mercredi 27 juillet 2016

Chartreuse de Valbonne (France, Gard) : lecture symbolique.

Chapelle de la chartreuse de Valbonne (Gard, France)


Antoine Schülé de Villalba

Introduction à la symbolique


La symbolique par nature est sujette à plusieurs lectures : des symboles accompagnent déjà les plus anciennes origines de l'humanité et se retrouvent dans de nombreuses civilisations, religions ou philosophies.
Toutefois, il serait un véritable non-sens de donner à ces symboles une lecture autre que celle voulue par ses commanditaires : les Chartreux. Ils portaient une attention toute particulière à chaque détail d'une oeuvre sacrée, ainsi qu'en témoignent plusieurs contrats qui liaient les Chartreux et l'artiste ou l'artisan.
Aussi, voici une lecture cartusienne des symboles qui ornent l'ébénisterie des boiseries de la chapelle en correspondance avec les motifs principaux de la voûte de l'abside dont l'étoile. Les symboles offrent une double lecture par références aussi bien à l'Ancien Testament (Genèse, Cantique des Cantiques, Psaumes, Livre de la sagesse) qu'au Nouveau Testament (Evangile de Jean tout particulièrement et Apocalypse) : toutefois, l'Ancien Testament ne se lit qu'à la lumière du Nouveau Testament et, non pas, l'inverse comme cela arrive trop souvent … Le Nouveau Testament a une plénitude que l'Ancien Testament ne fait que balbutier… Il y a ainsi, et seulement ainsi, une continuité entre les deux testaments ou alliances de Dieu avec celles et ceux qui Le choisissent. Pour expliciter certains symboles, des hymnes fort anciens (du IXe siècle parfois) accompagnent ce texte : ils sont encore chantés lors de moments solennels de la vie religieuse et la chapelle à la si bonne acoustique, a vibré sur leurs paroles en latin. Ces symboles peuvent vous parler à vous aujourd'hui et, si cela reste dans le respect de l'esprit du lieu – mais à cette seule condition- , votre lecture en vaut une autre !

L'Art sacré des symboles est un mode d'expression qui a pour fonction de rendre véritablement présent les réalités célestes, spirituelles. Dans le monde du silence adopté par les Chartreux (rompu seulement pour louer et bénir Dieu), le travail d'ébénisterie de la chapelle veut communiquer à l'âme du contemplatif de manière sensible ce qui se perçoit à travers une recherche mystique, éclairée par les Ecritures (Ancien Testament) et la Parole (Nouveau Testament) de même que par les hymnes qui synthétisent une longue et ancienne tradition inspirée. Les symboles rendent présents les mystères du Salut pour leur donner un caractère sacramentel en vue de la sanctification, de la transfiguration de l'homme appelé à partager la gloire de Dieu comme cela est annoncé dans l'Apocalypse.

Il est possible de développer plus longuement chacun des éléments traités dans cette notice. En notre époque où la symbolique chrétienne est méconnue ainsi que cela se constate si souvent, il a paru utile à l'auteur de ce texte de faire partager le message cartusien de la façon la plus simple qui soit. Son but sera atteint si votre regard se laisse illuminer par la Lumière si souvent figurée dans cette chapelle.

                                                                               La Tourette, le 25 août 2006

1. Soleil rayonnant, triangle, tétragramme et eau


Le soleil rayonnant traduit la lumière apportée au monde par le Christ : c'est le resplendissement du Verbe de Dieu qui s'est fait chair. Le monde a été créé par le souffle de Dieu (lire la Genèse, l'Esprit existait avant la création du monde) et l'évangile de Jean débute par :

"1:1 Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu.Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point comprise."

De nombreux hymnes chrétiens présentent le Christ comme le "Soleil des Nations" : Il est la Lumière qui illumine tout homme: C'est le symbole de Noël, la naissance de Jésus, le "sol invictus", le soleil invaincu qui pourfend les Ténèbres…

La lumière qui éclaire l'intelligence de l'homme est la Foi. Apprendre la véritable réalité qui est Dieu en tout, pour tout et partout : c'est le but de la contemplation. La contemplation, c'est se placer dans la lumière de Dieu de sorte que toutes choses parlent de Dieu. Pour arriver en cet état de contemplation, cela commence par se détacher de son "moi", à prendre une distance et un autre regard sur les réalités terrestres pour percevoir d'une façon particulière cette force invisible qui est Dieu…

La lumière est le thème principal du récit de la Transfiguration (Matthieu ch.17, v.1-9). Et elle est tout particulièrement rappelée dans cette boiserie.

Le triangle exprime la Foi en la Trinité: Père, Fils et Saint-Esprit. La pointe du triangle vers le haut désigne Dieu le Père dont tout est issu. Ce triangle symbolise tout à la fois le feu (celui de l'Esprit Saint) et le cœur du Christ (nourri du feu de l'Esprit). Ce triangle exprime la nature tout à la fois divine et humaine du Christ.
En lettres hébraïques figure le tétragramme Jéhovah : il faut lire le mot, imprononçable par les Juifs pratiquants (si ce n'est par le Grand Prêtre, une seule fois dans l'année) de droite à gauche.
Le premier petit signe à droite est le "iod" (symbole du chiffre dix), le deuxième est le "hé" (chiffre cinq), le troisième est le"vau"(chiffre six), avec un jambage de lettre plus long que celui du "iod", et nous retrouvons en quatrième place le "hé" : il est donc écrit EVEI qui se lit IEVE, mot que nous prononçons Jéhovah.
Ce mot désigne Dieu ou plutôt la nature même de Dieu. Il faut savoir qu'il ne s'agit pas d'un nom en hébreux mais d'un verbe le EVE = être, l'étant et le "iod" exprime un espace temps  : le présent éternel.
Ce verbe se traduit exactement par : l'Etre qui est, qui fut et qui sera.

Au Moyen Age, ce motif triangulaire était appelé le triangle mystique :
Le "iod" = le Père,
le  "iod et le "hé" "= le Fils,
le "iod", le "hé" et le "vau" = l'Esprit Saint
le "iod", le "hé", le"vau" et le "hé" = l'Univers Vivant, expression même de Dieu universel, intemporel, n'ayant ni fin, ni commencement. Le Père est source même de la trinité contenant dans le triangle tout ce qui est, fut et sera.

