samedi 7 juillet 2018

Poésie sacrée (partie 3)



Poésie sacrée (III)

Antoine Schülé

La Tourette, mai 2018


Pour ce troisième volet de poésie sacrée, nous ne ferons pas un voyage dans le temps comme les deux fois précédentes. Nous resterons aujourd’hui dans le XXe siècle chrétien.

La poésie est l’expression d’une passion. Lorsque cette passion s’élève vers le divin, nous avons de la poésie sacrée qui peut être chrétienne ou d’un autre religion, voire d’un autre courant mystique, comme j’en ai donné divers exemples. Une prière, une louange, une oraison du cœur s’adressant aux dieux ou, mieux encore, à Dieu est de la poésie sacrée, c’est-à-dire un cri du cœur, pas obligatoirement en vers mais aussi en prose.

M’adressant à un public francophone, je ne vous ai pas transmis les textes dans leur langue d’origine mais toujours en français. Il s’agit d’une petite sélection parmi la multitude d’auteurs qui auraient pu être retenus. Je ne propose pas que de grands noms : il y a des poètes oubliés qui ne méritent pas l’oubli !
Pour commencer aujourd’hui, nous écouterons Rainer Maria Rilke qui a écrit aussi bien français qu’en allemand et en russe.

Rainer Maria Rilke (1875 - 29 12 1926)
ou l’histoire d’une âme

La nature révèle Dieu et les images qu’elle lui donne à observer et à contempler nourrissent sa poésie. Qu’est- ce une vie d’artiste selon lui ?

« Être artiste, c’est croître comme l’arbre qui ne presse pas sa sève,
qui résiste, confiant, aux grands vents du printemps,
sans craindre que l’été ne puisse pas venir. »

Toutefois avant de lui donner la parole, il est utile pour le comprendre de garder à l’esprit quelques aspects de sa vie intérieure. Sa mère, Phia Rilke, d’origine alsacienne, lui donne naissance à Prague. Catholique, elle privilégie des dévotions très démonstratives mais, en fait, sa spiritualité est superficielle : à un tel point, que son fils en a eu un certain dégoût.

Depuis l’âge de 10 ans, il a rêvé d’une carrière dans l’armée, comme son père. De 1886 à 1891, il suivra une formation militaire, en Autriche dans deux écoles de Cadets (Sankt Pölten et Weisskirchen). Toutefois, la vie de caserne heurte son âme de poète : il sent étouffer en lui ce qui constitue sa personnalité. Cependant, en 1921, alors qu’il s’était déjà souvent plaint de ces années de cette instruction à la dure, il leur reconnaît cependant un mérite : il a commencé là une conversion, par un retour vers l’intérieur et jusqu’au centre le plus intime de lui-même.

Pour des raisons de santé, il change d’ambition professionnelle et rentre dans une école de commerce à Prague. Là, il aime briller en société. Pour reprendre l’étude d’avoué de son oncle, il entreprend des études juridiques. Il écrit des œuvres qu’il distribue gratuitement. Il mène une vie mondaine dont il perçoit très vite le vide : celui du monde du paraître et non de l’être.

Finalement, pour s’évader de ce milieu, il choisit le nomadisme en pratiquant divers voyages : l’Italie où les œuvres d’art le marqueront profondément ; la France où il traduira des sonnets de Louise Labé, cette femme poète du XVIe s., en allemand et où il fera la connaissance de Rodin (au contact duquel Rilke prend conscience de sa volonté de peindre et de sculpter avec des mots) ; en Allemagne il séjournera à Munich et à Berlin ; la Russie où il y rencontrera Tolstoï et, apprenant le russe, il rédigera quelques poèmes en cette langue ; il choisit la Suisse, le canton du Valais à la fin de sa vie (après avoir rencontré Paul Valéry dont il a traduit des œuvres en allemand).
Pour se marier en 1901, il a abjuré le catholicisme. Cependant, il a une grande soif de spiritualité et c’est bien entendu cet aspect qui nous intéresse.

Au tournant du XIXe au XXe siècle, il a vécu dans un monde commençant à ignorer Dieu, tout en cultivant des pratiques sans en percevoir les sens profonds. Finalement, il a souffert d’une absence d’éducation religieuse véritable et d’une spiritualité vivante dans un milieu s’affirmant pourtant catholique. De la vie religieuse de sa mère, voici sa description au 15 avril 1904 : « J’ai le frisson quand je pense à sa piété distraite, à sa foi étroite, à toute cette défroque caricaturale et méconnaissable dont elle s’affublait, vide elle-même comme une robe ; fantomatique, effrayante. ». De son père, militaire, il est choqué de son catholicisme très formel, sans cœur. Ceci souligne toute l’importance d’une foi vécue par des parents qui peuvent ainsi évangéliser leur enfant par l’exemple qu’ils donnent. Notre Rainer a des représentations religieuses liées à l’effroi et à des sensations de contraintes. Alors comment va-t-il retrouver une spiritualité vivante ?

