vendredi 6 juillet 2018

Poésie sacrée (partie 1)


Poésie sacrée I
Antoine Schülé, le 26 octobre 2017


Aujourd'hui, je suis particulièrement heureux d'ouvrir ce cycle de trois lectures commentées sur la poésie sacrée. C'est le type même de sujet où l'on sait quand on commence mais où l'on ignore quand il finira car la masse des textes pouvant nous intéresser est considérable. Masse considérable alors que, malheureusement, le plus souvent méconnue du grand public. 

Ainsi je forme le souhait de pouvoir vous inviter à trois rencontres sur ce site et qui vous permettront de goûter la richesse et la diversité des expressions de la foi en l'existence de Dieu ou d'un dieu : qu'il soit chrétien ou d'une autre religion, elles témoignent de cette conviction intime de l'homme, en la nécessité d'établir un lien entre sa condition humaine et une condition divine qui le dépasse.

Pierre Corneille, versifiant Thomas a Kempis qui donne la parole au Christ, ouvre bel et bien ce cycle car nous vivons un monde où nos oreilles doivent entendre bien des mensonges, habilement dissimulés dans des discours creux ou émotionnels, dans un tintamarre médiatique encore inégalé dans le passé :

Contre la vaine science du siècle
et de la vraie étude du chrétien

Défends ton cœur de ton oreille ;
Souvent une fausse merveille
Entre par elle et te surprend :
Ne t’émeus donc point, et n’admire
Quoi que les hommes puissent dire
De beau, de subtil ou de grand.
Mon royaume n’est pas pour ces éclats frivoles
Dont l’humaine éloquence orne ses fictions ;
Il se donne aux vertus, et non pas aux paroles,
Et fuit les beaux discours sans bonnes actions.

La seule parole sacrée
Est celle à qui tu dois l’entrée ;
C’est elle qui te doit charmer ;
C’est elle qui verse dans l’âme
Les ardeurs de la sainte flamme
Qui seule s’y doit allumer.
Elle éclaire l’esprit par des rayons célestes,
Elle jette les cœurs dans la componction,
Et répand sur l’aigreur des maux les plus funestes
En cent et cent façons ma consolation.

Pierre Corneille (L’imitation de Jésus-Christ, Livre III, chap. 43)

Introduction

Les plus anciennes civilisations - qui nous sont connues - ont transmis des témoignages oraux, écrits, archéologiques, architecturaux, artistiques ou musicaux, exprimant leurs convictions intimes d’un sacré, un espace que l’homme perçoit autrement que par ses seuls sens.

A la lecture du Livre des morts des Égyptiens, j'ai été étonné des concordances avec de nombreux Psaumes de l'Ancien testament ; ayant lu les écrits attribués à Confucius, j'ai été surpris par les similitudes avec le Livre de la Sagesse. Il est possible aussi de trouver de nombreuses ressemblances entre le Livre de la Genèse et des récits fabuleux de l'Afrique noire ou des textes sacrés des Amérindiens ou encore ceux de l'Inde orientale comme du Tibet, de la Chine ou du Japon. De nombreuses autres religions ont gardé les souvenirs d’un chaos précédant la création du monde, d'un déluge, de géants, de combats intérieurs ou sur des champs de bataille...

La préoccupation de génération en génération, tout au long des millénaires, a été portée sur la mort et son sens. Il est important de signaler que toutes les grandes civilisations ont été animées par une certitude que la vie terrestre se prolonge dans une Vie qui est au-delà et qui la dépasse. La perte progressive de cette notion a accompagné leur décadence.

En Europe, depuis la Renaissance tant louée, une philosophie matérialiste a incliné les hommes à ne plus se préoccuper de la Vie après la mort. Ne croyant plus à une vie immatérielle, l’ordre moral et la spiritualité se sont effacés au profit de joies passagères et d’amusements temporaires où l’argent, le sport et le cinéma suffisent au bonheur de la plupart des peuples. Or les violences existent avec une force jamais connue : suicides en série, criminalité, drogues, délinquances, etc. L’immoralisme devient la règle  avec des « Pourquoi pas ? » ou des « Au nom de quoi m’interdirai-je ceci ou cela ? ». Le Néant et l’Absurde règnent en maîtres dans les esprits d’une majorité: que ceci est malheureux !
Est-ce que notre société occidentale a conscience de nos jours de l’importance sur nos vies du sens donné à la mort ? Je ne le crois pas. Les religions avaient un rôle capital dans cette sensibilisation aux réalités de la mort : le laïcisme de la laïcité l’a supprimée pour une grande partie du public, les jeunes plus spécialement.

Pour les grandes religions, la mort est une « porte de communication », pour les Égyptiens, ou de « passage », pour les Chrétiens, entre ce monde visible et l’Autre monde ou la Vie éternelle qui est de l’ordre de l’invisible ou de l’inaccessible par la seule perception des sens mais, par contre, perceptible par l’esprit.

Un exemple égyptien

L’Ancienne Égypte offre des points de comparaison. Il est pour moi frappant d’en trouver des traces dans l’Ancien et le Nouveau testament comme dans la pensée médiévale. Comme vous n’êtes pas obligés de me croire sur parole, voici un exemple qui vous parlera car vous connaissez tous les dix commandements et les multiples développements que nous trouvons dans la pensée chrétienne.

Chez les Égyptiens, le jugement après la mort, appelé la psychostasie, est souvent illustrée dans les tombeaux. Le défunt est amené par Anubis devant la balance où est pesé son cœur qui, en cas de condamnation, sera dévoré par un monstre. Toutefois le défunt peut parler à ses 41 juges. Toth inscrit sur un papyrus les actions passées. Horus le conduit vers Osiris (dieu de la mort). Pour mériter de sauver son cœur, le défunt devait être prêt à pouvoir prononcer cette prière rituelle qui est un véritable examen de conscience pour ceux qui savent qu’ils devront les prononcer devant un dieu qui sait tout et à qui ils ne pourront pas mentir :

Papyrus Nû
*1 Salut, dieu grand, Seigneur de vérité et de justice,
* Maître puissant ! Voici que j’arrive devant toi !
* Laisse -moi donc contempler ta rayonnante beauté !
* Je connais ton nom magique et ceux des quarante-deux divinités2
* Qui dans la vaste salle de Vérité-justice t’entourent
*Le jour où l’on fait le compte des péchés devant Osiris ;
* Le sang des pécheurs leur sert de nourriture3.
* Ton nom est : « Le Seigneur de l’ordre de l’univers
* dont les deux yeux sont les deux déesses sœurs »4.