Une particularité originale de ce triangle est l'eau figurée par des vagues. L'eau a toujours été tout d'abord un symbole de vie. Très souvent, un point d'eau a été et reste un lieu sacré pour les premiers hommes comme pour les Chrétiens. Il est aussi le symbole de l'origine de la création : chaque homme naît dans l'eau matricielle comme le Christ qui s'est fait homme.
Et le Christ est né de la Vierge Marie, engendré par l'Esprit Saint. L'eau est un symbole de vie spirituelle pour les premiers chrétiens et cela jusqu'à nos jours : pensons à l'eau du baptême, eau de mort et de vie ! De mort quand elle efface le passé et de vie lorsqu'elle rétablit l'homme dans un état nouveau. Les eaux ont précédé la création de l'homme et elles demeurent présentes pour sa recréation, lors du baptême. Le baptême a un double sens. L'immersion rappelle la mise au tombeau du Christ et, après être descendu dans les entrailles de la terre pour sauver les morts d'avant sa vie incarnée, Il est ressuscité : l'eau du baptême exprime la régénération de la terre par le Christ. C'est pourquoi l'eau baptismale est une renaissance.

Jean, chap.4 et v.14: "[…] celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif: l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d'où jaillira la vie éternelle."
Le cœur du Christ est animé du feu de l'Esprit-Saint comme le cœur du sage est alimenté par l'eau du baptême : il devient ainsi une fontaine d'eau vive lui aussi. Ainsi, le sage devient semblable à une source ou à un puits auquel chacun peut étancher sa soif. C'est une source où les fleurs de la sagesse (abondance de fleurs sur différentes ébénisteries de la chapelle) expriment le sourire de Dieu. A l'homme nouveau correspond l'apparition d'un autre monde : le nouveau jardin que préfigurait le jardin d'Eden (voir les stalles).
Guigues II le Chartreux parle de la rencontre en  Christ des eaux supérieures (eau douce, pure, créatrice et purificatrice : il est ainsi fait référence à la mer de Galilée, la mer vivante) et des eaux inférieures (eau de mer, amère, celles du déluge ou encore de la Mer Morte). Les eaux de la mort ne concernent que les pécheurs, les justes connaissent quant à eux les eaux de la vie. Richard de saint Victor (De statu interioris hominis, 1,10, P.L., 196,124) affirme que tout homme doit passer par les eaux amères lorsqu'il prend conscience de sa propre misère et cette sainte amertume se change en joie en découvrant et en vivant la Parole de Dieu incarnée en son Fils : joie de la lumière de la Transfiguration, de Pâques, joie de la Résurrection, joie de l'Ascension, joie de l'Apocalypse (en effet l'Apocalypse n'est une fin tragique que pour ceux qui ne font pas partie des justes alors que ces derniers connaissent la vie éternelle en se fondant dans la gloire de Dieu).

Jean, ch. 7, v. 37-39 : " Le dernier jour de la fête était le plus solennel. Ce jour-là, Jésus, debout, s'écria: <<Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive jailliront de son cœur, comme dit l'Écriture.>> Jésus parlait de l'Esprit de Dieu que ceux qui croyaient en Lui allaient recevoir. A ce moment-là, l'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été élevé à la gloire."

Un hymne de la Pentecôte le Veni creator spiritus, écrit par Raban Maur au début du IXe siècle, exprime en huit strophes symbolisant par des mots les sept dons de l'Esprit (sagesse, discernement, conseil, savoir, force d'âme, piété, peur du Seigneur[1]) que nous retrouverons encore une fois ensuite :

Viens, Esprit créateur,
Visite les cœurs des tiens,
Emplis de la grâce céleste
Les âmes que tu créas!

Tu es appelé consolateur,
Don du Très Haut,
Source vive, feu, amour
Et onction vivifiante :

Toi qui verses les sept dons,
Tu es le doigt de la main de Dieu,
Celui que le Père a promis,
Qui met sa parole sur nos lèvres.

Eclaire nos âmes,
Répands l'amour dans nos cœurs,
Fortifie nos corps
Afin qu'ils endurent avec courage.

Eloigne de nous l'ennemi,
Accorde-nous la paix perpétuelle,
Marche devant nous
Afin que nous évitions tout mal !

Par Toi, puissions-nous connaître
Le Père ainsi que le Fils et Toi,
Esprit qui procède des Deux,
En qui nous croyons à tout jamais !

Donne-nous la récompense du bonheur,
Donne-nous le présent de ta grâce,
Romps les entraves de la discorde
Et renforce les pactes de paix !

Montre-nous, ô Père très aimant,
Le Seul qui soit égal au Père
Régnant avec l'Esprit consolateur
Dans les siècles de siècles.

L'eau est aussi un symbole d'éternité dans la mesure où, par le baptême, elle purifie, guérit, rajeunit et introduit dans l'éternel. 

Ce panneau est une véritable profession de foi que poursuivent, complètent et confirment les autres panneaux.




2. L'agneau et le livre aux sept sceaux


L'agneau est de couleur blanche, il symbolise la douceur, la simplicité, l'innocence, la pureté et l'obéissance. C'est l'image du Christ vis-à-vis de son Père. Il obéit jusqu'à la mort et une mort ignominieuse, la mort sur la Croix. C'est le rôle salvateur de l'agneau sacrifié qu'offraient déjà les tribus nomades subsistant de leurs troupeaux. La mort du Christ accomplit parfaitement l'Agneau pascal.

Tout chrétien est appelé à être un agneau du troupeau de Dieu sous la conduite de ses bergers. Images fréquentes comme dans l'Evangile de Luc, ch.10, v.3 et suivants : " En route! Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.  " et encore au ch.15, v.3 et s. " Jésus leur dit alors cette parabole: <<Si quelqu'un parmi vous possède cent moutons et qu'il perde l'un d'entre eux, ne va-t-il pas laisser les quatre-vingt-dix-neuf autres dans leur pâturage pour partir à la recherche de celui qui est perdu jusqu'à ce qu'il le retrouve? Et quand il l'a retrouvé, il est tout joyeux: il met le mouton sur ses épaules, il rentre chez lui, puis appelle ses amis et ses voisins et leur dit: <Réjouissez-vous avec moi, car j'ai retrouvé mon mouton, celui qui était perdu!>."

