Poésie sacrée I
Antoine
Schülé, le 26 octobre 2017
Aujourd'hui,
je suis particulièrement heureux d'ouvrir ce cycle de trois lectures
commentées sur la poésie sacrée. C'est le type même de sujet où
l'on sait quand on commence mais où l'on ignore quand il finira car
la masse des textes pouvant nous intéresser est considérable. Masse
considérable alors que, malheureusement, le plus souvent méconnue
du grand public.
Ainsi je forme le souhait de pouvoir vous inviter à
trois rencontres sur ce site et qui vous permettront de goûter la richesse et la
diversité des expressions de la foi en l'existence de Dieu ou d'un
dieu : qu'il soit chrétien ou d'une autre religion, elles témoignent
de cette conviction intime de l'homme, en la nécessité d'établir
un lien entre sa condition humaine et une condition divine qui le
dépasse.
Pierre
Corneille, versifiant Thomas a Kempis qui donne la parole au Christ,
ouvre bel et bien ce cycle car nous vivons un monde où nos oreilles
doivent entendre bien des mensonges, habilement dissimulés dans des
discours creux ou émotionnels, dans un tintamarre médiatique encore
inégalé dans le passé :
Contre
la vaine science du siècle
et de
la vraie étude du chrétien
Défends
ton cœur de ton oreille ;
Souvent
une fausse merveille
Entre
par elle et te surprend :
Ne
t’émeus donc point, et n’admire
Quoi que
les hommes puissent dire
De beau,
de subtil ou de grand.
Mon
royaume n’est pas pour ces éclats frivoles
Dont
l’humaine éloquence orne ses fictions ;
Il se
donne aux vertus, et non pas aux paroles,
Et fuit
les beaux discours sans bonnes actions.
La
seule parole sacrée
Est
celle à qui tu dois l’entrée ;
C’est
elle qui te doit charmer ;
C’est
elle qui verse dans l’âme
Les
ardeurs de la sainte flamme
Qui
seule s’y doit allumer.
Elle
éclaire l’esprit par des rayons célestes,
Elle
jette les cœurs dans la componction,
Et
répand sur l’aigreur des maux les plus funestes
En
cent et cent façons ma consolation.
Pierre
Corneille (L’imitation de Jésus-Christ, Livre III, chap.
43)
Introduction
Les
plus anciennes civilisations - qui nous sont connues - ont transmis
des témoignages oraux, écrits, archéologiques, architecturaux,
artistiques ou musicaux, exprimant leurs convictions intimes d’un
sacré, un espace que l’homme perçoit autrement que par ses seuls
sens.
A la
lecture du Livre des morts des Égyptiens, j'ai été étonné
des concordances avec de nombreux Psaumes de l'Ancien
testament ; ayant lu les écrits attribués à Confucius,
j'ai été surpris par les similitudes avec le Livre de la
Sagesse. Il est possible aussi de trouver de nombreuses
ressemblances entre le Livre de la Genèse et des
récits fabuleux de l'Afrique noire ou des textes sacrés des
Amérindiens ou encore ceux de l'Inde orientale comme du Tibet, de la
Chine ou du Japon. De nombreuses autres religions ont gardé les
souvenirs d’un chaos précédant la création du monde, d'un
déluge, de géants, de combats intérieurs ou sur des champs de
bataille...
La
préoccupation de génération en génération, tout au long des
millénaires, a été portée sur la mort et son sens. Il est
important de signaler que toutes les grandes civilisations ont été
animées par une certitude que la vie terrestre se prolonge dans une
Vie qui est au-delà et qui la dépasse. La perte progressive de
cette notion a accompagné leur décadence.
En
Europe, depuis la Renaissance tant louée, une philosophie
matérialiste a incliné les hommes à ne plus se préoccuper de la
Vie après la mort. Ne croyant plus à une vie immatérielle, l’ordre
moral et la spiritualité se sont effacés au profit de joies
passagères et d’amusements temporaires où l’argent, le sport et
le cinéma suffisent au bonheur de la plupart des peuples. Or les
violences existent avec une force jamais connue : suicides en
série, criminalité, drogues, délinquances, etc. L’immoralisme
devient la règle avec des « Pourquoi pas ? »
ou des « Au nom de quoi m’interdirai-je ceci ou cela ? ».
Le Néant et l’Absurde règnent en maîtres dans les esprits d’une
majorité: que ceci est malheureux !
Est-ce
que notre société occidentale a conscience de nos jours de
l’importance sur nos vies du sens donné à la mort ? Je ne le
crois pas. Les religions avaient un rôle capital dans cette
sensibilisation aux réalités de la mort : le laïcisme de la
laïcité l’a supprimée pour une grande partie du public, les
jeunes plus spécialement.
Pour
les grandes religions, la mort est une « porte de
communication », pour les Égyptiens, ou de « passage »,
pour les Chrétiens, entre ce monde visible et l’Autre monde
ou la Vie éternelle qui est de l’ordre de l’invisible ou
de l’inaccessible par la seule perception des sens mais, par
contre, perceptible par l’esprit.
Un
exemple égyptien
L’Ancienne
Égypte offre des points de comparaison. Il est pour moi frappant
d’en trouver des traces dans l’Ancien et le Nouveau testament
comme dans la pensée médiévale. Comme vous n’êtes pas obligés
de me croire sur parole, voici un exemple qui vous parlera car vous
connaissez tous les dix commandements et les multiples développements
que nous trouvons dans la pensée chrétienne.
Chez
les Égyptiens, le jugement après la mort, appelé la psychostasie,
est souvent illustrée dans les tombeaux. Le défunt est amené par
Anubis devant la balance où est pesé son cœur qui, en cas de
condamnation, sera dévoré par un monstre. Toutefois le défunt peut
parler à ses 41 juges. Toth inscrit sur un papyrus les actions
passées. Horus le conduit vers Osiris (dieu de la mort). Pour
mériter de sauver son cœur, le défunt devait être prêt à
pouvoir prononcer cette prière rituelle qui est un véritable
examen de conscience pour ceux qui savent qu’ils devront les
prononcer devant un dieu qui sait tout et à qui ils ne pourront pas
mentir :
Papyrus
Nû
*1
Salut, dieu grand, Seigneur de vérité et de justice,
* Maître puissant ! Voici que j’arrive devant toi !
* Laisse -moi donc contempler ta rayonnante beauté !
* Je connais ton nom magique et ceux des quarante-deux divinités2
* Qui dans la vaste
salle de Vérité-justice t’entourent
*Le jour où l’on
fait le compte des péchés devant Osiris ;
* Le sang des pécheurs
leur sert de nourriture3.
* Ton nom est :
« Le Seigneur de l’ordre de l’univers
* dont les deux yeux
sont les deux déesses sœurs »4.
* Voici que j’apporte
dans mon cœur la vérité et la justice,
* car j’en ai arraché
tout le mal…
* Je n’ai pas causé
de souffrance aux hommes.5
* Je n’ai pas usé de
violence dans ma parenté6.
