a faits. L’homme ne s’instruit pas uniquement dans son jeune âge mais jusqu’à ses derniers instants : au contact des autres, en vivant en société, en s’observant dans toutes les circonstances de la vie et en aiguisant son jugement avec des auteurs : ne jamais cesser de se former son jugement, voilà la plus belle leçon de Montaigne.
Ainsi dans le livre 2, chapitre 10[163], Montaigne confie tout ce qu’il doit aux auteurs qui l’ont précédé. Il les a lus pas tant pour connaître les choses mais surtout pour se connaître lui-même. Sa manière de cultiver le « Connais-toi toi-même » de Socrate s’exprime avec ces mots : « Je ne cherche aux livres qu’à m’y donner du plaisir par un honnête amusement : ou si l’on étudie, je n’y cherche que la science qui traite de la connaissance de moi-même[164] et m’instruise à bien mourir et à bien vivre. »[165]. Reconnaître son ignorance de certaines choses est une preuve de jugement comme de modestie[166] : « La science et la vérité peuvent loger chez nous sans jugement ; et le jugement y peut aussi être sans elles : voire la reconnaissance de l’ignorance est l’un des plus beaux et plus sûrs témoignages que je trouve. »[167].
Sa préférence pour les auteurs anciens est nette. A propos des plus récents, voici ce qu’il confesse : « Je ne me prends guère aux nouveaux, pour ce que les anciens me semblent plus pleins et plus raides : ni aux grecs[168]. Entre les livres simplement plaisants, je trouve des modernes, le Décameron de Boccace, Rabelais et les Baisers de Jean Second, s’il faut loger sous ce titre, dignes qu’on s’y amuse. »[169]. Les poètes anciens ont sa faveur : « Mais pour suivre ma route, il m’a toujours semblé qu’en la poésie, Virgile, Lucrèce, Catulle et Horace tiennent de bien loin le premier rang ; et de façon insigne Virgile en ses Géorgiques, que j’estime le plus accompli ouvrage de la poésie : à comparaison duquel on peut reconnaître aisément qu’il y a des endroits de l’Enéide, auxquels l’auteur eût donné encore quelque tour de peigne, s’il en eût le loisir ; et le cinquième livre de l’Enéide me semble plus parfait. »[170]. Montaigne emploie souvent le terme de « raide » dans un sens positif pour lui : raide, c’est ce qui est « ferme, assuré », qui enlève le doute légitime et qui fait que sa certitude n’est pas une fausse certitude. C’est la conclusion d’un jugement sain qui a pesé le pour et la contre, le vrai du faux, selon les connaissances réunies en un temps donné et une situation donnée.

Térence, Lucain, Lucrèce, Martial ont la faveur de Montaigne qui se déclare farouchement  contre les Pétrarquistes. Les éloges vont à Plutarque et à Sénèque qui ont servi de modèles quant au style et à l’esprit de Montaigne : « Quant à mon autres leçon, qui mêle un peu plus de fruit au plaisir, par où j’apprends à ranger mes opinions et conditions, les livres qui me servent, c’est Plutarque, depuis qu’il est français et Sénèque. Ils ont tous deux cette notable commodité pour mon humeur que la science que j’y cherche y est traitée en pièces décousues, qui ne demandent pas l’obligation d’un long travail, de quoi je suis incapable : ainsi sont les opuscules de Plutarque et les Epîtres de Sénèque, qui sont la plus belle partie de leurs écrits et la plus profitable. Il ne faut grande entreprise pour m’y mettre et les quitte où il me plaît car elles n’ont point de suite et dépendance des unes aux autres. Ces auteurs se rencontrent en la plupart des opinions utiles et vraies. »[171]. Cet extrait témoigne d’une filiation de pensée de Montaigne avec ces auteurs ! Il ajoute : « Leur instruction est de la crème de la philosophie et présentée d’une simple façon et pertinente.»[172].

Admirer ne signifie pas accepter tout, de façon inconditionnelle, des auteurs anciens et abdiquer ainsi un esprit critique. Cicéron est aimé et lu pour sa philosophie morale mais Montaigne trouve sa façon d’écrire ennuyeuse : trop d’apprêts selon lui. Pour goûter «le suc et la substance [173]», il faut trop de temps car il use excessivement de logique aristotélicienne : « Je veux des discours qui donnent la première charge dans le plus fort du doute : les siens languissent autour du pot ; ils sont bons pour l’école, pour le barreau et pour le sermon, où nous avons loisir de sommeiller et sommes encore, un quart d’heure après, assez à temps pour en retrouver le fil[174]. Pour Platon, il est aussi critique : « la licence du temps m’excusera-t-elle de cette sacrilège audace, d’estimer aussi traînants les discussions en dialogue de Platon même, étouffant par trop sa matière ; et de plaindre le temps que met à ces longues interlocutions vaines et préparatoire un  homme qui avait tant de meilleures choses à dire ?»[175]. Sa lutte contre une dialectique abusive est déclarée !

