mercredi 2 octobre 2024

Maurice Zundel : culture, littérature et foi.

 Maurice Zundel : culture, littérature et foi

par Antoine Schülé, le 26 mai 2024.

Le propre de l’homme est la culture où naît cette pensée créatrice qui lui donne la volonté d’être soi et d’agir pour tous. La culture conduit à une transformation selon les capacités de chacun : agricole, manuelle, physique, intellectuelle, culturelle, spirituelle ou encore scientifique. Intéressons-nous au cheminement  particulier de Maurice Zundel qui nous élève à la mystique : ceci consiste tout simplement à suivre ce chemin qui conduit aux mystères de la création et du Créateur. La question fondamentale est de savoir ce qui concrétise la dignité de l’homme dans l’univers. 

Son approche se pratique selon plusieurs étapes que je vous propose ici en une petite synthèse, alors que ce sujet mériterait des développements plus amples : 

l’apport de la culture pour s’ouvrir au Créateur de toute chose;  sa relation avec les livres; sa réflexion sur l’origine du mal; la Bible pour comprendre l’âme humaine; trois écrivains (Camus, Shakespeare et Wilde) pour réfléchir sur la condition humaine; les limites matérialistes de la pensée de Marx; homme animal, selon certains biologistes, et l’homme nouveau, cet homme en devenir; l’homme nouveau avec saint Augustin; une raison de révolte selon Camus;  du bon emploi de la conscience, ce champ de liberté;  être soi en toute vérité, véritable dignité de l’homme;  rencontrer la dignité réelle ou potentielle de l’autre; se libérer en donnant, selon les dons reçus. 

Vous disposez d’une brève biographie de Maurice Zundel, pour ceux qui ne le connaissent pas, et d’une conclusion résumée, en deux annexes de cet écrit.

Quelle est la dignité de l’homme ? 

Cette question se pose à chacun d’entre nous, aussi bien face à soi-même que face à ceux qui nous entourent et surtout lorsque sa vie est engagée dans l’action. Nous observons des êtres merveilleux par leur rayonnement, des personnes sans lumière intérieure vivante et des individus qui ne suscitent qu’un seul regret : celui, malheureusement,  de les avoir connus !  

Les réponses varient. Le bon sens populaire, dans la mesure où il n’est pas faussé par de pseudo-maîtres à penser, la définit vite : loyauté, fidélité, respect des autres, conscience familiale et professionnelle. Les écrivains peignent des héros, des vies ordinaires (parfois belles, parfois ternes), des égocentristes, des timorés, des lâches, des traîtres, des criminels de sang ou en col blanc, autant de figures qui aiguisent le regard du lecteur attentif et qui aident à mieux comprendre les grâces ou les tourments de l’autre. Les philosophes raisonnent, certains clairement, d’autres de façon tortueuse, sur les qualités et les défauts de choix humains, avec ou sans Dieu. Les théologiens chrétiens, à la lecture du Nouveau Testament, au gré de leurs interprétations, signalent les valeurs qui révèlent la dignité de l’homme. 

A plusieurs d’entre vous, il peut paraître curieux d’associer le théologien qu’est Maurice Zundel à une réflexion sur la culture et, plus spécialement, la littérature pour répondre à cette question. Et pourtant, il m’a beaucoup appris pour considérer ces deux moyens de connaissance qui se complètent dans la mesure où tous deux nous parlent de l’homme. 

Très souvent, dans ses prises de parole, il se réfère à des écrivains et même à des écrivains dit maudits ou dit ennemis de l’Eglise : ce qui a choqué bien des Tartuffe ou des pharisiens, je vous laisse le choix du terme ! Pour les rares lecteurs de la Bible en entier, donc aussi bien de l’Ancien que du Nouveau testament, il est évident qu’il y a aussi des pages scandaleuses dans l’Ancien Testament que corrige heureusement le Nouveau Testament !

Cette conférence s’adresse aux croyants comme aux non-croyants, car la culture n’est pas une question de foi : la culture, normalement le fruit d’un effort personnel, n’est pas la simple adoption aveugle d’opinions d’autrui sur tel ou tel sujet. Cette citation de Jean Guéhenno formule bien mon intention et l’approche de Zundel : “La culture vraie n’est qu’une accession aux plus grands problèmes que pose la vie des hommes et un effort pour les résoudre.”

Maurice Zundel

Ses écrits témoignent de ses  connaissances étendues des arts, de la science, de la philosophie comme de la théologie. Sa capacité à rendre, dans un langage adapté à son public, aussi bien son érudition que son expérience spirituelle, était et reste admirable. 

Pour transmettre sa richesse intérieure, Zundel n’avait pas besoin de parler de foi, il la vivait dans ses actes, ses paroles et ses écrits : sa façon toute particulière de nous partager sa lumière intérieure. Il est encore bien  présent à travers ses livres publiés de son vivant et de toutes les transcriptions de ses conférences et prises de parole par des auditeurs attentifs. Marc Donzé, avec une équipe dévouée, a entrepris de publier les œuvres complètes de Maurice Zundel, édition “Parole et Silence”. 

Jeune prêtre donnant le catéchisme, il est confronté à un problème de choix face à des adolescents et adolescentes, issus du milieu ouvrier (Paroisse St Joseph à Genève) : soit leur donner un enseignement théorique qui conduit trop souvent à cette fausse image d’un Dieu lointain et autosuffisant, soit les ouvrir à une rencontre personnelle avec Dieu, à travers la Beauté de l’œuvre divine et des œuvres humaines. Tout peut se construire sur ce simple désir, enraciné en tout homme désireux de vérité : rechercher la beauté.

Là où il y a la Beauté dans la vie, dans la création, il y a Dieu : tel est son enseignement fondamental. Il ouvre les jeunes esprits non seulement à la lecture d’extraits des Pères de l’Eglise et tout spécialement de saint François de Sales (Introduction à la vie dévote) et de saint Augustin, mais encore des écrivains classiques qui lui permettent d’offrir des exemples qui élèvent les âmes. 

A ses débuts, il cite Virgile, Pierre Corneille, Jean Racine, Léon Daudet, Charles Maurras, Charles Péguy, Victor Hugo, Gonzague de Reynold, Georges Valois, Ferdinand  Ramuz, Gottfried Keller, Paul Claudel et Henri Ghéon. Plus tard, il initie ses réflexions avec Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Karl Marx, Oscar Wilde, Jean Guéhenno, Arthur Rimbaud, John-Henry Newman, Gottfried Keller, Angélus Silesius, Novalis, Léon Bloy, William Shakespeare et bien d’autres ! 

Le lecteur

Maurice Zundel était un lecteur assidu : d’une certaine façon, il nous apprend à lire. Il pouvait résumer en dix ou quinze minutes un livre, avec cette capacité d’en révéler l’essentiel. Sa qualité est d’en délivrer une synthèse aussi précise que fidèle et avec cette cette prise de distance que tout lecteur devrait avoir. Sa méthode est d’adopter un sens critique constructif qui ne crée pas une dépendance intellectuelle au cours d’une lecture, mais suscite une libération intérieure pour nourrir la réflexion, à partir de laquelle un choix libre se décide. 

Il s’intéresse à tous les sujets, du passé comme de son temps. Oui, l’histoire, faite de cette pâte humaine, le passionne dans la mesure où elle enseigne. Son érudition surprenait ses interlocuteurs universitaires. Il savait parler avec les mots justes aussi bien à des enfants, qu’à une femme au foyer ou qu’à un professeur d’université.

Dans sa biographie rédigée par Bernard de Boissière et par France-Marie Chauvelot, nous avons le témoignage de Charles Farwagi :

“    - Quelles sont les lectures qui vous procurent le plus de plaisir?

- Un livre qui a une création, qui apporte une création de l’auteur, voilà ce qui me touche.

- Eh bien, qu’est-ce que vous aimeriez lire ?

- Des contes : c’est la lecture la plus passionnante et la plus instructive. Quand je parle aux enfants, je parle toujours avec des récits et je me sens très proche d’eux, et je les sens très proches de moi.”

Autres témoignage : “C’était un conteur extraordinaire. Des histoires, avec quelquefois des points d’interrogation. Quand il parlait aux enfants, c’était toujours des récits, des images.” Lorsqu’il donnait le catéchisme à des enfants de 10 à 12 ans, je m’en souviens, il aimait commencer par un bref récit ou un conte pour ouvrir nos esprits, nos yeux, et donc nos cœurs à une harmonie de nature christique : une forme de poésie de la vie. 

Les livres

Pour connaître sa relation avec les livres, le mieux est de donner la parole à Maurice Zundel :

“Ce n’est pas que je retienne grand-chose de tous les livres que j’ai lus. Il ne m’en reste guère, la plupart du temps, que l’invitation à mettre en doute presque tout ce qui m’a été enseigné. Ils m’apprennent surtout à “désapprendre”, selon le mot savoureux de Péguy, et à suspendre mon jugement sur un nombre incalculable d’affirmations énoncées comme allant de soi. Ce qui m’oblige sans cesse à recourir aux sources, pour autant qu’elles me sont accessibles. Ce n’est pas sans profit et cela donne lieu parfois à d’heureuses surprises.

Mais le vrai motif de mon culte pour les livres est qu’ils constituent presque ma seule conversation...” 

Confronter les idées d’un auteur avec les siennes crée ce débat intérieur qui alimente une saine réflexion, pouvant devenir une méditation. Se remettre en question est un travail de conscience, dans la mesure où la quête de vérité est possible à l’homme. Il ne s’agit pas de lire uniquement ce qui conforte nos choix initiaux dictés par notre famille, notre société, notre entourage, nos media ou le courant politique dominant. Il est salutaire de confronter nos idées à celles que nous rejetons partiellement ou complètement. “Discerner” n’est pas un vain mot ! Au final, deux résultats positifs : mieux se comprendre et mieux comprendre l’autre. Etre en désaccord avec certaines opinions ne signifie pas être en haine envers la personne qui les exprime. Par contre des idées peuvent être haïssables : certaines idéologies sont inacceptables.

