Education et instruction selon Rabelais et
Montaigne :
de l’utopie à l’expérience.
Antoine Schülé, historien
A la mémoire d’Adrien Schülé,
enseignant passionné de pédagogie.
Introduction
Dès le commencement des
premiers témoignages philosophiques, connus de nos jours, les philosophes ont disserté
sur deux grands thèmes : l’art de gouverner les peuples et l’art d’élever
la jeunesse qui, plus tard, est devenu la spécialité des pédagogues. N’est pas
pédagogue qui veut : en effet, la pédagogie est plus un art ou un
don car le seul savoir ne suffit pas.
La façon de concevoir
l’enseignement est lié à une philosophie,
c’est-à-dire à une sagesse
communément admise, soit imposée, soit voulue par choix ou par la coutume. Elle
reste propre à chaque peuple et forme ainsi au final une identité : c’est pourquoi ce sujet a préoccupé tout homme qui,
depuis les débuts de l’humanité, est désireux de transmettre une pensée comme
un savoir à la postérité. Elle dépend d’une psychologie collective comme particulière
et d’une morale dominante, dite religieuse généralement, qui est devenue laïque
et qui, dès lors, s’appelle non plus une morale mais une «éthique », fruit d’une idéologie,
pouvant être acceptable ou inacceptable selon les valeurs admises.
Hier comme aujourd’hui, tous
les gouvernements s’attachent à maîtriser d’une façon ou d’un autre la
formation de la jeunesse : l’avenir d’une société en dépend et l’histoire
nous l’apprend pour le meilleur et pour le pire, selon les valeurs que cette
société a cultivé ou cultive. Rabelais et Montaigne alimentent la réflexion de
leurs considérations et méritent sous cet angle précis, de l’éducation et de
l’instruction, toute notre attention.
Nos deux auteurs ont formulé
leurs visions et leurs expériences sur l’éducation, liée plus à la famille, et
l’instruction, délivrée individuellement à un élève ou à un nombre réduit
d’élèves. Rabelais, extraverti, a été souvent opposé à Montaigne, introverti,
mais tous les deux délivrent leur intelligence des faits avec une sensibilité
qui leur est particulière. Avec une comparaison de leurs considérations sur
l’éducation et l’instruction, je tenterai brièvement de discerner la nature de
leur originalité par rapport à leurs prédécesseurs et la trace qu’ils ont
laissée à la postérité.
Pour éviter toute confusion, une
précision sémantique s’impose au préalable :
·
L’éducation
inscrit l’enfant[1]
dans la famille et la société où il est né ; elle lui apprend un jugement prudent, reflétant les normes
et conventions communément admises par son entourage.
·
L’instruction
forme le raisonnement mais
n’oublions pas que la raison ou la logique peuvent produire parfois aussi des
conclusions fausses, comme de brillants «experts»[2] nous
en ont fait ou font trop souvent la démonstration ! Soyons positifs :
la Vérité existe sous différentes
facettes et chacun, selon son degré de connaissances, peut en maîtriser une ou quelques-unes
mais jamais toutes malheureusement, à moins d’être dévoré d’orgueil (cela
existe, il ne s’en rencontre que trop). Reconnaître sa part d’ignorance au sein
de ces vastes mondes du connu et de l’inconnu, est la seule façon d’ouvrir sa
quête de vérités et de prospecter de
nouveaux chemins de savoir avec celles et ceux qui possèdent d’autres sciences,
d’où l’utilité de voyager, de discuter et d’observer comme les héros de
Rabelais ou un Montaigne.
Rabelais observe la société et
les hommes. Montaigne observe l’homme dans la société. Sans aucune indulgence,
ils nous offrent deux regards particuliers, l’un au début et l’autre à la fin
du XVIe siècle. Trop souvent, ces deux auteurs ont été opposés l’un
à l’autre car leurs styles diffèrent mais leur objectif est identique :
répondre à la devise de Socrate «Connais-toi toi-même.».
Contexte général
L’Antiquité grecque a
permis la floraison de méthodes attrayantes que la Renaissance redécouvrira. Aristote a
construit une théorie de l’éducation progressive. Au Moyen Age, l’école du
peuple, recevant une instruction de base, est au service de la théologie. La Réforme[3] a aussi
poursuivi dans ce sens et de manière encore plus forte que l’Eglise. Les Jésuites
en ont si bien pris conscience qu’ils sont vite devenus des spécialistes de
l’enseignement pour plusieurs siècles. L’instruction donnée garantit une
fidélité à une doctrine, qu’elle soit catholique ou protestante.
A Nîmes, Claude Baduel
(1491-1561) est une figure calviniste très représentative. Humaniste méridional,
il mériterait d’être mieux connu. Ses 111 pages, écrites en latin, sur
l’éducation[4]
reflètent très concrètement pour des enseignants les idées que Rabelais et
Montaigne nous proposent.
Délivrer des connaissances
pour l’étude de la religion était l’objectif premier. La connaissance devient
un acte d’admiration de la Création voulue par Dieu. Aussi bien chez les
Réformés que chez les autres Chrétiens, la pensée dominante est de se préoccuper
du salut, de la préparation de l’âme à la vie future[5].
Par contre, les méthodes
d’enseignement ne cesseront pas d’évoluer ou de régresser, selon divers
tendances venues de l’Antiquité, chacune prenant ou rejetant des
caractéristiques : à ce jour, tout a été essayé, avec des résultats très
contrastés !
La Renaissance a privilégié
les leçons de l’observation, selon les principes d’Aristote : Montaigne en
est le meilleur exemple. L’enseignement par les choses est une idée que reprendra
et développera Rousseau. Durant la Renaissance, les principes fondamentaux de
la pédagogie moderne sont retrouvés et rétablis. Il ne s’agit pas d’une
nouveauté pédagogique mais d’un nouvel élan : n’oublions pas que rien ne
se crée de rien. Il y a un avant et un après en toute chose.
Au XVIIe s., avec
Port-Royal notamment, la justesse parfaite d’esprit et la droiture du cœur,
éléments essentiels valorisés au siècle précédent, reprennent toute leur importance : ce fut
mal considéré, jugé comme dangereux et leur expérience reçut un point final.
Les Jésuites, entre autres[6],
les supplanteront en cultivant, à leur début, un savoir rigide plutôt qu’une
quête de savoir[7],
ce qui changera au XIXe s.. Retenons que c’est à partir de Comenius[8] (1592-1670) que les principes de
l’éducation moderne se sont diffusés dans le monde de la Réforme.
Avec 1792, les idées
sociales pèsent de tout leur poids : l’homme est considéré comme un animal
politique. De ce principe, il suffit de connaître, aimer, servir la Constitution
donc la Nation. Le jugement, les qualités morales, la religion deviennent
des notions secondaires. Il est intéressant de constater que cette vision
poussée à outrance à favoriser ce culte de l’Etat qui existait déjà au
temps de l’Empire romain, entre autres, et que nous retrouverons dans les Etats
communistes (URSS dans son ensemble et la Chine, encore de nos jours) comme
dans l’Allemagne nazie ou l’Etat fasciste, avec des variantes très diverses quant
à la forme mais de même nature quant au fond : seuls les idéaux faisant
les réelles différences.
Aux origines connues de l’instruction en Occident
Pour les esprits curieux, il
est utile de relever quelques traits essentiels qui proviennent de l’Orient, c’est-à-dire
du Tibet, de la Chine et du Japon, sans oublier les Indes. Il y a une filiation
de pensée en matière d’éducation et d’instruction exigeant une vision globale,
selon les connaissances possédées en notre temps. Le lecteur pressé peut tout
de suite lire plus bas l’éducation en Grèce car la Renaissance y a trouvé ses
racines.
La pédagogie est liée à la
conception du monde, de l’homme et de sa destination. En Orient, le poids de la
religion sur l’éducation est total : les prêtres sont à la fois les conducteurs
du peuple et les premiers instituteurs. Leur tâche est de
transmettre la tradition qui communique des dogmes intangibles et
simples : être conforme à la nature, c’est être conforme à la tradition.
Il n’y a pas à vrai dire de méthode pédagogique, ni une éducation.
Cependant, il y a eu deux
timides réformateurs : Lao Tseu et Confucius.
·
Lao Tseu a voulu lutter contre la routine mais ce
fut un échec.
·
Confucius a cultivé une morale utilitaire (qui,
pour une part seulement, plaît encore, tout spécialement de nos jours :
une des facettes de la laïcité) : un respect ferme des institutions
existantes, autorité de l’Etat et de la Famille. Ne pas observer la coutume
reste, selon lui, une faute ; de même, l’innovation est une folie. La
stabilité est gage de sécurité sociale. L’éducation est réservée aux garçons,
pas aux filles. Une formation plus particulière est donnée à ceux devant
exercer l’autorité de l’Etat.
L’éducation reste
extérieure : la technique du «paraître»
est prédominante alors que Confucius demandait aux serviteurs de l’Etat de
cultiver le raisonnement, comme un Socrate le prêchera aussi plus tard, mais au
seul service de l’Etat. Pour les emplois publics, de nombreux examens sont
exigés, les mandarins sont les Enarques de ce temps.
Au Japon, le système est le
même avec une différence notable : l’éducation est donnée aussi aux
femmes.
En Indes, l’école se pratique sous
un arbre ou sur une place publique. La pédagogie cultive une originalité (qui
se retrouvera en Europe, au XIXe s. voire jusqu’aux années 1930,
avec une classe à plusieurs niveaux) : la pratique de l’instruction
mutuelle. Le maître dispose d’un adjoint et les élèves les plus âgés enseignent
à leurs cadets, sous le contrôle du maître. Le statut de l’instituteur est
au-dessus du père biologique, il est un père spirituel. La punition corporelle
consiste à jeter de l’eau froide sur l’enfant coupable. Le maître est payé en nature,
en cadeaux.
En Egypte, les écoles de
Thèbes, de Memphis, d’Héliopolis et de Saïs sont réservées à la caste des
prêtres. Les sciences et les arts sont enseignés : écriture, lecture,
histoire, philosophie, physique, médecine, mathématiques, astronomie,
architecture, arts plastiques. L’éducation donnée en Perse nous est connue par la
Cyropédie[9] de
Xénophon.
En Judée, le but de
l’éducation est que tout enfant devienne un serviteur fidèle et obéissant de Celui[10]
dont le nom ne se prononce pas. Cela consiste à observer les dix
commandements et les multiples commentaires de la Loi ainsi que de respecter
les prescriptions religieuses à la lettre, si ce n’est dans l’esprit. De
nombreux principes d’éducation, que reprendront les Réformés, se trouvent dans
l’Ancien Testament : les Proverbes,
l’Ecclésiaste.
Pour les premiers Chrétiens,
le modèle d’éducateur est Jésus
Christ. Il offre une éducation plus humaine
et plus divine tout à la fois. Il se caractérise par la profondeur de la
pensée. Il emploie une méthode à caractère populaire et intuitif. Surtout, il
donne l’exemple[11].
Il utilise des paraboles se référant à la vie quotidienne de chacun. Le
réalisme de sa pédagogie est simple : partir du concret pour s’élever
à l’abstrait.
Grèce :
L’éducation s’adresse à une minorité et se met au service de l’Etat. Aucun jeune écolier
ne doit oublier que le mot école
vient du grec skolè, signifiant jeu : l’école vue comme un loisir,
n’est-ce pas réjouissant ? Elle prépare l’enfant à être un homme robuste
de corps et délicat d’esprit. L’homme idéal est beau et bon (comme les sculptures
en témoignent). Deux écoles, bien différenciées se profilent : Athènes et
Sparte. L’Europe connaîtra ultérieurement dans l’espace temps des combinaisons
infinies de ces deux modèles, comme nous le verrons brièvement par la
suite.
Athènes : L’école
n’est pas assurée par l’Etat mais la famille.
Le père enseigne le jeune, qui - à son bas âge - était éduqué par la mère, à devenir un homme accompli. Plus tard, l’enfant était parfois confié à un
« pédagogue » qui pouvait être un esclave : le surveiller,
le conseiller et le conduire à l’école privée - élémentaire - pour y étudier la lecture (essentiellement
avec les œuvres d’Homère), l’écriture, le chant et un instrument (lyre ou
cithare). Seules, les écoles supérieures délivraient les sciences exactes et la
philosophie.
Une originalité : la mise
en valeur de l’éducation physique
(palestre, gymnase) qui comprend : saut, course, jet de disque, jet de
javelot, lutte. Apprendre à nager est important. La phrase usuelle à Athènes pour
désigner un homme ignorant : « Il
ne sait ni lire, ni nager. »
Elément à souligner : le développement
harmonieux du corps et de l’esprit. S’il n’y a pas une éducation morale au sens
où nous l’entendons aujourd’hui, une culture des sentiments esthétiques par
contre ne cesse de croître.
Sparte : l’éducation
spartiate est dure, austère, positive, peu idéaliste, amie de la règle et de
l’ordre. Lycurgue est un adversaire de la liberté individuelle (contrairement à
l’Athénien Solon qui en était un chaud partisan). L’individu est au service de
l’Etat. L’esprit est facilement sacrifié au sport. Faire du jeune homme un
athlète, pour être un combattant, prime.
Le Conseil des Anciens décide
si l’enfant né doit vivre ou mourir : les faibles et les estropiés sont
éliminés[12].
A l’âge de 7 ans, l’enfant est à l’école aux frais de l’Etat. Les cheveux sont
coupés ras ; il marche nu-pieds ; il couche à la dure. Les marches
forcées développent l’endurance. La gymnastique et la musique sont
privilégiées. Par contre, le théâtre et la rhétorique sont défendus. L’éducation
des filles se résume à en faire des mères accomplies.
Contexte du XVIe
siècle
Plusieurs écueils doivent être
évités lorsqu’il s’agit de traiter de l’éducation au XVIe s. Nous ne
sommes pas face à des cultures nationales mais en une présence vivante d’une culture européenne. Des Etats allemands
en passant par les Etats confédérés (la Suisse), les Pays-Bas actuels, les
villes italiennes, espagnoles et l’Angleterre, il y a quelques différences mais
surtout de nombreux points communs.
Les historiens de l’éducation,
dès le XIXe s., ont tendance à limiter leurs études à leurs
frontières nationales : cela a prédisposé à donner des visions fausses et
parfois ridicules. Rabelais comme Montaigne doivent leurs idées à des auteurs
de l’antiquité grecque (Socrate, Platon, Aristote) et latine (Quintilien, Sénèque, Xénophon)
mais aussi et surtout à des Erasme, des Pays-Bas et Bâle, à Thomas More[13]
d’Angleterre, à Luis Vives d’Espagne…
Au XVIe s.,
différentes formes d’enseignement coexistent : les ecclésiastiques donnent
des cours réservés au futurs prêtres et à quelques élèves externes. Toutefois,
la noblesse d’armes privilégie une formation solide où dominent les exercices
physiques. Les familles bourgeoises donnent une éducation se limitant aux
besoins de leurs vocations professionnelles : lire, écrire et compter. Les
Universités sont des lieux de parole où se pratiquent toutes les méthodes
possibles et imaginables. Les étudiants proviennent de diverses classes
sociales : un chevrier, un fils de noble, un riche bourgeois, un paysan
instruit par des prêtres d’une petite commune, etc.
Il est tout simplement
impossible de réduire l’enseignement scolaire et universitaire à ce que nous
écrit Rabelais. Ce serait une vision fausse, une caricature. Par contre,
Rabelais a souligné des travers qui pesaient chez certains enseignants possédant
une renommée surfaite, afin de mettre en valeur les principes d’éducation et
d’instruction qu’il estimait justes.
De façon générale, l’éducation commençait à l’âge de trois
ans, dans le milieu familial ; vers 6 ou 7 ans commençait l’instruction qui s’achevait entre 14 et
16 ans. A 14 ans, il n’y avait plus d’enfant mais un jeune adulte, un adolescent, dénominations qu’il conservait jusque
vers les 35 ans. Les « universitaires », une minorité,
prolongeaient leurs études jusque vers les 20-22 ans. L’instruction professionnelle,
intéressant pourtant une majorité de jeunes, se faisait au sein des
corporations : ni Rabelais ni Montaigne n’en font mention.
***
Les cinq livres de Rabelais
constituent un roman fleuve où il s’oublierait parfois trop facilement que l’intention de Rabelais est d’instruire en riant : il a des plaisanteries lourdes pour
satisfaire l’homme de chair qui y trouve ainsi son compte ; il peut aussi
satisfaire l’homme qui - conscient de son corps - n’oublie pas qu’il possède
aussi une âme. Par le rire, par la soif de connaissance satisfaite, il décrit
une quête de vérités. Boire délie
l’esprit et fait dire tout et n’importe quoi : seul l’homme au jugement sûr a la capacité de faire la
part de ce qui est expression de l’ignorance, de la volupté seule ou de la fine
compréhension des faits. Il use d’une méthode appliquée parfois à
l’excès : ne pas craindre les paradoxes pour mieux éclairer la
connaissance la plus sûre, toujours à vue humaine.
Pourquoi lire et
apprendre ? Rabelais invite son lecteur à rechercher la substantifique moelle. Montaigne, quant à lui, dira rechercher le suc
et la substance. Vous avez là ce point commun qui permet de comparer
utilement nos deux auteurs.
Rabelais ne craint pas une dialectique délirante pour singer les sophistes et ainsi atteindre son but.