Tout commence par la beauté de l’art religieux. Rilke a un besoin de visualiser une scène, comme la Nativité. Ses amis peintres et les œuvres d’art l’y aideront. Son voyage en Italie lui ouvre le cœur devant des tableaux qui ont pour noms : Assomption de Marie, Annonce aux bergers, Mort de Marie. Oui, c’est par Marie qu’il redécouvre une forme de foi qui grandira avec le temps, avec des particularités qui lui sont très personnelles. La rencontre décisive avec Dieu se produit finalement lors de son voyage en Russie. Retenons que Boris Pasternak, l’auteur du Docteur Jivago connaissait de Rilke des poésies par cœur. Cette foi vivante de tout un peuple l’impressionne vivement. Son interrogation reste de savoir comment reconnaître la Présence de Dieu dans sa vie. Par contre, il ne s’intéresse pas à savoir qui est Dieu.

Sa spiritualité reprend vie avec des lectures régulières de la Bible ; il s’ouvre à la Présence de Dieu intérieur en lisant les Confessions de saint Augustin ; il lit L’imitation de la vie de Jésus-Christ et découvre la vie de saint François d’Assise écrite par Sabatier.

Mon but n’est pas de vous présenter tous les thèmes de son œuvre mais de vous inviter à découvrir trois de ses livres poétiques et spirituels : Le livre de la vie monastique, écrit en 1899 ; Le livre du pèlerinage, de 1901 ; Le livre de la pauvreté et de la mort, de 1903. Vous pouvez trouver l’édition de ces trois titres en seul volume intitulé : Le livre d’heures 1, avec le texte d’origine en allemand accompagné d’une traduction littéraire.

Rilke dispose d’un œil de peintre, amoureux de la terre, de la vie et de la nature. Il aimait la simplicité de vie pour mieux entendre en lui cette voix qui lui fit prononcer de si beaux chants. Il a écrit en français ces vers qui décrivent cet état d’esprit où le poète suit cette voix intérieure qu’il est dans l’obligation d’exprimer, qu’il ne peut pas garder pour lui seul  :

« Ce soir mon cœur fait chanter
des anges qui se souviennent…
Une voix presque mienne,
par trop de silence tentée,
monte et se décide
à ne plus revenir ;
tendre et intrépide,
à quoi va-t-elle s’unir ? »

Pour lui, Dieu ne se voit pas, Sa présence se révèle dans un souffle intérieur qui réchauffe :
« Pour trouver Dieu il faut être heureux
car ceux qui par détresse l’inventent
vont trop vite et cherchent trop peu
l’intimité de son absence ardente. »

Mais revenons au Livre d’heures. En quelques mots, je souhaite vous inciter à découvrir la quête de cette âme. Les questions qu’il faudrait se poser sont les suivantes : n’y a-t-il pas dans le mystère de l’âme, le mystère même du monde ? La connaissance du monde ne passe-t-elle pas par la connaissance de soi ? Rilke nous intéresse en raison de sa description des étapes de cheminement de son âme. Je vous donne ici la version française car le texte de Rilke est rédigé en allemand. Le texte est dense et mérite d’être lu et relu pour en percevoir toute la richesse spirituelle.

Le poète s’adresse à Dieu et souligne la nécessité du silence pour L’entendre et Lui parler :
« Qu’une seule fois naisse un silence total.
Que le fortuit, que l’approximation
et le rire d’autrui se taisent,
que le bruissement de mes sens
ne m’empêche plus de veiller ;

Dans une pensée multiforme,
je pourrais Te penser jusqu’à Tes bords2
et Te posséder (rien que le temps d’un sourire)
et T’offrir à toute existence
comme un remerciement. »3

Notre poète veut aller au-devant de Dieu comme un enfant qui répond à un appel du cœur et voici une sorte de profession de foi :

« Je crois à tout l’inexprimé.
Je veux libérer ma ferveur.
Ce que personne n’a risqué
me deviendra involontaire. »

Ce qu’exprime le poète n’est plus de sa volonté mais du souffle de l’Esprit
qui le libère et lui permet d’approcher l’indicible qu’est Dieu.
Cruelle question pour un poète : comment trouver des mots
pour approcher l’indicible ?

« Pardonne-moi, mon Dieu, si je suis téméraire.
Mais toutefois je veux Te dire :
Ma force la meilleure sera comme un instinct,
sans colère et sans crainte ;
ainsi les enfants t’aiment. »

La quête de Dieu vécue par Rilke n’est pas le fruit
d’une colère contre le monde ni d’une crainte de Dieu
mais un acte d’amour confiant
comme celui de l’enfant vis-à-vis de parents aimants.

« Avec le flux et cette bouche
dans l’ample bras au cœur de l’océan ouvert,
et le retour du flot multiplié,
je veux Te reconnaître et veux Te publier
comme personne ne le fit. »

Pour Rilke, Dieu n’est pas seulement une source d’eau vive,
Il est un océan qui ne le noie pas
mais qui, en mouvements continus de flux et reflux,
le baigne.
Rilke retrouve le baptême de l’Esprit !

« Si c’est orgueil, laisse-moi donc être orgueilleux
pour ma prière.
La voici grave et solitaire
devant Ton front que les nuages ceignent. »4

Rilke reprend librement le texte de Jérémie (9, 22-23)
et l’épître 1 de Paul aux Corinthiens (1, 30-31) 
que je cite:
« C’est par Lui que vous êtes dans le Christ Jésus,
qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu,
justice sanctification et délivrance
afin , comme dit l’Écriture que
celui qui s’enorgueillit,
s’enorgueillisse dans le Seigneur. »

Pour Marie, il a des vers que lui inspire une peinture de Michel-Ange5 :

« Alors vint celle qui s’éveillait pour son fruit,
la timide et belle dans sa crainte,
la Vierge visitée, la bien -aimée,
la fleurie, l’inexplorée,
en qui vont cent chemins.