Zundel nous éclaire sur la nature que trop véridique et fréquente de nos discussions entre amis ou entre spécialistes :

“... chacun d’entre nous affronte le dialogue avec autrui aimanté par un choix, souvent inconscient, qui détermine à la fois l’ampleur de son champ visuel et la direction de son regard. Ce choix précède tout autre choix et il engage - tant qu’il dure - toute la vie, comme la manière, comme le niveau, qui conditionnent la volonté de l’assumer, le consentement que l’on est prêt à lui accorder.

Ce choix fondamental a un caractère affectif indubitable qui ressort du fait qu’il n’admet pas d’être contesté, qu’il provoque, autrement dit, des réactions d’amour-propre dès qu’autrui s’avise de le mettre en question, comme s’il s’agissait d’une interdiction d’exister selon que l’on est.

Il en résulte, immédiatement, que renoncer à ce choix antérieur à tout choix, à cette option fondamentale, c’est, en quelque manière, changer d’être. Il est donc naturel, aussi longtemps que l’on tient à demeurer ce que l’on est, que l’on défende “avec le bec et les ongles” le seul mode d’être avec lequel on est capable d’exister. D’où le dialogue de sourds qui s’institue, inévitablement, entre partenaires dont les options fondamentales s’excluent  mutuellement.”  

Et à propos de discussions stériles qu’il convient de fuir, il en donne des raisons à garder à l’esprit :

“De fait, lorsque l’on est témoin d’une discussion où l’on se borne à écouter, on constate, presque toujours, que chacun demeure sur ses positions : non sans dommage, si le débat s’échauffe, pour la courtoisie et l’amitié. 

Mais le plus grave est le risque de “mauvaise foi” qui guette des options fondamentales en conflit. A bout d’arguments, on altère, subtilement, le sens des questions, on recourt à des références suspectes, on se prétend informé de ce que l’on sait, au fond, n’être point sûr ou l’on s’en tire par un feu d’artifice oratoire qui “noie le poisson dans la sauce”.

C’est ce risque de mauvaise foi, conjugué avec celui de blesser l’interlocuteur, qui m’a inspiré l’horreur de toute polémique et la résolution de ne m’engager jamais dans aucune discussion. Comme le caquetage des diseurs de banalités me rend muet, il ne pouvait combler ce besoin de conversation, indispensable à tout être humain, que je m’interdisais de satisfaire en refusant tout débat sur des questions controversées. 

Il ne me restait plus que les livres. Avec eux, aucune difficulté d’avouer mon ignorance, aucune nécessité d’aboutir à une conclusion, aucune mise en demeure de prendre parti pour une conviction avant qu’une conviction ait mûri spontanément, dans les “chambres secrètes” du cœur et de l’esprit. Avec eux, on peut, chaque matin, se remettre à l’école et faire un nouveau départ dans un monde tout neuf.”  

Une lecture conversation

Maurice Zundel apprécie l’utilité des livres qui enrichissent les connaissances, fournissent ces jalons qui nous conduisent sur le chemin de la vérité, sans ignorer les limites de nos capacités humaines, ce qui est une invitation à l’humilité intellectuelle :

“Ils nous rendent, en effet,  contemporains de tous les âges et de tous les génies, ils nous délivrent de notre insularité en nous initiant à d’ inusuelles problématiques qui complètent et relativisent la nôtre et en nous confrontant à d’autres mentalités, d’autres échelles de valeurs, nous invitent  à une salutaire autocritique. Ils ne forcent jamais notre attention, nous laissant libres de leur donner audience ou de leur donner congé : ils nous induisent au silence, qui est le maître des maîtres, puisqu’ils nous enseignent sans parler. 

Quel repos, quand on est submergé par le bruit des contacts “humains, trop humains”, de pouvoir s’entretenir avec les livres et de scruter, sous leur conduite et sans quitter sa chambre, la terre, le ciel ou la mer, les secrets de la biologie ou ceux du cœur humain, les arcanes de l’histoire ou de la psychologie si variée des langages ! 

On s’émerveille de la science toujours en mouvement de leurs auteurs, de leur patiente érudition, de leur probité dans la confession de leurs erreurs, de leur dépouillement devant l’objet en lequel ils s’effacent, de leur immortelle jeunesse dans l’ardeur avec laquelle ils poursuivent, chacun en sa manière, leur inépuisable itinéraire vers “le pays de la vérité”.”  

Pour Zundel, les sciences ne sont pas ennemies de la foi qu’il nous partage.  Il n’ignore pas qu’elles ont servi chez certains savants ou philosophes à nier l’existence de Dieu. Je pense à la correspondance échangée d’André-Marie Ampère à Maine de Biran : Ampère démontre qu’il y a un lien intime entre la science et la philosophie, entre la philosophie et la foi, étapes ascendantes d’un seul et même mouvement de l’esprit en quête d’une réalité substantielle, durable et permanente. Dans sa Correspondance, nous pouvons lire : “Il n’y a de bon esprit que celui qui vient de Dieu. L’esprit qui nous éloigne de Dieu, l’esprit qui nous détourne du vrai bien... ce n’est qu’un esprit d’illusion et d’égarement. L’esprit n’est fait que pour nous conduire à la vérité et au souverain bien. Heureux l’homme qui se dépouille pour être revêtu !” Ainsi est né l’homme nouveau, celui que, lui, Ampère avait à devenir, à la lumière de Dieu.

De même pour Zundel, les sciences permettent déjà de percevoir  ce que nos sens humains ne peuvent pas mesurer, quantifier, manipuler, mais aussi de ressentir la présence de Dieu dans la vie, dans la beauté : à ce stade, la méditation nourrie par les sciences devient un émerveillement qui nous libère.

“Le pays de vérité”, notre vraie patrie, c’est vers lui qu’ils aspirent, vers lui qu’ils nous conduisent par cette traction qui les entraîne, de la circonférence où leurs disciplines se segmentent, vers le Centre où éclate pour tous “la même joie de connaître”, dans la communion à cette Présence qui est la Vérité en Personne, que nul ne peut dire, mais que chacun reconnaît, dès qu’empli de sa lumière, il devient libre de soi.  

Les livres, je leur dois cette conversation qui ne lasse ni ne blesse jamais, ce besoin de silence qu’ils nourrissent, ce tranquille bonheur qui n’est pris à personne, ce stimulant indispensable qu’ils ne cessent d’offrir à ma pensée et, dans les heures tragiques, la présence de l’éternel, dont ils sont la quête et le signe. 

Je sais qu’il y a des livres qui ne valent pas d’être lus. Nul ne nous contraint à les lire et cela suffit pour échapper à leur impuissante intrusion dans un monde où le silence les rejette. 

Mais il y en a tant d’autres, capables de nous enrichir, que j’ai trouvé en eux, quand l’humanité devenait folle, la force d’espérer et de croire, malgré tout, en l’homme, à cause de ses meilleurs d’entre nous qui, au-delà d’un absurde carnage, ne cessaient d’orienter nos regards et nos efforts vers “le pays de vérité”. 

Signalons les poètes qui cultivent un art d’exprimer en peu de mots des vérités essentielles. Cette affirmation de J. Joubert  est une invitation au lecteur à les découvrir : “Les poètes ont cent fois plus de bon sens que les philosophes. En cherchant le beau, ils rencontrent plus de vérités que les philosophes n’en trouvent en cherchant le vrai.” Certes, tous n’arrivent pas à cet objectif soit dans leurs écrits, soit au cours de leurs vies. Paul Verlaine, à l’œuvre aussi contrastée que sa vie,  professait :

“ Le poète, l’amour du beau, voilà sa foi;

L’azur, son étendard, et l’Idéal, sa loi !

Ne lui demandez rien de plus, car ses prunelles,

Où le rayonnement des choses éternelles

A mis des visions qu’il suit avidement,

Ne sauraient s’abaisser une heure seulement

Sur le honteux conflit des besognes vulgaires

Et sur les vanités plates...  “

Les amoureux de littérature ont conscience que les écrivains ne cessent de s’intéresser au mal et au bien, selon des valeurs définies, acceptées ou refusées et qu’ils tentent de comprendre ou de décrire ces deux extrêmes, sans oublier cette zone grise où une personne peut pratiquer  tantôt le bien, tantôt le mal, partiellement ou totalement. Savoir ce qui constitue la dignité de l’homme est la question fondamentale qu’ils se posent et que nous nous posons. Jean Guéhenno porte un regard lucide sur la communauté humaine qui se révèle dans les œuvres littéraires : “Parmi les créatures, il en est de nobles et d’ignobles. Ce sont ces naïvetés que m’a apprises la vie. C’est là toute ma science après quarante ans... Bien des gens n’ont jamais que les idées de leurs intérêts. Ils trichent toujours avec eux-mêmes et les autres.”

Origine du mal selon Zundel

Scientifiques, philosophes, écrivains et tout homme ayant quelque peu vécu s’interrogent sur l’origine du mal. La Bible apporte ses réponses ainsi que diverses religions, poètes, biologistes, anthropologues, philosophes et bien des courants politiques. La souffrance et le mal scandalisent et révoltent avec raison tout être humain ayant du cœur. 

Zundel apporte une première réponse en établissant ce constat de base :

 “Reconnaissons-le tout de suite : une part énorme des maux qui nous accablent sont d’origine humaine et proviennent de la coexistence qui nous agglomère les uns aux autres dans une solidarité biologique qui suscite plus de rivalités nocives que de saines émulations : depuis la famille jusqu’aux grands blocs planétaires, à travers toutes les compétitions de la chair et de l’argent, des ethnies et des races, des régimes politiques et des religions. 

Quand toutes les bêtes féroces se seraient liguées pour nous anéantir, elles n’auraient jamais pu accumuler les ruines, inventer les tortures, susciter les désespoirs que la haine et le mépris de l’homme pour l’homme n’ont pas cessé de provoquer. Tous les dérèglements du sadisme, tous les raffinements de la cruauté, toutes les violences calculées des génocides, tous les avilissements de l’esclavage, tous les trafics et toutes les dégradations de la prostitution et de la drogue, toutes les ruses et toutes les trahisons de la parole le plus solennellement donnée, constituent une fresque démentielle qui ferait croire à un goût du mal, inoculé à notre espèce, pour qu’elle porte à l’infini la volupté de faire souffrir, de détruire et de bafouer. 