Je n’ai pas substitué
l’injustice à la justice.
Je n’ai pas fréquenté
les méchants.
* Je n’ai pas commis
de crimes7.
Je n’ai pas fait
travailler pour moi avec excès.
Je n’ai pas intrigué
par ambition.
Je n’ai pas maltraité
mes serviteurs.
Je n’ai pas blasphémé
les dieux.
Je n’ai pas privé
l’indigent de sa subsistance.
Je n’ai pas commis
d’actes exécrés des dieux.
Je n’ai pas permis
qu’un serviteur fut maltraité par son maître.
* Je n’ai pas fait
souffrir autrui .
* Je n’ai pas
provoqué la famine.
* Je n’ai pas fait
pleurer les hommes mes semblables.
* Je n’ai pas tué et
ordonné de meurtre8.
* Je n’ai pas
provoqué de maladie parmi les hommes.
Je n’ai pas dérobé
les offrandes dans les temples.
Je n’ai pas volé le
pain des dieux.
Je n’ai pas dérobé
les offrandes destinées aux esprits sanctifiés.
* Je n’ai pas commis
d’actions honteuses9.
Dans l’enceinte
sacro-sainte des temples,
Je n’ai pas diminué
la ration de l’offrande.
* Je n’ai pas essayé
d’augmenter mes domaines
* En usant de moyens
illicites
* Ni d’usurper les
champs d’autrui10.
* Je n’ai pas
manipulé les poids de la balance ni son fléau11.
Je n’ai pas enlevé
le lait à la bouche de l’enfant.
Je ne me suis pas
emparé du bétail dans les prairies.
Je n’ai pas pris au
piège de volaille destinée aux dieux.
* Je n’ai pas péché
de poisson avec des cadavres de poissons.
Je n’ai pas obstrué
les eaux au moment où elles devaient couler.
Je n’ai pas coupé
les barrages établis sur les eaux courantes.
Je n’ai pas éteint
la flamme d’un feu
Au moment où il devait
brûler.
Je n’ai pas violé
les règles sur les offrandes de viande.
Je n’ai pas pris
possession du bétail appartenant aux temples des dieux.
* Je n’ai pas empêché
un dieu de se manifester12.
* Je suis pur
Je suis pur ! Je suis pur ! Je suis pur !
* J’ai été purifié
comme l’ a été le grand phénix d’Héracléopolis.
* Car je suis le
seigneur des respirations
* qui donne la vie à
tous les initiés
* au jour solennel où
l’œil d’Horus,
* en présence du
seigneur divin de cette terre,
* culmine à
Héliopolis.
* Puisque j’ai vu
culminer à Héliopolis l’œil d’Horus,
* Puisse aucun mal ne
m’arriver dans cette région , ô dieux,
* Ni dans votre vastes
salle de Vérité-justice !
* Car je connais les
noms de ces dieux
* Qui entourent Maat,
la grande divinité de la Vérité-Justice.
Cette
confession négative, vraisemblablement d’un grand prêtre, est
riche d’enseignements et démontre des exigences morales qui
existent dans d’autres civilisations que la nôtre et qui méritent,
pour cela, notre intérêt et aussi notre admiration.
Poésie religieuse
La
poésie religieuse est l'expression littéraire certainement la plus
ancienne de l'humanité. A l'origine, elle était uniquement orale et
devait, à mon avis, avoir un caractère magique : la magie du
verbe est ainsi née. Toutefois ce verbe n'est rien sans le
souffle qui l'anime. Ainsi la spiritualité est née. Pour se
transmettre oralement, à l'origine, l'homme a développé la
mémoire avec laquelle il se construit. La transmission de cette
forme de connaissance n'était pas destinée à tous : elle était
réservée à des personnes choisies qui la recevaient à la suite
d'une longue initiation.
Par
exemple, les Védas (textes
religieux et poétiques de l’Inde antique) ont été
composés, récités et transmis fidèlement pendant de nombreux
siècles avant d'être rédigés. Ceci fut heureux car cela nous
permet de les connaître de nos jours, alors que la mémoire de ces
textes ne doit plus exister, mis à part quelques exceptions
possibles. La tradition orale des druides a subi une règle plus
sévère quant à la non écriture : nous n'avons maintenant que
quelques traces d'une religion celtique qu'il est difficile de
reconstituer.
Pourquoi
ce secret à l'origine de ces expressions orales du sacré ? Pour nos
ancêtres humains, les mots possédaient une force, un pouvoir.
Proférer le nom d'un des multiples attributs d'une force
suprahumaine, révélant donc la divinité, c'était disposer d'un
pouvoir : le récitant ou l'orant devenait ainsi un intercesseur. Le
religieux établissait un lien entre l'homme, la nature et le cosmos.
Il donnait un sens à la vie comme à la mort. Il délimitait ce qui
dépend de la puissance humaine et de la puissance divine : l'homme,
sans un appui divin, n’était rien et, avec l'aide divine, il
pouvait tout. Celui-ci puisait sa confiance en l'avenir dans la
relation qu'il avait avec la divinité.
Les
attributs de la divinité étaient multiples : le polythéisme est
ainsi né. Le monothéisme a démontré que Dieu apparaît de
multiples façons à l'homme mais qu'il y a un seul Dieu. Dans
plusieurs pays d'Afrique, les peuples chantent des invocations non
écrites et pourtant multiséculaires, selon un rituel
strictement respecté, transmis par des initiés (appelés sorciers,
Grand Homme, etc.) : ceci est fascinant.
Aussi
restons conscients que la poésie sacrée a existé avant l’invention
de l’écriture. Celle-ci inventée, il était au commencement
interdit de transcrire les paroles sacrées. Une diffusion excessive
ou abusive aurait été la perte d’un savoir essentiel ou des
sources d’abus. D’où l’importance d’une tradition orale en
Inde, Égypte, Grèce, chez les Celtes, les Grecs, les Scandinaves...
La magie du verbe exigeait le respect strict de la forme des mots,
de leur ordre, de leur rythme, de leur rime parfois mais surtout des
assonances comme de l’intonation.
Lorsque
les paroles sacrés furent initialement écrites, les textes étaient
réservés aux seules personnes autorisées à les lire et à les
commenter. L’écrit sacré était vénéré comme une personne
sacrée : le Talmud connaît encore cette forme de respect ;
le livre du Coran ne doit jamais être déposé à terre ; le
lecteur de l’Evangile embrasse le texte lu… Toutefois les
commentaires, accompagnant la transmission des ces textes sacrés,
étaient réservés à une forme de clergé : la théologie est
née et une tradition s’est établie. Inévitablement, il y a eu
d’autres interprétations et les querelles religieuses ont surgi
dans toutes les religions quasiment. Chaque religion a eu ses
hérétiques et ces hérétiques ont créé parfois de nouvelles
expressions religieuses, de nouvelles traditions et de nouveaux
hérétiques… Mais ceci n’est pas le thème de ce jour !