De même dans l'Evangile de Jean ch. 21, v.15-17 :
" Après le repas, Jésus demanda à Simon Pierre: <<Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci?>> -- <<Oui, Seigneur, répondit-il, tu sais que je t'aime.>> Jésus lui dit: <<Prends soin de mes agneaux.>> Puis Il lui demanda une deuxième fois: <<Simon, fils de Jean, m'aimes-tu?>> -- <<Oui, Seigneur, répondit-il, tu sais que je t'aime.>> Jésus lui dit: <<Prends soin de mes brebis.>> Puis Il lui demanda une troisième fois: <<Simon, fils de Jean, m'aimes-tu?>> Pierre fut attristé de ce que Jésus lui avait demandé pour la troisième fois: <<M'aimes-tu?>> et il Lui répondit: <<Seigneur, tu sais tout; tu sais que je t'aime!>> Jésus lui dit: <<Prends soin de mes brebis. >>."

Le Christ est l'Agneau selon l'Evangéliste Jean ch.1, v.29 et s. : "1:29 Le lendemain, Jean[2] vit Jésus venir à lui, et il dit: <<Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. C'est de lui que j'ai parlé quand j'ai dit: <Un homme vient après moi, mais il est plus important que moi, car il existait déjà avant moi.> Je ne savais pas qui ce devait être, mais je suis venu baptiser avec de l'eau afin de le faire connaître au peuple d'Israël.>> Jean déclara encore: <<J'ai vu l'Esprit de Dieu descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui. Je ne savais pas encore qui il était, mais Dieu, qui m'a envoyé baptiser avec de l'eau, m'a dit: <Tu verras l'Esprit descendre et demeurer sur un homme; c'est lui qui va baptiser avec le Saint-Esprit.> J'ai vu cela, dit Jean, et j'atteste donc que cet homme est le Fils de Dieu.>> Le lendemain, Jean était de nouveau là, avec deux de ses disciples. Quand il vit Jésus passer, il dit: <<Voici l'Agneau de Dieu ! >>."

L'agneau de la chapelle fait référence avant tout à celui de l'Apocalypse, tout particulièrement celui dont il fait mention dans les chapitres 5 à 8. L'agneau est sur la montagne de Sion, cela symbolise non pas Jérusalem, la ville historique – comme cela a été la source malheureusement de tant de déchirements et donc de pertes humaines-, mais la Jérusalem céleste, la seul véritable cité de la paix qui n'est d'ailleurs pas de ce monde mais qui demeure un but, une finalité à atteindre.

Il a fallu attendre le concile de Constantinople de 692 pour que le Christ soit plutôt représenté en croix et non sous la forme de l'agneau. Cependant jusqu'au XIXe siècle, l'Agneau de l'Apocalypse reste encore un symbole très fort.
L'Apocalypse désigne jusqu'à vint-huit fois le Christ par le mot "Agneau". Toutefois, cet Agneau exerce sa colère (ch. 6, v.16 et suivant), fait la guerre et remporte la victoire (ch.17, v.14). L'Agneau est immolé mais Il est victorieux en un Christ ressuscité et glorifié. Agneau vainqueur de la mort (ch.5, v.5-6), des puissances du mal (ch.17,149) : " Ils combattront l'Agneau, mais l'Agneau les vaincra, parce qu'Il est le Seigneur des seigneurs et le Roi des rois; Il les vaincra avec ceux qu'il a appelés et choisis, ses fidèles[3].". Il est tout à la fois le Tout-Puissant, le Divin (ch.5, v.7-9) et Juge (ch.6, v.16 et suivants).  Le Livre est dans la main de Dieu. Il est fermé: Seul, le Christ peut l'ouvrir et donner un libre accès à son contenu. Le livre pourra être lu comme il doit être lu, ce qui est le plus ardent désir de l'homme spirituel.
Le Christ dévoile l'Ecriture sainte constituée par l'Ancien Testament et révèle tout un sens déjà donné par les Evangiles, par sa Parole. Le livre fermé est donc l'Ancien Testament. Le Pentateuque ou la Tora ne s'éclaire qu'à la seule lumière du Christ.

C'est l'Agneau qui ouvre les sept sceaux pour révéler ce qui suit :

  1. Cheval blanc monté par un archer, victorieux du mal. Il porte un arc ses flèches sont les jugements et châtiments de Dieu. Jugement de Dieu à la fin d'un temps.
  2. Cheval couleur de feu, rouge, monté par un homme muni d'une épée. Temps de la guerre.
  3. Cheval noir,  monté par un homme tenant une balance. Celui qui se joue des prix lorsque les denrées se font rares, temps de famine.
  4. Cheval blême, monté par la mort. Temps de la peste.
  5. La prière des martyrs, vêtus de la robe blanche.
  6. Tremblement de terre : tout le cosmos est ébranlé. Cette fin concerne les croyants comme les non-croyants. Personne ne peut se soustraire au jugement de Dieu.
  7. Le temps humain s'arrête pour laisser place au temps de Dieu, l'Eternel. Les forces invisibles - les anges -  soufflent sur la terre. Les Elus, ceux marqués par le sceau de Dieu, - par le don de la robe blanche du baptême -, forment son peuple (ch.7, v.9 "C'était une foule immense que nul ne pouvait dénombrer, de toutes nations, tribus, peuples et langues[4]."). Ayant accompli les commandements de Dieu, ils sont ou seront sauvés tout d'abord par la grâce de Dieu et ensuite par leurs œuvres (qui en découlent comme l'eau d'une source jaillissante) : la vie éternelle leur est assurée car ils ont gardé la foi vivante et la fidélité confiante en Dieu pendant le temps de l'épreuve qu'est la vie terrestre.  Le jugement de Dieu reste pour les hommes un mystère jusqu'à la fin : en ce sens, l'homme ne doit pas juger car cela appartient à Dieu seul mais il doit discerner ce qui est de Dieu ou contre Dieu : c'est la raison même de la proclamation de la Parole, du Nouveau Testament. Chaque homme est libre en son âme et conscience mais il doit établir des choix de vie ou de mort. Mathieu ch.25 : le jugement n'est pas la manifestation de l'indulgence bonasse d'un Dieu paternaliste. Il y a des exigences auxquelles il est impossible de se dérober si l'on veut rester dans le troupeau de Dieu. Le combat spirituel pour la Foi est aussi une exigence qui ne passe pas par une acceptation passive de tout et n'importe quoi. Au nom de la lâcheté, de la non prise de décision, que de crimes commis et dont il n'est jamais fait mention, mémoire… La miséricorde de Dieu est acquise à celui qui se repent mais pas à celui qui persiste et signe dans son erreur (pensez au bon et au mauvais larron de par et d'autre de la Croix : le premier est sauvé, le deuxième ne l'est pas). Le Christ pardonne encore à ceux qui ne savent pas ce qu'ils font mais, à ceux qui savent ce qu'ils font, il n'est nullement dit qu'ils seront sauvés …
Encore ne faut-il pas l'oublier !