La situation n’est cependant pas tout à fait désespérée, puisque nous sommes capables de reconnaître comme mal tout le mal que nous sommes capables de faire. Un redressement est toujours possible dès lors qu’une prise de conscience réveille, sans équivoque, le sens de nos erreurs et de nos responsabilités.”   

Son constat est dur et reste d’actualité. Cependant, il s’agit de ne pas sombrer dans le pessimisme, aussi stérile qu’inutile. Chacun est né pour agir de façon responsable : un arbre se juge à ses fruits. Que nous disent les livres ?

La Bible

La Bible est une grande bibliothèque dont les récits sont autant de moyens de comprendre l’âme humaine dans des contextes très variés. Elle s’adresse aussi bien aux croyants qu’aux non-croyants : pour les premiers, il y a un chemin qui conduit l’homme à se dépasser pour incorporer Dieu dans sa vie; pour les seconds, tout en restant à la superficialité des récits, il y a moyen de récapituler les attitudes humaines face aux échecs ou aux succès qui ponctuent un parcours de vie ou les destinées d’un peuple.  

Prenons trois exemples ! L’homme a en lui un peu, pour certains voire beaucoup, du Caïn, mais aussi de l’Abel et du Moïse. Caïn est celui qui viole la loi, dans ce cas celle de Dieu. Abel adopte un comportement exemplaire, une pureté de vie : l’innocence violée, non par Dieu, mais par son frère aîné. Moïse  représente sa lutte contre le Caïn qui se trouve en lui. Caïn a tué Abel par jalousie, vanité et colère : il a suivi sa passion sauvage sans aucune  retenue; il ne s’intéresse qu’à lui; il préfigure l’individualiste matérialiste. Moïse a tué d’abord en raison d’une injustice et il a reconnu sa faute ; il est incompris en son peuple, mais il en deviendra le guide, malgré leur adoration du Veau d’or et leurs infidélités fréquentes. 

Une autre personne plus complexe : David n’a pas mené une vie toute exemplaire. Il y a eu  le temps du héros avec sa victoire sur Goliath; il y a eu ensuite le temps de celui où il envoie Urie le Hittite à une mort certaine, afin de pouvoir disposer de son épouse Bethsabée qui sera pourtant la mère de Salomon. Ce Salomon, réputé pour son amour de la richesse et de la volupté, deviendra le fils successeur de David, en lieu et place d’Absalon, le fils légitime qui s’est révolté contre son père ! Salomon n’hésite pas à tuer son frère, Adonija, qui avait pourtant accepté de reconnaitre sa royauté ! Ces cas de figures nous enseignent sur la nature humaine et, malheureusement, sur certaines vies familiales, que l’on soit croyant ou non-croyant.

Il est possible de relire l’Ancien testament avec ce regard critique (au sens positif du terme) pour en retirer une sagesse qui porte de nombreux fruits. Une utile technique de lecture, enseignée aux personnes pratiquant les retraites spirituelles de St. Ignace de Loyola, consiste à visualiser chacun des textes de la Bible en entier pour en saisir les révélations profondes : chaque relecture d’un même extrait complètera la  lecture précédente. A chaque fois, il y a un aspect qui nous touchera plus particulièrement.  C’est une façon d’incorporer la Parole.  

Les Caïn existent encore de nos jours. Ils ont des techniques plus discrètes : le sang n’est pas toujours versé. C’est plus subtil : ils provoquent la mort sociale avec des accusations trompeuses, des calomnies. Ils les habillent parfois d’un vernis juridique ou biblique qui ne devrait tromper personne : ni un avocat ayant une intelligence ne restant qu’au seul service des ses honoraires (là, bien peu honorables), ni une autorité supérieure ecclésiastique n’ayant plus une réelle conscience de sa fonction. Actuellement, le pire existe : des lois injustes sont proclamées comme justes, comme étant le Droit, sans que la bonne conscience de la majorité des peuples soit troublée, sans aucune réaction... Les mensonges politiques, diplomatiques économiques foisonnent dans nos actualités mondiales : des experts les cautionnent du haut d’un statut qu’il ne mérite pas dans ce cas de figure. Le service de la vérité ne les intéresse pas. Ils préfèrent se vendre pour satisfaire leurs ambitions (une décoration, par exemple, une nomination, un avantage pécunier, une autorisation indue...) ou soigner leur image (l’individualisme conduit à ce narcissisme outrancier). Ils vont jusqu’à sacrifier, quasi spontanément et sans aucune gêne, le réel ou la simple reconnaissance, due aux personnes qui les ont aidées. 

La vraie révolution spirituelle de l’Ancien Testament est de reconnaître que l’homme dépend directement de Dieu et non de corps célestes qui conditionneraient son existence : ceux-ci peuvent être tout au plus des signes donnés par Dieu, comme l’étoile de Bethléem. Tout chrétien, pouvant en fin de vie lire sereinement le Psaume 71 (70), vit dans la confiance en Dieu.

Paul Claudel rappelle avec raison et je le cite :

“Tout le monde est, je crois, d’accord pour attribuer à la Bible le titre du plus grand livre de l’humanité. C’est le livre par excellence où toute notre civilisation chrétienne a appris à lire, où, nous autres, gens de l’Occident, avons puisé toutes nos idées morales, artistiques, et littéraires et d’où s’est échappé, comme un fleuve puissant d’eaux fécondantes, un inépuisable trésor de sainteté et de génie, depuis les cathédrales romanes jusqu’au Messie de Haendel en passant par la chapelle Sixtine.” 

Claudel voit les conséquences positives. Cependant, la Bible a été aussi manipulée pour justifier de mauvaises causes. Sa richesse est de réunir différents genres littéraires : chroniques édifiantes, poèmes lyriques, sagesse, proverbes, apologies... Chrétiens et anticléricaux, pensez à un Pascal ou à un Voltaire, ont porté des regards différents sur les mythes, les héros, les valeurs se trouvant dans la Bible.

La littérature française s’est aussi abondamment nourrie de la Bible  et il est curieux que cet aspect soit fréquemment occulté de nos jours. L’ignorance religieuse d’élèves ou d’étudiants a pour conséquence qu’ils ne comprennent plus les écrits d’un Molière (Tartuffe), d’un Flaubert (Madame Bovary où les propos d’un Homais nécessitent un savoir religieux), d’un Baudelaire (ayant des références liturgiques), d’un Bernanos ou même d’un Aragon, de Proust (Sodome et Gomorrhe) ou encore d’un Gide (Si le grain ne meurt) ! La problématique chrétienne du Mal resurgit avec plus de force au XXe siècle avec Bernanos, Mauriac et Gide, par exemples. 

N’oublions pas, et l’actualité nous l’impose, les emplois détournés de la Bible, à des fins politiques et polémiques. Déjà aux cours des guerres de religion, Ronsard catholique et François d’Aubigné protestant ont ainsi justifié leurs luttes, en l’invoquant. Victor Hugo dans Les châtiments s’assimilait à Josué assiégeant Jéricho pour se dresser contre Napoléon III. Le principe habituel est d’appeler sur l’ennemi les feux de la colère divine : certains psaumes ont été rédigés en ce sens et sont d’une grande violence qui choquait, d’ailleurs, Maurice Zundel. 

Avec l’Ancien testament, alors que ce n’est pas son objectif premier, il est possible d’étudier l’art de le guerre et les tactiques militaires. Il me faudrait une heure pour vous le démontrer et surtout pour que vous puissiez en constater les applications concrètes au cours de la longue histoire de l’Occident et, notamment, les origines de l’esprit guerrier qui anime Israël depuis sa création. 

Tournons-nous maintenant vers les écrivains et les philosophes pour étudier comment ils nous conduisent à des réflexions sur ce qui fait la dignité de l’homme. 


Camus et le mal : inexistence de Dieu.

La peste de Camus revient souvent comme point de départ dans la réflexion zundélienne sur l’origine du mal. 

En 1947, après les horreurs de la guerre, les “intellectuels” existentialistes remettent en cause aussi bien les religions que les Etats. Ils espèrent une communauté humaine autre, le plus souvent irréaliste ou onirique, reconnaissons-le. Au mieux, il s’agirait d’accepter la condition humaine, avec ses injustices, ses souffrances et la mort, tout en reconnaissant ces joies, petites ou grandes, qui aident à vivre. Leur point commun est de ne cultiver aucun espoir d’un au-delà d’une vie terrestre. 

Voyons par exemple ce que nous dit Camus dans La peste.

La ville d’Oran a fermé ses portes en raison d’une épidémie de peste.  Cette mort qui ravage la cité suscite diverses attitudes parmi les hommes mis en scène. Les uns continuent à travailler en acceptant la situation, d’autres discutent, d’autres veulent fuir, d’autres tirent des enseignements. La peste chez Camus offre des comparaisons sur les comportements humains face à cette circonstance si particulière qu’est la maladie qui, à l’instar de la guerre, peut être cause de mort. Notons que Camus privilégie ceux dont le réalisme ne tue pas la foi en l’homme : une espérance peut en naître lorsqu’un noyau d’hommes s’unit pour lutter contre la maladie. 

La question que pose Camus et que reprendra Maurice Zundel : est-ce que la mort d’un enfant justifie l’inexistence ou l’impuissance de Dieu ? Face à l’agonie d’un enfant, son personnage qu’est le docteur Rieux affirme qu’il vaut mieux nier l’existence de Dieu que le rendre responsable d’une si monstrueuse injustice. Or Zundel conclut que Dieu n’est pas à l’origine du mal, mais qu’Il souffre avec toutes les victimes du mal. 

Macbeth de Shakespeare 

Maurice Zundel mentionne souvent dans ses livres la figure de Lady Macbeth, non comme un exemple à suivre, mais comme le prototype de l’orgueil. A Alexandrie, en juin 1947, il en a fait une conférence intitulée : “Le complexe métaphysique de Lady Macbeth”. Il serait intéressant de comparer Lady Macbeth aux récits sur Jézabel, l’épouse d’Achab, dans les deux Livres du Roi (Ancien Testament). Racine reprendra le récit de l’assassinat de Jézabel (2 Rois 9,30-37) dans son Athalie (acte 2, scène 5, v. 129-132).