Ils la laissaient aller et planer
et pousser avec la jeune année ;
Marie servait : sa vie
en devenait royale et merveilleuse.
Et comme avec splendeur le carillon des fêtes
cette vérité-là traversait les maisons ;
il est venu un jour où se vit incarné
son virginal abandon.
Elle, emplie de l’Unique !
Et comblée pour les multitudes !
Tout semblait l’éclairer
comme une vigne fructueuse. »6

Rilke a redécouvert Marie
grâce aux peintres.

Si Marie est ainsi la vigne, pour Rilke Dieu est un arbre. Je vous livre ce dernier extrait qui exprime la multiplicité des approches de Dieu qui est Unique7 :

« Avec une branche à nulle autre pareille,
Dieu devient l’arbre qui annonce l’été
par le frémissement de sa maturité,
dans un pays où les hommes aux aguets
partagent comme moi la même solitude.

Découvrir Dieu demande une attention
qu'il est impossible d'acquérir dans les bruits du monde.
La présence de Dieu se révèle dans la solitude
de celui qui Le cherche.

« Aux solitaires seuls, Il est manifesté
et, à maints solitaires du même genre, il est
davantage donné qu’à un seul dans son exiguïté.
Car à chacun un Dieu différent se révèle
jusqu’à ce que , au bord des larmes, ils reconnaissent
à travers des avis éloignés de cent lieues,
à travers leur savoir et leur négation,
que, dans cent existences révélé différent
un seul Dieu comme une vague va. »

Les diverses perceptions de Dieu dans nos vies
se rapportent au Dieu unique.
Voilà une strophe vraiment œcuménique.

« Voici la prière suprême
qu’alors se disent les voyants :
Dieu, la racine, a porté fruit,
allez au loin briser les cloches ;
nous arrivons aux jours tranquilles
où mûre enfin se lève l’heure.
Dieu, la racine, a porté fruit.
Soyez graves et voyez. »

L’heure où Dieu se révèle se fait sans bruit
et la prière ouvre la contemplation du Dieu qui se révèle.

Son œuvre est une réponse à l’immense vide spirituel de son temps : malheureusement, ce vide spirituel est toujours d’actualité. C’est pourquoi l’œuvre de Rilke peut être lue avec profit pour nourrir des âmes en quête de vérités. Chacun doit bâtir Dieu en lui. Et je conclus par un extrait de son poème écrit avant le Livre d’heures, A moi pour me fêter (Mir zu feier) :

« Tu ne dois pas attendre que Dieu vienne à toi,
en disant : « Je suis. »,
un Dieu qui avoue sa force.
Tu dois savoir que Dieu te traverse de Son Souffle
depuis les origines,
et quand ton cœur brûle sans rien trahir
c’est qu’Il est à l’œuvre. »

Le souffle de l’Esprit Saint a redonné vie et sens au poète qui poursuit sa quête de Dieu. Il a connu la nuit mais il y a découvert Dieu...

Henriette Meyrat

Avec cette femme poète, nous revenons dans le Jura franco-suisse. D’origine protestante, elle a publié en 1942, un recueil ayant pour titre : « L’espoir triomphant ». Elle a puisé son inspiration dans les textes bibliques : les Psaumes, le Cantique des cantiques ou encore des pages de l’Evangile.

Pour se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu alors que le monde est en guerre, son poème nous y invite de la façon suivante :

Une voix s’élève

Une voix domine, éclatante et grave,
la sourde rumeur d’un monde pervers,
du monde semblable à la pauvre épave,
vaisseau qu’a frappé le courroux des mers.

Une voix appelle. Ah ! Faisons silence…
Saisissons l’instant dans l’éternité,
pour rencontrer Dieu, Sa seule présence,
car Il nous conduit au port désiré.

Une voix s’élève, apaisant nos craintes ;
le cœur agité trouve son repos…
Quel chant triomphal remplace les plaintes,
quel accord soudain en brise l’écho ?

Cette voix s’emplit de force divine ;
elle monte encor : les cieux sont ouverts.
Nous suivons sa trace et tout s’illumine,
d’un bras protecteur nous sommes couverts.

Dans nos cœurs, voici la voix chante et vibre ;
Ne sommes-nous pas tous à l’unisson
pour louer ce Dieu qui nous créa libres,
accepter de Lui paix et guérison ?…

Pour offrir au monde, en cette heure brève,
l’amour conquérant, les espoirs certains,
tandis que Satan sourdement achève
son œuvre de mort parmi les humains !

Dieu offre Sa pleine sécurité et elle trouve ces mots pour nous le faire savoir :

Sécurité

« Sous les Bras éternels, il est une retraite. »
Deutéronome, 33, 27

Sous les Bras éternels il est une retraite,
un refuge assuré où le cœur trouve enfin
le repos dans la paix, loin du bruit de tempête
qui fait trembler le monde et trouble les humains.

Asile protecteur où l’âme se retire
pour rencontrer son Dieu et recevoir de Lui
la clarté qui fait vivre et le divin sourire…
Pour fuir aussi les coups cruels de l’ennemi.