Il y aurait encore plus à dire mais cela n'est pas le but de cette notice. La forme de poisson de cet agneau laisse aussi songeur…Les pattes de l'agneau sont de la couleur du livre fermé dont il semble ainsi issu…




3. Esprit-Saint

La colombe de l'Ancien Testament a apporté le rameau d'olivier, elle apporte la paix et l'harmonie, se dirige vers l'homme et symbolise le Saint-Esprit. Elle s'empare, avec ses serres, de l'âme du juste pour l'élever vers Dieu. Cette colombe semble vouloir s'emparer de la personne qui la regarde… La colombe porte le Soleil rayonnant : le corps même du Christ. La blancheur de la colombe symbolise la pureté nécessaire pour d'un coup d'ailes se dégager des liens terrestres et  se laisser entraîner de beauté en beauté vers la nature divine de Dieu qui a créé l'univers et fait l'homme à sa ressemblance. L'homme atteint cette ressemblance lorsqu'il se laisse illuminer par la Parole du Christ et abandonne son cœur au souffle de l'Esprit.

Cet hymne du XIIIe siècle exprime le mieux quelle place est donnée par les Chartreux à l'Esprit-Saint :

Veni, sancte Spiritus

Viens, Saint-Esprit,
Et émets du haut du ciel
Le rayon de Ta lumière.
Viens, Père des pauvres,
Viens Dispensateur des dons,
Viens Lumière des cœurs[5].

Suprême Consolateur,
Doux Hôte de l'âme,
Doux Réconfort;
Délassement dans le labeur,
Modération dans la fièvre,
Consolation dans les larmes.

O Lumière bienheureuse,
Emplis le fond des cœurs
De tes fidèles;
Sans la volonté
Rien n'est dans l'homme, rien n'est innocent.

Lave ce qui est souillé,
Arrose ce qui est desséché,
Redresse ce qui est dévié;
Ranime ce qui est languissant,
Plie ce qui est rigide,
Guéris ce qui est blessé.

Donne à tes fidèles
Qui croient à Toi
Le septénaire sacré;
Donne-leur le prix de la vertu,
Donne-leur l'issue de salut,
Donne-leur le bonheur éternel.



5. La coupe, le Soleil corps du Christ et la croix qui s'incline

Ce panneau exprime le moment le plus solennel de la messe, le récit de l'institution eucharistique dont le texte est le suivant :

La nuit même où le Christ  fut livré, Il prit le pain, en rendant grâce à Dieu, Il le bénit, Il le rompit et le donna à ses disciples en disant :
"Prenez et mangez-en tous 
ceci est mon corps livré pour vous."
De même à la fin du repas, Il prit la coupe, en rendant grâce à Dieu, Il la bénit et la donna à ses disciples en disant :
"Prenez et buvez en tous,
car ceci est la coupe de mon sang,
le sang de l'Alliance nouvelle et éternelle,
qui sera versé pour vous et pour la multitude
en rémission des péchés.
Vous ferez cela en mémoire de moi."

L'Eucharistie est le mémorial de la Passion, de la Mort et de la Résurrection du Christ. Ce rite actualise à chaque messe la protection de Dieu et rappelle le sacrifice consenti de son Fils. Il y a ainsi un rappel de l'intervention de Dieu qui envoyé son Fils. L'eucharistie est aussi une demande d'intercession pour renouveler aux hommes le Salut et proclame en même temps une action de grâce. L'événement devient, par les sens, présent à travers ce rite de l'eucharistie.

La coupe a servi à recueillir le sang du Christ – l'Agneau immolé – versé sur la croix pour sauver touts les hommes, du moins ceux qui veulent être sauvés ou qui ont œuvré dans le sens des "Commandements" de l'Ancien Testament, et donnés par Dieu, comme ceux qui vivent les "Béatitudes" du Nouveau Testament, proclamées par le Christ. Avant le christianisme, la coupe représentait le croissant lunaire symbolisant le lait de vie, le lait maternel. Le symbole de nourriture essentielle subsiste encore mais prend une accentuation plus forte. Le sang du Christ recueilli devient le breuvage d'immortalité. Le chrétien voit la coupe sous deux aspects : la coupe eucharistique, la coupe de bénédiction.

Le soleil rayonnant domine la coupe comme le prêtre le figure au moment de l'élévation en plaçant l'hostie au-dessus de la coupe et lorsqu'il dit :

"Par Lui, avec Lui et en Lui,
à Toi Dieu le Père tout-puissant,
dans l'unité du Saint-Esprit,
tout honneur et toute gloire,
pour les siècles des siècles."

L'essentiel est dans cette union coupe et corps du Christ Ressuscité : cette union efface la croix du châtiment vécu (voyez comme la croix s'incline en arrière du motif principal) pour devenir la croix qui libère : le Christ qui s'offre à tout communiant. Cette union lie le croyant quasi charnellement à Dieu par son Fils qui se donne à chacun d'entre nous au moment de la communion. Cela se produit grâce à l'acceptation de ce mystère de la Foi qui se vit et ne s'explique pas : l'intelligence perçoit la grandeur du mystère et seul le cœur le comprend, non par des mots mais par une transformation intérieure et individuelle qui élève vers Dieu. Celui qui vit cet instant prodigieux de tout cœur est tout simplement animé par l'Esprit-Saint et vit un instant d'éternité.