Sa folle ambition  de vouloir devenir reine l’a conduite à adopter tous les moyens les plus odieux, allant jusqu’aux mensonges et aux crimes. Elle manipule son mari pour satisfaire son narcissisme, son image. Devenue femme sans scrupule, aveuglée par son orgueil, elle grimpe les escaliers de l’horreur, quatre à quatre. La vérité finit par éclater malgré eux, par leurs comportements imprévus, car ils ne les maîtrisent plus. Au lieu d’une image positive qu’elle a voulu forger d’une façon aussi ignoble qu’indigne, elle suscite chez ses proches l’horreur, la peur et la terreur. Elle sombre dans la folie et se désespère de ne pouvoir laver ses mains, du sang indélébile de ses crimes. Pour paraître, elle a étouffé la voix de sa conscience : c’est cela qui intéresse Maurice Zundel, dans la seule fin de nous instruire. 

“Lady Macbeth, dans sa folie, lorsqu’elle s’aperçoit qu’elle lit dans les yeux des courtisans non pas de l’admiration dont elle avait besoin pour se confirmer dans l’existence, pour se croire quelqu’un, mais la haine, le mépris, le désir de revanche, parce que tout le monde sait maintenant qu’elle est parvenue au trône par assassinat... Lady Macbeth se dégonfle et ne peut plus croire à une grandeur à laquelle les autres ne croient plus. Mais où situer désormais cette grandeur ? Le dehors lui échappe, sur lequel elle a tout misé. Cette grandeur à laquelle elle est parvenue par le sang, elle voit maintenant que c’est une fausse grandeur, mais elle n’a pas de position de repli, car elle ignore totalement son intimité, elle n’a jamais vécu dans le secret de sa conscience, elle ne peut retrouver une nouvelle origine dans une contrition qui l’affranchirait d’elle-même. Le dedans lui est inconnu, elle est assise entre deux chaises, elle est suspendue dans un  abîme, elle devient folle et, dans sa folie, elle voit le sang, non pas entachant sa conscience, mais sa main. Elle se frotte les mains pour effacer la trace de ses crimes, mais c’est en vain, et finalement elle se tue.” 

Le syndrome de Lady Macbeth existe encore chez des chefs d’Etat qui, cependant, s’aiment trop pour attenter à leurs jours ! La lecture des journaux en donne de multiples exemples... Nul besoin d’être un historien !

Oscar Wilde

Pour Maurice Zundel, le mal ne se confond pas avec le malheur. Le malheur peut même guérir d’un mal. Oscar Wilde avait obéi sans aucun frein à ses pulsions sexuelles. Un procès projeta sur sa personne l’attention d’un large public, qui se détourna de lui, alors qu’il l’avait pourtant ovationné, voir idolâtré. Mépris et sarcasmes pleuvent sur son nom et il songe à se suicider pendant plusieurs mois. Dans sa prison, où il exécute des travaux manuels, il découvre un monde qui lui était inconnu : la majesté de la douleur et la joie de la souffrance. Comment cela peut-il se faire ? 

Il reconnaît sa faute, après l’angoisse et  il ressent le besoin de l’expier. De la douleur, il passe au repentir et il comprend que ses larmes sincères le lavent de toute souillure. Il a découvert le Christ, l’Homme des douleurs, avec qui la souffrance n’est plus un mystère, mais une révélation : il distingue et perçoit clairement ce qu’il n’avait jamais perçu auparavant, aveuglé qu’il était par ses sens et par son talent d’écrivain où les mots d’esprit avaient plus d’importance que la réflexion. 

Dans son De profundis, Oscar Wilde décrit comment la prison l’a délivré de soi. La souffrance aboutit souvent dans un premier temps à la révolte. Ensuite il est préférable de la comprendre et de la surmonter en lui donnant un sens ou en s’ouvrant à une voie qui était inconnue avant de la subir. Zundel cite volontiers cet ouvrage pour inviter son auditoire à reconnaître que “La manière d’accueillir le malheur peut donc changer le sens d’un évènement qui semble, à première vue, purement catastrophique.” 

La souffrance peut donc avilir ou élever l’homme, l’inviter à se surpasser ou malheureusement à se décomposer. Seule la lumière d’une révélation oriente dans le bon sens l’âme en peine. 

Le conte philosophique d’Oscar Wilde Le portrait de Dorian Gray est une source de réflexion sur le narcissisme : le paraître prédomine. Dorian Gray veut offrir un visage vivant et parfait pour cacher les atteintes du temps et de ses vices. Son portrait peint, par contre, subit les altérations de ses comportements indignes. Dorian voit en son portrait son vrai visage dégradé : la peinture devient miroir du réel. Il se donne alors la mort et ses domestiques ne le reconnaissent plus qu’à ses bijoux : son visage avait repris tout le hideux de son existence que son portrait lui avait révélé. Tous les individus qui cultivent leur image en méprisant les autres, en n’ayant aucun respect pour le travail d’autrui peuvent en conscience se reconnaître en Dorian Gray, avant qu’il ne soit trop tard !

Abordons notre sujet par un autre biais.

Marx, le singe, l’homme et Dieu : quelle dignité de l’homme ?

Qu’un prêtre lise les œuvres de Marx pouvait aussi surprendre ! Pourtant, c’est un exercice utile pour tenter de comprendre les défenseurs véhéments et souvent admirés de tout ce courant de pensée qui revendique le qualificatif de “marxiste”. A titre personnel, j’ai souvent remarqué que des marxistes auto-proclamés, avec qui j’ai discuté, n’avaient jamais lu “Le capital”.  

Pour Zundel, le fait de reconnaître la grandeur humaine est acceptable et désirable : oui, mais pas n’importe comment ! Secouer le joug de toute forme d’esclavage, oui, mais faut-il pour autant nier Dieu ? En une première étape, il nous synthétise la pensée de Marx, puis dans une deuxième étape, il la relativise avec des regards de biologiste, pour, au final, nous interpeller sur cette question essentielle.

Dieu, une création humaine ?

La réponse de Marx vous est connue, mais un bref rappel de Maurice Zundel s’impose :

“Toute ce que l’on peut savoir de l’existence terrestre est connu par une expérience humaine. Tout ce qui est dit est dit par des hommes; ce sont les hommes qui parlent de Dieu. Ce sont ces hommes aussi qui ont inventé et imaginé les dieux, par peur des forces inconnues qui les entourent, par ignorance et par impuissance.

On ne peut pas : on invoque les dieux; on ne sait pas : on fait appel aux dieux. Et les dieux apparaissent très souvent comme des bouche-trous de l’ignorance et de l’impuissance humaine, en même temps qu’ils doivent garantir l’homme contre cette peur qui le saisit en face des forces inconnues de l’univers.

La question peut donc se poser : sont-ce les hommes qui inventent et les dieux sont-ils nés simplement de la peur, de l’ignorance et de l’impuissance humaine ? C’est ce que Marx pensait, à la suite de tant d’autres historiens, en particulier des religions : c’est la peur, l’ignorance, l’impuissance qui ont inventé les dieux. 

Si donc l’homme veut atteindre à lui-même, il faut qu’il se débarrasse des dieux, car il s’est donné dans le ciel un maître imaginaire, comme il s’est donné des maîtres sur terre. Et puisque l’homme doit secouer le joug des maîtres terrestres, il doit secouer le joug de ce faux maître céleste, de ce maître imaginaire qu’il a inventé de toutes pièces. Il faut qu’il devienne son propre maître, créateur de lui-même, en atteignant à cette espèce d’existence qu’il ne tiendra que de lui-même. 

Et voilà comment Marx présente son évangile : un être quelconque n’est indépendant à ses propres yeux, que lorsqu’il se suffit à lui-même. Et il ne se suffit à lui-même que s’il ne doit son existence qu’à lui-même. Un homme qui vit par la grâce d’un autre homme se considère comme un être dépendant.”  

Sans être un docteur en philosophie, il est tout de même facile de réaliser la réalité de l’existence humaine, de sa naissance biologique jusqu’à l’âge adulte. Aucun être biologique est une autocréation ! D’où cette réflexion de Zundel qui est sa première réfutation :

“Mais je vis complètement par la grâce d’un autre, quand non seulement je lui dois la conservation de la vie, mais quand il a en outre créé ma vie, quand il en est la source. Ma vie a nécessairement une telle source en dehors de moi, si elle n’est pas ma création propre. C’est pourquoi il est difficile de chasser de la conscience populaire l’idée de création.”

Pour Marx et les socialistes de son temps, l’homme se procrée par le travail qui est la seule grandeur : en économiste, Marx regarde le travail comme une valeur marchande. Pour Zundel, la dignité de l’homme trouve ailleurs sa source. Le travail est une rencontre de l’homme avec la matière qu’il transforme : la matière du poète est les mots, du potier la terre... Tous deux utilisent l’intelligence et la main pour exercer un art, ce qui est le propre de l’homme. Il précise ainsi sa réflexion :

“Et nous comprenons très bien que tout le prestige du marxisme tienne précisément à ce qu’il se présente comme l’évangile de l’homme. Et si Dieu était vraiment ce qu’il pense, si Dieu était vraiment ce maître qui nous rend esclaves, si nous étions devant lui vraiment anéantis, si nous ne pouvions, à travers lui, atteindre à notre grandeur, nous rejoindrions immédiatement le marxisme qui pose évangile de de l’homme contre l’Evangile de Dieu.” 

“Oui, l’homme créateur de lui-même, mais à partir de quoi ? Car enfin , Marx ne s’est pas fait lui-même, il est né comme tout le monde de ses parents, à la suite d’une immense histoire dont nous ne connaissons pas l’origine temporelle. Il est né comme tout le monde, dans cet univers où chacun de nous dépend des forces de la nature. “

“Alors créateur de quoi ? L’homme s’éveille, il prend conscience de soi et il est déjà là. Il est déjà là et il n’a pas demandé d’exister. Il est déjà là et il n’a rien choisi : ni ses parents, ni son siècle, ni son sexe, ni son ascendance, ni son milieu, ni sa langue, ni la couleur de sa peau, ni même sa religion. Tout lui a été imposé et il est tout entier un être préfabriqué. Alors de quoi sera-t-il le créateur, puisqu’il est imposé à lui-même sans avoir rien choisi ? N’est-il pas tout simplement une pièce de l’univers, un morceau du cosmos, un morceau de l’histoire, enfin un atome insignifiant perdu dans l’infinité cosmique ?”  