Séjour réparateur offrant aux meurtrissures
du pèlerin lassé, parfaite guérison.
Lieu d’abondante grâce où notre cœur s’assure
dans le Seigneur de gloire et sa protection.

.

Nous choisissons ici notre éternel destin.
Tout passe, tout finit dans le monde où nous sommes,
ce qu’apporte aujourd’hui, l’avenir le consomme
et l’appel de Dieu même aura son lendemain.

« Sous mes Bras éternels, il est une retraite »
a murmuré la voix de notre Dieu Sauveur…
Des siècles ont passé et la foule inquiète
demande : « D’où viendra le grand Libérateur ? »

- Il est venu, son Bras couvre la terre et l’onde,
son amour protecteur nous visite en tous lieux.
Pourquoi chercher ailleurs la seule paix profonde
et le remède au mal et son règne odieux ?…

Voyageurs anxieux, regardez au Calvaire,
car pour vous accueillir il est resté debout.
Faites un pas… encore un pas dans la lumière,
Jésus-Christ est vivant, Sa Parole est pour vous.

Les Bras du Rédempteur, jadis dans l’agonie,
se sont ouverts à tous. Laissez-vous attirer.
O vous qui viendrez boire aux sources de la vie,
en Lui vous trouverez pleine sécurité.

Le symbole de la Camargue est une croix (foi), un cœur (charité) et une ancre (espérance). Aussi je ne pouvais pas manquer ces vers où notre poète trouve des accents sincères pour exprimer son espérance en Dieu :

« Tu m’as donné l’espérance »

Ps 119, 49
« Cette espérance, nous la possédons comme une ancre de l’âme. »
Hébreux 6, 19

Tu m’as donné l’espérance,
bien précieux pour mon cœur,
lumière dans la souffrance,
messagère au front vainqueur.

Tu m’as donné l’espérance
qui jamais ne confondra.
Oh ! Sublime connaissance :
ton amour ne finit pas.

Sur l’océan de la vie,
quand le flot est menaçant,
que notre espoir le défie
au nom du Seigneur puissant.

L’ancre de notre espérance
en pénétrant au Saint Lieu,
se fixe avec confiance
dans le cœur même de Dieu…

Tu m’as donné l’espérance,
repos et sécurité.
O Dieu fort, mon assurance,
c’est Toi pour l’éternité.

Il est des moments où je suis sidéré par les atteintes portées à la vérité par les media, les « bien-pensants » officiels, les politiques et parfois même par des membres du clergé . J’avoue que je souffre souvent d’en voir les ravages, dans l’indifférence ou, pire la lâcheté de la majorité des gens. Aussi, ce poème me donne la force de lutter contre les erreurs et les arrogances de leurs diffuseurs :

Un sûr abri

Lorsque tout tremble et tout s’agite,
Seigneur, tu donnes le repos.
C’est Toi le Rocher qui m’abrite
contre la tempête et ses flots.

Si la terre est bouleversée,
plein de cris et de clameurs,
c’est Toi la retraite assurée
où fuir le péril et la peur.

Le monde et sa trompeuse joie
m’environnent de toute part ;
Satan convoite en moi sa proie…
Mais Toi, Tu demeures ma part.

Quand l’erreur en son arrogance
combat la Sainte Vérité,
Tu m’accordes force et vaillance,
Seigneur, pour vaincre à Tes côtés !

Oui, je proclame ton triomphe !…
Ton règne de justice et de paix
bientôt chassera le mensonge.
Toi, Tu régneras à jamais.

Nous avons célébré, il y a peu de temps, l’Ascension. C’est l’occasion pour notre poète d’offrir une profession de foi qui mérite l’écoute :

Il reviendra

Ascension

Triomphant, couronné de splendeur et de gloire,
à la droite de Dieu Jésus-Christ est monté.
Pour l’Homme de douleur, c’est la pleine victoire :
Il a vaincu la mort par l’immortalité.
Un jour Il reviendra. La promesse est certaine :
Ceux qui L’ont outragé verront Sa majesté,
et tous éprouveront Sa force souveraine.
Lui-même conduira Son peuple racheté.

Encore un peu de temps, Jésus-Christ va paraître
irradié d’éclat, revêtu de beauté,
Celui que la Parole un jour nous fit connaître,
dont le règne s’étend jusqu’en éternité.

D’un ciel à l’autre, sur la terre et sur l’onde,
et dans les lieux cachés que nul œil ne sonda,
Sa présence sera la lumière féconde,
et Sa voix irritée aux moqueurs répondra.

Gardant dans notre cœur l’espérance bénie,
ne nous attardons pas à regarder au ciel.
Le monde nous attend, le monde en agonie ;
quelque âme appelle en vain dans son danger mortel.

Portons-lui sans délai l’espoir, la délivrance
par le nom de Jésus notre puissant Sauveur…
Le ciel est attentif à toutes les souffrances,
le ciel d’où reviendra le grand Libérateur.

Pour cette simple prière, notre poète a droit notre estime :

Prière

Ceux qui souffrent, ceux qui prient,
Dieu puissant, protège-les,
accorde Ta paix, Ta vie,
Ta réponse aux cœurs troublés.

Les combattants dans l’arène
du monde, au nom de la foi,
par Ta grâce souveraine,
viens les couvrir de Tes droits.