Montaigne préfère le soliloque, à
vrai dire un permanent dialogue avec lui-même, sans fard, sans illusion, sans
prétention, pour chercher la voie la plus sûre d’approcher les vérités. Deux
recherches, par des moyens différents, pour atteindre le même but. Tous deux
nous instruisent que la vie ne cesse pas de nous instruire et qu’il ne faut
point se fier aux apparences. Chacun peut avoir sa créance, sa croyance, pourvu qu’il soit en quête de vérités et ne soit pas enchaîné avec
de fausses certitudes : d’où l’utilité du doute (mais provisoire et non
permanent !), de la discussion pour aboutir à un jugement sain afin
d’établir une opinion fondée et, non, pour tomber dans le nihilisme, dans le relativisme
ou un syncrétisme absurde[14].
Rabelais
Pour rapidement découvrir
l’éducation idéale selon Rabelais, il convient de lire tout
spécialement les chapitres XXI à XXIV de Gargantua. Contrairement à Montaigne qui nous fait part de son
expérience et de ce qu’il estime, en son âme et conscience, être une éducation
et une instruction idéales, Rabelais quant à lui nous développe une utopie,
dans l’ensemble de son œuvre écrite. Toutefois, il faudrait être aveugle pour
ne pas observer que son utopie ouvre une parenthèse très pragmatique, là où il
traite d’éducation et d’instruction.
En Gargantua, au chap. XIV, Rabelais critique une forme d’enseignement
qui s’est dévoyée au XIVe s. La scène est la suivante : Grandgousier, ayant le jugement formé selon la pensée d’Aristote, analyse les prédispositions
de son fils Gargantua. Grandgousier est ainsi un sage très positif dans ce
livre. Nuance importante quant à la critique par Rabelais des aristotéliciens, du
moins de ceux qui revendiquent ce titre à la Sorbonne et qui n’en sont que des caricatures.
A propos de son fils Gargantua, Grandgousier déclare : « … je connais que son entendement participe à
de quelque divinité, tant je le vois aigu, subtil, profond et serein, et
parviendra à degré souverain de sapience, s’il est bien institué (= éduqué, =
instruit).»[15].
Rabelais critique les excès
commis au nom d’Aristote : malheureusement, une mode est née et a propagé
l’erreur que tout ce qui est d’Aristote est à rejeter. Notre auteur lui-même
doit beaucoup à Aristote et je tenterai de vous le démontrer. Pour cela, il
faut remonter aux sources qui alimentent aussi bien Rabelais que Montaigne. La
pensée grecque commençait à être redécouverte au XVIe s. dans des
œuvres intégrales. Précédemment, elle n’était connue que par des extraits et
des sentences réunis dans des recueils. De grandes pages sur l’éducation,
rédigées ou pensées par Xénophon, Pythagore, Socrate, Platon sont ainsi analysées
et commentées.
Ce qui est dû à Socrate
Rabelais et Montaigne doivent
beaucoup à Socrate pour la méthode
: au « Je ne sais qu’une seule chose que
je ne sais rien. » de Socrate, Montaigne dira « Que sais-je ?»[16]. La
méthode socratique est la maïeutique, l’art d’accoucher les
esprits par des questions. Socrate n’impose pas un message : il privilégie
un questionnement perpétuel, permettant d’approcher d’un vrai, de toute façon
jamais atteignable mais ayant le mérite d’éliminer les « erreurs de jugement», comme le dira
Montaigne. Rabelais ne cesse pas cette pratique dans des dialogues
étourdissants, avec une volubilité verbale déconcertante parfois ; de
même, Montaigne avec son art de tourner et retourner une question dans tous les
sens et à plusieurs reprises !
L’élève, mais aussi le lecteur
de Rabelais ou de Montaigne, devient ainsi l’artisan de son propre savoir en
confrontant ses opinions à d’autres opinions. La méthode de ce dialogue, qui
réveille l’esprit, sera reprise bien plus tard par Pestalozzi qui influencera
de nombreux pédagogues du XXe s. Au XIXe s. déjà, la
« méthode active » en
est un des fruits : un refus de la passivité dans laquelle l’enfant était
trop souvent maintenu. Une conversation, un art du dialogue avec les élèves est
un art difficile et demande une grande souplesse intellectuelle de l’enseignant[17].
Quand Socrate voulait
combattre l’erreur, réfuter les opinions fausses, il avait recours à l’ironie socratique : retenons que
primitivement le mot grec qui a donné naissance en français au mot ironie signifie interrogation. La priorité de Rabelais et Montaigne est bel et bien
d’écarter les idées fausses. Ne
venez pas me dire que cela n’est pas un sujet d’actualité. Bien entendu,
comment déterminer qu’une idée est fausse, est la première question à se
poser : la réponse est d’ailleurs dangereuse quand elle ne correspond pas
à ce qui est communément admis !
Socrate n’a pas laissé
d’écrits : il y a là une ressemblance avec le Christ et les druides qui se
refusaient à l’écrit. Peut-être n’avaient-ils pas tort lorsqu’on voit comment
les textes peuvent être interprétés, parfois dans un sens contraire à leurs
intentions initiales. Ses idées ont été transmises par ses disciples dont
Platon que, d’ailleurs, Xénophon accusait de trahir la pensée de Socrate !
Platon propose un idéal et développe une utopie pédagogique et
sociale. L’éducation est la tâche la
plus importante de l’Etat : l’efficacité de l’éducation est telle
qu’elle suffit à maintenir l’homme dans la vertu et rend ainsi les lois pénales
inutiles. L’éducation rend l’homme parfait[18]… Dans
son ouvrage « Les lois »,
Platon se montre plus réaliste : des prescriptions et des peines sont
prévues pour frapper tout homme non retenu par le devoir enseigné. Deux
citations de Platon inspirent Rabelais et Montaigne : «Les commencements sont tout dans une nature jeune et tendre dont toutes
les parties gardent l’empreinte qu’on leur donne.» ; «La bonne éducation est celle qui donne au
corps et à l’âme toute la beauté, toute la perfection dont ils sont
susceptibles.».
Aristote apporte la concrétisation des idées socratiques et
platoniciennes en formulant une théorie complète de l’éducation. Son expérience
est réelle car il a été le précepteur d’Alexandre le Grand. Aristote a fondé le
Lycée à Athènes. Il enseignait en marchant et donnait deux leçons par jour.
Dans son livre « La politique »,
les livres IV et V sont consacrés à l’éducation. Aristote distingue trois
degrés dans le développement l’homme : la vie physique, l’instinct, la raison. Il s’agit donc de graduer
l’enseignement selon ces trois échelons de la personne. Aristote a imprégné
tout le Moyen Age en matière d’éducation, comme pour la philosophie, jusqu’à
Bacon : il privilégie déjà l’observation
directe, la libre recherche. Deux principes que des sachants, et non des savants,
ont oublié, préférant être des perroquets
du savoir : réciter sans comprendre[19].
Il y en a encore de nos jours, sans avoir lu une seule ligne d’Aristote mais se
gargarisant de phrases, bien conformes à la pensée dominante et
déclarées cependant innovantes[20],
et pourtant bien éculées !
Critique d’une forme
d’enseignement
Revenons à Grandgousier, ce père
conscient des bonnes dispositions naturelles de l’enfant à recevoir une
instruction. Il engage un précepteur privé, un grand docteur sophiste, c’est-à-dire un théologien : Maître Thubal Holoferne qui mourra de la
vérole en 1420[21],
soit 33 ans plus tard, la caricature d’un enseignant des années 1380.
Son programme : un temps long consacré
à ne connaître que l’alphabet ; lire les lettres, sans comprendre les mots[22],
est le brillant résultat ! Il apprend aussi l’écriture mais elle est
gothique[23],
donc allemande. Les lectures ne sont pas les grands auteurs classiques mais des
extraits[24],
choisis par des grammairiens, de recueils de conseils moraux que l’élève
apprenait par cœur.
Le successeur de Thubal
Holoferne est un vieux tousseux, Maître Jobelin
Bridé. Rabelais offre une longue liste d’ouvrages en usage dans les écoles :
certains ayant existé et d’autres sont de pures inventions et dont les titres sont
d’amusantes fantaisies.
Cependant, Grandgousier
constate au final que Gargantua n’acquiert pas l’essentiel : la sagesse[25]. Nous
sommes au chapitre XV : « Alors
son père aperçut que vraiment il étudiait très bien et y mettait tout son
temps, toutefois qu’en rien ne profitait et qui, pis est, en devenait fou, niais, tout rêveux et rassoté (=
radoteur).»[26].
De la discussion avec un proche, Grandgousier apprend pour Gargantua : « que mieux lui vaudrait ne rien apprendre que
de tels livres sous de tels précepteurs apprendre, car leur savoir n’était que bêterie[27]
et leur sapience n’était que niaiseries,
abâtardissant les bons et nobles esprits
et corrompant toute fleur de jeunesse.»[28]
Un jeune étudiant, âgé de 12
ans et ayant fait deux ans d’études, est proposé à Grandgousier afin de
comparer son aisance oratoire face à Gargantua, accumulant trois décennies
d’études derrière lui : Eudemon (mot grec = heureux, fortuné[29]).
Il s’agit d’un orateur, éloquent pour tourner des compliments et Gargantua reste
confondu : il en pleure et, quant à lui, ne peut dire un mot ! Jobelin
est congédié. Ponocrates (mot grec = résistant, dur à la fatigue, résistant[30]),
le pédagogue d’Eudemon, le remplace.
Au chapitre XIX, la harangue
de Maître Janotus de Bragmardo[31] caricature le discours imbécile et pontifiant
que nous retrouvons parfois à la radio ou à la télévision, quand ce n’est pas
dans les débats politiques ou certains colloques, avec des paroles d’experts,
de consultants[32] !
Au chapitre XX, Ponocrates et Eudemon éclatent de rires devant cet âne jouant
au savant : cela serait très mal vu de nos jours !
Le chapitre XXI s’attaque avec
vigueur à l’éducation selon les sophistes. Pour commencer, Ponocrates laisse
Gargantua dans ses habitudes pour l’observer : une qualité du vrai
pédagogue est d’observer son élève pour adapter l’enseignement à ses
forces comme à ses besoins. C’est l’occasion pour Rabelais de dépeindre de
façon caricaturale l’éducation professée par les sorbonagres[33] !
Une mise au point est
nécessaire : certains commentateurs ont voulu faire de ce texte une critique de
l’éducation médiévale, le fameux manuel scolaire des Lagarde et Michard
notamment. C’est quasiment la doctrine enseignée. Or, il n’est rien de plus
faux. Rabelais critique certains enseignants : il use de la satire, de la
caricature. Critiquer les défaillances du système scolaire, ce n’est pas
critiquer l’école de son temps, c’est la défendre ; de même chez Rabelais,
critiquer les défaillances de l’Eglise, ce n’est pas contester l’Eglise (ainsi
que certains Réformés ou laïcistes ont voulu le prétendre) mais c’est défendre
une Eglise digne des Evangiles[34]. Ces
deux aspects apparaissent clairement pour celle ou celui qui veut lire Rabelais,
sans se mettre les œillères imposées par les interprètes, postérieurs à
Rabelais et l’instrumentalisant selon leurs desseins[35] !
Critiques principales d’une forme dévoyée de
l’enseignement :
Le manque d’hygiène de vie est
un aspect qui intéresse le Rabelais médecin; le manque d’exercice physique
est nuisible à un développement harmonieux du corps et de l’esprit; Mener une
vie végétative et manger animalement sont vigoureusement critiqués. Gargantua
ne mange pas, il se bâfre.
Le paraître est cultivé lorsque le poids du livre équivaut au
poids d’une culture aux yeux de profanes. Des prières longues, non pensées et
ânonnées, au lieu d’être brèves et pensées et dites avec cœur, sont dénoncées.
L’éducation seule de la
mémoire au détriment du jugement est une critique qui pourrait encore se
formuler de nos jours[36]. Mémoriser
des données, non utilisables dans la vie et non pour l’action, sera aussi regretté
par Montaigne.
L’habillage de l’ignorance,
sous une fine couche de savoir, se pratique avec des commentaires inutiles, des
raisonnements mécaniques[37] :
un emploi dévoyé des principes d’Aristote est illustré.
Après l’analyse d’un programme
journalier, très peu de temps est accordé finalement à l’étude vraie : une
petite demi-heure et encore, pendant ce temps-là, l’âme était déjà à la
cuisine !
Chap. XXII, les jeux de
Gargantua
Rabelais donne une liste des
jeux auxquels se livrait Gargantua. Les jeux étaient le fléau que devaient
combattre les enseignants : les punitions corporelles étaient prévues pour
les jeux de dés, de cartes, d’échecs. Or le jeu, nous le verrons plus bas, est
aussi un moyen d’instruction. Des auberges, accueillant la jeunesse fortunée, proposaient
des filles qui avaient des préoccupations autres que la culture : à une
tête bien faite, elles préféraient les bourses garnies...
Uniquement boire et dormir
était un programme de vie que Rabelais ne donne pas en exemple mais qu’il
réprouve : cela ne l’empêche pas de défendre le bien manger et le bien boire
qui forment ensemble un art.
Chap. XXIII : l’éducation et l’instruction
idéales.
Une méthode pédagogique est
proposée par Rabelais : s’adapter aux connaissances de l’élève pour le
faire évoluer selon ses forces. Ponocrates observe son élève et effectue des
mutations progressives afin de l’instruire de façon correcte : « Quand Ponocrates connut la vicieuses manière
de vivre de Gargantua, délibéra autrement l’instituer en lettres, mais pour les
premiers jours le toléra, considérant que Nature n’endure mutations soudaines
sans grande violence.»[38] .
Caustiquement Rabelais
détermine l’ « enseignement »
reçu par Gargantua : à la demande de Ponocrates, le médecin Théodore, dont le nom signifie « don de Dieu[39]»,
prescrit au fils de Grandgousier une purgation
selon les règles et «par ce médicament
lui nettoya toute l’altération et
perverse habitude du cerveau»[40].
Rabelais se complaît à de
longs descriptifs et, pour notre sujet, il n’est pas avare. Il fournit des
principes généraux et prévoit des horaires d’été et d’hiver.
1.
Fréquenter des personnes possédant un
savoir est un moyen d’enrichir ses connaissances : vivre « en compagnies des gens savants, qui là
étaient, à l’émulation desquels lui crût l’esprit et le désir d’étudier
autrement et à se faire valoir.».
Matinée
2.
L’objectif de l’instruction : étudier les
lettres et posséder un « honnête
savoir ». Pour cela, il faut se lever tôt et avec de bonnes lectures.
Anagnostes (lecteur en
grec) lit à Gargantua les pages de l’Ecriture :
Rabelais ne fait que reprendre ce qui était souvent pratiqué dans les collèges
tenus par les moines. Il n’y a pas là une nouveauté mais le rappel d’un
principe qu’il estime bon car il y a beaucoup à apprendre de la Bible, il est possible de faire une histoire
de l’humanité, avec ses horreurs et ses beautés.
3.
Une vie religieuse[41] est
pratiquée : il faut « révérer,
adorer, supplier le bon Dieu, duquel la lecture montrait la majesté et
jugements merveilleux.»[42].
4.
Après s’être cultivé l’esprit, il s’agit de ne
pas oublier le corps. La satisfaction de ses besoins naturels est
nécessaire.
5.
Explications des points les plus obscurs et
difficiles des lectures faites au lever ou à l’étude. Retrouver les
commentaires[43]
et en discuter pour mieux comprendre et donc apprendre : apprendre sans
comprendre arrive encore à des élèves qui ne cultivent que la mémoire et non le
jugement qui exige une confrontation d’idées… La discussion entre un maître et
un élève est facilitée dans les leçons individuelles. Un élève n’est pas condamné
à écouter mais s’initie à débattre.
6.
Observer le ciel et les constellations.
L’astronomie n’est pas confondue avec l’astrologie.
7.
Soins donnés au corps tout en répétant les leçons reçues la veille : il y a une
mémorisation, mais pas de n’importe quelle façon : Gargantua « lui-même les disait par cœur » mais
en les reliant « à des cas pratiques
et concernant l’état humain»[44]. Un
savoir pour le savoir est vain mais un savoir pour comprendre, appréhender
l’homme dans toute la complexité de sa nature, est une nécessité. Montaigne
dira la même chose.
8.
Un temps de loisirs doit être prévu : les jeux
corporels dans le but d’exercer
« les corps comme les âmes[45] »[46]. Le
trop de sueur ou/et le trop de fatigue mettent fin aux exercices physiques. Hygiène à
respecter et le médecin qu’est Rabelais en a un grand souci : soin à donner au
corps après les exercices physiques, avec un changement de vêtement, tout en récitant[47]
des sentences étudiées ce même jour.
Midi
9.
L’Appétit,
et non la goinfrerie, les invite à se mettre à table : dans on roman
fleuve, Rabelais décrit les excès non pour les louer mais pour mettre en valeur
une table où se partage la joie des propos ou de lectures plaisantes. Tous les
mets servis sont commentés sur leurs vertus, leurs origines et leurs
apprêts. Les livres traitant des ces
sujets sont amenés à table pour y être lus et commentés[48].
10.Un
jeu clôt le repas de midi : les jeux de cartes ou de dés[49]
sont pratiqués non pour gagner de
l’argent mais pour étudier les mathématiques : faut-il sous-entendre une
préfiguration du calcul des probabilités qui n’arrivera que bien plus tard dans
le champ des connaissances humaines ?