L’extrait qui précède nous interroge aussi sur la vraie nature de notre liberté : ceci est un autre sujet. Tournons-nous vers les biologistes. 

L’homme descend du singe 

Faut-il trouver une réponse chez les biologistes pour identifier la grandeur de l’homme ? Plusieurs d’entre eux réduisent l’homme à un animal parmi d’autres :   

“ Les biologistes, ou du moins certains biologistes, s’acharnent d’ailleurs à rabattre l’orgueil de l’homme, avec beaucoup plus d’orgueil qu’ils ne pensent eux-mêmes, en insistant sur ce fait que l’homme est un animal comme les autres. Et dans le laboratoire, en effet l’homme est très souvent traité comme un cobaye, soumis aux mêmes mesures que les animaux, car, sous un aspect, il est en effet un animal. Toute la question est de savoir s’il n’est qu’un animal.” 

Avec humour, Zundel aime à rappeler cette anecdote de Karl Jaspers :

“Il nous faut donc, à notre tour, révéler l’homme en nous demandant s’il est un pur animal et nous ne pouvons mieux le faire qu’en répétant cette anecdote qui suppose un dialogue entre deux paysans bavarois. Et l’un dit à l’autre : “C’est embêtant tout de même, mais il paraît certain que l’homme descend du singe”. A quoi l’autre répond : “Oui, mais moi je voudrais bien voir le singe qui, le premier, s’est aperçu qu’il n’en était plus un.” 

Plus sérieusement, suivons le développement de la réflexion :

“Le singe, comme tout animal, est contenu tout entier sous le plafond de la biologie. Le singe ne se pose pas de problèmes, sinon tout à fait concrets; le singe n’est pas pour lui-même un problème, le singe ne fait pas de métaphysique, le singe ne crée pas de laboratoires, le singe ne peut rien inventer d’essentiellement nouveau. Le singe n’est pas responsable de lui-même, le singe est porté et guidé par sa biologie. S’il tue, il n’en a aucun remords, c’est dans la ligne de sa nature. 

Le drame, pour l’homme, c’est que, aussi singe qu’il soit, il y a une marge où il doit inscrire lui-même l’histoire de son choix. Si sa biologie l’entraîne dans certaines directions, s’il en reçoit, et avec quelle vigueur, les impulsions, elle ne le porte pas jusqu’au bout. Elle le lâche à un certain tournant où il est appelé à se choisir.”

“Il y a pour l’homme une autre existence possible, autre que celle fournie par sa biologie. Et toute la question est celle-là : y a-t-il en nous une autre existence possible que celle qui relève de la biologie, de nos glandes, de nos nerfs, de notre sang, de notre hérédité, du milieu physique dans lequel nous sommes enracinés ?”  

Comment conquérir et atteindre sa dignité d’homme ?

“Marx prétend que ce sont uniquement les conditions de la production, les rapports de la production économiques qui déterminent l’esclavage de l’homme, et que, lorsque ces rapports de production auront été modifiés au bénéfice des plus pauvres qui ne possèdent rien, qui n’ont rien d’autre que leur humanité, qui sont, par conséquent, ce qu’il y a de plus universel dans notre univers, quand les classes auront été abolies, que les prolétaires auront entre leurs mains les moyens de production, alors l’homme, spontanément, atteindra à lui-même. Il deviendra ce créateur, cet homme responsable et il pourra jouir d’une vie d’une merveilleuse fraternité où chacun consentira à la joie de tous, où chacun travaillera autant qu’il en est capable, selon ses capacités et recevra, avec le consentement de tous, selon ses besoins.” 

Lénine et Staline ont voulu et imposé cet homme selon Marx pour assurer un bonheur international. Misères pour une grande majorité des peuples, massacres, génocides et goulags en ont été les résultats, voilés par de nombreux mensonges portés par une dite “élite intellectuelle” en Occident. 

Pourquoi cet échec ? Et la réponse de Zundel à cette question est essentielle, car elle ouvre l’homme à sa liberté intérieure. 

“L’homme n’est pas seulement aliéné par les rapports de production, l’homme est aliéné intérieurement. Il n’est pas seulement victime des servitudes extérieures, il est victime encore plus des servitudes intérieures. Epictète, esclave, se sentait libre dans sa pensée. Il pouvait dominer sa captivité et pouvait s’y situer à un niveau bien supérieur à celui de son maître. Il se sentait libre dans cet univers de la pensée. Epictète savait que le pire esclavage, c’est celui dont on est complice, l’esclavage qui naît de l’appétit ou de l’esprit de possession, de l’esprit de domination, de l’envoûtement sexuel, et Dieu sait que l’humanité d’aujourd’hui subit toutes ces fascinations, qu’elle est travaillée à une échelle incommensurable par un esprit de possession, de domination et par l’envoûtement du sexe. 

Jamais le sexe ne s’est étalé avec plus d’impudeur, jamais l’homme ne s’est rattaché plus passionnément à ces plaisirs, jamais l’homme n’a donné la preuve la plus terrifiante qu’il était un singe. Et pourtant, il n’a pas cessé, dans le même temps, d’aspirer à sa grandeur, de vouloir sa liberté....” 

Zundel nous a décrit ici le Viel homme qui peut devenir l’Homme nouveau. La soif de domination cultivée par certains individus ou de certains empires (Britannique ou Américain, par exemples) est l’équivalent de la volonté du singe dominant au sein de son clan. Vous en trouvez parmi les militaires, le monde de la politique, les gens se piquant d’être des guides culturels et même dans le clergé. Ils cultivent leur image narcissique et détruisent tout ce qui peut paraître y porter soit une ombre, soit une diminution de leur croyance en leur seul prestige. Vous en connaissez tous et je m’abstiendrai d’en donner des exemples proches ou lointains. Si bien que je comprends toujours mieux ce constat trop souvent vérifié ainsi formulé :

“Alors, soyons prudents. N’accusons pas les athées, sans voir ce qu’ils mettent dans leur négations. Ne faisons pas trop de crédit aux croyants sans regarder ce qu’ils mettent sous leur prétendue foi, car on s’aperçoit que bien des croyants sont de vrais athées et que bien des athées sont de vrais croyants, selon justement, qu’ils décollent d’eux-mêmes ou non, selon que leur vie est générosité.”

Abordons quelques écrivains qui nous sont proposés par Maurice Zundel. Commençons par les Confessions de saint Augustin.

Saint Augustin, son témoignage de conversion

L’extrait, qu’il cite le plus souvent et qui suit, est connu sans aucun doute de tous les zundéliens, il provient de son livre “Les confessions”, livre 10, chapitre 27 :

“Trop tard je t’ai aimée, Beauté toujours ancienne et toujours nouvelle, 

trop tard je t’ai aimée. Et, pourtant, tu étais dedans, 

mais c’est moi qui étais dehors et, 

sans beauté, je me ruais sur ces beautés que tu as faites et 

qui, sans toi, ne seraient pas. 

Tu étais toujours avec moi qui n’étais pas avec toi.”

Goûtez son commentaire : 

“Ce qu’il y a d’essentiellement nouveau dans ce couplet augustinien, c’est la rencontre avec l’Hôte intérieur à lui-même, la rencontre avec cette Présence qui n’avait jamais cessé de l’attendre; et cette rencontre s’exprime identiquement comme une rencontre avec lui-même.

C’est justement en face de la Beauté toujours ancienne et toujours nouvelle, qui était dedans alors qu’il était dehors, qu’il prend conscience que jusqu’alors il a été étranger à lui-même. Il errait à travers les éléments du monde, il était esclave de ses passions, il était envoûté par le sexe, il ne connaissait pas sa propre intimité. Il n’avait jamais eu accès à lui-même, car on n’entre pas dans son âme comme dans un moulin.” 

“... ce qu’il y a d’admirable et d’inépuisable dans son témoignage, c’est que précisément Dieu apparaît en lui comme le seul chemin vers lui-même. Au fond, c’est un même moment pour lui de découvrir Dieu et de se découvrir lui-même, un même moment dans la même lumière, dans la même joie, dans la même libération. Enfin, il respire, enfin il est dedans, il passe du dehors au dedans et c’est là, justement le miracle de la conversion : il cesse d’être un élément dominé par les forces obscures qui sont à l’œuvre dans l’univers, il devient autonome, il devient source, origine et créateur.  

Il est essentiel de le souligner, dans cette expérience qui est source de tant de lumière pour toute l’humanité, qu’Augustin ne rencontre pas Dieu comme son maître, comme un pharaon qui le dominerait : il le rencontre comme le secret de sa propre intimité, comme celui qui le libère de tout, comme celui qui l’intériorise à lui-même et le ceint de sa dignité. Il le rencontre enfin dans l’échange nuptial, dans cette réciprocité d’amour, à laquelle l’apôtre saint Paul fait allusion dans la seconde lettre aux Corinthiens: “Je vous ai fiancés à un époux unique pour vous présenter au Christ comme une vierge pure.” 

Dieu est donc pour lui la respiration de la liberté, Dieu est l’espace de la grandeur, Dieu est le sceau de la dignité. Dieu est enfin, si l’on peut dire, son véritable moi, selon l’admirable rituel hindou qui faisait dire au fiancé  à sa fiancée : “Tu es moi”.

Car c’est vraiment en Dieu qu’Augustin devient lui-même. Et il peut dire à Dieu : “Tu es moi”, comme Rimbaud , dans une intuition mystérieuse, pouvait écrire “Je est un autre.” C’est dans cet autre intérieur à lui-même, au plus intime de lui-même, dans cet autre qui est sa vie, comme dit encore admirablement Augustin, c’est dans cet autre qu’il atteint à lui-même.” 

La lecture de ce commentaire ne me lasse pas : il est à être lu et relu ! Il illumine le cœur pour la plus grande joie de l’esprit.