Rends forts ceux qui sont en butte
aux durs assauts des moqueurs ;
qu’ils triomphent dans la lutte,
comme un peuple de vainqueurs.

Ceux qui travaillent dans l’ombre,
courbés sous un dur labeur
- Toi seul en connaît le nombre -
interviens pour eux, Seigneur.

Ceux qui bravent la tempête
pour accomplir un devoir,
que Ta main forte leur prête
le secours de son pouvoir.

Ceux qui gouvernent les peuples
et qui seront devant Toi,
tous jugés selon leurs œuvres,
parle-leur en Roi des rois.

Que partout sur cette terre
Ta voix domine le bruit.
Ta parole salutaire,
fais-la régner aujourd’hui !

Oui, il y a des mots, soufflés par l’Esprit, qui donnent des forces à l’âme !

L. Mercier

Est-ce un homme ou une femme ? Je crois que c’est une femme selon plusieurs indices apparaissant dans ses poèmes. Est-ce une personne chrétienne ou déçue par le christianisme vécu autour d’elle ? Je ne le sais pas, c’est probable. Par contre, son recueil de poèmes intitulé « Les chemins de l’espace » est intéressant à plus d’un titre.

Je vous avais signalé dans notre première rencontre les relations textuelles qu’il y avait entre les Psaumes et certaines prières égyptiennes. Notre poète communique ce souffle de la tradition égyptienne d’une façon originale : est-ce peut-être une lecture chrétienne de cette spiritualité ? Il importe assez peu d’en savoir plus et prêtons attention à ses mots :

Réponse

La vie, c’est l’éternelle flamme.
Rien n’est changé hormis ton cœur.
Que la frayeur quitte ton âme.
Du tombeau, le Ciel est vainqueur.

Ne crains point la nuit et les ombres.
L’Invisible veille sur toi.
La mort n’est qu’un passage sombre.
Tout continue dans l’Au-delà.

Qu’en toi vienne l’apaisement.
Regarde le Ciel qui se dore.
La mort n’est pas l’achèvement,
mais bien une nouvelle aurore.

Nous vivons dans ce couloir franco-suisse rhodanien. Et notre auteur fait parler le Rhône dont les flots murmurent bien des vérités qu’il est bon d’entendre. Ouvrez vos oreilles :

Les échos du Rhône

Tandis que bruissaient les roseaux,
j’ai demandé, penchée sur l’eau :
Où vont les chemins de l’espace ?
Le fleuve m’a répondu : passe.

Regardant les reflets changeants
des flots berceurs moirés d’argent :
Est-ce qu’ici-bas tout s’achève ?
Le beau fleuve a murmuré : rêve.

Des questions m’obsèdent pourtant ;
Qui peut durer plus que le temps
en éclairant comme une flamme ?
Et le Rhône a proclamé : l’âme.

Interrogeant de nouveau l’onde :
de tous les fléaux de ce monde
quel est le pire ? Dis encor
mais le fleuve a soupiré : l’or.

Alors j’ai imploré plus bas :
si dans la vie et ses combats
le courage nous abandonne ?
La voix du fleuve a repris : donne.

Dans le silence et la clarté
plein d’émoi j’ai demandé :
Dis-moi quelle est la loi suprême ?
Le Rhône a chanté joyeux : aime.

Cependant si l’effroi m’oppresse,
quel seul recours dans la détresse
au jour du solennel adieu ?
Le grand fleuve a répondu : Dieu.

J’avoue qu’à la lecture de ce poème, je voudrais être un musicien pour le faire chanter haut et fort !

Alphonse Mex

Mon père, très impliqué en faveur de la défense de la poésie en Suisse romande, a souvent correspondu avec cet auteur qui s’interrogeait sur son temps avec une lucidité qui transparaît dans ce poème et qui justifie la nécessité de retrouver une vie spirituelle dans un monde devenu purement technique, où l’homme se robotise au lieu de s’humaniser :

Primum vivere 8

Pourquoi le désespoir ou le regret stérile,
la peur de l’avenir, le remord inutile
qui sont comme des vers
et rongent les vivants cadavres que nous sommes,
toujours insatisfaits de n’être que des hommes
perdu dans l’univers ?

Puisque en vertu de la satanique promesse
nous sommes devenus,- primauté de l’espèce, -
semblables à des dieux,
que nous avons conquis et l’espace et l’atome,
ne possédons-nus les clés de ce royaume,
« Le royaume des Cieux ? »

Un fils de l’homme est né : le corps électronique ;
c’est l’esclave parfait, le double, l’identique,
l’enfant du siècle d’or :
une âme de robot dans un cœur de ferraille,
un être aveugle et sourd mais un cerveau sans faille
et du meilleur rapport.

Ah ! Certes, le temps n’est plus à la fantaisie ;
partout le rendement exclut la poésie,
il faut vivre d’abord.
L’individu fait place à l’homme de série
car il faut aller vite, adieu la rêverie,
la vie est un record.

Un record, cette vie, en victoire et défaite ;
à l’image du jour, il semble qu’elle est faite :
victoire sur la nuit
lorsque la prime aurore est couleur d’espérance ;
mais quand l’ombre descend au pays du silence
la défaite la suit.

Le royaume des cieux, réalité tangible,
jette une ombre de plus sur le monde invisible
que nous avons rêvé ;
peut-être eût-il fallu redescendre en nous-mêmes
afin de l’y chercher en dehors des systèmes
et nous l’aurions trouvé !