* Voici que j’apporte dans mon cœur la vérité et la justice,
* car j’en ai arraché tout le mal…

* Je n’ai pas causé de souffrance aux hommes.5
* Je n’ai pas usé de violence dans ma parenté6.
Je n’ai pas substitué l’injustice à la justice.
Je n’ai pas fréquenté les méchants.
* Je n’ai pas commis de crimes7.
Je n’ai pas fait travailler pour moi avec excès.
Je n’ai pas intrigué par ambition.
Je n’ai pas maltraité mes serviteurs.
Je n’ai pas blasphémé les dieux.
Je n’ai pas privé l’indigent de sa subsistance.
Je n’ai pas commis d’actes exécrés des dieux.
Je n’ai pas permis qu’un serviteur fut maltraité par son maître.
* Je n’ai pas fait souffrir autrui .
* Je n’ai pas provoqué la famine.
* Je n’ai pas fait pleurer les hommes mes semblables.

* Je n’ai pas tué et ordonné de meurtre8.
* Je n’ai pas provoqué de maladie parmi les hommes.
Je n’ai pas dérobé les offrandes dans les temples.
Je n’ai pas volé le pain des dieux.
Je n’ai pas dérobé les offrandes destinées aux esprits sanctifiés.
* Je n’ai pas commis d’actions honteuses9.

Dans l’enceinte sacro-sainte des temples,
Je n’ai pas diminué la ration de l’offrande.
* Je n’ai pas essayé d’augmenter mes domaines
* En usant de moyens illicites
* Ni d’usurper les champs d’autrui10.

* Je n’ai pas manipulé les poids de la balance ni son fléau11.
Je n’ai pas enlevé le lait à la bouche de l’enfant.
Je ne me suis pas emparé du bétail dans les prairies.
Je n’ai pas pris au piège de volaille destinée aux dieux.
* Je n’ai pas péché de poisson avec des cadavres de poissons.
Je n’ai pas obstrué les eaux au moment où elles devaient couler.
Je n’ai pas coupé les barrages établis sur les eaux courantes.
Je n’ai pas éteint la flamme d’un feu
Au moment où il devait brûler.

Je n’ai pas violé les règles sur les offrandes de viande.
Je n’ai pas pris possession du bétail appartenant aux temples des dieux.
* Je n’ai pas empêché un dieu de se manifester12.

* Je suis pur Je suis pur ! Je suis pur ! Je suis pur !
* J’ai été purifié comme l’ a été le grand phénix d’Héracléopolis.
* Car je suis le seigneur des respirations
* qui donne la vie à tous les initiés
* au jour solennel où l’œil d’Horus,
* en présence du seigneur divin de cette terre,
* culmine à Héliopolis.
* Puisque j’ai vu culminer à Héliopolis l’œil d’Horus,
* Puisse aucun mal ne m’arriver dans cette région , ô dieux,
* Ni dans votre vastes salle de Vérité-justice !
* Car je connais les noms de ces dieux
* Qui entourent Maat, la grande divinité de la Vérité-Justice.

Cette confession négative, vraisemblablement d’un grand prêtre, est riche d’enseignements et démontre des exigences morales qui existent dans d’autres civilisations que la nôtre et qui méritent, pour cela, notre intérêt et aussi notre admiration.

Poésie religieuse

La poésie religieuse est l'expression littéraire certainement la plus ancienne de l'humanité. A l'origine, elle était uniquement orale et devait, à mon avis, avoir un caractère magique : la magie du verbe est ainsi née. Toutefois ce verbe n'est rien sans le souffle qui l'anime. Ainsi la spiritualité est née. Pour se transmettre oralement, à l'origine, l'homme a développé la mémoire avec laquelle il se construit. La transmission de cette forme de connaissance n'était pas destinée à tous : elle était réservée à des personnes choisies qui la recevaient à la suite d'une longue initiation.

Par exemple, les Védas (textes religieux et poétiques de l’Inde antique) ont été composés, récités et transmis fidèlement pendant de nombreux siècles avant d'être rédigés. Ceci fut heureux car cela nous permet de les connaître de nos jours, alors que la mémoire de ces textes ne doit plus exister, mis à part quelques exceptions possibles. La tradition orale des druides a subi une règle plus sévère quant à la non écriture : nous n'avons maintenant que quelques traces d'une religion celtique qu'il est difficile de reconstituer.

Pourquoi ce secret à l'origine de ces expressions orales du sacré ? Pour nos ancêtres humains, les mots possédaient une force, un pouvoir. Proférer le nom d'un des multiples attributs d'une force suprahumaine, révélant donc la divinité, c'était disposer d'un pouvoir : le récitant ou l'orant devenait ainsi un intercesseur. Le religieux établissait un lien entre l'homme, la nature et le cosmos. Il donnait un sens à la vie comme à la mort. Il délimitait ce qui dépend de la puissance humaine et de la puissance divine : l'homme, sans un appui divin, n’était rien et, avec l'aide divine, il pouvait tout. Celui-ci puisait sa confiance en l'avenir dans la relation qu'il avait avec la divinité.

Les attributs de la divinité étaient multiples : le polythéisme est ainsi né. Le monothéisme a démontré que Dieu apparaît de multiples façons à l'homme mais qu'il y a un seul Dieu. Dans plusieurs pays d'Afrique, les peuples chantent des invocations non écrites et pourtant multiséculaires, selon un rituel strictement respecté, transmis par des initiés (appelés sorciers, Grand Homme, etc.) : ceci est fascinant.

Aussi restons conscients que la poésie sacrée a existé avant l’invention de l’écriture. Celle-ci inventée, il était au commencement interdit de transcrire les paroles sacrées. Une diffusion excessive ou abusive aurait été la perte d’un savoir essentiel ou des sources d’abus. D’où l’importance d’une tradition orale en Inde, Égypte, Grèce, chez les Celtes, les Grecs, les Scandinaves... La magie du verbe exigeait le respect strict de la forme des mots, de leur ordre, de leur rythme, de leur rime parfois mais surtout des assonances comme de l’intonation.

Lorsque les paroles sacrés furent initialement écrites, les textes étaient réservés aux seules personnes autorisées à les lire et à les commenter. L’écrit sacré était vénéré comme une personne sacrée : le Talmud connaît encore cette forme de respect ; le livre du Coran ne doit jamais être déposé à terre ; le lecteur de l’Evangile embrasse le texte lu… Toutefois les commentaires, accompagnant la transmission des ces textes sacrés, étaient réservés à une forme de clergé : la théologie est née et une tradition s’est établie. Inévitablement, il y a eu d’autres interprétations et les querelles religieuses ont surgi dans toutes les religions quasiment. Chaque religion a eu ses hérétiques et ces hérétiques ont créé parfois de nouvelles expressions religieuses, de nouvelles traditions et de nouveaux hérétiques… Mais ceci n’est pas le thème de ce jour !

