lundi 19 novembre 2018

"Quel Dieu ? Quelle Eglise ? " deux réponses avec Maurice Zundel


Quel Dieu ? Quelle Église ?

à l’écoute de Maurice Zundel.

Antoine Schülé

La Tourette, mars 2012


Plan de cette présentation :
Intention
Brève biographie de Maurice Zundel
Quel Dieu ?
Quelle Église ?
Conséquences et « conclusion » !

Intention

De pouvoir partager avec vous les réflexions de Maurice Zundel sur des questions fondamentales de la Foi est pour moi une double joie : faire connaître la pensée d’un théologien, premièrement, et de celui qui a été et demeure mon compagnon spirituel, deuxièmement.

Lors d’autres présentations, j’avais souligné l’importance qu’accorde Zundel au fait de découvrir la présence de Dieu à l’intérieur de nous-même et des autres : chacune et chacun devant devenir un vivant reflet de Dieu, être non pas un verre opaque mais tel un vitrail qui laisse filtrer la lumière de Dieu, avec toutes les nuances et diversités propres aux couleurs du vitrail !

Deux questions sont étroitement liées : Quel Dieu ? Quelle Église ? Ce titre peut paraître provocateur mais finalement une vision fausse de Dieu conduit à une perception erronée de l’Eglise, de même qu’une connaissance imparfaite de l’Eglise provoque un rejet de Dieu. Ces deux questions intéressent aussi bien les croyants que les non croyants : car, et cela vous surprendra peut-être, des croyants, de bonne foi, peuvent diffuser de fausses images de Dieu qui expliquent, du moins partiellement parfois, le refus de Dieu des non croyants (dans la mesure où ils ont eu des témoignages de « croyants »). Il est donc nécessaire de se donner un temps de réflexion sur ces deux questions, tout particulièrement en cette période de mise en doute de la Foi. Je ne donnerai que quelques considérations pouvant éveiller en vous des réflexions diverses, voire des questions plus développées, et je ne prétends pas épuiser le sujet en quelques minutes.

Mes propos seront le plus simple possible et ne nécessitent pas de grandes notions théologiques. Le plus souvent, je me contenterai de donner la parole à Maurice Zundel. Parfois, je vous signalerai le fait que je vous propose une lecture qui m’est plus personnelle : ceci par honnêteté intellectuelle.

Zundel aime nourrir la réflexion de son auditeur ou lecteur, non pour donner des réponses péremptoires, mais pour que chacune et chacun puisse se former, en toute liberté, sa propre opinion en confrontant ce que disent les uns et les autres : la seule référence qui prédomine étant les Évangiles. Cela passe, bien souvent, par cette étape décisive qui est celle de se poser les bonnes questions, chacun devant trouver ses réponses, à la lumière du Nouveau Testament, des Évangiles principalement.

Maurice Zundel (1897-1975) : brève biographie

Il est né au monde le 21 janvier 1897 et sa naissance à Dieu s’est accomplie le 10 août 1975.

Maurice Zundel est un prêtre suisse, original et plus connu après sa mort que de son vivant. Sa culture littéraire est grande : il aime citer des auteurs anglais, français et allemands qui se sont interrogés sur la dignité humaine (valeur qu’aimait à souligner Jean XXIII dans ses écrits) et sur le sens à donner à une vie pleinement humaine.

Il est aussi un philosophe comme le démontre sa profonde connaissance de tous les courants de pensée qui ont influencé son temps : Camus, Sartre, Nietzsche entre autres. Il ne partage pas leurs conclusions, bien sûr, mais il comprend les démarches intellectuelles qui les conduisent dans des impasses, vers le Néant, voire encore vers une déshumanisation de l’humanité. Oui, comprendre ne signifie pas à approuver !

Il est un théologien et sa particularité est de récuser le thomisme, enseigné froidement comme une sorte de machine doctrinale, mais il est un admirateur des écrits de saint Thomas d’Aquin.

Il est surtout un mystique réaliste et non sous une forme éthérée et absconse. Pour Zundel, l’Eglise est le Corps mystique du Christ dont chacun(e) de ses membres, selon les dons reçus, devrait laisser transparaître Dieu comme un vitrail, la lumière.
Il a commencé à être connu du grand public à partir du moment où il fut invité par le pape Paul VI, en 1972 (soit 3 ans avant sa naissance à Dieu) à prêcher la retraite au Vatican, publiée dans le livre ayant pour titre : « Quel homme et quel Dieu ? ». Sa pensée est construite, vécue selon sa lecture des Évangiles et des Pères de l’Eglise.

Qu’elle est sa particularité ? Zundel développe une théologie de l’incarnation s’inspirant de la pensée des Pères de l’Église : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vie de Dieu » (saint Irénée). Alliant une relation vivante avec Dieu et une connaissance de l’art, de la science et de la société, la pensée théologique de Zundel propose une réflexion sur la vocation de l’homme qui prend conscience de sa liberté intérieure et de l’emploi que l’homme fait de cette liberté.

L’homme ne peut exister que dans la mesure où il ne reste pas enfermé dans des déterminismes, pouvant être culturels, sociaux, familiaux, etc., et que dans la mesure où il consent à s’accomplir à l’écoute de cette Voix intérieure qui rend possible sa relation à Dieu, au cœur de son activité humaine. Ainsi, Zundel donne une définition mystique de l’homme à partir du Nouveau Testament : grâce à la Parole de Dieu qui libère à partir du moment où l’homme, sur les pas du Christ, ne colle plus à soi mais se donne aux autres.

La lecture de Zundel permet de relire avec profit le Nouveau Testament (et l’Ancien Testament en fonction de ce que révèle le Nouveau Testament, et non l’inverse1). Il traite de tous les grands problèmes de la Foi. Pour des personnes voulant redécouvrir leur Baptême ou pour le catéchisme des adultes, il est un précieux compagnon spirituel sur le chemin de la Foi.

Son art réside dans sa façon subtile à faire que chacun(e) trouve les réponses au regard de la Foi chrétienne, par lui-même, en se mettant à l’écoute de la Parole de Dieu dans le silence de son cœur et en restant capable d’émerveillement devant les créations de Dieu. L’homme est une création de Dieu appelée à retourner à Dieu lors de cette naissance qu’est la mort qui n’est pas une fin mais un commencement : notre résurrection commence dès que nous vivons notre Foi, c’est ainsi que commence l’éternité dans l’Amour de Dieu. Voilà déjà tout un programme de vivant !

L’enfer existe : c’est le refus de l’Amour de Dieu, de sa Miséricorde qui est offerte à tout homme à partir du moment qu’il se convertit, c’est-à-dire qu’il se tourne vers Dieu. Pensez au bon larron, pensez à la femme adultère ou à l’enfant prodigue. L’enfer, c’est le refus d’aimer son prochain, de s’engager pour la dignité de l’homme, c’est le refus d’un Dieu qui peut s’incarner dans l’homme dans la mesure où cet homme y consent car grande est la liberté de la Foi et grande, aussi, la responsabilité de La transmettre afin que tout homme puisse faire véritablement son choix !

L’enfer, nous l’avons tous connu en un moment ou l’autre de notre vie soit en le subissant, soit - malheureusement - en le faisant subir à d’autres, nos prochains : jalousie, envie, convoitise, orgueil, fausses certitudes pénalisantes et tout cela se résume à un refus d’amour de son prochain ! Il convient de discerner le vrai pour défendre la vérité dans et hors l’Église : un exigence qui autorise ni lâcheté, ni silence. Les martyrs de la Foi l’on démontré.

Zundel en confession n’aimait pas l’étalage des fautes : il gardait le silence face à ce qui était une prise de conscience de la personne qui exprimait par des mots sa demande de réconciliation avec Dieu. Je vous livre un témoignage vécu où il m’invitait à me présenter devant le Tabernacle pour suivre son conseil : « Fais le silence en toi ; ouvre ton cœur et écoute-Le et fais ce qu’Il te dit de faire. ». De cette pratique, il survient des changements dans une vie : c’est une façon d’enterrer le vieil homme pour devenir cet homme neuf. Cette formule -enterrer le vieil homme - peut choquer mais il y a une grande vérité : chaque jour, nous mourrons un peu de l’homme ancien. Nous avons tous été un bébé, un enfant, un adolescent, une personne d’âge mûre pour devenir ce que la vie a fait de nous et, quant à quelques-uns, pour ce qu’il voulait faire de leur vie ! Chaque renoncement est un peu la mort de quelque chose pour faire naître autre chose. Pour que cela s’accomplisse, laissons parler les Évangiles en soi. Il faut le silence, être à l’écoute : Dieu demande à nous rencontrer à tout instant et il suffit de le vouloir et de le reconnaître pour qu’Il demeure en nous ! Notre cœur devient ainsi son tabernacle ! Quelle exigence, quelle mission : il faut bien une vie pour y arriver.

Quel Dieu ?

Actuellement, l’Europe vit une grave crise spirituelle, en plus des diverses crises financières, économiques, sociales et politiques. Nous vivons des temps, et ce propos n’engage que moi, où toute révolution est possible, même dans nos pays dit démocratiques. Ceci nous conduirait vers des réflexions géopolitiques où trop souvent la spiritualité est occultée : cette force qui a pourtant permis, par exemple et entre autre autres, aux peuples soumis à la dictature soviétique de conserver leur force morale et de survivre à bien des persécutions que nos mémoires occidentales ont une tendance bien troublante à oublier. Je m’arrête donc là.
Pourquoi vivons-nous une crise spirituelle ?
Dieu est devenu pour une grande majorité de personnes, dans les pays occidentaux, un mythe, une légende à reléguer au musée des Antiquités. Pourquoi ce refus de Dieu ? Pourquoi cet athéisme moderne ? Cette question sera envisagée sous deux aspects, celui du croyant et celui se déclarant athée. Je souligne le fait que l’athéisme est aussi une croyance !

Dieu vu à travers les croyants

Sans vouloir culpabiliser qui que ce soit, Zundel établit un constat qui doit nous laisser réfléchir, je le cite :
« Dès qu’on parle de Dieu, sans Le vivre, on Le trahit, on en fait une idole, un mythe absurde et abjecte, on en fait une limite et une menace, et on devient athée ! »2.
Des Pères de l’Eglise ont souvent écrit : plutôt que de parler de Dieu, gardons le silence. Oui, Dieu est indicible et il faut le silence pour découvrir sa Présence, en soi et dans les autres. Je devrais donc m’arrêter de parler et vous laisser dans un grand silence ! Cependant, je ne le ferai pas car votre silence risquerait d’être envahi par ces faux bruits sur Dieu qui circulent. Il convient de les identifier pour laisser parler Dieu en soi dans ce silence qui révèle sa Présence et non pour être une caisse de résonance passive de messages mal compris.