Utilité de la connaissance de l’histoire 
A plusieurs reprises, Montaigne se plaît à louer l’histoire et les exemples qu’il utilise pour justifier ses pensées démontrent une connaissance étendue du passé. Il conseille à un jeune l’utilité de comprendre la politique, au sens noble du terme : « il s’enquerra des mœurs, des moyens et des alliances de ce prince, et de celui-là : ce sont choses très plaisantes à apprendre et très utiles à savoir. »[176]. Aux dates et aux lieux, il s’agit de préférer les mœurs et d’apprendre à juger les évènements.

Dans son livre 2, au chapitre 10[177], il reprend son éloge des historiens en développant de nombreux commentaires sur les historiens anciens, Plutarque ayant toute sa faveur, d’un passé proche et de son temps. Sa motivation : « l’homme en général, de qui je cherche la connaissance, y paraît plus vif et plus entier qu’en nul autre lieu ; la variété et vérité de ses conditions internes, en gros et en détail, la diversité des moyens de son assemblage, et des accidents qui le menacent. Or ceux qui écrivent les vies, d’autant qu’ils s’amusent plus aux conseils qu’aux évènements, plus à ce qui part du dedans qu’à ce qui arrive au dehors, ceux-là me sont plus propres : voilà pourquoi, en toutes sortes, c’est mon homme que Plutarque. »[178]. Son plaidoyer pour une histoire comparative mérite d’être retenu : « En ce genre d’étude des histoires, il faut feuilleter, sans distinction, toutes sortes d’auteurs et vieux et nouveaux, et baragouins et français, pour y apprendre les choses de quoi diversement ils traitent.»[179].

Il aime les historiens simples, ce qui les rend estimables, comme Froissard : « Les simples, qui n’ont point de quoi y mêler du leur, et qui n’y apportent que le soin et la diligence de ramasser tout ce qui vient à leur notice, et d’enregistrer, à la bonne foi, toutes choses, sans choix, sans triage, nous laissant le jugement entier pour la connaissance de la vérité.»[180]. Les excellents historiens ont la capacité de: «choisir ce qui est digne d’être su, [et]  peuvent trier, de deux rapports, celui qui est le plus vraisemblable ; de la condition des princes et de leurs humeurs, ils en concluent les conseils, et leur attribuent les paroles convenables : ils ont raison de prendre l’autorité de régler notre créance à la leur, mais, certes, cela n’appartient à guère de gens.»[181].

Toutefois, n’accordons pas une confiance naïve à tous les historiens car il en est de méprisables : « Ceux d’entre eux (qui est la plus commune façon) nous gâtent tout ; ils veulent nous mâcher les morceaux : ils se donnent loi de juger, et par conséquent d’incliner l’histoire à leur fantaisie ; car depuis que le jugement pend d’un côté, on ne se peut garder de contourner et tordre la narration à ce biais : ils entreprennent de choisir les choses dignes d’être sues, et nous cachent souvent telle parole, telle action privée, qui nous instruirait mieux : omettant pour choses incroyables, celles qu’ils n’entendent pas ; et peut-être encore telle chose, pour ne savoir dire en bon latin ou français.»[182]. De nos jours, cet extrait est encore plus d’actualité avec les historiens-accusateurs-procureurs-juges-censeurs, médiatisés à outrance et dont les logorrhées soûlent[183] le grand public qui, par saturation, au bout de quelques années de gavage, dédaigne ou méprise cette source de connaissance.
Pages que tout historien ou passionné peut lire, maintenant comme demain, pour en tirer les plus beaux fruits ! Oui, l’histoire apprend pour qui sait garder un esprit critique !

Il faut bien conclure alors qu’il y aurait encore tant à dire. La synthèse de la pensée de Montaigne en matière d’éducation et d’instruction est dans la réponse à cette question : De quelle façon enseigner et le corps et l’âme ? : «… aussi, notre leçon, se passant comme par rencontre, sans obligation de temps et de lieu, et se mêlant à toutes nos actions, se coulera sans se faire sentir ; les jeux mêmes et les exercices seront une bonne partie de l’étude ; la course, la lutte, la musique, la danse, la chasse, le maniement des chevaux et des armes. Je veux que la bienséance extérieure, et l’entregent, et la disposition de la personne, se façonne qu’en et dans l’âme.  Ce n’est  pas une âme, ce n’est pas un corps, qu’on dresse ; c’est un homme : il n’en faut pas faire à deux ; et comme dit Platon, il ne faut les dresser l’un sans l’autre, mais les conduire également, comme un couple de chevaux attelés à même timon. »[184].

Les principes de Montaigne pour notre sujet sont : Former le jugement ; Trouver de la pondération ; Etre ce que l’on est : ne pas paraître ; Agir en conformité avec ses convictions ; Avoir la curiosité de savoir ; Rechercher la vérité ; Ne pas opposer le corps à l’esprit : les associer.

***
Conclusion

L’histoire de l’éducation est une étude passionnante : notre intérêt est dans la recherche des vérités durables derrière la multiplicité des procédés de l’éducation. Il convient de distinguer le poids tantôt positif, tantôt négatif des idées philosophiques aussi bien que religieuses qui élèvent ou qui abaissent l’homme.