N’est-ce pas toujours d’actualité ?

Cet auteur est très pudique quant à l’expression de sa foi, sauf dans un poème, paru aussi dans son recueil « La voix du silence » et que je livre à votre attention :

La foi

Croyez, dit l’Evangile, et vous serez sauvés
du péché, de la mort, car la vie éternelle
est le fruit de la foi, certitude formelle
que vous ne serez point parmi les réprouvés.

Mystère de toujours, songes inachevés !
Dans l’étroite cellule où ta raison chancelle,
n’aurais-tu pas caché cette unique étincelle
dont le monde et toi-même sont les dérivés ?

Croire, les yeux fermés, et contre l’évidence,
à la survie, enfin, comme à la renaissance,
à la durée au bord du gouffre menaçant,

N’est-ce pas redonner une force nouvelle,
une charge durable à ce noyau pensant
pris dans le tourbillon de la vague charnelle ?


Jacqueline Ebener

Mon père lui a permis d’être éditée et de se faire connaître en Valais tout spécialement. Elle a versifié sur les nombreux temps forts de la vie de l’Église. La limpidité de son expression touche l’âme et le cœur. Avec fraîcheur et simplicité, elle a exprimé sa Foi et je vous partage quelques vers de son recueil « Les automnales » :

Pourquoi ?

Savez-vous pourquoi violette
Cache son parfum dans les bois ?
Pourquoi la blanche pâquerette
Joue à la sibylle parfois ?
Savez-vous pourquoi l’églantine
enchante l’ombre des forêts ?
Pourquoi la rose a des épines ?
Pourquoi le lys est discret ?
Savez-vous pourquoi la bluette
vit si près du coquelicot ?
Et pourquoi la grise alouette
Hante les prés où meut l’écho ?
Savez-vous pourquoi l’épi vide
lève, orgueilleux , sa nullité ?
Et pourquoi mon esprit avide
Croit que tout est réalité ?
Savez-vous pourquoi le silence
Aime les sentiers d’infini ?
Pourquoi le poids de la balance
seul rend nos actes définis ?
Savez-vous pourquoi le trouvère
accorde sa lyre à son chant ?
Pourquoi la douce primevère
Sème son or dans certains champs ?
Savez-vous pourquoi sur la terre
L’amour, un jour, est descendu ?
Pourquoi la vie est un mystère ?
Pourquoi le ciel nous est rendu ?
Savez-vous pourquoi la conscience
Rythme la marche de nos cœurs ?
Pourquoi, parmi toutes les sciences,
Savoir Dieu livre le bonheur ?

Elle a su partir cette innocence de l’enfance qui, découvrant ses facultés de raisonnement, s’interroge avec tous ses « Pourquoi ? » pour graduellement nous amener à la question essentielle qui nous fait adulte dans la foi.

Henri Boulad

Pour conclure, je vous fais entendre des prières-poésies de ce prêtre jésuite 9, né à Alexandrie. Il a la particularité d’être à la fois un homme de prière 10 et d’action : le public cultive souvent l’idée fausse qu’un mystique vit dans un autre monde, sans agir. Son engagement, dans l’organisation catholique de solidarité et d’action sociale qu’est Caritas, est une belle démonstration de cette foi qui peut soulever des montagnes. Pour mieux le connaître, le plus simple est de lui laisser la parole.

Auteur de nombreuses conférences, il les conclut souvent par des méditations ayant un grand souffle poétique qui invite le lecteur, l’auditeur à le suivre pour prendre conscience de la présence de Dieu dans nos vies : cette présence que percevait déjà Rainer Maria Rilke que je vous ai présenté au début de cette communication. Je souligne que chez ces deux auteurs, il y a des similitudes de perception de Dieu qui pourraient être facilement démontrées mais ceci n’est pas l’objet de cette présentation.

Tout chrétien a une responsabilité en matière d’évangélisation et, avant de vous lire sa méditation : Tu as mes mains, tu as mes yeux, je tiens à vous faire connaître cet extrait :

« L’évangélisation n’atteindra son but, que si le message annoncé touche le cœur des gens, éclaire leur vie, leur apporte la joie véritable. Il faut impérativement trouver un nouveau langage, qui parle à l’homme d’aujourd’hui. C’est ce que je tente modestement de faire à travers mes conférences et mes ouvrages : traduire le message de Jésus dans un langage simple, accessible, vivant, existentiel. Tel est le défi de l’Église à notre époque : ou bien elle saura inventer un nouveau langage, ou bien elle mourra de sa belle mort.
Si Dieu s’est fait homme, c’est pour sanctifier le monde, la chair, la matière ; c’est pour sacraliser la vie, l’amour, la rencontre. Le Dieu de l’incarnation est le Dieu du pain et du vin, le Dieu du quotidien. Les sacrements ne sont rien d’autre que le prolongement de l’incarnation. En Jésus, Verbe fait chair, le monde est assumé, sanctifié divinisé. Toute réalité devient ainsi « sacrement »11. » 12

Tu as mes mains, tu as mes yeux

Seigneur, Tu n’es plus parmi nous-mêmes
avec Ton corps de chair et de sang,
mais tu veux que je sois Ta présence
pour mes frères et sœurs d’aujourd’hui.