Revenons
aux textes sacrés qui, avec le temps, ont été connus des profanes,
des fidèles ou du grand public. Ils ont connu un tel succès qu’il
y a eu très tôt le besoin de les transmettre de façons plus
originales : la poésie sacrée prend dès lors une extension
très productive. Les poèmes religieux se sont ainsi multipliés :
ils étaient officiels, officieux ou privés. Certains se sont
diffusés avec une rapidité très large : n’oublions que les
Maîtres des Universités, créées par l’Église, circulaient dans
toute l’Europe et assuraient une transmission orale principalement
et écrite aussi. De plus, pensez aux troubadours ou aux trouvères
qui diffusaient aussi bien des chants profanes que sacrés : il
n’y avait aucune séparation entre les deux genres, comme cela se
pratique depuis le XIXe siècle. Au Moyen Age, le théâtre
a été initialement principalement sacré : les Mystères. Les
acteurs jouaient des scènes bibliques, faisaient revivre les vies
des saints. La versification était un moyen mnémotechnique (de
mémorisation) des textes. La poésie sacrée était donc bien
implantée auprès d’un public ne sachant pas toujours lire mais
apprenant par le théâtre ce que les vitraux des édifices religieux
lui disaient déjà : les vitraux étaient de véritables Bandes
dessinées avant l’heure !
La
poésie sacrée ancienne nous touche dans la mesure où l’on
perçoit bien le souffle qui l’anime : l’esprit et, pour les
chrétiens, cet esprit est l’Esprit Saint. Ferveur, espoir,
désespoir, louange, action de grâce, invocation, reconnaissance :
autant de circonstances de la vie humaine, autant de poésies
adaptées à toutes les circonstances de la vie.
En les
lisant, je prends conscience que l’homme d’hier se pose les mêmes
questions que l’homme d’aujourd’hui. Je perçois qu’il y a
presque toujours un moment dans la vie d’un homme où il y a besoin
de reconnaître une présence divine dans tout ce qui est la vie :
la nature, la création voulues pour le bien de l’homme. L’homme,
malheureusement, les malmène pour donner naissance à ce mal qui
n’est pas l’œuvre de Dieu mais qui est dû à l’action de
l’homme13.
Toutes
ces poésies religieuses, dans cette masse innombrable, ne sont pas
des réussites : il y a des platitudes, de la monotonie en
raison de répétition banale et d’imitation médiocre. Il convient
de faire un choix et ce qui plaît à l’un ne plaît pas
obligatoirement à l’autre. Alors soyons éclectique afin que
chacun(e) d’entre vous y trouve son plaisir.
Principes
retenus
Lors de
ce partage de textes sacrés, je ne vous donnerai que des versions
françaises quand ils ont été rédigés dans une autre langue :
grec, latin, latin médiéval, arabe, allemand, vieux français,
provençal...
Gardons
en mémoire que les premiers textes chrétiens qui nous intéresseront
ont été écrits en grec, la langue des personnes instruites, durant
les trois premiers siècles du christianisme : Ignace d’Antioche,
Clément d’Alexandrie, Origène chez les Orientaux, Clément,
Irénée, par exemples, chez les Occidentaux. Plus tardivement, le
latin est devenu la langue de diffusion, tout spécialement en
Afrique du Nord, dès le IIeme siècle déjà, et cela
perdurera en Europe jusqu’au XVe siècle.
A
chaque réunion, je transmettrai des auteurs parfois non chrétiens
mais exprimant une spiritualité des auteurs antiques, anciens ou
récents d’autres religions.
Il ne
me sera pas toujours possible de vous donner les textes en entier car
je tiens à respecter le temps horaire d’une heure environ pour
cette communication. Ainsi, vous aurez les extraits significatifs
d’auteurs très divers.
Si un
auteur ou un texte vous touche plus particulièrement, faites-le moi
savoir (antoine.schule@free.fr) et je vous transmettrai volontiers des informations
complémentaires et ceci m'indiquera ce qui retient le plus votre
attention pour opérer une sélection de nouveaux textes.
Mon but
n’est pas que vous reteniez toutes les textes proposés mais, si
vous repartez avec quelques-uns qui vous ont plu, cela sera bien
suffisant.
Entreprenons
nos :
Voyages
spirituels
Saint
Hilaire de Poitiers (env 315- env 368), du latin
D’une
famille de la noblesse païenne, il s’est converti en 345, à la
lecture du Prologue de l’Evangile de Saint Jean : texte
merveilleux que je vous invite à relire. En 355, il devint évêque.
Il a été un grand défenseur de la Trinité. Il a lutté contre
l’arianisme et son franc parler n’a pas plu aux puissants !
Il a étudié les hymnes de l’Église orientale et les chansons
pieuses des gnostiques et ariens qui avaient un grand succès de
diffusion. Il a pris l’initiative de composer des hymnes en latin
pour faire participer les fidèles aux offices et pour leur permettre
de proclamer la Foi. Saint Jérôme l’a dénommé le «Rhône de
l’éloquence latine ». En Gard rhodanien, je ne pouvais
que commencer par lui !
Rythme
du jugement dernier
Ce
thème est fréquent comme nous l’avons vu avec le texte égyptien.
Je ne le livre pas en entier mais je vous en lis quelques extraits.
Vers
1-6
Au jour
terrible du jugement
Il
apparaîtra soudain le grand jour du Seigneur,
tel un
voleur surgissant à l’improviste dans la nuit obscure.
Toutes
les splendeurs du monde périmé sembleront alors bien minces
car il
sera évident que l’univers a passé d’un coup.
Retentissant
dans les quatre régions de la terre, le son de la trompette
convoquera
les vivants et les morts, tous ensemble devant le Christ.
Évidemment
ce poème latin est inspiré du livre de l’Apocalypse (pris au sens
chrétien du terme, je vous rappelle qu’apocalypse
signifie révélation
et n’a pas du tout le sens tragique14
qui lui est donné depuis le XIXe siècle). La conception
de cette chapelle de Naste est très liée à cette révélation qui
commence par le jugement dernier, avant de naître à la vie
éternelle. Il poursuit :
vers 13-24
Le Roi glorieux siégera sur son trône sublime ;
les cohortes redoutables des Anges l’entoureront ;
Tous les élus seront rassemblés à sa droite ;
les méchants se tiendront terrifiés à sa gauche comme des boucs
puants.
«Allez, dira le Roi à ceux de sa droite, accédez au Royaume des
cieux
Que votre Père a préparé pour vous dès avant tous les siècles ;
vous qui avez secouru ma pauvreté avec une charité fraternelle
Riches désormais, recevez le prix de votre charité. »
Les bienheureux diront : « Quand donc, o Christ,
t’avons-nous vu pauvre ?