Après-midi
11. Pendant
une heure, chanter et de faire de la musique sont accomplis dans la joie, élément que notre auteur précise.
Une étude de la voix et des instruments complète cette instruction.
12. Pour
la deuxième fois dans la journée, Rabelais insiste sur la satisfaction des
besoins naturels.
13. Trois
heures d’études sont planifiées : la nécessité des «répétitions» est
soulignée ; effectuer des lectures ; tracer et former des lettres
mais romaines, cette fois-ci, et non gothiques comme avant.
Sport
14. L’art
équestre se pratique sur divers types de chevaux. La voltige équestre s’apprend
aussi. Il est prévu le maniement des armes : la lance, la hache, la pique,
les diverses épées.
15.
Quelques journées sont consacrées à la chasse : tout à la fois un sport et
un moyen de connaissance.
16. La
natation et la navigation et les activités de montagne (escalade, varappe) sont
aussi au programme.
17. En
plus du chant déjà vu, l’originalité consiste à exercer la voix, considérée comme
un muscle à entraîner : avoir une voix puissante est une nécessité à la
chasse ou au combat, dans le fracas des armes et les cris des combattants.
Importance de développer le thorax et le souffle pour être un orateur.
18. Le
maniement de poids et barres forge le corps en lui donnant une bonne
musculation[50].
Soir
19.L’étude
des vertus des plantes figure dans les connaissances à posséder : une médecine
utile pour l’homme cultivé comme pour
le combattant, caractéristique fréquente de ce programme rabelaisien d’études
et qui nous permet de repérer les sources utilisées pour le construire, ainsi
que nous le verrons ci-dessous.
20. Au
dîner sobre et frugal, succède un souper copieux et large[51] :
il n’est pas certain que les diététiciens de nos jours offrent ce conseil.
21. Cultiver
les plaisirs de la conversation est un art qui s’apprend en même temps que se
partagent les plaisirs de la table.
22. Rendre
grâce à Dieu clôt le repas du soir. Ensuite, diverses possibilités se
présentent : soit faire un peu de chant ou de musique ; soit quelques
jeux divertissants ; soit fréquentation
de gens lettrés ou des gens ayant vu des pays étrangers[52].
23.La
journée se termine religieusement : « Puis ils priaient Dieu le créateur, en l’adorant et ratifiant leur foi
envers lui, et le glorifiant de sa bonté immense, et lui rendant grâce de tout
le temps passé, se recommandaient à sa divine clémence pour tout l’avenir. Ce
fait, ils entraient en leur repos. »[53].
Au chapitre XXIV, Rabelais
donne en plus les activités à exercer lorsque les conditions atmosphériques
sont trop rigoureuses à l’extérieur (pluie ou grand froid).
Les leçons se font auprès du
feu et celles du matin restent les mêmes.
Après-midi
·
Au lieu des exercices en plein air et
prévus par beau temps : fendre et scier le
bois assurent un bon échauffement ; la peinture ou la sculpture sont des
activités recommandées. Jeu d’échecs et de dames pour se divertir et raisonner[54].
·
Des visites chez le forgerons, les lapidaires,
les monnayeurs, les métiers techniques (horlogers, tisserands, etc.) annoncent
l’esprit encyclopédique.
·
Ecoute des conférences publiques, des plaidoyers
d’avocats, de prêcheurs.
Une
dispute : sur un thème donné par le maître, chacun des écoliers
s’efforçait de briller par ses réparties, le tout prononcé en latin. Ces
discussions publiques sont une grande tradition médiévale que Rabelais met à
l’honneur : c’est d’ailleurs ce que ne cesse de faire Rabelais dans ses
cinq livres mais en français !
·
Au lieu d’herboriser (comme Rousseau le fera),
des visites chez les apothicaires apprennent la fabrication et l’emploi de
diverses médecines.
·
Des amusements sont aussi honorés : les bateleurs,
les jongleurs et encore les « magiciens » afin de deviner leurs
ruses.
·
Une fois par mois, un plantureux repas, chaque
fois en divers lieux et hors du domicile : banqueter joyeusement en se
remémorant des auteurs plaisants. Une belle façon de cultiver la joie de vivre
et la diversité des mets régionaux.
« Ainsi fut gouverné Gargantua, et continuant
ce progrès de jour en jour, profitant comme entendez que peu faire un jeune homme, selon son âge, doué de bon sens,
en tel exercice ainsi continué, lequel combien que semblât pour le commencement
difficile, en la continuation tant doux fut, léger et délectable, que mieux
ressemblait un passe-temps de roi que l’étude d’un écolier.»[55].
Ce programme idéal journalier
est bel et bien celui d’un croyant : le plus frappant est que Rabelais ne
développe pas, pour une fois avec ce
programme, une utopie mais une pratique ayant existé et qu’il
considère comme bonne : il est possible d’en déterminer les sources et il
est bon de s’y intéresser.
Pourquoi cette éducation dans
l’esprit de Rabelais ? Aboutir à une société idéale en est la finalité : l’abbaye de Thélème dont la devise est
« Fais ce que tu voudras.». Toutefois cela ne concerne qu’une élite de jeunes qui sont bons par nature[56]
et Rabelais énumère une longue liste des qualités nécessaires pour y être
admis afin de cultiver la Beauté
et l’Harmonie. Rabelais décrit volontairement
la laideur avec crudité : c’est une erreur comme une horreur de la lire
avec complaisance. Chacun se doit d’orienter ses désirs uniquement vers le bien
et de cultiver une sage modération en tout.
En fait, Rabelais est plus pragmatique
sur la finalité de l’éducation dans
l’éloge du Pantagruelion. Il le
démontre dans le Tiers-livre aux chapitres IL-LII, avec l’éloge du
chanvre, symbolisant concrètement l’ingéniosité de l’homme à utiliser ce que
donne la nature, pour une amélioration utile à la vie de tous. L’intelligence
permet le progrès de la science pour
le plus grand bénéfice de l’homme alors que Rabelais en a souligné le
mauvais usage dans ses critiques sociétales. Son éloge du chanvre est paradoxal :
Rabelais use des arguments à la fois de bonimenteurs et de philosophes. Le tout
est progressivement amené afin de toucher le public, des plus crédules aux plus
instruits. Son emploi de plusieurs niveaux d’expression en témoigne
régulièrement en bien d’autres matières : à chacun de retenir le discours
qui lui convient. Cela ne nous empêche pas de goûter le talent de l’auteur à
évoluer aussi bien dans l’un et l’autre genre de plaidoyer.
Vivre dans la concorde est essentiel pour les Thélémites : une exigence pour toute
association. Là où règnent le mépris, la jalousie, il vaut mieux se fixer la
règle de partir, de tout quitter, c’est une vexation pour l’esprit ! La
concorde empêche l’anarchie. Les thélémites sont des humanistes parlant les
langues, menant vie d’aristocrates comme cela était d’usage depuis le XIe
siècle. Qualités intellectuelles, sportives et une place de choix réservée aux
femmes en sont les caractéristiques essentielles. Mener une vie épanouie, sans
privations excessives et sans excès, est une règle.
Je ne peux pas souscrire à l’affirmation
de Pierre Jourda, dans son livre « Le
Gargantua de Rabelais» :
« le programme éducatif de Rabelais est nouveau ». C’est une fâcheuse tendance des seiziémistes
inconditionnels, refusant de voir ce qui a été pratiqué avant les années 1500 ou
ignorant tout simplement ce qui antérieur à leur période de prédilection. En
effet, en Rabelais, le seul fait nouveau est de ressortir des éléments anciens
de traités sur l’éducation, écrits par des auteurs grecs et latins, ainsi que
des expériences médiévales pratiquées depuis le XIIIe siècle déjà. Admirer
les œuvres de Rabelais, ce n’est pas vouloir le considérer comme le Père de toutes choses et cela le
ferait rire !
Avant Rabelais, les traités
sur l’éducation n’ont pas manqué et afin d’apprécier les propos de Rabelais
comme de Montaigne ensuite, il convient de connaître l’éducation et
l’instruction telles qu’elles se sont développées de l’ère chrétienne jusqu’à la
Renaissance. Nos deux auteurs y ont là leurs racines, trop méconnues de nos
jours et sur lesquelles il convient de jeter quelque lumière.
Premiers
siècles de l’ère chrétienne
En quelques siècles, le
christianisme a modifié des comportements sociétaux, avec de nombreux aléas [57] mais
ne considérez que ces derniers serait de la mauvaise foi (assez ordinaire
d’ailleurs) : avant, «Ce qui est utile
est permis.» ; après : «Ce
qui est juste doit être fait.».
La famille reprend un rôle
essentiel en matière d’éducation. L’épouse n’a pas rang d’esclave : les mises
en valeur de ses qualités, de cœur et d’esprit, parsèment les traités sur
l’éducation. Dhuoda[58]
d’Uzès en est dans notre région le plus bel exemple médiéval.
L’Eglise s’occupe des âmes : faire des fidèles, accomplis
dans des actes[59],
est sa tâche prioritaire. Après les persécutions contre les Chrétiens, l’Eglise
veut des écoles pour initier les fidèles aux vérités de la Foi : Ephèse,
Smyrne, Edesse, Antioche, Jérusalem, Alexandrie sont des noms qui ont marqué
les premières diffusions de l’instruction religieuse chrétienne, s’adressant à
toutes les générations. Alexandrie reste la plus connue : enseignement
de la religion et des sciences[60] expérimentées
à cette époque (astronomie et mathématiques).
Origène[61]
est le maître le plus réputé et sera une référence, plus ou moins bien suivie
mais ceci est un autre sujet.
Les lettres de St. Paul aux
Ephésiens[62]
ou à Timothée ou encore à Tite comportent nombreux passages relatifs à
l’éducation non seulement des enfants
mais encore des adultes.
Lorsque le Christianisme est
devenu religion d’Etat, les écoles ont subi un premier déclin et c’est le
commencement d’un enseignement de nature exclusivement religieuse qui sera
appelée à connaître des hauts et des bas, selon l’intelligence des précepteurs.
Du IIe au Ve siècle : les Pères de l’Eglise sont les maîtres de
l’éducation chrétienne. Quelques noms doivent être cités car, jusqu’à la Renaissance,
ils seront des références, malgré la diversité des interprétations. Tertullien encourage la culture
littéraire « indispensable aux
rapports avec les hommes et sans laquelle les études sacrées sont impossibles. ».
Grégoire de Naziance : ami des
lettres grecques, il déteste l’ignorance. Saint
Basile : auteur d’une « Homélie
aux jeunes gens sur l’utilité qu’ils peuvent retirer de la lecture d’auteurs
profanes. ».
Saint Jérôme dans sa « Lettre à Laeta sur l’éducation de sa fille Paula » énonce,
entre autres, les principes suivants :
·
Préférer le contenu au contenant aux dehors
dorés ;
·
Résister aux tentations du monde ;
·
Pour maîtriser le corps : manger mais en
sorte d’avoir toujours faim (une forme d’ascétisme mesuré) ;
·
Ne jamais entendre des instruments de musique (celle-ci
favorisant la sensualité) ;
·
Saines occupations : alterner les lectures
de la Bible et les travaux de ménage avec de réguliers temps de prière (vie
monastique).
Jean Chrysostome ne cesse pas d’écrire l’éloge de
l’instruction. Selon lui, les monastères doivent avoir des écoles. Il parle
ainsi de l’enseignant : « On
estime un grand sculpteur, un grand peintre mais qu’est-ce que leur art, à côté
de celui qui travaille non sur le marbre ou sur la toile, mais sur les esprits. »[63]. Avec
Saint Augustin, il y a un changement important
: il rejette les auteurs grecs et latins car il considère leur lecture
comme du temps perdu. Il les avait lus et connaissait de nombreux auteurs, fort
éloignés de la morale chrétienne[64].
Privilégier les auteurs chrétiens et les Pères de l’Eglise est la lecture
indispensable pour former les esprits car, selon lui, la littérature religieuse
est propre à former l’intelligence, sans compromettre la foi et les mœurs.
Au IVe s., l’Eglise
crée des séminaires pour préparer
des maîtres et des prêtres.
C’est ainsi que naissent les écoles épiscopales (Suisse, Espagne) ou écoles des cathédrales (France) ou écoles du Dôme (Allemagne). Au Concile de Vaison (529), il est
recommandé aux prêtres d’ouvrir des classes rurales dans le presbytère. Deux
objectifs sont voulus : préparer des successeurs dans le cadre du
clergé; former des lecteurs.
Les premières écoles
claustrales ou monacales sont fondées par les Bénédictins[65].
L’ordre de Saint Benoît (529) est consacré à l’enseignement. Leur première
école est celle du Mont-Cassin près de Naples :
·
Religion, lecture, écriture, latin (langue de
conversation et langue savante)
Obligation d’enseigner et
d’étudier les lettres, de copier les textes anciens et sacrés
·
Le travail du copiste est lent, continu et
soutenu par la Foi « car on frappe le diable d’autant de coups qu’on
trace des lettres sur le parchemin.».
En Europe, il existe au Moyen Age 15 000 couvents bénédictins :
St. Gall est le plus connu (avec Notker[66],
Ekkehard) et sa bibliothèque que j’ai visitée est une merveille mais il y
en a d’autres : Reichnau ou encore Fulda, dirigé par Rabon Maur. Les principes les caractérisant sont :
·
Une bibliothèque et deux écoles : interne
pour les moines ; externe pour les laïcs ;
·
Le savoir : des livres sont appris par cœur ;
·
Observation directe et recherche personnelle ne
sont pas prisées : le savoir appartient aux seuls maîtres reconnus (tendance
qui sera accentuée dans certaines écoles et que Rabelais et Montaigne
critiqueront);
·
Punitions : pour les moines, jeûne et
châtiment corporel sont prévus ;
·
Pas d’éducation physique ;
·
Eviter de parler du corps, considéré comme un
ennemi de l’âme ;
·
Préparer l’homme à une vie d’ascète.
Autres ordres, comme les Dominicains et les Franciscains créent des écoles mais elles ne sont pas immédiatement
reconnues parmi les meilleures. Les Pays-Bas doivent
retenir notre attention : les Frères
Jéromites, sur les bords du Rhin, auront, à la fin du Moyen Age, la
meilleure réputation en matière d’enseignement. Erasme de Rotterdam, Jean Sturm
(recteur de l’école de Strasbourg) en sont issus. Pour sa vision du monde, Rabelais
doit beaucoup à Erasme.
Revenons en arrière dans le
temps. Du VIe au VIIe s., il y a eu un déclin des écoles
de façon générale et surtout en France. Guerres, mœurs rudes, ignorance et
cruauté, désorganisation sociale et misère règnent. Charlemagne[67]
favorise les écoles monacales et épiscopales : il aime et veut faire aimer
l’instruction. A 32 ans, il apprit à lire avec Pierre de Pise, ensuite la grammaire et le latin, et avec Alcuin, l’astronomie et la rhétorique.
Il favorise la création des bibliothèques.
A la direction des écoles, nous avons l’Europe intellectuelle : un Anglais,
Alcuin, un Allemand, Eginhard, et un Italien, Pierre
de Pise. L’instruction est donnée aussi bien aux clercs qu’aux laïcs. Il
ouvre une école au Palais : l’Académie
palatine, école ambulante qui
suit la cour dans ses déplacements ; l’instruction y est même accordée aux
serfs ainsi qu’aux nobles : une première forme d’enseignement obligatoire.
Les successeurs de Charlemagne n’arriveront pas à maintenir les acquis : les
troubles politiques provoquent le déclin des écoles, des arts comme des
sciences. Après 50 ans d’existence, ce que Charlemagne avait réussi à initier
est dissout.
Seule la théologie résiste à
la débâcle avec Jean le Scott ou
Jean Erigène (Erin est l’ancien nom pour l’Irlande). Au IXe s, à la
cour de Charles le Chauve il est directeur de l’Ecole du Palais. Avec lui, un renouveau :
la méthode d’observation est
retrouvée. Il ne s’appuie pas seulement sur les Pères de l’Eglise, il a recours
à la méthode inductive et
expérimentale : aller du particulier au général ; partir des
faits observables et constatés pour accéder à des vérités générales. En deux
citations, vous avez la synthèse de sa pensée : « La vraie marche du raisonnement peut aller
de l’étude naturelle des choses visibles à la contemplation pure des choses
spirituelles.».Du concret découvrir l’abstrait : « La connaissance des choses sensibles est
grandement utile à l’intelligence des choses insensibles. De même que par les
sens, on parvient à l’intelligence, de même par la créature, on retourne à
Dieu.». Des mystiques du XXe siècle ne diront pas autre
chose : Maurice Zundel[68]
notamment.
***
Après voir porté un rapide
regard sur les originalités chrétiennes de l’éducation et de l’instruction, il
convient, pour comprendre les propos de Rabelais et Montaigne, de s’arrêter aux
différentes formes de celles-là, à la fin du Moyen Age. Nous sommes face à une
instruction que nous pouvons qualifier de laïque, sans renier toutefois une
croyance chrétienne. Elle diffère de celle qui se donne dans les cloîtres.
