mercredi 17 octobre 2018

Hildegarde de Bingen


Hildegarde de Bingen

(1098 – 1179)

les soins de l’âme et du corps.

Antoine Schülé , La Tourette, octobre 2018


«Le corps est l’atelier de l’âme où l’esprit vient faire ses gammes. »
Hildegarde

« Pour le service des hommes, ne relâche pas ta plume !
Transcris ce qu’ont vu tes yeux
et ce qu’ont perçu tes oreilles intérieures. »

Hildegarde Bingen , prologue « Le livre des œuvres divines »

Fêtée le 17 septembre dans notre calendrier romain, Hildegarde de Bingen est la quatrième femme, déclarée « Docteur de l’Eglise », le 7 octobre 2012 par le Vatican. Elle est copatronne de l’Europe, avec saint Benoît.

Au XXe siècle en France, ce n’est pourtant pas son œuvre spirituelle qui a retenu principalement l’attention mais ses écrits médicaux et ses recettes de cuisine. Les passionnés de musique religieuse se sont plutôt attachés à ses compositions musicales : on en compte 77. En Allemagne, avant même d’être sanctifiée, elle était très connue, en plus, pour ses drames liturgiques (voir les vices ci-dessous) et ses manuscrits enluminés, selon les visions qu’elle avait reçues.

Il m’a paru utile de vous partager mes connaissances sur cette femme du Moyen Age et extraordinaire à plus d’un titre. Pour bien la situer, retenons qu’elle vit pleinement selon l’esprit de saint Benoît et qu’elle a été une abbesse bénédictine.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à vous rappeler que, lors de notre dernière rencontre, je vous parlais du traité d’Isidore de Séville (env. 560-636) sur La nature de l’homme où il écrivait que, je cite : « L’homme est double, intérieur et extérieur. L’homme intérieur est une âme, l’homme extérieur est corps. ». Sa conclusion est qu’il faut harmoniser le corps et l’âme : en aucun cas, il ne fallait les dissocier. Les auteurs chrétiens proposent une nouvelle anthropologie : oui, une nouvelle connaissance de l’homme. Ceci est une véritable renaissance qui a débuté au XIIe siècle déjà, je tiens à le souligner !

A leur suite, Hildegarde de Bingen veut démontrer qu’il est possible de reconnaître Dieu dans la création. Elle le peut car elle a une profonde connaissance du monde culturel de son temps. Il vous faut enlever de l’esprit que les moines ou les moniales n’étaient que des gens ignares, enfermés dans les cellules d’un cloître. Elle décrit l’harmonie de l’univers que l’homme doit découvrir pour se transformer intérieurement. Son intention est double : guider les âmes et régénérer l’esprit. Elle l’exprime avec clarté et simplicité de la façon suivante : «Le corps est l’atelier de l’âme où l’esprit vient faire ses gammes. ».

Elle définit la place de l’homme dans le cosmos et dans l’histoire. A la suite de saint Augustin, elle souligne tous les effets positifs de la venue du Verbe, autrement dit Jésus, en chacun d’entre nous, à la condition que le cœur s’ouvre à la Parole de Dieu.
Sa méthode est originale : elle ne suit pas la théorie platonicienne qui commençait à prendre une extension dont Platon lui-même n’aurait jamais imaginer les suites. Les disciples de Platon raisonnent à l’infini : par contre, Hildegarde propose la contemplation et nous dit comment ouvrir nos cœurs, en nous faisant part de son expérience.
Elle adopte le langage des images dont elle a eu non seulement des visions mais, en plus, des explications qu’elle a entendues et qu’elle se contente de transmettre fidèlement.
L’homme se doit de découvrir la Lumière de Dieu pour mieux La regarder et regarder autour de lui. Dans quel but l’homme est-il invité à effectuer cette démarche ? Par la raison et la volonté, l’homme doit prendre des décisions dans sa vie : il lui faut donc discerner le bien et le mal afin d’agir dans la volonté de Dieu dont les fruits sont ou seront la beauté, la vérité, l’harmonie et la paix.
Pour Hildegarde de Bingen, l’homme qui suit cette voie, devient ainsi le vêtement de Dieu.