Dans les années 60, Zundel écrivait ce qui est encore vrai en notre temps :
« Le plus grand danger aujourd’hui, c’est l’absence de vie mystique, l’absence d’union avec Dieu, l’absence d’une expérience authentique de Dieu, chez ceux qui en parlent.»3.
Pour se faire connaître, Dieu a besoin du libre consentement de chacune et chacun d’entre nous et c’est dans ce sens là que l’Eglise prend tout son sens :
« Aujourd’hui plus que jamais Dieu peut être le rassemblement de tous les hommes, la guérison de toutes leurs blessures et l’unité de toutes leurs différences. Et, il s’agit de Le révéler en nous et par nous car, si on ne Le voit pas, s’Il n’est pas une Présence sensible, alors l’homme restera seul avec ses angoisses, ses égoïsmes, avec sa biologie individuelle ou collective, seul avec tous ses fanatismes qui tuent l’autre et soi-même.»4.

Ainsi, nous avons, nous croyants, à nous interroger sur l’image que nous donnons de Dieu dans notre vie de tous les jours : à nous-même pour commencer (ce qui nous conduit à un examen de conscience honnête et normalement comme en toute logique à nous purifier de nos péchés par la conversion du cœur), avec notre famille (comment exercer l’autorité parentale, par exemple ?), nos proches (qui seront les premiers à percevoir si nos actes correspondent à nos propos5), dans notre vie professionnelle (quelle conscience mettons-nous dans l’accomplissement de nos tâches ? Simplement pour un salaire ou pour être au service des autres, cela de la fonction la plus humble à la fonction la plus haute), associative (respectons-nous le travail bénévole des autres sans se laisser aller à l’orgueil d’exercer une fonction6 ? Ou, pire, en croyant l’exercer alors que cela n’est pas le cas….) et avec toutes les personnes qui sont amenées à croiser notre chemin de vie (a-t-on encore cette capacité de s’émerveiller du simple fait d’avoir rencontré à un moment précis de notre vie, telle ou telle personne ? d’avoir été écouté par quelqu’un ou d’avoir pu lui parler utilement, selon ce que disait le cœur et avec les mots justes en des circonstances pouvant avoir de graves conséquences ?…).

Se mettre à l’écoute de Zundel nous met au contact des réalités de notre pâte humaine et nous sommes bien loin de doctrines éthérées !

Zundel a scandalisé certains de ses contemporains lorsqu’il soulignait cette liberté accordée par Dieu à l’homme, écoutez plutôt :
« Dieu a fait de nous les arbitres de sa Présence au monde. Il ne peut se manifester comme liberté qu’à travers notre liberté. Chacun de nos actes conscients Le concerne et peut Lui ouvrir ou Lui fermer la porte de notre histoire. »7.
Ainsi Dieu s’offre à nous : cela a choqué celles et ceux qui voyaient un Dieu despotique. En effet, Zundel démontre que, je cite :
« Dieu ne nous domine pas, Il nous attend. »8 Dieu est une rencontre au cœur de nos vies.

Oui, Dieu a parlé au peuple d’Israël par les Prophètes, dans l’Ancien Testament, Dieu a parlé à toutes les Nations et à chaque homme, dans le Nouveau Testament. Jésus Christ démontre un Dieu qui s’incarne en chacun d’entre nous dans la mesure où nous y consentons, dans la mesure où nous nous laissons convertir à Lui. Souvenez-vous de ce qui vous est dit lors de l’imposition des Cendres : Convertissez-vous et croyez en la Bonne Nouvelle. Notre réponse devrait être : Parle, ton serviteur écoute et, ensuite, à agir en notre âme et conscience selon les dons reçus. Découvrir Dieu c’est Le rencontrer !

Se convertir ? Que cela signifie-t-il pour nous qui avons été baptisés ? Recevoir le baptême, faire sa communion, voire sa confirmation, faire bénir son mariage et se rendre à la messe en quelques circonstances exceptionnelles pour réjouir des parents ou se faire voir !! Non, cela n’est pas se convertir totalement : c’est un vernis de surface. Il faut encore la conversion du cœur qui, chaque jour, se doit de devenir comme un tabernacle de Dieu ! La Foi n’est pas un habit qui nous enveloppe mais doit être chaque jour cette flamme intérieure qui rayonne l’Amour de Dieu, en brûlant les scories de nos refus de Dieu, pour réchauffer les autres comme soi-même.

Se convertir est un travail quotidien : le mot travail, vient du latin tripalium signifiant tourment, supplice donné à l’aide de trois pieux. Ce travail n’est donc pas de tout repos : c’est le grand problème du choix. Notre liberté est totale pour choisir le chemin que nous voulons suivre, celui de nos seuls instincts, pas si faciles à dompter, ou celui de Dieu, exigeant mais libérateur. C’est d’ailleurs ce choix qui donne toute notre dignité d’homme, cet homme qui est à se créer chaque jour qui nous est donné de vivre. Se convertir exige des efforts, de la vérité, des remises en question, des renoncements selon une volonté libre d’agir ou de ne pas agir selon ce Dieu qui parle en nos cœurs. Voulons-nous entendre Sa voix et Le suivre afin de connaître les joies de l’Amour de Dieu ou refusons-nous pour nous replier sur notre moi, égoïste et possessif afin de satisfaire des pulsions ou des ambitions humaines ?

Dieu vu par les athées

De façon constante et à de nombreuses reprises, Zundel s’est interrogé sur les motivations de ce refus de Dieu par une grande part des intellectuels de son temps. Il reconnaît leurs talents d’écrivain et de penseur et démontre leurs erreurs d’analyse. N’oublions que cet athéisme du XXe siècle a existé, en grande partie, en raison des horreurs de deux Guerres mondiales, de l’avènement de dictatures : Hitler et Staline, sans oublier Mao et tous les massacres dus à cette idéologie communiste qui a trouvé des défenseurs au sein même parfois de l’Eglise… Il y a eu aussi deux bombes Hiroshima et Nagasaki, lancées par un pays, les États-Unis, dit phare de la civilisation occidentale et symbolisant les vertus de la liberté et de la démocratie, alors que les Indiens ont subi de véritables génocides au XIXe s. déjà, par ce pays qui a proclamé, sans rougir, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ! Les faits historiques démontrent que les discours sont peut-être beaux à entendre mais les pratiques sont odieuses à constater. Il y a les paroles, il y a les actes !

Cela vaut la peine de s’y intéresser dans la mesure où inévitablement, dans des conversations se voulant sérieuses sur Dieu, les arguments reviennent à chaque fois les mêmes : Pourquoi Dieu a-t-il permis cela ? Et au lieu de considérer ce mal produit par l’homme, certains se défaussent pour l’attribuer à Dieu. C’est un vrai scandale ! N’attribuons pas à Dieu le mal provenant du mauvais usage que nous, les hommes, faisons de cette liberté qu’Il nous a donnée ! Je le cite en ouverture de ce deuxième aspect que je soumets à votre attention :
« Tout l’athéisme moderne refuse Dieu ! Tous ces grands talents, Marx, Sartre, Camus9 refusent Dieu !
Parce qu’ils Le voient sous l’image de Pharaon, comme une limite à l’homme, comme un interdit, une défense, une barrière ! Ainsi que l’écrit Sartre dans ce raccourci terrifiant : « Si Dieu existe, l’homme est néant. ». Ils ont tous le sentiment très fort que, si l’homme doit se tenir debout, s’il veut être un créateur et courir une aventure qui en vaille la peine, il ne doit plus que compter que sur soi et ne plus faire appel à ce Dieu qui nous dispense de tout travail et effort créateur puisqu’Il a tout fait, puisque le sort en est jeté, puisque notre destin est éternellement prédestiné ! Et c’est au nom de l’activité humaine qu’ils revendiquent leur athéisme, c’est pour que l’homme soit pleinement lui-même, pour qu’il atteigne à toute sa grandeur, et pour qu’il soit vraiment un créateur ! »10.

Cet athéisme se comprend car il est construit sur une fausse image de Dieu, issue d’une mauvaise lecture de l’Ancien Testament, trop souvent accréditée autrefois et durant de longs moments, au sein même de l’Eglise. C’est pourquoi Zundel dit à tous les athées, je cite :
« Nous sommes absolument d’accord avec ce monde moderne qui ne peut plus penser à Dieu en Le voyant sous cet aspect de grand pharaon ; nous ne pouvons plus admettre que Dieu soit un Narcisse à une échelle infinie ! Et, si déjà chez un homme, l’adoration de lui-même nous répugne et nous semble être une condamnation, à plus forte raison ne pourrons-nous pas imaginer la perfection divine comme une gravitation autour de Lui. Si Dieu était – comme le pensait Nietzsche dans sa révolte – une puissance dont nous dépendons radicalement et qui nous impose sa volonté sans être engagée d’aucune manière avec nous, si Dieu était un être solitaire, qui se repaissait éternellement de Lui-même, si Dieu n’avait que soi et rapportait tout à soi , on ne comprendrait pas pourquoi n’ayant pas de différence qualitative avec nous puisque fixé comme nous dans un moi qui se repaît de lui-même, on ne comprendrait pas pourquoi il serait Dieu plutôt que nous-même ! »11.  

Se référant aux Évangiles et à saint Jean plus particulièrement, Zundel dit et redit que Dieu est Amour comme le proclamait déjà saint François d’Assise. Mais encore faut-il dire ce que cela signifie. Je cite :
« Il faut que nous réformions complètement nos idées sur Dieu…: Dieu est Amour et rien qu’Amour, Dieu se donne et il ne peut rien faire d’autre que se donner.
Être Dieu ne signifie plus dominer et avoir le pouvoir d’écraser les autres, être Dieu signifie se donner sans mesure, se dépouiller éternellement….C’est parce que Dieu ne garde rien, parce qu’Il est tout Amour, parce que la respiration de son être est la générosité, que la Création surgit et qu’elle constitue à la fois un secret inépuisable et un appel infini à l’amour. »12.

Lorsque nous disons dans le Credo « Je crois en Dieu tout puissant », ce n’est donc pas la puissance d’un despote, d’un Jupiter jetant des sorts sur les hommes depuis l’Olympe : non, c’est un Dieu tout puissant d’Amour. Retrouvons cette source essentielle : la Miséricorde divine qui nous est offerte à tous les instants et que nous avons la liberté de recevoir ou de refuser. Chaque fois nous pouvons dire dans notre cœur « Je crois en Dieu tout puissant d’Amour, … » : pensons au Christ au lavement des pieds ! La plus belle démonstration qui ait été faite - par le Fils de Dieu - de la dignité de l’homme et même de ceux qui auront peur, qui renieront… Belle preuve de la confiance que Dieu nous accorde ! Sachons en rester digne.

Ainsi, pour révéler la Présence de Dieu en soi, il faut se dépouiller de soi-même pour se donner à l’autre : une mère au foyer renonce à des activités, voire à une vie professionnelle gratifiante, pour se donner à sa famille dans les tâches les plus quotidiennes, les plus humbles. Un père de famille se donne à son travail non pour lui mais pour les siens et pour faire de son activité un don à la société. Un responsable se donne à sa fonction non en autocrate, bouffi d’orgueil, mais au service des autres pour une mission reçue pour tous et non pour soi ou un culte personnel.

Ainsi, chacun d’entre nous peut révéler la Présence de Dieu en soi :
« A la racine de l’être on doit être donné pour être soi et on ne peut être soi que par cette offrande de soi, de même que Dieu n’est Lui-même qu’en et par sa parfaite offrande dans l’éternelle Trinité.»13.