Trois distinctions sont à faire : celle donnée aux chevaliers, aux bourgeois
et aux étudiants :
Enfants des chevaliers[69] :
·
Deux phases à la fois d’éducation et
d’instruction, «apprentissage» et «compagnonnage», si possible dans des
châteaux, étrangers au lieu de naissance, avant d’être admis comme chevaliers ;
·
Voyages, connaissances d’autres cultures (comme
les étudiants, les « vagantes »
ou vagants ci-dessous) : un homme
de guerre devait être prêt à sillonner l’Europe ;
·
Deux objectifs sont visés : cultiver la valeur
dans le combat (maîtrise de soi et des armes) et la conduite chevaleresque (une
éthique dans la guerre qui vaut bien le jus
ad bellum[70]
et le jus in bello[71]
qui donneront les Conventions
internationales au XIXe et XXe siècle) ;
·
Le savoir en tant que tel est secondaire, voire
dédaigné[72] :
les auteurs traitant de la guerre, et ils sont nombreux[73],
sont cependant très prisés ;
·
Education physique prédomine : équitation,
natation, jet de flèches, escrime, chasse, jeu d’échecs ;
·
La versification est cultivée tout spécialement
par les plus cultivés. Ils se feront entendre pour leurs poésies et chants :
parmi les troubadours et trouvères ou encore les Minnesänger en Allemagne, les
hommes d’armes aimant les Muses ne manquent pas.
Bourgeois :
·
Le commerce met les enfants comme les parents au
contact d’autres cultures (les Lombards, les Lyonnais, la Ligue hanséatique[74],
Bâle, etc.) : nécessité d’adaptation à ces nouveaux besoins ;
·
Le désir fort de posséder des connaissances
autres que religieuses prédomine : le change des monnaies exige des
connaissances mathématiques ; les langues doivent s’apprendre ; les
droits fort divers d’une région à l’autre et d’un pays à l’autre demandent une
certaine culture juridique (le latin) ;
·
Le savoir vise une vie pratique pour le
commerce ou l’industrie. Les techniques de production et de transport en font aussi
partie ;
·
Les écoles urbaines ou écoles latines
connaîtront leur apothéose au XVe s. ;
·
Lecture, écriture, religion, chant d’église,
latin forment la culture de base.
·
La méthode pédagogique est passive : la mémorisation,
un savoir par cœur suffisent ;
·
Une dure discipline règne et il n’y a pas
d’éducation physique ;
·
Fin du XVe s., quelques écoles s’ouvrent
aux filles.
Etudiants
·
Les Universités sont nées au Moyen Age ;
·
Les étudiants voyagent, c’est pourquoi ils sont
nommés dans les textes anciens les errants ou « vagants » ou
encore « goliards » ;
·
Ils bénéficient d’un statut spécial. Ils
reconnaissent une seule autorité : le recteur de la cité, choisi par la
ville. Ils se réunissant par pays d’origine ;
·
Les Souverains accordent aux étudiants des
privilèges qui seront toujours vivement défendus : exemption d’impôts, de
la juridiction des tribunaux ordinaires.
·
Pour les premières années d’étude, le Maître est
payé en partie en argent, en partie en nature. Souvent, il exerce un emploi
subalterne à l’église locale, comme directeur de chant.
·
Les maîtres, plus spécialisés, voyageaient d’une
université à l’autre, parfois avec leurs étudiants.
·
Les étudiants plus âgés enseignaient aux plus
jeunes, appelés les béjaunes[75]
qui voyageaient aussi.
·
Aux XVe et XVIe s., un
grand nombre d’étudiants est traité de vagants : leur vie irrégulière
éveille la méfiance des populations ; leur jeunesse débordante favorise
des excès, des désordres bachiques et sexuels; l’Eglise se méfie de ces jeunes
échappant aux contrôles…
Les Goliards :
les vagants, les errants :
·
Ils voyagent à pied de ville en ville et se
considèrent comme affranchis de bien des règles ;
·
Désireux de voir et vivre d’autres mondes, ils
sont curieux de tout ;
·
S’instruire dans la vie et par la vie est un
aussi un enseignement[76] (plus
riche que par les livres ; un futur médecin visite les champs de bataille,
pour exercer une forme de médecine en tant que barbier p.ex.) ;
·
Ils aiment versifier avec talent bien souvent et
les Carmina Burana[77]
témoignent de leur verve, de leur liberté entière d’expression face aux pouvoirs
de l’Eglise et du Roi ou des Princes;
·
Plusieurs d’entre eux, plus âgés ou études
achevées, occuperont des fonctions importantes aussi bien dans le clergé (en
développant une spiritualité remarquable de profondeur) que dans la vie
politique (ceux issus de la noblesse comme du peuple) : un esprit critique
n’est pas obligatoirement un esprit anarchique…
Exemple suisse, dont le nom
n’est pas inconnu dans le sud de la France, en raison des récits de voyage de
ses fils (Felix et Thomas 2) : Thomas
Platter (1499-1582 ; le père).
Chevrier dans les montagnes du
Valais, il est étudiant à l’âge de 10 ans (un « béjaune ») et il voyage pour ses études, de Constance, à Augsbourg,
puis à Ratisbonne, à Prague, à Breslau, à Dresde, etc. Pour subvenir à sa vie
d’étudiant, il est cordier. Il apprend le latin, le grec, l’hébreu, l’allemand.
Finalement, il revient à Bâle où il exercera en même temps les fonctions
de professeur, de directeur d’école et d’imprimeur. Ce cas n’est pas
exceptionnel et devrait faire tomber bien de faux clichés historiques, cultivés
par des idéologies pour lesquelles tout ce qui est du Moyen Age ne peut être
qu’horreur et Ténèbres…
Rabelais offre dans son œuvre une synthèse de ces trois
programmes.
La scolastique
Ainsi est dénommé ce couple
inséparable au Moyen Age que forment la théologie et la philosophie. Aristote
est le maître incontesté. Rabelais la traite durement mais utilise ses
méthodes : il y a là un certain paradoxe qui mérite notre attention.
Au départ, nous avons l’étude
du raisonnement déductif. Une pratique abusive du syllogisme peut conduire à
l’absurdité du discours[78].
Cette méthode, menée à l’excès, a eu pour effet, chez certains maîtres (non
chez tous !), un renoncement à l’étude des faits : les vérités de la
conscience et de la foi découlent uniquement dès lors d’une dialectique formelle et vaine[79]. Les
discussions fécondes (la fameuse « disputatio »
du Moyen Age) disparaissent. La prépondérance des «autorités» incontestables est un peu comme de nos jours celle
de quelques «Intellectuels»,
labélisés par les media, donnant le «la»
et la musique que répètent, en chœur et en transe, des moutons bêlants (joyeux
béats et extatiques admirateurs), non des moutons pédagogiques mais intellectuels :
le pire est que la mer ne les engloutit pas comme ceux de Panurge !
Du XIe au XVIe
s., ces défauts s’accentuent et, en certaines écoles, et il convient de ne pas
généraliser, deviennent si criants que le XVIe s. réagit
vivement contre eux. Cependant la méthode scolastique, dans ce qu’elle a de
moins bon, a eu des adeptes jusqu’au XXe s[80] et
encore de nos jours…
Aux origines, les matières enseignées sont les 7
arts libéraux :
·
Le Trivium :
art d’écrire, la grammaire ; art d’ordonner sa pensée, la logique ;
l’art d’exprimer la pensée, la rhétorique.
·
Le Quadrivium :
musique, arithmétique, géométrie, astronomie.
Les études initiales sont très
théoriques : pas de pratique, peu d’expérience ou d’observation. Le latin
et la musique sont les objets principaux d’étude en raison de leur utilité pour
le service religieux. La recherche aurait été figée à tout jamais s’il n’y
avait pas eu d’autres maîtres, développant l’observation et l’expérimentation,
comme Rabelais et Montaigne le défendent. Initiatives, progrès, découvertes ne
sont pas appréciés par les maîtres lisant leurs cours et n’instaurant aucun
dialogue avec leurs élèves ou disciples.
Des châtiments corporels divers
sont appliqués : le jeûne, le cachot, la verge[81], le
bâton, le martinet[82],
le fouet (celui du XVe s. est deux fois plus long que celui du XIVe
s.). Avant le XIe s., les châtiments étaient les frappes sur la
bouche, le nez, les oreilles ou le dos. Après le XIe s., les frappes
se pratiquent sur le corps nu, fessée, parfois des coups de poing : les
écoles anglo-saxonnes conserveront longtemps la pratique de la punition par le fondement, vigoureusement frappé par un
bois plat ou une verge souple. Toutefois, certains ecclésiastiques préféraient corriger
par la douceur et la bienveillance.
Rabelais a stigmatisé les
défauts de la scolastique. Cependant, elle a eu des effets bénéfiques dans
la culture européenne et aussi dans la langue française :
·
La rectitude de la forme ;
·
La fixation du sens des termes ;
·
L’obligation de raisonner juste (même si des
prémisses étaient parfois fausses, par un manque d’esprit critique, de «jugement» dira Montaigne) ;
·
L’habitude à parler.
Un exemple de réussite de la
scolastique[83]
reste Abélard (1079-1142), illustrant
l’union de l’éloquence et de la science. Né à Nantes, très tôt, il arrive à
Paris. A 24 ans, il ouvre une école : il est un maître de la parole (très
important car nous sommes avant l’invention de l’imprimerie). Esprit vif et
passionné, avide de recherches et de découvertes, il cultive une originalité
que personne ne lui conteste : les croyances peuvent être soumises au
contrôle de la science et de la raison. Ainsi, il a osé dire : « Le vice de notre temps, c’est de croire
qu’on ne peut plus inventer : si on fait une découverte, il faut la mettre
sous le nom d’un ancien. Qu’importe ce que les autres ont pensé ? Le texte
suffit avec la raison pour guide.».
Rabelais et Montaigne ont
certainement eu connaissance, soit partiellement, soit complètement, de grands
écrits médiévaux sur la pédagogie, signés par : Vincent de Beauvais (fin du XIIe s.-1264), dominicain, grand
écrivain pédagogique, lecteur de Saint Louis et précepteur de ses enfants, a
rédigé un livre « L’éducation des
enfants royaux [84]»,
se divisant en 51 chapitres, sur l’instruction et l’éducation des garçons et
des filles ; Gerson (1363-1429) a
écrit en langue vulgaire sa « Conduite
des enfants au Christ. » où il recommande la douceur, la patience et
la vigilance envers les élèves que le maître doit aimer comme un père.
De plus, le Moyen Age a été le
temps de la naissance des universités[85] à
qui Rabelais doit beaucoup. De façon générale et à l’origine, les
universités ont été créées :
Ø Par
refus d’un verbiage subtil, du pédantisme de la scolastique dévoyée ;
Ø Pour
une science libérée de la tutelle de l’Eglise[86]
et des Sophistes ;
Ø Une
liberté de dire pour les professeurs ;
Ø une
liberté d’entendre pour les étudiants. [87]
Dès le IXe s.,
Salamanque et à Cordoue créent des écoles cultivant toutes les sciences. Ensuite,
nous en trouvons à Bologne, à Salerne en
Italie. En 1200, l’université de Paris enseigne la théologie et la philosophie.
En 1206, Oxford. Les premières universités aux études complètes, théologie, droit, médecine et arts,
sont :
1ère : Naples,
en 1224, est créée par Frédéric II de Hohenstaufen ;
1231 Cambridge, 1283 Coïmbra,
Montpellier ;
1348 Prague, 1365 Vienne, 1386
Heidelberg ;
1460 Bâle.
Le XIVe
siècle est le véritable retour aux auteurs classiques et il n’a pas fallu
attendre le XVIe s. pour cela. Dante, Pétrarque, Boccace sont des
admirateurs du classicisme grec et latin.
L’Italie est à l’origine de ce mouvement avec la protection des Papes. Les
manuscrits grecs, revenant par l’Orient, sont étudiés et recopiés. Grands noms parmi
d’autres : Sylvius Piccolomini[88], Maffeo
Veggio (Education des enfants), Thomas More (Angleterre), Jean de Wesel
(Hollande), Rudolph Agricola
(Ferrare et Heidelberg), Reuchlin (Tübingen), Ulrich de Hutte (Zurich), Glarean
(Glaris), Erasme (Bâle)…
Parmi ceux-ci et pour ne pas
prendre les plus connus, je vous propose Agricola : il refuse une
philosophie qui dispute vainement; il préconise une philosophie qui
apprend à penser juste et à exprimer correctement sa pensée. Ses objectifs
pédagogiques se résument en trois principes : bien comprendre, bien
retenir, pouvoir produire une réflexion par soi-même.
Pour Rabelais et Montaigne, j’ai
retrouvé toutes leurs idées en matière d’éducation et d’instruction, chez deux
auteurs, l’un médiéval et l’autre son continuateur direct, méconnus de nos
jours :
Victorin de Feltre (1378-1446), des universités de Padoue et
de Venise. Il préconise une reprise de l’éducation
grecque pour un développement harmonieux du corps, du cœur et de
l’esprit.
1.
Beaucoup d’exercices physiques : cultiver
la grâce, la souplesse et la beauté, avec danse mais encore la lutte, l’équitation,
l’escrime et la natation ;
2.
Une instruction avec au programme les
langues, la logique et les mathématiques avec des arts, dit d’agréments :
peinture et musique ;
3.
La méthode pédagogique consiste à l’adaptation
du maître aux caractères et aptitudes des enfants car son but est :
« Je veux apprendre à mes élèves à
penser et à parler, non à radoter[89].» ;
4.
Une préparation consciencieuse des leçons par le
maître s’impose : ce travail préparatoire est long car il doit s’établir
selon les aptitudes de chaque élève ou de chaque groupe d’élèves. Une surveillance
des travaux des enfants se pratique régulièrement. Une aide plus particulière
est accordée aux élèves faibles (trop souvent négligés par le passé, afin de
privilégier les plus doués);
5.
Gaité, savoir et sagesse sont les trois mots
clefs d’un transmetteur de connaissances;
6.
Une bonté intelligente, unie à la fermeté, possède
plus de force et plus d’efficacité que des châtiments corporels ;
7.
Ce programme et cette méthode pédagogique
reçoivent l’appui du Pape Eugène IV.
Son continuateur est plus
connu, il s’agit d’un contemporain de Rabelais :
Louis Vivès (1492-1540), cité par Thomas More, est un Espagnol,
né à Valence.
La plus grande partie de sa
vie s’est écoulée en Belgique (Louvain) et en Angleterre (Oxford), à Paris (Sorbonne)
et à Bruges où il mourut en 1549.
Henri VIII lui confia
l’éducation de Marie, sa fille avec Catherine d’Aragon. Il prit parti pour la
reine lors du divorce : ce qui lui valut 6 semaines de prison. Ses cours
publics étaient très suivis.
Ses ouvrages sur
l’éducation :
Les études rationnelles des enfants ou
Plan d’études ;
De la corruption des arts (décadence des
arts libéraux) ;
Institution ou éducation de la femme
chrétienne.
De tradendis disciplinis est son exposé très complet du
système d’enseignement qu’il privilégie. Nous y trouvons des considérations
sur : l’emplacement de l’école ; la qualité des maîtres et le traitement
à leur assurer ; les rapports entre élèves et maîtres ; ce qui
distingue l’éducation publique et privée ; la question de l’établissement
d’un programme et une méthode pédagogique. Il privilégie la méthode socratique.
L’éducation est faite d’un mélange de douceur et de sévérité.
Une référence qui vaut aussi
pour Rabelais mais surtout pour Montaigne est l’œuvre de Sébastian Brant
(1458-1521) «La nef des Fous». Ce
poème satirique et didactique de ce Strasbourgeois, écrit en allemand, a très
vite connu une traduction en latin et en français. Répondant à une coutume du
Mardi Gras, en 112 chapitres, Brant s’attaque aux vices humains de toutes les
classes sociales : avarice, mode, jalousie, etc. L’auteur est plus
moraliste que Montaigne mais le style est semblable avec de nombreuses
citations d’auteurs antiques et de la Bible. Brant ne s’épargne pas dans son
texte : il s’accuse d’être un bibliomane accumulant des livres sur la
sagesse mais sans jamais pouvoir posséder celle-ci ! Il est plus mystique
en ce sens que, pour lui, cette nef des fous, l’humanité, ne pourra être sauvée
que par l’Homme, Fils de Dieu, qui conduit le navire. Le succès de ce livre a
été dû aux gravures qui accompagnent chacun des chapitres.
***
Si pour Rabelais, il a fallu
chercher les origines de ses principes chez les Grecs et dans leur maturation
ainsi que leurs divers développements ou évolutions protéiformes au Moyen Age, il est nécessaire de scruter les
écrits des auteurs latins, pour retrouver les inspirateurs de Montaigne qui,
d’ailleurs, les mentionne dans ses Essais.
Revenons, de façon succincte, en arrière dans le temps et avant de présenter le
projet éducatif proposé dan ses Essais.
Rome
Sous la République[90]
et jusqu’à la conquête de la Grèce[91],
l’éducation est militaire : physique et morale (c’est-à-dire religieuse).
La simplicité et l’austérité des mœurs prédominent. Les objectifs sont de
construire un citoyen discipliné, courageux vertueux et de développer ses
qualités viriles, en forgeant des caractères trempés.