Il y a eu des chimères, des erreurs qui devraient nous inspirer la prudence ou, au minimum, nous faire rejeter certaines pratiques. Toutefois, en tant qu’historien, j’ai souvent constaté, et en pédagogie aussi, que l’homme, qu’il soit politique ou éducateur, apprend guère du passé : il est victime de cet orgueil qui le pousse à croire que le sujet qui le préoccupe n’a jamais été considéré avant lui et que de toute façon il est le seul détenteur de la Vérité.

En matière de pédagogie, il y a une filiation de pensées qui remontent aux plus hautes civilisations humaines dans le temps et, en ces quelques lignes, j’ai tenté de vous en rendre compte : un livre aboutirait aux paradoxes de Rousseau, au singulier système des Jésuites, évoluant jusqu’à nos jours. Les préceptes de Montaigne, de Locke et de Comenius, construits sur les auteurs qui les ont précédés, ont connu des développements avec Pestalozzi, P. Girard, Fröbel, Eckart, Fellenberg, Wehrli, Gauthey.

Quelques leçons générales  sont données :
La société idéale de Rabelais : c’est Thélème. Travailler toujours mais dans une ambiance de liberté et de spontanéité. Travail vient du latin « tripalium » : tourment, torture en fait ; le travail était un terme réservé aux femmes qui accouchent ; pourquoi ne pas entendre que la vie est un perpétuel accouchement avec ses douleurs et ses joies face à ce qui est à naître. Voici une lecture de Rabelais qui pourrait vous paraître étrange mais elle est possible car Socrate procédait à un travail particulier, la maïeutique, qui n’est rien d’autre qu’un accouchement des esprits ! Oubliez cet élément, c’est faire dire n’importe quoi à Rabelais et cela n’a bien sûr pas manqué.

Les livres constituant le roman de Rabelais sont une véritable initiation, une éducation et une instruction tout à la fois : inspiré des dialogues de Socrate, il livre un exercice oratoire de son temps sur toutes les matières ayant trait à la vie humaine.

L’éducation et l’instruction doivent réconcilier le corps et l’âme. Ce débat entre le corps et l’âme a été un thème récurrent de la poésie goliardique, depuis le XIe siècle déjà, et, chez les auteurs du XVIe s., il est repris avec la même passion. Nous le retrouverons, par exemple, chez le Nîmois et Genevois Claude Baduel qui démontre dans ses écrits que la vie en couple n’est pas nuisible au travail intellectuel.

Accepter Dieu mais rester prudent face à ses serviteurs établis, pas toujours par la grâce du Saint Esprit. C’est aussi une reprise de chansons goliardiques où les vices du clergé étaient dénoncés. De nos jours, je vous décrirais sans aucune peine quelques vices du clergé mais cela ne signifie pas pour autant que je rejette le message religieux chrétien et que je refuse de voir les actes extraordinaires accomplis par des gens de Foi !

Il pratique l’éloge de bonnes nourritures en décriant les excès avec complaisance mais non pour les louer. Il grossit le trait à outrance. Il invente des histoires merveilleuses comme cela était conseillé dans les prêches du Moyen Age pour susciter l’attention et il tire parti des farces[185] dont le public était friand et coutumier.

Rabelais critique certains enseignants et formes d’enseignement mais non l’instruction et l’éducation. Il en va de même pour l’Eglise.

Dans son œuvre, Rabelais offre une initiation onirique et réaliste à tout ce connaît l’homme en une existence, en dévoilant ce que le cerveau peut offrir de plus beau et les appendices du ventre, de plus nature. Il traite ave humour et un humour parfois lourd, les questions existentielles : chacun, certes, ne se les pose pas toutes mais il procède à grand inventaire où son sens de l’observation juste n’est jamais pris en défaut.

Souvent nous parlons de l’absurdité scolastique que démontrent Rabelais et Montaigne. En fait ils pratiquent à leur façon une critique de la raison : Rabelais parodie avec aisance et humour une dissertation où se réunissent la thèse et l’antithèse pour offrir une synthèse ou, plus souvent, pour que lecteur trouve lui-même cette synthèse avec son esprit critique. Rabelais et Montaigne peuvent être lus de différentes façons. Nous arrivons au débat d’Umberto Eco sur l’interprétation de l’œuvre : il y a l’auteur et sa pensée, le texte et les limites des mots, le lecteur et sa pensée, avec son « jugement » comme le dit Montaigne.

Montaigne fait de même mais d’une autre façon : il se scrute et scrute les autres à travers lui ; Montaigne apprend à son lecteur que la vie est une éducation et une instruction perpétuelles et toujours inachevées. La philosophie est de savoir « bien mourir et bien vivre ». Finalement en le lisant et en le relisant, je m’aperçois qu’il disserte longuement sur des morts régulières que nous vivons : nous avons été un bébé, un enfant, un adolescent, un homme actif en diverses situations, nous avons vécu hier ce que nous ne vivrons plus demain (un grand amour, une grande amitié…). Tout cela est né et mort quoique nous vivions encore : la vie est une succession de petites morts et en disant cela, il ne s’agit pas uniquement de cette petite mort qui se connaît après l’acte amoureux.