Trinité : voilà un mot qui a perdu son sens chez trop de Chrétiens occidentaux. Parmi eux, il y a déjà ceux qui ne croient plus en la Résurrection - je l’ai constaté avec stupeur lors de l’accompagnement de famille en deuil - mais la Trinité leur paraît une chose étrange dont il vaut mieux ne pas parler. Aussi, parlons-en ! Car c’est essentiel pour celui qui se signe de la croix mais qui ne sait parfois plus du tout ce qu’est la Trinité.

La Trinité passe pour certains comme quelque chose d’incompréhensible et d’autres, comme les Musulmans, disent que cela est tout simplement du polythéisme ! A travers deux citations de Zundel, que je relirai deux fois, première lecture pour vous laisser surprendre par les propos, deuxième lecture pour peser ce qui est dit, je cite :
« La Trinité, cela veut dire que Dieu n’est pas quelqu’un qui se regarde et tourne autour de soi, qui se gargarise de Lui-même, mais au contraire Quelqu’un qui se donne. Cela veut dire que Dieu n’est pas solitaire, qu’Il ne fait pas face à un visage avec lequel Il se répéterait dans un épouvantable narcissisme. »14.

« Dans la Trinité le Père fait face au Fils, le Fils au Père dans le baiser de l’Esprit Saint. Cela veut dire que Dieu est une communion, une respiration d’amour, un dépouillement, une enfance éternelle, une naissance inépuisable, une nouveauté qui jaillit sans cesse, enfin une Pauvreté indépassable comme François l’a si bien deviné. »15.

Relisons ce texte en prenant en compte que nous sommes tous appelés à être fils de Dieu par le baptême et par ce que nous célébrons lors de la plus belle fête pour les Chrétiens après Noël : la Pentecôte. C’est cela qui fait que nous sommes sœurs et frères dans la Foi et que nous formons en l’Eglise le corps mystique du Christ. Cet Amour de Dieu doit nous unir, nous Chrétiens, plus que ne peuvent le faire les liens du sang : et cela vaut pour tous les hommes, pour toutes les Nations. Il n’y a plus un peuple élu, chacun est élu par Dieu qui se laisse accepter ou refuser car il a le respect de notre liberté de conscience : c’est le total don de Dieu à cet homme qu’Il veut libre.

Je terminerai cette partie qui n’épuise pas la question posée : Quel Dieu ? par cet extrait des propos de Zundel :
« Tout devient lumière à partir de la Trinité.
Tout s’explique dans cette confidence unique que nous fait Jésus-Christ et qui nous délivre de ce Dieu Cause première de tout, de ce Dieu dominateur et écrasant, de ce Dieu maître et propriétaire qui laisse tomber pour nous quelques miettes de Sa table, et qui nous punit du moindre pas fait en avant. Ce Dieu-là est un faux dieu ! C’est une idole !
Et désormais, enfin, nous pouvons respirer parce que Dieu, le seul vrai Dieu, ne vient pas à nous autrement que comme l’Amour, l’Amour qui ne nous touche que par son Amour, Amour si grand et infini que nous ne pouvons L’atteindre nous-mêmes que par notre amour. »16.

Dieu ne veut pas le mal : il est le premier à souffrir du mal comme une mère souffre devant son enfant qui a mal.
« Comment peut-on penser que l’amour de Dieu soit moins maternel que l’amour d’une mère, alors que tout l’amour de toutes les mères, y compris celui de la Sainte Vierge elle-même, n’est qu’une goutte dans cet océan de la tendresse maternelle de Dieu. »17
« Dieu ne veut pas le Mal. Il en est la première victime ! Et s’il y a du mal, c’est dans la mesure où Son amour n’est pas reçu, où Son amour est méconnu et refusé, car le monde – dans son harmonie et sa beauté – ne peut se constituer que dans ce dialogue d’amour où Dieu s’échange avec nous, et nous avec Lui. »18

Dieu nous invite à naître chaque jour un peu plus à Son Amour afin que notre dernier instant terrestre soit celui de la naissance complète à Dieu : c’est cela l’éternelle jeunesse ! Je me souviens d’avoir rencontré des religieux et des religieuses comme des pratiquantes âgée dans de hautes vallées de montagne : elles et ils avaient une jeunesse de cœur qui effaçait les rides de l’âge ; ils avaient cette flamme intérieure qui se percevait dès qu’on les rencontrait. Tout simplement, on sentait la Présence de Dieu en elles et en eux et comme cela est bon  de l’avoir reconnu ! En les rencontrant, nous percevons la divine Présence en eux ; cela se communique. En ce sens-là, ils sont des saints !

Quelle Église ?

Depuis les origines de l’homme jusqu’à nos jours pour toutes les civilisations, aussi bien à travers l’Ancien Testament comme les Évangiles et l’histoire de la Chrétienté, la grande question est ce rapport existant entre l’individu, la personne, avec les diverses collectivités que sont la famille, l’école, la cité, la nation, la profession et, bien entendu, la religion.
Tout homme se situe par rapport aux autres :
« L’homme est à ce point un être social […] qu’il ne cesse se référer à l’image que les autres se font spontanément de lui ou à celle qu’il ambitionne de leur imposer. »19.

L’homme agit dans son quotidien en fonction de valeurs généralement reconnues par les autres et dans l’espoir du crédit qu’il en retirera auprès d’eux. Le conformisme est un phénomène frappant de notre temps : un certain non conformisme étant aussi un conformisme très prisé, « très classe » comme diraient certains. Parfois cependant, des passions ou des pulsions trop fortes lui font rejeter ses valeurs : à notre époque, il y a toujours des experts et des « spécialistes » pour justifier l’injustifiable, le plus souvent en déresponsabilisant l’homme et pour culpabiliser l’autre, la société par exemple, la culture ou encore la religion quand ce n’est pas Dieu tout simplement ! Que c’est pratique ! Cela ressemble à ces propos de cour de récréation scolaire lorsqu’un enfant fait une bêtise : « Ce n’est pas moi ! C’est l’autre ! ». Et vous avez des gens, dit sérieux, qui ne font pas mieux à l’âge adulte ! 
Nous vivons à travers le regard des autres trop souvent : cela peut nous empêcher d’être vraiment homme et de laisser parler notre cœur. La peur du jugement d’autrui, la peur de se voir rejeter pour oser une pensée différente de ce temps, même dûment motivée selon sa conscience ou pour agir contre les forces du mal. Nous vivons dans une société de timorés préférant se laisser aller au gré des opinions prédominantes du moment, sans se soucier de vérité et de ces valeurs qui rendent l’homme vraiment humain et non à être une simple machine à produire !

Certains s’émancipent de leur famille pour retrouver une bande ou des amis ; d’autres se réfugient dans leur vie professionnelle et ne connaissent rien d’autre que leur travail qui seul compte ; d’autres se réfugient dans des paradis artificiels quand ils en ont les moyens et il y a encore des solutions plus extrêmes. Il y a différentes formes de fuite mais toutes traduisent une fuite de soi-même. C’est là où nous devons nous interroger sur ces passions individuelles.

L’histoire offre des cas plus tragiques encore lorsque l’individu est enchaîné dans ces grandes passions collectives : pensez à l’URSS, à la Chine et à certains États sud américains qui ont fait des ravages et en font encore, dans une certaine indifférence de l’Europe et pour ma part, avec ce que je considère comme sa complicité tacite : ce qui me heurte et me choque.

Pensons à toutes les révolutions qui ont marqué les peuples du monde et comment elles ont été vécues :
« Une révolution peut mordre encore plus profondément sur la conscience que l’individu prend de soi. Dès qu’elle triomphe, […] tout est retourné : les juges sont jugés, les condamnés condamnent, les subordonnés commandent. Les valeurs de la veille sont imputées au crime et l’idéologie du jour s’impose comme l’unique critère de légitimité. La moindre «déviation » peut rendre suspect et mobiliser l’opinion contre les « fauteurs de complots », tandis que l’on arrache à ceux-ci des aveux, qui attestent la vérité absolue de la « ligne » imposée par les hommes au pouvoir. »20

Ceci vaut pour toute révolution qu’elle soit légitime ou non, de type stalinien ou de type hitlérien : peu importe. Ce qui nous intéresse est le conditionnement social de cet homme qui se croit libre mais ne l’est pas. La société dispose de sa vie (le soldat envoyé au front sans que l’on demande son avis), de ses biens (avec les impôts plus ou moins justes ou même encore l’absence totale de propriété). La société impose des opinions ou des choix, sans respecter notre liberté de conscience. Cas pratique : les impôts - que chacun paye d’une façon ou d’une autre- financent parfois des actes, des projets que nous refusons en notre âme et conscience.
Quelle liberté avons-nous donc ? Nos résistances légitimes sont ignorées de façon délibérée et le simple fait de penser différemment déchaîne des passions hostiles, de la part bien souvent de celles et de ceux qui proclament la liberté de parole mais qu’ils accordent seulement quand cette parole leur donne raison ! Notre autonomie se voit réduite et nous devenons de plus en plus un simple rouage d’un organisme collectif qui nous dépasse ! N’y a-t-il pas de quoi s’inquiéter ?

Dans ce contexte réaliste que souligne Zundel avec force dans ses écrits, propre à son temps, nous remarquons que ses propos sont d’actualité. Je dirai même que cela a empiré, il convient de s’interroger sur la mission de l’Eglise.

L’Église a une longue histoire et qui n’a pas toujours été exemplaire lorsqu’elle s’est éloignée du message de l’Evangile. Mais là, de nouveau, ne confondons pas l’Eglise du Christ et les défaillances d’hommes d’Église. Que les défaillances de quelques-uns ne fassent pas oublier les merveilleux et multiples bienfaits que l’Eglise a pu, peut et pourra assurer dans le monde entier et dans la longue durée.
Face à l’histoire de l’Eglise, il convient de rester objectif et de refuser un certain « culpabilisme », de bon ton dans les milieux mondains, en se déclarant Chrétien ou Catholique. Certains ont des motivations idéologiques pour ne voir que le négatif dans la vie de l’Eglise : c’est leur choix ! Ne tombons pas dans ce travers. De même ne croyons pas que tout a été ou est parfait : cela serait tout aussi idiot ! Pour ma part, en tant qu’historien, sur le plan personnel bien sûr et pour avoir accompagné des familles en difficulté(s), j’ai souvent constaté tout ce que leur a apporté la Foi de façon bénéfique

La naissance du christianisme a révélé des femmes et des hommes qui ont choisi la Parole de Dieu en toute liberté et souvent en subissant des persécutions ou des rejets. Par contre, le christianisme a été parfois récupéré, comme de nombreuses autres religions, par les détenteurs du pouvoir de l’État. Cette situation officielle a compromis parfois son image mais a aussi souvent permis d’humaniser certaines institutions : prenez le cas de la naissance du christianisme en France et de sa conversion qui a permis une magnifique Moyen Age et une contribution précieuses aux Renaissances européennes (qui doivent tant aux universités médiévales car culture et foi n’ont pas été opposées en ce temps-là et contrairement à ce qui est instillé dans les esprits de nos jours pour des raisons évidentes en vue d’une déchristianisation). Quelques responsables de l’Eglise se sont refusés, en certaines circonstances, à un engagement personnel et mystique pour préférer être des fonctionnaires au service du pouvoir civil21 : cela a troublé l’image de l’Eglise mais personne ne peut La considérer à travers ceux-ci uniquement. La séparation des pouvoirs civils et religieux a mis du temps à se pratiquer. De même que maintenant, il est toujours aussi difficile de séparer les divers pouvoirs d’un État et du parti politique responsable du gouvernement en fonction qui ne devrait pas influencer les nominations de la magistrature, des haut fonctionnaires, des administrateurs de sociétés… et j’en passe !