Aussi pour vous permettre de mieux connaître ou de découvrir son œuvre, cette communication se divise en trois parties : 1. Une sagesse chrétienne, 2. Les soins du corps et de l’âme, 3. Une musique inspirée.

Une sagesse chrétienne

L’œuvre théologique de Hildegarde de Bingen se développe principalement en trois livres, le premier indique la voie à suivre pour pour acquérir la sagesse, le deuxième les moyens à appliquer pour la vivre et le troisième le but qu’il s’agit d’atteindre  :

Le Scivias , titre généralement traduit par « Connais les voies du Seigneur », a été publié en 1151, alors qu’elle était âgée de plus de 50 ans.

Le Liber vitae meritorum, c’est-à-dire « Le livre des mérites de la vie », a été rédigé de 1158 à 1163.

Le Liber divinorum operum, « Le livre des œuvres divines » constitue son testament spirituel. Elle a pris du temps pour le composer : sa rédaction a commencé en 1163 pour s’achever en 1174. Je vous rappelle qu’elle est née à Dieu en 1179 : la mort est une naissance à Dieu et non une fin, mais ce thème n’est pas celui de ce jour.

Ces trois livres ont un point commun : elle décrit et commente ses visions. Dans quelle condition a-t-elle eu ces visions ? Ce ne fut ni dans son sommeil, ni dans une extase. Elle voit et entend des révélations avec ses cinq sens. Chaque vision a une explication théologique et spirituelle. Aux admirateurs de la Divine Comédie de Dante (1265-321 et dont je pourrais vous parler si vous le souhaitez), je signale qu’il est nécessaire de lire Hildegarde de Bingen pour percevoir combien elle a pu l’inspirer ou le précéder dans son expérience spirituelle.

Avoir des visions, c’est bien. Le besoin de les transcrire et de les porter à la connaissance des hommes et femmes de son temps ne lui est pas venu spontanément : ses premières visions, elle les a eues à l’âge de trois ans. Se parents en étaient inquiets : le risque était qu’un prêtre borné, il y en a parfois, y voie l’œuvre de Diable et la condamne au bûcher ! Elle attendit près de 50 ans pour les communiquer et se libérant ainsi d’une maladie qui provenait de son refus de les diffuser, de les communiquer à ses contemporains.

Comment se produisaient ces visions ? Laissons la parole à Hildegarde :

« Chaque fois que je me mettais à mon pupitre, j’élevais toujours le regard vers la lumière de vérité et de vie, afin qu’elle m’instruisit de ce que je devais dire. Tout ce que j’ai écrit en effet lors de mes premières visions, tout le savoir que j’ai acquis par la suite, c’est aux mystères des cieux que je le dois. Je l’ai perçu en pleine conscience, dans un parfait éveil de mon corps. Ma vision, ce sont les yeux intérieurs de mon esprit et les oreilles intérieures qui l’ont transmise. J’ai déjà bien insisté sur ce point lors de mes précédentes visions : je ne me trouvais absolument pas dans un état de léthargie. »1

Il est extraordinaire que l’image qu’elle donne de l’homme (inscrit dans un cercle) ressemble exactement à celle que, bien plus tard, Léonard de Vinci (1452-1529) a rendu si célèbre.

Pour elle, la devise de St. Bernard : « Credo ut intellegam. », pouvant se traduire par « Je crois pour que je comprenne. » est une base. La Foi permet de comprendre et n’aveugle pas. La Foi reconnaît les limites des connaissances humaines et ne cultive pas cet orgueil de la Science qui croit, quant à elle, tout pouvoir expliquer. Les meilleurs scientifiques de nos jours reconnaissent que plus leurs recherches avancent, plus de nouveaux mystères surgissent. Il faut l’accepter et cette acceptation n’interdit pas la recherche scientifique comme les Bénédictins et de nombreux religieux l’ont démontré. L’Église devrait mieux parler des hommes de sciences qu’Elle a eus, en son sein !