Les écrivains 

Georges Valois est un homme politique et économiste qui a évolué de la gauche à la droite politique. Or Zundel ne ne s’intéresse pas à l’évolution  de son engagement politique. Il retient ses prises de position contre la tyrannie de l’argent, thème souvent traité dans les écrits zundéliens qui sont, à ce sujet, dans l’esprit de l’Epître de saint Jacques. Notons que Zundel n’est pas contre la propriété, cet espace de liberté nécessaire pour se construire ou construire un foyer et pour devenir un espace de générosité. Il réagit vivement contre cette soif d’argent qui domine trop de vies. Lorsqu’il recevait des dons financiers, il s’empressait de les donner aux pauvres,  sans même regarder le montant reçu. Il se faisait parfois agresser par ceux-ci, lorsqu’il n’avait plus rien à distribuer... 

Camus : L’homme révolté

L’auteur nous livre son expérience et sa recherche dans ce monde où des puissances s’imposent : Etats-Unis et URSS. Il dénonce ce totalitarisme, né du mauvais usage de la révolte. L’homme a de bonnes raisons de se révolter contre le monde. Encore faut-il en considérer les causes et en mesurer les conséquences pour éviter des révoltes au mieux stériles et au pire mortifères. Le nihilisme, issu d’une lecture de Nietzsche, a préparé par exemple l’asservissement marxiste, concrétisé dans un totalitarisme scandaleux en URSS. Il parle de la révolte poétique d’un Lautréamont, d’un Rimbaud et de surréalistes. Il souligne qu’il existe un totalitarisme individuel (culte du héros, chez Malraux par exemple) et d’Etat (les dictatures).  Il distingue le “révolté” qui lutte contre tous les totalitarismes, du “révolutionnaire” qui impose un nouveau totalitarisme, au nom de ses valeurs. La révolte des artistes-peintres contre le réel a donné naissance à d’étranges, même parfois hideuses, toiles qui heurtent souvent l’harmonie et la beauté.  

Quel équilibre trouver ? Pour Camus, il s’agit d’admettre que le réel n’est pas entièrement rationnel et que le rationnel n’est pas tout à fait réel ! Ecoutons ce que nous dit Maurice Zundel :

“... dans L’homme révolté : “L’homme est la seule créature qui refuse d’être ce qu’elle est.” 

L’homme est, en effet, capable de refuser le jeu, de refuser d’être un objet, et il le fait naturellement dès qu’il a pris assez vivement conscience qu’il subit l’univers et soi-même. 

L’esclave, quand il prend conscience de son esclavage ne peut que recourir à la révolte, et l’homme, quand il prend conscience de son esclavage originel, ne peut logiquement lui aussi, que recourir à la révolte. Révolte contre ses déterminismes irrationnels, révolte contre son asservissement à cet univers passionnel qu’il porte au fond de lui-même et qui ne cesse de se manifester comme un prolongement de cette histoire infantile qui nous accompagne tout au long de notre vie, en nous imprégnant de ses inconscientes déviations. 

Il est normal dès que l’on se rend compte de cette situation, dès qu’on prend conscience qu’on subit l’univers et soi-même, il est normal qu’on refuse de marcher. 

Prendre conscience de cette situation, c’est déjà en quelque manière, voir s’ouvrir une issue libératrice.”

Tout naturellement, nous arrivons à cette faculté de porter des jugements de valeur et avec honnêteté sur ses propres actes dans son milieu de vie.  

Prise de conscience

Il appartient à chacun de découvrir en soi cette zone inviolable où personne ne peut pénétrer sans notre consentement : notre conscience. Un enfant s’aperçoit très tôt qu’il y a un domaine en lui qui ne peut pas être forcé, tout au plus influencé, mais où il effectue un choix. Pour illustrer ce fait, Zundel soumet à la réflexion de son public un exemple extrait de la littérature suisse :

“Je répète, pour mémoire, cet instructif épisode d’un roman de Gottfried Keller, où un petit garçon de neuf ans - fils unique d’une femme devenue veuve, qui concentre sur lui toute sa tendresse, qui l’élève du mieux qu’elle peut, qui lui a enseigné à faire sa prière le matin et le soir et avant de se mettre à table - s’assoit un jour devant son dîner sans faire sa prière. Sa mère l’y rend attentif. Il fait la sourde oreille. Elle insiste, il n’entend pas davantage. Elle menace : “Tu ne veux pas faire ta prière? -Non -Eh bien , va te coucher sans dîner.”

Bravement le petit garçon relève le défi et va se coucher sans dîner. Sa mère, prise de remords, se ravise et lui apporte son dîner dans son lit. Trop tard : depuis ce jour le petit garçon cessa de prier.

C’est qu’il a découvert en lui-même, précisément, une zone inviolable où sa mère elle-même ne peut pénétrer sans son aveu, et toute sa vie, sans doute, cette expérience ne fera que s’approfondir.

S’il est fidèle tout au moins au premier départ, il découvrira toujours mieux, au-dedans de lui-même, à condition qu’il la conquière et la respecte, cette zone inviolable où personne ne peut pénétrer malgré lui.“ 

C’est d’ailleurs dans cette zone inviolable qu’est la conscience où nous recevons des appels à agir de telle ou telle façon, à choisir de donner un sens à sa vie. Il s’agit d’un domaine où il est normalement impossible de tricher avec soi-même. Fort justement, Zundel remarque : “On peut feindre à l’égard des autres, on ne peut pas feindre consciemment à l’égard de soi-même.” Bien entendu, le narcissisme ou un suivisme imbécile de certains étouffent toute sincérité ou toute volonté d’analyse objective : la conscience anesthésiée existe, je l’ai vue. 

C’est aussi dans notre conscience que réside notre capacité à s’émerveiller. Zundel aime à illustrer cet aspect avec Jean Rostand, scientifique réputé. 

“Personne ne sait s’émerveiller plus que Jean Rostand. Personne ne montre une passion de la vérité plus entière, plus exigeante que lui, personne n’a mieux chanté la vérité qui est la grande passion du savant. Il en parle comme un mystique parle de Dieu. Et on sent bien, en effet, que cet amour de la vérité le meut tout entier, qu’il lui voue, comme il dit, une dévotion sans égale et qu’il est prêt à tout lui sacrifier pourvu qu’elle puisse s’affirmer en lui.

L’émerveillement, c’est précisément le moment où émerge en nous une nouvelle dimension, c’est le moment privilégié où nous sommes soudain guéris pour un instant de nous-mêmes et jetés dans une Présence que nous n’avons pas besoin de nommer, qui nous comble en même temps qu’elle nous délivre de nous-mêmes.

Un tel émerveillement, nous le savons, peut s’éprouver dans tous les secteurs : émerveillement devant la nature, émerveillement devant l’amour, devant l’enfant qui naît ou qui dort, devant une découverte scientifique ou devant une création artistique. Il n’y a pas de domaine où l’émerveillement ne nous ouvre des horizons infinis, pas de domaine où nous ne puissions éprouver, à certains moments, ce sentiment d’une rencontre libératrice : d’une rencontre avec toujours la même Présence, précisément parce qu’elle accomplit toujours en nous le même effet, parce que la rencontrer, c’est cesser d’être esclave de nous-mêmes et entrer dans un domaine où la liberté s’actualise en libération de nous-mêmes.”  

Sans renier ce que nous devons à notre biologie dont nous ne sommes pas les esclaves, et à nos déterminismes à identifier, sommes-nous  plus que ces acquis indépendants de notre volonté ? 

Je ne suis pas, mais je peux être

“L’enfant qui arrive à faire cette découverte qui s’exprime en un mot : j’existe, pourrait ajouter aussitôt : mais je n’y suis pour rien. Le pronom personnel auquel il recourt, le “je” qui précède le verbe exister, n’est cautionné par aucun initiative qui lui soit propre. Il ne tient rien de soi, en effet, il est entièrement préfabriqué et il ne subsiste que par la vertu des énergies fournies par l’univers qui le porte.

Selon le cours ordinaire des choses, il en restera là. Il continuera à dire “je” et “moi” sur un être qu’il subit et avec lequel il s’identifie par une complicité inconsciente, dont les racines sont affectives et passionnelles. Il deviendra homme au sens zoologique d’appartenance à l’espèce humaine, en s’attachant âprement à soi, comme font tous les vivants à quelque espèce qu’ils appartiennent. Sa complexité physique et psychique ne suffira pas à le faire émerger d’un monde instinctif et à lui assurer une situation transcendante. 

Et cependant, si l’on tente de l’asservir, si l’on prétend le réduire à un rôle de pur instrument, s’il est soumis à un régime concentrationnaire, s’il est condamné à subir tous les raffinements d’un lavage de cerveau, il prendra conscience de sa dignité comme de son bien le plus précieux, à travers l’indignité même des traitements dont il est l’objet. 

C’est là que commencera à se faire jour en lui sa dimension proprement humaine et sa vocation d’en réaliser toute l’exigence.

Une dignité inviolable, c’est bien ce qui fonde les droits de l’homme. Mais cette dignité n’est pas donnée avec sa naissance charnelle : il s’agit  pour lui de la conquérir dans un continuel dépassement de ses préfabrications. L’homme authentique est toujours en avant de lui-même, dans ce sens qu’il n’atteint réellement à soi qu’en actualisant les possibilités d’une grandeur qui doit être son œuvre. 

Dans cette perspective, on peut résumer la condition humaine dans cette formule, qui est pour moi la suprême évidence : “je ne suis pas”, mais “je puis être”.” 

Il convient de se faire homme, car la naissance biologique, nécessaire comme le chante si bien le Psaume 139 (138), ne suffit pas. Toute personne est corps, âme et esprit. L’esprit éclaire l’âme pour irradier le corps : le chemin est parfois long pour en prendre conscience.  L’homme a pour seule liberté de se créer par la maîtrise de ses passions et par la recherche de la vérité : des luttes intérieures s’imposent. 

Toute connaissance humaine, quête de vérité, est cependant, limitée : c’est pourquoi l’homme reste humble devant la Création et surtout le Créateur. Chaque découverte soit ouvre  d’autres questions, soit conduit à un autre mystère ! 

“ Croire en l’homme, en la grandeur de l’homme, c’est justement percevoir en chacun cette existence possible, car l’homme ne naît pas tout fait, il ne naît pas préfabriqué.