Aussi n’oublions pas des Athanase22 ou des Chrysostome23 qui ont su s’opposer aux puissants en place ! Le christianisme a été, au minimum, au cours de son histoire, une tutelle morale capable de protéger l’individu contre lui-même en endiguant ses instincts : ce n’est déjà pas si mal. Plus d’une loi est un des fruits du christianisme ; la Déclaration des droits de l’homme est un des fruits du christianisme, en détournant d’ailleurs une partie essentielle de son message. Pourquoi ne pas le dire ? Les guerres, dites de religion, ont révélé les mauvais usages que les hommes ont pu faire de la religion : cela ne discrédite pas le message du Christ, cela démontre tout au plus la surdité de l’homme à la Parole de Dieu. Ce qui n’est pas la même chose ! Oui, demain encore, certains utiliseront la religion pour leur idéologie et leur soif de pouvoir. Aux Chrétiens, d’être vigilants à ce que cela ne se reproduise pas ! Je pense à la façon dont les États-Unis utilisent si facilement Dieu dans des causes où ce n’est que d’étendre un pouvoir, une zone d’influence, une puissance économique qui motivent réellement leurs actions. Dieu, démocratie, liberté deviennent des mots pouvant couvrir les maux !

Par contre dans toute la vie de l’Eglise, nous avons régulièrement, même aux heures les plus sombres, des hommes de Dieu qui révèlent Sa Présence dans nos vies : je pense à tous les saints connus auxquels il faut ajouter ceux qui nous sont restés inconnus, qui ont agi dans la discrétion, dans l’humilité sans rechercher la reconnaissance ou les honneurs. Oui, il y en a eu et il y en aura encore. Dieu soit loué ! Ajoutons la masse des Chrétiens qui n’ont pas cessé de mettre leur vie dans le pas du Christ, avec des chutes parfois, mais combien de belles semences de Foi ils ont distribué !
En quoi cette Foi que défendent les dogmes24 de l’Eglise libère-t-Elle l’homme ? Elle ne met aucune frontière entre les hommes. Elle s’adresse non à un peuple élu mais à toutes les Nations. Elle nous ouvre à cet amour illimité de Dieu. Elle nous affranchit de toutes les servitudes des conditions sociales : la Foi parle au riche, au pauvre, au maître, au serviteur, au savant, au simple. Cette Foi ne nous réduit plus à être un objet, un statut, évacue notre moi-possessif pour devenir un moi-oblatif : mon individualité est au service de l’Autre, « en revêtant le Christ » comme dit Saint Paul.

Le Christ nous apprend à nous décoller de soi pour retrouver notre vraie nature d’homme qui s’exprime par la générosité, le don de soi, en s’arrachant de nos convoitises, de nos besoins de possession, de ces biens qui sont terrestres. Pensons au Christ au lavement des pieds : les apôtres présents ne comprennent pas sur le moment la force de cet acte. Le plus merveilleux dans cette scène que nous devons graver dans notre cœur est cette joie du don de soi qui est le bonheur de Dieu.
« C’est en vivant Jésus dans notre être que nous assimilons la lumière qu’Il est. » 25
« Qui ne décolle pas de soi au contact de Jésus ne peut prétendre L’avoir rencontré et se trompe sur l’essence même du témoignage apostolique qui porte sur une personne à vivre »26 et non sur une conception de l’univers à commenter, une doctrine philosophique parmi d’autres...

Être avec Dieu, c’est une rencontre avec Lui dans nos vies et cela peu importe ce que nous faisons professionnellement, peu importe notre statut social, notre rang : c’est ainsi que nous formons le corps mystique du Christ, appelé Église. Ainsi devenir chrétien, c’est se faire Église, se faire universel : c’est le sens même du mot catholique ! Nous nous devons de refuser les particularismes qui veulent diviser le Christ comme saint Paul le souligne dans sa lettre aux Corinthiens.
« L’Église, par sa structure même, pourrait montrer le chemin si elle recouvrait en chacun de nous son vrai visage, si nous renoncions à être des parasites27 pour devenir des créateurs, si nous croyions vraiment que le Royaume de Dieu est, en chacun, l’espace de générosité – qu’il faut préserver à tout prix - où passe l’axe de l’univers dont nous avons la charge et d’où sourd l’hymne la joie. »28

Ainsi l’économie serait au service de l’humain ; la liberté ne serait pas dans une liberté sexuelle avilissante, seule liberté qui paraît essentielle de nos jours, mais dans cette chance de se libérer de soi au profit de tous ; la société permettrait à chacun de se faire vrai homme dans une solitude, indispensable mais ouverte à l’autre, oblative et inviolable tout à la fois, permettant une communion universelle. Ce serait retrouver le lien véritable entre l’individu dans le respect de son intériorité et la société qui deviendrait comme la respiration d’une communauté appelée Église.

Église sacrement communautaire : le Christ ne cesse pas de parler d’amour à l’Eglise, son corps mystique. Chacun des sacrements nous le révèle : ces sacrements sont gestes et paroles.
Au baptême, Christ nous donne la vie, désaltère notre soif et nous lave de nos péchés. A la confirmation, Christ nous assure de sa Présence permanente et nous donne cette audace à proclamer notre Foi. Je souligne que nous Chrétiens manquons trop souvent d’audace dans l’affirmation de notre Foi. Dans l’Eucharistie, Il nous dit « Voici mon corps livré pour vous. ». Il est nourriture pour notre âme et Il s’offre au plus profond de notre être, cet être intérieur et pas seulement un paraître. Avec le sacrement de réconciliation, Christ nous témoigne de la Miséricorde de Dieu. La tendresse de Dieu apparaît dans le sacrement du mariage exprimant la tendresse des époux qui ne veulent pas posséder l’autre mais s’offrir l’un à l’autre, sans mesure et sans limite. Le sacrement de l’Ordre, Dieu se donne encore à travers ses ministres quand ils se mettent véritablement au service des hommes. Dans le sacrement des malades, Christ nous accompagne dans nos souffrances, mieux encore, Il souffre avec nous, à travers nous. Comment notre cœur ne pourrait-il pas être touché devant tant d’amour ?

Il faudrait avoir un cœur de pierre dure pour ne pas percevoir sa Présence et soyons joyeux de vivre dans l’amour de Dieu qui a vaincu la mort. Réjouissons-nous d’avancer chaque jour vers cette éternité qui nous est promise et qui, au final, est de se fondre en Dieu : notre véritable et définitive naissance à Dieu qui se prépare à chaque instant de notre vie.

Conséquences

Les conséquences de cette pensée de Zundel sont grandes et il ne m’appartient pas de vous les formuler : Zundel ne se le serait lui-même pas permis. Par contre, chacun(e) d’entre vous a la possibilité d’y penser dans le secret de sa chambre et de tirer les conséquences en son cœur. Les Évangiles parlent… Mettons-nous à l’écoute… Réfléchissons et, surtout, agissons selon la Parole ! Portons du fruit...

Conclusion

Ce mot est excessif pour ce que je vous propose car ma conclusion ne clôt rien mais voudrait plutôt ouvrir une discussion, une réflexion.

Faites silence ! Écoutez ce Dieu qui est à l’intérieur de votre cœur et qui nous parle par les Évangiles ! Ensuite, c’est simple : faites ce qu’Il vous dit ! Soyons ce que nous sommes appelés à être en laissant enfanter en nous le Christ ! Sachons témoigner de notre Foi en laissant transparaître la lumière Dieu.

Je suis à votre disposition pour des questions ou tout simplement une discussion.

Antoine Schülé

La Tourette
Tél. : 09 53 14 25 86

1 Source de bien des confusions et de fausses images de Dieu.
2 Maurice Zundel : Un autre regard sur l’homme. Paroles choisies par Paul Debains. Sarment éd. du Jubilé. 2005. 380 p., p. 39, ci-après cité AH D.
3 ARHD p. 42
4 ARHD p. 41
5 Une image illustre ce type de personne : le poteau indicateur qui, en effet, montre le chemin mais ne le suit pas !
6Fonction civile ou cléricale : l’orgueil de certains membres du clergé les aveugle à un tel point que ceux-ci ne réalisent pas tous les dommages qu’ils commettent !
7 ARH D p. 46
8 ARH D p. 48
9 Zundel a correspondu avec Camus et porte un regard chrétien sur son œuvre : Dieu ne crée pas le mal ou la souffrance, Dieu souffre avec celui qui souffre et de celui qui fait le mal, la crucifixion renouvelée de Dieu.
10 ARH D, p. 67
11 ARH D, p. 68
12 ARH D, p. 73
13 ARH D, p. 74
14 ARH D, p. 76
15ARH D, p. 76
16 ARH D, p. 79
17 ARH D, p. 238
18 ARH D, p. 239
19 Maurice Zundel : Hymne à la joie. Ed. Anne Sigier. 1992. 156 p. Ci-après cité HJ. P.117
20 HJ p. 119.
21Oreiller de paresse et profit assuré...
22 Au concile de Nicée en 325, qui a déclaré le Père consubstantiel au Fils (c’est-à-dire le Père de même nature que le Fils), Athanase s’est opposé à Constantin (détenteur du pouvoir politique) qui a voulu suivre les Chrétiens orientaux qui affirmaient le Père au-dessus du Fils car le Père est inengendré alors que le Fils est engendré. Pour cette raison Athanase a été proscrit par le pouvoir temporel !
23 Il s’agit de Jean et non de Dion, bien sûr : en 405, refusé par le pouvoir civil et religieux, il a été déporté, est mort dans un fossé pour être réhabilité plus tard. Il y en a eu d’autres…
24 Zundel offre des réflexions très utiles sur les dogmes.
25 HJ, p. 125
26 HJ, p. 125
27 Sous-entendu de la Parole de Dieu.
28 HJ, p. 131

lundi 12 novembre 2018

Méditation du chemin de Croix avec Maurice Zundel


Chemin de Croix
en compagnie de Maurice Zundel

Antoine Schülé


Introduction

Pour suivre le Chemin de Croix avec Maurice Zundel, il est nécessaire de garder à l'esprit sa méditation sur les souffrances du Christ et donc de Dieu au moyen des principes essentiels qui suivent  :

Dieu est le créateur du monde par son Esprit : l'Esprit Saint.
Dieu a pris la condition d'homme en Jésus par l'Esprit Saint.
Marie, animée de l'Esprit Saint, a été choisie pour donner la Vie au monde en raison de son consentement Dieu : "Seigneur que Ta volonté soit faite."