Il ne faut pas oublier sa Correspondance. Elle a échangé des courriers avec toutes les personnalités de son temps : des évêques, le Pape, st. Bernard, Frédéric Barberousse. A quelques-uns, même à l’Empereur, elle n’hésite pas à faire des remontrances. Elle donne des éclaircissements sur le catharisme qui est né sur les rives du Rhin avant de se propager jusque dans le Languedoc et la Provence.
Elle porte aussi un regard extrêmement lucide sur le clergé de son temps. A leur sujet, son constat n’est d’ailleurs pas toujours laudatif : elle stigmatise les fautes du clergé avec une vigueur que je considère comme absolument nécessaire. Oui, des hommes du clergé, qu’il ne s’agit pas de confondre avec l’Église, n’ont pas toujours fourni des modèles de sainteté et, lorsque je dis ceci, il ne s’agit pas uniquement de questions de mœurs mais aussi de comportements comme de raisonnements qui souillent la fonction qu’ils exercent et parfois même la discréditent : ce qui est plus grave.
Pour que vous puissiez vous faire une idée précise, voici un extrait de sa lettre citée à Werner von Kircheim, citée dans le livre du Père Dumoulin. Il y a divers scandales dans l’Église et je crois que sa lettre du XIIe siècle garde une certaine actualité. Hildegarde fait état d’une vision. Une femme lumineuse lui est apparue : il s’agit de Marie qui figure l’Eglise dont le vêtement a été souillé et dont l’époux est Jésus. Elle lui dit ceci :

« ‘’Les stigmates de mon époux demeurent frais et ouverts, tant que sont ouvertes les blessures des péchés des hommes. Justement le fait que les blessures du Christ restent ouvertes est la faute des prêtres. Ils déchirent mon vêtement puisqu’ils sont transgresseurs de la Loi, de l’Evangile et de leur devoir sacerdotal. Ils enlèvent la splendeur à mon manteau, parce qu’ils négligent totalement les règles qui leur sont imposées. Ils souillent mes chaussures, parce qu’ils ne marchent pas sur les droits chemins, c’est-à-dire sur les durs et exigeants chemins de la justice, et ils ne donnent pas aussi un bon exemple à ceux qui leur sont soumis. Toutefois je trouve en certains la splendeur de la vérité.’’ [...]»2.

A la demande des Évêques de son temps, elle - une femme de ce Moyen Age tant décrié de nos jours par des personnes qui en ignorent tout -, elle effectue de nombreux voyages de prédication. Ils ont compris qu’elle est animée par l’Esprit Saint qui lui donne la force de surmonter les préjugés sur les femmes qui existaient aussi à son époque. Nous avons là un bel exemple de féminité avec une force vraiment virile.

Revenons à ses visions qu’elle nous décrit avec tant de précisions. Les longues et patientes recherches menées pour les comprendre ont mis en évidence : depuis l’âge de 5 ans, Hildegarde était saisie dans une lumière et amenée à une contemplation du monde.

Le Scivias
A l’âge de 42 ans, soit en 1141, elle commence l’écriture du Scivias qui sera diffusé en 1151. Ce livre ne peut se lire qu’en ayant sous les yeux les 35 miniatures qui servent de base à ses commentaires (en 150 000 mots et 235 pages). Cette publication reçoit l’approbation de saint Bernard qui était pourtant souvent accusé de misogynie.

Son message essentiel et je vous en offre une petite synthèse car il serait impossible en une heure de temps de « tout dire » : L’homme s’est éloigné de Dieu pourtant son Créateur ; aussi, elle décrit les voies concrètes, du vécu, du quotidien que l’homme doit - en totale liberté - choisir et discerner pour retourner vers son Créateur. Il y a donc un appel double : à l’intelligence et à la volonté de l’homme. L’intelligence pour discerner le mal du bien, le vrai du faux et non pour abdiquer ses facultés de raisonnement. Oui, la volonté car savoir ne suffit pas, encore faut-il agir, oser agir et pour ce faire, il faut de la volonté.

Elle traite de 26 visions et gardons l’image de l’arbre de vie en tête, avec ses racines, son tronc et ses fruits : 6 visions traitent du temps avant la venue du Christ (la Création, la Chute), les racines ; 7 visions traitent du Christ et de l’Église, le tronc ; 13 visions, de la vie de l’Église s’inscrivant dans l’histoire, les fruits.