Revenons aux textes sacrés qui, avec le temps, ont été connus des profanes, des fidèles ou du grand public. Ils ont connu un tel succès qu’il y a eu très tôt le besoin de les transmettre de façons plus originales : la poésie sacrée prend dès lors une extension très productive. Les poèmes religieux se sont ainsi multipliés : ils étaient officiels, officieux ou privés. Certains se sont diffusés avec une rapidité très large : n’oublions que les Maîtres des Universités, créées par l’Église, circulaient dans toute l’Europe et assuraient une transmission orale principalement et écrite aussi. De plus, pensez aux troubadours ou aux trouvères qui diffusaient aussi bien des chants profanes que sacrés : il n’y avait aucune séparation entre les deux genres, comme cela se pratique depuis le XIXe siècle. Au Moyen Age, le théâtre a été initialement principalement sacré : les Mystères. Les acteurs jouaient des scènes bibliques, faisaient revivre les vies des saints. La versification était un moyen mnémotechnique (de mémorisation) des textes. La poésie sacrée était donc bien implantée auprès d’un public ne sachant pas toujours lire mais apprenant par le théâtre ce que les vitraux des édifices religieux lui disaient déjà : les vitraux étaient de véritables Bandes dessinées avant l’heure !

La poésie sacrée ancienne nous touche dans la mesure où l’on perçoit bien le souffle qui l’anime : l’esprit et, pour les chrétiens, cet esprit est l’Esprit Saint. Ferveur, espoir, désespoir, louange, action de grâce, invocation, reconnaissance : autant de circonstances de la vie humaine, autant de poésies adaptées à toutes les circonstances de la vie.
En les lisant, je prends conscience que l’homme d’hier se pose les mêmes questions que l’homme d’aujourd’hui. Je perçois qu’il y a presque toujours un moment dans la vie d’un homme où il y a besoin de reconnaître une présence divine dans tout ce qui est la vie : la nature, la création voulues pour le bien de l’homme. L’homme, malheureusement, les malmène pour donner naissance à ce mal qui n’est pas l’œuvre de Dieu mais qui est dû à l’action de l’homme13.

Toutes ces poésies religieuses, dans cette masse innombrable, ne sont pas des réussites : il y a des platitudes, de la monotonie en raison de répétition banale et d’imitation médiocre. Il convient de faire un choix et ce qui plaît à l’un ne plaît pas obligatoirement à l’autre. Alors soyons éclectique afin que chacun(e) d’entre vous y trouve son plaisir.

Principes retenus

Lors de ce partage de textes sacrés, je ne vous donnerai que des versions françaises quand ils ont été rédigés dans une autre langue : grec, latin, latin médiéval, arabe, allemand, vieux français, provençal...

Gardons en mémoire que les premiers textes chrétiens qui nous intéresseront ont été écrits en grec, la langue des personnes instruites, durant les trois premiers siècles du christianisme : Ignace d’Antioche, Clément d’Alexandrie, Origène chez les Orientaux, Clément, Irénée, par exemples, chez les Occidentaux. Plus tardivement, le latin est devenu la langue de diffusion, tout spécialement en Afrique du Nord, dès le IIeme siècle déjà, et cela perdurera en Europe jusqu’au XVe siècle.
A chaque réunion, je transmettrai des auteurs parfois non chrétiens mais exprimant une spiritualité des auteurs antiques, anciens ou récents d’autres religions.
Il ne me sera pas toujours possible de vous donner les textes en entier car je tiens à respecter le temps horaire d’une heure environ pour cette communication. Ainsi, vous aurez les extraits significatifs d’auteurs très divers.

Si un auteur ou un texte vous touche plus particulièrement, faites-le moi savoir (antoine.schule@free.fr) et je vous transmettrai volontiers des informations complémentaires et ceci m'indiquera ce qui retient le plus votre attention pour opérer une sélection de nouveaux textes.

Mon but n’est pas que vous reteniez toutes les textes proposés mais, si vous repartez avec quelques-uns qui vous ont plu, cela sera bien suffisant.

Entreprenons nos :

Voyages spirituels

Saint Hilaire de Poitiers (env 315- env 368), du latin

D’une famille de la noblesse païenne, il s’est converti en 345, à la lecture du Prologue de l’Evangile de Saint Jean : texte merveilleux que je vous invite à relire. En 355, il devint évêque. Il a été un grand défenseur de la Trinité. Il a lutté contre l’arianisme et son franc parler n’a pas plu aux puissants ! Il a étudié les hymnes de l’Église orientale et les chansons pieuses des gnostiques et ariens qui avaient un grand succès de diffusion. Il a pris l’initiative de composer des hymnes en latin pour faire participer les fidèles aux offices et pour leur permettre de proclamer la Foi. Saint Jérôme l’a dénommé le «Rhône de l’éloquence latine ». En Gard rhodanien, je ne pouvais que commencer par lui !

Rythme du jugement dernier
Ce thème est fréquent comme nous l’avons vu avec le texte égyptien. Je ne le livre pas en entier mais je vous en lis quelques extraits.

Vers 1-6
Au jour terrible du jugement
Il apparaîtra soudain le grand jour du Seigneur,
tel un voleur surgissant à l’improviste dans la nuit obscure.
Toutes les splendeurs du monde périmé sembleront alors bien minces
car il sera évident que l’univers a passé d’un coup.
Retentissant dans les quatre régions de la terre, le son de la trompette
convoquera les vivants et les morts, tous ensemble devant le Christ.

Évidemment ce poème latin est inspiré du livre de l’Apocalypse (pris au sens chrétien du terme, je vous rappelle qu’apocalypse signifie révélation et n’a pas du tout le sens tragique14 qui lui est donné depuis le XIXe siècle). La conception de cette chapelle de Naste est très liée à cette révélation qui commence par le jugement dernier, avant de naître à la vie éternelle. Il poursuit :

vers 13-24
Le Roi glorieux siégera sur son trône sublime ;
les cohortes redoutables des Anges l’entoureront ;
Tous les élus seront rassemblés à sa droite ;
les méchants se tiendront terrifiés à sa gauche comme des boucs puants.
«Allez, dira le Roi à ceux de sa droite, accédez au Royaume des cieux
Que votre Père a préparé pour vous dès avant tous les siècles ;
vous qui avez secouru ma pauvreté avec une charité fraternelle
Riches désormais, recevez le prix de votre charité. »

Les bienheureux diront : « Quand donc, o Christ, t’avons-nous vu pauvre ?
Ou bien , quand donc, o grand Roi, avons-nous secouru avec pitié ton indigence ? »

Le Grand Juge leur dira : « Quand vous avez secouru les pauvres ;
en leur donnant du pain un logis, des vêtements,
c’est ma misère que vous avez secourue. »

Hilaire de Poitiers offre de façon versifiée un prêche sur la charité chrétienne de façon animée pour permettre à ses auditeurs de visualiser humainement les conséquences éternelles de leurs actes terrestres. Vous percevez ici la valeur pédagogique de son propos.