Ou bien , quand donc, o grand Roi, avons-nous secouru avec pitié ton
indigence ? »
Le Grand Juge leur dira : « Quand vous avez secouru les
pauvres ;
en leur donnant du pain un logis, des vêtements,
c’est ma misère que vous avez secourue. »
Hilaire
de Poitiers offre de façon versifiée un prêche sur la charité
chrétienne de façon animée pour permettre à ses auditeurs de
visualiser humainement les conséquences éternelles de leurs
actes terrestres. Vous percevez ici la valeur pédagogique de son
propos.
Prudence
(348- 415ou 425), du latin
Né en
Espagne, ses écrits attestent d’une grande connaissance littéraire
de l’antiquité grecque et latine. Il a tenu des charges
administratives et militaires. Son œuvre était très appréciée en
son temps. A la fin de sa vie, il est l’auteur d’un grand nombre
de poésies religieuses, apologétiques, didactiques ou lyriques.
Il
est l’auteur d’hymnes qui accompagnent les prières du jour des
moines ou de tout homme religieux : le Livre d’heures. Nous
avions parlé de symbolique et ce texte vient en complément car la
coq qui domine de nombreux clochers est le symbole du Christ. En
voici la démonstration :
Hymne au Chant du Coq
1-4
Le
messager ailé du jour
chante
l’approche de la lumière ;
voici
que l’éveilleur des âmes,
le
Christ, nous appelle à la vie.
Plusieurs
vers invitent les âmes à se lever, à se mettre au travail. Notre
auteur compare l’œuvre du Christ à la lumière chassant les
Ténèbres de la façon suivante :
37-48
On dit
que les démons errants
que
réjouissent les ténèbres des nuits,
effrayés
par le chant du coq
se
dispersent plein de crainte.
Car
l’approche détestée
de la
lumière, du salut, de la divinité,
en
détruisant la souillure des ténèbres,
met en
fuite les compagnons de la nuit :
Ils
savent d’avance que c’est là le signe
de
l’espérance promise
et qui,
délivrés de notre torpeur,
nous
fait espérer l’avènement de Dieu.
Avant
de goûter au sommeil, il a ces vers très beaux, exprimant sa foi et
sa confiance en Dieu.
1-
Viens, Père suprême
que personne ne vit jamais,
et Toi, Christ, Verbe du Père
et Esprit de bonté !
O force et puissance unique
de cette Trinité,
Dieu éternel issu de Dieu,
Dieu procédant de l’un comme de l’autre !
En
ces deux quatrains lus, Prudence explique si bien ce qu’est la
Trinité : il n’est pas possible de donner un raccourci plus
explicite : Père le Créateur, le Fils incarnant la Parole de
Dieu, l’Esprit Saint visible par la bonté. Faut-il en savoir plus
et écrire de longs traités ?
Il
poursuit en faisant l’éloge du repos du corps comme de l’âme.
Qui n’a pas expérimenté les effets d’une bonne nuit de sommeil
sur les soucis ayant pu nous agresser dans la journée ?
Cela
est dit tout simplement ainsi :
Le travail du jour s’est écoulé
et l’heure du repos revient :
à son tour, le sommeil délicieux
détend les membres fatigués.
L’esprit bouillonnant de tempêtes
et meurtri par le soucis
boit de toutes ses moelles
la coupe de l’oubli.
La puissance du Léthé15
s’insinue
dans tout le corps et ne tolère
que subsiste aucun sentiment
d’amère douleur chez le malheureux.
Sur l’ordre de Dieu, la loi a été donnée
à nos membres fragiles
qu’une volupté salutaire
modérât leur fatigue.
Mais pendant qu’un repos ami
parcourt toutes nos veines
et apaise le cœur oisif
en le baignant de sommeil,
l’esprit libéré vagabonde
rapide et vif dans les airs
et discerne les choses cachées
sous des formes diverses ;
Car délivrés de ses soucis l’âme
qui a le ciel pour origine
et l’éther pour source pure
ne peut rester couchée inerte.
Elle se forge elle-même des images
imitées ou multiformes
à travers lesquelles elle court rapidement
et prend un peu de mouvement.
Mais des frissons très divers
harassent l’esprit de ceux qui dorment,
tantôt vers un éclat
qui permet de connaître l’avenir ;
Plus souvent la vérité
fuit : une menteuse image
trompe nos âmes affligées
de peur par quelque sombre énigme !
Voici
en quelques mots toute une réflexion sur les vertus du sommeil et
les vertus comme les dangers des songes. C’est un appel au
discernement : nous pouvons avoir des visions mystiques et des
tourments, dus à la peur. Cette dernière considération mérite
d’être signalée ! Spécialiste des questions de sécurité
et de défense, je peux affirmer que la peur a causé plus de guerres
que les religions, contrairement à ce que des athéistes convaincus
essayent de nous faire croire.
La
modernité de cet auteur à la naissance du Moyen Age m’impressionne
et j’espère que c’est aussi le cas pour vous. Nos experts en
psychologie ou aux phénomènes de résilience de nos jours ne
diraient pas mieux, dans leur langage compliqué et inaudible pour le
commun des mortels !
Anonyme (Livre de prières du IXe s.)
Au
Moyen Age, il est fréquent de disposer de textes sans le nom de
l’auteur. Deux raisons à ceci : l’une est que des textes
étaient tellement connus oralement que personne ne pouvait se
souvenir du nom de l’auteur ; l’autre est que le mystique
s’efface à un tel point devant Dieu qu’il lui suffit de Le
célébrer par la parole, sans laisser une trace de son nom.
L’humilité intellectuelle, qui fait tant défaut de nos
jours, était une pratique médiévale courante !
Il
s’agit d’une prière populaire récitée par les fidèles
s’exprimant dans leur langue ou patois.
Seigneur, Père saint et bon, accorde-moi :
une intelligence qui Te connaisse,
un cœur qu Te sente,
un esprit qui Te goûte,
une ardeur qui Te cherche,
une sagesse qui Te trouve,
une âme qui Te comprenne,
des yeux du cœur qui Te voient,
une vie qui Te plaise,
une persévérance qui T’attende,
une mort sainte.
Donne-moi Ta présence,
la sainte résurrection,
une bonne récompense :
la vie éternelle.
Amen.
Que
souhaitez de plus !
Cheikh
Ferid Ed Din Attar ( 1150-1220) de l’arabe
Les
musulmans aiment prier Dieu et nous avons une pensée religieuse
arabe qui sait aussi chanter Dieu. Je suis persuadé que la mystique
juive, chrétienne et arabe est nourrie à une seule et même racine
mais que l’ignorance des uns et des autres sur les uns et les
autres ainsi que des manipulations humaines du phénomène religieux
ont divisé ce fonds religieux commun qui devrait nous unir.