Sa contemplation du livre de la Genèse compte quelques éléments que je tiens à vous signaler et sur lesquels je vous invite à réfléchir par vous-même. Dieu a fait l’homme à partir de la terre. Par contre, la femme, Eve, a été créée à partir de la chair d’Adam : de sa côte, de celle qui est proche du cœur. Dieu a pris la condition d’homme, en la personne de Jésus en prenant chair de Marie, une femme. Ces signes de Dieu sont signifiants et il m’a fallu lire Hildegarde pour percevoir toute l’importance de ces signes.
Actuellement c’est la puissance de ses images, les enluminures, qui retiennent le plus l’attention. Ce qui déconcerte le lecteur contemporain, c’est son langage symbolique. D’un point de vue théologique, elle nous offre un merveilleux catéchisme où il est question de tant de thèmes que tout chrétien devrait approfondir : la Trinité, le Christ, le Salut de l’Église et la Fin des temps. Tout ceci pour préconiser une conséquence logique : un code de conduite pour agir dans les voies de Dieu. Nous pouvons appeler ceci une morale, même si le mot donne de l’urticaire à certaines personnes. Hildegarde de Bingen exalte les vertus. Elle parle comme un prophète audible encore en ce XXIe siècle. Elle donne un enseignement qui garde toute sa valeur. Son écrit mêle différents genres d’écriture : le style narratif, le style dramatique, des exposés scientifiques et même des poésies accompagnées de musique (l’art lyrique lui est très important et je reviendrai sur cet aspect).

Que retenir sans entrer dans trop de développements ? Hildegarde aime et chante la vie. Le mot latin qu’elle préfère est viriditas, c’est-à-dire fraîcheur, vitalité et fécondité (pas uniquement biologique mais aussi celle des actes de vie dans le quotidien). Son originalité au XIIe siècle est de proclamer très clairement que la santé se décompose en trois constituants indissociables : la santé physique, la santé psychique et la santé spirituelle. Il ne lui a pas fallu attendre Sigmund Freud (1856-1939) ou Carl Gustave Jung (1875-1961) pour établir ce constat et elle a l’avantage de ne pas utiliser tout un jargon particulier incompréhensible pour le grand public.

Elle vous conduit à une exploration de l’âme par la contemplation et en prenant pour guide l’Esprit Saint. La finalité de cette démarche est que nous devenions des coopérateurs de Dieu.

Le livre des mérites de la vie

Hildegarde utilise de nombreuses images de la vie animale et j’ai traité cette approche médiévale lors d’une précédente communication, à laquelle je vous renvoie. Son enseignement porte sur les vices et les vertus. Pourquoi ? Elle nous invite à démasquer ces esclavages intérieurs qui peuvent nous asservir, en décrivant 35 vices.

Le principal est l’orgueil : Qu’est-ce que l’orgueil ? C’est accomplir sa propre volonté au lieu d’accomplir la volonté de Dieu.

Parmi les vices, je souhaite, en ce jour, en retenir un plus particulièrement : la lâcheté. Et je reprends le choix du Père Pierre Dumoulin, auteur d’un ouvrage3 que j’estime être le meilleur pour effectuer une première approche de la pensée de Hildegarde de Bingen. Il s’agit d’une image et d’un dialogue entre la lâcheté et la Victoire en Dieu (donc le courage chrétien), avec une conclusion, une morale de l’histoire pourrions nous dire. Retenez aussi que les sœurs bénédictines jouaient ces scènes, en costumes adaptés : théâtre et danse au service de la Foi. Voici quelques extraits qui vous permettront de vous faire une idée plus précise :

[Image] 4:

«La lâcheté a une tête humaine, mais son oreille gauche est comme celle d’un lièvre et lui couvre la tête, elle a un corps de ver lové dans son trou.

[Dialogue] :*

Lâcheté : Je ne prendrai aucun risque, de peur d’être exilée et privée de protecteur. Si je m’exposais aux offenses des autres, je perdais mes moyens d’existence et serais privée de mes amis. J’honore les nobles et les riches, je ne m’occupe pas des saints et des pauvres, puisqu’ils ne peuvent rien me donner. Je veux être en paix avec tous pour ne pas risquer de périr. Si je me battais, on riposterait ; si je faisais du mal, on m’en ferait encore plus. Je me tiendrai donc tranquille : qu’on me fasse bien ou mal, je me tairai. Il vaut mieux parfois pour moi mentir et tromper que dire la vérité ; il vaut mieux gagner que perdre et éviter les forts que les combattre. A quoi bon entreprendre ce que je ne pourrai ne pas achever ? […]