La révélation de Jésus, donc de Dieu et de l'Esprit Saint, est que Dieu nous aime jusqu'à mourir sur la Croix pour nous sauver : Il atteint la suprême pauvreté en se dépouillant de son corps physique pour nous donner son Esprit. Il prend sur Lui tous nos péchés car le Chemin de Croix révèle tous les péchés que l'homme peut commettre par ses divers refus de Dieu.

Dieu pour agir et exister dans l'humanité a besoin du consentement libre de chaque homme. Le mal se propage dans l'humanité par le choix humain de refuser Dieu. Ainsi la mort de Dieu en l’homme est la mort de cet homme.

Dieu est la Vie, éternelle qui commence dès notre vie terrestre : seuls nos actes de bien, de beau - les vrais reflets de l'Amour de Dieu - peuvent rendre nos vies éternelles.

Pour prendre le chemin de la Vie éternelle, l'homme doit découvrir la Présence de Dieu en son cœur et se mettre à l'écoute de Sa Parole : Jésus n'a pas été un philosophe nous remettant une doctrine. Sa vie terrestre a été une démonstration de l'Amour de Dieu pour l'humanité, pour l'homme qu'il a créé à Son image.
Nos refus d'Amour de Dieu défigurent Dieu et, en cela, nous sommes des pécheurs à qui Dieu offre Sa Miséricorde dans la mesure où nous convertissons nos cœurs à Son Amour pour en devenir de vivants reflets dans nos vies.

Face à chacune des 14 stations de Croix, plusieurs lectures sont possibles et s'interpénètrent : Dieu refusé en Jésus, Son incarnation (l'homme qui refuse Dieu pour divers motifs) ; quatre situations à méditer : Marie, Véronique, Simon de Cyrène et les femmes intuitives qui pleurent sur les tourments qui Lui sont infligés; Dieu qui nous accompagne dans nos souffrances en ayant subi les plus grands outrages que l'homme puisse subir alors qu'Il était, est et sera l'Amour même.

Écoutons maintenant Maurice Zundel en deux extraits :

"Notre Seigneur n'est pas mort de ses blessures physiques, encore qu'elles fussent horribles,
il n'est pas mort de la soif,
il n'est pas mort d'être pendu au bois,
il n'est pas mort de la couronne d'épines,
il n'est pas mort des outrages et des injures.

Il est mort de cet enfer
de se sentir coupable et de se sentir innocent,
d'être à la fois repoussé par les hommes parce que Fils de Dieu,
repoussé comme ils repoussent Dieu,
blessé de toutes ces blessures d'amour qui crucifient Dieu dans son amour,
et en même temps indigne de Dieu1 et rejeté par Lui comme le grand coupable qui totalise toutes les fautes de l'Histoire.

Et c'est dans cette coexistence, dans son âme,
de cette innocence suprême et de cette culpabilité infernale
qu'Il est mort, d'une mort intérieure, d'une mort spirituelle,
qui faisait de Lui l'Agneau de Dieu qui porte le péché du monde.
C'est par là que son Agonie a été unique, unique...
C'est par là que sa souffrance a atteint un degré infini que nous ne pourrons jamais comprendre jusqu'à l'épuiser."2

et Zundel nous invite à découvrir la Passion dans cet esprit :

"... nous allons accompagner le Seigneur au Jardin de son Agonie,
nous allons silencieusement nous plonger dans Sa nuit,
nous allons L'accompagner jusqu'au désespoir de "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-Tu abandonné?"
non pour perpétuer sa Passion,
mais, pour selon la petite mesure de notre amour,
Le détacher de la Croix
afin qu'Il soit aussi en nous le Dieu vivant et ressuscité et
que nous puissions porter au monde Sa Vie
en chantant avec François le Cantique du Soleil."3

A la différence des Apôtres qui doutent au moment de la Passion, nous savons que le Christ est ressuscité et qu'Il vit dans la mesure où nous Le laissons vivre en nous, dans notre quotidien. Notre chemin de Croix conduit à la joie : souffrances terrestres, Joie éternelle.

Gardons dans nos cœurs trois paroles d’Évangile :

"Il fallait que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire." Luc 24,26

"Quand je serai élevé de terre, j'attirerai tout à moi." Jean 12,32

"Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renonce, qu'il prenne sa croix chaque jour et qu'il me suive." Luc 9,23

Accomplir la volonté de Dieu, non celle des hommes

Marie répond à la Parole de Dieu apportée par l’ange (angelos en grec signifie messager) Gabriel (signifiant en hébreu force de Dieu):
« Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit! ».  Luc 1,38

Jésus :
"Père, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne." Luc 22,42

Présence de Marie

Nous associons Marie dans le Chemin de Croix car, contrairement à d’autres proches de Jésus, mis à part Jean :
« Près de la croix de Jésus se tenaient debout sa mère, la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas et Marie de Magdala. » Jean 19,25

Amour oblatif

La totale dépossession de soi est vécue par le Christ :
« Nul n’a de plus grand amour que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime. » Jean 15,13
Que d’exigence en cette Parole pour celle ou celui qui croit !

Qu’est ce que le temps de carême ?

« … il s’agit d’épargner cette vie divine que nous portons en nous ! De la protéger contre nous-mêmes ! d’en témoigner en la laissant transparaître pour que les autres puissent la respirer. »4

Début du chemin de croix (par un signe de croix)

Prière d’ouverture

Implorons la miséricorde de Dieu pour les pécheurs que nous sommes, pour les victimes d’injustice, pour les âmes sacrifiées par la cruauté des hommes, pour les hommes martyrs de la Foi, pour les malades de l’âme et du corps, pour les mourants et pour nos défunts.

Que la voie douloureuse du Calvaire, subie par Jésus et vécue par Marie, ouvre nos cœurs à la compassion et à l’Amour de Dieu.
R/ Amen.

Première station5

Jésus est condamné à mort

Nous T’adorons, ô Jésus et nous Te bénissons
R/ Parce que Tu as racheté le monde par Ta sainte Croix.

Jean 19, 4-7
Pilate étant sorti à nouveau dit aux Juifs : « Voyez, je vais vous l’amener dehors : vous devez savoir que je ne trouve aucun motif d’accusation contre lui. ». Jésus vint alors à l’extérieur ; il portait la couronne d’épines et le manteau de pourpre. Pilate leur dit : « Voici l’homme ! ». Mais dès que les grands prêtres et leurs gens le virent , ils se mirent à crier : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! ». Pilate leur dit : « Prenez-le vous-mêmes et crucifiez-le car, pour moi, je ne trouve pas de motif d’accusation contre lui. ». Les Juifs lui répliquèrent : « Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. ».

Qui sont les intervenants dans cette tragédie qui se prépare ? Un innocent (la victime), une autorité judiciaire (loi civile), une autorité morale (loi religieuse), une opinion publique (manipulée). Le Christ est victime de son peuple et de ses grands prêtres avec l’impuissance d’une justice civile, se mettant aux ordres d’une opinion publique, manipulée par ceux-ci. L’idéologie est plus forte que le discernement de la vérité par l’esprit.

Combien d’injustices avec la force d’une loi ont pu se commettre ? Combien d’erreurs de jugement ont frappé des innocents ? Combien de préjugés ont prévalu sur de sereines analyses ? Quels sont les media qui agissent comme les grands prêtres de notre temps ? Est-ce que l’opinion publique veut la vérité ? Combien de Pilate de nos jours s’inclinent non devant la Justice mais devant les intérêts de leur carrière, de leur clan ou de leur croyance ?
Prions pour celles et ceux qui ont connu les souffrances de médisance, de calomnie, d’erreur judiciaire, de mérite non reconnu et de mépris.
Prions pour nos erreurs volontaires ou involontaires de jugement. Ouvrons nos cœurs pour trouver moyen de les réparer.

La souffrance de Jésus est le refus de cet Amour qu’il a donné. Nous tuons Dieu lorsque nous refusons Sa Présence dans notre cœur. Dieu ne s’impose pas à nous de façon autoritaire comme un Dieu-Pharaon : il est dans l’attente de notre consentement. Seul notre libre consentement permet de le décrucifier. La vraie communion universelle donc catholique, est l’adhésion du cœur de chacune et de chacun au cœur du Christ pour former un seul corps.

Deuxième station

Jésus est chargé de sa croix

Nous T’adorons, ô Jésus et nous Te bénissons
R/ Parce que Tu as racheté le monde par Ta sainte Croix.

Jean 19, 14-17
C’était le jour de la Préparation de la Pâque, vers la sixième heure. Pilate dit aux Juifs : « Voici votre roi ! ». Mais ils se mirent à crier : « A mort ! A mort ! Crucifie-le ! ». Pilate reprit : « Me faut-il crucifier votre roi ? »; les grands prêtres répondirent : « Nous n’avons pas d’autre roi que César. ». C’est alors qu’il le leur livra pour être crucifié. Ils se saisirent donc de Jésus. Portant lui-même sa croix, Jésus sortit et gagna le lieu dit du crâne, qu’en hébreu on nomme Golgotha.

Prendre sa croix à la suite de Jésus, c’est se déposséder de tout ce qui fait la grandeur de ce monde : les divers signes de puissance et de richesse. Dieu incarné ne se révolte pas face à la plus grande humiliation que puissent infliger les hommes de son temps. Toutefois, Il ne perd rien de sa grandeur : il marche vers la mort corporelle car Il lave de son sang les péchés de tous les hommes qui reconnaissent l’Amour de Dieu.

Donner sa vie pour les autres, c’est accepter de se dépouiller complètement afin d’être, pour nos sœurs et nos frères, des gestes d’Amour de Dieu sur terre. Tout homme a reçu des dons, divers d’une personne à l’autre : il s’agit de les reconnaître et de les mettre au service des autres et non uniquement à son propre service.

Chaque jour, sans que nous le sachions, des hommes portent des croix et allègent les souffrances des autres. Ils sont souvent ignorés ou humiliés mais ils ont la force de continuer malgré les critiques, malgré les opprobres. Quel geste pouvons-nous faire pour adopter dans nos actes l’exemple de Jésus ?
Serions-nous prêts à accepter de mourir pour notre Foi ?
Serions- nous prêts à sacrifier nos superflus pour aider autrui ?

Il est différentes façons de se donner : la mère au foyer ; le père qui travaille pour nourrir sa famille ; toute personne qui travaille pas uniquement pour un salaire mais pour accomplir avec amour ce qu’il fait. Prions pour tous les bénévoles qui font dons de leurs compétences au service de Dieu, de la vérité.
C’est ainsi faire resplendir la lumière intérieure de Dieu (qui éclaire nos cœurs) dans nos actes. Ceci est à la portée de chacun : il suffit de le vouloir pour commencer et de persévérer pour réussir toujours mieux. Penser ne suffit pas, il faut aussi agir.

Troisième station

Jésus tombe sous le poids de la croix

Nous T’adorons, ô Jésus et nous Te bénissons
R/ Parce que Tu as racheté le monde par Ta sainte Croix.

Matthieu 11, 28-29 Parole du Christ
« Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. »

La croix de Jésus de nos jours est constituée de tous nos péchés. Jésus se relève pour nous montrer la force qui Lui permet d’avancer malgré tout afin de nous sauver.

Toute souffrance d’Amour de Dieu pour les hommes provient de notre refus de son Amour et donc d’amour pour les autres.