Mettons-nous à l’écoute de cet éloge du cœur sur la raison, par
un musulman du XIIe et XIIIe siècle :
O mon cœur! renonce un moment à ce corps fait d’argile et d’eau,
puis appelle à l’amour divin tous ceux qui vivent par le cœur ;
allume le flambeau de l’âme à la lumière de l’amour ;
apprends donc de ton Bien-aimé le psaume de l’amour sacré.
Dis, semblable à la chanterelle, les mystères de cet amour. Révèle
ces secrets comme le rossignol qui ne peut parler notre langue ;
déclame, tel David, le verset propre à ceux qui sont égarés par
l’amour ; récite à ceux qui sont épris le psaume de l’amour
sacré ; fais du récit de cet amour le rosaire de ceux qui
aiment ;
livre donc ton cœur et ton âme pour satisfaire leur désir ;
consume-toi, pareil à du bois d’aloès, dans le feu de l’amour
sacré ; fonds et consume-toi, pareil à la chandelle.
Dans la coupe de la raison, verse le nectar de l’amour, et que ton
âme en boive une seule gorgée. Lorsque l’amour est venu, rends
aveugle ta raison ; par le cautère de l’amour, imprime une
marque sur toi.
La raison, c’est comme de l’eau et l’amour, c’est comme le
feu ; entre eux, l’accord est impossible. La raison ne perçoit
que le monde apparent ; mais l’amour ne perçoit que son Dieu
bien-aimé.
La raison, c’est un passereau dans le filet de la faiblesse ;
quant à l’amour, c’est le phénix qui s’élève aux pensées
sublimes. La raison n’est que la préface du vaste recueil des
mystères ; mais l’amour, avec élégance, en est le distique
essentiel.
La raison c’est le fruit nouveau du jardin qu’est l’esprit
humain ; mais l’amour, c’est la perle rare brillant dans la
nuit comme la lampe.
En
parlant de symbolique chrétienne et du tympan qui orne certaines chapelles et églises, je vous ai montré ce cœur de Jésus d’où jaillissent
les flammes de Son amour. Ce texte exprime avec force cet amour du
Dieu unique qui devrait nous unir au lieu de nous diviser.
Gautier de Châtillon (1135-1190) du latin
Né à Ronchin, près de Lille, il a été un Maître dans les
universités et un ambassadeur du roi de France en Angleterre. Il a
écrit de nombreux textes de nature profane (lyrique, satirique) qui
démontrent une grande liberté d’esprit. Il était apprécié des
Goliards, ces clercs vagants sillonnant l’Europe pour étudier et
sur lesquels j’ai beaucoup travaillé (lire ma présentation des Carmina burana).
Cet
écrivain a le sens de la formule et ses écrits ne manquent pas
d’ironie. Il a fait preuve d’esprit critique et la fraîcheur de
ses propos touche encore le cœur. Pour mettre en valeur le siècle
dit des Lumières, le Moyen Age a été qualifié d’obscur car un
temps ennemi de la raison. Je vous laisse juge à l’écoute d’un
extrait d’un hymne sur la pénitence, inspiré des Confessions de
Saint Augustin :
De la pénitence
vers 21-50
J’évite les vanités diverses
de ma vie passée
en fuyant les délices ;
ma jeunesse s’est enfuie semblable au vent
avec les blandices de la chair ;
pour sentir la sentine du monde,
brandis un bouclier
contre les séductions de l’esprit.
R Je rachète par des choses sérieuses
les légèretés de ma jeunesse.
Mon bouclier est la raison
par quoi, en l’éprouvant patiemment
et expressément, je publie
que les biens de ce monde ne sont rien
dans un si bref espace ;
puisqu’il nous faut mourir,
nulle semaille ne sert,
si le Christ n’est point dans la moisson.
R. Je rachète par des choses sérieuses
les légèretés de ma jeunesse.
Lorsque la hache menace déjà
la racine de l’arbre,
ils ne sont pas de cœur sain
ceux qui sont assurés contre le châtiment :
après l’écoulement du temps,
les flammes persistent pour ceux dont l’herbe
du corps n’existe que pour brûler
et dont les actes sont impurs.
R. Je rachète par des choses sérieuses
les légèretés de ma jeunesse.
Ulrich Stöcklin de Rottach (1370/79-1443)
du
latin
En 1438, il est l’abbé d’un monastère en Bavière. Il s’est
inspiré surtout des psaumes.
Marie
a fait l’objet d’une multitude de poésies et je vous en ai
choisi une, peu connue mais dont la beauté devrait vous plaire :
Prière à la Vierge
1-40
Salut, ô Vierge, splendeur du ciel.
Ta dignité est singulière,
Vraie virginité de la vraie mère
et vraie fécondité de la Vierge,
naissance de l’homme sans homme,
vraie divinité incarnée,
tu maries l’humanité à Dieu,
Vérité prévue de toute éternité.
Salut, toi dont la pureté fut assez sainte,
assez pure l’intégrité,
et assez profonde l’humilité
pour que la divinité tînt son habitat en toi ;
la Trinité a fait tout cela en toi
pour faire éprouver à la descendance d’Adam
qu’elle envoyait aux brebis perdues
le Rédempteur, le salut et la santé.
Salut, Étoile, ton éclat
a dissipé l’obscurité des prophéties,
tu as mis fin à la maladie ancienne :
Devenu voyante, l’antique cécité voit,
la sévérité de la loi est adoucie,
l’espérance, la foi, la chair ont leur temps :
données par la grâce de Dieu, elles font luire
pour les justes la clarté éternelle.
Salut, toi qui as apporté cette chose étonnante,
Cité et trône du Roi des rois ;
Sa bienveillance nous permettra d’effacer les souillures passées,
afin que la tempête de sa colère ne nous dévaste pas
lorsque viendra sa juste sévérité,
et que l’équité punira les plaisirs
poursuivis par notre stupidité.
Mais aussi ta chasteté nous plaît,
car elle adresse d’insignes prières au Père,
pour que sa bonté nous épargne
dans notre crainte des mauvaises actions,
pour que dans le royaume d’éternité
où rient la vraie joie,
le salut, le repos, la paix et la prospérité,
nous chantions au Christ les louanges qui lui sont dues.
Nous
aurons l’occasion, en d’autres réunions, de découvrir d’autres
prières mariales.
Thomas More
(7
février 1848
- 6
juillet 1535)
de l’anglais
Les
Chrétiens ont trop souvent des visages tristes. C’est oublier que
le Christ ne cesse pas de nous inviter à la joie. Thomas More, que
je vous présenterai plus spécialement l’année prochaine, n’en
était pas dépourvu. Écoutons sa brève prière qui est une
invitation au sourire :
Don du sens de l’humour
Seigneur, donne-moi une bonne digestion et, naturellement aussi,
quelque chose à digérer…
Donne-moi une âme qui ne connaisse pas l’ennui, les murmures, les
soupirs, les lamentations.
Ne permets pas que je me soucie trop de cette chose envahissante qui
s’appelle « moi ».