Victoire : « En divagant, abrutie par la peur, tu es partie en exil et tu as trompé l’homme… Tu n’as aucun honnêteté. Moi, je tiens le glaive des vertus de Dieu avec lequel je pourfends les injustices… Je ne veux pas d’une vie croupissant dans la poussière et les vanités de ce monde, mais je désire venir à la source jaillissante… Je combats le vieux serpent et ses dépouilles avec le Mystère de la Divine Écriture pour rester dans le vrai Dieu... »

[Morale]

- La lâcheté suit la dureté comme une vilaine tache. L’homme lâche ne veut pas s’opposer aux vices, mais les attire par sa paresse. Les imbéciles, dans leur insignifiance, se croient honnêtes alors qu’ils aiment l’oisiveté, ne pensent à faire aucun bien, mais se tournent vers la médisance, s’attachent lâchement aux insinuations et aux calomnies au point que cela occupe complètement leur cœur. Ils échangent la confiance qu’ils devraient avoir en l’aide de Dieu et des hommes contre les saletés de leur plaisir. »5

Vous avez l’exemple de propos virils, prononcés par une femme et qui témoignent de son expérience et de la vie, et des hommes. Oui, la lâcheté est un vice encore trop commun de nos jours : notre Église peut en mourir, si trop de Chrétiens ne réagissent pas en se confiant à Dieu et en ayant le courage de vivre leur Foi en actes et en paroles ! Nos sociétés n’osent plus reconnaître les origines de leurs maux pour réagir sainement : par lâcheté. Dans certaines familles, il y a des refus de reconnaître des vérités : par lâcheté. Au final, le lâche se pourrit la vie qui devient ainsi tragiquement inutile.

Ces vices entraînent des tares physiques. Il donc nécessaire de pratiquer des vertus pour soigner l’homme. Évidemment je précise tout de suite que Hildegarde n’affirme jamais que la maladie soit une punition de Dieu mais que la maladie peut être un signe de Dieu. La maladie peut être aussi une occasion de redécouvrir Dieu. Hildegarde a été malade car elle voulait taire ses visions : elle fut guérie quand elle a accepté de les faire connaître.
Je signale d’ailleurs que bien des médecins actuels affirment avec raison que le corps somatise des évènements de la vie alors que nous ne les avons même plus en mémoire : l’inconscient existe, il n’est plus nécessaire de le démontrer. Retenez qu’au XIIe siècle une femme, bénédictine le disait déjà, certes pas avec nos mots mais avec des exemples concrets !

Les vertus sont enseignées par Dieu non par des lois, des théories, des raisonnements purement intellectuels : Dieu s’est fait homme par le Christ qui a enseigné par sa vie, par des actes qui correspondaient à ses paroles. Il y a tant de personnes qui dissertent, parlent d’abondance mais qui trahissent les mots de leur bouche par les maux de leurs actes ! L’histoire comme l’actualité en donnent tant d’exemples !

Cultiver les vertus, c’est retrouver la vraie nature de l’homme qui est d’être, et non de paraître, un véritable enfant de Dieu.

Cultiver les vertus, même dans les vices du monde et malgré eux, exige aussi du courage : au final, dans cette vie promise après la vie terrestre, et à laquelle je crois, sa vision nous laisse entrevoir les joies et les beautés que vit le bienheureux, désigné heureusement non par les hommes mais par Dieu.

Le livre des œuvres divines

Je vous l’avoue, c’est mon livre préféré et c’est celui qui m’a incité, il y a plus de trente ans maintenant, à étudier son œuvre. Elle y commente 10 visions.

Hildegarde l’a achevé cinq ans avant sa mort. Il est magnifique car c’est une invitation pressante à contempler la puissance de Dieu dans Ses Œuvres, dans Sa Création. L’homme, et j’entends bien sûr la femme aussi bien que l’homme, doit contempler les merveilles de Dieu dans notre univers, dans notre cosmos, dans notre quotidien pour découvrir ou prendre conscience de l’agir de Dieu. Ainsi quand je vois un beau panorama, une personne belle par ses qualités morales, j’admire l’œuvre de Dieu dans la nature, dans autrui. Malheureusement, il me faut subir le laid ou l’image inverse de Dieu, qu’il est possible d’appeler le Diable (oui, il existe, n’importe qui peut le rencontrer) : la rose humaine n’est jamais sans les épines des vices.