Prudence (348- 415ou 425), du latin

Né en Espagne, ses écrits attestent d’une grande connaissance littéraire de l’antiquité grecque et latine. Il a tenu des charges administratives et militaires. Son œuvre était très appréciée en son temps. A la fin de sa vie, il est l’auteur d’un grand nombre de poésies religieuses, apologétiques, didactiques ou lyriques.
Il est l’auteur d’hymnes qui accompagnent les prières du jour des moines ou de tout homme religieux : le Livre d’heures. Nous avions parlé de symbolique et ce texte vient en complément car la coq qui domine de nombreux clochers est le symbole du Christ. En voici la démonstration :

Hymne au Chant du Coq
1-4
Le messager ailé du jour
chante l’approche de la lumière ;
voici que l’éveilleur des âmes,
le Christ, nous appelle à la vie.

Plusieurs vers invitent les âmes à se lever, à se mettre au travail. Notre auteur compare l’œuvre du Christ à la lumière chassant les Ténèbres de la façon suivante :
37-48
On dit que les démons errants
que réjouissent les ténèbres des nuits,
effrayés par le chant du coq
se dispersent plein de crainte.

Car l’approche détestée
de la lumière, du salut, de la divinité,
en détruisant la souillure des ténèbres,
met en fuite les compagnons de la nuit :

Ils savent d’avance que c’est là le signe
de l’espérance promise
et qui, délivrés de notre torpeur,
nous fait espérer l’avènement de Dieu.

Avant de goûter au sommeil, il a ces vers très beaux, exprimant sa foi et sa confiance en Dieu.

1-
Viens, Père suprême
que personne ne vit jamais,
et Toi, Christ, Verbe du Père
et Esprit de bonté !

O force et puissance unique
de cette Trinité,
Dieu éternel issu de Dieu,
Dieu procédant de l’un comme de l’autre !

En ces deux quatrains lus, Prudence explique si bien ce qu’est la Trinité : il n’est pas possible de donner un raccourci plus explicite : Père le Créateur, le Fils incarnant la Parole de Dieu, l’Esprit Saint visible par la bonté. Faut-il en savoir plus et écrire de longs traités ?

Il poursuit en faisant l’éloge du repos du corps comme de l’âme. Qui n’a pas expérimenté les effets d’une bonne nuit de sommeil sur les soucis ayant pu nous agresser dans la journée ?
Cela est dit tout simplement ainsi :

Le travail du jour s’est écoulé
et l’heure du repos revient :
à son tour, le sommeil délicieux
détend les membres fatigués.

L’esprit bouillonnant de tempêtes
et meurtri par le soucis
boit de toutes ses moelles
la coupe de l’oubli.

La puissance du Léthé15 s’insinue
dans tout le corps et ne tolère
que subsiste aucun sentiment
d’amère douleur chez le malheureux.

Sur l’ordre de Dieu, la loi a été donnée
à nos membres fragiles
qu’une volupté salutaire
modérât leur fatigue.

Mais pendant qu’un repos ami
parcourt toutes nos veines
et apaise le cœur oisif
en le baignant de sommeil,

l’esprit libéré vagabonde
rapide et vif dans les airs
et discerne les choses cachées
sous des formes diverses ;

Car délivrés de ses soucis l’âme
qui a le ciel pour origine
et l’éther pour source pure
ne peut rester couchée inerte.

Elle se forge elle-même des images
imitées ou multiformes
à travers lesquelles elle court rapidement
et prend un peu de mouvement.

Mais des frissons très divers
harassent l’esprit de ceux qui dorment,
tantôt vers un éclat
qui permet de connaître l’avenir ;

Plus souvent la vérité
fuit : une menteuse image
trompe nos âmes affligées
de peur par quelque sombre énigme !

Voici en quelques mots toute une réflexion sur les vertus du sommeil et les vertus comme les dangers des songes. C’est un appel au discernement : nous pouvons avoir des visions mystiques et des tourments, dus à la peur. Cette dernière considération mérite d’être signalée ! Spécialiste des questions de sécurité et de défense, je peux affirmer que la peur a causé plus de guerres que les religions, contrairement à ce que des athéistes convaincus essayent de nous faire croire.
La modernité de cet auteur à la naissance du Moyen Age m’impressionne et j’espère que c’est aussi le cas pour vous. Nos experts en psychologie ou aux phénomènes de résilience de nos jours ne diraient pas mieux, dans leur langage compliqué et inaudible pour le commun des mortels !

Anonyme (Livre de prières du IXe s.)

Au Moyen Age, il est fréquent de disposer de textes sans le nom de l’auteur. Deux raisons à ceci : l’une est que des textes étaient tellement connus oralement que personne ne pouvait se souvenir du nom de l’auteur ; l’autre est que le mystique s’efface à un tel point devant Dieu qu’il lui suffit de Le célébrer par la parole, sans laisser une trace de son nom. L’humilité intellectuelle, qui fait tant défaut de nos jours, était une pratique médiévale courante !

Il s’agit d’une prière populaire récitée par les fidèles s’exprimant dans leur langue ou patois.

Seigneur, Père saint et bon, accorde-moi :
une intelligence qui Te connaisse,
un cœur qu Te sente,
un esprit qui Te goûte,
une ardeur qui Te cherche,
une sagesse qui Te trouve,
une âme qui Te comprenne,
des yeux du cœur qui Te voient,
une vie qui Te plaise,
une persévérance qui T’attende,
une mort sainte.

Donne-moi Ta présence,
la sainte résurrection,
une bonne récompense :
la vie éternelle.
Amen.
Que souhaitez de plus !

Cheikh Ferid Ed Din Attar ( 1150-1220) de l’arabe

Les musulmans aiment prier Dieu et nous avons une pensée religieuse arabe qui sait aussi chanter Dieu. Je suis persuadé que la mystique juive, chrétienne et arabe est nourrie à une seule et même racine mais que l’ignorance des uns et des autres sur les uns et les autres ainsi que des manipulations humaines du phénomène religieux ont divisé ce fonds religieux commun qui devrait nous unir. Mettons-nous à l’écoute de cet éloge du cœur sur la raison, par un musulman du XIIe et XIIIe siècle :

O mon cœur! renonce un moment à ce corps fait d’argile et d’eau, puis appelle à l’amour divin tous ceux qui vivent par le cœur ;
allume le flambeau de l’âme à la lumière de l’amour ; apprends donc de ton Bien-aimé le psaume de l’amour sacré.
Dis, semblable à la chanterelle, les mystères de cet amour. Révèle ces secrets comme le rossignol qui ne peut parler notre langue ;
déclame, tel David, le verset propre à ceux qui sont égarés par l’amour ; récite à ceux qui sont épris le psaume de l’amour sacré ; fais du récit de cet amour le rosaire de ceux qui aiment ;
livre donc ton cœur et ton âme pour satisfaire leur désir ; consume-toi, pareil à du bois d’aloès, dans le feu de l’amour sacré ; fonds et consume-toi, pareil à la chandelle.