Finalement, Montaigne et Rabelais défendent-ils la raison, cette raison qu’invoque le siècle des Lumières, avec autant de dogmatisme que l’Eglise en a eu sur certaines questions ? Rabelais et Montaigne se retrouvent en démontrant que la raison humaine se contredit le plus souvent. Ils mettent en doute bien des certitudes : ainsi, il n’est pas possible de croire en la toute puissance de la raison. L’examen méthodique du pour et du contre est cause du doute des sceptiques.

Toutefois, il y a la nécessité de vivre et de croire. La foi demeure et le mieux encore est de faire une confiance prudente et attentive à ses expériences. Tous deux font un inventaire des opinions qui ont cours en leur temps : l’un en plaisantant gauloisement ; l’autre en sage joyeux. Tous deux utilisent le rire, le rire gras de l’un ne cache pas le rire ironique de l’autre (à la façon de Socrate qui feint l’ignorance pour révéler l’ignorance réelle de ses interlocuteurs) !

Rabelais nous fait vivre son expérience, en plusieurs personnages qui représentent sa personnalité qui est complexe, diverse et pas un monobloc. Emile Faguet dans son livre « Le XVIe siècle » le dit clairement : Rabelais est à la fois Grandgousier (le père spirituel attentif et fin politique), Gargantua (l’étudiant idéal), Jean des Entommeures (un homme du clergé, ouvert à la vie réelle, à l’action et non à la seule méditation) et Panurge (le malicieux capable du meilleur comme du pire). Panurge est le goliard par excellence : il sort tout droit de la vie estudiantine, avec ses canulars pas toujours du meilleur goût mais qui se retrouv(ai)ent dans certains rites d’initiation ou de bizutage chez les étudiants.

La complexité de l’être humain ne se réduit pas à un seul visage, un homme peut être plusieurs personnages selon les circonstances ; il n’y a pas un seul être intérieur mais plusieurs et le plus difficile est probablement de les faire vivre ensemble et de les accepter. Montaigne, lui, reste concentré sur lui-même ne dit rien d’autre mais d’une façon plus analytique : l’homme varie suivant les circonstances et les faits.
La philosophie est formatrice du jugement et des mœurs. Cet humanisme[186] aux origines chrétiennes marque encore le XXIe siècle et d’en connaître les origines permet de réviser bien de faux clichés, imposés part des idéologues.

Tous deux portent un éclairage, certes différent, sur la façon de bien vivre qui repose sur une bonne éducation et une bonne instruction. La seule connaissance par les sens n’existe pas de façon totale : une analyse sincère démontre que plusieurs composantes peuvent modifier cette perception : l’imagination, la volonté, l’entendement et le jugement ! Le corps et l’esprit forment un tout inséparable : c’est la plus belle leçon qu’il faut retenir de nos deux auteurs.

Pour nos deux auteurs, un art de vivre et de faire : voilà ce qui compte. Montaigne dit (Essais, II, 12) : « J’ai vu en mon temps cent artisans, cent laboureurs  plus sages et plus heureux que des recteurs de l’université, et auxquels j’aimerais mieux ressembler. »

L’homme sa vie durant ne cesse de s’instruire, de s’éduquer et, s’il ne fait pas il n’est qu’un mort vivant ! Malheureusement, il y en a beaucoup !