Devant sa personnalité, l’enfant qui naît est une possibilité d’homme, il n’est pas encore un homme, il a à se faire homme, comme d’ailleurs toute créature intelligente [...] puisqu’il a reçu l’existence sans l’avoir choisie. Se faire homme, pour que cette existence soit de lui, pour qu’elle jaillisse en lui comme de source, qu’elle soit vraiment une vie libératrice et créatrice.” 

Tout chrétien peut examiner son parcours de vie, pour le corriger ou pour l’orienter à la lumière de la Parole, avec cette réflexion zundélienne :

“ Un Père de l’Eglise qui s’appelle Théophile d’Antioche, dans un livre apologétique, dit à son lecteur : “ Et maintenant tu me diras : montre -moi ton Dieu et moi je te dirai : montre-moi d’abord ce que tu es et je te montrerai mon Dieu. Montre-moi si les oreilles de ton cœur sont ouvertes, montre-moi si les yeux de ton âme sont purifiés, montre-moi si tu es capable d’atteindre au jaillissement de la source et d’y boire avec toute la pureté d’un amour transparent  et je te montrerai mon Dieu. Montre-moi l’homme que tu es et je te montrerai mon Dieu. 

Il me semble que les athées d’aujourd’hui nous disent, mais dans un autre sens, la même chose : “Montre-moi d’abord l’homme que tu es et, peut-être, pourrai-je croire en ton Dieu.” 

Cette dernière phrase est lourde d’exigence et amène tout chrétien a examiner sa conduite de vie sans complaisance et sans lâcheté.

Rencontrer la dignité de l’autre

“Si Flaubert a pu écrire magnifiquement : “Pourquoi vouloir être quelque chose quand on peut être quelqu’un ? ”, il aurait pu ajouter: “Mais on ne peut être quelqu’un que pour quelqu’un.” Et sans doute nous sommes entourés d’humains que nous pouvons aimer et nous sommes suffisamment portés à le faire. Mais que pouvons-nous aimer dans les autres, que pouvons-nous respecter, à quoi pouvons-nous, en eux, nous consacrer, éventuellement nous sacrifier ? Ce n’est pas bien sûr, à leur “moi”, complice, biologique, animal, passionnel, qui fait d’eux les esclaves d’eux-mêmes, comme nous le sommes si souvent de nous-mêmes.

Ce que nous pouvons aimer dans les autres, c’est leur libération et leur grandeur possible, c’est leur dignité virtuelle, c’est leur vocation d’être source et origine, leur capacité de devenir une valeur, un bien universel, irremplaçable.” 

Le mot aimer est souvent utilisé et souvent galvaudé. Cet extrait de Zundel attire l’attention qu’aimer l’autre n’est pas cultiver l’image ou l’orgueil de l’autre, son narcissisme. Aimer l’autre, c’est aimer ce qui fait ou pourrait faire sa dignité (peut-être non encore advenue), son appel à s’élever en pratiquant le bien. 

Combien de fois avez-vous entendu : “Il faut aimer ses ennemis.” Il s’agit de ne pas les haïr, mais de les orienter vers un chemin de conversion, ne serait-ce qu’en leur disant la vérité, sans cette hypocrisie sucrée qui écœure les estomacs les plus solides. 

Ma stupéfaction est grande lorsque certains Chrétiens se mettent à aimer les ennemis du Christ et leurs pratiques, plus que ceux qui vivent dans la foi. Il y a les disciples du Christ et les disciple de Judas : il s’agit de ne pas se tromper. J’ai même rencontré un prêtre qui affirmait péremptoirement que le diable n’existe pas : au vu de l’état du monde actuel, l’absence de discernement de cet homme, pourtant aux mains ointes, éclate au grand jour ! J’ai connu deux prêtres (dont l’un défroqué) qui riaient que l’on puisse croire en la virginité de la Vierge. J’ai connu des prêtres ordonnés qui menaient double vie. Quelle crédibilité leur donner ? Quelle mise à l’épreuve de la foi en celui qui observe tout cela ! En trop grand nombre, vous trouvez des chrétiens qui veulent tenir d’une main, la main de Dieu et de l’autre, la queue du diable : ils se perdent dans cet “en même temps” qui leur interdit toute lutte contre les forces du mal.  Ceci est peut-être difficile à entendre, mais il est encore plus pénible de le subir ou de l’observer !

Comprenons ceci : dans l’ordure, il y a une part, infinitésimale peut-être et toutefois suffisante, d’or dur. Ainsi, tout individu a ce potentiel, aussi infime soit-il, de devenir ou redevenir une personne, c’est-à-dire un homme nouveau, cet homme qui était à devenir en lui et qui ne demande qu’à s’épanouir. Là, discerner est primordial ! Là, aider l’autre est un devoir qui nécessite en tout premier lieu la vérité qu’il faut avoir le courage de proclamer. Le personnage de Jean Valjean dans Les Misérables de Victor Hugo illustre cette renaissance en une vraie vie : Zundel aime à le mentionner dans ses écrits ou ses prises de parole. 

Le sens de la liberté intérieure : devenir don, un espace de générosité.

Saint Augustin l’explicite dans ses “Confessions” ainsi selon Zundel :

“il ne rencontre pas Dieu comme son maître, comme un pharaon qui le dominerait; il le rencontre comme le secret de sa propre intimité, comme celui qui le libère de tout, comme celui qui l’intériorise à lui-même et le ceint de sa dignité.

...

“Dieu est donc, pour lui, la respiration de la liberté, Dieu est l’espace de la grandeur, Dieu est le sceau de sa dignité. Dieu est enfin, si l’on peut dire, son véritable moi, selon l’admirable rituel hindou qui faisait dire au fiancé à sa fiancée : “Tu es moi.” “

...

“ Il ne s’agit pas de se défendre contre les forces hostiles que l’on n’arrive pas à apprivoiser. Il ne s’agit pas d’impuissance et d’ignorance, il s’agit de la plénitude de la vie, de la joie infinie, d’une liberté enfin reconnue, celle qui fait de notre puissance de choisir le pouvoir de nous donner, de tout donner en nous donnant. 

Combien de philosophes ont peiné pour définir la liberté, pour la concilier avec le déterminisme, et il n’y en a peut-être pas un qui ait compris que le sens de la liberté, c’était justement de faire tout de nous-même un don. Mais un don à qui ? Sinon à une générosité qui s’annonce comme telle au plus profond de nous. “ 

Il est temps de conclure. Je vous offre deux conclusions : celle qui suit plus développée et une autre, brève et après la notice biographique, en annexe 2.

Conclusion

Pour Maurice Zundel, le lecteur d’une œuvre littéraire se dépouille de soi, l’espace d’un instant, afin de découvrir l’imaginaire ou la réflexion  d’un auteur ou d’un penseur. Pour se mettre à l’écoute de cet autre que soi, il réduit au silence son “moi-possessif” qui le limite, afin de comprendre cet univers humain dans lequel nous vivons, avec tout ce qui peut l’élever à la beauté ou tout ce qui peut l’abaisser au point d’être moins qu’un groupe animal, répondant à ses seuls instincts reptiliens. 

Comprendre l’autre en est l’objectif : lire, c’est une façon de sortir de la bulle de son quotidien, de ses relations sociales ou professionnelles pour saisir les réalités d’existences autres que celles qui nous  sont familières. Il y a tant de récits fictions ou de romans qui sont des reflets du réel et prenons conscience que le réel surpasse parfois la fiction.

La compréhension d’un échec de choix de vie, voire d’une déchéance permet de trouver un moyen d’accompagner un individu réduit aux ombres de son nombril, afin qu’il redevienne une personne qui rayonne par son altruisme, selon ses dons qui ne demandent qu’à se révéler (musique, écriture, danse, travail de la terre, recherche historique ou scientifique, travaux manuels ou artistiques... toute compétence particulière). Cela est l’amour de son prochain bien compris.

La connaissance de vies données aux autres, à la science, à la médecine, la psychologie, à l’enseignement et à la recherche, par des témoignages écrits, contribue à une meilleure perception de l’humanité dans ses évolutions et, par contraste, aussi dans ses régressions. 

La culture

Trop souvent, elle inquiète les imbéciles qui la considèrent comme “néfaste”. Oui, certains ont peur de savoir et encore plus peur de savoir la vérité, car elle est parfois bien difficile à accepter. Ils préfèrent s’enfermer dans leurs certitudes, même entièrement fausses, pour ne pas se confronter à la réalité, pour ne pas avoir à se décider et, finalement, pour ne pas agir, ainsi qu’il conviendrait. Cette douce et rassurante ignorance sous des airs béats les rend sereins et même fiers !

A l’inverse, l’excès de culture est aussi un travers dangereux et conduit à une gnose qui entend effacer tout mystère, en souhaitant tout expliquer, orgueil intellectuel qui oublie l’humilité. L’intelligence humaine est limitée, même lorsque elle recherche ce qu’est l’infiniment petit ou l’infiniment grand. La plupart des grands savants sont d’ailleurs modestes : détenir une part du savoir n’est pas détenir tout le savoir ! Plus on avance dans une recherche, plus on réalise qu’il y a encore des découvertes qui nous attendent. Pour illustrer cet aspect, Maurice Zundel cite volontiers Einstein ou Jean Rostand. 

Une citation de Jules Payot rappelle fort justement : “On n’est pas cultivé une fois pour toutes. Il faut se cultiver constamment par la méditation attentive et par l’intimité prolongée avec quelques grandes œuvres.” et gardons à l’esprit cette parole attribuée à Leibnitz : “Le vrai savant n’est pas celui qui a le plus appris, mais celui qui a le mieux compris.”

Dans “L’Homme et la Coquille”, Paul Valéry nous rend modeste : “Notre savoir consiste en grande partie à “croire savoir” , et à croire que d’autres savent”.

La littérature

Elle exprime le meilleur et le pire de ce dont l’homme est capable, soit en décrivant avec réalisme les faits, soit en recherchant les causes qui les ont produits. Un poète conduit son auditeur aussi bien aux enfers (le pluriel est nécessaire, car ils sont multiples) qu’au Paradis (là, le singulier n’est plus singulier). Un écrivain décrit un monde où les vices et les vertus tantôt s’affrontent, tantôt se mêlent ou tantôt s’annulent. 

