lundi 14 octobre 2024

Ardèche et Gard : la famille de La Gorce.

 De l’Ardèche au Gard : la famille de La Gorce 

Antoine Schülé.

Avec ce sujet, nous ferons un voyage de l’Ardèche au Gard avec les communes suivantes : La Gorce, Vallon-Pont-d’Arc, Salavas et La Roque-sur-Cèze, Bagnols-sur-Cèze ainsi que Boussargues (Verfeuil). 

Pour l’auteur d’un blog, il est toujours agréable d’avoir un retour sur les articles publiés. Ayant mis en ligne  un résumé historique et chronologique de La Roque-sur-Cèze, j’ai reçu une demande d’informations complémentaires de M. Alexandre Diard, boulanger et propriétaire d’une maison 9 rue Crémieux. Intéressé par le passé de sa demeure et de son commerce, il a appris qu’un bas-relief portant les armes de la famille de La Gorce se trouvait chez lui. Plusieurs générations de cette famille, et, par la suite, de leur descendance par les femmes, ont été seigneurs de La Roque.

La façade de cette ancienne demeure bagnolaise, en fait la rue de la Poulagière selon son ancienne dénomination, a été restaurée par son propriétaire, M. Alexandre Diard. Tout en satisfaisant aux exigences d’une devanture commerciale, il a mis en valeur les fenêtres à meneaux du XIVe s. et a reproduit une enseigne qui y figurait autrefois, au-dessus de la porte d’entrée très probablement. La pièce d’origine est déposée au Musée archéologique  de Bagnols-sur-Cèze. 

  

Musée archéologique de Bagnols-sur-Cèze

Léon Alègre dans son livre “Bagnols en 1787” en propose un dessin esquissé par Léopold Truphemus, en précisant qu’il s’agit des armes de la famille de La Gorce dont il est fait mention à plusieurs reprises dans son ouvrage. Ce bas-relief avait été donné à la ville de Bagnols par Mlle Georges.

La qualité technique de la photographie et le dessin sommaire ne permettaient pas d’établir avec certitude la devise qui accompagne ce blason, facilement identifiable. Celle-ci était endommagée partiellement et a éveillé ma curiosité : le passé a encore tant à nous dire ! De plus, il a fallu rechercher ce qui peut se savoir plus précisément sur les personnes ayant habité cette maison. Il y aurait d’autres pistes à explorer et, si un chercheur le souhaite, j’en discuterais volontiers avec lui ou elle. 


De gueule à trois rocs d'échiquier d'or 2 et 1.

In : Recherches de noblesse, armoriaux, preuves, histoires généalogiques. Armorial général de France, dressé, en vertu de l'édit de 1696, par Charles D'HOZIER (1697-1709). XXIX Provence, I. page 418.

La famille de La Gorce

Guillaume de La Gorce, seigneur de Vallon est devenu baron de la Roque par son mariage en 1550 avec Catherine de Blisson. Sa famille est attestée depuis le XIe siècle (Raymond, fils de Pierre de la Gorce, 1096). Dans la Chronologie de la Roque-sur-Cèze d’Adrien et d’Antoine Schülé, figure la liste de tous les seigneurs de La Gorce, barons de La Roque, de 1550-1950, soit issus en ligne directe, soit par alliance et soit encore par héritage. 

La Gorce est une commune de l’Ardèche, au nord de Vallon-Pont-d’Arc, traversée par la rivière Ibie. Gorce est un nom issu du gaulois gorcia ou gortia, désignant un lieu buissonneux ou un fourré inextricable d’épineux.


Beffroi à La Gorce construit en 1240.

Un Dalmas de la Gorce était seigneur de La Gorce en 1208. A ma connaissance, le plus ancien témoignage écrit et mentionnant un seigneur de La Gorce date du 14 des calendes de 1257 : hommage du baron de Chalancon, Giraud seigneur de La Gorce, au comte de Valentinois.  Le 18 janvier 1398, par son mariage avec Mingone Villate, un Giraud de La Gorce devient seigneur de Vallon, selon un hommage rendu au seigneur de Joyeuse. Cette famille a eu la charge de trois communes : Lagorce, Vallon et Salavas. Elle est alliée aux anciennes et nobles familles du Vivarais et du Gévaudan, essentiellement par les barons d’Apchier, dès 1408 en raison du mariage d’Anne de La Gorce. En 1636, Marguerite d’Apchier épousa François de Crussol, duc d’Uzès. 


Le château de La Gorce, Fortification rasée le 5 juin 1629, 

à la demande du duc de Rohan, Louis XIII étant roi.