Antoine Schülé
La Tourette
12, Pl. Lavoir et Arsac
F-30 200 Saint-Gervais



[1] Etymologiquement l’enfant vient du latin infans, in fari, celui qui ne parle pas.
[2] Un beau tableau de chasse pour rire et pleurer tout à la fois à la façon de Rabelais-Pantagruel ou jeter un regard ironique à la façon de Montaigne : Christopher Cerf et Victor Navasky, Paroles d’experts. Les perles des spécialistes. Acropole. Paris. 1984. 192 p. Sans oublier : Jérôme Duhamel : Le grand méchant dictionnaire. Seghers. Paris. 1985. 432 p. et : Le grand méchant bêtisier. Albin Michel. Paris. 1991. 380 p.
[3] Pour initier une recherche sur l’éducation et l’instruction dans l’esprit de la Réforme : Henri Meylan : D’Erasme à Théodore de Bèze. Problèmes de l’Eglise et de l’Ecole chez les Réformés. Droz. Genève. 1976. 292 p. Consultez tout spécialement les pp. 191-258 : Collèges et Académies protestantes en France au XVIe s. ; Professeurs et étudiants. Questions d’horaires et de leçons ; Les années d’apprentissage de David Chaillet et Jérémie Valet ; Le recrutement et la formation des pasteurs dans les Eglises réformées du XVIe s..
[4] C. Baduellus : Liber de officio et munere professorum et eorum qui juventutem erudiendam suscipiunt entre autres. M.-J. Gaufrès : Claude Baduel et la réforme des études au XVI e siècle. Hachette. 1880.
[5] La mort est vue comme un enfantement à une autre vie : une façon de se familiariser avec l’inéluctable.
[6] De nombreux ordres religieux se sont préoccupés d’éducation et un indicateur intéressant est le : Yves Poutet F.E.C. La prière de l’éducateur. CLD. Chambray. 1982. 
[7] Qui exige de prospecter des mondes inconnus, au risque de mettre en péril des croyances…
[8] Comenius (nom latinisé du tchèque Jan Amos Komenský) : Didactica magna seu omnia omnes dicendi artificium, 1632, éd. tchèque 1649, éd. latine 1657. En français : La Grande Didactique. Et encore : Schola ludus, 1657; Orbis pictus, 1658.
[9] Education de Cyrus le Grand.
[10] Dieu.
[11] Alors que certains, se prenant pour le Christ, se contentent d’être des poteaux indicateurs, sur le bord d’une route : ils indiquent le chemin mais ne le suivent pas. Ce qui est encore le moindre mal car d’autres ont des comportements où ils se trompent tout simplement de modèle (cas hélas à percevoir urgemment surtout, à nullement déculpabiliser régulièrement  évidemment) : ils suivent Judas, le mauvais larron, les pharisiens ou encore les marchands du temple quand ce n’est pas Caïn, en voulant mimer des saints ! Il y a des langues de vipère derrière des visages et sourires hypocrites ! Le paraître ne suffit pas !
[12] Ce qui se pratique couramment  au XXIe  s. avec toutes les possibilités données par la science et les lois.
[13] Bernard Cottret : Thomas More. coll. Biographies. Tallandier. Paris. 408 p. 2012. Remarquable ouvrage pour découvrir ce personnage complexe et remarquable face à un Henri VIII, cristallisant les vices de son temps.
[14] Trois maladies spirituelles de notre temps.
[15] Rabelais (préface de Jean Vagne et avant-propos de  François Ruchon) : Gargantua et Pantagruel. Ed Rencontres. Lausanne. s.d.  2 vol. 608 p. et 616 p.  p.81.
Edition en français moderne, agréable à lire, des cinq livres. Ouvrage de référence pour cette étude.
[16] Formule qui deviendra le titre d’une collection fameuse pour découvrir de multiples champs de connaissance.
[17] Reconnaissons que cela n’est pas donné à tous les enseignants ! J’ai été aussi un écolier et je me suis occupé de jeunes en difficultés scolaires !
[18] Comme nous voudrions y croire !
[19] Ce psittacisme tant prisé de nos jours, surtout dans les milieux dits «Culturels ». Les perroquets ont au moins l’avantage en général, eux, d’avoir un beau plumage.
[20] Ce qualificatif est le sésame pour ouvrir la pâmoison du public déclaré aussitôt averti
[21] Rabelais prend soin de préciser la date, ce qui est rare dans son œuvre.
[22] Finesse de l’observation : récemment,  j’ai vu des élèves lire péniblement un texte sans en comprendre le moindre mot !
[23] Ecriture fort différente de la nôtre et que bien des Allemands ne sont plus capables de lire de nos jours.
[24] Actuellement, il est rare que les élèves lisent complètement un livre et certainement plus du tout,  un auteur dans toutes ses œuvres (même pas dans les Universités).
[25] J’ouvre une parenthèse : est-ce que nos élèves, ayant fait le Bac dans les années 2000, ont acquis une sagesse ? Je vous laisse le soin de réfléchir selon vos observations et chacun aura sa réponse.
[26] In Rabelais, Gargantua, p. 83.
[27] Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière : Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement. Le livre des bizarres. Bouquins-Laffont. 1981 et 1991. 792 p. Pour actualiser la bêterie…
[28] In Rabelais, Gargantua, p. 83
[29] D’avoir eu un bon maître.