La famille préside à
l’éducation, à la différence de Sparte où c’est l’Etat. La religion cultive le
«par cœur» : la loi des XII
Tables, le catalogue des dieux et des déesses. Une légion de dieux et de
déesses président à toutes les actions du citoyen : Luscine, la naissance ; Nascio,
le repas ; Livane, la
légitimation ; Educa et Potina,
la nourriture ; Cuba, le
sommeil… Une législation forte règne : le citoyen est soumis à la force
réglée, dirigée et disciplinée. Une sacralisation de la loi se remarque, un peu
comme de nos jours[92],
mais avec plus de simplicité chez les Romains : le peuple romain est
un peuple de Droit.
Il n’y a pas un idéal
humanitaire : seule la grandeur de Rome[93] compte
et justifie les actes. La culture
littéraire est faible. La passion est pour les jeux[94]. Il
y a un désintérêt pour les sciences, la
force suffisant.
Pas de musique et pas de chant
dans ce système d’éducation : par exemple, Scipion les a condamnés parce qu’ils
surexcitent la sensibilité et font rêver plutôt qu’agir.
A la fin du IIIe s.
av. J.-C., l’éducation, qui était domestique, devient nationale. Le précepteur
apparaît et c’est généralement un esclave qui enseigne car
l’enseignement est considéré comme une tâche servile et indigne d’un citoyen
romain.
L’influence grecque sur Rome ne
tarde pas à se constater : le luxe est une source d’amollissement ; la
rhétorique devient une mode. L’art de bien parler est vite remplacé par une
éloquence d’apparat : la phraséologie tient lieu de tout.
L’Etat s’intéresse aux
écoles : les professeurs sont des fonctionnaires de l’Etat. La préférence
est donnée aux rhéteurs. L’apogée de la culture littéraire latine se situe sous
le règne d’Auguste (césar de 27 av.
J.C. -17 ap.). La discipline se pratique avec des châtiments corporels :
fouet ou bâton sur corps nu. Horace
fut ainsi maltraité par son professeur Orbilius
(113-112) : depuis, l’orbilianisme
désigne la discipline par peines corporelles. L’éducation athénienne
prévaut : elle est avant tout littéraire et oratoire. Cicéron est un orateur. Sénèque,
le précepteur de Néron a écrit des pages
intéressantes pour notre thématique dans ses « Préceptes du mariage » et son « De la manière d’entendre les poètes » : « Non scholae, sed vitae discimus. »,
Nous devons apprendre non pour l’école
mais pour la vie, ou encore : «Les
exemples conduisent plus vite que les préceptes.».
Plutarque, d’origine grecque, arrivé à Rome sous Dioclétien, rédige
une « Education des enfants » :
il est favorable à une éducation par la famille ; la mère d’abord « afin que les jeunes âmes ne s’emplissent pas
dès le début de sottise et de corruption » ; le précepteur
ensuite doit être un modèle de vie
intime et publique pour son élève : « ce que l’échalas est au sarment, son appui et son guide ». L’éducation
morale est à commencer très tôt : former le caractère de l’enfant afin
qu’il puisse dominer ses désirs : « De même que c’est dans la bonne saison qu’il faut réunir les provisions
pour l’hiver, c’est par une jeunesse saine qu’on se prépare une heureuse
vieillesse.» ; « L’âme
n’est pas un vase qu’il faille remplir, mais un foyer qu’il faut échauffer.».
Plutarque condamne le savoir de pure forme, les connaissances qui accablent les
enfants sans les élever, sans avoir des effets profitables sur leur cœur et
leur volonté.
Horace cultive l’indépendance d’esprit : il ne s’astreignait
pas à jurer sur les seules paroles d’un maître. Juvénal est connu de tous en raison de son : « Mens sana in corpore sano »,
« Esprit sain dans un corps sain ».
Pline le Jeune a une formule
magnifique : « Multum non multa »,
« A fond mais pas beaucoup.».
Toutefois, la référence latine
en matière d’éducation et d’instruction est Quintilien :
·
100 avant Jésus-Christ ;
·
Natif d’Espagne, venu à Rome ;
·
Vespasien, empereur, le paie richement pour enseigner ;
·
Professeur d’éloquence ;
·
Auteur de plusieurs ouvrages sur
l’enseignement : Institution
oratoire (12 vol.)
Quintilien prend l’enfant au
berceau : dès 3 ans. L’éducation remonte ainsi aux premières impressions
de l’enfant « qui sont d’autant plus
profondes et plus décisives que son cœur est vierge. ». Il recommande
de fortifier et de développer la mémoire dès 3 ans déjà.
Il est favorable à
l’enseignement public : le cœur et le caractère se forgent au contact des
condisciples. L’enfant s’enhardit et prend conscience de ses forces avec
l’émulation des autres camarades. L’importance des amitiés qui se nouent est
soulignée.
L’application des élèves
motive l’enseignant. L’éducation est un apprentissage de la vie. Comment choisir
un maître ? Il le veut austère et sans violence, ayant les sentiments d’un
père « qui prêche d’exemple quand il
recommande la vertu.».
Relever les fautes sans
colère, ni emportement est la règle. Louer avec mesure est une exigence.
Reprendre sans acrimonie est une vertu. Avertir plutôt que punir est un art. Au
lieu des châtiments corporels, il est certain que la bienveillance, la
patience, l’affection peuvent résoudre bien des situations.
L’apprentissage de la lecture[95] s’effectue
avec des lettres en ivoire. Ecrire avec des tablettes de bois ayant en creux
des modèles pour guider la main de l’enfant est une méthode efficace. L’étude
de la grammaire a pour buts de parler et d’écrire correctement. Quant au style,
l’application doit être libre : l’enfant doit conserver sa personnalité.
La lecture est un moyen de
développement intellectuel et moral. Lire les bons auteurs dans leurs œuvres
complètes, et pas seulement à travers quelques extraits, s’impose. Transcrire
les passages principaux est un bon exercice. Expurger tout ce qui est contraire
à la moralité est une obligation : la morale étant la science de la vertu.
La géométrie aiguise
l’intelligence.
Montaigne ne cache pas tout ce
qu’il doit à Quintilien dans sa réflexion sur l’éducation : celle qu’il a
reçue de son père et dans son enfance, avant d’entrer au collège, en est
quasiment une illustration.
***
Essais de Michel de
Montaigne.[96]
Dans une lettre de Montaigne à
Diane de Foix, comtesse de Gurson, au sujet de l’éducation et de l’instruction
de l’enfant de celle-ci, nous avons ses confidences, ses conseils qu’il
complète dans d’autres parties de ses Essais.
Il s’agit pour l’essentiel du chapitre XXV,
ayant pour titre : De l’institution
des enfants[97].
Pour commencer, Montaigne
déplore son instruction au collège, ayant manqué de solidité et qui n’a
produit que « des rêveries d’homme
qui n’a goûté des sciences que la croute première en son enfance et n’en a
retenu qu’un général et informe visage ; un peu de chaque chose, et rien du tout, à la française »[98].
Montaigne ne cache pas qu’il s’est
formé à la lecture de Plutarque et de Sénèque : « L’histoire, c’est mon
gibier en matière de livres, ou la poésie
que j’aime d’une particulière inclination.»[99]. La
poésie, en raison de la métrique notamment, exige la synthèse aussi bien des idées que de l’expression : c’est
pourquoi il apprécie tout particulièrement cet art. A la lecture des Anciens,
l’auteur découvre ses faiblesses qu’il reproche aux autres comme à lui-même[100].
En écrivant ce chapitre, son intention
est clairement exprimée et caractérise bien cette personnalité qui ne cesse de
s’observer : « …ce sont ici mes humeurs et opinions : je les donne pour ce qui est en ma créance,
non pour ce qui est à croire : je ne vise ici qu’à découvrir moi-même,
qui serai par aventure autre demain, si nouvel apprentissage me change. Je n’ai
point l’autorité d’être cru, ni de le désire, me sentant trop mal instruit pour instruire autrui.»[101],
car son expérience lui permet d’affirmer qu’« … à la vérité je n’y entends, sinon cela, que la plus grand difficulté
et importante de l’humaine science semble être en cet endroit, où il se traite
de la nourriture et institution des
enfants.»[102].
La première difficulté est de
prévoir, sur leurs premières actions ce que les enfants deviendront en adultes,
malgré toutes les peines données à les éduquer. Identifier les prédispositions
d’un enfant pour sa vie d’adulte est une tâche délicate : «… on emploie beaucoup de temps à
dresser des enfants aux choses auxquelles ils ne peuvent prendre pied.»[103]. Aux parents qui veulent à tout prix voir
leurs enfants reprendre leurs professions, il est bon de leur rappeler le
précepte de Platon : « Qu’il
faut colloquer les enfants, non selon les facultés de leur père, mais selon les
facultés de leur âme.»[104].
La science ou tout simplement
la connaissance est d’une absolue nécessité pour toutes les circonstances de la
vie, surtout chez une famille de lettrés, mais aussi et surtout pour : «construire une guerre, commander un peuple,
pratiquer l’amitié d’un prince ou d’une nation étrangère, dresser un argument
dialectique, plaider un appel, ordonner une masse de pilules.»[105].
Un enfant de bonne famille doit cultiver les lettres sans esprit de gain
« car une fin si abjecte est indigne
de la grâce et de la faveur des muses.»[106].
Son expérience
Le vécu de Montaigne explique
les orientations pédagogiques qu’il préfère. Il a étudié les langues dès la
petite enfance, ainsi le grec et le latin : « C’est un bel et grand ornement sans doute que le grec et le latin mais
on l’achète trop cher. Je dirai ici une façon d’en avoir meilleur marché que de
coutume qui a été essayée en moi-même.»[107] Et il fait l’éloge de son père en ces termes
car celui-ci avait pris conscience : « que
cette longueur que nous mettions à apprendre les langues qui ne leur coûtaient
rien, est la seule cause pourquoi nous ne pouvons arriver à la grandeur d’âme
et de connaissance des anciens Grecs et Romains.»[108].
Ainsi ses parents, ses proches et un Allemand maîtrisant le latin, lui
parlaient en latin avant qu’il puisse parler. Notre auteur n’entendit le
français qu’à l’âge de six ans : « et sans art, sans livre, sans grammaire ou précepte, sans fouet et sans
larmes, j’avais appris du latin tout aussi pur que mon maître d’école le savait.»[109].
Ainsi, il apprend le grec en
se jouant et s’ouvre aux sciences par simple curiosité : « il avait été conseillé de me faire goûter la
science et le devoir par ne volonté non forcée, et de mon propre désir ;
et d’élever mon âme en toute douceur et liberté, sans rigueur et contrainte :
je dis jusqu’à telle superstition, que, parce que quelques-uns tiennent que
cela trouble la cervelle tendre de l’enfant de les éveiller le matin en sursaut
et de les arracher du sommeil (auquel ils sont plongés beaucoup plus que nous
ne sommes) tout à coup et par violence ; il me faisait éveiller par le son
de quelque instrument ; et je ne fus jamais sans homme qui m’en
servit. »[110].
Son père jugea bon de
l’envoyer dans un collège à l’âge de 6 ans, le meilleur de France, de Guyenne :
« Mon latin s’abâtardit incontinent,
duquel depuis par désaccoutumance j’ai
perdu tout usage.» [111]et
le résultat fut la perte des acquis au lieu de les consolider : «à treize ans je sortis du collège, j’avais
achevé mon cours (qu’ils appellent), et, à la vérité, sans aucun fruit que je
pusse à présent mettre en compte. »[112].
Par contre, sa passion des livres demeure : « Le premier goût que j’eus aux livres, il me vint du plaisir des fables
de la Métamorphose d’Ovide : car environ l’âge de sept ou huit ans, je me
dérobais de tout autre plaisir pour les lire.»[113].
Un précepteur comprend le goût de
Montaigne pour les classiques latins et lui fait lire Virgile, Térence, Plaute,
des comédies italiennes :
« S’il eut été si fol de rompre ce train, j’estime que je n’eusse rapporté
du collège que la haine des livres, comme fait quasiment toute notre noblesse. »[114].
L’école ne doit pas abrutir
les enfants : « A la vérité,
nous voyons encore qu’il n’est rien de si gentil, que les petits enfants en
France ; mais ordinairement ils trompent l’espérance qu’on en a
conçue ; et hommes faits, on n’y voit aucune excellence : j’ai ouï
tenir à gens d’entendement, que ces collèges où on les envoie, de quoi ils ont
foison, les abrutissent ainsi.»[115].
Rabelais ne dit pas autre chose avec Thubal Holoferne et Jobelin Bridé. Que
dirait Montaigne de nos jours lui qui portait déjà ce constat aussi sous forme
interrogative : « et combien
ai-je vu de mon temps d’hommes abêtis par téméraire avidité de science ? »[116] ?
Notre enfant « ne
doit au pédagogisme que les premiers quinze ou seize ans de sa vie : le
restant est dû à l’action. Employons un temps si court aux instructions
nécessaires. »[117].
Montaigne ne veut pas fabriquer de beaux parleurs mais de bons faiseurs…
Du choix du maître
Le succès de l’éducation d’un
enfant dépend du choix de son gouverneur (maître privé et particulier). La
mission du gouverneur est de réussir de conduire un enfant à être plus un
habile homme qu’un homme savant. Pour le réaliser, «lui choisir un conducteur qui eut plutôt la tête bien faite que bien
pleine» est la première condition. Le choix s’établira selon ses mœurs et
entendement, plus que sur sa science. Montaigne réagit vivement en fonction de
son vécu lorsqu’il forme cette réflexion sur le maître privé: «et qu’il se conduisit en sa charge d’une nouvelle manière. On ne cesse de
criailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un entonnoir ; et notre
charge, ce n’est que redire ce qu’on nous a dit : je voudrais qu’il corrigea
cette partie et que de belle arrivée, selon la portée de l’âme qu’il a en main,
il commença à la mettre sur la monstre, lui faisant goûter les choses, les
choisir, les discerner d’elle-même : quelquefois lui ouvrant chemin, quelquefois
le lui laissant ouvrir. Je ne veux pas
qu’il invente et parle seul ; je veux qu’il écoute son disciple parler à
son tour.»[118].
L’exemple de Socrate est bien présent dans son esprit. Montaigne préconise la
méthode de Platon : l’enseignement doit être un dialogue afin d’obtenir
une liberté de raisonnement, de ne pas rester sous la tutelle des « autorités » :
raisonner par soi-même afin de se gouverner par soi-même.
Il s’ensuit une critique des
disciples fanatiques d’Aristote : lors d’un voyage à Pise, un dogmatique
disait à notre essayiste : « Que
la touche et la règle de toutes imaginations solides et de toute vérité, c’est
la conformité à la doctrine d’Aristote ; que hors de là, ce ne sont que
chimères et inanité ; qu’il a tout vu et tout dit. »[119].
Notre auteur cite Cicéron qui disait déjà : « Obest plerumque iis qui discere volunt auctoritas eorum qui docent.»[120],
«L’autorité de ceux qui enseignent nuit
souvent à ceux qui veulent apprendre.»[121].
Entre avoir des certitudes acquises en raison d’une autorité supérieure[122]
et savoir douter pour raisonner, Montaigne préfère le doute : « la vérité et la raison sont communes à
chacun »[123].
L’éducateur doit s’adapter au
rythme de l’enfant pour le faire progresser, ni trop vite, ni trop lentement
mais selon ses capacités. Seule une instruction individuelle peut se le
permettre. A propos de la méthode du maître, il précise encore sa relation
avec l’élève : « Je ne veux pas
qu’on emprisonne ce garçon : je ne veux pas qu’on l’abandonne à la colère
et humeur mélancolique d’un furieux maître d’école : je ne veux pas
corrompre son esprit à la géhenne et au travail, à la mode des autres, quatorze
à quinze heurs par jour, comme un portefaix.»[124].
Le maître doit être un modèle : « Qu’il
ne lui demande pas seulement compte des mots
de sa leçon, mais du sens et de
la substance ; et qu’il juge du
profit qu’il aura fait, non par le témoignage
de sa mémoire, mais de sa vie. »[125].
« Savoir par cœur n’est pas savoir ; c’est tenir ce qu’on a donné en
garde à sa mémoire. Ce qu’on sait droitement, on en dispose, sans regarder au
patron, sans tourner les yeux vers son livre. Fâcheuse suffisance qu’une suffisance pure livresque ! Je
n’attends qu’elle serve d’ornement, non de fondement ; suivant l’avis de
Platon qui dit : La fermeté, la foi, la sincérité, être la vraie
philosophie ; les autres sciences, et qui visent ailleurs, n’être que
fard.»[126].
Quant aux peines corporelles,
la prise de position est claire : « Au demeurant, cette institution se doit conduire par une sévère
douceur, non comme il se fait : au lieu de convier les enfants aux
lettres, on ne leur présente, à la vérité, que horreur et cruauté. Otez-moi la
violence et la force : il n’est rien, à mon avis qui abâtardisse et
étourdisse si fort une nature bien née. Si vous avez envie qu’il craigne la
honte et le châtiment, ne l’y endurcissez pas : endurcissez-le à la sueur
et au froid, au vent, au soleil et aux hasards qu’il lui faut mépriser :
ôtez-lui toute mollesse et délicatesse au vêtir et coucher, au manger et au
boire.»[127].
Montaigne se réfère à la pensée de Quintilien lorsqu’il s’exclame : « Quelle manière, pour éveiller l’appétit, envers leur leçon, à ces
tendres âme et craintives, de les y guider d’une trogne effroyable, les mains
armées de fouets ! Inique et pernicieuse forme !»[128].