Donne-moi le don de savoir rire d’une plaisanterie, afin que je
sache tirer un peu de joie de la vie et que je puisse en faire part
aussi aux autres.
Seigneur, donne-moi le sens de l’humour.
Il
veut des Chrétiens qui soient des membres vivants du Christ mystique
qu’est l’Église. Il y a un grand souffle de cette prière que je
suis heureux de pouvoir prononcer en cette chapelle :
Dieu tout-puissant
Dieu Tout-Puissant, écarte de moi
toute préoccupation de vanité,
tout désir d’être loué,
tout sentiment d’envie, de gourmandise, de paresse et de luxure,
tout mouvement de colère,
tout appétit de vengeance,
tout penchant à souhaiter le mal à autrui ou à m’en réjouir,
tout plaisir à provoquer la colère,
toute satisfaction à admonester qui que ce soit dans son affliction
et son malheur.
Rends-moi, Seigneur Bon,
humble et effacé, calme et paisible,
charitable et bienveillant, tendre et compatissant.
Qu’il y ait dans toutes mes actions,
dans toutes mes paroles
et dans toutes mes pensées,
un goût de Ton Esprit Saint et Béni.
Accorde-moi, Seigneur Bon,
une foi pleine, une ferme espérance et une charité fervente,
un amour pour Toi, Seigneur Bon,
qui dépasse incomparablement mon amour pour moi-même ;
aide-moi à n’aimer rien contre Ton gré,
mais toute chose en fonction de Toi…
Chasse de moi, Seigneur Bon,
cette tiédeur que j’éprouve dans la méditation
et mon manque de goût à Te prier.
Accorde-moi d’être rempli de chaleur, joyeux et vibrant,
lorsque je pense à Toi.
Fais-moi la grâce de désirer Tes sacrements avec ardeur
et de prendre joie à Ta Présence dans le Saint Sacrement de
l’autel.
Seigneur Bon, fais de nous, chaque jour,
des membres vivants de Ton Corps mystique, de Ton Église.
Pierre Corneille
(1606-1684)
Ses
pièces de théâtre défendent avec véhémence le rôle des femmes
dans
la société et
je m’étonne que cet aspect ne soit pas mieux reconnu par
les critiques.
Toutefois, en ce jour, c’est d’une traduction
d’une œuvre spirituelle,
qu’il a établie en 1652 et 1653, dont je vais vous faire mention.
De nombreux Chrétiens ont lu, au moins une fois dans leur vie,
soit des extraits, soit le livre entier, intitulé L’imitation
de Jésus-Christ. Il y a eu une longue polémique pour
savoir qui en a été l’auteur. Un consensus s’est établi pour
reconnaître Thomas a Kempis ( 1380-1471) comme auteur de ce traité
de méditation spirituelle.
Thomas Kempis a prononcé ses vœux monastiques en 1406. Il est un
grand mystique et il a réuni en un volume les fruits de méditations
prolongées sur la Parole de Dieu et les moyens de La vivre dans son
quotidien.
Ce qui se sait moins, et c’est bien regrettable, est que Pierre
Corneille en a fourni une traduction versifiée. Le plus souvent,
elle est remarquable pour un texte difficile à l’origine. Exprimer
une pensée spirituelle dense en vers, avec du rythme, de l’élan,
transmet la foi ardente qui anime son traducteur, l’auteur du Cid.
D’un livre de plus de 500 pages, la difficulté est de choisir des
extraits qui vous parlent immédiatement : je tente
l’expérience !
Si cela vous plaît, consultez ce livre ! Si cela ne vous
plaît pas, j’ai dû vous proposer un choix regrettable, alors,
consultez le livre pour trouver ce qui vous touchera certainement et
le cœur et l’esprit !
Le fidèle dans le monde est soumis à de nombreuses tentations et
pour ne pas y succomber, une attention soutenue est nécessaire. Ce
chapitre est assez long mais en voici quelques éléments essentiels
de cette réflexion sur soi-même16 :
De la résistance aux tentations
(Livre I, chap XIII)
Tant que le sang bout dans nos veines,
Tant que l’âme soutient le corps,
Nous avons à combattre et dedans et dehors
les tentations et les peines.
Ainsi, toi qui mis tant de maux
Au-dessous de ta patience,
Toi qu’une sainte expérience
Endurcit à tous les assauts,
Job, tu l’as souvent dit, que l’homme sur la Terre
Trouvait toute sa vie une immortelle guerre.
Il doit donc en toute saison
Tenir l’œil ouvert sur soi-même,
Et sans cesse opposer à ce péril extrême
La vigilance et l’oraison :
Ainsi jamais il n’est la proie
Du lion toujours rugissant,
Qui, pour surprendre l’innocent,
Tout à l’entour de lui tournoie.
Et, ne dormant jamais, dévore sans tarder
Ce qu’un lâche sommeil lui permet d’aborder.
[...]
Le grand courage en Jésus-Christ
Et la patience en nos peines
Font plus avec le temps que les plus rudes gênes
Dont se tyrannise un esprit.
Quand la tentation s’augmente,
Prends conseil à chaque moment,
Et loin de traiter rudement
Le malheureux qu’elle tourmente,
Tâche à le consoler et lui servir d’appui
Avec la même douceur que tu voudrais de lui.
Notre inconstance est le principe
Qui nous accable en tout lieu ;
Le peu de confiance en la bonté de Dieu
Empêche qu’il ne les dissipe.
Tel qu’un vaisseau sans timon,
Le jouet des fureurs de l’onde,
Une âme lâche dans le monde,
Flotte à la merci du démon ;
Et tous ces bons propos qu’à toute heure elle quitte
L’abandonnent au vent dont sa fureur l’agite.
La flamme est l’épreuve du fer,
La tentation l’est des hommes :
Par elle seulement on voit ce que nous sommes,
Et, si nous pouvons triompher.
Lorsqu’à frapper elle s’apprête,
Fermons-lui la porte du cœur :
On s’en sort aisément vainqueur,
Quand dès l’abord on lui fait tête :
Qui résiste trop tard a peine à résister,
Et c’est au premier pas qu’il la faut arrêter.
D’une faible et simple pensée
L’image forme un trait puissant :
Elle flatte, on s’y plaît ; elle émeut, on consent ;
Et l’âme en demeure blessée.
Ainsi notre fier ennemi
Se glisse au-dedans et nous tue,
Quand l’âme, soudain abattue,
Ne lui résiste qu’à demi ;
Et dans cette langueur pour peu qu’il l’entretienne,
des forces qu’elle perd il augmente la sienne.
[…]
Ainsi ne désespérons pas,
Quand la tentation redouble ;
Mais redoublons plutôt nos ferveurs dans ce trouble,
Pour offrir à Dieu nos combats :
Demandons-Lui qu’Il nous console,
Qu’Il nous secoure en cet ennui ;
Saint Paul nous l’a promis pour Lui,
Il dégagera Sa parole,
Et tirera pour nous ce fruit de tant de maux,
Qu’ils rendront notre force égale à nos travaux.