 



6. L'ancre avec une corde passant par une boucle


C'est l'illustration même de l'Epître aux Hébreux, chap. 6, versets 18 à 20 :

" Ainsi, deux actes irrévocables, dans lesquels il ne peut y avoir de mensonge de la part de Dieu, nous apportent un encouragement puissant, à nous qui avons tout laissé pour saisir l'espérance proposée. Elle est pour nous comme une ancre de l'âme, bien fermement fixée, qui pénètre au-delà du voile, là où est entré pour nous, en précurseur, Jésus, devenu grand prêtre pour l'éternité à la manière de Melchisédech."
Les deux actes irrévocables sont Melchisédech (Ancien Testament) - cette portion de corde qui descend - et le Christ (Nouveau Testament) - cette portion de corde, toujours la même d'ailleurs, qui remonte vers Dieu-.

L'ancre figure l'espérance. Dans les catacombes, ce symbole d'origine grecque se retrouve fréquemment pour exprimer un élément essentiel de la foi chrétienne. Si nous ne voulons pas aller à la dérive, nous devons écouter la Parole de Dieu exprimée par son Fils : Elle est notre ancre de salut. Dans les multiples difficultés de la vie qui nous assaillent parfois comme des tourbillons d'eau voulant nous entraîner dans des abîmes, l'espérance en Christ assure fermeté, tranquillité et fidélité. C'est garder calme, sérénité et lucidité alors que tout vacille : pour l'homme spirituel, dans les passions humaines, il convient d'ancrer son âme dans le Christ pour éviter tout naufrage spirituel. La vie de moine est une lutte intérieure dont il est difficile de mesurer toute l'intensité, toutes les difficultés. Cette lutte intérieure se vit au quotidien dans le secret du cœur. A travers les doutes, les chutes, les nuits obscures, l'espérance prédomine : le désespoir serait une victoire du Mal et deviendrait une cause de chute (comme le suicide par exemple car c'est le signe que l'on ne croit plus en la vie mais seulement à la mort, au néant). Et nos sociétés connaissent une forme de mort toute particulière, les morts vivants. En effet, plus aucune flamme ne les anime mais cela vit sans vivre, d'une façon végétative, tout est sec, triste, triste à l'infini… L'ancre symbolise la grâce de Dieu qui peut tout : la source de la grâce se trouve dans la Croix portée et acceptée par le Christ qui est ainsi l'Agneau. 

La corde descend du ciel et c'est la grâce de Dieu qui descend sur nous et nous permet ainsi de s'ancrer dans le Christ. La même corde monte vers le ciel : cela symbolise l'ascension à laquelle nous sommes tous appelés. Cela exprime non une solidarité humaine mais la solidarité de Dieu avec les hommes et avec chaque homme, sans aucune exception mais dans le respect de la liberté individuelle. Dieu est pour tous et pour chacun : encore faut-il accepter de le recevoir! Il ne force pas nos portes. La corde n'est pas une chaîne… Dans le but de grimper un sommet, l'alpiniste met sa confiance en sa corde qui entoure ses reins et il accomplit ainsi des prouesses : il y a pour chacun d'entre nous des sommets spirituels à conquérir, c'est aussi enivrant que de "se faire l'Everest ou un sommet de l'Himalaya".

Cette corde flotte dans l'espace tenue par le souffle de l'Esprit. Cette corde passe par une boucle : un rond parfait qui protège et fait lien avec le rond du Soleil christique. La boucle symbolise toutes les grâces fécondantes provenant de Dieu, l'Alliance de Dieu avec les nations. Et elle est donc ainsi en correspondance avec l'eau jaillissant de la source, celle de lumière comme d'eau vivante. Cette corde est finalement symbole de force, de sainteté et d'immortalité.

Les veines du bois forment un feu victorieux jaillissant vers le ciel…




7. Le Cœur et le Feu de sept flammes

Le cœur est le symbole même de l'homme intérieur :  le cœur peut être la source de tout mal (symbolisé par les six[6] flammes foncées) comme de tout bien (les sept flammes claires). Le cœur est source de bien lorsqu'il animé par les sept dons de l'Esprit Saint. Seuls les sages de cœur possèdent l'esprit de sagesse, la flamme principale et dominante, parmi les autres cependant[7].

Le plus beau texte chantant l'amour représenté par le cœur est le Cantique des cantiques. Les chartreux ne le lisaient pas comme un chant de l'amour conjugal unissant deux corps mais comme l'Esprit s'unissant à Marie, comme le Christ s'unissant à son Eglise, comme Dieu faisant alliance avec ses  fidèles en donnant chair à son Fils. Pour les Chartreux, l'union de l'âme avec la Trinité est sans aucun doute possible la signification première : le résultat est un état de grâce spirituel. Le Cantique des cantiques célèbre un jardin que nous retrouvons dans cette chapelle.

Ce chant peut se lire de différentes façons. Il est beau car il n'est pas plus d'un ascétisme absolu que d'un érotisme absolu : il célèbre une union, un couple qui s'aime et qui devient ainsi image de l'amour de Dieu pour le peuple des croyants.  Le Cantique des cantiques connaît des prolongements dans le Nouveau Testament qu'il n'est pas possible de développer dans cette notice car ils ne l'allongeraient que trop. Ce temps de l'amour partagé rappelle le temps d'Adam et d'Eve d'avant la chute, ce temps où le monde était un paradis de paix comme il devra le redevenir lorsque le temps de l'Apocalypse reviendra. Un extrait permet de percevoir cette poésie tout à la fois charnelle et spirituelle même si cela peut surprendre des personnes dont les préjugés sont forts…