Ainsi, la vie de Dieu a été remise entre nos mains. Pour transparaître sur le terre, Dieu a besoin de l’homme pour se faire entendre. Voici toute notre responsabilité : elle est grande. Saurons-nous l’assumer ?

Saurons-nous nous relever lorsque le fardeau sera trop lourd ?
Aurons-nous cette confiance inébranlable en Dieu qui nous permettra de continuer malgré tous les obstacles, toutes les critiques, tous les rejets ?

Assumer c’est se relever, fort de notre confiance en Dieu, fort de Sa Présence en nos cœurs, fort de son exemple : Dieu n’est pas une théorie, n’est pas une philosophie. Il transparaît dans des actes, dans l’agir, préparés dans le silence et la prière.

Vivre le temps de la Passion : Laisser passer Dieu en nous, nous communiquer sa lumière et alors laisser Dieu donner aux autres, dans notre sollicitude humaine, la Présence adorable de l’Éternel Amour.

Paul, Seconde lettre à Timothée (2 Tm 2,3 :
« Avec la force de Dieu, prends ta part de souffrances dans l’annonce de l’Evangile. ». Annoncer c’est d’abord vivre l’Evangile ! Annoncer, ce n’est pas seulement penser et parler (certains ne se limitent qu’à cela!), c’est laisser transparaître dans ses actes de vie la Présence de Dieu.

Se donner aux autres jusqu’à épuiser ses dernières forces !

Quatrième station

Jésus rencontre Marie sa mère

Nous T’adorons, ô Jésus et nous Te bénissons
R/ Parce que Tu as racheté le monde par Ta sainte Croix.

Luc 2, 34-35 Syméon s’adresse à Marie et Joseph lors de la présentation de Jésus au Temple
Syméon les bénit et dit à Marie, sa mère : « Vois ! Cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction, - et toi-même, une épée te transpercera l’âme ! - afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs. »

Quelle plus grande souffrance pour une mère que de voir son fils innocent conduit au supplice, humilié et victime de ceux qu’Il voulait sauver ! Son cœur de mère est saigné par le chemin de Croix de son Fils. Elle avait accepté de Lui donner une maternité, en servante de Dieu. Elle doit accepter les souffrances des blessures et de la mort de cette chair issue de sa chair.
Pensons à toutes les douleurs des femmes ayant donné la vie sans en connaître les joies : enfants morts-nés ou malades ou handicapés, enfants rejetant leurs parents, impuissance de les nourrir ou de les élever, enfants devenus criminels, enfant suicidés, enfants morts tragiquement, parricides, enfants morts dans un accident, enfants disparus …

Marie ne parle pas : elle échange un regard avec Son Fils. Tout se dit et se dialogue en deux regards qui se croisent. L’amour n’a pas besoin de mots en une telle circonstance. Jésus accepte la mort car Il aime les hommes et prend avec Sa Croix tous nos péchés, toutes nos fautes. Jésus aime plus l’humanité que Sa vie, que Sa mère ! Y a-t-il plus grand amour pour l’homme ?
La croix exprime cette compassion maternelle de Dieu pour les hommes.

Et nous comprenons mieux Maurice Zundel quand il déclare : « Et nous verrons dans la Croix un appel à l’amour d’autant plus ardent qu’il est plus pur, qu’il est plus désintéressé, qu’il est plus maternel car, dès qu’on retrouve ce Visage d’amour, dès qu’on retrouve en Dieu ce Visage de mère, dès qu’on voit dans la Croix cette compassion qui s’identifie avec nous, comment résister à l’appel d’une tendresse si proche, si intime, si passionnée, si diaphane, si brûlante ?
C’est donc avec bonheur que nous voulons saluer la Croix comme notre unique espérance, en regardant dans sa lumière, en contemplant, le Visage Adorable de l’Éternel Amour, ce Visage infiniment maternel de tendresse, qui ne cesse nous appeler au plus intime de nous. »6

Percevoir ceci, c’est déjà naître à Dieu et refuser de transpercer une nouvelle fois le cœur de Marie !

Cinquième station

Jésus est aidé par Simon de Cyrène

Nous T’adorons, ô Jésus et nous Te bénissons
R/ Parce que Tu as racheté le monde par Ta sainte Croix.

Luc 23, 26
Comme ils l’emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène qui venait de la campagne, et ils le chargèrent de la croix pour la porter derrière Jésus.

Les soldats désignent un homme, Simon de Cyrène, dans la foule présente sur le passage du Christ, pour L’aider à porter sa Croix. Simon n’est ni un disciple, ni un proche de Jésus et, cependant, il devient un collaborateur du Christ, malgré lui. Il a bien objecté qu’il ne voulait pas partager l’humiliation du port de la croix mais il a reçu l’ordre et c’est ainsi qu’il découvre le Christ, non en se mettant au service d’un roi terrestre d’Israël tant attendu, mais en partageant l’infamie de la croix d’un homme qu’il ne connaissait vraisemblablement pas. Cette station est donc d’une signification bien particulière.

En un instant non choisi, non attendu, Simon doit partager le poids de la croix, à la demande d’une tierce personne (soldat) pour une personne (Jésus) qu’il ne connaît pas. Un acte de bonté et de charité peut survenir ainsi. Or Jésus sait la réticence de Simon, qui augmente sa douleur qu’est le rejet qu’il subit de façon si éclatante mais, qui allège cependant la charge de la croix. Nous sommes face à un acte d’amour contraint qui a un effet limité : le but voulu par le soldats est que le Christ ne meurt pas avant d’être crucifié en un lieu précis.

Aussi cette station nous appelle à faire mieux que Simon de Cyrène : nous connaissons le Christ, nous L’aimons, nous voulons donc partager le poids de la Croix. Nous voulons être des volontaires du Christ dans ce monde où Dieu est crucifié quotidiennement non seulement par des mensonges, des massacres, des iniquités mais encore par tous ces péchés qui sont autant de blessures faites au Corps de Dieu, son Église.

Le Christ demande notre libre consentement à son œuvre d’amour. Certains arrivent involontairement à la rencontre de Dieu, d’autres volontairement.

Les disciples du Christ peuvent faire encore plus que Simon de Cyrène en écoutant cette parole de l’apôtre Jean (87, 31) : « Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples, vous connaîtrez alors la vérité et la vérité vous fera libres. »

Sixième station

Une femme pieuse essuie le visage du Christ

Nous T’adorons, ô Jésus et nous Te bénissons
R/ Parce que Tu as racheté le monde par Ta sainte Croix.

Isaïe 53, 2-3
Il n’était ni beau, ni brillant pour attirer nos regards, son extérieur n’avait rien pour plaire. Il était méprisé, abandonné de tous, homme de douleurs, familier de la souffrance, semblable au lépreux dont on se détourne, et nous l’avons méprisé, compté pour rien.

Librement et volontairement, une femme, Véronique, essuie le visage torturé par la douleur : acte de charité, acte de compassion. Elle se dégage de la foule, des soldats pour agir avec un geste : ses deux mains parlent plus que tout long discours.

Le Christ a ainsi connu un geste d’amour sur Son chemin de Croix. A l’exemple de Véronique, regardons dans nos vies comment nous pouvons refléter l’amour de Dieu dans un geste, une main à tendre, des pleurs à partager, des larmes à essuyer, des chagrins à soulager, une dignité à redonner au corps de l’autre, cet autre qui est peut-être ce Christ souffrant qui frappe à notre cœur. Saurons-nous Lui répondre dans cet être de chair que nous voyons défiguré par la maladie, par les tourments de l’âme ?

Nos comportements peuvent défigurer Dieu car nos actes doivent être les reflets de Sa Présence en nos cœurs. Dieu a besoin de l’homme pour se faire connaître à l’homme. C’est pourquoi il a choisi librement de prendre la condition humaine dans le Christ. Il donne ainsi toute la mesure de Son amour pour l’homme : cet Amour Le conduit à accepter la mort physique sur une croix.

Notre vie dans le Christ devrait être le reflet de Son visage pour les autres. Il nous appartient de faire resplendir le visage du Christ ! Il s’agit d’effacer notre « moi possessif » pour s’offrir aux autres. C’est commencer ainsi une transfiguration, à la mesure humaine.

Prenons conscience que nous pouvons obscurcir le visage du Christ ou limiter le rayonnement de Son amour. Notre vie est appelée à être un évangile pour les autres : quelle mission ! Quelle responsabilité ! Seul Dieu pour nous amener chaque jour à y parvenir, malgré nos chutes, nos fautes, nos faiblesses. Comment peux-tu être la voix et l’image de l’amour de Dieu dans ce monde ? Les Saintes et les Saints sont des modèles non seulement à méditer mais encore à suivre. Dieu ne peut agir en ce monde qu’à travers l’homme.

Septième station

Jésus tombe pour la deuxième fois

Nous T’adorons, ô Jésus et nous Te bénissons
R/ Parce que Tu as racheté le monde par Ta sainte Croix.

Jean 12, 24-26 Parole de Jésus
En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire, il meurt, il porte du fruit en abondance. Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui cesse de s’y attacher en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir qu’il se mette à ma suite, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera.

Jean avait déjà dit dans son Évangile (3,19) : « La lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière. ». Dieu tombe pour le seconde fois en raison de tous nos refus qui forment sa croix. Malgré cela, Il se relève car Il veut dans tous Ses derniers gestes d’amour laisser Dieu nous communiquer sa lumière. A l’exemple du Christ souffrant, et malgré ses souffrances, Il veut nous démonter que notre sollicitude humaine peut être le témoignage de la Présence adorable de l’Éternel Amour8.

Dieu vivant pour l’homme jusqu’à laisser les hommes Le clouer sur une croix. C’est plus qu’un grain de blé !

« Le Christ au milieu de l’histoire, le Christ qui meurt, c’est Dieu qui meurt au milieu des hommes, ce n’est pas un Dieu étranger, c’est Quelqu’un qui porte l’humanité, qui cherche justement au-dedans de chacun de nous, à édifier ce sanctuaire qui est la seule cathédrale digne de Lui. »9

Serons-nous les fruits abondants de ce grain de blé ?

Nous chutons, nous nous relevons et Jésus a fait mieux encore : ayant le poids des fautes de l’humanité, Il se relève pour nous communiquer toute la valeur qu’Il accorde à l’homme qu’Il veut sauver.

La calomnie, la médisance, la haine, l’envie, l’orgueil peuvent nous écraser mais cela n’est rien en comparaison de ce que le Christ a souffert pour nous. Il nous faut nous relever et poursuivre notre mission terrestre car Dieu nous a donné des dons pour que nous ayons les forces d’assumer celle-ci. Être une vie d’Évangile.

Huitième station

Jésus console les filles d’Israël

Nous T’adorons, ô Jésus et nous Te bénissons
R/ Parce que Tu as racheté le monde par Ta sainte Croix.

Luc 23, 27-28 Jésus poursuit son chemin de Croix
Il était suivi d’une grande multitude du peuple, entre autres de femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui. Jésus se tourna vers elles et leur dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. »

Incroyable station ! Nous avons perçu toutes les souffrances du Christ et Il trouve encore la force pour entendre les âmes qui se plaignent à travers des voix de femmes et non pas d’hommes. Il fait plus que les entendre, Il les console.