Mieux que des commentaires ou des synthèses, un extrait de son écrit vous permettra de bien comprendre sa pensée. Il faudrait analyser tout l’extrait et, si vous le souhaitez, nous pourrions le faire en une autre réunion.
Écoutez plutôt  :

«103 [...] L’âme certes n’est ni chair ni sang, mais elle emplit et la chair et le sang, pour leur donner la vie, car, raisonnable, elle est issue de Dieu qui a insufflé la vie à la forme première. L’âme et le corps sont donc l’œuvre unique d’une double nature. Au corps de l’homme, l’âme apporte l’air pour la pensée, la chaleur pour la concentration, le feu quand il s’agit d’assimiler et l’eau quand il s’agit de transmettre, et la viridité pour la germination. Voilà comment l’homme est composé depuis le début de son institution, en haut comme en bas, autour de lui et à l’intérieur : partout, il est corporel. Telle est sa nature.
104-105  Or lorsque l’homme accomplit des œuvres justes, les éléments suivent aussi des voies justes. Dans le cas contraire, l’homme est dominé par les éléments et par le douloureux châtiment qui les accompagne. Le corps agit en effet avec l’âme conformément à la volonté de ses désirs, et Dieu juge l’homme d’après ses œuvres, pour la vie ou pour la peine. L’âme pénètre tout le corps par ses pensées, par ses paroles, par ses soupirs, comme le vent pénètre tous les recoins d’une maison. Dans l’homme, pendant cette coopération, le corps est pesant, et il occupe un lieu déterminé, il ne peut se lever de terre. Mais lorsque le corps et son âme vivante seront renouvelés, après le dernier jour, il sera léger, il volera comme un oiseau. L’âme tant qu’elle est dans le corps, sent Dieu, parce qu’elle vient de Dieu. Mais tant qu’elle accomplit sa tâche dans les créatures, elle ne voit pas Dieu. Lorsqu’elle aura quitter l’atelier de son corps et lorsqu’elle sera confrontée à Dieu, elle connaîtra sa nature et ses anciennes dépendances corporelles. »6

L’âme est le souffle de Dieu dans le corps qui est constitué de quatre éléments : terre, eau, feu, air. L’âme régit la pensée droite mais la liberté est laissée à l’homme de désirer la voie de Dieu, en faisant le bien et cultivant le beau, ou de la refuser, en pratiquant le mal et en préférant le laid. Les Évangiles insistent pour que le Chrétien discerne le vrai du faux, le bien du mal : il ne peut pas et ne doit y avoir de confusion possible comme le préconise le relativisme ambiant qui règne dans toutes les strates de nos sociétés actuelles.

Les soins du corps et de l’âme

Les Bénédictins ont réuni de nombreuses connaissances médicales : leurs livres de santé témoignent d’une curiosité intellectuelle remarquable. Ils mentionnent des plantes qui ne se trouvent nullement en Europe mais uniquement en Chine, aux Indes et bien sûr au Moyen Orient7.

La bénédictine Hildegarde de Bingen a réuni tout ce savoir et l’a en plus enrichi par ses visions, en décrivant les plantes, mais aussi des pierres, dons un livre intitulé Physica. De façon plus originale, elle a composé une sorte de livre de consultations sur les maladies à traiter et donc sur les soins à fournir : Causae et curae. C’est probablement un de ses livres le mieux connu des non chrétiens et celui qui a fait sa célébrité au XXe siècle. De nos jours, il existe toute une école8 de soins selon les méthodes établies par Hildegarde de Bingen.

Pour elle, être en bonne santé est garanti si l’on mène une vie juste. Il peut y avoir des accidents, des conséquences de la famine ou des guerres : leur cause ne se trouve pas en Dieu mais dans les fautes des hommes.

Les pensées, que nourrit chacun d’entre nous, jouent un rôle important, voir décisif, sur notre état de santé. Regardez le visage de celui qui est toujours aigri, rogue et celui qui sourit à la vie ou aux autres (si les autres ne l’agressent pas bien entendu).