Dans la coupe de la raison, verse le nectar de l’amour, et que ton âme en boive une seule gorgée. Lorsque l’amour est venu, rends aveugle ta raison ; par le cautère de l’amour, imprime une marque sur toi.
La raison, c’est comme de l’eau et l’amour, c’est comme le feu ; entre eux, l’accord est impossible. La raison ne perçoit que le monde apparent ; mais l’amour ne perçoit que son Dieu bien-aimé.
La raison, c’est un passereau dans le filet de la faiblesse ; quant à l’amour, c’est le phénix qui s’élève aux pensées sublimes. La raison n’est que la préface du vaste recueil des mystères ; mais l’amour, avec élégance, en est le distique essentiel.
La raison c’est le fruit nouveau du jardin qu’est l’esprit humain ; mais l’amour, c’est la perle rare brillant dans la nuit comme la lampe.

En parlant de symbolique chrétienne et du tympan qui orne certaines chapelles et églises, je vous ai montré ce cœur de Jésus d’où jaillissent les flammes de Son amour. Ce texte exprime avec force cet amour du Dieu unique qui devrait nous unir au lieu de nous diviser.

Gautier de Châtillon (1135-1190) du latin

Né à Ronchin, près de Lille, il a été un Maître dans les universités et un ambassadeur du roi de France en Angleterre. Il a écrit de nombreux textes de nature profane (lyrique, satirique) qui démontrent une grande liberté d’esprit. Il était apprécié des Goliards, ces clercs vagants sillonnant l’Europe pour étudier et sur lesquels j’ai beaucoup travaillé (lire ma présentation des Carmina burana).

Cet écrivain a le sens de la formule et ses écrits ne manquent pas d’ironie. Il a fait preuve d’esprit critique et la fraîcheur de ses propos touche encore le cœur. Pour mettre en valeur le siècle dit des Lumières, le Moyen Age a été qualifié d’obscur car un temps ennemi de la raison. Je vous laisse juge à l’écoute d’un extrait d’un hymne sur la pénitence, inspiré des Confessions de Saint Augustin :

De la pénitence
vers 21-50

J’évite les vanités diverses
de ma vie passée
en fuyant les délices ;
ma jeunesse s’est enfuie semblable au vent
avec les blandices de la chair ;
pour sentir la sentine du monde,
brandis un bouclier
contre les séductions de l’esprit.

R Je rachète par des choses sérieuses
les légèretés de ma jeunesse.

Mon bouclier est la raison
par quoi, en l’éprouvant patiemment
et expressément, je publie
que les biens de ce monde ne sont rien
dans un si bref espace ;
puisqu’il nous faut mourir,
nulle semaille ne sert,
si le Christ n’est point dans la moisson.

R. Je rachète par des choses sérieuses
les légèretés de ma jeunesse.

Lorsque la hache menace déjà
la racine de l’arbre,
ils ne sont pas de cœur sain
ceux qui sont assurés contre le châtiment :
après l’écoulement du temps,
les flammes persistent pour ceux dont l’herbe
du corps n’existe que pour brûler
et dont les actes sont impurs.

R. Je rachète par des choses sérieuses
les légèretés de ma jeunesse.

Ulrich Stöcklin de Rottach (1370/79-1443) du latin

En 1438, il est l’abbé d’un monastère en Bavière. Il s’est inspiré surtout des psaumes.
Marie a fait l’objet d’une multitude de poésies et je vous en ai choisi une, peu connue mais dont la beauté devrait vous plaire :

Prière à la Vierge

1-40
Salut, ô Vierge, splendeur du ciel.
Ta dignité est singulière,
Vraie virginité de la vraie mère
et vraie fécondité de la Vierge,
naissance de l’homme sans homme,
vraie divinité incarnée,
tu maries l’humanité à Dieu,
Vérité prévue de toute éternité.

Salut, toi dont la pureté fut assez sainte,
assez pure l’intégrité,
et assez profonde l’humilité
pour que la divinité tînt son habitat en toi ;
la Trinité a fait tout cela en toi
pour faire éprouver à la descendance d’Adam
qu’elle envoyait aux brebis perdues
le Rédempteur, le salut et la santé.

Salut, Étoile, ton éclat
a dissipé l’obscurité des prophéties,
tu as mis fin à la maladie ancienne :
Devenu voyante, l’antique cécité voit,
la sévérité de la loi est adoucie,
l’espérance, la foi, la chair ont leur temps :
données par la grâce de Dieu, elles font luire
pour les justes la clarté éternelle.

Salut, toi qui as apporté cette chose étonnante,
Cité et trône du Roi des rois ;
Sa bienveillance nous permettra d’effacer les souillures passées,
afin que la tempête de sa colère ne nous dévaste pas
lorsque viendra sa juste sévérité,
et que l’équité punira les plaisirs
poursuivis par notre stupidité.

Mais aussi ta chasteté nous plaît,
car elle adresse d’insignes prières au Père,
pour que sa bonté nous épargne
dans notre crainte des mauvaises actions,
pour que dans le royaume d’éternité
où rient la vraie joie,
le salut, le repos, la paix et la prospérité,
nous chantions au Christ les louanges qui lui sont dues.

Nous aurons l’occasion, en d’autres réunions, de découvrir d’autres prières mariales.

Thomas More (7 février 1848 - 6 juillet 1535) de l’anglais

Les Chrétiens ont trop souvent des visages tristes. C’est oublier que le Christ ne cesse pas de nous inviter à la joie. Thomas More, que je vous présenterai plus spécialement l’année prochaine, n’en était pas dépourvu. Écoutons sa brève prière qui est une invitation au sourire :
 
Don du sens de l’humour

Seigneur, donne-moi une bonne digestion et, naturellement aussi, quelque chose à digérer…
Donne-moi une âme qui ne connaisse pas l’ennui, les murmures, les soupirs, les lamentations.
Ne permets pas que je me soucie trop de cette chose envahissante qui s’appelle « moi ».
Donne-moi le don de savoir rire d’une plaisanterie, afin que je sache tirer un peu de joie de la vie et que je puisse en faire part aussi aux autres.
Seigneur, donne-moi le sens de l’humour.