Jésus ne se replie sur Sa douleur et, par Ses propos, Il anticipe les douleurs de la diaspora que connaîtront les Juifs qui acquièrent leur judaïté par la mère. Il les apaise alors que des prêtres juifs, des pharisiens ont voulu sa mort et que la foule juive manipulée a crié : « Crucifiez-le ! ». Il a connu la haine, Jésus ne répond pas par la haine ; Il a subi le mal, Il ne répond pas par un châtiment.

Tous les discours sur l’Amour de Dieu ne valent pas ce qui s’opère en cet instant dans un acte que nous ne pouvons que contempler dans le silence. Oui, l’Amour de Dieu est si grand qu’Il console les représentantes de ce peuple qui L’a refusé et sera victime ainsi de son propre refus : ce peuple ne peut pas accuser Dieu de l’accabler, il subit les conséquences de ses actes.

N’accusons pas Dieu de nous faire souffrir du mal : cherchons d’abord les raison humaines qui causent le mal : un défaut d’amour, un refus d’amour, un mauvais usage de la liberté. Dieu n’a pas choisi le mal, Il a choisi l’Amour.

Refuser l’Amour de Dieu c’est Le crucifier à nouveau. Il a pleuré, pleure et pleurera toujours de nos refus et des conséquences que nous en subirons.

Confions-Lui nos détresses, nos angoisses car Il les connaît mieux que nous : Ils les a connues mais, Lui, en raison de son Amour infini.

Observons un instant de silence pour qu’Il vienne nous consoler dans nos cœurs que nous Lui offrons comme sanctuaires.

[Silence]

Neuvième station

Jésus tombe pour la troisième fois

Nous T’adorons, ô Jésus et nous Te bénissons
R/ Parce que Tu as racheté le monde par Ta sainte Croix.

Luc 14, 27
Celui qui ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite ne peut pas être mon disciple.

Plus le Christ avance sur le chemin du calvaire, plus Sa croix est lourde. Jésus ne disserte pas sur ce qu’est l’héroïsme : l’héroïsme, c’est çà ! A nouveau, l’exemple, le modèle de vie vaut plus que toute longue considération. Il convient à chacun de laisser parler en son cœur cet acte qui nous invite à agir en Chrétiens dans nos vies.

Saurons-nous accepter pareilles humiliations, pareils traitements, un pareil sacrifice ? Ne disons rien car nul ne sait comment il agira en pareilles circonstances ! Ne soyons pas fanfarons ! Pensons cependant à tous les martyrs de la Foi qui ont accepté les supplices et la mort au nom de la Foi. Savaient-ils seulement qu’ils pourraient donner un tel sens à leur vie ? En de tels instants, il n’y pas de masque : la Personne et ce qui l’anime se révèlent complètement en de tels moments. Vivre en vérité pour un Chrétien, c’est accepter de mourir pour Celui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie.

Accepter de donner sens à sa vie, c’est aussi accepter de donner sens à sa mort pour la Vie éternelle. Tout être est mortel, alors quel sens voulons-nous donner à notre vie ? Que tous nos actes possibles par les dons divers reçus par chacun d’entre nous soient au service de Dieu : père de famille, savant, artisan, commerçant, politicien, soldat, prêtre, religieux, agriculteur, etc. peuvent consacrer leurs forces pour un monde meilleur et non pour le détruire.

Face à cette station, méditons sur la persévérance. Jésus accablé du poids de la croix et de nos fautes, se relève par Amour pour nous.

Et nous pouvons dire avec Maurice Zundel :
« Mais est-ce possible que ce calice s’éloigne de nous, quand le Fils unique n’a pu être épargné ? Ne faut-il pas que le grain meure, avant de porter du fruit ? Me voici, Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? Quoi que vous me donniez, Seigneur, donnez-Vous d’abord Vous-même, car c’est Vous que je cherche, Vous que je connais à peine, vous qui m’attirez avec tant de force, Vous qui me délivrez de moi -même, Vous qui êtes mon Pain et mon Vin. »10

Dixième station

Jésus est dépouillé de ses vêtements

Nous T’adorons, ô Jésus et nous Te bénissons
R/ Parce que Tu as racheté le monde par Ta sainte Croix.

Jean 19, 23-24 Rappel du Psaume 22,19
Lorsque les soldats eurent achevé de crucifier Jésus, ils prirent ses vêtements et en firent quatre parts, une pour chacun. Restait la tunique ; elle était sans couture, tissée d’une seule pièce depuis le haut. Les soldats se dirent entre eux : « Ne la déchirons pas, tirons plutôt au sort à qui elle ira. » C’est ainsi que fut accomplie l’Écriture : Ils se sont partagés mes vêtements et ma tunique ils l’ont tirée au sort. Voilà donc ce que firent les soldats.

Scène surprenante que cette dixième station qui fait chronologiquement suite en fait à la onzième. Toutefois, il est judicieux qu’elle soit placée en cet instant dans notre méditation sur le chemin du calvaire.

Avant de dépouiller Dieu de son vêtement charnel, le Dieu crucifié a été dépouillé de ses vêtements. Il est nu, Il ne paraît pas dans des habits mais dans tout son être qui, déjà, ne se réduit plus à son corps. Sa grandeur dans cet instant n’est pas dans Son paraître, Sa nudité mais dans Son acceptation d’être uniquement revêtu de Sa Sainteté et de Son Innocence : Il a voulu mourir nu sur une terre nue.

Comme il était d’usage, les soldats se partagent les derniers biens du condamné. Ignorants l’importance de l’évènement dont ils sont les acteurs par obéissance aux ordres reçus, ils se préoccupent de biens terrestres : leurs cœurs ne sont pas prêts à percevoir le trésor d’amour qu’ils négligent et qui se trouvent pourtant à leurs côtés.
Dans nos sociétés qui « s’athéïsent » prodigieusement, combien de personnes négligent Dieu et Sa parole pour honorer les biens terrestres, l’argent. Combien critiquent l’argent pour en redemander plus, pour paraître, pour se forger une image, parfois en employant des prétextes hypocrites…

Les soldats purs de la finance outrancière se moquent de la mort d’autrui : l’accumulation de l’argent leur suffit. Or sans toujours le savoir tout de suite, ils souffrent de cette soif inextinguible de l’or, alors qu’ils pourraient goûter de cette Eau qui ferait qu’ils n’aient plus jamais soif et prendre conscience que l’homme ne soit pas au service de l’argent mais l’argent au service de l’homme.

Sachons dans nos vies reconnaître les vraies valeurs qui ne se monnaient pas mais qui se vivent en se donnant aux autres.

Onzième station

Jésus est mis sur la croix

Nous T’adorons, ô Jésus et nous Te bénissons
R/ Parce que Tu as racheté le monde par Ta sainte Croix.

Marc 15, 25-27
Il était neuf heures quand ils le crucifièrent. L’inscription portant le motif de sa condamnation était ainsi libellée : « Le roi des Juifs ». Avec lui, ils crucifient deux bandits, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche.

Nous sommes face à la divine tragédie. De savoir un être innocent condamné à mort injustement est intolérable mais, en cet instant, ceci l’est encore plus. Dieu incarné a voulu que Sa Parole sauve les hommes. L’esprit Saint avait déjà commencé Son œuvre dans les cœurs de quelques-uns. Mais Dieu a été refusé ! Pourquoi ?
Celles et ceux qui attendaient le Messie attendaient un Pharaon, un homme-dieu, resplendissant de gloire par ses richesses, puissant par ses forces armées, anéantissant ses adversaires, les Romains. Et Dieu fait homme accepte l’humiliation de la croix, accepte le dépouillement total jusqu’à ses habits et son corps, donne Sa vie pour nous sauver dans la mesure où nous acceptons Sa Lumière. Il est le Don total, l’Amour suprême.

Il respecte à un tel point notre liberté qu’Il accepte de souffrir sur la croix en raison de nos refus. Il n’exerce pas de vengeance ! Il ne châtie pas ! Il sait que nos choix peuvent nous faire souffrir ou nous sauver : nous sommes libres de Le refuser ou de L’aimer comme Lui nous a aimés.

L’enfer c’est notre refus de l’Amour de Dieu dans nos vies. Aussi écoutons Maurice Zundel méditant sur cette onzième station :

« Nous devrions trembler d’inquiétude et d’angoisse, non pas pour notre salut, mais pour le salut de Dieu dans les âmes. Il s’agit de sauver Dieu qui s’est confié à nous, et qui nous a confié Sa cause, à nous ses disciples. Nous avons le devoir ineffable d’aider le Dieu crucifié en compatissant à sa douleur, avant de nous attendrir sur la nôtre, en nous efforçant de guérir cette blessure qui fait saigner Son Cœur.
Nous pouvons nous donner aussi gratuitement à Dieu que Lui se donne à nous. « Donne-moi ta vie telle qu’elle est, et j’en ferai ma vie telle qu’elle est. »11. Notre vie est un don reçu de Dieu et nous pouvons en faire un don donné. Comment ne pas faire déborder notre reconnaissance à ce Dieu qui établit entre Lui et nous cette mystérieuse égalité. »12

Douzième station

Jésus meurt sur la croix

Nous T’adorons, ô Jésus et nous Te bénissons
R/ Parce que Tu as racheté le monde par Ta sainte Croix.

Luc 23, 44-46
C’était déjà presque midi et il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu’à trois heures, le soleil ayant disparu. Alors le voile du sanctuaire se déchira par le milieu ; Jésus poussa un grand cri ; il dit : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. ». Et sur ces mots, il expira.

Les actuels disciples du Christ savent la raison de son acceptation quant à cette mort sur la croix. Il a tout dit, tout fait, tout accompli dans le temps d’une vie humaine. La fin du Christ sur la croix est un commencement pour chacun d’entre nous et pour l’humanité à venir. Pourquoi ? Maurice Zundel est très explicite :
« La Croix est passée parmi nous pour vaincre la douleur et la mort, pour révéler la vie et la restaurer dans toute sa dignité et sa magnificence, pour nous faire prendre conscience de cette collaboration nécessaire à l’œuvre divine à laquelle nous sommes appelés.
La Croix ne signifie pas autre chose que cet appel irrésistible à l’Amour qui ne peut pas nous convaincre de force ni ne peut violer notre intimité.
Il ne s’agit pas de perpétuer la Croix mais il faut en partant d’elle, en nous efforçant de décrucifier Dieu dans notre vie, Le faire apparaître comme le Dieu vivant qui nous donne la Vie avec surabondance et qui nous appelle à la sollicitude et à la joie. »13 et encore :

« La Croix est un appel urgent et magnifique à notre puissance de vie puisque la Vie de Dieu est remise entre nos mains…
La Croix est un appel pour la vie d’aujourd’hui à une aventure merveilleuse qui est de continuer l’Incarnation de Dieu et d’apporter aux autres la lumière de Son Visage et la tendresse de Son Cœur.
La Croix est un appel à créer en nous cette cathédrale de nous-mêmes qu’est la Présence de Dieu.
Et toutes les cathédrales du monde ne sont que des images auprès de cette cathédrale que chacun doit ériger au-dedans de soi : c’est cela le véritable sanctuaire.
Et ce sanctuaire au-dedans de nous porte la Croix comme notre unique espérance parce qu’elle est la mesure de notre aventure infinie, parce qu’elle nous dit tout le crédit que Dieu nous fait, toute la tendresse illimitée qu’Il a pour nous et toute la noblesse qu’il nous confie, le Bien étant Quelqu’un un à aimer. »14

Treizième station

Jésus est descendu de la croix et remis à sa mère

Nous T’adorons, ô Jésus et nous Te bénissons
R/ Parce que Tu as racheté le monde par Ta sainte Croix.