Elle attire l’attention que chacun est responsable en premier de sa santé. Il y a des comportements sains ou malsains (un art de vivre), une hygiène de vie qui commence par ses façons de boire ou de manger qui peuvent être bénéfiques ou maléfiques. Il est nécessaire d’opter pour des habitudes alimentaires modérées et soigneusement choisies : alors, là, ses conseils sont multiples et adaptés à chaque type de situation de santé. La pratique du jeûne peut être une source de guérison en certaines circonstances.
Sa pratique de la médecine est toujours valable et elle formule diverses exigences. Le médecin accompagne la guérison dans la mesure où il connaît son patient : il n’y a pas une seule médecine pour tous. Elle établit un profil du patient pour adapter les soins. Quelle modernité ! Je ne suis pas toujours certain que tous les médecins appliquent ce procédé de nos jours. Il est plus facile et rapide de rédiger une ordonnance, même de bonne longueur, que de prendre le temps de comprendre le patient, de chercher la cause ou les causes.

Un changement de comportement du malade offre aussi une possibilité de guérison. En ce sens, elle apporte une réelle contribution à une saine pratique de la médecine.

Quant à l’usage des plantes médicinales, elle est très prudente. Leur emploi peut être parfois dangereux pour la santé. Les plantes doivent être ramassée et conservées dans de bonnes conditions et il s’agit de les employer à bon escient, au bon moment et avec de bons dosages.

Et je termine cette deuxième partie de cet exposé, en vous citant ce que Ellen Breindl écrit si bien dans son livre que je vous recommande :

« Alors qu’on a tendance aujourd’hui à considérer et traiter isolément les diverses doléances des patients, Hildegarde examine l’homme tout entier. C’est-à-dire que la mal de tête n’est pas simplement expédié par un cachet ; Hildegarde s’enquiert toujours du « pourquoi » et de la « cause » : la douleur vient-elle finalement du cœur ou peut-être même de l’âme ? Alors que la médecine moderne voit dans le patient surtout la sommes de ses organes qu’on traite séparément, Hildegarde voit dans le « patient » l’unité du corps et de l’âme ; elle associe la guérison de l’âme à celle du corps et inversement. De ce point de vue, la plante n’est jamais le seul remède à base naturelle, mais toujours porteuse en même temps de forces divines. »9

Une musique inspirée

Ses visions étaient accompagnées d’une musique qu’elle s’est contentée de transcrire. Sa musique veut être le reflet de l’harmonie divine. Plusieurs d’entre vous ont certainement lu des thérapeutes qui parlent des vertus curatives de la musique10. Au XIIe siècle déjà, Hildegarde a écrit de belles pages sur le pouvoir thérapeutique de la musique.

Dans l’esprit de Grégoire de Nysse (330 env.-env. 395), elle distingue quatre sortes d’harmonie : harmonie de l’univers ; harmonie de l’homme en tant qu’ « image » de Dieu dans la mesure où cet homme applique les vertus ; harmonie des bienheureux, les élus de Dieu que seul Dieu connaît et désigne. La musique exprime par des notes le mouvement des âmes : une musique n’est pas neutre, elle est une voix de l’âme. La musique est belle quand elle signifie l’harmonie de l’âme avec l’univers. N’oublions pas que les Psaumes sont chantés à l’origine : je vous avoue que la musique grégorienne accompagnant les Psaumes me captive, m’élève vers un autre monde et ainsi me fortifie.

Hildegarde parle ainsi de la musique de ses visions :

« Je vis de l’air éclatant de lumière dans lequel j’entendis, au-dessus de toutes les images, toutes sortes de musiques merveilleuses… et de ce concert, comme la voix d’une multitude, s’organisait en harmonie de louanges sur les degrés du ciel. »11

Mettons-nous à l’écoute de sa musique qui touche tout l’être en son for intérieur. Au moyen d’Internet, votre moteur de recherche vous fournira plusieurs heures de musique hildegardienne. Je vous renvoie à ma bibliographie ci-dessous pour les références de deux CD remarquables que je vous conseille vivement d’acheter.

Conclusion

Hildegarde de Bingen est une contemplative qui conduit à l’action.

Elle a eu des visions avec ses yeux et ses oreilles intérieurs.

Elle nous dévoile une merveilleuse sagesse chrétienne.

Elle préfère parler avec des images plutôt que de discourir en de longs raisonnements.