La qualité d’une lecture dépend surtout du lecteur, car, au final, c’est lui qui s’enrichit ou s’appauvrit ou, reste encore, indifférent. Entre l’écrivain avec sa création  et le lecteur dont la lecture est une nouvelle création, il y a la rencontre de deux imaginaires qui, normalement, tous deux recherchent une vérité, aussi belle ou horrible soit-elle. Lire ne consiste pas uniquement à acquérir un savoir, c’est tout d’abord ouvrir l’intelligence à la réflexion pour goûter la vraie beauté. Identifier ce qu’est la laideur humaine révèle, par contraste, cette beauté qui peut illuminer notre être intérieur. 

La qualité d’un lecteur est de conserver un esprit critique positif : ne pas rejeter toute idée contraire à la sienne, sans la connaître le plus objectivement possible, ne pas tout accepter avec cette formule qui révèle un aveuglement volontaire : “Tel Professeur ou tel Maître ou encore M. Le Curé a dit que... donc c’est vrai ! ” : ceci n’est pas un argument, c’est tout au plus une piste qu’il convient de scruter pour en apprécier la valeur réelle qui est sa véracité ! Par contre, une fois qu’un bon guide intellectuel ou spirituel est discerné, il est bon de lui accorder sa confiance : le chemin vers la vérité n’est pas un chemin solitaire.

Une opinion personnelle n’est solide qu’après avoir passé par l’étape - qui ne doit rester qu’une étape - du doute critique : la forme d’imbécillité la plus courante est de croire tout ce qui se dit sans se donner la peine soit de vérifier selon ses aptitudes, soit de s’informer auprès de ceux qui ont quelque connaissance d’un sujet précis.

La Bible ainsi que la littérature, les sciences, la philosophie et  les poètes nous aident à connaître notre nature humaine dans ce qu’elle peut avoir de plus beau, de plus gris ou de plus ignoble. Zundel nous aide à reconnaître ce qu’est la foi chrétienne, issue des Evangiles et non un christianisme qui interprète la foi selon des idéologies, selon des modes de pensée, souvent éloignées de la foi ! 

Le mal n’est pas la fruit d’une volonté divine. Il a son origine humaine le plus souvent. L’homme ne se réduit pas à sa seule naissance biologique (ce commencement de vie à protéger), il a encore à se faire homme par ses choix et selon des valeurs qui respectent la beauté, l’harmonie et la vérité. La vraie conversion de l’homme est sa prise conscience à devenir un homme par ses choix, ainsi à se créer, à passer du statut de Vieil homme à celui d’Homme nouveau qu’il est d’ailleurs appelé à être par le baptême.

Le Psaume 8 proclame la véritable dignité de l’homme. Il nous est explicité par ce commentaire de Léon le Grand qui sera repris, plus tard, par Bernard de Clairvaux dans divers sermons :

“Réveille-toi, ô homme, et reconnais la dignité de ta nature ! Souviens-toi que tu as été créé à l’image de Dieu, image qui, bien que corrompue par Adam, a été restaurée dans le Christ ! Use comme il faut en user des créatures visibles, de même que tu uses de la terre, de la mer, du ciel, de l’air, des sources et des fleuves, et tout ce qui s’y trouve de beau et d’admirable, rapporte à la louange et à la gloire du Créateur. Ne va pas te vouer  à cet astre lumineux qui fait la joie des oiseaux et des serpents, des bêtes sauvages et des animaux domestiques, des mouches et des vers [...]. Si, en effet, nous sommes le temple de Dieu, et si l’esprit de Dieu habite en nous, ce que chaque fidèle porte en son âme a plus de valeur que ce qu’on l’admire au ciel”.

Toute bonne action, d’un Chrétien ou d’un non-chrétien, est un reflet d’un Dieu qui aime les hommes, qui veut sauver les hommes. L’Ancien testament a donné trop souvent une fausse image de Dieu : un Dieu égocentrique, contrôlant tout, envoyant ses foudres, tel un Jupiter, sur ceux qui contreviendraient à ses ordres. Or Dieu ne veut pas un homme esclave : il veut un homme libre qui accepte tout aussi librement de Le rencontrer. La Croix ne symbolise pas la souffrance, mais l’amour de Dieu jusqu’à la mort pour sauver l’homme, pour que l’homme soit un vivant même pour l’éternité. 

Dans l’action se reconnaît l’homme bon qui se distingue, aussi par l’action, de l’homme mauvais. La vérité exige ce discernement intérieur et non d’un suivisme aveugle. Toute action humaine dépend de choix établis selon des valeurs qui conduisent, si elles sont saines,  vers le vrai, le beau et le bien : ces choix sont libres. Un don de soi pour les autres est un signe de véritable amour, même s’il n’est pas toujours payé de retour en ce monde. 

La conséquence est simple. Travailler uniquement pour son image ou l’image d’un autre, le chef ou le gourou, pour des titres, pour le paraître, c’est cultiver le moi-possessif, une simple forme d’idolâtrie : j’en ai vu dans la vie associative, religieuse, militaire et professionnelle. 

Utilisons notre intelligence qui a un appétit naturel pour le vrai. Le vrai est le réel qu’il convient de discerner dans le flou de notre quotidien. Thomas d’Aquin souligne que le meilleur de l’homme est la recherche du vrai. La vitalité d’une intelligence est au service de la conscience. Elle se concrétise dans cette curiosité, à valeur positive, qui consiste à découvrir le vrai, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus profond et de plus transcendant dans le réel.

Antoine Schülé

Contact : antoine.schule@free.fr  

Annexe 1 : 

Notice biographique de Maurice Zundel.

Naissance à Neuchâtel en 1897, fils d’un fonctionnaire des postes, sa formation scolaire débute dans une ville protestante. Passionné de sciences dès son plus jeune âge, il est un admirateur de Jean Rostand : pour Zundel la science est plus que la science.

A 14 ans, il vit expérience spirituelle décisive dans l’église Notre Dame de l’Assomption à Neuchâtel, devant la statue de l’Immaculée Conception.

La lecture des Misérables de Victor Hugo l’a rendu attentif à secourir les pauvres et à vouloir leur faire sentir leur dignité d’homme. La justice sociale l’a toujours préoccupé. La lecture du Sermon sur la montagne, appelé aussi les Béatitudes, l’a ouvert à un approfondissement de sa foi, afin de la vivre en vérité.   

A 18 ans,pendant deux ans au collège de l’abbaye bénédictine d’Einsiedeln, il découvre la beauté de la liturgie qui lui inspirera un livre magnifique. 

Lors de ses études de théologie au grand séminaire de Fribourg, il supporte mal l’enseignement scolastique qui y est donné. Il prend conscience que Dieu ne se démontre pas, mais qu’Il se rencontre : pour chacun, il s’agit de vivre cette expérience de Le découvrir. En 1919, il est ordonné prêtre.

Son enseignement du catéchisme surprend son entourage à la paroisse St Joseph  de Genève : il préfère conduire les jeunes  à Dieu  par l’émerveillement devant la beauté des œuvres d’art, de la littérature, de musique ou de découvertes scientifiques. 

Son confrère devient son meilleur ennemi quand Zundel a eu connaissance du comportement inacceptable de celui-là avec un jeune catéchiste. Négativement informé, Mgr Besson, son Evêque, l’éloigne à Rome afin de parfaire sa formation théologique et ensuite l’envoie à Paris.

Aumônier chez les Bénédictines de la rue Monsieur, il y rencontre l’abbé Montini, le futur pape Paul VI, Charles du Bos, Louis Massignon et bien d’autres penseurs catholiques.

Grand admirateur de saint François d’Assise, il ne cessera de louer la Pauvreté qui consiste à effacer son “moi” possessif pour se donner aux autres, selon les dons reçus.

Il se rend ensuite à Londres où il apprend l’anglais en lisant Henry Newman. En 1937, il passe une année à l’Ecole biblique de Jérusalem. Son livre Recherche de la personne déplaît à son évêque, car il y parle de l’amour et du mariage. 

Inemployé en Suisse et mis à l’écart, il part en Egypte sur le conseil de Louis Massignon et de Mary Kahil. Cet exil, commencé en 1939, lui permet de rencontrer l’Islam. Il apprécie les mystiques musulmans, mais il ne reconnaît pas le Dieu de l’Islam qui ressemble trop à un despote inaccessible et surtout qui ne respecte pas la liberté de la personne. 

En 1946, il revient en Suisse, à la paroisse du Sacré-Cœur d’Ouchy, à Lausanne, en tant qu’auxiliaire. C’est là que je l’ai connu. A 8 ans, je souffrais de percevoir le mépris affiché qu’il subissant de la part de son supérieur hiérarchique : je le remarquais sans comprendre cette situation. 

Pendant trente ans, il est surtout un prédicateur itinérant à Paris, à Londres et au Liban. Il donne des retraites et récollections en de nombreux monastères. En 1972, il anime une retraite au Vatican et ce grand prédicateur meurt d’épuisement et complètement aphasique, le 10 août 1975.

Sa parole est chaleureuse et libératrice. Il donne une nourriture spirituelle inépuisable. Il l’alimente par une immense culture. 

Annexe 2 :

Résumé.

On ne naît pas homme, nous sommes appelés à le devenir.

La vraie liberté est intérieure, dans notre conscience et notre pensée.

La beauté est un chemin vers le Créateur.

Découvrir Dieu, c’est découvrir sa présence en notre cœur et ne plus être seul.

La seule vraie révolution est la conversion intérieure, le chemin d’une vie : son début, pour chacun d’entre nous, est possible à tout instant.

Savoir s’émerveiller est le propre de l’homme.

Pour que la vérité apparaisse, lutter contre toute forme du mal est nécessaire : c’est une question de justice qui passe avant le pardon. Nous pouvons pardonner le mal qui nous est fait à titre personnel, mais pas celui fait aux autres : seul Dieu est juge.

Dans l’action d’un croyant comme de celui qui se prétend athée, il est possible de montrer ou découvrir Dieu. Ouvrons les yeux du cœur pour n’être point aveugles.

D’autres articles sur Maurice Zundel 

sont disponibles sur le site :

 antoineschulehistoire.blogspot.com 


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