Comment juger de l’enseignement d’un
maître ? Une façon d’être et non de paraître chez son disciple : « Voici mes leçons : celui là y a mieux
profité, qui les fait que qui les sait. Si vous le voyez, vous
l’entendez : si vous l’entendez, vous le voyez. »[129].
Eloge de la philosophie
La finalité de l’instruction
est que l’élève puisse dire en quittant le banc des écoles comme Montaigne
: « Le gain de notre étude, c’est
être devenu meilleur et plus sage.»[130].
La philosophie est essentielle
puisqu’elle permet d’: « apprendre à
se connaître et à savoir bien mourir et bien vivre »[131].
C’est pourquoi il la place avant toutes les autres sciences : « Après qu’on lui aura appris ce qui sert à
faire plus sage et meilleur, on l’entretiendra ce qu’est la logique, la physique, la géométrie, la rhétorique.»[132].
La philosophie peut et
doit s’enseigner joyeusement et un philosophe triste n’est qu’un triste
philosophe. Citant le grammairien
Démétrius qui rapporte les propos de Héracleion le Mégarien : « Quant au discours de la philosophie, ils ont
accoutumé d’égayer et de réjouir ceux qui les traitent, non les renfrogner et
contrister. »[133],
Montaigne conclut : « on a
grand tort de la peindre inaccessible aux enfants et d’un visage renfrogné,
sourcilleux et terrible : qui me l’a masquée de ce faux visage pâle et
hideux ? Il n’est rien de plus gai, plus gaillard, plus enjoué et à peu
que je ne dise folâtre ; elle ne prêche que fête et bon temps : une
mine triste et transie montre que ce n’est pas là son gîte.»[134].
« Puisque la philosophie est celle qui nous instruit à vivre et que
l’enfance y a sa leçon comme les autres âges, pourquoi ne la lui communique-t-on ?« Udum
et molle lutum est ; nunc properandus, et acri / Fingendus sine fine
rota. » (L’argile est encore molle et humide ; vite, hâtons-nous et
sans perdre un instant, façonnons-là à la roue.[135])».
On nous apprend à vivre quand la vie est
passée. Cent écoliers ont pris la vérole avant que d’être arrivé à leur leçon
d’Aristote.»[136].
La philosophie est un moyen
d’acquérir la sérénité : « L’âme qui loge la philosophie doit par sa santé rendre sain encore le corps : elle doit faire luire
jusqu’au dehors son repos et son aise. » et « La plus expresse marque de la sagesse, c’est une réjouissance constante ; son état est, comme des choses
au-dessus de la lune, toujours serein. »[137].
Compagne des tous les âges, elle mérite notre confiance car «La philosophie a des discours pour la
naissance des hommes comme pour la décrépitude.»[138].
Elle se vit au quotidien et à tout instant, aussi bien à table, à l’étude, au
coucher au jeu, en solitude qu’en société car : « la philosophie qui, comme formatrice des
jugements et des mœurs, sera sa principale leçon, a se privilège de se mêler
partout.»[139].
A propos de la vertu
Cultiver la vertu et
s’éloigner des vices est une des missions de l’enseignant. La vertu n’est pas
un chemin ardu, difficile et il importe de ne pas croire qu’elle est
inaccessible[140].
L’auteur des Essais revient sur ce
thème dans son Livre 2, chapitre XVII[141] :
« Je retourne volontiers sur ce discours de l’ineptie de notre institution :
elle a eu pour sa fin de nous faire, non bons et sages, mais savants ;
elle y est arrivée : elle ne nous a pas appris de suivre et embrasser la
vertu et la prudence, mais elle nous a imprimé la dérivation et
l’étymologie ; nous savons décliner Vertu, si nous ne savons
l’aimer ; si nous savons ce qu’est prudence par effet et par expérience,
nous la savons par jargon et par cœur…»[142].
Toutefois, il est sans illusion sur la nature profonde de l’enfant puis de
l’adulte avec ce constat au Livre 3, chapitre II[143] :
« Les inclinations naturelles
s’aident et se fortifient par institution ; mis elles ne se changent et
surmontent guère : mille natures, de mon temps, ont échappé vers la vertu,
ou vers le vice, au travers d’une discipline contraire :
« Sic ubi desuetae sylvis in carcere clausae
Mansuevere ferae, et vultus posuere minaces,
Atque hominem didicere pati, si torrida parvus
Venit in ora cruor, redeunt rabiesque furorque,
Admonitaeque tument gustato sanguine fauces;
Fervet, et a trepido vix abstient ira magistro. »[144]
« Ainsi quand les bêtes féroces, dans la prison qui les enferme, oubliant
les forêts, semblent s’être adoucies, lorsqu’elles ont dépouillé leur orgueil
menaçant, et appris à souffrir l’empire de l’homme ; si, par hasard, un
peu de sang vient à toucher leurs lèvres enflammées, leur rage se
réveille ; leur gosier s’enfle, altéré du sang dont le goût vient
d’exciter la soif ; elles brûlent de s’en assouvir, et leur cruauté
s’abstient à peine de dévorer leur maître pâlissant. [145]»
L’apprentissage de la
modestie est une nécessité à tous les âges et elle s’apprend dès
l’enfance pour être une preuve de savoir-vivre : « En cette école du commerce des hommes, j’ai
souvent remarqué ce vice, qu’au lieu de prendre connaissance d’autrui, nous ne
travaillons qu’à la donner de nous ; et sommes plus en peine de débiter
notre marchandise, que d’en acquérir de nouvelle : le silence et la modestie sont qualités très commodes à la conversation. On dressera cet enfant à
être épargnant et ménager de sa suffisance
quand il l’aura acquise ; à ne se formaliser point des sottises et fables
qui se diront en sa présence : car c’est une incivile importunité de
choquer tout ce qui n’est pas de notre appétit.»[146].
Dans le cas où il doit contrer
des propos, une manière d’être s’impose : « On lui apprendra de n’entrer en discours
et contestation que là il verra un champion digne de sa lutte ; et là
même à n’employer pas tous les tours qui peuvent servir, mais ceux-là seulement
qui lui peuvent le plus servir. Qu’on le rende délicat au choix et triage de ses
raisons, et aimant la pertinence, et par conséquent la brièveté. Qu’on l’instruise surtout à
se rendre et à quitter les armes à la vérité,
tout aussitôt qu’il l’apercevra, soit qu’elle naisse de son adversaire, soit
quelle naisse en lui-même par quelque ravissement.»[147].
Ne pas faire de l’enfant un
courtisan car faire son devoir public, « être très loyal serviteur de son prince »[148],
ne signifie pas devenir un flatteur de cour : « le
jugement d’un homme gagé et acheté, ou il est moins entier et moins libre, ou
il est taché et d’impudence et d’ingratitude. Un pur courtisan ne peut avoir ni
loi ni volonté de dire…» car de la protection son prince et à son service,
sa franchise est bien souvent corrompue.[149]
L’honnêteté intellectuelle
d’une personne a des exigences : « Que sa conscience et sa
vertu reluisent en son parler, et n’ayant que la raison pour conduite. Qu’on lui fasse entendre que de confesser la
faute qu’il découvrira en son propre discours, encore qu’elle ne soit aperçue
que de lui, c’est un effet de jugement
et de sincérité.»[150].
Le succès de l’éducation et de
l’instruction se reconnaît à traverses les actes du jeune adulte : « Il ne dira pas tant sa leçon, comme il la
fera ; il la répétera en ses actions : on verra s’il y a de la
prudence en ses entreprises ; s’il y a de la honte et de la justice en ses
déportements ; s’il a du jugement et de la grâce en son parler, de la
vigueur en ses maladies, de la modestie en ses jeux, de la tempérance en ses
voluptés, de l’ordre en son économie ; de l’indifférence en son goût, soit
chair, poisson, vin ou eau : ‘’qui disciplinam suam non ostentationem
scientiae, sed legem vitae putet ; qui que obtemperet ipse sibi, et
discretis pareat.’’[151]
»[152].
De quelques principes d’éducation :
Il préfère une façon de parler
semblable à celle d’écrire : « Le
parler que j’aime, c’est un parler simple et naïf, tel sur le papier qu’à la
bouche ; un parler succulent et nerveux, court et serré ; non tant
délicat et peigné, comme véhément et brusque :‘’Haec demum sapiet dictio,
quae feriet’’ ‘’Que l’expression frappe, elle plaira.’’ »[153].
Adopter un parler naturel est le vrai signe de distinction : « Comme aux accoutrements, c’est pusillanimité
de se vouloir marquer par quelque façon particulière et inusitée : de même
au langage, la recherche des phrases nouvelles et des mots peu connus vient
d’une ambition puérile et pédantesque. »[154].
Vivre à la dure, hors du cocon
familial, fait aussi partie de l’éducation. Savoir supporter la fatigue comme
la douleur de certaines situations prouve une force de caractère utile pour
franchir les obstacles de la vie. Pour un enfant, « ce n’est pas assez de lui
raidir l’âme ; il lui faut aussi raidir les muscles.»[155].
Les voyages sont aussi une formation de la jeunesse[156] pour
découvrir le monde tel qu’il est.
Cultiver une saine
curiosité est une marque d’intelligence en vue de développer un esprit de
discernement : « Qu’on lui mette en
fantaisie une honnête curiosité de
s’enquérir de toutes choses : tout ce qu’il y aura de singulier autour de
lui.»[157].
Observer la société est une source remarquable d’enseignements : « la sottise
même et faiblesse d’autrui lui sera instruction : à contrôler les
grâces et façons d’un chacun, il s’engendrera envie des bonnes et mépris des mauvaises.»[158]. Fréquenter
le monde, non pour paraître mais pour connaître, a du sens : « Il se tire une merveilleuse clarté pour le
jugement humain, de la fréquentation du monde : nous sommes tous
contraints et amoncelés en nous, et avons la vue raccourcie à notre nez.
On demandait à Socrate d’où il
était : il ne répondit pas d’Athènes mais du monde ;….»[159].
Le monde qui est observé est le meilleur livre de connaissances pour un
jeune : il se forge ainsi un jugement sain : connaître les mœurs fortes
diverses qui régissent les pays ; acquérir ainsi un art de vivre avec les
autres.
Face aux sophistes, un seul
comportement est possible pour un jeune : « Voire mais, que fera-t-il si on le presse de la subtilité sophistique
de quelque syllogisme ? « Le jambon fait boire ; le boire
désaltère : par quoi le jambon désaltère. » Qu’il se moque : il est plus subtil de s’en moquer que d’y
répondre. »[160].
La réponse de Montaigne, si tolérant d’habitude dans ses manières, est ici sans
concession ! De même, il critique aussi bien les sottises émises par certains
hommes du clergé que par des médecins[161]
(contre lesquels il ne se montre pas tendre)
ou certains charlatans qui se trouvent malheureusement dans tous les
corps de métier !
A propos des livres :
S’il y a un sujet que
Montaigne aime à traiter, c’est bien les livres, si nécessaires pour une
instruction permanente[162].
Dans ses Essais, il reconnaît
volontiers les nombreux emprunts qu’il leur a faits. L’homme ne s’instruit pas
uniquement dans son jeune âge mais jusqu’à ses derniers instants : au
contact des autres, en vivant en société, en s’observant dans toutes les
circonstances de la vie et en aiguisant son jugement avec des auteurs : ne
jamais cesser de se former son jugement, voilà la plus belle leçon de Montaigne.
Ainsi dans le livre 2, chapitre
10[163],
Montaigne confie tout ce qu’il doit aux auteurs qui l’ont précédé. Il les a lus
pas tant pour connaître les choses mais surtout pour se connaître lui-même. Sa
manière de cultiver le « Connais-toi
toi-même » de Socrate s’exprime avec ces mots : « Je ne cherche aux livres qu’à m’y donner du
plaisir par un honnête amusement : ou si l’on étudie, je n’y cherche que la
science qui traite de la connaissance de
moi-même[164] et m’instruise à bien mourir et à bien
vivre. »[165].
Reconnaître son ignorance de certaines choses est une preuve de jugement comme
de modestie[166]
: « La science et la vérité peuvent
loger chez nous sans jugement ; et le jugement y peut aussi être sans
elles : voire la reconnaissance de l’ignorance est l’un des plus beaux et
plus sûrs témoignages que je trouve. »[167].
Sa préférence pour les auteurs
anciens est nette. A propos des plus récents, voici ce qu’il confesse : « Je ne me prends guère aux nouveaux, pour ce
que les anciens me semblent plus pleins et plus raides : ni aux grecs[168].
Entre les livres simplement plaisants, je trouve des modernes, le Décameron de Boccace, Rabelais et les Baisers
de Jean Second, s’il faut loger sous ce titre, dignes qu’on s’y amuse. »[169].
Les poètes anciens ont sa faveur : « Mais pour suivre ma route, il m’a toujours semblé qu’en la poésie, Virgile,
Lucrèce, Catulle et Horace tiennent de bien loin le premier rang ; et de
façon insigne Virgile en ses Géorgiques, que j’estime le plus accompli ouvrage
de la poésie : à comparaison duquel on peut reconnaître aisément qu’il y a
des endroits de l’Enéide, auxquels l’auteur eût donné encore quelque tour de
peigne, s’il en eût le loisir ; et le cinquième livre de l’Enéide me
semble plus parfait. »[170].
Montaigne emploie souvent le terme de « raide » dans un sens positif pour lui : raide, c’est ce qui est « ferme, assuré », qui enlève le
doute légitime et qui fait que sa certitude n’est pas une fausse certitude.
C’est la conclusion d’un jugement sain qui a pesé le pour et la contre, le vrai
du faux, selon les connaissances réunies en un temps donné et une situation
donnée.
Térence, Lucain, Lucrèce,
Martial ont la faveur de Montaigne qui se déclare farouchement contre les Pétrarquistes. Les éloges vont à
Plutarque et à Sénèque qui ont servi de modèles quant au style et à l’esprit de
Montaigne : « Quant à mon
autres leçon, qui mêle un peu plus de fruit au plaisir, par où j’apprends à
ranger mes opinions et conditions, les livres qui me servent, c’est Plutarque,
depuis qu’il est français et Sénèque. Ils ont tous deux cette notable commodité
pour mon humeur que la science que j’y cherche y est traitée en pièces
décousues, qui ne demandent pas l’obligation d’un long travail, de quoi je suis
incapable : ainsi sont les opuscules de Plutarque et les Epîtres de
Sénèque, qui sont la plus belle partie de leurs écrits et la plus profitable.
Il ne faut grande entreprise pour m’y mettre et les quitte où il me plaît car
elles n’ont point de suite et dépendance des unes aux autres. Ces auteurs se
rencontrent en la plupart des opinions utiles et vraies. »[171].
Cet extrait témoigne d’une filiation de pensée de Montaigne avec ces
auteurs ! Il ajoute : « Leur
instruction est de la crème de la philosophie et présentée d’une simple façon
et pertinente.»[172].
Admirer ne signifie pas
accepter tout, de façon inconditionnelle, des auteurs anciens et abdiquer ainsi
un esprit critique. Cicéron est aimé et lu pour sa philosophie morale mais
Montaigne trouve sa façon d’écrire ennuyeuse : trop d’apprêts selon lui.
Pour goûter «le suc et la substance [173]»,
il faut trop de temps car il use excessivement de logique aristotélicienne :
« Je veux des discours qui donnent
la première charge dans le plus fort du doute : les siens languissent
autour du pot ; ils sont bons pour l’école, pour le barreau et pour le
sermon, où nous avons loisir de sommeiller et sommes encore, un quart d’heure
après, assez à temps pour en retrouver le fil.»[174].
Pour Platon, il est aussi critique : « la licence du temps m’excusera-t-elle de cette sacrilège audace,
d’estimer aussi traînants les discussions en dialogue de Platon même, étouffant
par trop sa matière ; et de plaindre le temps que met à ces longues
interlocutions vaines et préparatoire un
homme qui avait tant de meilleures choses à dire ?»[175].
Sa lutte contre une dialectique abusive est déclarée !
Utilité de la connaissance de l’histoire
A plusieurs reprises,
Montaigne se plaît à louer l’histoire et les exemples qu’il utilise pour
justifier ses pensées démontrent une connaissance étendue du passé. Il
conseille à un jeune l’utilité de comprendre la politique, au sens noble du terme : « il s’enquerra des mœurs, des moyens et des
alliances de ce prince, et de celui-là : ce sont choses très plaisantes à
apprendre et très utiles à savoir. »[176].
Aux dates et aux lieux, il s’agit de préférer les mœurs et d’apprendre à juger
les évènements.
Dans son livre 2, au chapitre
10[177],
il reprend son éloge des historiens en développant de nombreux
commentaires sur les historiens anciens, Plutarque ayant toute sa faveur, d’un
passé proche et de son temps. Sa motivation : « l’homme en général, de qui je cherche la connaissance, y paraît plus
vif et plus entier qu’en nul autre lieu ; la variété et vérité de ses
conditions internes, en gros et en détail, la diversité des moyens de son
assemblage, et des accidents qui le menacent. Or ceux qui écrivent les vies,
d’autant qu’ils s’amusent plus aux conseils qu’aux évènements, plus à ce qui
part du dedans qu’à ce qui arrive au dehors, ceux-là me sont plus
propres : voilà pourquoi, en toutes sortes, c’est mon homme que Plutarque. »[178].