Tu n’as plus de mains, mais Tu as mes mains,
pour porter secours au malade,
caresser le visage du vieillard.
Tu n’as plus tes yeux, mais Tu as mes yeux,
pour regarder celui que personne ne voit,
lui faire sentir qu’il existe.
Tu as ma bouche et mon sourire,
pour réveiller le goût de vivre
chez tous ceux qui l’ont perdu.

Chacun de mes actes, Seigneur,
peut devenir un sacrement,
si c’est Ton Esprit qui l’inspire,
si c’est Ta Présence qui l’anime.

Donne-moi de découvrir
la dimension divine et sacrée
de ma vie, de mes rencontres, de mes activités,
pour qu’elles acquièrent un sens ultime,
un goût d’éternité.

Que mon action soit Ton action,
mon engagement, Ton engagement.
Donne-moi, par-dessus tout, la force d’aimer,
toujours mieux, toujours davantage.

Amen.

Ainsi tout chrétien prend conscience qu’il peut donner soit un témoignage - ce qui est à souhaiter pour tous -, soit un contre-témoignage - ce qui est parfois malheureusement le cas et une cause de souffrance pour tous - de ce Dieu, présent au cœur de chacun.

Plus loin, dans le même ouvrage, il y a des pages extraordinaires sur ce regard de Dieu qui façonne l’homme. Les circonstances qui ont amené le Père Boulad à rédiger son poème méritent d’être mentionnées.

Il se trouvait dans un monastère copte du IVe s., à Wadi Natroum, un oasis entre le Caire et Alexandrie. Dans le sanctuaire de ce centre monastique, il y avait abondance de veilleuses, ce qui est normal, et d’œufs d’autruche, ce qui doit surprendre. D’où la question du Père Boulad et sa réponse qui lui inspirera le poème qui suit celle-ci :
« On dit que lorsque l’autruche pond un œuf, elle le contemple longuement jusqu’à ce qu’il éclose. Son regard d’amour posé sur l’œuf permet au petit de jaillir dans l’existence. C’est ainsi que Dieu nous regarde. »13 La leçon en est merveilleuse : En nous contemplant avec amour, Dieu nous permet d’éclore. En nous regardant avec tendresse, il fait éclater notre coquille. Son regard aimant nous révèle à nous-mêmes, nous éveille à la vie, nous fait grandir14.

Si Tu n’existais pas

Si Tu n’existais pas,
dis-moi par qui j’existerais,
moi qui n’existe que par Toi…

Je n’avais pas de nom,
de corps, ni de visage,
ni de place dans aucun cœur,
et je n’étais rien pour personne.

Un jour Tu as pensé à moi
et j’ai commencé d’être,
Tu as prononcé mon nom
et j’ai jailli dans l’existence.

Dans la nuit de Ton Éternité,
Tu as prononcé ce nom qui est à moi,
ce nom secret, unique et ineffable,
que nul autre moi ne possède,
que nul autre que Toi ne connaît.

Ce nom qui est premier et qui sera dernier,
par lequel j’ai surgi à mon premier enfantement
par lequel je resurgirai
à ma deuxième naissance,
lorsqu’il me sera révélé
sur le tout petit caillou blanc.

Un jour Tu as pensé à moi,
et Ta pensée a pris un corps,
et Ta pensée s’est faite chair,
et s’est faite sang, et elle s’est faite vie,
mon corps ma chair, mon sang, ma vie.

Et chacun de mes membres,
et ces deux jambes, et ces deux pieds,
pour la marche et la course et la fête et la danse,
et ces deux bras et ces deux mains,
pour le travail et pour l’effort
et pour l’étreinte et pour l’offrande.

Ce ventre et ces entrailles,
pour transformer en moi la substance du monde.
Et l’organe secret pour transmettre la vie
et goûter le bonheur d’aimer et de donner.
Et la peau toute blanche,
pour la caresse et pour l’amour.

Un jour Tu T’es penché sur moi
qui n’étais pas encore.
Tu as plongé la main dans la terre et la boue
et dans le limon noir et dans la glaise rouge.
Et Tu m’as façonné et Tu m’as inventé,
et Tu m’as fait jaillir de la nuit de ce monde,
du ventre de la terre et de Ton cœur de Mère.

Tu m’as longuement pensé au long des nuits,
Tu m’as lentement pétri au long des jours.
Tu m’as éternellement mûri dans Ton Cœur
et enfanté au long des siècles
avant de me faire jaillir de la terre.
Tu as rêvé et conçu mon visage
avant même qu’il n’apparaisse.
Tu as rêvé mes yeux, Tu as rêvé mes joues
et ces cheveux tout fous
dont pas un seul ne tombe
sans un ordre de Toi.

Tu as fait cette bouche
et ces dents et ces lèvres
pour le baiser et le sourire
et le repas qui refait l’homme,
qui rassemble et qui réunit.
Ces lèvres lourdes de désir
pour boire à la source des choses,
et ce gosier et ce palais
pour goûter combien Tu es bon.

Tu T’es penché sur moi et Tu m’as fait un corps.
Tu T’es penché sur moi, tu m’as fait un visage.
Tu T’es penché sur moi au tout premier matin,
à la première aurore, dans le premier jardin.
Tu m’as pris dans Tes bras, tout contre Ton visage,
et bouche contre bouche Tu m’as donné Ta vie.