Il veut des Chrétiens qui soient des membres vivants du Christ mystique qu’est l’Église. Il y a un grand souffle de cette prière que je suis heureux de pouvoir prononcer en cette chapelle :

Dieu tout-puissant

Dieu Tout-Puissant, écarte de moi
toute préoccupation de vanité,
tout désir d’être loué,
tout sentiment d’envie, de gourmandise, de paresse et de luxure,
tout mouvement de colère,
tout appétit de vengeance,
tout penchant à souhaiter le mal à autrui ou à m’en réjouir,
tout plaisir à provoquer la colère,
toute satisfaction à admonester qui que ce soit dans son affliction et son malheur.

Rends-moi, Seigneur Bon,
humble et effacé, calme et paisible,
charitable et bienveillant, tendre et compatissant.
Qu’il y ait dans toutes mes actions,
dans toutes mes paroles
et dans toutes mes pensées,
un goût de Ton Esprit Saint et Béni.

Accorde-moi, Seigneur Bon,
une foi pleine, une ferme espérance et une charité fervente,
un amour pour Toi, Seigneur Bon,
qui dépasse incomparablement mon amour pour moi-même ;
aide-moi à n’aimer rien contre Ton gré,
mais toute chose en fonction de Toi…

Chasse de moi, Seigneur Bon,
cette tiédeur que j’éprouve dans la méditation
et mon manque de goût à Te prier.
Accorde-moi d’être rempli de chaleur, joyeux et vibrant,
lorsque je pense à Toi.
Fais-moi la grâce de désirer Tes sacrements avec ardeur
et de prendre joie à Ta Présence dans le Saint Sacrement de l’autel.
Seigneur Bon, fais de nous, chaque jour,
des membres vivants de Ton Corps mystique, de Ton Église.

Pierre Corneille (1606-1684)

Ses pièces de théâtre défendent avec véhémence le rôle des femmes dans la société et je m’étonne que cet aspect ne soit pas mieux reconnu par les critiques. Toutefois, en ce jour, c’est d’une traduction d’une œuvre spirituelle, qu’il a établie en 1652 et 1653, dont je vais vous faire mention.
De nombreux Chrétiens ont lu, au moins une fois dans leur vie, soit des extraits, soit le livre entier, intitulé L’imitation de Jésus-Christ. Il y a eu une longue polémique pour savoir qui en a été l’auteur. Un consensus s’est établi pour reconnaître Thomas a Kempis ( 1380-1471) comme auteur de ce traité de méditation spirituelle.

Thomas Kempis a prononcé ses vœux monastiques en 1406. Il est un grand mystique et il a réuni en un volume les fruits de méditations prolongées sur la Parole de Dieu et les moyens de La vivre dans son quotidien.

Ce qui se sait moins, et c’est bien regrettable, est que Pierre Corneille en a fourni une traduction versifiée. Le plus souvent, elle est remarquable pour un texte difficile à l’origine. Exprimer une pensée spirituelle dense en vers, avec du rythme, de l’élan, transmet la foi ardente qui anime son traducteur, l’auteur du Cid. D’un livre de plus de 500 pages, la difficulté est de choisir des extraits qui vous parlent immédiatement : je tente l’expérience !
Si cela vous plaît, consultez ce livre ! Si cela ne vous plaît pas, j’ai dû vous proposer un choix regrettable, alors, consultez le livre pour trouver ce qui vous touchera certainement et le cœur et l’esprit !

Le fidèle dans le monde est soumis à de nombreuses tentations et pour ne pas y succomber, une attention soutenue est nécessaire. Ce chapitre est assez long mais en voici quelques éléments essentiels de cette réflexion sur soi-même16 :

De la résistance aux tentations (Livre I, chap XIII)

Tant que le sang bout dans nos veines,
Tant que l’âme soutient le corps,
Nous avons à combattre et dedans et dehors
les tentations et les peines.
Ainsi, toi qui mis tant de maux
Au-dessous de ta patience,
Toi qu’une sainte expérience
Endurcit à tous les assauts,
Job, tu l’as souvent dit, que l’homme sur la Terre
Trouvait toute sa vie une immortelle guerre.

Il doit donc en toute saison
Tenir l’œil ouvert sur soi-même,
Et sans cesse opposer à ce péril extrême
La vigilance et l’oraison :
Ainsi jamais il n’est la proie
Du lion toujours rugissant,
Qui, pour surprendre l’innocent,
Tout à l’entour de lui tournoie.
Et, ne dormant jamais, dévore sans tarder
Ce qu’un lâche sommeil lui permet d’aborder.

[...]
Le grand courage en Jésus-Christ
Et la patience en nos peines
Font plus avec le temps que les plus rudes gênes
Dont se tyrannise un esprit.
Quand la tentation s’augmente,
Prends conseil à chaque moment,
Et loin de traiter rudement
Le malheureux qu’elle tourmente,
Tâche à le consoler et lui servir d’appui
Avec la même douceur que tu voudrais de lui.

Notre inconstance est le principe
Qui nous accable en tout lieu ;
Le peu de confiance en la bonté de Dieu
Empêche qu’il ne les dissipe.
Tel qu’un vaisseau sans timon,
Le jouet des fureurs de l’onde,
Une âme lâche dans le monde,
Flotte à la merci du démon ;
Et tous ces bons propos qu’à toute heure elle quitte
L’abandonnent au vent dont sa fureur l’agite.

La flamme est l’épreuve du fer,
La tentation l’est des hommes :
Par elle seulement on voit ce que nous sommes,
Et, si nous pouvons triompher.
Lorsqu’à frapper elle s’apprête,
Fermons-lui la porte du cœur :
On s’en sort aisément vainqueur,
Quand dès l’abord on lui fait tête :
Qui résiste trop tard a peine à résister,
Et c’est au premier pas qu’il la faut arrêter.

D’une faible et simple pensée
L’image forme un trait puissant :
Elle flatte, on s’y plaît ; elle émeut, on consent ;
Et l’âme en demeure blessée.
Ainsi notre fier ennemi
Se glisse au-dedans et nous tue,
Quand l’âme, soudain abattue,
Ne lui résiste qu’à demi ;
Et dans cette langueur pour peu qu’il l’entretienne,
des forces qu’elle perd il augmente la sienne.

[…]

Ainsi ne désespérons pas,
Quand la tentation redouble ;
Mais redoublons plutôt nos ferveurs dans ce trouble,
Pour offrir à Dieu nos combats :
Demandons-Lui qu’Il nous console,
Qu’Il nous secoure en cet ennui ;
Saint Paul nous l’a promis pour Lui,
Il dégagera Sa parole,
Et tirera pour nous ce fruit de tant de maux,
Qu’ils rendront notre force égale à nos travaux.