Son plaidoyer pour une histoire comparative mérite d’être retenu : « En ce genre d’étude des histoires, il faut
feuilleter, sans distinction, toutes sortes d’auteurs et vieux et nouveaux, et
baragouins et français, pour y apprendre les choses de quoi diversement ils
traitent.»[179].
Il aime les historiens
simples, ce qui les rend estimables, comme Froissard : « Les simples, qui n’ont point de quoi y mêler
du leur, et qui n’y apportent que le soin et la diligence de ramasser tout ce
qui vient à leur notice, et d’enregistrer, à la bonne foi, toutes choses, sans
choix, sans triage, nous laissant le jugement entier pour la connaissance de la
vérité.»[180].
Les excellents historiens ont la capacité de: «choisir ce qui est digne d’être su, [et] peuvent trier, de deux
rapports, celui qui est le plus vraisemblable ; de la condition des
princes et de leurs humeurs, ils en concluent les conseils, et leur attribuent
les paroles convenables : ils ont raison de prendre l’autorité de régler
notre créance à la leur, mais, certes, cela n’appartient à guère de gens.»[181].
Toutefois, n’accordons pas une
confiance naïve à tous les historiens car il en est de méprisables :
« Ceux d’entre eux (qui est la plus
commune façon) nous gâtent tout ; ils veulent nous mâcher les
morceaux : ils se donnent loi de juger, et par conséquent d’incliner
l’histoire à leur fantaisie ; car depuis que le jugement pend d’un côté,
on ne se peut garder de contourner et tordre la narration à ce biais : ils
entreprennent de choisir les choses dignes d’être sues, et nous cachent souvent
telle parole, telle action privée, qui nous instruirait mieux : omettant
pour choses incroyables, celles qu’ils n’entendent pas ; et peut-être
encore telle chose, pour ne savoir dire en bon latin ou français.»[182].
De nos jours, cet extrait est encore plus d’actualité avec les
historiens-accusateurs-procureurs-juges-censeurs, médiatisés à outrance et dont
les logorrhées soûlent[183]
le grand public qui, par saturation, au bout de quelques années de gavage,
dédaigne ou méprise cette source de connaissance.
Pages que tout historien ou
passionné peut lire, maintenant comme demain, pour en tirer les plus beaux
fruits ! Oui, l’histoire apprend pour qui sait garder un esprit
critique !
Il faut bien conclure alors
qu’il y aurait encore tant à dire. La synthèse de la pensée de Montaigne en
matière d’éducation et d’instruction est dans la réponse à cette
question : De quelle façon enseigner et le corps et l’âme ? : «… aussi, notre leçon, se passant comme
par rencontre, sans obligation de temps et de lieu, et se mêlant à toutes nos
actions, se coulera sans se faire sentir ; les jeux mêmes et les exercices
seront une bonne partie de l’étude ; la course, la lutte, la musique, la danse, la chasse, le maniement des
chevaux et des armes. Je veux que la bienséance extérieure, et l’entregent,
et la disposition de la personne, se façonne qu’en et dans l’âme. Ce
n’est pas une âme, ce n’est pas un
corps, qu’on dresse ; c’est un homme : il n’en faut pas faire à
deux ; et comme dit Platon, il ne faut les dresser l’un sans l’autre,
mais les conduire également, comme un couple de chevaux attelés à même timon. »[184].
Les principes de Montaigne pour notre sujet sont : Former
le jugement ; Trouver de la pondération ; Etre ce que l’on est :
ne pas paraître ; Agir en conformité avec ses convictions ; Avoir la
curiosité de savoir ; Rechercher la vérité ; Ne pas opposer le corps
à l’esprit : les associer.
***
Conclusion
L’histoire de l’éducation est
une étude passionnante : notre intérêt est dans la recherche des vérités
durables derrière la multiplicité des procédés de l’éducation. Il convient de distinguer
le poids tantôt positif, tantôt négatif des idées philosophiques aussi bien que
religieuses qui élèvent ou qui abaissent l’homme.
Il y a eu des chimères, des
erreurs qui devraient nous
inspirer la prudence ou, au minimum, nous faire rejeter certaines pratiques.
Toutefois, en tant qu’historien, j’ai souvent constaté, et en pédagogie aussi,
que l’homme, qu’il soit politique ou éducateur, apprend guère du passé :
il est victime de cet orgueil qui le pousse à croire que le sujet qui le
préoccupe n’a jamais été considéré avant lui et que de toute façon il est le
seul détenteur de la Vérité.
En matière de pédagogie, il y
a une filiation de pensées qui remontent aux plus hautes civilisations humaines
dans le temps et, en ces quelques lignes, j’ai tenté de vous en rendre compte :
un livre aboutirait aux paradoxes de Rousseau, au singulier système des
Jésuites, évoluant jusqu’à nos jours. Les préceptes de Montaigne, de Locke et
de Comenius, construits sur les auteurs qui les ont précédés, ont connu des
développements avec Pestalozzi, P. Girard, Fröbel, Eckart, Fellenberg, Wehrli,
Gauthey.
Quelques leçons générales sont données :
La société idéale de Rabelais :
c’est Thélème. Travailler toujours mais dans une ambiance de liberté et de
spontanéité. Travail vient du latin
« tripalium » :
tourment, torture en fait ; le travail était un terme réservé aux femmes
qui accouchent ; pourquoi ne pas entendre que la vie est un perpétuel
accouchement avec ses douleurs et ses joies face à ce qui est à naître. Voici
une lecture de Rabelais qui pourrait vous paraître étrange mais elle est
possible car Socrate procédait à un travail particulier, la maïeutique, qui
n’est rien d’autre qu’un accouchement des esprits ! Oubliez cet élément,
c’est faire dire n’importe quoi à Rabelais et cela n’a bien sûr pas manqué.
Les livres constituant le
roman de Rabelais sont une véritable
initiation, une éducation et une instruction tout à la fois : inspiré
des dialogues de Socrate, il livre un exercice oratoire de son temps sur toutes
les matières ayant trait à la vie humaine.
L’éducation et l’instruction
doivent réconcilier le corps et l’âme. Ce débat entre le corps et l’âme a
été un thème récurrent de la poésie goliardique, depuis le XIe
siècle déjà, et, chez les auteurs du XVIe s., il est repris avec la
même passion. Nous le retrouverons, par exemple, chez le Nîmois et Genevois
Claude Baduel qui démontre dans ses écrits que la vie en couple n’est pas
nuisible au travail intellectuel.
Accepter Dieu mais rester
prudent face à ses serviteurs établis, pas toujours par la grâce du Saint
Esprit. C’est aussi une reprise de chansons goliardiques où les vices du clergé
étaient dénoncés. De nos jours, je vous décrirais sans aucune peine quelques
vices du clergé mais cela ne signifie pas pour autant que je rejette le message
religieux chrétien et que je refuse de voir les actes extraordinaires
accomplis par des gens de Foi !
Il pratique l’éloge de bonnes
nourritures en décriant les excès avec complaisance mais non pour les louer. Il
grossit le trait à outrance. Il invente des histoires merveilleuses comme cela
était conseillé dans les prêches du Moyen Age pour susciter l’attention et il
tire parti des farces[185]
dont le public était friand et coutumier.
Rabelais critique certains
enseignants et formes d’enseignement mais non l’instruction et l’éducation. Il
en va de même pour l’Eglise.
Dans son œuvre, Rabelais offre
une initiation onirique et réaliste à tout ce connaît l’homme en une
existence, en dévoilant ce que le cerveau peut offrir de plus beau et les
appendices du ventre, de plus nature. Il traite ave humour et un humour parfois
lourd, les questions existentielles : chacun, certes, ne se les pose pas
toutes mais il procède à grand inventaire où son sens de l’observation juste
n’est jamais pris en défaut.
Souvent nous parlons de
l’absurdité scolastique que démontrent Rabelais et Montaigne. En fait ils
pratiquent à leur façon une critique de la raison : Rabelais parodie avec
aisance et humour une dissertation où se réunissent la thèse et l’antithèse
pour offrir une synthèse ou, plus souvent, pour que lecteur trouve lui-même
cette synthèse avec son esprit critique. Rabelais et Montaigne peuvent être lus
de différentes façons. Nous arrivons au débat d’Umberto Eco sur
l’interprétation de l’œuvre : il y a l’auteur et sa pensée, le texte et
les limites des mots, le lecteur et sa pensée, avec son « jugement » comme le dit Montaigne.
Montaigne fait de même mais
d’une autre façon : il se scrute et scrute les autres à travers lui ;
Montaigne apprend à son lecteur que la vie est une éducation et une instruction
perpétuelles et toujours inachevées. La philosophie est de savoir « bien mourir et bien vivre ».
Finalement en le lisant et en le relisant, je m’aperçois qu’il disserte
longuement sur des morts régulières que nous vivons : nous avons été un
bébé, un enfant, un adolescent, un homme actif en diverses situations, nous
avons vécu hier ce que nous ne vivrons plus demain (un grand amour, une
grande amitié…). Tout cela est né et mort quoique nous vivions encore : la
vie est une succession de petites morts et en disant cela, il ne s’agit pas
uniquement de cette petite mort qui se connaît après l’acte amoureux.
Finalement, Montaigne et
Rabelais défendent-ils la raison, cette raison qu’invoque le siècle des
Lumières, avec autant de dogmatisme que l’Eglise en a eu sur certaines
questions ? Rabelais et Montaigne se retrouvent en démontrant que la
raison humaine se contredit le plus souvent. Ils mettent en doute bien des
certitudes : ainsi, il n’est pas possible de croire en la toute puissance
de la raison. L’examen méthodique du pour
et du contre est cause du
doute des sceptiques.
Toutefois, il y a la nécessité
de vivre et de croire. La foi demeure et le mieux encore est de faire une confiance
prudente et attentive à ses expériences. Tous deux font un inventaire des
opinions qui ont cours en leur temps : l’un en plaisantant
gauloisement ; l’autre en sage joyeux. Tous deux utilisent le rire, le
rire gras de l’un ne cache pas le rire ironique de l’autre (à la façon de
Socrate qui feint l’ignorance pour révéler l’ignorance réelle de ses
interlocuteurs) !
Rabelais nous fait vivre son
expérience, en plusieurs personnages qui représentent sa personnalité qui
est complexe, diverse et pas un monobloc. Emile Faguet dans son livre « Le XVIe siècle » le dit
clairement : Rabelais est à la fois Grandgousier (le père spirituel attentif et
fin politique), Gargantua (l’étudiant idéal), Jean des Entommeures (un homme du
clergé, ouvert à la vie réelle, à l’action et non à la seule méditation) et
Panurge (le malicieux capable du meilleur comme du pire). Panurge est le
goliard par excellence : il sort tout droit de la vie estudiantine, avec
ses canulars pas toujours du meilleur goût mais qui se retrouv(ai)ent dans
certains rites d’initiation ou de bizutage chez les étudiants.
La complexité de l’être humain
ne se réduit pas à un seul visage, un homme peut être plusieurs personnages
selon les circonstances ; il n’y a pas un seul être intérieur mais
plusieurs et le plus difficile est probablement de les faire vivre ensemble et
de les accepter. Montaigne, lui, reste concentré sur lui-même ne dit rien
d’autre mais d’une façon plus analytique : l’homme varie suivant les
circonstances et les faits.
La philosophie est formatrice
du jugement et des mœurs. Cet humanisme[186]
aux origines chrétiennes marque encore le XXIe siècle et d’en
connaître les origines permet de réviser bien de faux clichés, imposés part des
idéologues.
Tous deux portent un
éclairage, certes différent, sur la façon de bien vivre qui repose sur une
bonne éducation et une bonne instruction. La seule connaissance par les sens
n’existe pas de façon totale : une analyse sincère démontre que plusieurs
composantes peuvent modifier cette perception : l’imagination, la volonté,
l’entendement et le jugement ! Le corps et l’esprit forment un tout
inséparable : c’est la plus belle leçon qu’il faut retenir de nos deux
auteurs.
Pour nos deux auteurs, un art
de vivre et de faire : voilà ce qui compte. Montaigne dit (Essais,
II, 12) : « J’ai vu en mon
temps cent artisans, cent laboureurs
plus sages et plus heureux que des recteurs de l’université, et auxquels
j’aimerais mieux ressembler. »
L’homme sa vie durant ne cesse
de s’instruire, de s’éduquer et, s’il ne fait pas il n’est qu’un mort
vivant ! Malheureusement, il y en a beaucoup !
Antoine Schülé
La Tourette
12, Pl. Lavoir et
Arsac
F-30 200
Saint-Gervais
[1]
Etymologiquement l’enfant vient du latin infans,
in fari, celui qui ne parle pas.
[2] Un
beau tableau de chasse pour rire et pleurer tout à la fois à la façon de
Rabelais-Pantagruel ou jeter un regard ironique à la façon de Montaigne :
Christopher Cerf et Victor Navasky, Paroles
d’experts. Les perles des spécialistes. Acropole. Paris. 1984. 192 p. Sans
oublier : Jérôme Duhamel : Le
grand méchant dictionnaire. Seghers. Paris. 1985. 432 p. et : Le grand méchant bêtisier. Albin Michel.
Paris. 1991. 380 p.
[3] Pour
initier une recherche sur l’éducation et l’instruction dans l’esprit de la
Réforme : Henri Meylan : D’Erasme
à Théodore de Bèze. Problèmes de l’Eglise et de l’Ecole chez les Réformés.
Droz. Genève. 1976. 292 p. Consultez tout spécialement les pp. 191-258 :
Collèges et Académies protestantes en
France au XVIe s. ; Professeurs
et étudiants. Questions d’horaires et de leçons ; Les années d’apprentissage de David Chaillet et Jérémie Valet ;
Le recrutement et la formation des
pasteurs dans les Eglises réformées du XVIe s..
[4] C.
Baduellus : Liber de officio et
munere professorum et eorum qui juventutem erudiendam suscipiunt entre
autres. M.-J. Gaufrès : Claude
Baduel et la réforme des études au XVI e siècle. Hachette. 1880.
[5] La
mort est vue comme un enfantement à une autre vie : une façon de se
familiariser avec l’inéluctable.
[6] De
nombreux ordres religieux se sont préoccupés d’éducation et un indicateur
intéressant est le : Yves Poutet F.E.C. La prière de l’éducateur. CLD. Chambray. 1982.
[7]
Qui exige de prospecter des mondes inconnus, au risque de mettre en péril des
croyances…
[8]
Comenius (nom latinisé du tchèque Jan Amos
Komenský) : Didactica magna seu omnia omnes dicendi artificium,
1632, éd. tchèque 1649, éd. latine 1657. En français : La Grande
Didactique. Et encore :
Schola ludus, 1657; Orbis pictus, 1658.
[9]
Education de Cyrus le Grand.
[10]
Dieu.
[11]
Alors que certains, se prenant pour le Christ, se contentent d’être des poteaux
indicateurs, sur le bord d’une route : ils indiquent le chemin mais ne le
suivent pas. Ce qui est encore le moindre mal car d’autres ont des
comportements où ils se trompent tout simplement de modèle (cas hélas à
percevoir urgemment surtout, à nullement déculpabiliser régulièrement évidemment) : ils suivent Judas, le mauvais
larron, les pharisiens ou encore les marchands du temple quand ce n’est pas
Caïn, en voulant mimer des saints ! Il y a des langues de vipère derrière des
visages et sourires hypocrites ! Le paraître ne suffit pas !
[12]
Ce qui se pratique couramment au XXIe s. avec toutes les possibilités données par
la science et les lois.
[13]
Bernard Cottret : Thomas More. coll.
Biographies. Tallandier. Paris. 408 p. 2012. Remarquable ouvrage pour découvrir ce personnage complexe et
remarquable face à un Henri VIII, cristallisant les vices de son temps.
[14]
Trois maladies spirituelles de notre temps.
[15]
Rabelais (préface de Jean Vagne et avant-propos de François Ruchon) : Gargantua et Pantagruel. Ed Rencontres. Lausanne. s.d. 2 vol. 608 p. et 616 p. p.81.
Edition en français moderne, agréable à lire, des cinq livres. Ouvrage
de référence pour cette étude.
[16]
Formule qui deviendra le titre d’une collection fameuse pour découvrir de
multiples champs de connaissance.
[17]
Reconnaissons que cela n’est pas donné à tous les enseignants ! J’ai été
aussi un écolier et je me suis occupé de jeunes en difficultés scolaires !
[18]
Comme nous voudrions y croire !
[19]
Ce psittacisme tant prisé de nos jours, surtout dans les milieux dits «Culturels ». Les perroquets ont au
moins l’avantage en général, eux, d’avoir un beau plumage.
[20]
Ce qualificatif est le sésame pour ouvrir la pâmoison du public déclaré
aussitôt averti.
[21]
Rabelais prend soin de préciser la date, ce qui est rare dans son œuvre.
[22]
Finesse de l’observation : récemment,
j’ai vu des élèves lire péniblement un texte sans en comprendre le
moindre mot !
[23]
Ecriture fort différente de la nôtre et que bien des Allemands ne sont plus
capables de lire de nos jours.
[24]
Actuellement, il est rare que les élèves lisent complètement un livre et
certainement plus du tout, un auteur
dans toutes ses œuvres (même pas dans les Universités).
[25]
J’ouvre une parenthèse : est-ce que nos élèves, ayant fait le Bac dans les
années 2000, ont acquis une sagesse ? Je vous laisse le soin de réfléchir
selon vos observations et chacun aura sa réponse.