Ton souffle et Ton haleine
ont passé dans mon être
et dans mes membres et dans mes veines,
et mon corps a frémi, ma chair a tressailli
mes yeux se sont ouverts et j’ai vu Ton visage
et j’ai vu Ton regard, et j’ai vu Ton sourire
et j’ai réalisé que Tu étais ma vie,
que Tu étais mon tout,
que Tu étais mon Dieu.

Si Tu n’existais pas,
dis-moi comment j’existerais
moi qui n’existe que par Toi,
par Ton étreinte et Ton baiser
et par Ton souffle et par Ta vie.

Un jour Tu as pensé à moi,
alors que je n’existais pas.
Tu m’as donné un nom,
un corps et un visage,
semblable à Toi Tu m’as créé,
capable de comprendre, capable d’aimer.

De Ta substance et de Ta vie,
de Ton être Tu m’as enfanté.
Comme une mère Tu m’as porté
et engendré et mis au monde.

Je suis de Toi, je suis par Toi.
Si Tu n’existais pas
dis-moi comment j’existerais ?...

Comme le fruit à l’arbre, je suis pendu à Toi.
Au-dessus du néant, je suis pendu à Toi.
Au-dessus de la nuit et du vide éternelle
je suis pendu à Toi.

Comme le tout-petit rattaché à sa mère
par le cordon de la vie sans lequel il n’est rien,
je suis lié à Toi, suspendu à Ta Vie
qui me traverse à chaque instant.

Comme le tout-petit collé à la mamelle
tête amoureusement le lait de sa maman,
ma bouche est suspendue à Ton Sein maternel,
Toi qui à chaque instant me refait exister.

Comme le tout-petit blotti contre sa mère
s’abandonne endormi au cœur de la cohue,
de la tempête et de la nuit,
je m’abandonne à Toi, je me blottis en Toi,
la tête contre Ton épaule.

Si Tu n’existais pas, mon Amour, ma Vie,
dis-moi par qui j’existerais,
dis-moi comment j’existerais,
dis-moi pourquoi j’existerais,
dis-moi pour qui j’existerais ?…

Aussi de même que nous naissons du regard de Dieu, le regard que nous portons sur l’autre peut faire renaître celui-ci. Le Père Boulad le précise :
« Je puis éveiller en l’autre ce qui sommeille en lui et le faire advenir. L’amour est créateur ! En aimant comme Dieu aime, je deviens créateur avec Lui : je fais jaillir un être à l’existence. ».

Et, pour les mots de la fin, il s’agit de ne pas oublier que Jésus a besoin de chacun d’entre nous :

En attente

Jésus, Tu n’as jamais fini de naître,
Tu n’as jamais fini de Te révéler.
Tant que chaque être humain
ne sera pas pleinement humain,
tant que chaque homme
n’aura pas atteint sa pleine stature d’homme,
Tu seras en gestation et en enfantement.

Ta naissance à Bethléem n’était qu’un début,
un aurore.
Elle se poursuit et s’accomplit jour après jour
dans l’humanité
en attente de sa propre révélation,
qui sera aussi la tienne.

Comme Tu as eu besoin de Marie
pour prendre chair en ce monde,
Tu as besoin de nous aujourd’hui
pour naître à nouveau.
Et puisque Ton Église se reconnaît
en Celle qui T’enfanta jadis,
donne-nous de T’enfanter aujourd’hui
en disant oui avec Elle.

Aussi frêle et fragile que Tu l’étais à Bethléem,
Tu Te trouves aujourd’hui désarmé,
impuissant, seul et abandonné
face à l’injustice, à l’oppression, à la méchanceté
d’un monde dur et corrompu.

Donne-moi d’écouter Ton cri
dans tous les hommes qui appellent,
donne-moi de répondre à ce cri,
de venir à Ton secours.
Merci Seigneur, d’avoir besoin de moi !
Merci de compter sur moi !

Et c’est ainsi que s’achèvent nos trois voyages dans le monde de la poésie sacrée. Si vous voulez en entreprendre d’autres, faites-le moi savoir… Il y a un univers encore à découvrir !

1Rainer Maria Rilke (éd. bilingue, trad. De Frédéric Kiesel et de Gaston Compère): Le livre d’heures. Le Cri. Bruxelles. 1993. 264 p.
2La vie terrestre ne permet qu’une approche et seule la deuxième naissance à Dieu permet de franchir ce bord, cette mince paroi terrestre qui nous sépare encore de Lui.
3Idem, p. 23
4Idem, p. 29
5De nombreux vers de Rilke sont avec les mots des reproductions pleines de vie de peintures vues : nous pourrions illustrer Rilke avec les plus grands noms de la peinture ou de la scupture.
6Idem, p. 55
7Vous retrouverez cette image de Dieu et l’arbre chez Henri Boulad que nous entendrons à la fin de cette communication.
8D’abord vivre, en latin.
9Au souffle zundélien bien souvent.
10Sur YouTube, vous pouvez écouter ses homélies qui sont d’une belle densité.
11Avec des guillemets car ils sont en plus des sacrements de l’Église et tels qu’Elle les formule.
12Henri Boulad : Changer le monde. Expérience mystique et engagement. Ed. Saint-Augustin. St Maurice. 2004. 248 p.. P. 28
13Idem, p. 44
14Sortir de notre « moi » biologique comme le dit Maurice Zundel.