[30] En effet, il faut une bonne résistance psychique pour enseigner jour après jour, en recommençant plusieurs fois les répétitions, les leçons, ce suivi continu d’élèves tantôt apathiques, tantôt débordants d’énergie !
[31] Critique des professeurs italiens très à la mode en France au XVIe s.; allusion lourde au « braquemart » qui désigne le membre viril et dans le « mardo » vous avez une allusion scatologique évidente. Voilà du Rabelais bien cru !
[32] Ils accumulent des titres et des mots choisis pour voiler un désert d’idées…
[33] Jeu de mots Sorbonne et onagre, l’onagre étant un âne sauvage. 
[34] Franciscains et Dominicains avaient déjà réagi au cœur même du Moyen Age et proposé leurs réformes !
[35] Umberto Eco : Les limites de l’interprétation. Le livre de poche. N° 4192.  Paris. 1992 et 4e éd. 2014. 416 p. A la lecture d’Eco, il y aurait d’utiles relectures de Rabelais à établir !
[36] Nos sociétés cultivent une mémoire avec des informations sélectionnées : trouver encore une personne osant une pensée non conformiste est un évènement rare et généralement passé sous silence quand il n’est pas tout simplement méprisé, en plus avec hauteur (démonstration de la petitesse de la pensée correcte, le nouvel évangile) !
[37] Bernard Maris : Les sept péchés capitaux des universitaires. Albin Michel. 1991. 204 p.  Une critique de l’université de nos jours que Rabelais n’aurait pas reniée.
[38] Rabelais, Gargantua, p. 115.
[39] Rabelais médecin déclare ainsi que le médecin est un don de Dieu.
[40] Rabelais, Gargantua, p. 115.
[41] Ce qui n’a pas empêché Calvin d’écrire dans son Traité des scandales : « Rabelais, Degouea, Despériers.. Les chiens dont je parle, pour avoir plus de liberté à dégorger leurs blasphèmes sans répréhension, font les plaisantins : ainsi voltigeant par les banquets et compagnies joyeuses, et là, causant à plaisir, ils renversent, en tant qu’en eux est, toute crainte de Dieu, vrai est, qu’ils s’insinuent et par petits brocards et farceries, sans faire semblant de tâcher sinon à donner du passe-temps à ceux qui les écoutent : néanmoins leur fin est d’abolir toute révérence en Dieu.» in : Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière. P. 361.
[42] Rabelais, Gargantua, p.116. Pour les interprètes de Rabelais déclarant que Rabelais est un athée, voilà une déclaration qui les contredit totalement.
[43] Les commentaires utiles et non ceux qui suffisent à faire paraître un vernis de savoir.
[44] Rabelais, Gargantua, p. 116.
[45] Le principe de la gymnastique intellectuelle est défini là. Le cerveau s’exerce comme les muscles !
[46] Rabelais, Gargantua, p. 117.
[47] Cultiver ainsi la mémoire encore !
[48] Exactement ce qu’Aristote propose.
[49] Rabelais, Gargantua, p.118.
[50] Les amateurs de body building ont là une référence de poids.
[51] Rabelais, Gargantua, p.122.
[52] Idem, p.123.
[53] Idem.
[54] Rabelais, Gargantua, p.124.
[55] Rabelais, Gargantua. p. 126.
[56] Dans la mesure où une éducation et une instruction ont développé cette qualité première, cela est réaliste.
[57] Pour des motifs relevant de la politique et non de la religion, si l’on se donne la peine de ne pas être aveuglé par des idéologies. Et, bien plus tard, nous retrouverons les mêmes aléas avec la Déclaration des Droits de l’homme, d’inspiration chrétienne mais laïcisée.
[58] Dhuoda : Manuel pour mon fils. Cerf. Paris. 1997. 400 p. Livre sur lequel j’ai réalisé plusieurs études inédites.
[59] Et non seulement des paroles !
[60] Il n’y a pas dichotomie entre les deux : cela mérite d’être souligné.
[61] 185-253(254).
[62] Chapitre 6 est une synthèse.
[63] Magnifique vérité qui devrait être mieux reconnue au XXIe s. où le seul critère est la valeur marchande de la personne (primes ou salaires devenant les signes de distinction) et le bénévolat regardé comme insignifiant, sauf si vous créez une fondation de quelques millions (dont vous ne savez que faire), sans oublier la déduction fiscale que vous pourrez en retirer…
[64] Quelques épigrammes de Martial, des écrits de Plaute peuvent expliquer ce choix augustinien.
[65] Après avoir été d’abord un Franciscain, Rabelais est devenu un Bénédictin.
[66] 840-912.
[67] 742-814.
[68] Sur lequel j’ai effectué plusieurs études.
[69] Lire : Martin Aurell : Le chevalier lettré. Savoir et conduite de l’aristocratie aux XIIe et XIIIe siècles. Fayard. Paris. 2011. 540 p.
[70] Le droit à la guerre : la notion de guerre juste, sujet passionnant si fréquemment débattu durant tout le moyen Age.
[71] Le droit dans la guerre : un humanisme chrétien dans une pratique où il faut donner ou recevoir la mort, dans le respect de l’autre, même si c’est son ennemi. 
[72] A St. Cyr, les cyrards affichent volontiers un certain dédain apparent pour les sciences académiques, tout en s’y pliant consciencieusement.