[26]
In Rabelais, Gargantua, p. 83.
[27]
Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière : Dictionnaire
de la bêtise et des erreurs de jugement. Le livre des bizarres.
Bouquins-Laffont. 1981 et 1991. 792 p. Pour
actualiser la bêterie…
[28]
In Rabelais, Gargantua, p. 83
[29]
D’avoir eu un bon maître.
[30]
En effet, il faut une bonne résistance psychique pour enseigner jour après
jour, en recommençant plusieurs fois les répétitions, les leçons, ce suivi
continu d’élèves tantôt apathiques, tantôt débordants d’énergie !
[31] Critique
des professeurs italiens très à la mode en France au XVIe s.;
allusion lourde au « braquemart »
qui désigne le membre viril et dans le « mardo » vous avez une allusion scatologique évidente. Voilà du
Rabelais bien cru !
[32]
Ils accumulent des titres et des mots choisis pour voiler un désert d’idées…
[33]
Jeu de mots Sorbonne et onagre, l’onagre étant un âne sauvage.
[34]
Franciscains et Dominicains avaient déjà réagi au cœur même du Moyen Age et
proposé leurs réformes !
[35]
Umberto Eco : Les limites de
l’interprétation. Le livre de poche. N° 4192. Paris. 1992 et 4e éd. 2014. 416 p.
A la lecture d’Eco, il y aurait d’utiles relectures de Rabelais à
établir !
[36]
Nos sociétés cultivent une mémoire avec des informations sélectionnées :
trouver encore une personne osant une pensée non conformiste est un évènement
rare et généralement passé sous silence quand il n’est pas tout simplement
méprisé, en plus avec hauteur (démonstration de la petitesse de la pensée correcte, le nouvel évangile) !
[37]
Bernard Maris : Les sept péchés
capitaux des universitaires. Albin Michel. 1991. 204 p. Une critique de l’université de nos jours que
Rabelais n’aurait pas reniée.
[38]
Rabelais, Gargantua, p. 115.
[39]
Rabelais médecin déclare ainsi que le médecin est un don de Dieu.
[40]
Rabelais, Gargantua, p. 115.
[41]
Ce qui n’a pas empêché Calvin d’écrire dans son Traité des scandales : « Rabelais, Degouea, Despériers.. Les chiens dont je parle, pour
avoir plus de liberté à dégorger leurs blasphèmes sans répréhension, font les
plaisantins : ainsi voltigeant par les banquets et compagnies joyeuses, et
là, causant à plaisir, ils renversent, en tant qu’en eux est, toute crainte de
Dieu, vrai est, qu’ils s’insinuent et par petits brocards et farceries, sans
faire semblant de tâcher sinon à donner du passe-temps à ceux qui les
écoutent : néanmoins leur fin est d’abolir toute révérence en Dieu.»
in : Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière. P. 361.
[42]
Rabelais, Gargantua, p.116. Pour les
interprètes de Rabelais déclarant que Rabelais est un athée, voilà une
déclaration qui les contredit totalement.
[43]
Les commentaires utiles et non ceux qui suffisent à faire paraître un vernis de
savoir.
[44]
Rabelais, Gargantua, p. 116.
[45]
Le principe de la gymnastique
intellectuelle est défini là. Le cerveau s’exerce comme les muscles !
[46]
Rabelais, Gargantua, p. 117.
[47]
Cultiver ainsi la mémoire encore !
[48]
Exactement ce qu’Aristote propose.
[49]
Rabelais, Gargantua, p.118.
[50]
Les amateurs de body building ont là
une référence de poids.
[51]
Rabelais, Gargantua, p.122.
[52]
Idem, p.123.
[53]
Idem.
[54]
Rabelais, Gargantua, p.124.
[55]
Rabelais, Gargantua. p. 126.
[56]
Dans la mesure où une éducation et une instruction ont développé cette qualité
première, cela est réaliste.
[57]
Pour des motifs relevant de la politique et non de la religion, si l’on se
donne la peine de ne pas être aveuglé par des idéologies. Et, bien plus tard,
nous retrouverons les mêmes aléas avec la Déclaration
des Droits de l’homme, d’inspiration chrétienne mais laïcisée.
[58]
Dhuoda : Manuel pour mon fils.
Cerf. Paris. 1997. 400 p. Livre sur lequel j’ai réalisé plusieurs études
inédites.
[59]
Et non seulement des paroles !
[60]
Il n’y a pas dichotomie entre les deux : cela mérite d’être souligné.
[61]
185-253(254).
[62]
Chapitre 6 est une synthèse.
[63]
Magnifique vérité qui devrait être mieux reconnue au XXIe s. où le seul
critère est la valeur marchande de la personne (primes ou salaires devenant les
signes de distinction) et le bénévolat regardé comme insignifiant, sauf si vous
créez une fondation de quelques millions (dont vous ne savez que faire), sans
oublier la déduction fiscale que vous pourrez en retirer…
[64]
Quelques épigrammes de Martial, des écrits de Plaute peuvent expliquer ce choix
augustinien.
[65]
Après avoir été d’abord un Franciscain, Rabelais est devenu un Bénédictin.
[66]
840-912.
[67]
742-814.
[68]
Sur lequel j’ai effectué plusieurs études.
[69]
Lire : Martin Aurell : Le chevalier lettré. Savoir et conduite de
l’aristocratie aux XIIe et XIIIe siècles. Fayard.
Paris. 2011. 540 p.
[70]
Le droit à la guerre : la notion de guerre
juste, sujet passionnant si fréquemment débattu durant tout le moyen Age.
[71]
Le droit dans la guerre : un humanisme chrétien dans une pratique où il
faut donner ou recevoir la mort, dans le respect de l’autre, même si c’est son
ennemi.
[72] A
St. Cyr, les cyrards affichent
volontiers un certain dédain apparent pour les sciences académiques, tout en
s’y pliant consciencieusement.
[73]
Virgile, César, Xénophon, Thucydide, Végèce, Frontin, Polybe, Polyen… et tant
d’autres auteurs ignorés de nos jours et qui pourtant donnent des messages,
utiles et encore totalement d’actualité au XXIe s. …
[74]
En 1369, par Amsterdam.
[75]
Erasme a eu un Anglais comme béjaune, William Blount, lors Mountjoy.
[76]
Montaigne adoptera aussi cette vue.
[77] Peter
et Dorothée Diemer, Benedikt Conrad Vollman : Carmina burana. Deutscher Klassiker Verlag.Bd 15. 1987. 1420 p. Intégralité des textes avec une excellente traduction
en allemand.
A. Micha, F. Joukovsky et
P. Bühler : Carmina Burana.
Textes choisis. Honoré Champion. Paris. 2002. 280 p.
Edition avec une sélection de textes en français et munie d’une bonne
bibliographie et audiographie.
Olga
Dobiache-Rojdestvensky : Les
poésies de Goliards. Paris. 1939. Pour
s’initier à cette littérature, il est utile de commencer par ce livre qui est
pourvu de textes latins avec traductions en français et d’une excellente
bibliographie.
Pour ma part, j’ai effectué
plusieurs études de ces textes, notamment « La vie des étudiants à travers la poésie goliardique ».
[78]
Suite de déductions rigoureuses liées aux prémices. Cela peut produire des absurdités :
Tous les chats sont mortels, Socrate est
mortel, donc Socrate est un chat. - Ionesco répondit : Et c’est vrai, il a quatre pattes, mon chat
s’appelle Socrate !
[79]
Cela ressemble à nos discours politiques de nos jours !
[80]
Certains esprits au XXIe s. ont un esprit scolastique :
l’autorité d’Aristote a été seulement supplantée par celles de Marx, de Trotski
et des « démocrates militants »
comme Mao, Staline, Lénine, revus et corrigés par des Intellectuels (ils le prétendent), afin de retrouver leurs « véritables esprits » qui ne sont en
rien, bien entendu, responsables des atrocités commises en leurs noms et que
nous pourrions donc reconsidérer sans inquiétude, pour « sauver l’humanité »….
[81]
Pouvant être appliquée, de dix à trente coups, sur les doigts (cela a perduré
avec la règle au XXe s.), les paumes, les épaules ou le dos.
[82]
Petit fouet à plusieurs lanières.
[83]
Pour approfondir le sujet, un bon ouvrage : Philippe Delhaye, Enseignement et morale au XIIe
siècle. Cerf. Paris. 1988. 138 p. Recueil
de trois études fondamentales pour enfin disposer un regard objectif sur ce
temps.
[84]
Traduction généralement admise en français quoique non fidèle au titre latin
« De eruditione filiorum nobilium.»,
écrit de 1247 à 1250 et dédié à la reine Marguerite. Auteur d’une œuvre encyclopédique.
[85]
Un ouvrage incontournable pour s’initier : Jacques Verger, Les universités au moyen âge. PUF. 1973.
216 p
[86]
Qui a commis l’erreur de confondre science
et spiritualité, par crainte que la science nuise à la foi. Les défenseurs inconditionnels de la seule Science ont commis la même erreur à
l’égard des religions, considérées par eux comme nuisibles, au mieux inutiles…
[87]
Une question : est-ce que de nos jours, dans les Universités, ces
principes sont appliqués ?
[88]
Pie II, Enea Silvio Bartolomeo Piccolomini (texte abrégé et commenté par Ivan
Cloulas et Vita Castiglione Minischetti) : Les Commentarii de Pie II ou Mémoires d’un Pape de la
Renaissance. Tallandier. Paris. 2001. 536 p. Cette traduction sélective du texte latin en français permet une
approche objective d’un Pape : au
lecteur de se faire une opinion et non de répéter des «clichés» qui
s’effondrent chez celui cultivant un minimum de connaissances.
[89]
Rabelais ne dit pas autre chose.
[90]
509-27 av. J.-C.
[91]
146 av. J.-C. : prise de Corinthe par Mummius et prise d’Athènes par Sylla
(86-78, dictateur en 82).
[92]
Nous vivons dans une complexité législative telle que la fameuse phrase «Nul n’est censé ignorer la Loi. »
n’a plus de sens pour un non juriste : entre les applications entrées en
vigueur ou jamais, les interprétations des lois, les lois devenus caduques ou
des lois non appliquées depuis leur création, il y a un monde où les avocats
règnent en maîtres et même des jurisprudences ne sont pas respectées… toutefois
il faut croire en la Justice ou à la Chance, je vous laisse ce choix.
[93]
Plus tard, ce sera la Civilisation, la sienne bien entendu, pas celle de
l’autre : par exemples, l’Angleterre, les Etats-Unis mais toujours aux
noms de grands principes racoleurs…
[94]
Nous avons de nos jours le football, le tennis, le cyclisme, le rugby, le
catch, la boxe qui son prioritaires sur les actualités internationales,
lorsqu’on se met à l’écoute des chaînes de télévision ou de radio.
[95]
De 7 à 12 ans, du magister ludi (maître
d’école) : lire, écrire, compter selon le système duodécimal, réciter par
cœur la loi des XII Tables ; de 12 à 16 ans, du grammaticus (grammairien) : études critiques des poètes latins
et grecs, réciter par cœur les explications de textes et mettre la poésie en
prose, rédiger des narrations et des dissertations ; de 16 à 17 ans, du
rhéteur : prononcer et écrire des discours (les suasoriae, consultations ou les controversiae,
discussions sur un point de droit).
Certains, mais c’est l’exception comme Cicéron, César et Horace, se
rendent encore ensuite en Grèce pour écouter des maîtres célèbres.
[96]
Lefèvre. Paris. 1823. 5 vol.
[97]
T. 1 (Idem), Livre 1, chap. XXV, pp. 280-347. La tomaison sera indiquée
uniquement pour les citations prises hors de ce chapitre.
[98]
Idem p. 280.
[99]
Idem p. 281.
[100]
Idem, p. 284.
[101]
Idem, p. 286.
[102]
Idem p.287.
[103]
Idem, p. 288.
[104]
Idem, p. 317.
[105]
Idem, p.288.
[106]
Idem, p. 289.
[107]
Idem p. 338.
[108]
Idem 338-339
[109]
Idem p. 340.
[110]
Idem, p. 341.
[111]
Idem, p. 342.
[112]
Idem, p. 342-3. Tout étudiant a vécu certains cours où il s’interroge comment
des professeurs peuvent détruire une passion qui ne demandait qu’à éclore à
leur contact !
[113]
Idem, p. 343.
[114]
Idem, p. 343. Terrible constat et plus d’un étudiant délaisse définitivement ce
qui fut le cœur de sa recherche universitaire, une fois son titre obtenu :
cela me sidère toujours !
[115]
Idem, p. 320.
[116]
Idem, p.319.
[117]
Idem, p.318 : à notre époque où les études ne cessent pas de s’allonger,
il serait bon de se remémorer cette pensée de Montaigne.
[118]
Idem, p.290.
[119]
Idem p. 292.
[120]
Cicéron : De Natura deorum. L.
1, v. 5.
[121]
Me viennent à l’esprit des noms de professeurs d’université, heureusement
compensés par tous ceux qui ne tombent sous ce vice !
[122]
Des démonstrations éloquentes à découvrir dans : Jean-Jacques Barrière et
Christian Roche : Le bêtiser des
philosophes. Seuil. Paris. 1997. 192 p.
[123]
Idem, p. 293.
[124]
Idem p. 319.
[125]
Idem p. 291.
[126]
Idem, p. 294-5.
[127]
Idem, p. 323.
[128]
Idem, p. 323.
[129]
Idem, p. 327.
[130]
Idem, p. 294.
[131]
Idem, p. 308. Il est curieux que le bien
mourir précède le bien vivre.
[132]
Idem p. 310.
[133]
Idem, p. 312.
[134]
Idem, p. 311-2.
[135]
Belle comparaison avec le potier et son tour.
[136]
Idem, p.317. Au sexe, notre temps ajoute la drogue, la musique psychédélique.
[137]
Idem, p. 313.
[138]
Idem, p.318.
[139]
Idem, p.320.
[140]
Idem, p. 314-5.
[141]
Tome 3 de l’édition Lefèvre.
[142]
T. 3, p. 466-7.
[143]
Tome 4 de l’édition Lefèvre.
[144]
T. 4, p. 192.
[145]
Citation de Lucain, Le Pharsale,
livre 4, v.237. Passionnant récit d’une guerre civile.
[146]
Idem, p. 293.
[147]
Idem, p. 299-300.
[148]
Idem, p. 300.
[149]
Idem.
[150]
Idem, p. 301.
[151]
« Si ce qu’il sait lui sert, non à
montrer qu’il sait, mais à régler ses mœurs ; s’il s’obéit à lui-même et
agit conformément à ses principes. » Cicéron.
[152]
Idem, p. 328.
[153]
Idem, p. 335.
[154]
Idem, p. 337.
[155]
Idem, p. 296.
[156]
Les vagants le pratiquaient.
[157]
Idem, p. 302.
[158]
Idem.
[159]
Idem, p. 304.
[160]
Idem, p. 330.
[161]
Montaigne souffrait de la maladie de la pierre et il a dû subir les propos de
doctes médecins, cependant ignares dans leur art !
[162]
Une formation permanente comme nous disons de nos jours.
[163]
T. 2 de l’édition Lefèvre.
[164]
Toutefois, il cherche en lui, non par égocentrisme mais pour mieux comprendre
les autres, en s’analysant. Sachant se connaître, il perçoit mieux ce qui le distingue
en bien comme en mal des autres : connaissant ses limites, il peut mieux
percevoir les limites de l’humaine condition. Le fruit de l’expérience.
[165]
T.2, p. 349-350.
[166]
Pensez à tous ces « Messieurs ou
Mesdames Je-sais-tout » (oui, il y a bel et bien parité en la demeure)
dans plus d’une association.
[167]
T. 2, p. 349.
[168]
Car sa connaissance du grec était médiocre, selon lui : ce qui ne
l’empêche pas de citer des auteurs grecs. Il y avait sans doute, comme de nos
jours, des livres de sentences et de citations que les lettrés exploitaient
selon les besoins de leurs propos.
[169]
T. 2, p. 350-1.
[170]
T. 2, p. 352-3.
[171]
T. 2, p. 357.
[172]
T. 2, p. 358.
[173]
Rabelais aime aussi ce mot.
[174]
Idem, p. 359. Cette citation me donne de nombreux souvenirs…
[175]
Idem, p. 360.
[176]
Idem, p. 302.
[177]
T. 2, pp. 362-373, éd. Lefèvre.
[178]
T. 2, p. 364.
[179]
T. 2, p.364.
[180]
T. 2, p. 365
[181]
T. 2, p. 366.
[182]
T. 2, p. 366.
[183]
Il y a bien un enivrement au commencement qui aboutit à un mortel ennui.
[184]
Idem, p. 322.
[185]
Les farces ont fleuri avec profusion au XVe s. déjà avec une
apothéose au XVIe s.
[186]
Deux ouvrages m’ont permis d’en prendre conscience : B. Andenmatten (et
autres) : Ecoles et vie
intellectuelle à Lausanne au Moyen Age. Université Lausanne. 1987. 216 p.
et Louis Meylan : Les Humanités et
la personne. Esquisse d’une philosophie de l’enseignement humaniste.
Delachaux et Niestlé. Neuchâtel. 1939. 272 p. Ce livre de Meylan est remarquable par son approche fine et précise du
sujet.
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