Quand Il nous en donne victoire,
Exaltons Sa puissante main,
Et humilions nous sous le bras souverain
Qui couronne l’humble de gloire.
C’est dans les tribulations
Qu’on voit combien l’homme profite,
Et la grandeur de son mérite
Ne paraît qu’aux tentations.

Jean Racine (1639-1699)

Cet auteur, ayant séjourné à Uzès, est bien connu pour ses pièces de théâtre. Il a vécu durant ce grand siècle des âmes qu’a été le XVIIe siècle. Cependant, il se sait moins qu’il a traduit en français de nombreuses prières de la liturgie catholique. Il a mis en vers des psaumes et des hymnes latins du Livre des Heures. Avec une élégante simplicité, ses prières touchent le cœur, encore plus de trois siècles après leur composition.

Pour vous mettre en situation de cette prière, imaginez que vous êtes face au lever du soleil, par un joli matin de printemps :

Samedi , Hymne à Laudes
L’aurore brillante et vermeille
Prépare le chemin au soleil qui la suit ;
Tout rit aux premiers traits du jour qui se réveille :
Retirez-vous démons qui volez dans la nuit.

Fuyez, songes, troupe menteuse,
Dangereux ennemis par la nuit enfantés,
Et que fuie avec vous la mémoire honteuse
Des objets qu’à nos sens vous avez présentés.

Chantons l’Auteur de la lumière,
Jusqu’au jour où son ordre a marqué notre fin ;
Et qu’en Le bénissant, notre aurore dernière
Se perde en un midi sans soir et sans matin.

Gloire à Toi, Trinité profonde,
Père, Fils, Esprit Saint : qu’on T’adore toujours,
Tant que l’astre des temps éclairera le monde,
Et quand les siècles même auront fini leur cours.

Au XVIIe siècle, notre auteur souligne dans cet hymne que les songes sont vains alors que le Moyen Age demandait de discerner ce que les songes peuvent nous dire de vrai. Notre temps se refuse à parler de la mort et la confrontation inévitable avec elle est rendue beaucoup plus difficile.
Avant les grands progrès de la médecine, la mort frappait plus les populations aussi bien dans l’enfance que lors de grandes épidémies, comme la peste. A notre époque, la mort est cachée, pour certains, elle est même hospitalisée.

Autrefois, il était possible de naître et mourir chez soi : c’est pourquoi une maison familiale était un lieu de souvenir très fort quant au caractère éphémère de la vie. Ainsi, le croyant gardait à l’esprit et au cœur de ses prières ce temps court qu’est une vie d’homme, face au temps long d’un monde lui-même périssable. Il prenait conscience d’une éternité avec un Dieu Bon où réside le vrai bonheur comme de l’éternité de l’ Enfer. L’Enfer est un monde dans l’impossibilité de goûter la Présence de Dieu, alors qu’Elle existe. L’Enfer est déjà dans une vie terrestre sans Dieu : la prise de conscience de la vanité des plaisirs en est la conclusion. Plus grave : l’homme, par ses choix librement adoptés dans sa vie terrestre, ayant refusé la grâce de Dieu d’être sauvé, ne peut plus en bénéficier d’une façon définitive et éternelle.

Écoutons Jean Racine, dans ce cantique, tiré du livre 5 de la Sagesse :

Cantique II Sur le bonheur des justes et le malheur des réprouvés

Heureux qui, de la sagesse
Attendant tout son secours,
N’a point mis en la richesse
L’espoir de ses derniers jours !
La mort n’a rien qui l’étonne ;
Et, dès que son Dieu l’ordonne,
Son âme, prenant l’essor,
S’élève d’un vol rapide
Vers la demeure où réside
Son véritable trésor.

De quelle douleur profonde
Seront un jour pénétrés
Ces insensés qui du monde,
Seigneur, vivent enivrés ;
Quand, par une fin soudaine,
Détrompés d’une ombre vaine
Qui passe et ne revient plus,
Leurs yeux, du fond de l’abîme,
Près de Ton trône sublime
Verront briller les Élus !

« Infortunés que nous sommes,
Où s’égaraient nos esprits !
Voilà, diront-ils, ces hommes,
Vils objets de nos mépris :
Leur sainte et pénible vie
Nous parut une folie ;
Mais, aujourd’hui triomphants,
Le ciel chante leur louange,
Et Dieu lui-même les range
Au nombre de ses enfants.

Pour trouver un bien fragile
Qui nous vient d’être arraché,
Par quel chemin difficile,
Hélas ! Nous avons marché !
Dans une route insensée
Notre âme en vain s’est lassée,
Sans se reposer jamais,
Fermant l’œil à la Lumière,
Qui nous montrait la carrière
De la Bienheureuse Paix.

De nos attentats injustes
Quel fruit nous est-il resté ?
Où sont les titres augustes
Dont notre orgueil s’est flatté ?
Sans amis et sans défense,
Au trône de la vengeance
appelés en jugement,
Faibles et tristes victimes,
Nous y venons de nos crimes
Accompagnés seulement. »

Ainsi, d’une voix plaintive,
Exprimera ses remords
La pénitence tardive
Des inconsolables morts.
Ce qui faisait leurs délices,
Seigneur, fera leurs supplices ;
Et, par une égale loi,
Tes saints trouveront des charmes
Dans le souvenir des larmes
Qu’ils versent ici pour Toi.

Racine sait exprimer les tourments de l’âme tiraillée entre le bien et le mal à accomplir. Et du chapitre 7 de la lettre de saint Paul aux Romains, voici comment il versifie cette lutte intérieure que nous connaissons tous une fois ou l’autre dans nos vies.
Du texte paulinien, Racine a rédigé cette prière humble et réaliste :

Cantique III

Plaintes d’un Chrétien sur les contrariétés qu’il éprouve au-dedans de lui-même

Mon Dieu, quelle guerre cruelle !
Je trouve deux hommes en moi :
L’un veut que, plein d’amour pour Toi,
Mon cœur Te soit toujours fidèle ;
L’autre, à Tes volontés rebelle,
Me révolte contre Ta loi.

L’un, tout esprit et tout céleste,
Veut qu’au ciel sans cesse attaché,
Et des biens éternels touché,
Je compte pour rien tout le reste ;
Et l’autre, par son poids funeste,
Me tient vers la terre penché.

Hélas! En guerre avec moi-même,
Où pourrai-je trouver la paix ?
Je veux, et je n’accomplis jamais.
Je veux ; mais, ô misère extrême !
Je ne fais pas le bien que j’aime,
Et je fais le mal que je hais.