[73] Virgile, César, Xénophon, Thucydide, Végèce, Frontin, Polybe, Polyen… et tant d’autres auteurs ignorés de nos jours et qui pourtant donnent des messages, utiles et encore totalement d’actualité au XXIe s. …
[74] En 1369, par Amsterdam.
[75] Erasme a eu un Anglais comme béjaune, William Blount, lors Mountjoy.
[76] Montaigne adoptera aussi cette vue.
[77] Peter et Dorothée Diemer, Benedikt Conrad Vollman : Carmina burana. Deutscher Klassiker Verlag.Bd 15. 1987. 1420 p. Intégralité des textes avec une excellente traduction en allemand.
A. Micha, F. Joukovsky et P. Bühler : Carmina Burana. Textes choisis. Honoré Champion. Paris. 2002. 280 p.
Edition avec une sélection de textes en français et munie d’une bonne bibliographie et audiographie.
Olga Dobiache-Rojdestvensky : Les poésies de Goliards. Paris. 1939. Pour s’initier à cette littérature, il est utile de commencer par ce livre qui est pourvu de textes latins avec traductions en français et d’une excellente bibliographie.
Pour ma part, j’ai effectué plusieurs études de ces textes, notamment « La vie des étudiants à travers la poésie goliardique ».
[78] Suite de déductions rigoureuses liées aux prémices. Cela peut produire des absurdités : Tous les chats sont mortels, Socrate est mortel, donc Socrate est un chat. - Ionesco répondit : Et c’est vrai, il a quatre pattes, mon chat s’appelle Socrate !
[79] Cela ressemble à nos discours politiques de nos jours !
[80] Certains esprits au XXIe s. ont un esprit scolastique : l’autorité d’Aristote a été seulement supplantée par celles de Marx, de Trotski et des « démocrates militants » comme Mao, Staline, Lénine, revus et corrigés par des Intellectuels (ils le prétendent), afin de retrouver leurs « véritables esprits » qui ne sont en rien, bien entendu, responsables des atrocités commises en leurs noms et que nous pourrions donc reconsidérer sans inquiétude, pour « sauver l’humanité »…. 
[81] Pouvant être appliquée, de dix à trente coups, sur les doigts (cela a perduré avec la règle au XXe s.), les paumes, les épaules ou le dos.
[82] Petit fouet à plusieurs lanières.
[83] Pour approfondir le sujet, un bon ouvrage : Philippe Delhaye, Enseignement et morale au XIIe siècle. Cerf. Paris. 1988. 138 p. Recueil de trois études fondamentales pour enfin disposer un regard objectif sur ce temps.
[84] Traduction généralement admise en français quoique non fidèle au titre latin « De eruditione filiorum nobilium.», écrit de 1247 à 1250 et dédié à la reine Marguerite. Auteur d’une œuvre encyclopédique.
[85] Un ouvrage incontournable pour s’initier : Jacques Verger, Les universités au moyen âge. PUF. 1973. 216 p
[86] Qui a commis l’erreur de confondre science et spiritualité, par crainte que la science nuise à la foi. Les défenseurs inconditionnels de la seule Science ont commis la même erreur à l’égard des religions, considérées par eux comme nuisibles, au mieux inutiles
[87] Une question : est-ce que de nos jours, dans les Universités, ces principes sont appliqués ?
[88] Pie II, Enea Silvio Bartolomeo Piccolomini (texte abrégé et commenté par Ivan Cloulas et Vita Castiglione Minischetti) : Les Commentarii de Pie II ou Mémoires d’un Pape de la Renaissance. Tallandier. Paris. 2001. 536 p. Cette traduction sélective du texte latin en français permet une approche objective d’un  Pape : au lecteur de se faire une opinion et non de répéter des «clichés» qui s’effondrent chez celui cultivant un minimum de connaissances.
[89] Rabelais ne dit pas autre chose.
[90] 509-27 av. J.-C.
[91] 146 av. J.-C. : prise de Corinthe par Mummius et prise d’Athènes par Sylla (86-78, dictateur en 82).
[92] Nous vivons dans une complexité législative telle que la fameuse phrase «Nul n’est censé ignorer la Loi. »  n’a plus de sens pour un non juriste : entre les applications entrées en vigueur ou jamais, les interprétations des lois, les lois devenus caduques ou des lois non appliquées depuis leur création, il y a un monde où les avocats règnent en maîtres et même des jurisprudences ne sont pas respectées… toutefois il faut croire en la Justice ou à la Chance, je vous laisse ce choix.
[93] Plus tard, ce sera la Civilisation, la sienne bien entendu, pas celle de l’autre : par exemples, l’Angleterre, les Etats-Unis mais toujours aux noms de grands principes racoleurs…
[94] Nous avons de nos jours le football, le tennis, le cyclisme, le rugby, le catch, la boxe qui son prioritaires sur les actualités internationales, lorsqu’on se met à l’écoute des chaînes de télévision ou de radio.
[95] De 7 à 12 ans, du magister ludi (maître d’école) : lire, écrire, compter selon le système duodécimal, réciter par cœur la loi des XII Tables ; de 12 à 16 ans, du grammaticus (grammairien) : études critiques des poètes latins et grecs, réciter par cœur les explications de textes et mettre la poésie en prose, rédiger des narrations et des dissertations ; de 16 à 17 ans, du rhéteur : prononcer et écrire des discours (les suasoriae, consultations ou les controversiae, discussions sur un point de droit).  Certains, mais c’est l’exception comme Cicéron, César et Horace, se rendent encore ensuite en Grèce pour écouter des maîtres célèbres.