Cantique des cantiques, ch.4, v.1 au ch.5, v.1 :
"[…] << 4:1 (Lui) Que tu es belle, ma compagne! Que tu es belle! Tes yeux sont des colombes à travers ton voile. Ta chevelure est comme un troupeau de chèvres dégringolant du mont Galaad. Tes dents sont comme un troupeau de bêtes à tondre qui remontent du lavoir: toutes ont des jumeaux, on ne les arrache à aucune. Comme un ruban écarlate sont tes lèvres, et ta babillarde est jolie. Comme la tranche d'une grenade est ta tempe à travers ton voile. Comme la Tour de David est ton cou, bâti pour des trophées: un millier de boucliers y est pendu, toutes sortes d'armures de braves. Tes deux seins sont comme deux faons, jumeaux d'une gazelle qui paissent parmi les lis. D'ici que le jour respire et que les ombres soient fuyantes, je m'en irai au mont emmyrrhé et à la colline encensée. Tu es toute belle, ma compagne! De défaut, tu n'en as pas! Avec moi, du Liban, ô fiancée, avec moi, du Liban tu viendras; tu dévaleras du sommet de l'Amana, du sommet du Senir et de l'Hermon, des retraites de lions et des montagnes à panthères. Tu me rends fou, ma sœur, ô fiancée, tu me rends fou par une seule de tes oeillades, par un seul cercle de tes colliers. Que tes caresses sont belles, ma sœur, ô fiancée! Que tes caresses sont meilleures que du vin, et la senteur de tes parfums, que tous les baumes! Tes lèvres distillent du nectar, ô fiancée; du miel et du lait sont sous ta langue; et la senteur de tes vêtements est comme la senteur du Liban. Tu es un jardin verrouillé, ma sœur, ô fiancée; une source verrouillée, une fontaine scellée! Tes surgeons sont un paradis de grenades, avec des fruits de choix: le henné avec le nard, du nard et du safran, de la cannelle et du cinnamome, avec toutes sortes d'arbres à encens; de la myrrhe et de l'aloès, avec tous les baumes de première qualité.
4:15 (Elle) Je suis une fontaine de jardins, un puits d'eaux courantes, ruisselant du Liban! Éveille-toi, Aquilon! Viens, Autan! Fais respirer mon jardin, et que ses baumes ruissellent! Que mon chéri vienne à son jardin et en mange les fruits de choix!
5:1 (Lui) Je viens à mon jardin, ma sœur, ô fiancée; je récolte ma myrrhe avec mon baume; je mange mon rayon avec mon miel; je bois mon vin avec mon lait!
(Chœur) "Mangez, compagnons; buvez, enivrez-vous, chéris! >>"

Les sept dons de l'Esprit sont aussi appelés la grâce septiforme, le septénaire sacré : 

  1. Intelligence ou Foi
  2. Conseil ou Douceur
  3. Force ou Docilité
  4. Science
  5. Pitié
  6. Crainte de Dieu
  7. Sagesse

Cela nous renvoie au texte de l'Apocalypse : les sept lampes ardentes ou les Sept Esprits devant le trône de Dieu (voir ch.1, v.12, 20; ch.4, v.5).

Aux sept dons de l'Esprit, furent plus tard ajoutés les sept dons de l'âme: amitié, sagesse, concorde, honneur, puissance, sécurité et joie. Les sept dons du corps, car le corps n'est pas honni par le religieux médiéval, sont : beauté, agilité, force, liberté, santé, volupté[8], longévité.

Les douze fruits du Saint-Esprit, douze fleurs différentes, sont : charité, joie, paix, patience, longanimité, bonté, bénignité, mansuétude, fidélité, modestie, continence, chasteté.

La sainteté ne dépend pas des œuvres mais se révèle par les œuvres  de miséricorde.

Les sept œuvres de miséricorde corporelle sont :

1.     Donner à manger à ceux qui ont faim
2.     Donner à boire à ceux qui ont soif
3.     Vêtir ceux qui sont nus
4.     Loger les pèlerins
5.     Visiter les malades
6.     Visiter les prisonniers
7.     Ensevelir les morts

Les sept oeuvres de miséricorde spirituelle sont :

  1. Conseiller ceux qui doutent
  2. Enseigner ceux qui sont ignorants
  3. Réprimander les pécheurs
  4. Consoler les affligés
  5. Pardonner les offenses
  6. Supporter patiemment les personnes importunes
  7. Prier Dieu pour les vivants et les morts

Le cœur est le symbole même de la charité mais encore celui de la vigilance : "Je dors mais mon cœur veille." . Le cœur est le premier organe qui se forme et le dernier à mourir. "Aimer Dieu de tout son cœur" signifie pour le croyant aimer Dieu jusqu'au dernier soupir !

Un Chartreux Jean Vesly, mort en 1600, a écrit en 1598 dans le Psalterium decachordum cette prière pour obtenir l'amour de Dieu :

Accorde-nous la charité envers Toi
Par laquelle à cause de Toi seul,
Et par tout ce qui en Toi seul,
Nous n'aimions que Toi
De tout notre cœur, de tout notre désir,
De toute notre affection
Et toute notre volonté,
De tout notre esprit,
De toute notre intelligence,
Notre raison et notre intention,
De toute notre âme, de toutes les forces
De notre corps et tous les sens
De notre âme, ne recherchant
Et ne nous appliquant à travers tout
Qu'à Ton bon plaisir.
Ainsi, nous T'aimerons agréablement
Sans contradiction, véritablement
Sans aucune erreur, prudemment sans partage,
Efficacement en démontrant notre amour
Par nos œuvres, avec ferveur
En désirant Te plaire et T'obéir,
Fortement et avec constance en accomplissant ce qui te plaît.



8. Les deux clefs couronnées d'olivier

Le pouvoir des clefs est celui qui a été donné par le Christ à saint Pierre : une clef pour lier (se lier à Dieu) et une clef pour délier (être délié du péché) afin de pouvoir s'ouvrir à Dieu par la méditation, par l'entrée dans une vie spirituelle. Le pêne de la clef est marqué par la croix, cette croix qui rachète et sauve les nations. Les clefs permettent d'ouvrir cette porte étroite qui ouvre ce chemin parfois difficile conduisant à Dieu.