Quand Il nous en donne victoire,
Exaltons Sa puissante main,
Et humilions nous sous le bras souverain
Qui couronne l’humble de gloire.
C’est dans les tribulations
Qu’on voit combien l’homme profite,
Et la grandeur de son mérite
Ne paraît qu’aux tentations.
Jean Racine
(1639-1699)
Cet auteur, ayant séjourné à Uzès, est bien connu pour ses
pièces de théâtre. Il a vécu durant ce grand siècle des âmes
qu’a été le XVIIe siècle. Cependant, il se sait moins
qu’il a traduit en français de nombreuses prières de la liturgie
catholique. Il a mis en vers des psaumes et des hymnes latins du
Livre des Heures. Avec une élégante simplicité, ses prières
touchent le cœur, encore plus de trois siècles après leur
composition.
Pour vous mettre en situation de cette prière, imaginez que vous
êtes face au lever du soleil, par un joli matin de printemps :
Samedi , Hymne à Laudes
L’aurore brillante et vermeille
Prépare le chemin au soleil qui la suit ;
Tout rit aux premiers traits du jour qui se réveille :
Retirez-vous démons qui volez dans la nuit.
Fuyez, songes, troupe menteuse,
Dangereux ennemis par la nuit enfantés,
Et que fuie avec vous la mémoire honteuse
Des objets qu’à nos sens vous avez présentés.
Chantons l’Auteur de la lumière,
Jusqu’au jour où son ordre a marqué notre fin ;
Et qu’en Le bénissant, notre aurore dernière
Se perde en un midi sans soir et sans matin.
Gloire à Toi, Trinité profonde,
Père, Fils, Esprit Saint : qu’on T’adore toujours,
Tant que l’astre des temps éclairera le monde,
Et quand les siècles même auront fini leur cours.
Au XVIIe siècle, notre auteur souligne dans cet hymne
que les songes sont vains alors que le Moyen Age demandait de
discerner ce que les songes peuvent nous dire de vrai. Notre temps se
refuse à parler de la mort et la confrontation inévitable avec elle
est rendue beaucoup plus difficile.
Avant les grands progrès de la médecine, la mort frappait plus
les populations aussi bien dans l’enfance que lors de grandes
épidémies, comme la peste. A notre époque, la mort est cachée,
pour certains, elle est même hospitalisée.
Autrefois, il était possible de naître et mourir chez soi :
c’est pourquoi une maison familiale était un lieu de souvenir très
fort quant au caractère éphémère de la vie. Ainsi, le croyant
gardait à l’esprit et au cœur de ses prières ce temps court
qu’est une vie d’homme, face au temps long d’un monde lui-même
périssable. Il prenait conscience d’une éternité avec un Dieu
Bon où réside le vrai bonheur comme de l’éternité de l’
Enfer. L’Enfer est un monde dans l’impossibilité de goûter la
Présence de Dieu, alors qu’Elle existe. L’Enfer est déjà dans
une vie terrestre sans Dieu : la prise de conscience de la
vanité des plaisirs en est la conclusion. Plus grave : l’homme,
par ses choix librement adoptés dans sa vie terrestre, ayant refusé
la grâce de Dieu d’être sauvé, ne peut plus en bénéficier
d’une façon définitive et éternelle.
Écoutons Jean Racine, dans ce cantique, tiré du livre 5 de la
Sagesse :
Cantique II Sur le bonheur des justes et le malheur des réprouvés
Heureux qui, de la sagesse
Attendant tout son secours,
N’a point mis en la richesse
L’espoir de ses derniers jours !
La mort n’a rien qui l’étonne ;
Et, dès que son Dieu l’ordonne,
Son âme, prenant l’essor,
S’élève d’un vol rapide
Vers la demeure où réside
Son véritable trésor.
De quelle douleur profonde
Seront un jour pénétrés
Ces insensés qui du monde,
Seigneur, vivent enivrés ;
Quand, par une fin soudaine,
Détrompés d’une ombre vaine
Qui passe et ne revient plus,
Leurs yeux, du fond de l’abîme,
Près de Ton trône sublime
Verront briller les Élus !
« Infortunés que nous sommes,
Où s’égaraient nos esprits !
Voilà, diront-ils, ces hommes,
Vils objets de nos mépris :
Leur sainte et pénible vie
Nous parut une folie ;
Mais, aujourd’hui triomphants,
Le ciel chante leur louange,
Et Dieu lui-même les range
Au nombre de ses enfants.
Pour trouver un bien fragile
Qui nous vient d’être arraché,
Par quel chemin difficile,
Hélas ! Nous avons marché !
Dans une route insensée
Notre âme en vain s’est lassée,
Sans se reposer jamais,
Fermant l’œil à la Lumière,
Qui nous montrait la carrière
De la Bienheureuse Paix.
De nos attentats injustes
Quel fruit nous est-il resté ?
Où sont les titres augustes
Dont notre orgueil s’est flatté ?
Sans amis et sans défense,
Au trône de la vengeance
appelés en jugement,
Faibles et tristes victimes,
Nous y venons de nos crimes
Accompagnés seulement. »
Ainsi, d’une voix plaintive,
Exprimera ses remords
La pénitence tardive
Des inconsolables morts.
Ce qui faisait leurs délices,
Seigneur, fera leurs supplices ;
Et, par une égale loi,
Tes saints trouveront des charmes
Dans le souvenir des larmes
Qu’ils versent ici pour Toi.
Racine sait exprimer les tourments de l’âme tiraillée entre le
bien et le mal à accomplir. Et du chapitre 7 de la lettre de saint
Paul aux Romains, voici comment il versifie cette lutte intérieure
que nous connaissons tous une fois ou l’autre dans nos vies.
Du texte paulinien, Racine a rédigé cette prière humble et
réaliste :
Cantique III
Plaintes d’un Chrétien sur les contrariétés qu’il éprouve
au-dedans de lui-même
Mon Dieu, quelle guerre cruelle !
Je trouve deux hommes en moi :
L’un veut que, plein d’amour pour Toi,
Mon cœur Te soit toujours fidèle ;
L’autre, à Tes volontés rebelle,
Me révolte contre Ta loi.
L’un, tout esprit et tout céleste,
Veut qu’au ciel sans cesse attaché,
Et des biens éternels touché,
Je compte pour rien tout le reste ;
Et l’autre, par son poids funeste,
Me tient vers la terre penché.
Hélas! En guerre avec moi-même,
Où pourrai-je trouver la paix ?
Je veux, et je n’accomplis jamais.
Je veux ; mais, ô misère extrême !
Je ne fais pas le bien que j’aime,
Et je fais le mal que je hais.
O grâce, ô rayon salutaire !