[96] Lefèvre. Paris. 1823. 5 vol.
[97] T. 1 (Idem), Livre 1, chap. XXV, pp. 280-347. La tomaison sera indiquée uniquement pour les citations prises hors de ce chapitre.
[98] Idem p. 280.
[99] Idem p. 281.
[100] Idem, p. 284.
[101] Idem, p. 286.
[102] Idem p.287.
[103] Idem, p. 288.
[104] Idem, p. 317.
[105] Idem, p.288.
[106] Idem, p. 289.
[107] Idem p. 338.
[108] Idem 338-339
[109] Idem p. 340.
[110] Idem, p. 341.
[111] Idem, p. 342.
[112] Idem, p. 342-3. Tout étudiant a vécu certains cours où il s’interroge comment des professeurs peuvent détruire une passion qui ne demandait qu’à éclore à leur contact !
[113] Idem, p.  343.
[114] Idem, p. 343. Terrible constat et plus d’un étudiant délaisse définitivement ce qui fut le cœur de sa recherche universitaire, une fois son titre obtenu : cela me sidère toujours !
[115] Idem, p. 320.
[116] Idem, p.319.
[117] Idem, p.318 : à notre époque où les études ne cessent pas de s’allonger, il serait bon de se remémorer cette pensée de Montaigne.
[118] Idem, p.290.
[119] Idem p. 292.
[120] Cicéron : De Natura deorum. L. 1, v. 5.
[121] Me viennent à l’esprit des noms de professeurs d’université, heureusement compensés par tous ceux qui ne tombent sous ce vice !
[122] Des démonstrations éloquentes à découvrir dans : Jean-Jacques Barrière et Christian Roche : Le bêtiser des philosophes. Seuil. Paris. 1997. 192 p.
[123] Idem, p. 293.
[124] Idem p. 319.
[125] Idem p. 291.
[126] Idem, p. 294-5.
[127] Idem, p. 323.
[128] Idem, p. 323.
[129] Idem, p. 327.
[130] Idem, p. 294.
[131] Idem, p. 308. Il est curieux que le bien mourir précède le bien vivre.
[132] Idem p. 310.
[133] Idem, p. 312.
[134] Idem, p. 311-2.
[135] Belle comparaison avec le potier et son tour.
[136] Idem, p.317. Au sexe, notre temps ajoute la drogue, la musique psychédélique.
[137] Idem, p. 313.
[138] Idem, p.318.
[139] Idem, p.320.
[140] Idem, p. 314-5.
[141] Tome 3 de l’édition Lefèvre.
[142] T. 3, p. 466-7.
[143] Tome 4 de l’édition Lefèvre.
[144] T. 4, p. 192.
[145] Citation de Lucain, Le Pharsale, livre 4, v.237. Passionnant récit d’une guerre civile.
[146] Idem, p. 293.
[147] Idem, p. 299-300.
[148] Idem, p. 300.
[149] Idem.
[150] Idem, p. 301.
[151] « Si ce qu’il sait lui sert, non à montrer qu’il sait, mais à régler ses mœurs ; s’il s’obéit à lui-même et agit conformément à ses principes. » Cicéron.
[152] Idem, p. 328.
[153] Idem, p. 335.
[154] Idem, p. 337.
[155] Idem, p. 296.
[156] Les vagants le pratiquaient.
[157] Idem, p. 302.
[158] Idem.
[159] Idem, p. 304.
[160] Idem, p. 330.
[161] Montaigne souffrait de la maladie de la pierre et il a dû subir les propos de doctes médecins, cependant ignares dans leur art !
[162] Une formation permanente comme nous disons de nos jours.
[163] T. 2 de l’édition Lefèvre.
[164] Toutefois, il cherche en lui, non par égocentrisme mais pour mieux comprendre les autres, en s’analysant. Sachant se connaître, il perçoit mieux ce qui le distingue en bien comme en mal des autres : connaissant ses limites, il peut mieux percevoir les limites de l’humaine condition. Le fruit de l’expérience.
[165] T.2, p. 349-350.
[166] Pensez à tous ces « Messieurs ou Mesdames Je-sais-tout » (oui, il y a bel et bien parité en la demeure) dans plus d’une association.
[167] T. 2, p. 349.
[168] Car sa connaissance du grec était médiocre, selon lui : ce qui ne l’empêche pas de citer des auteurs grecs. Il y avait sans doute, comme de nos jours, des livres de sentences et de citations que les lettrés exploitaient selon les besoins de leurs propos.
[169] T. 2, p. 350-1.
[170] T. 2, p. 352-3.
[171] T. 2, p. 357.
[172] T. 2, p. 358.
[173] Rabelais aime aussi ce mot.
[174] Idem, p. 359. Cette citation me donne de nombreux souvenirs…
[175] Idem, p. 360.
[176] Idem, p. 302.
[177] T. 2, pp. 362-373, éd. Lefèvre.
[178] T. 2, p. 364.
[179] T. 2, p.364.
[180] T. 2, p. 365
[181] T. 2, p. 366.
[182] T. 2, p. 366.
[183] Il y a bien un enivrement au commencement qui aboutit à un mortel ennui.
[184] Idem, p. 322.
[185] Les farces ont fleuri avec profusion au XVe s. déjà avec une apothéose au XVIe s.
[186] Deux ouvrages m’ont permis d’en prendre conscience : B. Andenmatten (et autres) : Ecoles et vie intellectuelle à Lausanne au Moyen Age. Université Lausanne. 1987. 216 p. et Louis Meylan : Les Humanités et la personne. Esquisse d’une philosophie de l’enseignement humaniste. Delachaux et Niestlé. Neuchâtel. 1939. 272 p. Ce livre de Meylan est remarquable par son approche fine et précise du sujet.

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