Ce symbole de l'olivier est de tout temps : paix, fécondité, purification, force, victoire et récompense. Le Moyen Age chrétien y voyait le symbole de l'Amour. De tous les arbres, il est l'arbre béni.

Les deux branches d'olivier, se confondant en leurs extrémités supérieures, forment un rond qui reprend le symbole de la boucle de l'ancre ou du soleil christique ou de la rose en son centre.

L'huile d'olive parfumée est l'huile de la guérison, de l'onction du baptême, de l'ordination, du dernier sacrement…


9. Etoile à huit branches

L'étoile à huit branches : c'est le symbole même de la résurrection à laquelle chaque croyant est appelé. Le huit est le chiffre du Nouveau Testament alors que le sept est celui de l'Ancien. Cette étoile annonce la béatitude future alors que l'étoile de Marie annonce le Salut. Il y a là une correspondance spirituelle très forte.

Au-delà du septième jour, vient le huitième qui est annoncé par l'Apocalypse : joie pour les justes selon Dieu, le seul juge et jour de condamnation pour les impies, les auteurs du mal qui n'ont pas recherché la miséricorde de Dieu, ne serait-ce que par un simple cri de repentance comme le bon larron sur la croix à côté de Jésus.

Cette étoile symbolise la résurrection du Christ et sa promesse de résurrection pour l'homme qui accepte de se laisser transfigurer par la grâce de Dieu. C'est l'aboutissement du chemin de la Foi.


10. Les fleurs, les arbres, les feuillages
Les grâces reçues par Marie sont symbolisées par des fleurs : des roses de façon usuelle. La Croix est aussi assimilée à un Arbre fécond ayant produit son fruit avec le crucifié, Jésus.

Le jardin, représenté par la multiplication de fleurs et d'arbres, symbolise le Paradis, c'est-à-dire le séjour dans l'au-delà.

Il s'agit du jardin de la Genèse comme du Cantique des Cantiques (ch.4, v.12-16 et ch.5, vv.1).  



11. La rose

Symbole même de la Vierge. La rose est une coupe ou un calice. Elle symbolise le réceptacle des influences célestes. La rose exprime le miracle de l'Esprit-Saint engendrant Marie. Elle reçoit le Verbe divin ou le Saint-Esprit et rend possible l'épanouissement du Verbe incarné, c'est-à-dire l'Enfant Jésus.

La rose est liée aussi au sang de Jésus : le sang de Jésus se répandant au sol donne une fleur. De nombreux vitraux ou objets présentent le sang des plaies du Crucifié tombant en gouttelettes et se transformant en roses. Cinq roses évoquaient les cinq plaies du Christ sur la Croix.

Cette rose a une forme de roue figurant le monde et dont le centre est Dieu dont tout est issu. Les pétales sont les créatures qui proviennent du centre, de l'Unité divine. Remarquons aussi les rayons des côtés de l'octogone (voir la symbolique du chiffre huit) qui reviennent vers le centre, c'est-à-dire vers Dieu car "Jésus devait mourir… afin de réunir en un seul corps les enfants de Dieu qui sont dispersés: " (Jean ch.11, v.52). Tout vient de Dieu, tout retourne à Dieu.






12. L'Etoile

Un hymne très connu des croyants explicite en totalité ce symbole inscrit dans un cercle rayonnant en un octogone :

Ave, maris Stella

Salut, Etoile de la mer,
O très sainte Mère de Dieu,
Toi qui es Vierge à tout jamais,
O Porte du ciel bienheureuse.

Toi qui accueilles cet Ave
De la bouche de Gabriel,
Affermis nos cœurs dans la paix :
Tu as inversé le nom d'Eve[9].

Des coupables, brise les liens,
Donne aux aveugles la clarté,
Eloigne de nous tous les maux,
Demande pour nous toutes grâces.

Tu es Mère, montre-le nous !
Que Celui qui pour nous est né
En acceptant d'être ton Fils
Accueille par Toi nos prières.

O Vierge unique, Toi qui es
De tous les êtres le plus doux,
Fais que, déliés de nos péchés,
Nous soyons toujours doux et chastes.

Accorde-nous de vivre purs,
Prépare-nous un chemin sûr,
Que, dans la vision de Jésus,
A jamais nous soyons en liesse.

Louange au Père, notre Dieu,
Gloire à Jésus Christ, le Très-haut,
Rendons honneur à l'Esprit Saint,
Un seul hommage aux trois personnes !

Il s'agit d'un hymne de l'Annonciation qui est chanté aux Vêpres. Il est d'un auteur anonyme et a été écrit, au plus tôt, à la fin VIIIe, voire au début du IXe siècle. Il existe au moins cinq hymnes s'adressant à la Vierge en l'appelant Etoile.

L'Etoile à cinq branches symbolise la Vierge Marie. Bien sûr, il s'agit d'un signe de lumière. Luminaire de la nuit qui annonce le soleil christique.  L'étoile était perçue comme un symbole d'espérance. L'étoile a annoncé la venue du Christ aux mages. L'étoile mère peut contenir l'homme qui doit renaître par le baptême : Léonardo da Vinci l'a si bien dessinée dans son sens religieux et naturel en son temps[10]. Elle nous dirige vers le haut.

Sa position en clef de voûte du chœur est toute particulière. L'abside, nous l'oublions que trop, a la forme d'un œuf (celui de Pâques) et l'étoile mariale se trouve au point le plus haut pour nous inviter à renaître dans le Christ, à devenir un homme nouveau, resplendissant de la lumière du Christ. L'autel où se célèbre l'eucharistie se trouve juste en dessous de cette étoile : ce Christ qui se donne en son corps et en son sang à la table de communion se situant à la base de l'œuf formé par l'abside.

Du Bréviaire de la chartreuse Saint-Barthélemy de Trisulti, voici un hymne marial s'adressant à Marie, claire étoile en mer :

Marie, mère du Salut

Ave, Mère de tout salut,
Epouse du Christ entre toutes,
Ecoute, claire étoile en mer;
Ecoute, pleine de la grâce.

Bénie es-Tu dans tous les cieux,
Toi, du Christ la Mère fidèle;
Notre avocate, que Tu veuilles
Etre pleine de toutes grâces.