Viens me mettre avec moi d’accord.
Et, domptant par un doux effort
Cet homme qui T’est si contraire,
Fais ton esclave volontaire
De cet esclave de la mort.
Alphonse de Lamartine (1790 - 1869)
Il ne s’agit pas de chanter avec lui la Révolution qu’il a idéalisée
(il a eu une certaine admiration pour Robespierre qui paraît étrange
et qu’il justifie aux noms de principes :
c’est de l’idéologie) mais de voir en lui sa spiritualité. Son
action politique est connue.
Par contre ses écrits poétiques offrent le parcours d’une âme
pieuse, avec ses temps de ferveur et ses temps de doute. Leur lecture
nous révèle une foi ardente ayant animé son enfance ;
ensuite, il y a eu un déisme rationnel, propre au XIXe
siècle (le dieu Progrès
commençait son œuvre). Il a eu une jeunesse libertine avant de
découvrir une nouvelle vie catholique.
Je m’intéresse à Lamartine non pour sa vie politique mais pour
sa vie intérieure qui est religieuse. La politique l’a déçu mais
il a conservé l’espoir religieux qu’il célèbre avec beauté.
Si saint Martin a dit que la prière était la respiration de l’âme,
pour Lamartine la poésie est la respiration de son âme. La poésie
lui est un dialogue avec Dieu et j’ai retenu ce poème, écrit en
1846, pour vous convaincre.
La charité
Dieu dit un jour à son soleil :
« Toi par qui mon nom luit, toi que ma droite envoie
Porter à l’univers ma splendeur et ma joie,
Pour que l’immensité me loue à son réveil ;
De ces dons merveilleux que répand ta lumière,
De ces pas de géant que tu fais dans les cieux,
De ces rayons vivants que boit chaque paupière,
Lequel te rend, dis-moi, dans toute carrière,
Plus semblable à moi-même et plus grand à tes yeux ? »
Le soleil répondit, en se voilant la face :
« Ce n’est pas d’éclairer l’immensurable espace,
De faire étinceler des déserts,
De fondre du Liban la couronne de glace,
Ni de me contempler dans le miroir des mers,
Ni d’écumer de feu sur les vagues des airs ;
Mais c’est de me glisser aux fentes de la pierre
Du cachot où languit le captif dans sa tour,
Et, d’y sécher des pleurs au bord d’une paupière
Que réjouit dans l’ombre un seul rayon du jour ! »
« Bien ! Reprit Jéhovah ; c’est comme mon
amour ! »
Ce que dit le rayon au Bienfaiteur suprême,
Moi, l’insecte chantant, je le dis à moi-même.
Ce qui donne à ma lyre un frisson de bonheur,
Ce n’est pas de frémir au vain souffle de gloire,
Ni de jeter au temps un nom pour sa mémoire,
Ni de monter au ciel dans un hymne vainqueur ;
Mais c’est de résonner, dans la nuit du mystère,
Pour l’âme sans écho d’un pauvre solitaire
Qui n’a qu’un son lointain pour tout bruit sur la terre,
Et d’y glisser ma voix par les fentes du cœur.
Notre poète n’est pas modeste quant à son rôle d’insecte
chantant mais retenons que la poésie sacrée offre des
rayons de lumière pour des âmes inquiètes. Rien que pour cela,
elle est un bienfait réel de l’Esprit Saint, tout simplement.
Il est temps de conclure et c’est à un saint que je laisse les
derniers mots :
Padre Pio
(1887-1967
) de l’italien
Ce
religieux a reçu les stigmates. Il a été un grand thaumaturge et
sa vie mériterait à elle seule une présentation. Padre Pio a subi
le rejet de certains ecclésiastiques haut placés mais il a gardé
cette humilité. Évidemment, en écoutant sa prière, je pense aussi
à un autre grand mystique que j’ai connu, Maurice Zundel qui a
subi aussi durant sa vie une forme de mépris de ses confrères mais pas
tous, fort heureusement. Ses auditrices comme auditeurs, les moines et
les moniales n’avaient nul besoin d’une autorité supérieure
pour en mesurer tout la valeur spirituelle.
Sa
prière du soir est d’une grande beauté et je vous la donne en
cette fin de journée. Elle exprime sa confiance et son désir d’une
rencontre permanente avec Dieu que rien ni personne ne doivent venir
troubler.
Reste avec moi, Seigneur
Reste avec moi, Seigneur,
car il est nécessaire de T’avoir présent
pour ne pas t’oublier :
Tu sais avec quelle facilité je T’abandonne.
Reste avec moi, Seigneur,
parce que je sui faible :
j’ai besoin de Ta force pour ne pas tomber,
sans Toi, je suis sans ferveur.
Reste avec moi, Seigneur,
parce que Tu es ma lumière :
montre-moi Ta volonté pour que
j’entende Ta voix et Te suive.
Reste avec moi , Seigneur,
pour que je Te sois fidèle :
si pauvre que soit mon âme,
elle désire être pour toi
un lieu de consolation.
Reste avec moi, Seigneur,
parce qu’il se fait tard et que le jour décline :
la vie passe, l’éternité approche
et il est nécessaire de refaire mes forces
pour ne pas m’arrêter en chemin.
Reste avec moi, Seigneur,
parce que j’ai besoin de Toi
dans cette nuit de la vie et des dangers :
je ne demande pas les consolations divines,
parce que je les mérite pas,
mais le don de Ta Présence,
oh oui ! Je Te le demande Seigneur.
Reste avec moi
car c’est Toi seul que je cherche,
Ton amour, Ta grâce, Ton cœur, Ton esprit :
je T’aime et ne demande d’autre récompense
que de T’aimer davantage.
J’espère
que ces gerbes poétiques ont pu vous plaire et je vous invite à voir deux nouveaux bouquets spirituels prochainement !
Antoine Schülé
La Tourette
antoine.schule@free.fr
1*
Textes qui seront lus au public.
2Jury
lors du jugement des morts.
3Une
tête de crocodile mange le cœur du condamné.
4Des
10 commandements : Tu adoreras Dieu seul et Tu prononceras le nom de
Dieu avec respect.
5Il
s’agit du début d’une apparente plaidoirie
mais le récitant honnête, se préparant à un moment où les actes
de vie seront jugés, effectue en fait un examen de conscience en
citant les turpitudes humaines les plus fréquentes.
610 :
Tu respecteras ton père et ta mère.
710 :
Tu ne tueras pas.
810 :
idem
910 :
Tu ne commettras pas d’adultère.
1010 :
Tu ne voleras pas.
1110 :
Tu ne mentiras pas.
1210 :
Tu sanctifieras le Seigneur.
13Il
faudrait traiter la question du mauvais usage de la liberté donnée
par Dieu à l’homme.
14Car
il n’est tragique que pour les personnes qui se sont détournées
de Dieu.
15Le
sommeil.
16Socrate :
Connais-toi toi-même.
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