Mathieu Merle de La Gorce

Il faut dissocier la famille de La Gorce et de La Roque de la lignée de Mathieu Merle de La Gorce, capitaine protestant, qui reçut, en compensation  de l’évacuation de Mende qu’il avait assiégée en 1578,  les baronnies de La Gorce et de Salavas, selon un traité de paix de 1580 et par une cession du baron d’Apchier. Le fils de Mathieu, Hérail de Merle, se convertit plus tard au catholicisme, suscitant ainsi la colère des protestants. 

Sa généalogie, qui ne concerne pas les de La Gorce et de La Roque, se trouve dans : Collection du Languedoc, t. 106, p. 230 à 318.  Dans le Dictionnaire des devises historiques et héraldiques de A. Chassant et de H. Tausin, nous avons sa devise : “Or sus fiert”.  

De Guillaume à Louis de La Gorce

Léon Alègre précise que  “ Les La Gorce [...] étaient, en effet, seigneurs de La Roque, en 1567; époque à laquelle Guillaume, maître des comptes à Montpellier, Lieutenant du sénéchal de Nîmes, commandant deux compagnies de gendarmerie pour le service du roi, épousa Catherine Blisson. Or ce M. de Blisson était, lui aussi un haut personnage, puisqu’à l’époque où remontent ces armoiries, il est cité comme un des seigneurs de la ville de Bagnols.” Par la suite, il nous apprend que : “... un des petits fils de Guillaume, Louis de La Gorce (fils de Jean, seigneur de Boussargues) était prieur de Bagnols du temps de la peste en 1629. Sa mère se nommait Marie de La Baume.”  

En une note, il nous signale aussi qu’à la rue de la République, au numéro 33, la maison de M. Charavin, marchand drapier, était la maison Blisson et que, dans la cour du sieur Jean Combe, il y a deux écussons en marbre, accostés, portant les armes des de La Gorce et de Blisson, coseigneurs de Bagnols. Il s’agirait d’identifier cette maison Jean Combe pour savoir si ce double blason existe encore. Merci de me le signaler si vous le savez !

Détermination de la devise ecclésiastique

Pour ma part, il s’agissait de déterminer la devise qui n’était pas aussi courte qu’il est d’usage pour la noblesse portant les armes. Les photographies du bas-relief par Alexandre Diard ont permis de la reconstituer avec certitude par divers agrandissements. Les caractères entre crochets sont les probables lettres manquantes. Un losange sépare les mots.

 

 Photo 1 Partie gauche de la devise : à lire de bas en haut  : 

 ° E[T] ° DIREXIT ° GRESSUS °[SANCTUS °] DOMINUS XP °


 Photo 2 Agrandissement du chrisme XP, le P est inclus dans les deux barres supérieures du X. 

Ce qui est une originalité épigraphique à Bagnols.


 Photo 3 ° [STATUIT] ° PEDES MEOS °

Au final, la devise latine est donc :

[Sanctus] dominus xp [statuit] pedes meos e[t] direxit gressus

Soit  : “Sanctus dominus Jesus Christus statuit pedes meos et direxit gressus (meos). “ 

En latin, le “meos” n’avait pas à être répété, d’où ma mise en parenthèse.

Compléments d’informations : 

Le XP : il s’agit d’un acronyme. Les deux lettres grecques (khi et rho) sont ici représentées entrelacées et stylisées. Ce chrisme forme alors un ensemble qui est devenu l'un des symboles très répandu dans l'art chrétien antique. La barre du P fait alors double usage de I et de P, et le symbole grec signifie alors  Ἰησοῦς Χριστὸ.

I (I, Iota) : Ἰησοῦς / Iêsoûs (« Jésus »), le messie, soit le Sauveur.  

        Χ (KH, Khi) : Χριστὸς / Khristòs (« Christ »), en grec : l’oint.

Cette devise a été construite sur le Psaume 39.3 (ou 40.3 dans la version actuelle) : 

Et statuit super petram pedes meos et direxit gressus meos.“ 

Traduction : “Il m’a remis debout, les pieds sur le rocher, il a assuré mes pas.

Traduction littérale de la devise du prieur Louis de La Gorce, chanoine d’Uzès et prieur de Bagnols-sur-Cèze, seigneur de Carmignan : 

Saint Seigneur Jésus-Christ m’a mis sur pied et a dirigé mes pas.“ 

Variante plus littéraire : “Le Saint Seigneur Jésus Christ m’ a relevé et guidé mes pas.“ 

La copie de ce bas-relief qui figure sur la façade actuelle ne comporte pas le chrisme d’origine, mais les deux lettres XP.

Reproduction actuelle en façade

Photographie 2024 : Constance Colle (Midi Libre).

Artisan : Arte Pierre (Tresques).

Plaque de 120 kg.

Saint Etienne du Grès

De ce psaume 39 (40), s’est inspirée la devise communale de Saint-Etienne du Grès, en raison d’une erreur étymologique. Il s’agit d’une commune, à l’est de Tarascon, dans le département des Bouches -du-Rhône.