A tous Tu es toujours amène,
ô douce Vierge, ô très sereine;
Tu es remplie de tous les dons,
Ô Dame de toute beauté.

Des anges Tu fus saluée,
Bonne Mère, à tous agréable,
Demeurée vierge ayant conçu;
Salut, ô Mère de la grâce.






13.
Devise des Chartreux
Stat Crux dum orbis volvitur !
Que la Croix s'élève aussi longtemps que la terre tourne !

Les sept étoiles (plénitude de Dieu dans l'univers), comme les sept dons l'Esprit-Saint (plénitude des grâces données par l'Esprit-Saint), marquent chaque fois la plénitude. Le chiffre sept (sept jours de la semaine, sept miracles, sept tentations) se retrouve souvent dans l'Ancien Testament comme dans le Nouveau Testament. Le sept indique la perfection.

C'est une référence explicite au texte de l'Apocalypse (ch.1, v.12-20) :

"1:12 Je me retournai pour voir qui me parlait. Alors je vis sept lampes d'or. Au milieu d'elles se tenait un être semblable à un homme; il portait une robe qui lui descendait jusqu'aux pieds et une ceinture d'or autour de la taille. Ses cheveux étaient blancs comme de la laine ou comme de la neige et ses yeux flamboyaient comme du feu; ses pieds brillaient comme du bronze poli, purifié au four, et sa voix résonnait comme de grandes chutes d'eau. Il tenait sept étoiles dans sa main droite, et une épée aiguë à deux tranchants sortait de sa bouche. Son visage resplendissait comme le soleil à midi.
1:17 Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort. Il posa sa main droite sur moi et dit : << N'aie pas peur ! Je suis le premier et le dernier. Je suis le vivant. J'étais mort, mais maintenant je suis vivant pour toujours. Je détiens le pouvoir sur la mort et le monde des morts. Écris donc ce que tu vois: aussi bien ce qui se passe maintenant que ce qui doit arriver ensuite. Voici quel est le sens caché des sept étoiles que tu vois dans ma main droite et des sept lampes d'or: les sept étoiles sont les anges des sept Églises, et les sept lampes sont les sept Églises.>>. "

Le six exprime le manque, le manque de divin, et, répété trois fois, il forme le nombre de la Bête. Le cœur du Chartreux purifié par la contemplation efface de sa vie l'imperfection du six dans la solitude du cloître pour vivre dans la plénitude du sept, communion avec le divin par la contemplation. Il se prépare ainsi à connaître le huitième jour, non dans la crainte de l'Apocalypse mais dans l'espérance du plein accomplissement de la Parole de Dieu, effaçant toutes ténèbres.

Chaque étoile possède cinq branches comme celle symbolisant la Vierge que les Chartreux honoraient tout particulièrement. La Vierge sert son Eglise comme elle a servi son Fils.

La branche de la croix sur la marqueterie est constituée de cercles et je ne répéterai pas la symbolique des nombres : sur la barre horizontale, il y a sept perles; sur la verticale, neuf perles; les trois bras de la croix ont chacun trois perles et le bras inférieur celui fiché dans le globe terrestre possède cinq perles.

Le neuf  est le trois au carré : c'est la finalité, l'accomplissement unissant le haut et le bas dans le divin comme l'annonce l'Apocalypse.
                                                                                         Antoine Schülé
août 2006, La Tourette.



Sources :

Ancien Testament, éd. TOB

Nouveau Testament, éd. TOB

Henry Spitzmuller : Poésie latine chrétienne du Moyen Age, IIIe -XVe siècle, éd. De Brouwer. 1971

Nathalie Nabert : 100 prières de chartreux, éd. Salvator, 2006

A consulter :
Jean Chevalier et Alain Gheerbrandt : Dictionnaire des symboles, 6e éd., 1969, 4 vol.

Marie-Madeleine Davy : Initiation à la symbolique romane. Éd. Flammarion, Champs, n°19, 1977
Michel Pastoureau : Une histoire symbolique du Moyen Age occidental, éd. Seuil, 2004.




[1] Peur de perdre la miséricorde de Dieu et non autre chose comme cela a si souvent été mal compris par une lecture de l'Ancien Testament ne tenant pas en compte du message du Nouveau!
[2] Il s'agit de saint Jean le Baptiste.
[3] Ce qui implique une lutte spirituelle et non une lâcheté passive ou une hypocrisie à caresser le mal pour s'abstenir de lutter au nom d'un amour égoïste, pour ne pas avoir de complications…
[4] Nous le soulignons tout particulièrement car, au vu de l'actualité, il n'est vraiment pas "un" peuple élu mais toutes les nations sont appelées à être sauvées
[5] Lire commentaire sur le cœur. Remarquer comme ces symboles se renvoient de l'un à l'autre pour celui qui les lit !
[6] Six était le chiffre donné à Néron.
[7] La sagesse seule ne suffit pas, elle a besoin des autres dons pour éclore de façon dominante !
[8] Il s'agit du plaisir des cinq sens : vue (vision contemplative, beauté de la Création), odorat (encens, fleurs, etc.), ouïe (chant sacré, chant des oiseaux, silence), toucher (travail manuel, production artisanale), goût ( simplicité met en valeur des goûts d'une nourriture soigneusement choisie). Réduire ce mot "volupté" à la seule sexualité est un fait de notre temps mais pas du Moyen Age !
[9] Le texte d'origine est en latin et l'auteur fait une anagramme qui ne se comprend que dans cette langue. EVA est le nom d'Eve, la première femme, celle qui a entraîné la perte du Jardin d'Eden et son anagramme : VAE signifie "malheur". Mais le Sauveur, le Christ, est né de la Vierge et l'AVE, "salut" en latin, efface le malheur apporté par EVA ou Eve. La femme n'a jamais été perçue négativement au Moyen Age, contrairement à de vieux et faux clichés que l'histoire d'après la Révolution et tout particulièrement du XIXe siècle, a voulu imposer.
[10] Les amateurs d'occultisme ont repris ce symbole pour en faire oublier la lecture originelle. D'ailleurs, le sceau de Salomon, utilisé par les francs-maçons par exemple, est une étoile à six branches… 

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