Jean 19, 38-40
Après ces évènements, Joseph d’Arimathie, qui était un disciple de Jésus mais s’en cachait par crainte des Juifs, demanda à Pilate l’autorisation d’enlever le corps de Jésus. Pilate acquiesça et Joseph vint enlever le corps. Nicodème vint aussi, lui qui naguère était allé trouver Jésus au cours de la nuit. Il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès d’environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus et l’entourèrent de bandelettes, avec des aromates, suivant la manière d’ensevelir les Juifs.

Jésus a cessé de souffrir Sa condition d’homme, alors que se poursuit la souffrance du cœur de Marie. Jésus a remis Son esprit à Dieu et, pour les hommes, il ne reste plus qu’un corps sans vie à honorer, ce corps témoin de Ses douleurs, de Ses angoisses qui portent des fruits éternels : notre rédemption. Avec Marie, la douleur - et malgré sa force, son intensité - prend un autre sens : « Nos souffrances, nos sacrifices, notre mort, tout est semence céleste. Si nous sommes un avec la volonté de Dieu, la vie en sortira pour nous et pour les autres. »15. Le grain de blé… La moisson...
Et suivons la méditation de Maurice Zundel :
« Comment ne pas consoler cette Mère, que Jésus sur la Croix nous confia ? Nous pouvons le faire chaque matin à la Messe, en nous identifiant à Lui : « Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang. »16 Pour que ces mots ne soient point usurpés dans notre bouche, ne faut-il pas que la consécration soit en quelque sorte le symbole de notre désappropriation, le sacrement de la dépossession, du dévêtement de soi, comme la communion est le sacrement de notre assimilation toute intérieure, toute spirituelle au Sauveur ? Il n’y a d’autre raison à la Passion de Jésus Christ que nos refus d’amour. Nous pouvons par notre amour, nourri de son immolation et de sa mort, annuler les raisons des souffrances du Christ, nous détachons Jésus de la Croix et nous consolons Marie en Le lui rendant et en lui disant : « Femme, voici votre Fils »17. Et puisque le Christ l’a donnée comme Mère de tous les hommes, la communion avec le Christ doit s’accomplir en cette communion avec tous les membres du Christ.
Le mal suprême est cette blessure divine que chacun de nous, à sa mesure, peut guérir ; […] le disciple qui donne sans retour, a secouru le Christ […].
Ayons toujours souci d’apaiser aujourd’hui sa douleur. »18

Quatorzième station

Jésus est déposé au sépulcre

Nous T’adorons, ô Jésus et nous Te bénissons
R/ Parce que Tu as racheté le monde par Ta sainte Croix.

Matthieu 27, 59-60
Prenant le corps, Joseph l’enveloppa dans un linceul propre et le déposa dans un tombeau tout neuf qu’il s’était fait creuser dans le rocher ; puis il roula une grosse pierre.

Pour celles et ceux qui ne croient pas en la Résurrection, ce tombeau ferme tous les espoirs, comme les disciples de Jésus qui doutent car ils n’ont pas encore vu le Christ ressuscité. Ils vivent la mort du Christ comme un échec : ils avaient une fausse image du Sauveur d’Israël. Le Sauveur des hommes ne leur avait pas envoyé encore l’Esprit Saint de la Pentecôte, ainsi nous pouvons les comprendre.

Face à la mort, le non croyant y voit le mot fin, le sceptique reste dans l’incertitude, le croyant adopte la confiance, dans la mesure de sa foi en ce que la mort est une naissance à Dieu.

Oui, Jésus nous a donné sa Croix pour tarir la source de la douleur. Que dit la lumière de la Croix, en ce maintenant et pour toujours, à nous les hommes ?
« Il y a un univers de choses où l’homme dispose des automatismes de la nature en faveur de ses besoins matériels, en comptant sur la fidélité de la nature à elle-même. C’est très bien, mais ce n’est pas encore un univers humain !

Et il y a un univers de personnes, où ce sont des présences qui s’unissent et s’échangent, dans la démission et dans la désappropriation qui constituent l’offrande de l’amour.

Dans cet univers de personnes, on ne peut aider les autres à échapper à leur biologie et à surmonter leur animalité, à vaincre leurs vertiges et leur envoûtement, qu’en payant de sa personne, en prenant sur soi leurs désordres, leurs manques d’amour, leurs trahisons et leurs folies.

C’est dans cette lumière qu’il faut situer le sacrifice de la Croix. »19

Avec la mort de Jésus, tournons nos regards vers Dieu,Trinité Sainte qui nous transfigure dans la mesure où nous accueillons Son Esprit, à l’écoute de la Parole de Son Fils et en partageant Son Sacrifice à l’Eucharistie.

Méditons encore sur la Croix :

Par la Croix, l’homme doit se construire jour après jour :

« La croix est notre unique espérance. En elle, nous apprenons le sens des valeurs et nous découvrons ce qui importe en nous, ce que nos cherchons passionnément dans nos amitiés, dans nos tendresses, dans les enfants que nous aimons, ce n’est pas cette caricature où l’être humain est simplement le jouet de sa biologie, d’autant plus obstiné dans ses erreurs qu’il est plus esclave des forces obscures qui le mènent. 

Ce que nous cherchons vraiment, avec une patience invincible, c’est ce qui est humain, c’est ce qui fait que chacun prend le gouvernement de lui-même, que chacun est maître de son destin, que chacun est la source de ses actions, que chacun est un espace assez vaste pour être une présence à tout l’univers.

C’est cet homme que la croix regarde, que la croix concerne. C’est cet homme qui n’est pas encore, peut-être, mais que nous cherchons avec tant de passion dans tous ceux que nous aimons. C’est cet homme qui est né de Jésus-Christ. »20

Prenons un temps de silence.
Liberté révélée par la Croix :

« Il est donc essentiel que nous retenions de cette confrontation avec la Croix de Jésus Christ que le Seigneur s’adresse à nous au plus haut de nous-mêmes. Il nous demande de nous faire hommes, d’être hommes dans la plénitude de nos facultés, dans la plénitude de notre liberté, en nous libérant de tout ce qui n’est pas humain, car la liberté que le Christ nous révèle est une libération.

Ce n’est pas cette liberté stupide et grossière de faire n’importe quoi en se livrant à toutes ses fantaisies. C’est plutôt cette liberté créatrice où l’on sort de la fange de son animalité, où l’on se défait de ses entraves et de ses limites pour surgir comme un être tout neuf dans un monde oblatif, illimité, diaphane et transparent, parce qu’il n’est plus qu’un monde offert. »21

Dans le silence, prenons dans nos cœurs des résolutions.
Prière finale22
O Dieu, vous avez accepté que votre Incarnation en Jésus soit clouée
sur la Croix qui est ainsi sanctifiée par Vous.

De ce bois outrageant devenu arbre de Vie par Votre Volonté,
nous nous réjouissons de la gloire de la Croix.

Ainsi nous vous prions
qu’en tous temps et en tous lieux, par le signe de la croix,
nous puissions jouir de votre protection,
vous le Dieu Trinitaire, trois fois saints.
R/ Amen

Récitons la prière de l’Église, Corps du Christ :
R/ Pater.

Exprimons notre reconnaissance à Marie, Mère de tous les hommes à qui elle a donné un titre, à défendre dans le quotidien d’une vie, celui de fils de Dieu :
R/ Ave Maria.
Gloire
au Père et au Fils et au Saint-Esprit
comme il était au commencement,
maintenant et toujours
et dans tous les siècles des siècles.

Amen.

Méditer un chemin de Croix porte du fruit dans le mesure où nous prenons des résolutions : ora et labora.

Dans le silence de notre cœur, face à la Croix qui nous sauve, discernons comment faire resplendir le Visage de Dieu dans nos vies, dans la mesure de nos dons, reçus de Lui et que nous avons, non à posséder égoïstement, mais à offrir aux autres.
Qu’ainsi, à travers chacune de nos résolutions Sa Volonté soit faite !

Mes résolutions :

A toi lecteur, il appartient de poursuivre ce Chemin de Croix selon la Parole que tu entends dans ton cœur...


Antoine Schülé
Contact : antoine.schule@free.fr 

1Note de l’auteur pour éviter toute confusion : En raison de sa condition humaine, prenant sur Lui les fautes de l’humanité.
2Maurice Zundel : Silence Parole de Vie. Anne Sigier. 2e éd. 1992. p. 87
3Idem. P. 89
4Maurice Zundel : Ta Parole comme une source. Ed. Sigier. 5e éd. 1991. p. 232.
5Pour méditer ce chemin de Croix, je me suis basé sur : Un Chemin de Croix avec Maurice Zundel. Paroisse Saint-Joseph. Genève. 2016. Reprenant sa méditation, j’ai développé sa pensée pour les personnes qui ne la connaîtraient pas, selon ma lecture de Zundel. Il peut y en avoir d’autres : la Parole de Dieu s’adresse librement à tous.
6Maurice Zundel : Ta Parole comme une source. Ed. Sigier. 1991. Québec. Canada. p.274
7Chapitre à lire et à relire car il traite du mensonge défini par le Christ.
8Cette phrase est extraite de la dernière homélie que Maurice Zundel ait prononcée : c’est un programme de vie qu’il s’est fixé et qu’il nous donne. In : Maurice Zundel : Ta Parole comme une source. Sigier. 1991. p. 233.
9Idem, p. 231
10Une Chemin de Croix avec Maurice Zundel. Ed. Paroisse St. Joseph. Genève. 2016. p.31
11Maurice Zundel : Poème de la Sainte Liturgie.
12Une Chemin de Croix avec Maurice Zundel. Ed. Paroisse St. Joseph. Genève. 2016. p.36
13Maurice Zundel. Un autre regard sur l’homme. Paroles choisies par Paul Debains. Ed. Sarment. 2005. p. 111
14Idem. p. 110.
15Romano Guardini : Le chemin de Croix du Seigneur notre Sauveur. 1939. Ed. Salvator. 2013. p. 64.
16Matthieu 26, 26 et 28.
17Jean 19, 26
18Une Chemin de Croix avec Maurice Zundel. Ed. Paroisse St. Joseph. Genève. 2016. p. 41 et 42.
19Maurice Zundel. Un autre regard sur l’homme. Paroles choisies par Paul Debains. Ed. Sarment. 2005. p. 113
20Maurice Zundel : Vie, mort et résurrection. Ed. Sigier. 1995. p. 128
21Idem p. 136
22Inspirée de celle de John Henry Newman. Maurice Zundel avait appris l’anglais en lisant Newman.