Elle cultive un profond respect des personnes mais qui ne doit pas empêcher de dire ce qu’il faut corriger, que ceci plaise ou déplaise, ceci n’est pas son affaire.

Son originalité est d’avoir illustré par ses visions une nouvelle théologie du salut : l’homme est sauvé par la contemplation de œuvres divines en lui, autour de lui et dans l’univers (l’harmonie parfaite).

L’âme est le souffle de Dieu. Si le corps écoute l’âme, il y a une harmonie et donc la santé ; si la volonté humaine, toujours libre, refuse la Parole de Dieu, il y un mal qui peut être en plus corporel.

Elle souligne la féminité du Christ car Jésus nous promet une renaissance à celle ou celui qui marche selon la voie qu’Il a indiquée Lui-même, lors de son passage terrestre en acceptant de prendre la condition d’homme. Pour elle, le sang du Christ est le lait des Chrétiens : image plus parlante à ses yeux que la source d’eau vive. Un Chrétien renaît par le baptême : l’eau du baptême succède à l’eau matriciel pour un nouvel enfantement spirituel. Ensuite, le Chrétien doit ou devrait grandir… Son aventure terrestre ne fait que commencer : le chemin du Christ n’est pas facile et peut susciter la haine des autres...

Avant de vous laisser poser d’éventuelles questions, il me faut vous proposer une bibliographie utile pour toute personne qui désire s’initier à son œuvre :

Éditions de ses œuvres :
Les deux principaux ouvrages en français d’Hildegarde, avant d’en lire d’autres :

Le livre des œuvres divines. Ed. partielle de Bernard Groceix. Albin Michel. 1989.

Scivias : Ed. Cerf. 1996. 730 p.

Pour s’initier correctement, le titre à recommander  :

Père Pierre Dumoulin : Hildegarde de Bingen. Ed. Des Béatitudes. 2012

Pour aborder l’aspect médical :

Ellen Breindl : Hildegarde de Bingen. Une vie, une œuvre, un art de guérir en âme et en corps. Dangles. France. 1994.
et
Dr . Gottfried Hertzka, Dr. Wigard Strehlow : Manuel de la médecine de Ste Hildegarde. Résiac. France. 1988

Musique :
Il existe d’excellents CD, mes deux préférés :

Sequentia : Chants de l’extase.
Anonymous 4 : The origin of fire.

Sites Internet :
La musique de Hildegarde se trouve facilement sur Internet.

Film biographique :
Herbert G. Kloiber : Vision, il existe une version sous-titrée en français de cette production en allemand.

Conférences  :
voir sur KTO et les présentations du Père Pierre Dumoulin, Père François Marxer, Laurence Moulinier, Lorette Nobécourt, Marie-Anne Vannier et sur You Tube Arnaud Dumouch.

Je vous remercie pour votre attention et suis à l’écoute de vos questions éventuelles.
Antoine Schülé

La Tourette, 16 octobre 2018.


En cas d’emploi de mon travail, merci de citer la source !

Vous souhaitez d’autres présentations sur Hildegarde, contactez-moi.


1Hildegarde de Bingen (trad. de Bernard Gorceix) : Les livre des œuvres divines. Albin Michel. Paris. 1989. 100 p. d’introduction et 224 p. Ci-après abrégé LOD. p. 4
2PL 197, 269 s., Dumoulin, p. 39
3Père Pierre Dumoulin : Hildegarde de Bingen Prophète et docteur pour le troisième millénaire. Béatitudes. 2012. 308 p.
4Trois intertitres du rédacteur pour mieux comprendre la méthode.
5Idem, p. 162.
6LOD pp. 120-121.
7C’est par la Perse que ce savoir lointain est parvenu en Occident : la culture n’avait déjà pas de frontière en ce temps moyen-âgeux !
8Dont le siège est à Bâle (Suisse).
9Ellen Breindl (trad. de l’allemand par Eliane Kaufholz-Mesmer) : Hildegarde de Bingen, Une vie, une œuvre, un art de guérir en âme et en corps. Dangles. 1994. 298 p.
10Leon Bence et Max Méreaux : Musique pour guérir. Van de Velde. Fondettes (F). 1988. 280 p.
11Hildegarde de Bingen : Scivias, 13e vision.