O grâce, ô rayon salutaire !
Viens me mettre avec moi d’accord.
Et, domptant par un doux effort
Cet homme qui T’est si contraire,
Fais ton esclave volontaire
De cet esclave de la mort.


Alphonse de Lamartine (1790 - 1869)

Il ne s’agit pas de chanter avec lui la Révolution qu’il a idéalisée (il a eu une certaine admiration pour Robespierre qui paraît étrange et qu’il justifie aux noms de principes : c’est de l’idéologie) mais de voir en lui sa spiritualité. Son action politique est connue.

Par contre ses écrits poétiques offrent le parcours d’une âme pieuse, avec ses temps de ferveur et ses temps de doute. Leur lecture nous révèle une foi ardente ayant animé son enfance ; ensuite, il y a eu un déisme rationnel, propre au XIXe siècle (le dieu Progrès commençait son œuvre). Il a eu une jeunesse libertine avant de découvrir une nouvelle vie catholique.

Je m’intéresse à Lamartine non pour sa vie politique mais pour sa vie intérieure qui est religieuse. La politique l’a déçu mais il a conservé l’espoir religieux qu’il célèbre avec beauté. Si saint Martin a dit que la prière était la respiration de l’âme, pour Lamartine la poésie est la respiration de son âme. La poésie lui est un dialogue avec Dieu et j’ai retenu ce poème, écrit en 1846, pour vous convaincre.

La charité

Dieu dit un jour à son soleil :
« Toi par qui mon nom luit, toi que ma droite envoie
Porter à l’univers ma splendeur et ma joie,
Pour que l’immensité me loue à son réveil ;
De ces dons merveilleux que répand ta lumière,
De ces pas de géant que tu fais dans les cieux,
De ces rayons vivants que boit chaque paupière,
Lequel te rend, dis-moi, dans toute carrière,
Plus semblable à moi-même et plus grand à tes yeux ? »

Le soleil répondit, en se voilant la face :
« Ce n’est pas d’éclairer l’immensurable espace,
De faire étinceler des déserts,
De fondre du Liban la couronne de glace,
Ni de me contempler dans le miroir des mers,
Ni d’écumer de feu sur les vagues des airs ;
Mais c’est de me glisser aux fentes de la pierre
Du cachot où languit le captif dans sa tour,
Et, d’y sécher des pleurs au bord d’une paupière
Que réjouit dans l’ombre un seul rayon du jour ! »

« Bien ! Reprit Jéhovah ; c’est comme mon amour ! »
Ce que dit le rayon au Bienfaiteur suprême,
Moi, l’insecte chantant, je le dis à moi-même.
Ce qui donne à ma lyre un frisson de bonheur,
Ce n’est pas de frémir au vain souffle de gloire,
Ni de jeter au temps un nom pour sa mémoire,
Ni de monter au ciel dans un hymne vainqueur ;
Mais c’est de résonner, dans la nuit du mystère,
Pour l’âme sans écho d’un pauvre solitaire
Qui n’a qu’un son lointain pour tout bruit sur la terre,
Et d’y glisser ma voix par les fentes du cœur.

Notre poète n’est pas modeste quant à son rôle d’insecte chantant mais retenons que la poésie sacrée offre des rayons de lumière pour des âmes inquiètes. Rien que pour cela, elle est un bienfait réel de l’Esprit Saint, tout simplement.

Il est temps de conclure et c’est à un saint que je laisse les derniers mots :

Padre Pio (1887-1967 ) de l’italien

Ce religieux a reçu les stigmates. Il a été un grand thaumaturge et sa vie mériterait à elle seule une présentation. Padre Pio a subi le rejet de certains ecclésiastiques haut placés mais il a gardé cette humilité. Évidemment, en écoutant sa prière, je pense aussi à un autre grand mystique que j’ai connu, Maurice Zundel qui a subi aussi durant sa vie une forme de mépris de ses confrères mais pas tous, fort heureusement. Ses auditrices comme auditeurs, les moines et les moniales n’avaient nul besoin d’une autorité supérieure pour en mesurer tout la valeur spirituelle.

Sa prière du soir est d’une grande beauté et je vous la donne en cette fin de journée. Elle exprime sa confiance et son désir d’une rencontre permanente avec Dieu que rien ni personne ne doivent venir troubler.

Reste avec moi, Seigneur

Reste avec moi, Seigneur,
car il est nécessaire de T’avoir présent
pour ne pas t’oublier :
Tu sais avec quelle facilité je T’abandonne.

Reste avec moi, Seigneur,
parce que je sui faible :
j’ai besoin de Ta force pour ne pas tomber,
sans Toi, je suis sans ferveur.

Reste avec moi, Seigneur,
parce que Tu es ma lumière :
montre-moi Ta volonté pour que
j’entende Ta voix et Te suive.

Reste avec moi , Seigneur,
pour que je Te sois fidèle :
si pauvre que soit mon âme,
elle désire être pour toi
un lieu de consolation.

Reste avec moi, Seigneur,
parce qu’il se fait tard et que le jour décline :
la vie passe, l’éternité approche
et il est nécessaire de refaire mes forces
pour ne pas m’arrêter en chemin.

Reste avec moi, Seigneur,
parce que j’ai besoin de Toi
dans cette nuit de la vie et des dangers :
je ne demande pas les consolations divines,
parce que je les mérite pas,
mais le don de Ta Présence,
oh oui ! Je Te le demande Seigneur.

Reste avec moi
car c’est Toi seul que je cherche,
Ton amour, Ta grâce, Ton cœur, Ton esprit :
je T’aime et ne demande d’autre récompense
que de T’aimer davantage.

J’espère que ces gerbes poétiques ont pu vous plaire et je vous invite à voir deux nouveaux bouquets spirituels prochainement !

Antoine Schülé
La Tourette
antoine.schule@free.fr

1* Textes qui seront lus au public.
2Jury lors du jugement des morts.
3Une tête de crocodile mange le cœur du condamné.
4Des 10 commandements : Tu adoreras Dieu seul et Tu prononceras le nom de Dieu avec respect.
5Il s’agit du début d’une apparente plaidoirie mais le récitant honnête, se préparant à un moment où les actes de vie seront jugés, effectue en fait un examen de conscience en citant les turpitudes humaines les plus fréquentes.
610 : Tu respecteras ton père et ta mère.
710 : Tu ne tueras pas.
810 : idem
910 : Tu ne commettras pas d’adultère.
1010 : Tu ne voleras pas.
1110 : Tu ne mentiras pas.
1210 : Tu sanctifieras le Seigneur.
13Il faudrait traiter la question du mauvais usage de la liberté donnée par Dieu à l’homme.
14Car il n’est tragique que pour les personnes qui se sont détournées de Dieu.
15Le sommeil.
16Socrate : Connais-toi toi-même.

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