En effet, Grès ne provient pas du latin gressus, mais d’une racine préceltique crettiu (le cr étant issu d’un car), pour désigner un terrain caillouteux ou un champ pierreux, en occitan. Formes diverses pour noms de lieu ou de famille : Crès, Cresse, Grès, Grèze.


Les religieux connus de la famille de La Gorce :

1151, Pierre Guillaume de La Gorce, prêtre;

1287, Pierre de la Gorce, chanoine et prévôt du chapitre de Viviers;

1305, Raymond de La Gorce, chanoine de Viviers;

1307, Louis de La Gorce, archidiacre de Vivarais;

1620, Marie de La Gorce, religieuse au Couvent de Valsauve;

1620, Simon de La Gorce, prieur de Saint-Laurent. 

1623, Louis de la Gorce, chanoine d’Uzès et prieur de l’église Saint Jean Baptiste à Bagnols;

Guillaume, Louis et Melchior de La Gorce

Guillaume est le fils d’Antoine et petit-fils de Hélie de La Gorce. Il a épousé en 1549, Catherine de Blisson, fille de Jean de Blisson et d’Isabeau de Monteils. Il a exercé plusieurs fonctions : garde des archives du Roi à Nîmes, maître des comptes de Montpellier (1561), lieutenant général de la sénéchaussée de Nîmes et Beaucaire, commandant de deux compagnies de gens d’armes (1568), capitaine du château de Nîmes. Dans les fossés de la ville de Nîmes, en 1569, il fut tué au service du Roi, lors de la prise de la ville par les Huguenots. Son fils demanda en 1571 le transfert de son corps, de ce fossé au caveau familial (à Bagnols ou à Saint-Laurent de Carnols). 

Il naquit de cette union six enfants : Jean, Isabeau, Delphine, Françoise, Catherine et Paul. 

Jean de La Gorce épousa Marie de la Baume, le 6 janvier 1584 et celle-ci se retrouva veuve, en 1623. De cette union est né Louis de la Gorce, prieur de Bagnols-sur-Cèze. Lors de la peste de 1630, malgré les risques de contagion, il assura la nourriture aux vingt-cinq pestiférés, réunis dans un jardin de la ville. Il est mort le 29 septembre 1632.

Melchior de La Gorce, un des deux fils de Pierre de la Gorce et de Claude  de Pelloux, a été maître de camp d’un régiment infanterie au service du roi et commandant dans la Marine du Levant. 

Ils ont habité cette demeure bagnolaise du 9, rue Crémieux : Ah! Si seulement les murs pouvaient nous parler ! 

Jeu d’échecs

Il est curieux d’observer trois pièces d’échiquier, identiques sur ce blason. Le jeu d’échecs a ses origines aux Indes, pour arriver ensuit en Iran. Après la conquête iranienne par les Musulmans, en 651, se jeu se diffuse dans le monde arabe. Comment parvient-il en Europe ?

Vers le milieu du 10e s., ce jeu arrive en Espagne, en Sicile (par les Musulmans) et en Italie du Sud, en Sicile tout spécialement. Au début du 11e s., les Scandinaves, en raison de leurs échanges commerciaux avec l’Empire byzantin, le découvrent : il se  pratiquait sur les bords de la mer Noire et plus particulièrement en Ukraine pour se diffuser dans le Nord de l’Europe, cette fois-ci.

De nombreuses légendes médiévales affirment que ce jeu a été conçu par les Grecs, par Palamède notamment, le rival d’Ulysse à qui on attribue plus d’une invention : l’alphabet, le calendrier, le calcul des éclipses et, même, le jeu de dames.

L’Eglise tente d’interdire cette pratique du 11e s. au 12e s., car le déplacement des pièces se tirait aux dés, un jeu de hasard. Saint Louis lui était très hostile, car, en plus, un jeu d’argent : des dettes de jeu ont ruiné des familles, parfois très aisées. En France, tout spécialement, il est considéré comme un rite initiatique dès le début du 13e s. : les deux tours sont Eve et saint Michel. Les récits arthuriens  donnent un sens nouveau aux différentes pièces. L’empereur Frédéric II était un joueur averti et réputé. 

Trois rocs

Cet article n’a pas pour but de traiter de la symbolique de toutes les pièces. Pour cela, je vous renvoie au livre de Michel Pastoureau : Une histoire symbolique du Moyen Age occidental, éd. Seuil, Paris, 2004, 448 p. (lire pp. 269-292).

La pièce, nommée “tour” de nos jours, était chez les Perses et les Musulmans, un char, puis un chameau. Elle s’appelait en latin “rochus”, construit sur la mot arabe “rukh” signifiant “char”. En italien, le mot “rocca” signifie “forteresse”, d’où le nom “roc” dans le jeu français et qui est resté en termes de blason. 

Antoine Schülé

Contact : antoine.schule@free.fr 


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